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Écoles, enseignants, nouvelles technologies

Depuis la diffusion de l’école obligatoire dans les pays d’Occident, l’introduction des nouvelles technologies dans les activités d’enseignement accompagne toute réforme des systèmes scolaires et provoque nombre de débats qui précèdent, accompagnent et suivent le déroulement desdites réformes aussi bien que les bilans.

Le but de cet article [1] est d’illustrer empiriquement un modèle d’articulation des attitudes des enseignants face aux nouvelles technologies, modèle inspiré par la théorie des représentations sociales. Dans la première partie, nous présentons des arguments qui, au fil de différentes époques et approches théoriques, documentent des débats et des conflits qui ont accompagné l’instauration de toute nouvelle technologie dans les milieux scolaires. Ces contenus des débats qui touchent une catégorie sociale spécifique telle que les enseignants (fortement soumis au défi de l’innovation technologique et didactique) peuvent être mieux compris, selon nous, si l’on utilise l’approche théorique des représentations sociales (Moscovici, 1961 ; Mugny et Carugati, 1985). Dans la deuxième partie, nous illustrons de façon empirique la manière dont des enseignantes italiennes organisent leurs discours face aux technologies de l’information et de la communication (TIC), selon les prévisions de la théorie des représentations sociales.

Les NTIC en tant qu’objet de représentations sociales

Par représentations sociales, on entend le produit d’un processus de construction symbolique du réel effectué par un individu en interaction avec un collectif de pairs, peu importe que cette « production » porte sur le monde physique ou sur des objets sociaux. Les représentations sociales sont des constructions associées à des attentes et à des savoirs socialisés portant sur le type d’attitudes et de conduites à adopter dans divers contextes, même si les sujets ne disposent pas d’information ressentie comme suffisante (Mugny et Carugati, 1985). Les représentations sociales sont le produit de groupes définis par l’appartenance à un univers social ou professionnel commun (Elejabarrieta, 1994). Elles correspondent à une activité collective d’interprétation et de construction du réel qui produit une organisation des connaissances dont les contenus cognitifs, affectifs et symboliques jouent un rôle primordial sur la manière de penser et sur l’action quotidienne des membres du groupe. Les modèles d’intervention éducative privilégiés et les profils des pratiques pédagogiques privilégiés par les futurs enseignantes et enseignants ou par les praticiennes et praticiens novices sont en bonne partie un effet d’apprentissages informels résultant d’effets multiples (discussions entre collègues, modelage en contexte de stage et d’insertions professionnelles, etc.). Les conceptions de l’intervention éducative et les rapports à la didactique sont souvent fonction de l’efficacité des stratégies adoptées par les experts (modèles) et de la cohérence de leurs discours (Larose et Lenoir, 1998 ; Lenoir, 1999). Les connaissances implicites et les attitudes des enseignantes et enseignants novices au regard du profil d’utilisation pédagogique des TIC dépendent donc en bonne partie des apprentissages informels réalisés par observation plus ou moins systématique dans les milieux de la pratique.

D’ailleurs, la polyphasie et la plurisémie (Mugny et Carugati, 1985) des discours et des sources d’informations suggèrent que les enseignantes ressentent un décalage entre les informations à disposition et les informations nécessaires à une appréciation plus satisfaisante de l’objet, à savoir les TIC. En ce sens, les NTIC paraissent constituer un cas de figure : tout le monde parle des nouvelles technologies, mais personne ne sait pas ce que sera l’école dans une société de l’information.

Dans le cas des enseignantes, cette forme de carence subjective d’information se double de la nécessité de prendre des décisions face à l’utilisation des TIC (achat d’instruments, utilisation didactique de logiciels, etc.). Les enseignantes se retrouvent ainsi dans une situation sociocognitive de pression à l’inférence. Ces deux facteurs pris ensemble devraient contribuer à la construction d’une représentation organisée. Cette représentation serait alors l’effet conjugué d’une étrangeté ressentie sous pression à l’inférence et d’une carence informationnelle.

Pour montrer qu’à toute époque, les systèmes scolaires – nous nous limitons au XXe siècle – et donc les enseignants ont été confrontés à la question des nouvelles technologies éducatives, nous présentons un bref retour historique. Il ne s’agit pas d’un détour hors du temps, car y sont clairement affirmés les témoignages des débats, donc des différences des positions à l’intérieur du corps enseignant, qui rendent fort plausible la thèse de l’influence, d’une part, du sentiment d’étrangeté et de carence informationnelle, et, d’autre part, de la pression à la prise de décision face aux diverses technologies nouvelles.

Nouvelles technologies d’hier et d’aujourd’hui

Si le test de Binet et Simon peut être considéré l’un des précurseurs, à l’époque, de tout nouvel outil technologique au service des enseignants et des élèves, c’est aussi le cas de la radio, de la télé, des crayons Bic, des systèmes vidéocassettes qui constituent des objets d’étude pour les historiens de l’éducation et les chercheurs sur les mouvements d’innovation éducative.

Bien avant l’introduction des ordinateurs ou du réseau Internet, les tentatives d’améliorer l’enseignement par de nouvelles technologies ont donné lieu à des vicissitudes bien décrites par Cuban dans la culture scolaire états-unienne (1986). Cet historien de l’éducation américain montre un parcours commun à plusieurs technologies didactiques au cours du XXe siècle : dès le début, la diffusion de nouveaux outils technologiques à l’école se double de la mise à jour de problèmes techniques et du mauvais fonctionnement de ces appareils, ce qui induit un retour aux supports traditionnels (livres écrits, tableaux, cours de l’enseignant), et à un usage de plus en plus marginal des nouveautés (Ibid.).

