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Introduction

La réussite scolaire des garçons est présentement une préoccupation sociale importante. En effet, les garçons ont de moins bons résultats scolaires que les filles, ils font preuve de moins d’engagement et de persévérance, et ils abandonnent davantage l’école avant d’avoir obtenu un diplôme (Conseil supérieur de l’éducation, 1999). Cela dit, les patrons motivationnels des garçons sont mal connus. Ainsi, on ne sait pas très bien encore ce qui distingue les garçons qui présentent des difficultés d’apprentissage, ceux qui ont des problèmes de comportement et ceux qui réussissent bien à l’école. Le but de la présente étude [1] est justement d’approfondir cette problématique en comparant les caractéristiques motivationnelles de ces trois catégories d’élèves. Les connaissances acquises pourraient s’avérer utiles dans le développement et la mise en place des programmes d’intervention destinés aux élèves à risque.

Le modèle sociocognitif explique l’engagement et la persévérance des élèves par leurs attentes de succès et la valeur qu’ils accordent à la réussite et aux matières scolaires (Eccles, Wigfield et Schiefele, 1998 ; Pintrich et Schrauben, 1992 ; Weiner, 1992). La composante « attentes » du modèle correspond à la probabilité de succès anticipée par l’élève envers une tâche scolaire et, selon Eccles, Wigfield et Schiefele (1998), fait office de réponse à la question « Est-ce que je peux réussir cette tâche ? ». Les attentes de l’élève sont des perceptions de soi relatives à ses capacités d’entreprendre et de mener à bien ses entreprises scolaires. Elles comprennent les perceptions de compétence et de contrôle (Pintrich et Schrauben, 1992). Les perceptions de compétence sont les jugements qu’il porte sur ses habiletés dans un domaine particulier ou à l’endroit d’une tâche spécifique (Pintrich, 1994), alors que les perceptions de contrôle correspondent à sa conviction de pouvoir produire des réponses contingentes menant à la réussite des tâches scolaires (Skinner, Chapman et Baltes, 1988).

La composante « valeur » du modèle renvoie aux motifs qui poussent l’élève à s’engager dans les tâches scolaires et, selon Eccles, Wigfield et Schiefele (1998), fait office de réponse à la question « Pourquoi ferais-je cette tâche ? ». La composante « valeur » comprend deux variables principales : les buts poursuivis par l’élève et l’intérêt qu’il accorde aux matières et aux tâches scolaires (Bandura, 1989 ; Pintrich et Schrauben, 1992). Selon des formulations récentes (Bouffard, Vezeau, Romano, Chouinard, Bordeleau et Filion, 1998), il existerait trois types de buts scolaires : les buts de maîtrise, les buts de performance et les buts d’évitement. L’élève orienté vers des buts de maîtrise vise à acquérir de nouvelles compétences et à maîtriser les notions abordées en classe (Ames, 1992 ; Dweck, 1986 ; Dweck et Leggett, 1988). Les buts de performance, pour leur part, représentent l’importance accordée aux notes, aux récompenses et à la reconnaissance sociale (Ames, 1992 ; Bouffard et al., 1998). Enfin, les élèves qui poursuivent prioritairement des buts d’évitement cherchent surtout à éviter l’impact négatif de l’échec sur l’estime de soi. En conséquence, ils tendent à travailler le moins possible, à valoriser le succès facile et à viser tout juste la note de passage (Ames, 1992 ; Bouffard et al., 1998). La deuxième variable de la composante « valeur », l’intérêt, équivaut à des dispositions générales qui s’acquièrent avec le temps et sont plutôt stables. Il s’agit, par exemple, des penchants pour des activités particulières ou pour un domaine de connaissance (Schiefele, 1991).

Plusieurs auteurs rapportent que la conception des élèves relativement au développement de l’intelligence jouerait un rôle important dans les perceptions de soi et la valeur des matières et des tâches scolaires. Ainsi, Dweck et ses collaborateurs ont fait valoir, dans une série d’études, que les élèves qui entretiennent une conception statique de l’intelligence considèrent cette dernière comme un trait stable, assez peu affecté par l’effort, alors que ceux qui ont une position dynamique voient l’intelligence comme une faculté qui augmente de façon séquentielle par la pratique et l’effort (Dweck, 1986 ; Erdley et Dweck, 1993 ; Heyman et Dweck, 1998 ; Levy et Dweck, 1999). Pour ces derniers, le rendement scolaire serait le reflet de l’effort investi. Ils seraient donc plus enclins à s’engager activement dans le processus d’apprentissage et à persévérer devant les difficultés que ceux qui ont une position plus statique. Ceux-ci éprouveraient des perceptions de contrôle amoindries et ils auraient tendance à poursuivre des buts de maîtrise moins élevés et des buts d’évitement plus grands que leurs pairs ayant une conception plus dynamique de l’intelligence (Ames, 1992 ; Levy et Dweck, 1999 ; Stipek et Gralinski, 1996).

