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1. Introduction

Afin de pallier les effets de la pauvreté sur le développement de l’enfant, le Québec s’est doté d’un cadre de référence en intervention précoce : Les services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance à l’intention des familles vivant en contexte de vulnérabilité (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2004). Ce programme vise à maximiser le potentiel de santé et de bien-être des parents et des enfants, en les incluant dans un projet de vie porteur de réussite et en renforçant leur pouvoir d’agir et celui de la communauté (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2004). Ainsi, ces fondements sont issus de la perspective écosystémique et de l’approche de l’actualisation du potentiel de l’individu (empowerment). Conséquemment, le but premier est de prévenir ou de réduire l’apparition de difficultés d’adaptation scolaire et sociale chez l’enfant qui grandit en milieu défavorisé (Hamel, 1995). Ce résultat est atteint, en partie, en misant sur le développement des compétences parentales par le biais de différentes actions socio-éducatives.

Ainsi, l’intervention précoce au Québec englobe les programmes de visites individuelles au domicile familial et les programmes de stimulation précoce, sous forme d’activités de groupe réunissant des enfants et leurs parents. En ce qui a trait aux programmes de stimulation précoce, ceux-ci visent spécifiquement le développement intégral de l’enfant au moyen d’activités offrant des occasions d’apprentissage ainsi qu’au moyen d’actions socio-éducatives auprès des parents, pour les amener à développer des pratiques éducatives parentales favorables au développement de leur enfant (Lamarre, 2001). En fait, les interventions qui visent les parents se nomment formation parentale et, dans le cadre des programmes de stimulation précoce, prennent la forme d’une discussion structurée autour d’un thème lié à la parentalité. D’ailleurs, le terme parent désigne, dans les politiques familiales et les programmes d’intervention précoce, autant le père que la mère.

2. Contexte théorique

2.1 La formation parentale en intervention précoce

Une première définition de la formation parentale est l’apprentissage de stratégies de modifications des comportements, chez les parents et les enfants, pour amener des transformations dans les interactions entre les parents et l’enfant, ce qui entraînerait une meilleure adaptation socio-émotionnelle de ce dernier (Webster-Stratton, 1998). Cette définition place l’intervention auprès des parents dans une perspective béhavioriste où l’on vise essentiellement à habiliter le parent en lui enseignant des stratégies éducatives précises. Toutefois, la formation parentale peut également se définir comme un ensemble d’actions socio-éducatives de sensibilisation, d’apprentissage ou d’entraînement par rapport aux valeurs, attitudes et pratiques éducatives parentales (Boutin et Durning, 1999). Cette deuxième définition situe la formation parentale davantage dans une approche cognitivo-béhaviorale. Ces deux perspectives de la formation parentale sont celles sur lesquelles la majorité des programmes se fondent en se centrant sur la modification des pratiques parentales et des environnements éducatifs familiaux (Pourtois, Barras, Desmet et Terrisse, 2006). Au-delà des stratégies spécifiques, les approches théoriques permettent de délimiter les champs d’action de l’intervention.

2.2 L’absence des pères en intervention précoce

Par ailleurs, bien que les responsables des programmes d’intervention et de stimulation précoce rapportent qu’ils interviennent auprès des parents et, bien que les politiques familiales recommandent fortement de soutenir directement les pères dans leur parentalité (Ministère de la Santé et des Services Sociaux, 2004), un examen attentif de ces initiatives révèle que ces programmes rejoignent essentiellement les mères. La plupart des chercheurs ayant traité du thème des pères en intervention précoce s’entendent sur le fait que les pères participent peu aux programmes et aux services offerts et que, lorsqu’ils viennent, il est difficile de maintenir leur participation (Brooks-Gunn, Berlin et Fuligni, 2000 ; Dubeau, 2002 ; Dubeau, Turcotte et Coutu, 1999 ; Dulac, 1998). Dans une étude américaine, les pères qui participaient de façon régulière à un programme d’intervention avaient un bon niveau de scolarité, présentaient moins de symptômes dépressifs et s’impliquaient plus souvent dans des activités religieuses que ne le faisaient les pères dont la participation était moins assidue (Roggman, Boyce, Cook et Cook, 2002). Force est de constater que ce profil ne correspond pas à la clientèle ciblée habituellement par les programmes d’intervention au Québec : les familles en contexte de vulnérabilité.

2.3 Les contributions du père au développement de son enfant

Tout d’abord, sur le plan cognitif, les recherches révèlent que les enfants ayant un père présent ont une plus grande compétence cognitive et un meilleur rendement scolaire (Palkovitz, 2002). Par ailleurs, selon Le Camus (2000, 2001), en situation de résolution de problème, le père encourage plus l’enfant à persévérer, mais donne moins de gratification et a moins tendance à utiliser l’aide directe que la mère. En somme, le père laisse l’enfant se débrouiller et apprendre par lui-même. De plus, le père a aussi un rôle à jouer dans le développement des habiletés langagières de l’enfant. Les enfants dont le père est engagé ont une meilleure compétence verbale. Cela peut s’expliquer par le fait que le père utilise moins de mots familiers que la mère, qu’il fait deux fois plus de demandes de clarification et de reformulation (Le Camus, 2000, 2001 ; Lewis, 1997).