C’est le cas, par exemple, des films didactiques. Les premières expériences de vidéoprojection à l’école remontent aux années 1910, dans les écoles aux États-Unis. Le Federal Bureau of Education a distribué à nombre d’écoles les équipements nécessaires. Des chercheurs engagés sous le drapeau de l’innovation scolaire documentèrent l’efficacité de l’enseignement par « images en mouvement », les films didactiques du temps. Même si les politiciens, les chercheurs et les groupes d’enseignants croyaient fortement aux avantages de l’innovation, son impact concret sur les pratiques didactiques est toujours resté très limité, voire marginal. D’après les recherches de l’époque, la plupart des enseignants craignaient de ne pas maîtriser suffisamment l’utilisation des instruments ou déplorait que les films didactiques coûtaient trop cher et qu’il était difficile de trouver les films appropriés à leurs élèves. Et poutant, jusqu’aux années 1950, l’utilisation des images pour l’enseignement

qui était encore peu fréquente même si elle était disponible depuis près de quatre décennies demeurait l’idéal des autorités pédagogiques et administratives qui voulait faire de la salle de classe un lieu d’apprentissage intéressant et profitable.

Cuban, 1986, p. 18

Quarante ans plus tard, la nouvelle technologie scolaire n’était plus le cinéma, mais la télévision. Une fois de plus, le Federal Bureau of Education dota les écoles de différents États des instruments nécessaires et expliqua aux instituteurs et aux professeurs de tout ordre d’enseignement les avantages du nouvel instrument pour leur enseignement. Malheureusement, les résultats de ce type de politique éducative ou d’adoption de la nouveauté se sont révélés fort inférieurs aux attentes. Un exemple du destin de la télévision éducative, semblable à celui des films didactiques, est rapporté par Cuban lui-même et concerne l’expérience aux Îles Samoa Occidentales, possession d’outre-mer des États-Unis. Dès les années 1960, à la suite de l’intervention du gouvernement local, les programmes éducatifs arrivaient à couvrir la durée du temps scolaire et à déterminer le rythme de toutes les activités des classes; presque tous les enseignants des Îles utilisaient cet outil, au point que le Président des États-Unis citait cette expérience comme un exemple réussi d’innovation scolaire (Schramm, Nelson, Betham, 1981). Cette fois, le succès de la nouvelle technologie n’a pas non plus été durable : moins de dix ans après, la télévision didactique apparaît comme un outil assez marginal dans les activités scolaires. Aux yeux des enseignants, elle était devenue peu fiable et peu flexible, dans la mesure où les enseignants avaient repris leur rôle de gestion autonome de la classe (Ibid.).

Résistance à l’innovation : dans les écoles et ailleurs

Grâce aux exemples que nous avons cités, il est évident que les innovations en éducation n’arrivent pas à elles seules à atteindre les buts poursuivis par les novateurs, c’est-à-dire à une révolution des systèmes de l’éducation.

Et pourtant, l’échec dans la diffusion d’une innovation technologique s’avère un phénomène beaucoup plus fréquent qu’on ne le pense, il ne concerne pas seulement les milieux scolaires. Si Cuban met en évidence la dialectique entre novateurs et utilisateurs des technologies didactiques au cours de l’histoire de l’éducation, Martin Bauer, dans un contexte théorique différent, en éudiant les processus d’innovation technologique à une échelle sociale plus vaste, introduit la notion de « résistance » pour expliquer les aléas de la diffusion des nouvelles technologies (Bauer, 1995a).

La résistance, telle que la décrit Bauer, doit être considérée comme modèle interprétatif de tout phénomène d’innovation sociale, où les attentes et les buts des novateurs sont souvent accueillis, retravaillés et corrigés par les destinataires, de façon à adapter toute nouvelle technologie à leurs exigences réelles. Les phénomènes de résistance peuvent se manifester sous plusieurs aspects d’analyse (individuel ou collectif, spontané ou organisé, concret ou symbolique) par nombre de conduites de refus, de non-coopération ou de manifestation explicite d’opposition à la nouveauté (Sharp, 1973).

La notion de résistance est utilisée par Bauer dans des études concernant des domaines, tels que l’énergie nucléaire et les biotechnologies, d’où on peut dégager la thèse centrale et tout à fait contre-intuitive que les conduites de résistance jouent au bénéfice de l’innovation elle-même, dans la mesure où elles induisent les novateurs à mieux comprendre le défi introduit par les résistants, aussi bien dans le domaine de leurs conduites que des arguments qu’ils produisent contre l’innovation (Bauer, 1995a). Bref, la résistance joue dans le progrès technologique la même fonction que la douleur joue pour l’organisme, c’est-à-dire de signaler que quelque chose ne marche pas bien, et donc d’activer le sujet, à savoir le novateur/ le médecin) pour qu’il corrige ce qui produit la résistance/la douleur.