D’autres chercheurs ont mis en valeur le rôle des agents sociaux dans la formation des représentations cognitives que les élèves entretiennent sur eux-mêmes et sur la valeur des tâches scolaires. Selon Eccles et Jacobs (1986), Wigfield et Eccles (1992) ainsi que selon Chouinard, Vezeau, Bouffard et Jenkins, 1999, l’encouragement des parents et des enseignants aurait une importance plus grande que les résultats scolaires lorsqu’il s’agit d’expliquer l’engagement et la persévérance des élèves. Dans le même sens, Vallerand, Fortier et Guay (1997) concluent que l’encouragement des parents et des enseignants agirait positivement sur les perceptions de compétence des élèves. D’autres auteurs ont souligné que l’encouragement des parents et des enseignants aurait aussi des effets positifs sur la valeur que l’élève accorde aux matières et tâches scolaires (Eccles, Wigfield, Midgley, Mac Iver et Feldlaufer, 1993). Plusieurs auteurs s’entendent, par ailleurs, pour considérer que les pairs exercent, eux aussi, une influence significative sur la motivation scolaire. En effet, les perceptions de soi, les comportements en classe ainsi que le rendement seraient en partie tributaires de la nature des relations avec les camarades de classe : des relations positives exerçant un effet bénéfique alors que le rejet ou l’ignorance auraient un effet négatif sur ces variables (Berndt et Keefe, 1996 ; Walters et Bowen, 1997 ; Wentzel et Caldwell, 1997). Cette influence s’accentuerait au cours de l’adolescence en même temps qu’augmente l’attachement envers les pairs (Craik, 1997). Par exemple, plusieurs travaux de recherche indiquent que les élèves performants sont souvent jalousés et rejetés par leurs pairs et que cette situation mène certains adolescents doués à une sous-performance délibérée afin de préserver leur statut social (Keer, 1988 ; Luthal et McMahon,1996 ; Schroeder-Davis, 1992). Pour Taylor (1996), les garçons de milieu populaire valorisent davantage ceux qui ont des résultats scolaires moyens que ceux qui réussissent mieux que les autres. De même, les élèves sous-performants reçoivent souvent des scores sociométriques inférieurs et ils sont surreprésentés parmi les élèves rejetés (Ochoa et Palmer, 1995 ; Wentzel et Caldwell, 1997).

Cela dit, la recherche a maintes fois signalé divers traits caractéristiques des élèves en difficulté d’apprentissage (DA) en ce qui concerne leur motivation scolaire. Au Québec, ces élèves se caractérisent par des retards scolaires dans les matières de base, soit la langue d’enseignement et les mathématiques. Ainsi, un élève qui a deux ans de retard ou plus par rapport aux élèves du même âge est considéré en difficulté grave d’apprentissage (Gouvernement du Québec, 1992). Par exemple, un élève de première secondaire, âgé de 14 ans, au début de l’année scolaire est considéré en difficulté d’apprentissage, puisque la norme est de 12 ans pour ce degré.

Selon les études sur le sujet, les élèves DA entretiennent des perceptions négatives quant à leur capacité de réussir à l’école et quant au rôle de l’effort dans le succès (Chouinard, 1998 ; Palmer et Goetz, 1988). Cela vient du fait que les efforts de ces élèves ont, par le passé, presque toujours mené à des résultats insatisfaisants et qu’ils ne se rendent pas compte que cela est attribuable surtout à l’inadéquation de leurs stratégies plutôt qu’à un manque d’habileté (Wong, 1991). Ces croyances engendrent des comportements scolaires inadaptés qui mènent à donner moins d’importance à l’impact affectif de l’échec au lieu de motiver à réussir. De tels élèves en arrivent à voir l’échec comme inéluctable et à éviter l’effort parce qu’il conduit, en cas d’échec, à des jugements encore plus négatifs sur leur niveau d’intelligence (Covington, 1985 ; Fulk, Brigham et Lohman, 1998). Par ailleurs, les élèves qui obtiennent de moins bons résultats à l’école ont tendance à entretenir une conception statique du développement de l’intelligence (Stipek et Gralinski, 1996) ; ils tendent aussi à juger négativement les élèves qui obtiennent des résultats plus faibles que les leurs (Levy et Dweck, 1999). Ils entretiennent des buts de maîtrise et de performance peu élevés et évitent les situations d’apprentissage exigeantes et les tâches dont la réussite est incertaine (Meece, Blumenfeld et Hoyle, 1988 ; Pain, 1991). Ils en viennent à se désintéresser des tâches et des matières scolaires et agissent surtout en fonction de renforce- ments immédiats comme les récompenses ou les notes (Oka et Paris, 1987).

Quant aux élèves en trouble de la conduite (TC), ils sont identifiés, au Québec, sur la base de certains comportements caractéristiques : absentéisme scolaire, vandalisme, agressivité ou opposition (Gouvernement du Québec, 1992). Ces élèves se caractérisent par la pauvreté de leur adaptation sociale, le sous-développement de leurs compétences sociales et un niveau élevé d’anxiété (Taylor, 1993). En ce qui a trait à la motivation scolaire des élèves TC, les écrits traitant spécifiquement de cette question sont moins nombreux que ceux portant sur les élèves DA. En effet, la plupart des études se contentent de transposer les caractéristiques motivationnelles des élèves DA aux élèves TC, ce qui est d’autant plus aisé que plusieurs élèves qui présentent des troubles de la conduite à l’école sont également en échec scolaire (Schultz et Switzky, 1993 ; Unruh, Cronin et Gilliam, 1987) et que les élèves qui ont des difficultés d’apprentissage sont aussi reconnus pour présenter des problèmes de comportement (Margalit et Efrati, 1996).