Dans un deuxième temps, l’apport du père dans le développement socioaffectif de l’enfant est bien documenté. Les enfants dont le père est engagé présentent de meilleures habiletés sociales, notamment pour les comportements prosociaux (Lewis, 1997 ; Palkovitz, 2002 ; Parke, McDowell, Kim, Killian, Dennis, Flyr et Wild, 2002 ; Pleck, 2004). De plus, les garçons dont le père est peu impliqué sont moins populaires auprès de leurs pairs, sont moins satisfaits de ces relations et sont plus à risque de développer des problèmes d’adaptation (Parke et collab., 2002). À l’opposé, les enfants dont le père est impliqué présentent plus d’empathie, ont une meilleure estime de soi et ont une plus grande capacité d’autocontrôle (Palkovitz, 2002 ; Parke et collab., 2002 ; Pleck, 2004). On indique également que ces enfants présentent moins de symptômes externalisés (impulsivité, agression, problème d’attention) et internalisés (anxiété, dépression, faible estime de soi) (Pleck, 2004). Par ailleurs, une étude explique que le père joue un rôle important dans la gestion de l’agressivité chez le garçon (Paquette, 2004a).

2.4 La place du père en intervention précoce

Ainsi, puisque le père apporte des contributions spécifiques au développement de son enfant, il peut devenir un agent de stimulation précoce auprès de celui-ci. En effet, l’analyse des objectifs des ateliers de stimulation précoce révèle la compatibilité entre ceux-ci et les contributions du père à l’adaptation de l’enfant : l’éveil à l’autonomie (Le Camus, 1995), la régulation socioaffective (Diener, Mangelsdorf, McHale et Frosch, 2002), la gestion de l’agressivité (Paquette, 2004a) et la découverte de la nouveauté (Le Camus, 1995).

À la suite du constat de l’absence des pères dans les services d’intervention précoce, en dépit de leur potentiel comme agents de stimulation auprès de leur jeune enfant, il y a lieu de se questionner quant à la place du père. Ainsi, quelles sont les conditions à mettre en place pour favoriser la participation et la rétention des pères dans des activités de stimulation précoce ? Comment favoriser l’adéquation entre les besoins et les intérêts des pères et la formation parentale en contexte de stimulation précoce ? Pour répondre à ces questions, il s’avère nécessaire d’identifier les besoins et les intérêts des pères sur le plan de la formation parentale par leur discours formel, mais également par leurs perceptions des interactions quotidiennes père-enfant. Également, il est nécessaire d’interroger les intervenants en petite enfance susceptibles de contribuer à notre compréhension des services offerts et de leur adéquation aux besoins et aux caractéristiques des pères. Enfin, pour soutenir l’intervention auprès des pères, il est important de proposer des pistes d’actions socio-éducatives en formation parentale, qui allient les objectifs de la stimulation précoce ainsi que les besoins et intérêts des pères.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Deux populations connexes, mais rarement étudiées ensemble, étaient visées par cette étude : d’une part, les intervenants qui travaillaient auprès de la petite enfance, des familles et des pères ainsi que ceux travaillant en stimulation précoce ; d’autre part, les pères d’enfant en bas âge de différents milieux socioéconomiques, particulièrement des milieux défavorisés. Tous les sujets ont participé à des groupes de discussion (focus groups) sur la paternité et les services d’intervention offerts aux pères et à leur jeune enfant. Afin de permettre la libre expression de chacun, les groupes de discussion étaient constitués de huit à dix participants et ils étaient homogènes quant à la catégorie de participants.

L’échantillon en était un de convenance, constitué en utilisant la méthode de boule de neige. Par ailleurs, des organismes et des centres locaux de services communautaires ont pris part au recrutement des pères. De plus, des dépliants, placés dans des lieux fréquentés par des pères, invitaient ces derniers à s’informer sur le projet de recherche. Finalement, trois régions du Québec étaient visées : l’Estrie, la Montérégie et Lanaudière.

Intervenantes et intervenants. Trente-huit intervenantes et intervenants ont participé à cette étude. Ils provenaient de deux milieux d’intervention, les organismes communautaires et les CLSC. Parmi ces 38 intervenants, 20 d’entre eux étaient des femmes. Au total, cinq groupes de discussion ont été menés auprès des intervenantes et des intervenants. La taille des groupes variait entre 7 et 9 participants.

Pères. Quarante-six pères ont participé à l’étude. Leur âge variait de 19 à 52 ans. Les pères provenaient des différents milieux socio-économiques, mais un effort a été fait pour rejoindre majoritairement des pères de milieu défavorisé. Les conditions de participation à l’étude stipulaient que le père devait avoir un enfant en bas âge. Certains pères avaient plus d’un enfant et d’autres n’avaient qu’un poupon. Aussi, l’expérience des pères avec les milieux de l’intervention variait beaucoup. La majorité des pères n’avaient jamais fréquenté le CLSC ou les milieux communautaires, alors que quelques-uns étaient actifs dans des organismes desservant les familles ou les pères. Cette hétérogénéité des clientèles se reflétait bien dans chacun des groupes de discussion, ce qui assurait que les discussions ne soient pas polarisées par l’appartenance des participants à une catégorie spécifique de répondants. Au total, six groupes de discussion ont été menés auprès des pères. La taille des groupes variait entre 5 et 13 participants.