La résistance, en tant que catégorie d’arguments et de conduites activement, explicitement et consciemment adressés à faire obstacle à une innovation, peut cohabiter avec d’autres manifestations de prise en charge socialement partagée de l’innovation (Ibid.). Le décalage par rapport aux projets des novateurs peut se montrer sous plusieurs formes : le simple évitement, quand il est possible, de la conduite requise ou le désamorçage des usages les plus spécifiques des nouveaux instruments ou la production et la diffusion de représentations négatives des conséquences que les instruments produiraient chez les usagers, notamment les plus jeunes, et dans les différentes institutions de la société. Dans tous les cas, selon Bauer, ces manifestations peuvent mener au même résultat, c’est-à-dire, paradoxalement, donner aux novateurs une rétroaction concrète sur les lacunes et les améliorations nécessaires afin d’arriver à mieux intégrer les buts et les instruments produits.

C’est véritablement à propos des NTIC que des conduites non explicites de résistance, telles que la limitation aux usages les plus simples et moins novateurs, peuvent jouer un rôle plus important que les conduites de refus total ou de prise de position explicitement contraires à ces technologies. En effet, le risque engendré par l’informatique est bien moins concret et dangereux pour la santé que les risques liés à l’énergie nucléaire, par exemple. De plus, des raisons historicoculturelles rendent peu vraisemblable une résistance explicite aux NTIC. Jusqu’aux années 1980, les productions littéraires et cinématographiques de science-fiction ont des contenus à caractère catastrophique, centrés sur des images d’un monde inhumain et violent dominé par l’intelligence artificielle (Kumar, 1991 ; Kling, 1996) ; mais aujourd’hui, le même genre de production se focalise sur d’autres thèmes (changements du climat, catastrophes écologiques, etc.) de sorte que les craintes et les risques concernant l’informatique apparaissent désormais assez vieux jeu et fortement marginaux par rapport au Zeitgeist actuel.

Le déclin des formes d’opposition explicite à l’informatique ne signifie pas la disparition de formes plus subtiles, soit de prudence ou de restriction de l’usage de ces instruments, soit de production d’arguments critiques concernant leurs potentialités, à côté, bien évidemment, de l’acceptation de leurs incontestables avantages.

Si l’on se situe dans les contextes scolaires, il est peut-être difficile que des résistances ouvertes se manifestent de la part des enseignants face aux NTIC, pour la simple raison que ceux qui soutiennent les innovations se situent à un niveau statutaire privilégié : ministère de l’Éducation nationale, chefs d’établissements, pédagogues prestigieux et renommés, souvent avec offres de budget pour l’achat d’instruments.

Les individus résistants : une armée de phobiques ?

Le constat des obstacles rencontrés par la diffusion des nouvelles technologies à l’école a souvent induit les chercheurs de diverses approches théoriques à s’occuper du problème. Si les études sur les nouvelles technologies d’antan et les études sur les conduites de résistance nous renseignent sur les aspects macrosociaux, historiques et culturels de l’innovation technologique, il faut noter qu’en psychologie, il existe des études qui s’inspirent, notamment, des approches cliniques.

Nombre d’études concernant les attitudes des enseignants face à l’usage des ordinateurs et, plus récemment, d’Internet et des multimédias utilisent des notions telles que « syndrome de phobie de l’ordinateur » (computerphobia ou technophobia dans la documentation anglophone), ou « anxiété face à l’ordinateur », pour décrire les sentiments et les conduites de catégories d’adultes face aux TIC (Bohlin et Hunt, 1993 ; Rosen et Weil, 1990 ; Weil, Rosen et Wugalter, 1990). L’anxiété face à l’ordinateur est considérée en tant que cause directe des difficultés à l’intégration des TIC dans les pratiques éducatives des enseignants (Gardner, Discenza et Dukes, 1993). La référence explicite à une sorte de « pathologie souple » ne se limite pas à la description des conduites, car elle suggère aux auteurs des procédures de traitement de ces types de syndromes. Rosen et Weil (1995) relèvent

la nécessité de recourir à des stratégies psychologiques d’intervention pour lutter contre la résistance personnelle envers les ordinateurs et la technologie en général.

p. 27

L’utilisation de techniques béhavioristes de désensibilisation, notamment en ce qui concerne l’anxiété des étudiants et des enseignants face à l’ordinateur, a été financée par le gouvernement des États-Unis à l’occasion d’un « Programme de réduction de la computerphobia » (Weil, Rosen et Sears, 1987) ; par ailleurs, d’autres auteurs proposent d’intégrer dans les cours d’informatique l’enseignement de techniques de stress-management, dans le but d’aider ceux qui craignent la nouvelle technologie (Bloom et Hautaluoma, 1990).

Plusieurs critiques concernent justement cette approche si fortement individualiste. En effet, parler de phobie face à l’ordinateur implique, autant sur le plan théorique que sur le plan pratique, une médicalisation d’un phénomène complexe tel que l’innovation technologique, dont on ne considère que des aspects individuels et intrapsychiques (Bauer, 1995b).

Si les enseignants témoignent de conduites de refus face aux TIC, il se peut que l’innovation qu’on leur propose soit très difficile à intégrer dans les pratiques didactiques ou qu’elle soit censée ne pas être utile pour l’enseignement. Lorsqu’une innovation connaît des obstacles, il nous paraît réductionniste de n’envisager le problème que du côté des individus qui manifestent des difficultés : toute approche thérapeutique vise à augmenter la disponibilité personnelle des individus (des enseignants en formation, dans la plupart des cas) à accepter le nouvel outil, non pas à améliorer ou adapter les innovations à leurs exigences didactiques.

L’expertise informatique : la compétence est-elle nécessaire pour utiliser les TIC ?

