Article body

Introduction

L’étude des représentations sociales a permis d’éclairer de nombreux aspects de la vie en société (Moscovici, 1994). C’est ainsi que l’école a pu être étudiée comme un lieu privilégié où la connaissance des représentations sociales des acteurs permet de mieux comprendre le fonctionnement de l’institution[1]. Pourtant, la théorie des représentations sociales est souvent restée « à la porte de la classe », malgré les travaux de pionniers comme J.M. Albertini, A. Silem et P. Vergès sur des questions économiques et sociales (Grize, Vergès et Silem, 1987 ; Albertini, 1992 ; Albertini et Cicille, 1997 ; Vergès, 1992 ; Vergès, Albertini et Legardez, 1995). Le développement de travaux en didactique des enseignements économiques permet désormais de poser la question, sur les plans théorique et pratique, d’une utilisation pertinente des méthodes et des résultats issus de la théorie des représentations sociales dans les didactiques de ces enseignements (Triby, 1992 ; Beitone et Legardez, 1997 ; Legardez, 2001, 2002 ; Simonneaux, 2004). Précisons encore que nous nous inscrivons dans une perspective de prise en compte des représentations en didactique des disciplines[2] (Johsua et Dupin, 1993 ; Astolfi, 1996 ; Garnier et Rouquette, 2000).

La question qui nous intéresse est bien celle des conditions d’utilisation des méthodes et résultats issus de la théorie des représentations sociales dans des contextes didactiques, donc de relations entre enseignant et élèves à propos d’objets d’apprentissage scolaire, ici issus du domaine des disciplines économiques.

C’est en nous appuyant sur la théorie structurale des représentations sociales (Abric, 1994 ; Flament, 1994a, 1994b ; Guimelli, 1994 ; Vergès, 1994a, 1994b, 1995)[3] que nous proposons de discuter la question de l’existence d’éléments de représentations sociales dans les savoirs préalables à des situations didactiques portant sur des objets d’enseignement en économie, dans des « systèmes de représentations-connaissances » (Beitone et Legardez, 1995). Nous étudierons ensuite la question des conditions de l’apprentissage, de la transformation de connaissances sociales en connaissances scolaires. Nous faisons l’hypothèse complémentaire que ces enseignements économiques portent sur des « questions socialement vives » (Legardez, 2003a) qui posent des problèmes didactiques partiellement spécifiques[4], notamment celui de l’existence probable d’éléments de représentations sociales dans les savoirs préalables et de leur persistance au-delà du processus d’apprentissage.

Les systèmes de représentations-connaissances en contexte scolaire

Notre problématique est didactique ; elle est donc centrée sur les rapports aux savoirs dans des situations d’enseignement et d’apprentissage. Concernant le champ des objets d’enseignements économiques, cette problématique est en partie spécifique, notamment en ce qu’elle vise un domaine où la plupart des questions enseignées sont « socialement vives ».

Une analyse en termes de savoirs sur des « questions vives »

La gestion des rapports aux savoirs

Notre réflexion s’inscrit dans les rapports aux différents genres de savoirs (Chevallard, 1991). C’est pourquoi nous proposons une grille de lecture des questions liées aux enseignements économiques qui s’appuie sur une problématique en termes de « savoirs » (Legardez, 2001). Nous proposons de distinguer théoriquement trois genres de savoirs. Il s’agit des savoirs de référence, savoirs sociaux et savoirs scolaires :

  1. Les savoirs de référence sont essentiellement des savoirs savants (ou scientifiques) et des pratiques sociales et professionnelles.

  2. Les savoirs sociaux (ou naturels) sont ceux des acteurs de l’école (des élèves et des étudiants, mais aussi des parents et des enseignants) ; ces savoirs, construits hors du système scolaire deviennent des savoirs préalables aux apprentissages lorsqu’ils sont « importés » dans les différents niveaux de ce système.

  3. Enfin, les savoirs scolaires sont construits essentiellement par les enseignants, d’une part en relation avec les deux autres genres de savoirs et d’autre part avec les autres sous-ensembles de savoirs scolaires : savoirs institutionnels de référence (programmes, référentiels, sujets d’examen, etc.), « savoirs intermédiaires » (manuels, revues professionnelles, pédagogiques ou de vulgarisation, etc.). Ils sont ensuite l’enjeu des relations dans la situation didactique en vue de leur apprentissage par les élèves.

