Abstracts
Résumé
Le présent article fait suite au rapport Preventing reading difficulties in young children auquel Snow et Burns ont participé. La principale conclusion de ce rapport est que l’apprentissage de l’écrit, du préscolaire à la troisième année du primaire, est déterminant pour l’avenir des enfants. Le texte présente les fondements scientifiques qui sous-tendent les recherches sur lesquelles le rapport s’est appuyé pour dégager ses conclusions et ses recommandations d’intervention. Il complète les données du rapport par une revue des recherches sur les enfants allophones et l’efficacité des mesures d’éducation préscolaire mises en place pour favoriser l’apprentissage de la langue d’enseignement et leur intégration dans le système scolaire.
Abstract
This article discusses the report Preventing Reading Difficulties in Young Children wherein two of the co-authors participated. The principal conclusion of the report is that learning written language from pre-school years to third grade at the primary level determines children’s future. The authors present the scientific foundations that support the research on which this report was developed in order to propose conclusions and proposals for intervention. They provide further data from a review of research studies of allophone students and the efficacy of pre-school educational techniques whose aim is the improvement of language (that used in teaching) and of their integration into the school system.
Resumen
El presente artículo es una continuación del informe Preventing Reading Difficulties in Young Children en el cual dos de los coautores han participado. La conclusión principal de ese informe es que el aprendizaje de la escritura, desde el nivel pre-escolar hasta el tercer año de la escuela primaria, es determinante para el futuro de los niños. Burns, Espinosa y Snow presentan los fundamentos científicos que soportan las investigaciones sobre las cuales el informe se apoyó para establecer sus conclusiones y sus recomendaciones de intervención. Asimismo, el estudio completa los datos del informe dando un panorama de las investigaciones sobre los niños cuya lengua materna no es ni el francés ni el inglés, y mostrando la eficacia de las medidas que se introdujeron en el nivel pre-escolar para favorecer el aprendidaje de la lengua de enseñanza y la integración en el sistema escolar.
Zusammenfassung
Der vorliegende Beitrag baut auf den Bericht Preventing Reading Difficulties in Young Children auf, an dem zwei der Autoren mitgearbeit haben. Die wichtigste Schlussfolgerung dieses Berichts ist folgende : Der Erwerb der Lesefähigkeit in der Vorschule sowie in den drei ersten Grundschuljahren ist für die Zukunft der Kinder von entscheidender Bedeutung. Die Autoren liefern dazu die wissenschaftlichen Grundlagen, auf deren Ergebnissen der Bericht basiert, um im Anschluss daran Empfehlungen und Schlussfolgerungen formulieren zu können. Der Bericht wird weiter vervollständigt durch einen Überblick über die Forschungsarbeiten zum Thema allophone Kinder und Wirksamkeit der Vorschulmethoden zum Erlernen der Unterrichtssprache sowie der Integration dieser Kinder ins Schulsystem.
Article body
Introduction
Les enfants qui progressent normalement durant leur scolarité sont entrés en première année avec un certain bagage de connaissances sur la langue et un certain niveau de littératie [1] qu’ils ont acquis durant la période préscolaire. De nos jours, dans la plupart des pays développés, les enfants sont en contact avec l’écrit et ont la possibilité de vivre des expériences avec l’écrit bien avant d’entrer à l’école, que ce soit dans le milieu familial, dans les garderies ou dans les maternelles. Quelles sont, parmi ces expériences, celles qui semblent les plus significatives ? Les enfants ont-ils les mêmes chances de vivre de telles expériences ? Qu’en est-il des enfants allophones et des enfants d’origines ethniques différentes ? Est-ce que le fait de vivre des expériences différentes avec l’écrit dans des langues différentes influence le développement des habiletés et des concepts liés à l’écrit ? Les programmes du préscolaire devraient-ils adapter leurs objectifs pour répondre aux besoins spécifiques des enfants qui ne parlent pas la langue de l’école à la maison ? Comment établir un équilibre entre les besoins des enfants allophones et ceux des enfants qui parlent la langue majoritaire ? Quelle place faire au langage oral et à la littératie dans les programmes du préscolaire ?
Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous tenterons de répondre dans cet article en prenant la situation américaine comme exemple. Bien que nous soyons conscientes des différences importantes qui existent d’un pays à l’autre, nous pensons que cela permettra d’illustrer l’importance des facteurs sociolinguistiques et socioculturels dans les débuts de la littératie [2]. Nous nous inspirerons pour ce faire du rapport Preventing reading difficulties in young children publié en 1998 par la National Academy of Science (Snow, Burns et Griffin, 1998). Ce rapport a été produit par un comité interdisciplinaire d’experts choisis par l’Académie. Le comité avait pour mandat de mener une étude sur l’efficacité relative des différents modes d’intervention au préscolaire auprès des enfants à risque d’éprouver des difficultés d’apprentissage de la lecture. La recherche dans le domaine est riche mais fragmentée. Le but était d’en faire une synthèse et de dégager des pistes de recommandations pour guider les parents, les éducateurs, les maisons d’éditions et toutes instances impliquées dans le bien-être et l’éducation des jeunes enfants.
Aux États-Unis, plus de 10 % des familles ont pour langue première, une langue autre que l’anglais (U.S. Bureau of Census / Bureau américain de la statistique, 1995, statistiques datant de 1990). Selon une étude ayant porté sur les classes de maternelle en 1998-1999, 9 % des enfants proviennent de familles allophones (Early childhood longitudinal study, 1999). C’est dans les milieux défavorisés qu’on en retrouve le plus. Selon le dernier rapport de Head Start [3] (Head Start Bureau, 2000), 74 % des enfants touchés par le programme parlent anglais, 22 % parlent espagnol et 4 % parlent une des 139 autres langues en usage dans les familles américaines. Dans certains milieux, comme à l’école publique d’Arlington, 43 % des élèves parlent une langue autre que l’anglais à la maison (Arlington Public Schools, 1998). Si on tient compte de la tendance, le nombre d’enfants qui commenceront l’école en ayant un niveau de maîtrise limité de l’anglais va continuer d’augmenter dans les prochaines années.
Les conditions nécessaires au développement de la littératie
Si, traditionnellement, dans la plupart des pays développés, l’enseignement de la lecture commence officiellement en première année alors que les enfants ont entre cinq et sept ans, implicitement, les méthodes d’enseignement prennent pour acquis que les enfants sont motivés à apprendre à lire et à écrire, qu’ils ont déjà atteint un certain niveau de conscience de l’écrit et de conscience phonologique, qu’ils ont déjà une certaine connaissance des lettres de l’alphabet et qu’ils reconnaissent globalement des mots de leur environnement. Le niveau de développement du langage oral qui se traduit notamment par un vocabulaire plus riche, par la capacité d’utiliser certaines formes de langage décontextualisé [4] et un niveau de langue plus élaboré dans certaines situations constituent d’autres préalables [5] importants pour amorcer l’apprentissage de la lecture en première année (Snow et al., 1998). Chacun de ces aspects est analysé plus en détails dans les trois sections qui suivent.