D’autres approches aucunement inspirées des modèles cliniques abordent la thématique des attitudes et des conduites concrètes face aux TIC, notamment chez les enseignants : il s’agit d’un courant de recherches qui, depuis les années 1970, vise à identifier ce que les enseignants ressentent face aux différents instruments, ce qu’ils disent de faire avec eux, et leurs attitudes avant et après des interventions de formation spécifique.

Plusieurs études, la plupart issues du milieu anglophone, ont décrit ce que les enseignants disent et font face aux NTIC, sans faire appel aux catégories explicatives de la pathologie médicopsychologique. Le premier but de ce type de recherches est souvent de décrire et mesurer les attitudes des individus à l’égard de l’ordinateur ou d’autres outils technologiques. On ne parle, ici, ni de phobie ni de thérapie ; à côté de l’anxiété, ces études visent à explorer d’autres dimensions telles la confiance face aux outils, la self-confidence, la perception de sa propre performance face à l’utilisation de l’ordinateur. En outre, de nombreux travaux ont renseigné sur la possibilité de produire des changements d’attitudes, notamment chez les enseignants, face aux TIC, de façon à favoriser l’adoption la plus large des différents outils dans leurs activités didactiques.

La voie la plus souvent choisie n’a pas été celle de la thérapie, mais celle de fournir des connaissances spécifiques concernant l’utilisation concrète des logiciels ou des langages de programmation. L’hypothèse générale est qu’une formation spécifique ou l’expertise informatique permettrait, d’une part, de mieux maîtriser les outils technologiques et, d’autre part, de susciter des attitudes plus favorables envers les TIC. C’est dire que qui en sait davantage devient plus accueillant et, donc, accepte plus facilement l’innovation.

Du point de vue méthodologique, plusieurs études ont utilisé des plans expérimentaux ou quasi expérimentaux classiques avec prétest, traitement de formation des sujets et groupes de contrôle sans traitement et post-test (Harrington, Mc Elroy et Morrow, 1990 ; Jay et Willis, 1992), visant à évaluer les bénéfices induits par les pratiques informatiques.

Bien que les résultats ne soient pas toujours homogènes, on a mis en évidence une réduction de l’anxiété et une évolution vers des attitudes plus favorables face à l’ordinateur chez les participants à des cours d’introduction à l’informatique, par rapport à des changements non significatifs chez les groupes contrôle (Pope-Davis et Vispoel, 1993). Dans la plupart des études, les sujets sont des enseignants en formation, soit des étudiants universitaires qui ont choisi la carrière d’enseignement, mais qui n’ont pas encore une expérience professionnelle directe.

D’autres recherches ont mis en évidence une amélioration, à tout âge, des attitudes générales face à l’ordinateur, de la self-efficacy, de la perception de sa propre performance après une seule semaine d’initiation à l’informatique (Czaja et Sharit, 1998). L’utilisation des mesures prétraitement et post-traitement a été critiquée, dans ce type de recherches, en ce qu’elle était trop sensible aux changements momentanés ou à la complaisance des sujets – souvent, il s’agit d’étudiants de cours gérés par les chercheurs eux-mêmes. De plus, il faut rappeler que les enseignants les plus experts en informatique ou ceux qui sont déjà plus favorables à l’innovation participent davantage à des cours, ce qui fait augmenter de plus en plus le clivage entre enseignants novateurs et collègues moins orientés aux nouvelles technologies (Tomasetto, 2000).

D’autres recherches, qui ne considèrent pas l’évolution des attitudes dans les parcours de formation spécifique, montrent des différences entre des sujets (non enseignants) qui maîtrisent un certain nombre de logiciels et d’autres qui ne les maîtrisent pas (Colley, Gale et Harris, 1994 ; Comber, Colley, Hargreaves et Dorn, 1997).

Le niveau d’expertise est parfois utilisé comme mesure de validité concurrente dans la validation des échelles d’attitudes face à l’ordinateur (Kay, 1993). Mais au-delà des attitudes, le degré d’expertise influence l’usage didactique des TIC chez les enseignants : comme il était prévisible, les enseignants les plus experts adoptent davantage eux-mêmes l’ordinateur et le font davantage utiliser par leurs élèves (Becker, Ravitz et Wong, 1999). En outre, l’expertise influence le type d’utilisation des TIC : les enseignants plus experts en informatique sont davantage favorables aux utilisations les plus interactives de l’ordinateur, par exemple, en cherchant des informations sur Internet ou en publiant des pages sur le Web ; par ailleurs, les moins experts se limitent souvent aux utilisations didactiques des produits du commerce (cédérom, exercices, révision des contenus, soutien, etc.) (Ibid.).

L’hypothèse qu’un manque de connaissances soit la cause du refus des nouvelles technologies ou du développement d’attitudes hostiles à leur égard n’a pas son origine dans les approches psychologiques, telles que celles qui inspirent les travaux déjà cités : c’est le cas de la diffusion theory, une approche théorique qui vise à expliquer les vicissitudes sociales qui accompagnent l’adoption ou le refus des innovations techniques dans différentes organisations (industries, systèmes scolaires, contextes sociaux différents). Les auteurs les plus représentatifs de cette approche soulignent que le manque d’informations produit des sentiments d’incertitude et d’imprévisibilité face aux nouvelles technologies, ce qui provoque l’éloignement des usagers potentiels de l’innovation (Gerwin, 1988 ; Rogers, 1995). Les prévisions de cette théorie à propos de l’innovation scolaire sont très claires :

la théorie de la diffusion de l’innovation pourrait prévoir que, dans la salle de classe, les enseignants qui affrontent avec hésitation les nouvelles technologies ne parviendront pas à faire de l’ordinateur un composant de leur enseignement.