3.2 Collecte des données

L’animation des groupes de discussion s’est faite selon la technique de focus group, à l’aide d’un guide d’entrevue semi-structurée. Le guide couvrait les trois préoccupations principales de cette étude : le rôle du père dans le développement de son jeune enfant, les activités privilégiées par les pères et les obstacles à la participation des pères aux ateliers de stimulation précoce existants. Les thèmes abordés ont été formulés sur la base des informations recueillies dans le cadre de la recension des écrits et validés par les collaborateurs à la recherche. La première question pour le thème sur la paternité était : Qu’est-ce qui caractérise la relation père-enfant, selon vous ? Par la suite, les participants devaient répondre à la question suivante : On fait des activités père-enfant pour des enfants de 1 à 2 ans ; qu’est-ce que vous aimeriez faire ou qu’est-ce que les pères aimeraient faire ?

L’animation des groupes de discussion a été confiée à des intervenants qui connaissaient la clientèle masculine et avaient une expérience d’animation. Les propos de tous les groupes de discussion ont été enregistrés sur bande audio, et une assistante de recherche formée à l’observation a pris des notes de terrain concernant le déroulement des groupes de discussion et le consensus entre les participants. Une autre assistante de recherche notait les tours de parole afin de faciliter l’identification des participants lors de la transcription des bandes audio. La durée moyenne des groupes de discussion a été de deux heures. Tous les participants à la recherche recevaient une compensation de 25 $ pour leur participation. Cependant, la compensation financière n’était mentionnée que lorsque le participant avait manifesté un intérêt pour participer à l’étude.

Le groupe de discussion est une méthode de collecte des données qui s’applique bien à une recherche de type exploratoire et permet d’identifier les besoins et les attentes de la clientèle ciblée (Fern, 2001 ; Vaughn, Schumm et Sinagub, 1996). De plus, le groupe de discussion met en évidence les différences d’opinions et les différentes attitudes et expériences des participants (Fern, 2001).

3.3 Analyse des données

Étant donné la nature de l’étude, l’analyse a été réalisée selon une approche qualitative et exploratoire. Les groupes de discussion fournissent des données qualitatives qui s’analysent de la même façon que celles des entrevues individuelles (Attride-Stirling, 2001) et la méthode choisie est l’analyse de contenu thématique, un processus pour encoder les informations qualitatives. Pour les besoins du projet, une analyse de contenu thématique a été effectuée avec l’aide du logiciel NVivo.

L’ensemble des données recueillies a été analysé à la lumière des trois grandes questions posées par cette étude (rôle du père, obstacles à la participation et solutions). L’analyse thématique initiale a donné lieu à des catégories d’information qui ont été élaborées selon une approche émergente (Boyatzis, 1998) visant à dégager le sens que la stimulation précoce et la paternité pourraient avoir pour les intervenants et les pères ainsi que les stratégies d’intervention, les cibles d’intervention et les activités envisageables. Par ailleurs, à la suite de l’identification des thèmes pour la codification, un accord inter-juge entre deux membres de l’équipe de recherche a été obtenu. Enfin, pour préserver l’anonymat des participants, des codes alpha-numériques ont été attribués à chacun d’entre eux (ex. : P8-H31). La première partie indique s’il s’agit d’un groupe de discussion avec des pères (P) ou avec des intervenants (I) et s’il s’agit d’un animateur (A), ainsi que le numéro d’identification du groupe de discussion. La deuxième partie identifie le participant, soit un homme (H) ou une femme (F) et son numéro d’identification.

Des difficultés techniques ont empêché l’enregistrement adéquat de quatre groupes de discussions, soit deux groupes avec des pères et deux groupes avec des intervenants. Ils n’ont donc pas pu faire l’objet d’une analyse approfondie. Cependant, une analyse partielle a été réalisée à partir des notes de terrain de l’observatrice, et les conclusions que nous en avons tirées sont cohérentes avec les résultats provenant de l’analyse des transcriptions intégrales.

4. Résultats et discussion

Bien que nous ayons rencontré séparément les pères et les intervenants, l’analyse du discours n’a pas permis de soulever des différences significatives entre leurs propos. Sur le plan quantitatif, les pères ont parlé davantage de leur rôle et de la relation père-enfant, alors que les intervenants discutaient plus longuement des services de stimulation précoce pour les pères. Toutefois, sur le plan qualitatif, aucune différence notable n’a été relevée entre les groupes de discussion.

4.1 La volonté de participer

Les milieux de la pratique, les décideurs et les chercheurs désirent inclure les pères dans les services d’intervention précoce, mais eux, veulent-ils s’impliquer ? Les pères rencontrés ont manifesté leur volonté de participer à de telles activités. Moins de cinq pères ont signifié clairement leur manque d’intérêt pour une telle démarche. Toutefois, les pères ont mentionné le fait qu’ils ne connaissaient pas les services offerts en petite enfance et encore moins les services pour la paternité. C’est un phénomène qui a déjà été soulevé dans une étude américaine (Turbiville, Umbarger et Guthrie, 2000). Cette méconnaissance nous indique que les pères ne sont pas rejoints par les canaux de communication actuels. Il serait important de réfléchir aux moyens utilisés pour faire la promotion des services.