La motivation pour la lecture
Le degré d’exposition et l’intérêt pour l’écrit sont déterminés par les adultes qui prennent soin des enfants durant les premières années de leur vie. Les attitudes, les croyances, le niveau d’habileté en lecture des adultes conditionnent le type d’expérience et la richesse des interactions avec l’écrit que les enfants auront la chance de vivre (DeBaryshe, 1995 ; Baker, Serpell et Sonnenschein, 1995 ; Spiegel, 1994).
Le rôle des parents
Les parents des enfants d’âge préscolaire se différencient selon qu’ils considèrent que l’initiation à l’écrit fait partie des loisirs familiaux ou qu’ils les restreignent à un certain nombre d’habiletés de base qu’ils doivent faire acquérir à leurs enfants. Les parents du premier type ont un rapport plus englobant avec l’écrit qui va de la lecture de livres au développement de la conscience phonologique (Sonnenschein, Baker, Serpell, Scher, Fernández-Fein et Munsterman, 1996). Ce type de rapport, centré sur le plaisir de découvrir l’écrit, est plus typique des familles de milieux moyens (Lancy et Bergin, 1992). Dans la mesure où le contexte socioaffectif dans lequel les enfants vivent leurs premières expériences avec l’écrit a un impact direct sur leur motivation à apprendre à lire et à écrire, il installe des conditions plus favorables au développement de la littératie. Or, selon certains chercheurs, un niveau de motivation élevé pour les activités reliées à l’écrit est le principal facteur qui amène l’enfant à s’investir pleinement dans l’apprentissage de la littératie (Snow et Tabors, 1996 ; Baker et al., 1995).
La lecture de livres aux enfants est une des activités les plus susceptibles de stimuler la motivation à lire et les parents en sont généralement conscients. Aux États-Unis, lire des livres aux enfants est maintenant une pratique courante. De 40 à 50 % des familles disent lire des livres quotidiennement à leur enfant d’âge préscolaire. Les statistiques sont semblables quel que soit le milieu socioéconomique et le groupe ethnique. C’est le cas de 46 % des familles anglophones et de 38 % des familles allophones (Early childhood longitudinal study, 1999). Toutefois, les études qui ont étudié l’impact de la lecture de livres sur le développement de la motivation à apprendre à lire ont surtout été réalisées en milieux moyens auprès de familles anglo-américaines. Pourtant, pour comprendre l’influence du milieu familial sur les débuts de la littératie, il serait important d’étudier les différences entre les familles d’origines ethniques différentes. L’une de ces différences est l’implication de la famille élargie dans l’éducation des enfants. Dans une étude de cas d’une famille portoricaine, Volk (1998) montre ainsi que les frères et soeurs plus âgés jouent un rôle central dans le développement de la littératie des plus jeunes. L’un des résultats importants qui se dégage des recherches est que les relations que les parents et les enfants entretiennent avec l’écrit ont des effets réciproques.
Différents facteurs peuvent influencer l’efficacité de la lecture de livres aux enfants. Ainsi les parents qui pensent que leurs enfants sont intéressés par l’écrit sont davantage susceptibles de stimuler leur intérêt en leur proposant une variété d’activités que les parents qui n’ont pas cette perception. Les perceptions des parents sont toutefois liées à leur perception globale des capacités de leurs enfants. Certains parents attendent qu’ils leur en fassent la demande pour leur lire un livre alors que d’autres vont au devant de leur intérêt et leur proposent de leur lire des histoires sans attendre qu’ils le demandent.
Différentes formules peuvent aussi être exploitées. Taylor et Strickland (1986), par exemple, ont montré que lire en famille suscite des sentiments positifs par rapport aux livres et à la littératie. La langue utilisée pour lire et pour raconter l’histoire est aussi importante. Il apparaît important notamment que les parents allophones lisent à leurs enfants dans leur langue maternelle. Dans une recherche avec des enfants coréens, Lim (1999) note des progrès importants dans le développement du langage oral des enfants après avoir entraîné des parents qui étaient bilingues à commenter les livres qu’ils lisaient à leurs enfants en coréen. Dans une étude de cas avec des enfants mexicains, Manyak (1998) observe, pour sa part, que les échanges entre une mère et sa fille de cinq ans sont plus nombreux et plus vivants lorsque la mère lit des livres reliés à leurs expériences de vie et lorsqu’elle les lit en espagnol.
Aux États-Unis, certaines communautés hispanophones ont mis sur pied des programmes de lecture de livres, le samedi, pour encourager les jeunes enfants à lire en espagnol. Ces programmes reçoivent le soutien des universités locales et des ambassades latino-américaines (bolivienne, mexicaine) (Osterling, Viola-Sanchez et Von Vacano, 1999). Ces organismes aident en même temps les parents à apprendre l’anglais, fournissent des livres en espagnol aux familles et font la promotion du bilinguisme et de la bilittératie comme facteurs d’amélioration des conditions sociales des familles. Les parents qui parlent peu l’anglais peuvent malgré tout utiliser la lecture de livres pour initier leurs enfants au langage de l’école comme le montre Afkir (2002) auprès de mères marocaines qui lisent en français, et Vedder, Kook et Muysken (1996) auprès de parents antillais qui lisent en néerlandais.
Les parents qui apprennent à leurs enfants que la littératie est source de plaisir stimulent leur motivation à faire les efforts nécessaires pour apprendre à lire même s’ils éprouvent des difficultés durant les premières années d’apprentissage. Ces parents sont généralement plus conscients de l’importance de jouer ce rôle, comme le montrent Baker et al. (1995). Elles notent ainsi dans leurs observations que les descriptions que les parents donnent des comportements que leurs enfants manifestent durant les activités traduisent le plaisir qu’éprouvent ces derniers, mais aussi la conscience qu’ils ont eux-mêmes de l’importance de ces comportements.
Le rôle des éducatrices du préscolaire
En dehors de la famille, les centres de la petite enfance et les garderies sont des milieux privilégiés pour faire vivre aux enfants d’âge préscolaire des expériences avec l’écrit, d’où l’importance que ces milieux soient conscients des conditions qui sont les plus susceptibles de faciliter l’apprentissage de la littératie par les enfants allophones. La première de ces conditions est que les enfants aient la possibilité de se faire lire des livres dans leur langue maternelle. Garcia et Godina (1994) ont ainsi montré que les enfants qui ne comprenaient pas bien l’anglais n’écoutaient pas lorsque les livres leur étaient lus en anglais.