Néanmoins, quelques chercheurs se sont intéressés à l’étude des caractéristiques motivationnelles des élèves TC. La majorité des données issues de ces travaux révèlent que, tout comme les élèves en difficulté d’apprentissage, les élèves ayant des troubles de la conduite ont des perceptions de compétence amoindries (Card, 1990 ; Pain, 1991). La question des perceptions de contrôle est cependant moins claire. En effet, Adelman, Smith, Nelson, Taylor et Phares (1986) ainsi que Unruh, Cronin et Gilliam (1987) rapportent que les élèves TC présentent des perceptions de contrôle plus faibles que les autres élèves en situation sociale. Ces mêmes chercheurs rapportent aussi que les élèves TC scolarisés en classe spéciale dans des écoles ordinaires ont des perceptions de contrôle social plus faibles que les élèves TC scolarisés en école spéciale offrant des programmes d’amélioration des perceptions de contrôle. D’autres résultats viennent, par contre, nuancer ces conclusions. Ainsi, Smith, Aldeman, Nelson et Taylor (1987) ont trouvé que les relations entre les perceptions de contrôle et le comportement sont beaucoup plus faibles chez les élèves TC bénéficiant d’un programme d’éducation spécialisée. Par ailleurs, Heavey, Adelman, Nelson et Smith (1989) rapportent que les TC qui manifestent des perceptions de contrôle élevées et un niveau de colère élevé présentent habituellement plus de problèmes de comportement que ceux présentant de faibles perceptions de contrôle et un haut niveau de colère. Ils expliquent ces résultats en alléguant que les élèves qui se sentent capables d’agir en exprimant leur colère se servent de cet exutoire afin d’augmenter leur sentiment de contrôle. Soulignons ici que toutes ces études portent sur les perceptions de contrôle des TC en situation sociale, et que peu d’études ont exploré leurs perceptions de contrôle à l’endroit des apprentissages scolaires.

Quant à la valeur que les élèves TC accordent aux tâches et aux matières scolaires, certains auteurs rapportent qu’ils poursuivent plus de buts d’évitement et moins de buts de maîtrise et de performance que les élèves ordinaires (Card, 1990 ; Pain, 1991). D’autres études révèlent que les élèves TC ont souvent peu d’intérêt pour les matières et les activités scolaires et que ces dispositions seraient accentuées par le placement en école spéciale (Smith et al., 1987). Finalement, Margalit et Efrati (1996) ainsi que Wentzel (1993) rapportent que les enseignants tendent à traiter plus sévèrement les élèves qui présentent des troubles de la conduite et à leur accorder moins d’aide et d’attention pédagogique. Ces auteurs soutiennent aussi que le rejet par les autres élèves vient encore aggraver la situation scolaire des TC puisqu’ils recevraient aussi moins d’aide et de soutien de la part de leurs pairs.

Par ailleurs, certains chercheurs ont comparé la motivation scolaire d’élèves en difficulté d’apprentissage à celle d’autres en trouble de la conduite. Par exemple, Fulk, Brigham et Lohman (1998) rapportent que les élèves en difficulté d’apprentissage ont des perceptions de soi moindres et des buts d’évitement plus élevés que les élèves en trouble de la conduite, ces derniers présentant toutefois un niveau plus grand d’anxiété. Selon Deci, Hodges, Pierson et Tomassone (1992), les perceptions de compétence sont le meilleur indice pour expliquer l’engagement et la persévérance scolaire des élèves DA, mais ce rôle revient aux perceptions de contrôle social dans le cas des élèves TC. Par contre, d’autres auteurs observent moins de différences entre ces deux populations d’élèves et allèguent que les problèmes de comportement seraient la réponse à l’échec scolaire de plusieurs élèves en difficulté à l’école (Grande, 1988). Selon cette hypothèse, le sentiment d’incompétence conséquent aux difficultés scolaires mènerait certains élèves à réagir par des comportements oppositionnels ou violents (McDermott, Mordell et Stolzfus, 2001). Toujours selon cette perspective, les comportements déviants des élèves TC seraient des manifestations proactives ou réactives pour affronter un environnement jugé hostile et anxiogène et augmenter leurs perceptions de contrôle (Adelman et Taylor, 1990 ; Elliott, 1997 ; Brehm et Brehm, 1981 ; Jackson, Frick et Dravage-Bush, 2000). Ainsi, les problèmes de comportement seraient médiatisés, en partie du moins, par les difficultés d’apprentissage, ces dernières agissant comme des facteurs de risque (Margalit et Efrati, 1996 ; Saner et Ellickson, 1996).

Bien qu’elle soit reprise souvent dans les écrits, cette idée que les troubles de la conduite à l’école sont des réponses à l’échec scolaire ne permet pas d’expliquer que certains élèves en difficulté ne présentent pas de problèmes de comportement, alors que certains élèves en trouble de la conduite réussissent très bien à l’école. En conséquence, la question des différences dans la motivation des élèves DA et TC mérite d’être explorée davantage. Aussi, le but de cette étude est-il d’examiner les caractéristiques motivationnelles des garçons ayant des difficultés d’apprentissage ou des troubles de la conduite, en les comparant à des garçons qui réussissent bien à l’école. En un mot, les objectifs visent à examiner, chez ces trois catégories d’élèves, leur perception de l’encouragement des agents sociaux, leur conception de l’intelligence, leurs attentes de succès ainsi que la valeur qu’ils accordent aux tâches et aux matières scolaires.