Un deuxième obstacle a été relevé en ce qui concerne la participation des pères : des services presque exclusivement féminins. Les pères impliqués dans des activités de stimulation précoce ont fait remarquer qu’habituellement, ils sont les seuls pères dans les groupes auxquels ils participent. Ainsi, lorsque les pères choisissent de s’engager dans des activités avec leur jeune enfant, ils se retrouvent dans un groupe constitué uniquement de mères : Je suis allé au CLSC et c’était juste des mères qui étaient là. Je ne suis jamais retourné là ! (P2-H12). Outre le fait que cela ne les motive pas à participer, cela les place également dans une position délicate : Tu peux te sentir visé. Elles posent une question pis elles se revirent toutes vers toi. Elles veulent ton point de vue à toi… tu fais attention ! (P8-H30). Ce malaise a été également identifié par d’autres chercheurs (Dulac, 1998 ; McBride et McBride, 1993 ; Powell, 1986 ; Turbiville et collab., 2000). Puisque les pères ne sont pas à l’aise dans un groupe féminin, il pourrait être avantageux de créer des services d’intervention précoce spécifiques aux pères. Sans la crainte d’être le seul homme, les pères seraient probablement plus enclins à participer à ce genre de programmes. Toutefois, il y a d’autres aspects à considérer pour favoriser la participation des pères.

4.2 Le fonctionnement des ateliers

L’horaire des services déjà existants constitue un empêchement à la participation des pères à des activités de stimulation précoce. Habituellement, les ateliers ont lieu la semaine pendant la journée, mais les pères ne sont pas disponibles, puisque plusieurs d’entre eux travaillent ou sont susceptibles de travailler. La fin de semaine est donc un moment privilégié pour offrir un service aux pères, comme le soulignent plusieurs études (Anderson, Kohler et Letiecq, 2002 ; Dulac, 1998 ; Sirridge, 2001 ; Turbiville et collab., 2000). Outre cet obstacle, les pères ont signifié leur intérêt pour un service non structuré ou dont la structure est flexible. Ils ne souhaitent pas s’engager dans une activité qui nécessitera présence et assiduité : Ne fais pas ça une heure par semaine à toutes les semaines. Ça ne marchera jamais ! (P2-H10). Ils ont exprimé à plusieurs reprises qu’ils préfèrent être libres de participer ou non et que si tu manques une activité, tu reviens la fois suivante et tu n’as rien manqué d’important. Tu peux encore suivre le groupe (P2-H8). En somme, ces éléments nous suggèrent qu’un service pour les pères, dans un souci de rétention, doit respecter leur volonté de ne pas s’engager dans des activités dont la structure est trop rigide, et rappellerait le cadre du travail ou de l’école.

4.3 L’animation et les stratégies d’intervention

Tout d’abord, pour l’animation d’ateliers destinés aux pères, tous les participants de l’étude ont formulé la même demande : ils doivent être animés par un homme, qui, de préférence, est aussi un père, et par une femme. Un homme pour permettre l’identification masculine, et une femme pour aller justement au fur et à mesure autant dans la reconnaissance (sic) (I5-F19). Cette animation mixte permettrait aux pères de côtoyer un modèle masculin positif, renforcé par une présence féminine servant à le valider. Le respect d’une telle condition devient signifiant lorsqu’il est associé aux difficultés relationnelles que les pères peuvent vivre avec leur conjointe ou la mère de leur enfant. Cet élément, bien qu’unanime dans cette étude, n’est pas ressorti comme étant important dans un questionnaire sur les intérêts des pères en intervention précoce (Turbiville et collab., 2000). Néanmoins, le sexe des animateurs n’est pas tout. Les buts et les stratégies d’intervention sont très importants, tant pour les intervenants que pour les pères. Le discours des participants a permis de confirmer ce que d’autres chercheurs avaient avancé (Dubeau et collab., 1999 ; Dulac, 1998 ; Turbiville et collab., 2000) : l’intervention doit viser la validation des compétences paternelles : Les valider dans ce qu’ils font déjà, même si ce n’est pas beaucoup (I5-F20). Il s’agit également d’outiller concrètement les pères pour améliorer leurs interactions avec leur enfant âgé de deux ans et moins et qu’il y ait des résultats tangibles à la fin des activités : Je veux jouer, mais je vais jouer à quoi ? Tu essaies de faire quelque chose, mais tu n’as rien pour le faire. Quand tu veux un outil et que tu ouvres le coffre, si tu n’as pas le bon outil, tu abandonnes le projet (P11-H44).

Toutefois, les participants considèrent que les interventions les plus fructueuses seront celles effectuées sur place, pendant les activités :

Je pense que les gars ont besoin de quelque chose de « on the spot » […] Tu es en train de vivre une situation et je vais t’expliquer ce qui est en train de se faire puis en quoi ce que tu vis là est important dans le développement de ton enfant.

I1-H9

Or, pour rejoindre le père là où il est ou pour intervenir sur la situation présente, l’observation des dyades père-enfant est primordiale et les intervenants l’ont clairement exprimé : Il faut que tu observes la relation et que tu la cultives à partir d’une activité qu’il fait avec l’enfant (I5-F20). Même pour les pères, il semble que l’intervention basée sur l’observation et la rétroaction immédiate soit une condition gagnante : Tu vas apprendre à connaître ton enfant. Tu vois comment il réagit dans telle ou telle situation. Ça va être meilleur que n’importe quel livre de psychologie (P10-H34).