Mais la langue n’est pas le seul facteur déterminant. Une étude menée par Ballenger (1999) montre l’importance de tenir compte des rapports différents que les enfants développent avec l’écrit selon leur appartenance culturelle. Elle a ainsi observé que des enfants haïtiens réagissaient différemment des enfants américains au cours d’activités de lecture, même lorsqu’on leur lisait des livres en créole. Ses observations ont été recueillies dans une maternelle de la région de Boston. L’éducatrice, qui parlait le créole haïtien, s’attendait au départ à ce que les enfants affichent des comportements semblables à ceux des enfants blancs américains. Elle attendait d’eux qu’ils écoutent attentivement et tranquillement, qu’ils témoignent de leur intérêt et qu’ils participent en posant des questions quand ils ne comprenaient pas. Mais ce n’est pas ce qui est arrivé, comme en témoigne cette observation :
Il venait de neiger et l’enseignante lisait une histoire à propos d’une tempête de neige. C’était au tour du groupe de Jérémie de se faire lire une histoire. Les enfants étaient enthousiastes. Ils entrèrent dans l’histoire comme si elle était vraie. Jérémie choisit les enfants avec lesquels il aurait voulu jouer dans la maison de neige illustrée dans le livre. Rubenson dit qu’il voulait apporter un tapis dans la maison de neige. Les enfants s’approprièrent le livre et le changèrent à leur guise. Il était souvent difficile de revenir au texte. Quand on arriva à l’illustration du bonhomme de neige, les enfants sautèrent le plus haut qu’ils pouvaient pour montrer quel gros bonhomme de neige ils allaient faire. En fait, les enfants « jouaient » l’histoire. Quand l’enseignante arriva à une image qui montrait un enfant lançant une balle de neige sur un autre enfant, Rubenson fit semblant de faire la même chose et il frappa Jérémie. Les enfants participaient tellement qu’ils réinventaient l’histoire.
Adaptation des notes ethnographiques prises par Ballenger, 1999
Selon l’auteur, les comportements de ces enfants haïtiens étaient assez différents de ceux qu’auraient manifestés des enfants blancs américains. Les éducatrices qui n’auraient pas été familières avec ces différences culturelles auraient pu mal les interpréter et mal réagir.
Le contenu des livres est aussi important. Pour certains chercheurs, il est clair que les enfants qui ne voient pas de liens entre ce qu’ils vivent à la maison et à l’école sont moins enclins à s’investir à l’école et à faire les efforts nécessaires pour apprendre à lire (Purcell-Gates, 1996 ; Stipek, Feller, Daniels et Milburn, 1995). Dans l’étude de cas de Ballenger (1999) rapportée plus haut, les enfants haïtiens n’ont vraiment commencé à s’intéresser à la lecture qu’après qu’on ait commencé à leur lire des livres qui les intéressaient.
Même si l’importance des activités de littératie est maintenant bien établie, elles n’occupent pas toujours la place qu’elles devraient dans les garderies. Une étude menée par Neuman (1996) montre que les objectifs des garderies américaines se limitent le plus souvent aux besoins de base traditionnellement reconnus comme assurer la sécurité des enfants, les nourrir adéquatement, respecter les règles d’hygiène. Pourtant, bien des enfants auraient besoin de stimulations sur le plan du langage et de la littératie. Dans cette étude, Neuman a formé les éducatrices à appliquer certaines techniques de base comme : a) comment choisir les livres ; b) comment lire des livres à voix haute ; c) comment stimuler le développement des enfants à travers la lecture. L’évaluation de l’intervention a montré que les interactions avec l’écrit ont augmenté après l’intervention. Elles sont passées de cinq heures par semaine à dix heures par semaine. Avant l’intervention, peu de garderies disposaient de coins de lecture ; 93 % en avaient un après l’intervention. Les enfants dont les éducatrices avaient reçu un entraînement manifestèrent par ailleurs un niveau de développement plus élevé de la conscience de l’écrit (Clay, 1979), de la compétence narrative (Purcell-Gates, 1991 ; Purcell-Gates et Dahl, 1991), des concepts de l’écrit (Purcell-Gates, 1996), du nom des lettres (Clay, 1979) que les enfants du groupe contrôle. Un suivi en maternelle a confirmé que les enfants du groupe expérimental avaient maintenu leur avance pour ce qui concerne le nom des lettres (Clay, 1979), la conscience phonologique mesurée par la reconnaissance de rimes et d’allitérations (Maclean, Bryant et Bradley, 1987) et les concepts de l’écrit (Purcell-Gates, 1996).
Activités ludiques
Tout comme la lecture de livres, les jeux peuvent stimuler la motivation des enfants pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Dans son étude, Ballenger (1999) montre ainsi que les activités de jeux offrent ce qu’elle appelle un «curriculum caché», c’est-à-dire des occasions d’apprentissage. Elle note par exemple que les jeux amènent les enfants à réfléchir et à s’exprimer sur leurs relations avec leurs parents ou leurs amis. Mais de façon plus spécifique, les jeux sont souvent l’occasion pour les enfants de jouer avec l’écrit, comme l’illustre cet extrait de ses observations :
Jean et Suzanne jouent ensemble. L’activité consiste à trouver un « S » comme dans Suzanne. Il y a une autre fille dans le groupe dont le nom commence par « S », mais Jean ne l’aime pas particulièrement ; c’est donc Suzanne qu’il va chercher chaque fois pour cette activité. Pour Jean, les activités liées à l’écrit sont associées à l’amitié qu’il éprouve pour Suzanne ; cultiver son amitié avec Suzanne renforce son intérêt pour l’écrit.
Ibid., p. 47
Certaines conditions sont toutefois nécessaires pour que les activités ludiques permettent des apprentissages. La première condition repose évidemment sur les éducateurs qui fournissent des occasions de jeux, que ce soit à travers des sorties éducatives, l’organisation d’un coin d’épicerie ou d’un coin lecture pour stimuler les jeux de rôle et les jeux imaginaires. On sait d’ailleurs que les jeux de rôle favorisent l’apprentissage, notamment en encourageant les enfants à réfléchir sur les situations qu’ils inventent (Galda, 1984 ; Smilansky, 1968 ; Wolf et Heath, 1992). Mais cette condition n’est pas suffisante. La manière d’organiser les situations de jeux est aussi déterminante. On sait, par exemple, que les jeux de rôle peuvent favoriser le développement de l’autorégulation et de la gestion des apprentissages, mais seulement si l’activité est organisée de telle façon que les enfants peuvent faire des choix, exercer un contrôle sur l’activité et relever des défis à leur niveau (Bodrova et Leong, 1996). On sait également qu’il est important que les adultes participent aux jeux avec les enfants en alimentant leurs échanges, en leur fournissant le vocabulaire approprié au moment opportun, en rappelant les règles de jeu pour résoudre des conflits (Neuman et Roskos, 1992).