La gestion de questions socialement vives

Nous proposons de définir une question économique[5] (doublement) socialement vive comme étant, d’une part, une question que la société qualifie d’« économique », qui a valeur d’enjeu et qui donne lieu à débats, et, d’autre part, une question qui est fortement débattue, principalement dans le champ des sciences économiques (et secondairement dans celui des sciences de gestion, de la sociologie ou des sciences politiques). Il s’agit de la plupart des questions qui sont aux programmes des enseignements secondaires, comme la monnaie, le chômage, les revenus, la consommation, l’entreprise, les marchés, la mondialisation, etc., à l’exclusion des questions les plus techniques et des outils de formalisation (mathématiques et statistiques).

Ces questions sont vives dans la société : elles interpellent les pratiques et/ou les représentations sociales des acteurs scolaires ; elles représentent un enjeu pour la société (globalement ou dans l’une de ses composantes) et suscitent des débats, voire des conflits ; enfin, elles font souvent l’objet d’un traitement médiatique tel que la majorité des acteurs scolaires en ont, même sommairement, connaissance. Sa production sociale dans la société la rend donc « vive » dans un premier sens.

Ces questions sont également vives dans les savoirs de référence : elles donnent lieu à des débats souvent vifs dans les savoirs scientifiques et/ou dans les pratiques sociales de référence et, pour la plupart d’entre elles, plusieurs systèmes explicatifs sont en concurrence. Sa production sociale dans des milieux scientifiques ou professionnels la rend donc « vive » dans un second sens.

Précisons que ces questions sont potentiellement vives et qu’elles peuvent être activées notamment en fonction de l’actualité. Une question doublement socialement vive dans la société et dans les références pourra donc apparaître comme particulièrement vive dans l’école. Le « risque d’enseigner » pourra sembler alors suffisamment fort pour que les enseignants soient amenés à déproblématiser (« refroidir ») la question dans la classe ; elle n’apparaîtra pas alors sous la forme d’une question. De manière analogue, les élèves pourront considérer que le « risque d’apprendre » les pousse à garder à distance des savoirs trop « vifs » pour l’école.

Les représentations sociales de l’économie

Nos travaux intègrent l’analyse des représentations sociales de l’économie qui s’appuie essentiellement sur les travaux de P. Vergès.

Les trois savoirs économiques

Pour Vergès, il existe une pluralité de discours sur le champ de l’économie. La validation des discours et du champ serait alors essentiellement d’ordre social : « Nous désignons par représentations économiques les représentations sociales d’un domaine particulier : celui que la société dénomme économique » (Vergès,1994a, p. 387).

Cette définition peut paraître tautologique ; en fait, elle met l’accent sur la légitimation sociale du champ et, en ce sens, on peut avancer que ces discours sont tous des « représentations sociales ». Il nous semble nécessaire néanmoins de préciser que ce champ n’est pas isomorphe selon le genre de savoir (savoir scientifique, savoir naturel, savoir scolaire) :

  1. Le champ des savoirs scientifiques en économie est défini par la communauté des scientifiques du champ (autolégitimation, classique dans les domaines scientifiques).

  2. Le champ des savoirs naturels[6] en économie a des contours mal définis et évolue au rythme de la société elle-même et de la place occupée par l’économie dans la sphère idéologique et médiatique.

Nous situons donc bien notre réflexion dans la perspective tracée par Vergès (1994a) lorsqu’il précise son positionnement théorique : « Nous nous intéressons au caractère cognitif et collectif des représentations. Ce parti pris théorique est fortement déterminé par notre objet : l’économie. Ce domaine est l’objet de recherches scientifiques voulant avoir une efficacité sociale. Les représentations économiques sont alors une forme de connaissance : un savoir partagé et un champ de significations pour notre société » (Vergès, 1994a, p. 390).

Il nous semble possible d’étendre cette définition aux trois champs de savoirs repérés, puisque nous postulons la coexistence et la concurrence de trois formes de savoirs socialement validés : la « forme scientifique » et la « forme naturelle », auxquelles nous ajoutons la « forme scolaire[7] ».