Fuller, 2000, p. 513

La solution est alors de donner plus d’informations à ceux qui en manquent :

Les spécialistes de la diffusion de l’innovation affirment que l’information sert de remède à l’hésitation.

Ibid.

Cependant, il est réducteur de penser que la compétence technique soit le seul instrument favorable à la diffusion des TIC dans l’enseignement. En observant des instituteurs en formation, on a constaté que l’intention d’utiliser l’ordinateur à l’école est prédite non par les connaissances informatiques actuelles (c’est-à-dire par l’expertise), mais par des variables symboliques, telles que la valeur attribuée aux TIC pour les sujets eux-mêmes et pour leurs futurs élèves (utilité perçue de l’ordinateur pour la carrière, facilité à chercher un bon emploi grâce à l’ordinateur, etc. (Kellenberger, 1997).

Bauer (1995a) souligne les limites d’une approche centrée uniquement sur la technique ou sur le manque d’information. En effet, l’approche de la diffusion theory considère souvent les opinions des non-experts en tant que théories naïves et biaisées, et non pas en tant que résultat légitime d’un processus de coconstruction sociale :

Redresser les perceptions des gens par l’ajout d’information et par de la formation spécifique donne un bon résultat, mais il serait peu vraisemblable de croire qu’un supplément d’information provoque les mêmes effets chez tous. Les gens sont influencés différemment par la même information. Une compréhension différente de la même information mène à une conclusion différente.

Ibid., p. 13

Illustration empirique

Computerphobia, anxiété face à l’ordinateur et degré d’expertise sont des caractéristiques qui se situent sur le plan intra-individuel. Une compréhension bien plus articulée des attitudes face aux NTIC bénéficierait de l’articulation entre différents niveaux d’analyse, articulation qu’offre l’approche des représentations sociales.

La spécificité de l’approche des représentations sociales est d’intégrer tous ces éléments différents, tels que des attitudes, des conceptions et des théories naïves, dans des architectures des cognitions complexes (Carugati, Selleri et Scappini, 1994) et fonctionnellement ancrées à des principes organisateurs communs.

Très brièvement, l’approche des représentations sociales suggère que, face à des instruments nouveaux et porteurs de technologies sophistiquées, mystérieuses et inexplicables, des adultes qui, par leur profession et par des pressions institutionnelles, à savoir le système scolaire, et par la nécessité de prise de décison dans la vie quotidienne sont amenés à les utiliser et à en apprendre l’usage produiront des discours visant à maîtriser, d’un point de vue sociocognitif, le conflit entre sentiments d’étrangeté et de manque d’expertise, niveau d’expertise, positions idéologiques face à la modernité, pression à prendre des décisions concernant la formation et l’usage, protection d’une identité professionnelle positive (Mugny et Carugati, 1985 ; Carugati, Selleri et Scappini, 1994).

Des échantillons d’enseignantes d’école obligatoire permettront de mettre à l’épreuve notre hypothèse et de vérifier si à différents niveaux d’expertise les sentiments d’étrangeté sociocognitive face aux nouveautés jouent systématiquement de la même façon dans la production d’un discours naturalisant, de prudence dans l’usage, et davantage d’effets négatifs pour l’apprentissage, attribués à leur usage.

Sujets

Notre étude a été réalisée avec un échantillon d’enseignantes de l’école obligatoire italienne (élèves de 6 à 13 ans). Les sujets travaillent dans cinq districts scolaires du Nord de l’Italie et sont homogènes en ce qui concerne la disponibilité de ressources NTIC dans leurs écoles et les initiatives de formation adoptées.

L’échantillon compte 636 enseignantes. Le choix de nous limiter aux enseignantes est appuyé par des raisons théoriques et statistiques : dans la réalité des écoles italiennes, en particulier en ce qui concerne l’école obligatoire (6 à 14 ans), la disproportion entre enseignants et enseignantes est telle qu’elle empêche toute comparaison statistique entre les deux catégories. De plus, la documentation scientifique concernant les différences supposées entre les attitudes des hommes et des femmes face aux NTIC (Marchinkiewicz, 1994 ; Liao, 1999a ; Liao, 1999b) indique que la formation a priori d’un groupe unique serait arbitraire du point de vue conceptuel.

Hypothèses

L’hypothèse générale est que l’élaboration des attitudes à l’égard d’un contenu saillant, nouveau et moderne et difficile à bien maîtriser, ne suit pas les voies d’un travail cognitif individuel et hors du contexte, mais qu’il assume des formes d’organisation sociocognitive prévisibles et ancrées sur des principes organisateurs communs. Mais quels sont les principes organisateurs à l’oeuvre ?

La première hypothèse est assez évidente, car elle émane de la documentation sur les attitudes face à l’ordinateur : les plus experts, c’est-à-dire ceux qui maîtrisent le mieux aussi bien les logiciels que le fonctionnement du disque rigide, manifesteront des attitudes plus positives à l’égard des NTIC.

