L’objectif central de ce numéro thématique est de faire état des recherches et des réflexions qui traitent des dimensions et des enjeux culturels de l’enseignement en milieu scolaire, tout en concevant l’enseignant lui-même comme un acteur culturel et un médiateur à la culture et aux cultures pour les élèves. Dès lors, la question qui nourrit cet ouvrage est de savoir comment rendre compte aujourd’hui de l’enseignement conçu à la fois comme expérience, discours et pratique culturels ? Il s’agit ici de montrer la pertinence et l’actualité de cette question ainsi que son intérêt théorique et pratique pour les sciences de l’éducation, et d’indiquer les divers éléments de réponse apportés par les auteurs qui ont contribué à ce numéro. Ces dernières décennies, l’enseignement en milieu scolaire a été défini et conçu de bien des manières ; il a été tour à tour assimilé à un travail, à une relation interpersonnelle, à une activité professionnelle ou à une technologie. Bref, ce ne sont pas les définitions qui manquent ; en outre, bien d’autres sont aujourd’hui possibles. Il suffit en effet d’ouvrir un ouvrage des sciences sociales et humaines ou des sciences de l’éducation pour y rencontrer la dernière interprétation à la mode concernant la nature de l’activité enseignante, qui peut être vue, selon le cas, comme une activité de gestion de l’information, une construction de connaissance, une praxis d’émancipation, une pratique réflexive, une action située, une activité morale, un agir communicationnel, etc. Pourtant, malgré ce foisonnement de définitions, rappelons que, au sens le plus traditionnel du terme, l’enseignement est d’abord et avant tout une activité symbolique et discursive visant à la fois la transmission d’une culture héritée et l’intégration des élèves à la culture actuelle. Autrement dit, enseigner, c’est faire oeuvre, d’une façon ou d’une autre, de culture selon un double rapport de médiation soutenu par tout enseignant. En premier lieu, l’enseignement est médiation à la culture du passé qui se présente sous la forme d’un « héritage » ou d’un « patrimoine » à préserver et à transmettre. Ce qu’on appelle les matières scolaires ainsi que leurs formes et modes de transmission constituent, pour ainsi dire, le contenu concret de ce patrimoine culturel. L’enseignement se définit ici en fonction de vision qu’on pourrait qualifier de « patrimoniale » de la culture : celle-ci est de l’ordre de l’excellence dans le registre des oeuvres humaines qui nous précèdent et qui méritent, par conséquent, d’être recueillies, conservées et retransmises par l’école. Toutefois, on le sait bien aujourd’hui, la vision patrimoniale de la culture promeut un héritage qui n’est ni neutre, ni recueilli, ni transmis passivement par l’école et les enseignants. En effet, l’école ne peut pas tout conserver et tout transmettre ; elle doit forcément différencier et sélectionner, au sein de la culture globale, une culture partielle et modèle, qu’elle considère exemplaire et porteuse d’avenir (Tardif, 1996). Il lui faut, par conséquent, établir des hiérarchies et effectuer une sélection entre les oeuvres, les activités, les connaissances, les croyances, les savoirs hérités, afin de construire et de présenter les contenus mêmes de la culture scolaire aux nouvelles générations. Dans le même sens, un enseignant opère toujours une sélection culturelle au sein de son propre enseignement, par exemple, en choisissant d’insister sur telle matière plutôt que sur telle autre (Tardif et Lessard, 1999), ou en présentant telle matière scolaire comme une forme culturelle figée et incontestable plutôt que comme une production contingente et révisable (Berlak et Berlak, 1981). Finalement, la culture scolaire, comme le montrent les nombreux travaux d’historiens et sociologues (Chervel, 1998 ; Petitat, 1986 ; Vincent, 1980, 1994 ; Chartier Compère et Julia, …
Appendices
Références
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