Ainsi, l’intervenant, par ses observations, cible les pratiques éducatives parentales que le père maîtrise et l’amène à en développer de nouvelles. De plus, ces apprentissages se construisent au fil des activités et, surtout, en interdépendance avec l’enfant. L’objectif des ateliers de stimulation, c’est de développer le lien d’attachement ? Bon, il doit y avoir un lien d’attachement père-enfant et c’est par l’action et pas par la parole (I1-H5).

4.4 La formation parentale : quoi et comment

Dans les programmes de stimulation précoce existants, la formation parentale se réalise principalement par le biais de discussions structurées sur des thèmes liés à la parentalité. Ces discussions prennent place en deuxième partie d’ateliers où les parents se regroupent et les enfants continuent des activités de stimulation avec une intervenante. Autant les intervenants que les pères ont affirmé que cette structure de formation parentale ne serait pas adéquate pour les pères :

Quand ce serait la demi-heure de jasage autour de la table, ce n’est pas de quoi qui m’attire. Je ne trouve pas ça utile pour mon enfant que papa aille jaser avec les grands. Je vais partir et aller faire autre chose à la maison avec mon enfant.

P8-H30

Pour les pères, les ateliers se doivent d’être des activités père-enfant et non pas Papa vient parler (P8-H29). Selon les participants de l’étude, les pères n’ont pas les mêmes attentes que les mères face aux ateliers de stimulation précoce : Ma blonde, les raisons pour lesquelles elle a participé aux ateliers, c’est parce qu’on déménageait […] C’est un moyen de se refaire un réseau et ça a bien fonctionné. Mais ce besoin, je ne l’avais pas (P8-H33). De plus, les pères ne semblent pas vouloir discuter de ce qu’ils ressentent, car s’ils viennent pour parler de leurs émotions, d’après moi, tu vas être tout seul (I1-H9).

Cependant, les pères désirent obtenir un complément d’information. Ils ont signifié leur intérêt pour des thèmes qui touchent le développement de l’enfant, le jeu, la discipline, la sécurité de l’enfant, la communication, la conciliation famille-travail, la séparation et le divorce ainsi que la concertation parentale. Par conséquent, les pères veulent augmenter leurs connaissances sur la parentalité, mais sans que ce soit sous une forme structurée : Dans mon expérience à moi, on se parle plus pendant l’activité. On va se parler entre deux ou trois pères (P8-H30). Cet accompagnement dans l’action diffère de façon marquée d’une action socio-éducative où l’intervenant se limite à transmettre des connaissances ou à renforcer les comportements du parent jugés pertinents. En invitant le parent à observer l’impact de son action sur son enfant et à réfléchir sur le sens qu’il y donne, l’intervenant se situe à la frontière d’une action réflexive qui permettrait au parent d’intervenir auprès de son enfant avec une compréhension accrue de la portée de ses interactions. De plus, ces compléments d’information doivent viser des actions concrètes pour apprendre des trucs, apprendre des nouvelles activités ou des façons de faire, des façons d’interagir (P8-H30), mais aussi pour mieux faire équipe comme parent avec la mère des enfants, car la concertation parentale semble un exercice difficile à réaliser.

Ce refus d’avoir des discussions formelles ou des discussions portant sur des thèmes reliés à l’expérience affective de la paternité se retrouve dans d’autres études. Dans une étude qualitative sur un programme de valorisation de l’engagement paternel (Anderson et collab., 2002), des pères ont exprimé leur opinion face à ces services. Ils ont discuté du fait qu’ils étaient réticents au début du programme, car ils craignaient de s’ouvrir devant un groupe et de parler de leurs émotions. Selon Dulac (1998), du fait de leur socialisation et de leurs apprentissages culturels, les pères peuvent être moins enclins à parler de leurs émotions et de leur vie intérieure. Néanmoins, il existe des groupes paternels d’information et d’entraide où les interventions s’effectuent par des discussions autour d’une table (Gaudet et Devault, 2001). Bref, il s’agirait plutôt de reconnaître la réticence des pères afin de ne pas se buter à leurs résistances dès le début des ateliers et, par la suite, afin de les amener à discuter.

4.5 Les activités père-enfant

Les pères désirent participer à des ateliers avec leur jeune enfant, mais ils ne veulent pas faire n’importe quelle activité. Lors des groupes de discussion, les pères ont échangé sur le type d’activités susceptibles de favoriser leur participation. Tout d’abord, il est important que l’activité ait un but clair et précis, en lien avec le développement de l’enfant. Lorsqu’ils font une activité avec leur enfant, ils veulent en voir l’utilité et savoir ce qu’elle apportera à leur enfant. Ensuite, ils aimeraient qu’il y ait des activités qu’ils puissent reproduire à la maison, tout comme des activités ne pouvant être réalisées que dans le contexte des ateliers. Cet intérêt est en lien avec l’une des stratégies d’intervention, celle d’outiller les pères dans leurs interactions au quotidien avec leur enfant, mais sans oublier l’intérêt de sortir de l’habituel. Quelques pères ont également souligné que les activités ne devraient pas exiger de compétences particulières. C’est un élément à considérer afin d’éviter que certains pères se sentent jugés pendant les ateliers lorsque leurs connaissances ou leurs habiletés se situent en deçà de la moyenne du groupe.