La deuxième hypothèse est en revanche moins intuitive, car elle tient compte d’un niveau d’analyse, tel que l’idéologique (Doise, 1982), difficile à opérationnaliser et donc assez négligé dans la documentation. Cependant, c’est notamment à propos de l’informatique que, dès les années 1970, des chercheurs ont mis l’accent sur le positionnement idéologique en tant que principe organisateur des représentations sociales des outils technologiques (Marie, Masson, Mathieu, Olivier, Ricard et Weis, 1976), mais on ne trouve pas de travaux plus récents qui aient donné suite à cette suggestion. Il faut préciser qu’en psychologie sociale, quant on parle d’« idéologie », il ne faut pas la considérer au sens exclusivement politique ; plutôt, on définit comme idéologiques des systèmes de croyances qui ont la fonction d’expliquer, de valider et surtout de justifier les phénomènes qui provoquent un groupe social (Doise, 1982). Dans ce cas-ci, la croyance idéologique concerne de façon spécifique les justifications que les enseignants donnent aux initiatives du ministère de l’Éducation de diffusion des NTIC dans les classes, à savoir que l’informatisation de l’école est induite par des pressions commerciales et par les modes du moment. Nous allons vérifier si cette position idéologique est à même d’engendrer des attitudes diverses chez les enseignantes qui la partagent et celles qui la refusent.

Pour finir, la dernière hypothèse s’inspire des recherches sur les représentations sociales de l’intelligence ; dans ce cas, on a constaté qu’à l’intérieur des catégories sociales directement concernées par le problème, ceux qui ressentent des sentiments d’inexplicabilité, de mystère à propos de l’intelligence et de son développement organisent leurs conceptions du phénomène d’une façon tout à fait différente par rapport aux autres (Mugny et Carugati, 1985 ; Carugati, Selleri et Scappini, 1994). De même, nous supposons que face aux NTIC, ceux qui y perçoivent des aspects mystérieux et inexplicables organiseront leurs attitudes d’une façon fort différente.

Procédures

Les trois hypothèses ont été testées par les réponses que les enseignantes ont données à un questionnaire.

Les 47 items concernant l’expérience émotionnelle, affective et cognitive avec l’ordinateur et ses utilisations didactiques ont été soumis à une analyse factorielle au regard des trois dimensions qui les résument : attitudes personnelles positives à l’égard de l’ordinateur (absence d’anxiété, agrément, désir d’en mieux apprendre l’utilisation et de l’utiliser davantage, etc.), avantages de l’ordinateur à l’école (meilleur apprentissage des élèves, motivation à l’étude, etc.), risques de l’ordinateur à l’école (obstacle à l’apprentissage, problèmes relationnels, inefficacité des investissements en technologie, etc.).

Chaque item permettait une réponse sur une échelle à 7 points : 1 (désaccord maximal) et 7 (maximum d’accord). La même échelle doit être également utilisée pour l’interprétation des facteurs : 7 points indiqueront les attitudes les plus favorables à l’ordinateur, la perception maximale des avantages et la perception maximale des risques de l’informatisation à l’école.

Ces trois dimensions sont devenues les variables dépendantes des analyses de la variance suivantes ; les variables indépendantes ont été le degré d’expertise, la position idéologique et le sens de mystère.

Le degré d’expertise a été défini par le nombre de logiciels maîtrisés. Nous avons distingué trois groupes : ceux qui ne maîtrisent aucun logiciel, ceux qui se limitent à la vidéo-écriture et ceux qui maîtrisent aussi d’autres logiciels.

La variable idéologique a été définie à partir de la moyenne entre les réponses à trois items qui concernaient la justification de la diffusion des TIC dans les classes ; certains sujets considèrent les TIC comme mode commerciale, d’autres non.

Enfin, deux items ont permis de distinguer les sujets qui ressentent un sens de mystère et d’inexplicabilité pour certains aspects des ordinateurs (groupe mystère – oui) de ceux qui ne le ressentent pas (groupe mystère – non).

Résultats

Les conceptions et les attitudes des enseignants se positionnent plutôt sur la polarité favorable aux TIC (tableaux 1, 2 et 3), mais cela n’est pas significatif : il est difficile, aujourd’hui, d’avoir des prises de position nettement et explicitement contraires au développement technologique, du moins en ce qui concerne l’informatique. Cependant, des différences existent, et les trois principes organisateurs que nous avons introduits se révèlent pertinents et efficaces pour comprendre les réponses des enseignants. Dans les tableaux 1, 2 et 3, il s’agit de valeurs moyennes.

Tableau 1

Attitudes et conceptions de l’ordinateur et niveau d’expertise

Attitudes et conceptions de l’ordinateur et niveau d’expertise

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Tableau 2

Attitudes et conceptions de l’ordinateur et croyances idéologiques

Attitudes et conceptions de l’ordinateur et croyances idéologiques

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Tableau 3

Attitudes et conceptions de l’ordinateur et sentiment d’inexplicabilité

Attitudes et conceptions de l’ordinateur et sentiment d’inexplicabilité

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On ne constate aucune interaction concernant les trois variables ; nous pouvons donc les présenter séparément.

Parmi les moyennes décrites dans les tableaux 1, 2 et 3, les analyses de la variance montrent la significativité de plusieurs différences. Considérons d’abord l’expertise (tableau 1). Selon les attentes, les enseignantes qui maîtrisent davantage de logiciels montrent des attitudes personnelles plus favorables (F(2, 364) = 35,839 ; p < 0,001), considèrent l’informatisation plus utile pour l’enseignement (F(2, 406) = 6,334 ; p < 0,01) et n’y perçoivent aucun danger pour la qualité de la didactique (F(2, 415) = 15,066 ; p < 0,001).