D’autres facteurs peuvent aussi jouer comme le temps alloué aux activités. Ainsi, Christie, Johnsen et Peckover (1988) ont montré que pour qu’un apprentissage puisse se réaliser durant une activité de jeu, le temps alloué doit atteindre un minimum de 20 à 30 minutes. Il faut également alimenter l’imaginaire des enfants, leur fournir des connaissances qu’ils pourront transposer dans leurs jeux et pour cela, il faut leur lire des livres sur les thèmes qu’ils sont susceptibles d’exploiter dans leurs jeux. Il faut en outre mettre à leur disposition le matériel dont ils pourraient avoir besoin pour écrire, si jamais ils en ont le goût, comme du papier, des marqueurs, des crayons (Morrow et Rand, 1991 ; Neuman et Roskos, 1992 ; Schrader, 1985 ; Vukelich, 1994). Cela ne suffit toujours pas. Il faut surtout que les éducatrices les guident et les aident à utiliser le matériel qui est mis à leur disposition (Bodrova et Leong, 1996). Ainsi, Vukelich (1994) a comparé des enfants qui jouaient dans un environnement écrit riche avec et sans le soutien d’un adulte. Les post-tests ont montré que les enfants qui avaient reçu de l’aide reconnaissaient davantage les écrits qui faisaient partie de l’environnement lorsque les mots leur étaient présentés hors contexte dans une liste de mots. Nous verrons plus loin que les activités ludiques favorisent également le développement de la capacité à raconter des histoires qui est un autre préalable important pour l’apprentissage de la lecture.
En résumé, pour motiver les enfants à développer le désir de lire, les parents et les éducatrices doivent passer du temps à discuter avec eux, leur lire des livres, leur fournir du matériel pour écrire, leur apporter du soutien pour intégrer l’écrit dans leurs jeux de rôle, être un modèle dans l’utilisation de l’écrit et créer un environnement stimulant dans lequel les activités avec l’écrit sont source de plaisir.
Expériences de langage oral
Les relations entre le langage oral et la lecture sont étroites. Plus le langage oral des enfants est développé avant d’entrer à l’école et mieux ils sont préparés pour l’apprentissage de la lecture (Snow et al., 1998). Ainsi, la capacité pour les enfants à utiliser les correspondances graphèmes-phonèmes pour reconnaître les mots est liée à la conscience phonologique. Or, la phonologie est un sous-système du langage oral. La conscience phonologique commence à se développer vers l’âge de trois ans et s’accroît à travers les jeux de langage : les chansons pour enfants, les comptines, les rimettes, les histoires. Mais elle est aussi influencée par l’accroissement du vocabulaire qui, lui-même, est influencé par ce type d’expériences langagières (Tabors, Beals et Weizman, 2001 ; Weizman et Snow, 2001). Le développement de la conscience phonologique peut en outre être activé par un enseignement systématique (Blachman, 1991 ; Byrne et Fielding-Barnsley, 1989) et il semble qu’il soit influencé par l’apprentissage d’une langue seconde (Bialystok et Herman, 1999). Mais une fois que les enfants maîtrisent les mécanismes de reconnaissance des mots, l’habileté en lecture dépend alors de la richesse du vocabulaire et du niveau de compréhension orale.
Le vocabulaire, les expériences langagières et les connaissances sur le monde sont acquis à travers les conversations que les enfants ont avec des adultes qui sont attentifs à leurs interrogations. Parler d’un livre, lire un livre ensemble, jouer ensemble sont autant d’activités partagées qui favorisent le développement du vocabulaire et de la compréhension orale. Pour que les expériences de lecture de livres favorisent le développement du langage oral, il faut, toutefois, que les enfants participent activement, qu’ils comprennent l’histoire qui leur est racontée et que le texte offre un vocabulaire riche incluant un nombre significatif de mots nouveaux. Des études sur le développement du langage montrent, par ailleurs, que l’influence des relations adulte-enfant est réciproque : les enfants influencent la façon dont les adultes se comportent avec eux et les adultes influencent la façon dont les enfants tirent parti des expériences qu’ils leur permettent de vivre (Lewis et Feinman, 1991). Des expériences ont été réalisées dans le but d’entraîner les parents à lire des livres de façon efficace. Les programmes qui ont eu un impact positif montraient aux parents à retenir l’attention des enfants, à poser des questions, à interagir en faisant des commentaires qui aident à la compréhension et en donnant des rétroactions aux enfants (Edwards, 1995 ; Whitehurst, Arnold, Epstein et Angell, 1994).
Les conversations durant les repas et dans d’autres situations informelles sont également des occasions de stimuler le développement du langage des enfants. Comme plusieurs recherches l’ont montré, le fait que les parents, les frères, les soeurs racontent leur journée autour d’un repas a une influence significative sur le développement du langage oral et des habiletés de communication des plus jeunes (Beals et Snow, 1994 ; Beals et Tabors, 1995 ; Blum-Kulka, 1993 ; Snow et Tabors, 1993). Chanter, réciter des comptines, raconter des histoires sont aussi des expériences enrichissantes sur le plan du développement du langage oral (Baker et al., 1995 ; Heath, 1983). Le tableau 1 présente les données sur les fréquences des activités de ce type dans les classes de maternelle, recueillies dans l’étude longitudinale sur les enfants d’âge préscolaire citée plus haut (Early childhood longitudinal study, 1999).
Les activités ludiques, réalisées à la maison ou en garderie, offrent d’autres contextes privilégiés pour stimuler le développement du langage oral. Au cours de ces activités, les enfants doivent avoir recours à des formes nouvelles de langage qu’ils n’utilisent pas nécessairement dans les activités quotidiennes pour planifier, négocier, inventer ou réaliser les scénarios qu’ils veulent mettre en scène (Crenshaw, 1985 ; Levy, Wolfgang et Koorland, 1992). Elles sont également des occasions de mettre en valeur les habiletés narratives qui sont importantes pour le développement de la compréhension (Gentile et Hoot, 1983). Inventer des histoires requiert des habiletés cognitives différentes de celles qui sont sollicitées dans la communication orale où la signification est portée par le contexte extralinguistique. Construire une histoire suppose d’activer les connaissances dans la mémoire, d’organiser chronologiquement les informations, de construire la cohérence entre les énoncés. Tous ces processus sont préalables à l’apprentissage du langage scolaire qui est plus explicite et plus décontextualisé que le langage du quotidien.