Dans un deuxième temps, la notion de plaisir s’avère récurrente dans le discours des pères et des intervenants. Les pères veulent s’amuser pendant les ateliers et ils souhaitent que leur enfant s’amuse également. L’un des plaisirs est d’interagir directement avec l’enfant lors des activités :

Je suis une maman de trois enfants […] Je vais faire une activité pour faire plaisir aux enfants, donc je vais me reculer et ça ne me dérangera pas. Mais le papa qui n’a pas de plaisir ne le fera pas. Il va faire une activité où il va aller chercher son plaisir en même temps.

I4-F11

En lien avec cette recherche de plaisir partagé, les pères ont parlé beaucoup des activités qu’ils aimeraient réaliser avec leur jeune enfant. Tout d’abord, l’aspect ludique des activités est important. Les pères aiment jouer avec leur enfant et désirent que les ateliers soient juste pour s’amuser (P2-H4), autant pour le plaisir que pour les aider à mieux jouer avec leur enfant en bas âge. Cependant, les pères ont également demandé que les activités aient aussi un côté éducatif pour l’enfant, c’est-à-dire basé sur le jeu, mais avec des notions éducatives (I1-H5). De plus, les activités devraient être dynamiques pour permettre aux enfants et aux pères de bouger et de dépenser de l’énergie. Une animatrice des groupes de discussion a résumé les intérêts des pères avec justesse : Il faut que ce soit physique, actif, ludique, vigoureux (A1-F5). Par ailleurs, les pères ont clairement laissé entendre que les comptines, les marionnettes et le bricolage ne les intéressaient pas : Après avoir fait un bricolage avec ma fille, ne me demande pas d’en faire un deuxième. Un, c’est assez ! On va aller jouer dehors à la place (P2-H4). Finalement, les participants ont souligné que la variété des activités offertes permettrait aux pères d’être plus motivés à participer à des ateliers : Je verrais beaucoup d’activités, ne pas aller là faire toujours la même activité (P8-H33). De plus, cette diversité est importante, même si ce sont des activités que le père aime faire : Tu fais du hockey une fois par mois, mais tu en fais à tous les mois. Un moment donné, c’est certain que ça va tanner le monde […] Faire plusieurs choses différentes et là, tu vas capter l’attention (P2-H8). En somme, les activités à mettre en place dans des ateliers destinés aux pères devraient être dynamiques, actives, variées et ludiques tout en étant éducatives. De plus, ces activités doivent faire participer le père autant que l’enfant. Par ailleurs, en analysant les interactions quotidiennes entre le père et son jeune enfant, nous y retrouvons sensiblement les mêmes caractéristiques. Ainsi, les activités à privilégier ne sont pas très éloignées de la réalité des pères.

4.6 Les interactions entre le père et son jeune enfant

Tous les groupes de discussion ont débuté avec des questions sur l’expérience de la paternité. La nature des interactions père-enfant s’est trouvée au coeur de toutes les discussions. Les participants ont parlé abondamment de la façon dont le père s’engage auprès de ses enfants. Les pères ont souligné qu’ils s’impliquaient, pour la plupart, dans toutes les sphères de la vie de leur enfant, garçon ou fille.

Toutefois, parmi toutes les tâches parentales quotidiennes, le jeu semble être l’activité prépondérante des pères : Je prends plaisir à faire d’autres choses avec eux. Mais le jeu, c’est vrai que ça prend beaucoup (P11-H41). Par ailleurs, entre tous les jeux, les pères apprécient davantage les jeux physiques. Pour la majorité, c’est un aspect important dans la relation avec leur enfant : Je tombe plus en harmonie avec mon garçon quand on fait des activités plus motrices (P10-H38). La majorité des pères font des jeux physiques avec leur enfant tels que faire l’avion, se chatouiller et aussi se chamailler : Je m’amuse avec mes filles et c’est très rare que, quand mes filles sont proches de moi, qu’elles touchent à terre. Elles sont tout le temps dans les airs (P10-H39). De plus, si les pères aiment ce type de jeu, les enfants semblent apprécier ces activités intenses tout autant : Avec ma fille, je la « garoche » d’un bord et de l’autre. Je la lance sur le lit, elle rebondit et c’est « Encore ! Encore ! » (P8-H29). Il est important de noter cependant que pour quelques pères, moins de cinq participants de l’étude, les jeux avec leur enfant sont davantage de nature intellectuelle, comme la lecture. Néanmoins, selon la majorité des pères rencontrés, les interactions père-enfant semblent très actives et cette caractéristique vient appuyer le discours des participants sur les activités pour des ateliers de stimulation précoce.

Ensuite, pour les pères, le jeu n’est pas que physique et vigoureux, il comporte aussi un certain risque pour l’enfant : Il va grimper dans le pommier. Je vais le prendre et je vais l’asseoir sur la branche pendant qu’on racle les feuilles. Il va rire comme un fou, puis il va avoir peur et là, je vais le rattraper (P2-H10). Les pères semblent accepter, plus facilement que la mère, les risques que l’enfant va prendre : J’amène mes enfants à la pêche sur la glace, mais une mère ne ferait pas ça. Je veux dire qu’elle ne les amènerait pas dans les affaires trop dangereuses. Elle va les couver pour éviter les bobos et tout ça (P10-H36). Par ailleurs, les risques que l’enfant prend sont importants pour les pères. Ils y voient des expériences uniques pour leur développement : C’est comme quand elle dit : « Dis-y qu’il ne fasse pas ça, il va se la péter. » Ben, il va l’apprendre. Il faut qu’il l’apprenne (P10-H35). Ainsi, ces risques ne doivent pas être évités à tout prix, car ils amènent l’enfant à être plus autonome et ce, malgré les ecchymoses et autres petits bobos : Il restait trois marches et elle les a descendues… Elle n’a pas recommencé. Je la surveille, mais il faut la laisser aller un peu. Il faut que ça explore (P8-H29).