Méthodologie

Participants

L’échantillon comprend 532 participants : 117 élèves ont des difficultés d’apprentissage (âge moyen : 14,8 ans ; écart-type : 1,34) ; 104 élèves ont des troubles de la conduite (âge moyen : 14,8 ans ; écart-type : 1,03) ; 311 élèves sont en réussite (âge moyen : 14,2 ans ; écart-type : 1,38). Tous les participants sont des garçons francophones, âgés de 13 à 16 ans au début de l’étude, et scolarisés dans des écoles publiques de Montréal et de sa région. Toutes ces écoles desservent des populations de milieux socioéconomiques faibles, et présentent un fort caractère multiethnique.

Les élèves en difficulté d’apprentissage (DA) sont scolarisés en classe ordinaire de 2e secondaire et présentent des retards de deux ans et plus en mathématiques et en langue d’enseignement par rapport à la norme, ce qui correspond à la désignation « difficultés graves d’apprentissage » donnée par le ministère de l’Éducation du Québec (Gouvernement du Québec, 1992). Ces élèves ne présentent pas de problème de comportement identifié. Les élèves en trouble de la conduite (TC) sont, pour leur part, scolarisés dans deux écoles spéciales où ils poursuivent des cheminements particuliers de formation. Ces programmes les préparent directement au marché du travail et les contenus des cours qui leur sont offerts diffèrent de ceux des deux autres populations d’élèves retenus aux fins de la présente étude. Ces élèves TC présentent des troubles graves du comportement ou des troubles d’adaptation scolaire ou sociale. Ils sont envoyés en école spéciale par les services sociaux ou par les écoles des commissions scolaires de leur région. La très grande majorité d’entre eux présente aussi des retards scolaires. Les élèves en réussite (EER) sont scolarisés en classe ordinaire de 2e ou de 4e secondaire et ne présentent pas de retard scolaire par rapport à la norme. Le tableau 1 donne le détail de la répartition de l’échantillon selon la matière scolaire. La motivation envers les mathématiques a été mesurée chez certains garçons et celle envers le français l’a été chez les autres.

Tableau 1

Répartition des trois populations de participants selon la version du questionnaire

Répartition des trois populations de participants selon la version du questionnaire

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Procédure et instruments de mesure

Les mesures ont été prises au début de l’année scolaire et nous avons rencontré les participants pendant les heures régulières de classe. Selon la matière assignée (français ou mathématiques), les participants ont été invités à répondre à l’une des deux versions du questionnaire comprenant les différentes échelles d’attitudes autorapportées. Ainsi, dans une des versions, on retrouve l’item « Je peux avoir de bonnes notes en français » alors que dans l’autre, l’item devient « Je peux avoir de bonnes notes en mathématiques ». Seule la conception de l’intelligence a été mesurée de façon générale, sans référence à une matière scolaire donnée.

Mesure de la perception de l’encouragement des agents sociaux

La perception des attitudes des agents sociaux que sont la mère, le père et l’enseignant a été mesurée à l’aide de sous-échelles comprenant six items chacune, tirées de la version abrégée des Mathematics attitudes scales de Fennema et Sherman (1976), adaptée et validée en français par Vezeau, Chouinard, Bouffard et Couture (1998). Les sous-échelles « attitudes de la mère » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,77) et « attitudes du père » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,81) mesurent la perception, par le participant, de l’importance que ses parents accordent au français ou aux mathématiques, du niveau d’encouragement qu’ils lui donnent et de la confiance qu’ils manifestent quant à sa capacité de bien réussir (par exemple, « Ma mère a toujours été intéressée par mes progrès en mathématiques. »). Les items de la sous-échelle « attitudes des enseignants » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,80) mesurent la perception par le participant du niveau d’encouragement offert par son enseignant de la confiance qu’il lui manifeste dans sa capacité de bien réussir dans la matière (« Mon professeur pense que je suis le genre de personne qui pourrait être très bonne en français. »). Deux sous-échelles de trois items chacune servent à évaluer la perception par les participants de l’impact des résultats scolaires sur le statut social. Ainsi, la sous-échelle « impact social de l’effort improductif » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,62) mesure jusqu’à quel point l’échec subi à la suite d’efforts importants est accepté par les pairs (« Les élèves qui travaillent fort en mathématiques, mais qui ne réussissent pas sont souvent rejetés par les autres. », alors que la sous-échelle « impact social du rendement supérieur » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,67) mesure à quel point l’excellence scolaire est perçue comme un facteur d’exclusion sociale (« Si un élève réussit beaucoup mieux que les autres en français, il aura de la difficulté à se faire des amis à l’école. »). Ces deux sous-échelles ont été développées et validées pour les besoins de la présente étude.

Mesure de la conception de l’intelligence

La conception de l’intelligence a été mesurée par une sous-échelle produite par Dweck et Henderson (1989) dont les trois items ont été traduits par Vezeau, Bouffard et Dubois (ce numéro). Ils permettent d’évaluer à quel point les répondants ont une conception statique de l’intelligence [« Je peux apprendre de nouvelles choses, mais je ne peux changer réellement mon intelligence de base. » (α = 0,66)].

Mesure des attentes de succès

Deux sous-échelles comprenant six items chacune ont permis de mesurer les attentes de succès des participants. La sous-échelle « perception de compétence » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,81) est tirée de la Perceived competence scale, de Harter (1982), traduite et validée par Pierrehumbert, Zazone, Kauer-Tchicaloff et Plancherel (1988). Elle permet de mesurer l’évaluation du participant de sa compétence dans la matière à partir d’énoncés bipolaires (« Certains élèves pensent qu’ils sont très bons en mathématiques, mais d’autres se demandent s’ils sont capables de faire leurs travaux. »). La seconde sous-échelle, « perception de contrôle » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,80), a été conçue par Skinner, Chapman et Baltes (1988), traduite et validée par Bouffard-Bouchard, Bordeleau et Dubé (1991). Elle permet d’évaluer la perception, par le participant, de la possibilité de pouvoir agir de façon contingente sur sa situation scolaire (« Si je le veux, je peux réussir en français. »).