Toute une série de recherches ont montré par ailleurs l’influence déterminante des éducatrices de garderie sur le développement du langage oral des enfants. Certaines (Phillips, McCartney et Scarr, 1987 ; Whitehurst et al., 1994) ont montré que le niveau de développement du langage oral est influencé par la qualité des échanges verbaux qui ont lieu dans les garderies et dans les maternelles et par le nombre des interactions adulte-enfant (Phillips, McCartney et Scarr, 1987 ; Whitehurst et al., 1994). Des corrélations positives ont, par ailleurs, été identifiées entre le nombre d’occasions que les enfants avaient de participer à des conversations cognitivement stimulantes et la richesse du vocabulaire des éducatrices (Dickinson, Cote et Smith, 1993). De façon plus spécifique, Smith et Dickinson (1994) ont aussi montré des corrélations positives entre le temps consacré à des interactions verbales avec les enfants et le nombre d’interactions jugées cognitivement stimulantes. Ils ont également montré que la qualité des échanges durant la lecture de livres était corrélée significativement avec le niveau du langage oral et le niveau de littératie atteints en maternelle (Dickinson et Smith, 1994). Si l’on tient compte de ces résultats, il est troublant de constater, comme le montrent d’autres recherches (Bryant, Peisner-Feinberg, et Clifford, 1993 ; Kontos et Wilcox-Herzog, 1997 ; Layzer, 1993), que dans certains milieux de garde, les enfants reçoivent peu d’attention et ont peu d’occasions d’interagir individuellement avec un adulte.
Les enfants allophones, particulièrement ceux qui fréquentent des garderies en milieu majoritaire font face à des défis particuliers (Dickinson et Howard, 1997). Alors qu’ils apprennent la langue majoritaire, ils risquent de perdre leur langue maternelle ou de stagner au niveau où ils sont lorsqu’ils entrent en garderie (Barratt- Pugh et Rohl, 2001 ; Fillmore, 1991 ; Verhoeven et Boeschoten, 1986). L’apprentissage d’une langue seconde ne doit pas se faire au détriment de la langue maternelle, sans quoi les jeunes enfants perdent le bénéfice que représente le fait d’apprendre une langue seconde qui permet d’étendre ses capacités langagières en combinant l’expertise dans les deux langues. Il est évident qu’apprendre l’anglais est crucial pour vivre aux États-Unis. Toutefois, pour les enfants d’âge préscolaire, l’avantage ne se fait sentir que si les enfants préservent leur langue maternelle (L1) tout en apprenant la langue seconde (L2). Les programmes d’éducation bilingue, s’ils sont de qualité, peuvent offrir des possibilités de vivre des expériences dans les langues maternelles en même temps qu’ils permettent l’apprentissage de la langue seconde (Winsler, Diaz, Espinosa et Rodriguez, 1999 ; Yaden, Tam, Madrigal, Brassell, Massa, Altamiro et Armendariz, 2000). Pour préserver la langue maternelle, il faut que les enfants d’âge préscolaire aient la possibilité de vivre suffisamment d’expériences, et des expériences suffisamment riches et stimulantes, dans leur langue maternelle (Pearson, 2002 ; Pearson et Fernández, 1994 ; Pearson, Fernández, Lewedeg et Oller, 1997).
En résumé, le langage oral et l’apprentissage de la lecture ont beaucoup en commun. L’habileté des enfants à reconnaître les mots en se servant des correspondances graphèmes-phonèmes est liée à leur niveau de conscience phonologique qui, à son tour, est lié au niveau de vocabulaire des enfants. Le vocabulaire, les habiletés de compréhension et de production de discours, ainsi que les connaissances sur le monde s’acquièrent à travers les interactions que les enfants vivent avec leurs éducateurs et leurs pairs, que ce soit à travers la lecture de livres, les récits oraux, les chansons, les comptines ou les jeux de rôle.
L’éveil à l’écrit
Expériences fonctionnelles d’apprentissage
Si les activités décrites antérieurement stimulent la motivation à apprendre à lire et le développement des habiletés langagières, elles favorisent également l’apprentissage des connaissances reliées à l’écrit comme les structures et les concepts de l’écrit et les lettres de l’alphabet (Snow et Tabors, 1993). Les adultes expliquent aux enfants les fonctions que l’écrit exercent dans la vie quotidienne, ce qui contribue à rendre l’apprentissage de l’écrit significatif. Les enfants apprennent donc que l’écrit transmet des informations (D’où vient le lait que je bois chaque matin et comment il est produit ? Quel chemin prendre pour aller chez un ami ? Comment faire mon gâteau préféré ?). Ils apprennent également que l’écrit peut nous aider à résoudre des problèmes, par exemple, les instructions qui décrivent comment monter un lego. Ils apprennent aussi qu’on ne peut pas lire n’importe comment, mais que les caractères écrits dictent aux lecteurs la façon de lire oralement (Ballenger, 1999). À travers la lecture de certains livres, ils réalisent que l’écrit est une source de plaisir et de réconfort. Écrire des messages fait, par ailleurs, souvent partie de leurs jeux. Les expériences d’écriture leur apprennent à distinguer entre l’écrit et les dessins. Leurs gribouillis deviennent peu à peu plus significatifs et ressemblent de plus en plus à de vraies lettres au fur et à mesure qu’ils tentent d’imiter les adultes, à leur plus grand plaisir.
On l’a vu, les activités ludiques offrent des contextes riches pour l’apprentissage de l’écrit si elles mettent à la disposition des enfants des livres et du matériel écrit qui favorisent les interactions avec les adultes. À travers ces activités et les activités de la vie quotidienne, les adultes attirent l’attention des enfants sur les lettres de l’alphabet (Burgess, 1982), la fonction symbolique qu’elles exercent, les caractéristiques qui les distinguent du langage oral (Feitelson et Goldstein, 1986). La possibilité d’utiliser des lettres magnétiques pour écrire des messages sur le réfrigérateur, du papier et des crayons pour faire des listes de magasinage ou pour écrire des mémos, des journaux et des livres qu’on peut feuilleter avec l’aide des adultes qui attirent l’attention sur certaines caractéristiques de l’écrit sont autant d’activités qui favorisent le développement de la conscience de l’écrit (Goodman, 1986).
Exposer les enfants à l’écrit est la première condition du développement de la littératie au niveau préscolaire. Pourtant, l’étude de Neuman (1996) a montré des différences importantes quant à la quantité et à la diversité du matériel qui se trouve dans les garderies. Or, comme l’avait déjà montré Heath (1983), les enfants n’ont pas tous les mêmes chances d’être exposés à l’écrit dans leur milieu familial, particulièrement dans les milieux défavorisés. Les données récentes du National Center for Education Statistics (NCES) (1995), reproduites dans le tableau 2, montrent que le nombre de livres qu’on retrouve dans les familles diffère selon le milieu socioécononmique, l’origine ethnique et la langue parlée à la maison. Le contraste est particulièrement important quand on compare les familles allophones (10 % ont plus de 50 livres à la maison) aux familles anglophones (51 % ont plus de 50 livres à la maison) (NCES, 1995). Malheureusement, ces données ne révèlent rien sur la langue des livres des familles allophones. On pourrait penser que le manque de livres dans la langue maternelle décourage les enfants à apprendre à lire.