Or, même si le risque revêt une fonction essentielle pour l’enfant, les pères sont conscients qu’ils sont responsables de la sécurité de l’enfant : Tu crées un contexte où tu peux faire des choses qui sont le « fun », qui sont un peu plus risquées, mais dans un contexte sécuritaire quand même (P8-H31). Les pères visent donc à ce que leurs jeux ne mettent pas l’enfant en danger. Cette évaluation du risque ou la prise de risque contrôlée est aussi présente dans le quotidien du père : T’es capable de tolérer un certain seuil, mais un moment donné, je lui prends la main. Je m’arrange toujours pour avoir la main proche (P10-H38). Parfois, la prise de risque vise à réduire le potentiel de dangerosité d’une situation : J’étais en train de nettoyer la toiture et mon enfant de quatre ans veut y aller […] Un moment donné, elle va vouloir y aller donc j’aime autant qu’elle vienne là que d’attendre que j’oublie l’échelle (I4-H12). En somme, les pères permettent à l’enfant d’être plus téméraire dans l’exploration de son environnement. Ils semblent considérer que la prise de risque constitue un élément majeur dans le développement de leur enfant et que, dans une certaine mesure, le jeu peut devenir une occasion de braver les dangers.

À la lumière de ce discours, la relation père-enfant semble présenter des spécificités, parmi lesquelles le jeu et le risque. Ces résultats font écho aux récents travaux de recherche. Effectivement, depuis quelques années, les études sur la relation père-enfant indiquent que cette relation ne serait pas de la même nature que la relation mère-enfant (Belsky, Jaffee, Sligo, Woodward et Silva, 2005 ; Grossmann, Grossmann, Fremmer-Bombik, Kindler, Scheuerer-Englisch et Zimmermann, 2002 ; Paquette, 2004a, 2004b). En somme, cette réflexion sur les interactions père-enfant est cohérente avec les intérêts et les besoins des pères par rapport au contenu des ateliers de stimulation précoce. Les pères ont exprimé le besoin que les programmes de stimulation précoce soient plus près de ce qu’ils font avec leur enfant et de ce à quoi ils accordent de l’importance dans leur rôle paternel.

5. Recommandations pour des ateliers père-enfant

5.1 Un cadre conceptuel adapté aux pères pour soutenir l’intervention

Les programmes de formation parentale pour les pères, en contexte de stimulation précoce ou non, font rarement état du cadre conceptuel qui soutient leurs interventions. De plus, la majorité des programmes de stimulation précoce québécois s’inspirent du modèle écosystémique, mais cette perspective ne permet pas de guider le choix des activités et des actions socio-éducatives à mettre en place. Dans cette optique, Miron (2004) propose un modèle expliquant les relations entre la famille et les milieux d’intervention. Il importe que les praticiens oeuvrant auprès des familles délaissent leur rôle d’experts pour établir une relation de partenariat, de coopération et de collaboration avec les familles. Il s’agit de considérer le parent comme éducateur de son enfant, et de favoriser une participation active de sa part dans les prises de décisions. De plus, cette position d’ouverture amène l’intervenant et le parent dans une réalisation commune des actions socio-éducatives (Miron, 2004). D’ailleurs, dans une vision andragogique de la formation parentale, la reconnaissance des connaissances antérieures de l’apprenant est essentielle pour les apprentissages futurs (Knowles, Holton et Swanson, 2005). Ce modèle s’ajuste bien au discours des participants de la présente recherche, où les pères ne veulent pas de formation formelle avec des thèmes définis. De même, les intervenants expliquent la nécessité de travailler de concert avec le père et que les actions se situent dans un contexte le plus naturel possible pour le parent. Ainsi, une intervention guidée par la connaissance des spécificités de la relation père-enfant et par l’accompagnement des pères dans la découverte de leurs compétences semblerait répondre aux résultats obtenus dans la présente recherche.

5.2 Des objectifs pour l’enfant et pour le père

Le but principal de la stimulation précoce étant de favoriser le développement intégral de l’enfant, les objectifs spécifiques demeurent similaires, que l’enfant soit accompagné de sa mère ou de son père. Cependant, il est primordial de considérer les spécificités de la relation entre le père et son enfant en bas âge. De ce fait, comme le proposent les figures 1 et 2, les objectifs devront tenir compte du rôle de l’exploration de l’environnement par l’enfant dans la relation père-enfant, de la prise de risque et de la gestion de risque ainsi que de l’importance du développement de l’autonomie chez l’enfant.