  1. Le champ des savoirs scolaires en économie est alors une résultante du double travail de transposition didactique (Chevallard, 1991 ; Legardez, 2001) : transposition externe qui, partant des savoirs scientifiques et de la demande sociale, produit des « savoirs à enseigner », puis transposition didactique interne par laquelle l’enseignant élabore ce qu’il considère comme « enseignable » (Chatel, 1995 ; Chatel et al., 2001).

La multiplicité des déterminations des représentations sociales de l’économie

« Une représentation sociale est une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1994, p. 36). La question des déterminants de cette forme de connaissance est cruciale pour s’interroger sur le rôle que pourrait avoir l’école.

Vergès (1994a) distingue trois niveaux de déterminations sociales :

  1. Une matrice culturelle d’interprétation qui comprend elle-même, d’une part, des éléments de culture nationale : par exemple, la représentation globale de l’économie est centrée différemment selon la nationalité des individus (principalement en ce qui a trait à l’État, aux banques ou aux entreprises) ; la stabilité relative de ces centrations est forte (Vergès, Albertini et Legardez, 1995). Elle comprend, d’autre part, des éléments caractéristiques du groupe social d’appartenance : les représentations du rôle de l’État dans l’économie peuvent être différentes en fonction du milieu social des individus (par exemple : professions indépendantes versus salariés aux niveaux inférieurs du cursus scolaire).

  2. Des pratiques sociales : activités professionnelles, monétaires, de consommation, etc. Ces pratiques peuvent être directes (consommation) ou indirectes (activités professionnelles) pour les individus d’âge scolaire.

  3. Les discours qui circulent à un moment donné dans la société. Ces discours sont le fait des médias, des organisations sociales (associations, partis, syndicats, etc.), des personnes influentes (intellectuels et autres) et plus largement de tous les membres de la société ; c’est ce que Vergès (1994a) nomme : le « débat idéologique ». Les discours sur l’économie étant souvent considérés comme des discours d’opinions, le discours de chacun peut avoir autant de poids que celui d’un spécialiste de l’économie dans la société, mais parfois aussi dans l’école[8].

Enfin, les représentations sociales de l’économie sont en perpétuelle évolution sous l’influence de ces mêmes déterminants.

La question des processus de socialisation est essentielle dans une perspective didactique, et ce, pour deux raisons : d’abord parce qu’elle permet d’appréhender le degré de liberté de l’acteur social ; ensuite par la place qu’elle nous semble laisser (en creux) à l’école. Il est ainsi possible de penser l’action de l’école dans la formation des représentations sociales de l’économie. En effet, d’une part, le discours scolaire est bien l’un de ceux qui circulent ; il peut donc avoir une influence sur l’évolution des représentations des acteurs de l’école. D’autre part, la formation scolaire peut avoir un impact sur les représentations des élèves : les pratiques scolaires peuvent être considérées comme des pratiques sociales spécifiques. Mais ces hypothèses ne sont pas partagées par tous les spécialistes des représentations ; il nous faut donc les discuter brièvement.

Représentations sociales et contexte scolaire

En effet, s’il existe bien des représentations sociales de l’économie spécifiques aux savoirs naturels et d’autres aux savoirs scientifiques, il resterait à montrer qu’il peut exister des représentations sociales de l’économie en contexte scolaire, et aussi à s’interroger sur leur nature.

Sur l’existence de représentations sociales en contexte scolaire

Pour cette discussion, nous suivrons P. Moliner (1993 et 1996) qui se réfère aux conditions posées par S. Moscovici pour que l’on puisse parler d’une représentation sociale :

  1. La dispersion de l’information reflète « la difficulté d’accès à l’information qui va favoriser la transmission indirecte des savoirs et donc l’apparition de nombreuses distorsions » (Moliner, 1993, p. 5). Nous pensons que cette condition peut concerner la plupart des objets économiques pour lesquels les élèves disposent d’informations provenant de diverses sources (et notamment des médias).

  2. La focalisation « va empêcher les individus d’avoir une vision globale de l’objet ». (Moliner, 1993, p. 5). On peut considérer que les élèves focalisent leur vision des objets économiques en fonction de leur positionnement social, de leur histoire familiale et individuelle, etc., ainsi que du contexte scolaire.