Par comparaison, une étude menée en 1994 à Singapour (où l’on reconnaît quatre langues officielles avec l’anglais et le chinois comme langues dominantes) indiquait que la plupart des familles chinoises possédaient à la fois des livres en anglais et en chinois (Chang, 1994).
Les premiers apprentissages
Qu’est-ce que les enfants apprennent de leurs expériences avec l’écrit ? On a déjà montré qu’ils apprennent les fonctions de l’écrit, mais ils apprennent également à quoi servent les traces écrites sur le papier et comment les reconnaître. Les enfants d’âge préscolaire peuvent reconnaître des lettres de l’alphabet, particulièrement celles qui font partie de leur nom et de mots qu’ils rencontrent fréquemment. La plupart des enfants apprennent le nom des lettres à travers des chansons ou des comptines. Vers l’âge de trois ou quatre ans, ils commencent à faire le lien entre le nom des lettres et leurs formes. S’ils reçoivent du soutien, ils peuvent commencer à identifier des mots par la première lettre du mot. Les adultes oublient souvent que les enfants doivent aussi apprendre les conventions de l’écrit comme le fait qu’il faut laisser des espaces blancs entre les mots ou qu’en anglais, on lit de gauche à droite et de haut en bas, que la ponctuation marque la fin d’une phrase et le début d’une autre (Clay, 1975).
Les enfants apprennent également assez jeunes que les marques sur la page traduisent des significations. Ils commencent par traiter l’écrit comme n’importe quel objet visuel avant d’en comprendre la fonction symbolique, c’est-à-dire le fait qu’un mot puisse servir à représenter un objet (Marzolf et Deloache, 1994). Apprendre que l’alphabet est un système symbolique de représentation des sons s’inscrit dans ce développement. La pensée symbolique commence à se développer durant la première année de la vie. À trois ans, à peu près tous les enfants savent que les arches dorées qu’ils voient en façade de certains restaurants font référence aux restaurants McDonald. Mais le fait que les enfants reconnaissent des symboles en contexte ne signifie pas qu’ils les reconnaîtront dans n’importe quel contexte. L’enfant doit également apprendre que l’écrit traduit des significations qui sont indépendantes du contexte, ce qui le différencie des illustrations ou des dessins. Pour cela, il doit apprendre que les mots sont constitués de lettres qui, elles, renvoient à des sons (Ehri, 1991).
Dans une série d’expériences, Bialystok (1991) a étudié la transition entre l’étape où les enfants traitent les mots comme objets et celle où ils deviennent des entités symboliques. Dans ces études, elle utilisait une tâche appelée moving word dans laquelle elle présentait des images aux enfants avec des étiquettes-mots correspondant aux objets décrits sur les images. Le but de ces études était de trouver à partir de quel âge les enfants comprendraient qu’une étiquette-mot ne change pas d’identité même si on la bouge pour la faire correspondre à une autre image. En fait, beaucoup d’enfants pensent d’abord que l’étiquette-mot change d’identité, parce qu’on la lit différemment, selon l’image à laquelle elle est associée. Ce qui correspond à leur expérience puisqu’en général, les mots désignent les objets auxquels ils sont associés. Bialystok est partie de l’hypothèse selon laquelle les enfants qui ont vécu l’expérience de deux systèmes d’écriture seraient supérieurs dans ce type de tâche. Effectivement, les enfants bilingues se sont comportés comme des lecteurs accomplis, contrairement aux enfants monolingues. Elle en conclut que l’expérience d’avoir à reconnaître un même mot dans des systèmes d’écriture différents favorise une prise de conscience plus précoce de la fonction symbolique de l’écrit.
Mais prendre conscience de la fonction symbolique de l’écrit ne permet pas automatiquement aux enfants de comprendre comment les mots représentent la réalité, à savoir que les lettres qui constituent les mots correspondent à des sons en respectant des règles précises (Ehri, 1991). Dans une étude menée à Buenos Aires, au milieu des années 1970, Ferreiro et Teberosky (1982) sont parties de l’hypothèse que les jeunes enfants, y compris ceux qui connaissaient le nom des lettres, ne comprenaient pas comment les mots étaient composés et se référaient à une représentation symbolique des mots pour activer leur signification. Un exemple de ce type de comportement est illustré par les enfants qui écrivent en plus grosses lettres pour représenter des objets plus grands ou qui écrivent plus de caractères pour représenter des objets plus longs.
Dans la suite de ses études, Bialystok (1997) a évalué la connaissance des fonctions des lettres dans les mots. Dans une tâche appelée word size task, les enfants devaient compléter des mots qui variaient selon la relation entre la grandeur et la grosseur des objets et la longueur des mots. Les enfants monolingues ont commis des erreurs du même type que celles identifiées par Ferreiro et Teberovsky (1982) ; les enfants bilingues qui ne connaissaient qu’un système d’écriture ont fait le même genre d’erreurs que les enfants monolingues (anglais-français ; espagnol-français). Les enfants bilingues qui connaissaient des systèmes d’écriture différents (anglais-chinois ; espagnol-hébreu) ont eu des résultats différents. Les enfants de quatre ans se sont conduits comme les enfants monolingues du même âge et quelquefois moins bien. Toutefois, les enfants de cinq ans ont obtenu des résultats nettement supérieurs à tous les autres. L’interprétation de Bialystok est que pour certains enfants, l’expérience avec différents systèmes d’écriture rend plus évidentes les relations entre les lettres et les sons. La compréhension des systèmes d’écriture est donc bien reliée au développement de la conscience de l’écrit et de la conscience phonologique.
En résumé, les expériences que vivent les enfants à la maison et dans les centres d’éducation préscolaire varient beaucoup, que ce soit en termes de quantité de matériel écrit auquel ils sont exposés ou en termes de diversité du matériel écrit. Les enfants qui viennent de milieux allophones ont moins de livres à la maison et le fait que peu d’entre eux aient accès à des livres dans leur langue maternelle est un autre facteur qui joue défavorablement. Même dans le cas des familles bilingues, il est important que les enfants aient accès à des livres dans les deux langues pour soutenir le développement de la littératie dans les deux langues.