Étant donné que nous avons distingué trois niveaux d’expertise, il est nécessaire d’étudier les confrontations par couples (test post-hoc de Bonferroni). En ce qui concerne les attitudes personnelles, tous les trois niveaux d’expertise se différencient significativement (p < 0,001). Si on parle des conceptions didactiques, les résultats changent, car on ne trouve plus de différences entre les enseignantes qui maîtrisent seulement la vidéo-écriture et celles qui connaissent plusieurs logiciels (p > 0,10) ; en ce qui concerne les aspects didactiques, la différence est significative seulement entre celles qui connaissent et celles qui ne connaissent aucun logiciel. Les enseignantes sans expertise informatique considèrent l’ordinateur moins utile pour la classe que leurs collègues plus expertes (p < 0,05 par rapport aux deux autres groupes pris ensemble) ; en même temps, elles trouvent l’informatisation de l’école un peu dangereuse (p > 0,001 par rapport aux deux autres groupes pris ensemble).

La deuxième hypothèse concernait le rôle de la variable idéologique. Le fait de considérer l’adoption des outils informatiques dans l’école comme conséquence des modes et des pressions commerciales se jumelle évidemment avec des attitudes moins favorables à l’ordinateur, au regard des attitudes personnelles (F(1, 245) = 39,354 ; p < 0,001), aussi bien qu’au niveau des avantages (F(1, 266) = 44,465 ; p < 0,001) et des risques didactiques perçus (F(1, 272) = 104,203, p < 0,001).

En outre, nous pouvons voir le sens de mystère et d’inexplicabilité. Le fait de ressentir un sens de mystère face à des aspects de l’usage de l’ordinateur s’associe avec des attitudes personnelles moins favorable (F(1, 245) = 5,138, p < 0,05). Cela ne veut pas dire une évaluation différente des avantages didactiques liés à l’ordinateur (F(1, 266) = 0,000 ; p > 0,10) mais, en même temps, les différences deviennent à nouveau manifestes à propos des risques (F(1, 272) = 8,076, p < 0,01).

Il peut paraître paradoxal que des prises de position différentes se présentent à propos des risques et non pas au sujet des avantages de l’utilisation de l’ordinateur à l’école. Une fois de plus, on se trouve face à un exemple de logique sociale qui ne porte pas sur les principes de la logique formelle ou du calcul algébrique, mais qui peut se révéler également efficace. Au moment des conclusions, nous reviendrons sur ce point crucial.

Une fois définie la pertinence de certaines dimensions conceptuelles dans l’organisation des attitudes et des conceptions des nouvelles technologies chez les enseignantes, essayons de dépasser ces premiers résultats en abordant une question spécifique.

L’expertise, une croyance idéologique (ordinateur = mode), les sentiments de mystère et d’inexplicabilité jouent une fonction organisatrice dans les attitudes des enseignantes et donc des dimensions symboliques et socioaffectives, au même titre qu’une compétence technique, jouent un rôle important pour la prise en charge des innovations dans le milieu scolaire. Mais quel est le poids spécifique de chacune de ces dimensions conceptuelles ? Ont-elles la même importance ? Quelle est, en utilisant la terminologie des représentations sociales, l’importance relative de chacune d’elles comme principe organisateur de prises de position différentes (Doise, Lorenzi-Cioldi et Clémence, 1992) ? Autrement dit, nous cherchons à cerner l’influence relative de l’expertise, de la croyance idéologique et de la perception d’inexplicabilité pour dessiner l’image de l’ordinateur et des NTIC, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan didactique.

Pour esquisser une réponse, nous disposons de données sur la puissance des effets statistiques, c’est-à-dire sur la partie de la variabilité des réponses des sujets qui peut être expliquée par l’expertise, par la croyance idéologique et par le sens d’inexplicabilité (tableau 4). Notamment, plus la valeur de η2 est élevée, plus l’effet des variables est important.

Tableau 4

Estimation de la puissance des effets (valeurs du η2) pour l’expertise, la croyance idéologique (mode) et le sens d’inexplicabilité (mystère) sur les attitudes envers l’ordinateur, sur la perception des avantages et des risques de l’informatisation de l’école *

Estimation de la puissance des effets (valeurs du η2) pour l’expertise, la croyance idéologique (mode) et le sens d’inexplicabilité (mystère) sur les attitudes envers l’ordinateur, sur la perception des avantages et des risques de l’informatisation de l’école *
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En caractères gras, l’effet statistique le plus fort pour chaque variable dépendante.

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Les trois variables indépendantes (expertise, mode, mystère) agissent d’une façon différente sur chacune des variables dépendantes. En particulier, on note une différence notoire entre les attitudes personnelles, d’un côté, et les aspects didactiques de l’autre, aussi bien pour la perception des avantages que pour les risques de l’ordinateur à l’école. Pour ce qui est des attitudes liées à l’expérience personnelle face aux NTIC, l’expertise se révèle la variable la plus efficace dans l’organisation de réponses des enseignantes : la valeur du η2 de 0,165 indique que le degré d’expertise rend compte environ du 16 % de la variabilité des attitudes personnelles parmi les enseignantes. Cela vient confirmer les relations entre connaissances informatiques et attitudes plus favorables face à l’ordinateur. En même temps, ce résultat confirme de manière indirecte l’exigence de donner aux enseignants une formation technique de base pour qu’ils puissent adopter les NTIC sans trop de crainte.

Les aspects idéologiques (mode), d’ailleurs, jouent une importance élevée et dans le même sens que celle de l’expertise (η2 = 0,138); l’effet explicatif des sentiments de mystère (η2 = 0,021) s’avère limité.