Mesure de la valeur accordée aux matières scolaires

La valeur attribuée aux matières et aux tâches scolaires a été mesurée à l’aide de quatre sous-échelles. La sous-échelle « intérêt » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,81) provient aussi de l’adaptation en langue française des Mathematics attitudes scales de Fennema et Sherman (1976). Elle compte six items mesurant la perception par l’élève de l’utilité, présente ou future, des matières et des tâches scolaires (« Ce que j’apprends en math va souvent me servir dans ma vie d’adulte. »). La sous-échelle « buts de maîtrise » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,90) est formée de huit items et mesure à quel point le participant poursuit des buts d’apprentissage (« En mathématiques, je veux apprendre le plus de choses possible. »). La sous-échelle « buts de performance » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,69) est composée de cinq items et mesure à quel point le participant poursuit des buts de rendement (« Ce qui est d’abord important pour moi en français, c’est d’avoir des notes élevées. »). La sous-échelle « buts d’évitement » (αfrançais = 0,75 et αmathématiques = 0,71) comprend sept items et évalue à quel point le participant cherche à se soustraire aux situations d’apprentissage (« En français, je fais seulement ce qui est nécessaire pour éviter l’échec. »). Ces trois dernières sous-échelles ont été produites par Bouffard, Vezeau, Romano, Chouinard, Bordeleau et Filion (1998).

Sauf la mesure de la conception de l’intelligence, sur une échelle de réponse en six points, et la mesure de perception de compétence où le participant doit cocher parmi quatre cases celle qui correspond le mieux à ce qu’il pense de lui, pour toutes les autres mesures, il indique sa réponse sur une échelle de Likert à cinq points, allant de « fortement en désaccord » à « fortement en accord ».

Résultats

Les données ont été soumises à des analyses de la variance univariée (ANOVA) avec comme facteurs le type d’élèves (x 3), en difficulté d’apprentissage (DA), en trouble de la conduite (TC) et en réussite (EER), et la matière scolaire (x 2), sauf pour la conception de l’intelligence où cela ne s’applique pas. Le niveau scolaire n’a pas été retenu comme variable indépendante parce que les élèves TC poursuivent des programmes d’études variés de français et de mathématiques, différents de ceux des deux autres groupes.

Au regard de la perception de l’encouragement des agents sociaux, comme le montre le tableau 2, les résultats indiquent, tout d’abord, des effets d’interaction entre le type d’élèves et la matière, pour la perception du niveau d’encouragement de la mère [F(2, 497) = 3,87 ; < 0,05] et celui du père [F(2, 432) = 10,13 ; < 0,001]. Les analyses ultérieures et les tests post hoc (Scheffe) montrent que les élèves en trouble de la conduite disent recevoir moins d’encouragement en mathématiques de la part de leur mère et de leur père que ceux en réussite, alors que ceux en difficulté d’apprentissage disent aussi recevoir moins d’encouragement en mathématiques que les précédents, mais de la part de leur père seulement. Aucune de ces différences n’est relevée dans le cas du français. De plus, les élèves en réussite perçoivent recevoir plus d’encouragement de leurs deux parents en mathématiques qu’en français. Par ailleurs, on note un effet du type d’élèves pour la perception de l’encouragement des enseignants [F(2, 522) = 5,32 ; < 0,05]. Ainsi, les élèves en difficulté d’apprentissage rapportent recevoir significativement moins d’encouragement de leurs enseignants de français et de mathématiques que les élèves en trouble de la conduite et que les élèves en réussite. Finalement, les analyses révèlent aussi des effets simples quant à la perception qu’ont les participants des réactions de leurs pairs face à l’effort improductif [F(2, 494) = 5,78 ; < 0,05] et au rendement supérieur [F(2, 494) = 6,29 ; < 0,01]. En effet, les tests post hoc montrent que les élèves en difficulté d’apprentissage indiquent que l’effort improductif est moins bien accepté par leurs pairs que ce qui est rapporté par les élèves en réussite. Par contre, les élèves en trouble de la conduite sont davantage d’avis que le rendement supérieur est mal accepté par leurs pairs.

Tableau 2

Moyenne et écart-type pour chacune des variables associées aux perceptions de l’encouragement des agents sociaux selon la population d’élèves (TC, DA et EER) et la matière (français et mathématiques)

Moyenne et écart-type pour chacune des variables associées aux perceptions de l’encouragement des agents sociaux selon la population d’élèves (TC, DA et EER) et la matière (français et mathématiques)
*

= p < 0,05 ;

**

= p < 0,01 ;

***

= p < 0,001.

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L’analyse des résultats relatifs à la conception de l’intelligence indique des différences significatives entre les élèves des différentes catégories [F(2, 501) = 3,12 ; < 0,05]. Les tests post hoc révèlent que les élèves en difficulté d’apprentissage ont une conception plus statique de l’intelligence que les élèves en réussite, alors que ces différences n’atteignent pas le seuil de signification pour les élèves en trouble de la conduite. Rappelons que cette variable n’a pas été mesurée dans le contexte spécifique du français et des mathématiques, mais plutôt dans le contexte général du développement de l’intelligence. Ces derniers résultats font l’objet du tableau 3.