Conclusions et implications didactiques
Conditions favorables au développement de la littératie
L’une des conséquences de la mondialisation des activités qui caractérise le XXIe siècle est que, partout à travers le monde, les éducatrices de garderie et de maternelle font face à un nombre croissant d’enfants de cultures et de langues différentes et dont la langue d’éducation n’est pas leur langue maternelle. La situation n’est pas propre aux États-Unis. Pour y faire face avant les débuts de l’enseignement systématique de la lecture et de l’écriture, il importe que tous les enfants aient les mêmes chances d’acquérir les préalables à l’apprentissage de l’écrit, c’est-à-dire a) le même niveau de conscience de l’écrit ; b) le même niveau de connaissance des lettres de l’alphabet ; c) la capacité de reconnaître des logos et des mots familiers de leur environnement ; d) le même niveau de développement de la conscience phonologique ; e) le même niveau de motivation à utiliser et à apprendre l’écrit.
Malheureusement, les attitudes et les croyances des éducatrices de garderie et de maternelle ont peu évolué. L’expérience montre qu’elles choisissent encore d’adopter des approches informelles plutôt que d’intervenir de façon plus systématique et plus explicite (Brodeur, Deaudelin, Bournot-Trites, Siegel et Dubé, dans ce numéro). Ce type de position va à l’encontre de l’état de la recherche qui montre qu’il ne suffit pas de créer un environnement riche en écrit, de donner la possibilité aux enfants de vivre des expériences avec l’écrit, ou de lire des histoires. L’enseignement des lettres, des sons et de leurs correspondances a des effets plus significatifs sur l’apprentissage en première et en deuxième année du primaire, mais aussi au préscolaire, s’il est systématique et explicite que s’il se fait de façon informelle (Snow et al., 1998).
Situation particulière des enfants allophones
Pour ce qui est des enfants allophones, il est important d’assurer que l’organisation des services préscolaires favorise l’apprentissage de la littératie dans les deux langues, ce qui n’est pas le cas dans les différents types de formules qui existent aux États-Unis, dont nous faisons maintenant une brève présentation.
Les classes d’immersion
L’immersion signifie simplement que les enfants apprennent tout en anglais. Le cas extrême de cette formule est appelé « flotte ou coule ». Toutefois, les enseignants qui pratiquent dans les programmes d’immersion s’efforcent d’adapter leur langage à celui des enfants pour faciliter la compréhension et l’apprentissage de l’anglais en même temps que des connaissances qui définissent le curriculum commun à toutes les maternelles. Quelquefois, les enfants sont transférés dans des programmes d’anglais langue seconde dans lesquels le but premier est l’apprentissage de l’anglais. Les objectifs de ce type de programme ne visent que l’apprentissage de l’anglais sans considérer l’apprentissage de la langue maternelle.
L’éducation bilingue
Dans les programmes d’éducation bilingue, les interactions qui ont lieu dans la classe se partagent entre l’anglais et les langues maternelles. Dans ces programmes, il y a au moins une enseignante qui parle la langue des enfants. Ces classes peuvent adopter diverses formules : transition, soutien à la langue maternelle ou programme bilingue bimodal. Les objectifs peuvent varier entre assurer la transition à l’anglais le plus rapidement possible, maintenir et soutenir le développement de la langue maternelle tout en soutenant l’apprentissage de l’anglais ou promouvoir l’apprentissage d’une langue seconde à la fois pour les anglophones et les allophones.
L’éducation dans la langue maternelle
Dans ce type de programme, tous les échanges ont lieu dans la langue maternelle de l’enfant. L’éducatrice doit donc maîtriser cette langue. Les objectifs visent le développement et le soutien à l’apprentissage de la langue maternelle sans exposition systématique à l’anglais (Tabors, 1997).
La meilleure formule pour les jeunes enfants
Les caractéristiques fondamentales
La meilleure formule dépend d’un certain nombre de facteurs incluant l’âge des enfants, leur motivation à apprendre l’anglais, leurs expériences antérieures avec l’anglais, le soutien linguistique qu’ils reçoivent à la maison, et leurs traits de personnalité (Tabors, 1997). Cependant, les recherches tendent à montrer que les programmes destinés aux enfants de milieux minoritaires sont d’autant plus efficaces qu’ils soutiennent l’apprentissage de la langue maternelle. Les relations entre le niveau de développement de la langue maternelle et la réussite des apprentissages scolaires ont été assez bien étudiées (August et Garcia, 1988 ; Galambos et Hakuta, 1988 ; Hakuta, 1986). On ignore toutefois si, en mettant l’accent sur la langue maternelle à l’oral, on prévient les difficultés d’apprentissage chez les enfants qui reçoivent peu de stimulation à l’écrit dans leur langue maternelle. Par contre, on sait qu’il est aussi important pour les enfants qui apprennent à lire dans une autre langue qu’ils acquièrent une solide base en communication orale en anglais avant d’amorcer l’apprentissage formel de l’écrit (Snow, Burns et Griffin, 1998). Il est donc important de tenir compte des formules d’éducation que les enfants reçoivent en garderie et en maternelle pour définir les modèles didactiques les plus appropriés en première année.
L’objectif à long terme des parents et des éducatrices est d’aider les enfants à préserver leur langue maternelle en même temps qu’ils acquièrent une maîtrise de plus en plus grande de l’anglais oral et écrit et non pas que l’anglais remplace leur langue maternelle. Un des problèmes toutefois, comme l’ont montré Cummins (1986, 1984) et Ogbu (1978) est que les enfants et les familles qui proviennent de milieux culturels et linguistiques différents font face à de la discrimination qui les amène souvent à rejeter leur propre culture. Or, Garcia (1991) a mis en évidence l’importance de soutenir l’héritage culturel des enfants. L’identité culturelle et linguistique favorise le développement du concept de soi et du sentiment d’appartenance familial qui, à leur tour, renforcent un ensemble d’habiletés d’apprentissage dont les habiletés reliées à l’apprentissage d’une langue seconde. Bowman et Scott (1994) vont plus loin en montrant que les facteurs culturels jouent un rôle important dans la détermination de ce que les enfants vont apprendre et de la façon dont ils vont l’apprendre (Rogoff, Gauvain et Ellis, 1984). Ce sentiment d’identité interagit avec l’âge et le niveau de développement, les caractéristiques personnelles et l’expérience.
L’apprentissage de la langue maternelle
La langue maternelle des enfants peut être soutenue par les enseignantes tout au long de la journée à travers les différentes activités. Les éducatrices doivent en plus fournir aux enfants un soutien à long terme pour les aider à acquérir les habiletés de littératie de base. Même quand l’éducatrice ne parle pas la langue des enfants, elle peut utiliser différentes stratégies pour soutenir leur développement dans la langue maternelle :
faire appel à des aides bilingues (assistants pédagogiques, parents volontaires, enfants plus âgés qui parlent la langue maternelle) ;
introduire la langue maternelle dans certaines activités, que ce soit à travers des chansons, des comptines, des récits enregistrés ;
ajouter du matériel écrit dans la langue maternelle comme des étiquettes-mots, des livres dans le coin lecture, des objets étiquetés ;
encourager les parents et les autres membres de la famille à continuer à utiliser la langue maternelle à la maison et les sensibiliser à l’importance d’introduire des activités d’éveil à l’écrit ;
lorsque les parents possèdent des livres dans la langue maternelle, les leur emprunter et les inviter à participer à des activités dans la classe ;
apprendre quelques mots dans la langue des enfants et les utiliser de temps à autre pour manifester son respect pour la langue et la culture des enfants.
