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Introduction

La question de la motivation d’accomplissement en milieu de formation constitue un enjeu crucial dans nos sociétés contemporaines, non seulement pour les jeunes en formation initiale, mais aussi pour les adultes qui doivent pouvoir accroître leurs compétences tout au long de la vie ainsi que pour les éducateurs, les parents, les employeurs, etc. En effet, la motivation d’accomplissement, qui s’exprime par l’engagement et la persévérance, est un des principaux facteurs de la réussite des apprenants. L’engagement (voire le désengagement) dans les systèmes de formation de ces divers publics peut s’évaluer selon plusieurs critères comportementaux.

À un extrême, un haut niveau de motivation s’exprime par l’investissement personnel en formation, la gestion autonome des acquisitions, la fixation de buts d’apprentissage élevés, la sélection des moyens et des stratégies, le contrôle de ses propres résultats et l’ajustement social en classe. De nos jours, le développement de pédagogies innovantes et la multiplication des offres d’autoformation facilitée par les technologies de l’information et de la communication (cédérom, Internet, intranet, etc.) sollicitent davantage ce type de comportements autonomes de la part de l’apprenant. À l’autre extrême, le rejet ou l’évitement des situations de formation est le signe du désengagement et se manifeste par la passivité en classe, le manque de persévérance, l’adoption de buts d’évitement visant la préservation de l’estime de soi, l’absentéisme scolaire et l’abandon. Entre ces extrêmes, la qualité du rendement obtenu à l’issue de la formation influence les comportements intermédiaires depuis la réussite sanctionnée par un diplôme jusqu’à l’échec et une sortie sans diplôme du système de formation. Ainsi, les comportements d’engagement et de persévérance dans les systèmes de formation exigent, outre une maîtrise cognitive des contenus à apprendre, un certain niveau de motivation à réaliser des tâches qui sont coûteuses (en temps, en effort mental) et dont l’issue (à travers la réussite ou l’échec) peut conforter, ou au contraire mettre à mal, l’image de soi.

Au cours du XXe siècle, plusieurs courants ont influencé les conceptualisations de la motivation et les efforts de recherche entrepris dans ce domaine. Dans son brillant article faisant le point sur les courants ayant tour à tour dominé la recherche sur la motivation en éducation des années 1940 à 1990, Bernard Weiner (1990) soulignait l’importance que commençait à prendre et prendrait dans les années futures la perspective cognitive. Selon cette perspective, le comportement de l’individu en situation d’apprentissage est grandement tributaire de ses perceptions et, en conséquence, dépend d’une variété de variables cognitives. Étaient incluses sous cette rubrique les cognitions relatives aux attributions causales, au jugement d’efficacité personnelle, à l’impuissance apprise, aux buts d’accomplissement, etc. Sur ce dernier point, Weiner considérait que le développement de cette théorie des buts constituerait une orientation de recherche majeure permettant de concilier différents aspects des travaux sur la motivation d’accomplissement. Toutes ces cognitions peuvent être regroupées en deux catégories : les perceptions que l’apprenant entretient sur lui-même et celles qu’il maintient sur la valeur de la formation, des contenus et des tâches d’apprentissage. Enfin, pour mieux comprendre le rôle des diverses variables motivationnelles dans le fonctionnement de l’apprenant, Weiner insistait sur l’indispensable prise en considération des variables contextuelles caractérisant la situation d’apprentissage et sur le rôle de l’environnement social dans la formation des perceptions de l’apprenant. Il aura fallu attendre la fin des années 1990 pour que se développe une réelle préoccupation de mise en relation des résultats des recherches en fonction des contextes dans lesquels elles sont réalisées.

Fondés sur des cadres théoriques parfois bien différents, les travaux regroupés en propositions de ce numéro thématique ont en commun une approche sociocognitive et un cadrage à des situations d’apprentissage ou à des clientèles spécifiques. Les problématiques et les variables qui y sont examinées sont multiples et représentatives des recherches actuelles sur la motivation dans l’apprentissage. À cet effet, de nombreuses études réalisées s’intéressent au rôle des buts d’apprentissage ou à celui des représentations de soi chez des clientèles variées soumises à des situations d’apprentissage également variées. D’autres abordent encore plus directement la question des contextes. Ainsi, certaines études se centrent sur les particularités des environnements éducatifs et sur l’interaction entre ces environnements et certaines caractéristiques des élèves. D’autres s’intéressent plutôt aux nouvelles technologies d’enseignement et aux particularités de ce type d’environnement eu égard à la motivation. On remarquera qu’un certain nombre des travaux proposés étudient le cas particulier des adultes, qu’ils soient dans un projet ordinaire de formation universitaire ou en reprise d’études.