Tableau 3

Moyennes et écart-type pour la variable « conception de l’intelligence » selon la population d’élèves (TC, DA et EER)

Moyennes et écart-type pour la variable « conception de l’intelligence » selon la population d’élèves (TC, DA et EER)

Variable Catégories d’élèves DA TC EER Conception de l’intelligence 2,83 3,97 4,18 (1,44) (1,36) (1,28)

*

= p < 0,05 ;

**

= p < 0,01 ;

***

= p < 0,001.

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L’analyse des résultats relatifs aux attentes de succès montre tout d’abord deux effets simples reliés aux perceptions de compétence. Ainsi, les trois catégories d’élèves rapportent des perceptions de compétence plus faibles en français qu’en mathématiques [F(1, 518) = 7,28 ; < 0,01]. De plus, les trois catégories d’élèves se distinguent pour cette même variable [F(2,518) = 52,56 ; < 0,001]. En effet, les tests post hoc indiquent que les élèves en trouble de la conduite entretiennent des perceptions de compétence moindres que les élèves en réussite dans les deux matières alors que les perceptions de compétence des élèves en difficulté d’apprentissage sont plus faibles que celles des élèves des deux autres groupes. Par ailleurs, les résultats indiquent que les trois populations d’élèves se distinguent aussi sur la base de leurs perceptions de contrôle [F(2, 518) = 33,75 ; < 0,001]. Cependant, et comme on peut le constater à l’examen du tableau 4, l’interaction entre les deux facteurs s’avère significative [F(2, 518) = 3, 05 ; < 0,05].

Tableau 4

Moyenne et écart-type pour chacune des variables associées aux attentes de succès selon la population d’élèves (TC, DA et EER) et la matière (français et mathématiques)

Moyenne et écart-type pour chacune des variables associées aux attentes de succès selon la population d’élèves (TC, DA et EER) et la matière (français et mathématiques)
*

= p < 0,05 ;

**

= p < 0,01 ;

***

= p < 0,001.

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Des analyses plus poussées viennent préciser que les élèves en trouble de la conduite présentent des perceptions de contrôle moindres que les élèves en réussite en français et en mathématiques alors que les élèves en difficulté d’apprentissage rapportent des perceptions de contrôle moindres que les élèves en réussite, dans le cas des mathématiques, et que les deux autres catégories d’élèves dans le cas du français. Ces analyses montrent aussi que les élèves ordinaires rapportent des perceptions de contrôle moins élevées en français qu’en mathématiques. Cette différence n’atteint pas le seuil de signification dans le cas des deux autres groupes.

Finalement, l’analyse des résultats relatifs à la valeur des matières scolaires indique des effets simples et des effets d’interaction (tableau 5). La lecture de ce tableau permet de constater des effets d’interaction sur la perception de l’intérêt des matières [F(2, 515) = 4,16 ; < 0,05] et sur les buts de maîtrise [F(2, 514) = 4,19 ; < 0,05]. Les analyses subséquentes montrent que les élèves en trouble de la conduite et les élèves en difficulté d’apprentissage perçoivent moins l’intérêt des mathématiques que les élèves en réussite. De plus, les élèves en trouble de la conduite déclarent poursuivre des buts de maîtrise moins élevés dans cette matière que les élèves en réussite, alors que les buts de maîtrise des élèves en difficulté d’apprentissage sont encore moindres que ceux des deux autres populations d’élèves. Par ailleurs, les élèves en réussite disent accorder davantage d’intérêt aux mathématiques qu’au français et poursuivre des buts de maîtrise plus élevés dans cette matière. Finalement, une dernière analyse montre que les élèves en trouble de la conduite et les élèves en difficulté d’apprentissage obtiennent des scores plus élevés que les élèves en réussite en ce qui concerne les buts d’évitement [F(2, 515) = 7,67 ; < 0,01].

Tableau 5

Moyenne et écart-type pour chacune des variables associées à la valeur selon la population d’élèves (TC, DA et EER) et la matière (français et mathématiques)

Moyenne et écart-type pour chacune des variables associées à la valeur selon la population d’élèves (TC, DA et EER) et la matière (français et mathématiques)
*

= p < 0,05 ;

**

= p < 0,01 ;

***

= p < 0,001.

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Discussion

Au regard des objectifs de la présente étude, les résultats permettent d’identifier certaines caractéristiques motivationnelles des catégories d’élèves participants. Les garçons éprouvant des difficultés d’apprentissage et ceux qui ont des troubles de la conduite se différencient des garçons en réussite sous plusieurs aspects, alors que, d’autre part, les garçons TC et DA se distinguent sur différentes mesures.