Malheureusement, il n’existe pas encore de recherches qui aient évalué l’efficacité de ces stratégies.
L’apprentissage de l’anglais
Des chercheurs ont identifié certaines conditions de base pour faire apprendre l’anglais à des enfants de minorités ethniques (Carey, 1997 ; Cazden, 1986 ; Garcia, 1993 ; Tabors, 1997). On peut résumer leurs conclusions en neuf points.
Organiser des activités qui font appel à l’apprentissage coopératif et qui favorisent les interactions dans des petits groupes, de manière à ce que les enfants aient le plus d’occasions possibles d’être engagés dans des conversations informelles avec des interlocuteurs anglophones. Le fonctionnement en petits groupes offre de meilleures possibilités d’apprendre la langue seconde que le fonctionnement en grand groupe parce que ce sont des situations moins menaçantes et plus propices au développement de relations amicales entre enfants (Johns, 1992).
Faire en sorte que certaines de ces activités deviennent routinières pour que les enfants puissent prévoir ce qui va se dire et associer certaines formules langagières à des contextes spécifiques.
Permettre aux enfants de mettre en pratique ce qui leur est enseigné de façon plus formelle en favorisant leur participation active durant les activités, comme tourner les pages du livre pendant une situation de lecture, raconter une partie de l’histoire en s’aidant des illustrations, rappeler la séquence des événements dans l’histoire ou le nom des personnages.
Favoriser la participation volontaire des enfants au lieu de faire lire en choeur ou à tour de rôle.
Favoriser l’intégration des nouveaux arrivants en mêlant les allophones aux anglophones dans la constitution des groupes.
Inciter les enfants anglophones à agir comme ressources auprès de leurs petits camarades en leur faisant prendre conscience de l’aide qu’ils peuvent leur apporter (Hirschler, 1991).
Mettre en place des situations où les enfants dictent à l’enseignante des événements qui leur sont arrivés.
S’assurer de toujours contextualiser l’enseignement de telle sorte que les enfants puissent s’appuyer sur des éléments de contexte pour comprendre ce qui est dit, comme des illustrations, des gestes, des objets (Carey, 1997 ; Tabors, 1997).
Adapter sa façon de parler pour se faire comprendre ; reformuler ce qu’on dit ; le dire de différentes façons.
Certaines techniques de communication favorisent davantage l’apprentissage comme la répétition, l’introduction de commentaires explicatifs dans le fil du discours, les conversations en contexte. Selon Tabors (1997), toutes les éducatrices de garderie devraient connaître ces techniques. Elles devraient aussi apprendre à ajuster leur débit, à faire des pauses entre les phrases, à utiliser des phrases simples avec des références concrètes, à faire des gestes et des expressions faciales en parlant (Carey, 1997).
L’intégration de la dimension culturelle dans le curriculum
Généralement, les éducatrices du préscolaire cherchent à connaître leurs enfants, leurs antécédents, leurs besoins, leurs habiletés. Elles cherchent à obtenir des informations auprès des parents sur leur milieu familial, leurs connaissances antérieures. À quel âge ont-ils commencé à parler, à apprendre à lire, à compter ? C’est particulièrement important lorsque les enfants viennent de milieux culturels différents. Comprendre les antécédents culturels des enfants permet de mieux interpréter leurs comportements, d’éviter les stéréotypes culturels et d’ajuster ses attentes en conséquence (Tabors, 1997). Par ailleurs, les éducatrices qui sont sensibles aux différences culturelles intègrent les valeurs, les croyances, l’histoire et les expériences des enfants dans leur curriculum qui est fondé sur le respect mutuel et la confiance (Garcia, 1993). Un tel curriculum offre aux enfants allophones les meilleures conditions de développement du langage oral et d’éveil à l’écrit qui sont les clés du succès de l’apprentissage de la lecture.
Appendices
Notes
-
[1]
Article traduit par Régine Pierre, rédactrice invitée pour ce numéro thématique, professeure titulaire, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal.
-
[2]
Note de la traductrice. La version originale anglaise utilise délibérément l’expression early literacy plutôt qu’emergent literacy que l’on connaît davantage au Québec. Cette expression qui a été introduite par Marie Clay s’inscrit dans les modèles des années 1970 qui supposaient à l’instar de Smith et de Goodman que l’apprentissage de la lecture est un apprentissage naturel qui émerge spontanément au contact de l’écrit. Pour Burns, Espinosa et Snow, cette conception ne tient pas compte de l’influence déterminante de l’environnement et du rôle fondamental que les adultes jouent dans les débuts de l’apprentissage de l’écrit. La traduction par littératie que nous avons introduite au début des années 1980 a longtemps été considérée comme fautive. Elle est maintenant adoptée par des organismes comme l’OCDE, l’Unesco et Statistiques Canada et par de plus en plus de chercheurs dans les pays francophones (Pierre, dans ce numéro, p. 3-35).
-
[3]
Note de la traductrice. Head Start est un programme national d’éducation préscolaire qui a été mis sur pied en 1967 pour compenser les retards des enfants de milieux défavorisés. L’équivalent au Québec est le programme Opération Renouveau lancé en 1970 par la CÉCM, aujourd’hui CSDM (Commission scolaire de Montréal).
-
[4]
Note de la traductrice. Le concept de langage décontextualisé (Olson, 1977) fait référence à la capacité d’utiliser un langage explicite hors contexte qui représente un niveau de développement plus avancé. Un exemple est la capacité de raconter un événement qui nous est arrivé à quelqu’un qui n’était pas là au moment de l’événement. Les enfants qui n’ont pas atteint ce niveau de développement ne tiendront pas compte du fait que leur interlocuteur n’a pas toutes les informations préalables pour comprendre ce qu’ils racontent. Ce concept marque l’une des différences fondamentales entre le langage oral et le langage écrit. Des recherches menées notamment par Snow (1993a et b) et par Pierre (Pierre, Bourcier, Hudon et Noreau, 1990) ont montré par la suite que le développement de la littératie chez les enfants d’âge préscolaire favorise le développement du langage décontextualisé.
-
[5]
Note de la traductrice. Le concept de préalables est contesté au Québec, mais cela est lié au mythe de l’apprentissage naturel (voir note 2).
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