Tout d’abord, deux études réalisées auprès d’étudiants universitaires (Vezeau, Bouffard et Dubois) et d’adultes en reprise d’études (Dupeyrat et Mariné) tentent, sans y arriver, de confirmer certaines assertions de Dweck (1986 ; Dweck et Leggett, 1988) quant à l’importance des conceptions de l’intelligence de la personne dans sa motivation d’accomplissement. En premier lieu, en utilisant un instrument de mesure des conceptions de l’intelligence évaluant conjointement les conceptions statique et dynamique, il apparaît que ces deux conceptions coexistent chez un même individu. Les relations entre conceptions de l’intelligence et buts n’apparaissent que très peu comme conformes au modèle, et dans la formulation plus récente d’un effet direct des conceptions, leur rôle sur les stratégies d’étude (Dupeyrat et Mariné) et sur les performances scolaires (Vezeau, Bouffard et Dubois) n’est pas confirmé. En revanche, la perception de compétence paraît positivement liée à la performance dans les deux études.

Au regard des buts, il convient de noter que plusieurs des articles du présent numéro thématique adoptent le point de vue actuel élargissant l’éventail des buts en distinguant buts de performance et d’évitement. Cette ouverture est intéressante dans la mesure où plusieurs résultats font apparaître des relations différentes avec d’autres variables. Cependant, malgré l’importance accordée aux buts dans les écrits des chercheurs, peu de liens se dégagent entre buts, stratégies et performance. De la même façon, le rôle de l’environnement dans lequel les apprentissages ont lieu demeure encore un sujet mal connu, bien qu’il soit abordé plus souvent dans la documentation scientifique, en particulier sous l’angle de la genèse des buts adoptés par les élèves. L’article de Bowen, Chouinard et Janosz aborde cette question des liens entre l’environnement et les buts des élèves. Les auteurs explorent particulièrement l’influence du niveau de motivation de l’enseignant, des pratiques pédagogiques de ce dernier, ainsi que celles du climat de classe, sur les buts de maîtrise poursuivis par les élèves. Les résultats obtenus confirment une fois encore les formulations théoriques de l’approche cognitive en mettant en lumière le rôle du contexte d’apprentissage et des pratiques pédagogiques sur la motivation des apprenants.

L’étude de Denoncourt, Bouffard, Dubois et Mc Intyre examine aussi le rôle du contexte et, en particulier, la nature des anticipations d’élèves de fin du primaire à propos de leur prochain passage au secondaire. Les auteures observent que ces anticipations sont mixtes, certaines exprimant des attentes positives envers divers aspects de leur futur environnement et d’autres des craintes quant à leur capacité de s’adapter aux nombreux changements ; les anticipations positives sont cependant plus élevées que les négatives. Cette étude montre également que la nature de ces anticipations varie selon diverses caractéristiques individuelles des élèves. En particulier, les auteures montrent que le sentiment d’efficacité personnelle de l’élève est négativement relié à ses anticipations négatives. Ce sentiment d’efficacité personnelle, développé tout au long du primaire, paraît ainsi procurer à l’élève la conviction de pouvoir s’adapter aux nombreux changements à venir dans son environnement scolaire.

Dans leur étude, Vollmeyer et Rheinberg mettent aussi en lumière le rôle majeur que jouent les attentes de réussite dans l’engagement et l’apprentissage. Associant cette variable à une mesure d’intérêt, de recherche de défi et d’anxiété, les auteurs parviennent à dégager trois profils d’élèves : un profil où les élèves sont très motivés et peu anxieux, un autre où ils sont peu motivés et peu anxieux et un autre où ils sont moyennement motivés mais très anxieux. Les résultats de l’étude suggèrent, comme proposé antérieurement par nombre d’auteurs, que l’apprentissage autorégulé nécessite la gestion conjointe de la cognition, de la motivation et des affects.

Sur un continuum d’engagement, l’apprentissage autorégulé se situe à l’opposé du décrochage. Ce problème qui, à juste titre tient une place si importante dans les débats en éducation, est abordé dans trois articles du présent numéro. Ces travaux portent sur les caractéristiques motivationnelles des élèves à risque, à travers une analyse de l’absentéisme scolaire et l’intention de décrocher (l’étude de Blanchard, Pelletier, Otis et Sharp et celle de Galand), et à travers une comparaison d’élèves en difficulté d’apprentissage, d’élèves qui présentent des troubles de la conduite et d’élèves ordinaires (Chouinard et Plouffe). Dans leur texte, Blanchard et ses collaborateurs examinent l’absentéisme et l’abandon scolaire dans la perspective du modèle de l’autodétermination, conçu initialement par Deci et Ryan (1985, 1991), et y associent des considérations reliées aux aptitudes scolaires. Les deux autres études, celle de Galand ainsi que celle de Chouinard et Plouffe, intègrent le contexte scolaire et familial tel qu’il est perçu par les élèves. Sans entrer dans le détail des différentes variables motivationnelles abordées dans ces études, des points concordants peuvent être dégagés : les difficultés scolaires, qui se manifestent dans des comportements d’absentéisme, d’agressivité et dans l’échec scolaire, sont associées à un profil motivationnel négatif, souvent considéré comme générateur de désengagement vis-à-vis des apprentissages. Ainsi, les élèves à risque présentent des croyances négatives sur soi, accordent une faible valeur aux matières scolaires, manifestent un désintérêt pour l’école pouvant aller jusqu’à un sentiment d’aliénation, ainsi que des perceptions plutôt négatives de l’environnement scolaire et familial, notamment à travers les encouragements et le soutien perçu qu’il procure.