Figure 1

Des objectifs de stimulation précoce pour l’enfant

Des objectifs de stimulation précoce pour l’enfant

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Figure 2

Des objectifs de stimulation précoce pour le parent

Des objectifs de stimulation précoce pour le parent

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5.3 Des modalités qui rejoignent les intérêts et besoins des pères

La structure du programme fait référence aux modalités mises en place pour favoriser la participation et la rétention des pères aux ateliers. En premier lieu, la durée et la fréquence des rencontres dans le programme doivent tenir compte des caractéristiques des pères. Dans les groupes de discussion, les pères et les intervenants sont unanimes : les pères ne désirent pas une structure rigide. Ainsi, un effort a été fait pour tenir compte autant des postulats de base de la stimulation précoce que des intérêts des pères. Le nombre optimal de rencontres est au moins de 10 ateliers afin de s’assurer de l’efficacité des interventions. Cependant, pour permettre aux pères de recevoir un service flexible, on leur laisserait choisir les rencontres auxquelles ils veulent participer parmi une possibilité de 15 ateliers. Par ailleurs, il est aussi recommandé que les ateliers se tiennent à toutes les deux semaines plutôt qu’à une fréquence hebdomadaire, car les résultats des groupes de discussion nous ont révélé que les pères étaient moins enclins à s’engager dans des activités qui exigent un trop grand nombre d’heures par semaine. De plus, le choix de dispenser les ateliers pendant les fins de semaine découle du fait que la majorité des pères pourraient travailler pendant la semaine et que les soirs ne sont pas indiqués pour faciliter la participation des jeunes enfants.

Troisièmement, le type d’activité doit se rapprocher des interactions et des jeux entre le père et son enfant. Les pères pourront alors s’améliorer en partant de ce qu’ils font déjà et les participants des groupes de discussion ont exprimé clairement le manque d’intérêt des pères pour les bricolages, les comptines et autres activités qui composent habituellement les programmes de stimulation. Il serait préférable de choisir des activités ludiques, actives et dynamiques et qui contiennent un certain niveau de risque pour l’enfant. Par ailleurs, pendant les groupes de discussion, les pères ont évoqué leur intérêt de pouvoir reproduire les activités à la maison et cet intérêt se justifie par un but de la stimulation précoce qui est de soutenir les activités de stimulation déjà existantes chez les parents. Il s’agit principalement de tenir compte du rôle que le père joue auprès de son enfant et des caractéristiques uniques de la relation père-enfant.

Quatrièmement, lors des groupes de discussion, tant les pères que les intervenants nous ont souligné l’importance du choix des animateurs. Sur la base des consultations, la présence d’un intervenant masculin est une condition sine qua non à la participation et à la rétention des pères et il serait souhaitable que l’intervenant soit aussi un père pour mieux comprendre l’expérience de la paternité.

Finalement, les groupes de discussion nous ont également renseignés sur le type d’interventions à préconiser : des interventions qui s’effectuent en concomitance avec les activités. Les activités ludiques et intenses sont l’occasion de susciter des situations qui sollicitent les pratiques éducatives des pères. Ainsi, l’enfant qui refuse de participer à une activité, qui devient trop excité ou qui pleure donne l’occasion aux intervenants d’observer l’interaction père-enfant et d’accompagner le père dans son intervention auprès de son enfant.

6. Limites de l’étude

Malgré les éclairages nouveaux que cette étude apporte à l’intervention auprès des pères, plusieurs limites sont présentes. Tout d’abord, les participants étant volontaires, il se peut que leur engagement auprès de leur enfant soit plus élevé que la moyenne des pères. Cela nous amène aussi à nous questionner au sujet des pères qui ont refusé de participer à l’étude. Deuxièmement, il est reconnu que le rôle du père et son engagement est un construit social variant selon l’époque, la culture et les caractéristiques d’une société donnée (Dubeau, 2002). Dans le cadre de l’étude, tous les participants étaient des Québécois qui avaient grandi dans la culture nord-américaine. Finalement, il est important de noter que les analyses ont été réalisées sur la base du discours des pères et des intervenants, mais sans observation directe des interactions père-enfant. Ces données observationnelles auraient permis de trianguler les informations obtenues dans les groupes de discussion.

7. Conclusion

Par cette recherche exploratoire, les pères et les intervenants en petite enfance ont pu s’unir et faire entendre leur voix. Souvent à l’unisson, les participants ont exprimé les besoins et les intérêts des pères pour des activités de stimulation précoce. Ainsi, si nous désirons, en tant que société, permettre au père de s’engager activement et précocement auprès de son enfant, il s’avère nécessaire d’adapter les programmes existants. Il ne s’agit pas ici de rejeter les pratiques actuelles, mais simplement de mettre en place des conditions qui favoriseront une participation soutenue et le maintien des pères à des programmes d’intervention précoce.

Toutefois, de nombreuses questions demeurent sans réponse, car nous possédons peu de connaissances sur les effets de l’intervention précoce auprès de la dyade père-enfant. Une démarche évaluative des interventions père-enfant serait nécessaire afin de mieux cibler ce qui rend un programme efficace pour cette clientèle. De plus, il serait intéressant de mener davantage d’investigations à propos de la complémentarité entre les programmes visant les mères et ceux visant les pères afin de mieux comprendre leurs apports respectifs. Finalement, il reste urgent de se pencher sur le rôle du père auprès de son jeune enfant et d’approfondir nos connaissances des interactions père-enfant et de leur importance dans la construction de cette relation dyadique.