En ce qui a trait à la perception de l’encouragement des parents, des différences entre les trois catégories d’élèves sont décelées en mathématiques mais non en français. Ainsi, les résultats montrent que les élèves en troubles de la conduite disent recevoir, dans cette matière, moins d’encouragement de leurs deux parents que ne le font les élèves en réussite. Pour expliquer ces résultats, il est possible, comme le rapportent Grolnick et Slowiaczeck (1994), que les parents soient plus disponibles pour les enfants qui éprouvent des difficultés d’apprentissage et que leur niveau d’encouragement soit davantage affecté par les problèmes de comportement que par les difficultés d’apprentissage. Peut-être ces derniers se sentent-ils plus responsables des difficultés de leurs enfants lorsque celles-ci sont la conséquence de difficultés d’apprentissage que lorsqu’elles résultent de troubles de la conduite. Par ailleurs, le fait que les élèves en réussite déclarent recevoir plus d’encouragement de la part de leurs parents en mathématiques qu’en français alors que cette différence n’est pas observée chez les élèves des deux autres catégories est intéressante. Les mathématiques étant la matière la plus susceptible d‘offrir les meilleures perspectives scolaires et professionnelles, il n’est pas surprenant qu’elles fassent l’objet d’un niveau supérieur d’encouragement de la part des parents. Cependant, les mathématiques ont aussi la réputation d’être une matière difficile. Cela pourrait expliquer pourquoi les parents des élèves en difficulté d’apprentissage et ceux des élèves en trouble de la conduite diminuent leurs attentes à l’endroit de leurs enfants dans cette matière. Cette attitude des parents pourrait avoir des effets négatifs sur la motivation scolaire de leur enfant en confirmant leur sentiment d’incompétence en mathématiques et en venant altérer davantage la valeur de cette matière à leurs yeux. En effet, plusieurs résultats de recherche notent l’influence de l’encouragement parental sur les perceptions de compétence et de contrôle ainsi que sur la valeur que les élèves accordent aux matières scolaires (Chouinard et Fournier, 2002 ; Grolnick et Slowiaczek, 1994). Ce qui est moins clair toutefois, c’est à quel point le niveau d’encouragement plus faible de la part des parents, noté par les élèves en trouble de la conduite et, dans une moindre mesure, par les élèves en difficulté d’apprentissage représente une cause ou une conséquence des problèmes motivationnels de ces élèves.

Le résultat selon lequel les élèves en difficultés d’apprentissage affirment recevoir moins d’encouragement de la part de leurs enseignants de français et de mathématiques que ne le disent les élèves en troubles de la conduite et les élèves en réussite ne coïncide pas avec ce qui est généralement repris dans les écrits de chercheurs. En effet, certains affirment plutôt que les enseignants accordent le moins d’aide et d’attention pédagogique aux garçons présentant des troubles de la conduite (Wooldridge et Richman, 1985). De plus, les enseignants montrent habituellement davantage leur désapprobation aux garçons TC et leur adressent plus de critiques (Kearney et Plax, 1988). Ces derniers feraient aussi l’objet d’un plus grand nombre de commentaires négatifs, de moins de rétroactions sur leur travail et de moins d’occasions de répondre aux questions de l’enseignant (Chouinard, 2002). Or, les résultats de la présente étude n’indiquent pas de différence entre le niveau d’encouragement perçu par les garçons en réussite et les garçons TC en ce qui concerne l’encouragement des enseignants. Ce résultat étonnant semble attribuable au fait que les élèves TC de la présente étude sont scolarisés en école spéciale, en groupes restreints et par des enseignants formés à l’intervention auprès des élèves en trouble de la conduite.

Enfin, il est intéressant de constater que les garçons en difficulté d’apprentissage disent, plus que les garçons en réussite que ceux qui échouent malgré leurs efforts sont moins bien acceptés par leurs pairs, alors que les garçons TC considèrent que les élèves très performants sont moins populaires. Cela signifie que les garçons DA et TC considèrent qu’il n’est pas souhaitable de se démarquer par ses résultats scolaires. En ce qui concerne les élèves en difficulté d’apprentissage, ces résultats vont dans le sens des écrits qui soutiennent qu’en général, les élèves sous-performants sont moins bien acceptés par leurs camarades (Ochoa et Palmer, 1995). Les conséquences de cette caractéristique des garçons DA sont non négligeables. On peut, en effet, supposer que, sur la base de leurs représentations sociales, ces derniers sont moins enclins à s’engager dans des entreprises scolaires dont le succès est incertain. Cela revient à dire que le niveau d’engagement et de persévérance de ces élèves serait hypothéqué par la crainte de l’exclusion sociale. De la même manière, la tendance des garçons TC à considérer la surperformance scolaire comme un facteur potentiel d’exclusion pourrait jouer un rôle négatif sur leur comportement à l’école. Cette disposition pourrait être accentuée par le fait que les élèves qui ont des perceptions négatives à propos de leurs capacités scolaires, ce qui est généralement le cas des TC, sont davantage perméables au conformisme social (Connor, 1994). En conséquence, les TC seraient moins portés que les autres à viser l’excellence scolaire et le dépassement de soi, ce qui pourrait aussi expliquer le résultat de la présente étude selon lequel les TC entretiennent des buts de performance moins élevés que les élèves ordinaires.

Nos résultats vont aussi dans le sens des formulations théoriques relatives aux conceptions de l’intelligence. En effet, selon cette approche, une conception statique de l’intelligence serait reliée à des perceptions de contrôle amoindries et de faibles buts de maîtrise (Ames, 1992 ; Levy et Dweck, 1999 ; Stipek et Gralinski, 1996). Or, c’est exactement ce qui est observé ici chez les garçons en difficulté d’apprentissage. Par ailleurs, les élèves qui ont tendance à considérer que l’intelligence est fixe portent habituellement des jugements plus sévères sur l’intelligence de ceux qui obtiennent de moins bons résultats scolaires que les leurs. Au contraire, les partisans d’une position dynamique ont plutôt tendance à considérer que les résultats scolaires d’une personne sont contextuels et peuvent évoluer par l’effort et l’acquisition de stratégies de travail plus efficaces (Heyman et Dweck, 1998). Cela pourrait constituer à notre avis un autre facteur explicatif en ce qui concerne les attitudes différentielles des élèves DA à l’endroit des élèves plus faibles qu’eux, résultat discuté au paragraphe précédent.