Il reste à identifier les possibilités d’action. L’action sur le contexte scolaire suppose que les perceptions qu’en ont les élèves correspondent au moins partiellement à la réalité. Cet aspect est peu abordé dans les trois études rapportées ici. Cependant, Blanchard et ses collaborateurs proposent quelques pistes intéressantes alors que les résultats rapportés par Chouinard et Plouffe montrent que les élèves en difficulté, scolarisés en classe ordinaire, présentent certaines caractéristiques motivationnelles plus préoccupantes que les élèves en trouble de la conduite scolarisés en école spéciale. Quant à Galand, en mettant en évidence le rôle du vécu des élèves dans l’absentéisme, ses résultats offrent l’opportunité de développer des actions dans le but de modifier ce vécu, en particulier en agissant sur l’engagement des élèves à travers la nature des activités qui leur sont proposées.

Finalement, deux articles de ce numéro abordent le contexte des pédagogies innovantes et l’usage de nouvelles technologies éducatives chez des étudiants de 1er cycle en formation professionnelle (formation des maîtres et formation technologique). Le texte de Viau, Joly et Bédard traite entre autres de l’impact motvationnel de la pédagogie par projet. Dans la pédagogie par projet, les activités d’apprentissage sont finalisées et guidées par un problème ou une question initiale pour laquelle les étudiants doivent élaborer une solution concrète en déployant un ensemble de stratégies sur une longue période. Comme en témoigne cette étude, l’engagement dans une telle activité apparaît plus attrayant que des modes plus classiques de transmission pédagogique. En effet, les résultats indiquent que la pédagogie par projet est perçue par les étudiants comme plus utile que d’autres dispositifs tel que l’étude de cas, car plus proche des activités sollicitées dans la vie professionnelle et plus contrôlable ; elle est sous la responsabilité personnelle des étudiants. Toutefois, les auteurs notent que l’utilité perçue de cette activité et le sentiment de compétence à la réaliser tendent à diminuer en cours de formation. Pour sa part, l’étude menée par Huet, Escribe et Mariné auprès d’étudiants en formation technologique, également engagés dans la réalisation d’un projet, apporte des éléments complémentaires. La réussite à cette activité, telle qu’elle apparaît dans la note finale, est faible. Cette performance semble reliée au degré d’engagement dans le projet (mesuré par la participation à un forum électronique) et aux croyances des étudiants sur l’intelligence et l’apprentissage. Ces résultats mitigés appellent deux commentaires quant aux conditions de l’engagement et de la réussite dans ce type de pédagogie. Comme le soulignent Randi et Corno (2000), l’engagement dans la pédagogie par projet est exigeant sur le plan cognitif : il implique en effet la définition de buts et de sous-buts, la collaboration à l’intérieur du groupe de travail, la recherche et la coordination de différentes ressources, la recherche et l’utilisation de rétroactions durant le travail. Pour éviter une surcharge cognitive et un désengagement d’étudiants non préparés à ces activités, les enseignants doivent accompagner la réalisation du projet avec des directives explicites portant sur les stratégies d’auto-apprentissage. Le deuxième aspect réside dans le fait que le modèle de l’apprenant sous-jacent à ce type de pédagogie peut entrer en opposition avec les croyances spontanées des élèves et freiner leur engagement. Pour éviter cela, les enseignants doivent expliciter leurs attentes, non seulement en termes de résultat final, mais aussi en termes de modèle d’apprenant, et concevoir des situations pédagogiques visant à modifier les croyances peu propices à cette forme d’apprentissage (comme la croyance en l’absence de relation entre performance et effort).

En somme, les diverses textes qui forment ce numéro thématique confirment le changement important dans la conceptualisation de la motivation, traditionnellement considérée comme un quasi-trait de la personnalité. Tout en illustrant le rôle central de la motivation dans l’apprentissage, ces travaux font aussi bien ressortir la complexité de la dynamique qui lie cette motivation aux dimensions personnelles, contextuelles et sociales de la personne.