Si l’on examine les évaluations didactiques (avantages et risques de l’informatisation de l’école), c’est-à-dire les aspects plus directement liés à l’utilisation des NTIC dans les pratiques concrètes de la classe, le rôle de l’expertise, même s’il est significatif, devient ici secondaire et sa puissance explicative s’affaiblit : les valeurs du η2 de l’expertise par rapport aux avantages et aux risques didactiques sont véritablement assez faibles (tableau 4). C’est la dimension idéologique qui devient fondamentale, soit par rapport aux avantages de l’informatisation de l’école, soit, et dans la mesure la plus forte, par rapport aux risques possibles.

En ce qui concerne la perception des avantages de l’informatisation, l’aspect idéologique semble le seul, parmi les trois variables, qui soit doué d’une certaine puissance, alors que l’expertise joue un rôle très limité et les sentiments de mystère, résolument nul (η2 = 0,000).

Dans le cas des risques didactiques, aussi bien l’expertise que le mystère récupèrent une partie de leur puissance, mais ils restent fort secondaires par rapport à la puissance explicative de la variable idéologique (η2 = 0,277) ; c’est dire que la vision d’ensemble du processus d’informatisation de l’école, en tant que résultat, ou non-résultat, des pressions et des modes commerciales, rend compte presque de 28 % des réponses des enseignantes, en ce qui concerne la perception des risques de l’ordinateur dans les classes.

Une croyance générale de nature idéologique, donc symbolique, à savoir la justification des efforts des écoles pour adopter les NTIC, se révèle en fait d’une importance bien plus primordiale que l’expertise informatique pour décider – selon leurs propos, bien évidemment – chez les enseignantes, si et dans quelle mesure les instruments technologiques qu’on leur propose sont censés être efficaces ou dangereux dans leurs activités didactiques.

Conclusion

Les NTIC représentent l’un des phénomènes qui caractérise la culture et les pratiques des systèmes scolaires actuels, mais elles ont été précédées par d’autres innovations qui, dès leur introduction, ont engendré discussions et résistance. Nombreuses ont été les approches qui ont tenté de comprendre les conduites et les attitudes des usagers : à partir des approches évoquant des syndromes à caractère psychopathologique et qui prônent des traitements de désensibilisation contre l’anxiété et la phobie envers l’ordinateur, jusqu’aux approches qui soulignent la contribution positive que les conduites de résistance offrent aux producteurs des NTIC. L’approche des représentations sociales suggère l’articulation de divers niveaux d’analyse, ce qui permet de mieux cerner dans quelle mesure l’expertise technologique, les sentiments de mystère et les conceptions idéologiques modulent les attitudes générales aussi bien que les sentiments d’anxiété et de malaise des enseignantes face aux NTIC.

Notre premier constat qui, malgré son aspect plutôt banal, est très partagé parmi les chercheurs confirme que les enseignantes les plus expertes sont celles qui témoignent de moins d’anxiété, d’un désir plus élevé d’améliorer leur niveau d’expertise, de plus de confiance dans les NTIC, jusqu’au point d’en préconiser une utilisation systématique dans leurs classes. Sur le plan individuel, l’expertise se révèle un indice utile pour prédire les attitudes des enseignantes. Mais ce volet individuel d’analyse s’enrichit dans la mesure où on manipule des contenus symboliques qui se situent sur le plan idéologique. L’importance de la justification des efforts vers l’informatisation de l’école nous amène à mieux saisir l’ancrage des discours sur les NTIC à un univers symbolique plus vaste. Les NTIC sont aussi bien des outils technologiques que des outils sémiotiques médiatisant des valeurs sociales qui caractérisent la culture moderne, voire postmoderne, valeurs qui engendrent des discours favorables ou défavorables, notamment chez des agents de l’éducation qui sont responsables, parmi d’autres, bien entendu, de la transmission, de la reproduction, de l’appropriation critique des valeurs de la culture majoritaire. Il faut se positionner par rapport aux discours et aux pratiques de diffusion des outils culturels, et les enseignantes ne refusent pas de s’y prendre. Au contraire, leurs discours deviennent, si possible, encore plus riches et organisés. Si les NTIC sont censées être des produits d’un marché globalisant, et non pas des impulsions au renouvellement internes de l’école, il faut se positionner contre et, par conséquent, les risques aux plans didactique et des compétences des élèves sont censés augmenter.

Les enseignantes sont sensibles aux discours qui caractérisent la société et la culture et tout projet de changement dans les systèmes scolaires et de formation des enseignants doit en tenir compte. La notion de résistance nous offre un outil de compréhension des conduites des enseignantes à la fois plus articulé et plus prudent : les conduites de résistance ne font pas forcément partie de l’armée des phobiques ou des nouveaux « luddistes ».

Et pourtant, des initiatives de diffusion des NTIC s’avèrent utiles, voire nécessaires. Des exemples inspirés par l’approche vygotskienne du développement cognitif peuvent servir de cadre de référence. Plusieurs auteurs ont défini qu’une « zone proximale de développement» s’est avérée utile dans la formation des adultes, y compris les enseignants. Des petits groupes d’enseignants discutent, collaborent, partagent leurs difficultés et leur expertise, personne n’est l’expert qui connaît tout (Tharp et Gallimore, 1988). L’enseignement de Kurt Lewin qui, à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, suggérait que des changements de conduites alimentaires s’engendrent par des discussions entre non-experts, par la confiance réciproque et le partage des doutes et des sentiments de peur et malaise, garde toute son actualité.