L’examen des variables associées aux attentes de succès révèle plusieurs différences entre les trois populations d’élèves. Le portrait qui en résulte montre que les garçons en trouble de la conduite se perçoivent moins compétents et moins en contrôle de leur situation que les élèves en réussite, et ce, tant en français qu’en mathématiques. La situation des garçons en difficulté d’apprentissage est encore moins enviable, puisque ce type d’élèves rapporte les perceptions de compétence les plus faibles dans les deux matières et des perceptions de contrôle moindres en français. Ces résultats confirment ceux de Fulk, Brigham et Lohman (1998) qui ont eux aussi trouvé que les élèves en difficulté d’apprentissage présentent des perceptions de compétence et de contrôle plus faibles que celles des élèves en trouble de la conduite. Ces résultats ne soutiennent cependant pas la position adoptée par certains auteurs selon laquelle les élèves en trouble de la conduite sont des élèves en difficulté d’apprentissage qui réagissent mal à leur situation scolaire.

Les élèves en difficulté d’apprentissage et ceux en trouble de la conduite se distinguent aussi des élèves en réussite sur la base de la valeur qu’ils accordent aux matières scolaires. Les résultats obtenus au cours de la présente étude confirment ceux d’autres chercheurs qui ont trouvé que ces élèves ont moins d’intérêt pour les matières scolaires que les élèves qui ne présentent pas de problèmes particuliers à l’école (Card, 1990 ; Oka et Paris, 1987), qu’ils se fixent des buts d’apprentissage moins élevés tout en poursuivant des buts d’évitement plus grands (Card, 1990 ; Meece, Blumenfeld et Hoyle, 1988 ; Pain, 1991). Cependant, ces différences n’atteignent le seuil de signification qu’en mathématiques en ce qui a trait à l’intérêt (DA et TC) et aux buts de maîtrise (TC seulement). Par ailleurs, la tendance des garçons en difficulté d’apprentissage et de ceux en trouble de la conduite à accorder moins de valeur aux matières scolaires pourrait être une conséquence directe de leur situation scolaire difficile. Avec les années, en effet, l’intérêt de ces élèves pour des contenus scolaires associés à l’échec a pu s’émousser et les buts reliés à ces contenus s’orienter vers l’évitement plutôt que vers la maîtrise et la performance. En d’autres mots, ces caractéristiques motivationnelles particulières pourraient correspondre à un processus de rationalisation des difficultés entrepris par ces élèves en vue de préserver leur estime de soi (Oka et Paris, 1987). Les élèves DA et TC seraient donc davantage motivés extrinsèquement (par exemple, par la pression sociale) que par un type de motivation plus intrinsèque comme la maîtrise des contenus. Le faible rendement scolaire de ces élèves serait en partie la conséquence de ces orientations motivationnelles particulières (Schultz et Switzky, 1993).

Conclusion

Il apparaît que les élèves en difficulté d’apprentissage et ceux en trouble de la conduite partagent certaines caractéristiques en ce qui a trait à la motivation scolaire. En effet, ces deux populations d’élèves déclarent recevoir moins d’encouragement de la part de leur environnement social, ils entretiennent des conceptions plus négatives quant aux conséquences sociales de l’échec et de l’excellence scolaire, leurs attentes de succès sont inférieures et ils tendent à accorder moins de valeur aux matières scolaires. Il ressort que les élèves en difficulté d’apprentissage et, dans une moindre mesure, ceux en trouble de la conduite entretiennent des perceptions de soi débilitantes pouvant s’expliquer par un passé scolaire pavé d’échecs et de problèmes d’adaptation. Conformément aux recherches sur la question, une telle situation ne peut que générer le désengagement et la passivité en situation d’apprentissage. Par contre, les élèves en difficulté d’apprentissage et ceux en trouble de la conduite se distinguent aussi sur certains aspects. En effet, la situation des élèves en difficulté d’apprentissage semble plus sombre encore que celle des élèves en trouble de la conduite puisque ceux-ci se sentent moins encouragés par leurs enseignants, ont une conception plus statique de l’intelligence et entretiennent des perceptions de contrôle et d’intelligence moindres que les participants des deux autres groupes.

Nos résultats confirment l’hypothèse de l’existence de différences quantitatives et qualitatives entre les élèves en difficulté d’apprentissage et et ceux en trouble de conduite relativement à la motivation scolaire. Cependant, certaines limites inhérentes à l’étude invitent à la prudence dans l’interprétation de ses résultats. D’abord, le nombre limité de participants a imposé des limites au traitement statistique des données. Puis, le recours unique à des participants masculins interdit de généraliser les résultats aux deux sexes. Enfin, l’impossibilité de contrôler l’effet de l’environnement scolaire a pu introduire une variable de nuisance. En effet, rappelons que les élèves ordinaires et ceux en difficulté d’apprentissage sont scolarisés en classe ordinaire, dans leur école de quartier, alors que les élèves en trouble de la conduite reçoivent leur formation en école spéciale. Il conviendrait de poursuivre les mêmes objectifs de recherche dans un cadre élargi, comportant plus de participants des deux sexes dans des environnements scolaires diversifiés.