  3. La pression à l’inférence « se rapporte à la nécessité que les individus ressentent de développer des conduites et des discours cohérents à propos d’un objet qu’ils connaissent mal » (Moliner, 1993, p. 5). La situation didactique constitue bien une pression à l’inférence qui pousse l’élève à compléter au plus vite son savoir sur l’objet économique évoqué. Le processus d’activation de la représentation aboutirait alors à une stabilisation provisoire, par « bricolage » d’éléments issus d’une ou de plusieurs représentations.

Nous postulons alors l’existence d’une troisième configuration pour les représentations sociales : celle de la « configuration scolaire » (groupe centré sur la connaissance de l’objet) qui s’ajouterait à la « configuration structurelle » (groupe formé autour de l’objet) et à la « configuration conjoncturelle » (groupe menacé par l’objet), repérées par Moliner (1993).

La question de l’école comme instance orthodoxe

Nous ne pensons pas que le « degré d’orthodoxie » existant dans le cadre de la situation de classe soit assez fort pour exercer une influence telle sur les élèves qu’elle annihile le processus représentationnel. En quoi l’action d’institutions comme l’école empêcherait-elle les individus d’activer en classe des représentations sociales, particulièrement lorsque sont mises en place les conditions d’une construction individuelle et collective de savoirs scolaires, donc lorsqu’il y a une valeur d’enjeu pour les apprenants ?

Les recherches menées sur les représentations d’objets scolaires en économie (et dans d’autres domaines d’enseignements scolaires) montrent que de telles représentations sociales peuvent être repérées dans de nombreux cas, qu’elles préexistent bien aux apprentissages et qu’elles y subsistent partiellement en économie, par exemple (Legardez et Lebatteux, 2002)[9].

Cette hypothèse n’évacue pas la question de l’influence normative de l’instance de référence (Flament, 1994b), consubstantielle à l’institution scolaire, mais permet de poser les questions des relations entre ces différentes formes de connaissances et des distances que les acteurs de l’École construisent entre ces différents savoirs, qui sont bien des questions didactiques.

Représentations autonomes ou systèmes de représentations emboîtées

Dans le cas de représentations sociales de l’économie, on peut s’interroger sur leur degré d’autonomie ou sur la relative dépendance par rapport à un ensemble d’autres représentations sociales. P. Vergès (1992) fait remarquer que, dans la société, la représentation sociale de la banque renvoie à celle de l’argent. Des travaux menés dans des contextes scolaires convergent pour montrer l’existence d’interrelations dont il faudrait tenir compte dans l’analyse du travail transpositif. C’est ainsi que la représentation de la monnaie renvoie à celle de l’argent et de la banque (Beitone et Legardez, 1997), que la représentation de l’entreprise est couramment identifiée à celle du travail (Legardez et Lebatteux, 2002), la représentation des revenus à celle du salaire, la représentation de l’incertitude en économie à celle la crise, etc.

Plus généralement, il serait intéressant de tester l’hypothèse d’un emboîtement général des représentations sociales des objets de savoirs économiques, avec des relations (hiérarchiques ou non) entre elles et de le confronter avec les matrices disciplinaires (Develay, 1995) des savoirs scolaires en économie.

Évolutions des systèmes de représentations-connaissances et apprentissages scolaires

Si on accepte l’hypothèse que peuvent exister des éléments de représentations sociales activés en contexte scolaire, on peut alors aborder la question proprement didactique des conditions d’un apprentissage sur des objets scolaires issus de questions économiques socialement vives. Les développements seront illustrés par des résultats empruntés principalement à des travaux menés en didactique des enseignements économiques : sur « l’entreprise » (Legardez et Lebatteux, 2002), sur la « monnaie » (Beitone et Legardez, 1997), sur les « revenus », sur « l’incertitude et le risque en économie » (Legardez, 2003b, 2004). On aura encore recours à des résultats tirés de travaux sur les représentations sociales de l’économie : sur la représentation globale des élèves de classes terminales (Albertini et Cicille, 1997), sur celle de « l’argent » (Vergès, 1992), sur des comparaisons internationales (Vergès, Albertini et Legardez, 1995)[10].

Les savoirs préalables aux apprentissages

L’activation d’un processus représentationnel en contexte scolaire

Nous considérons qu’un processus représentationnel est susceptible d’être activé en classe. Même si un effet de contexte venait à biaiser le recueil des représentations éventuelles, il ne nous semble pas que cela empêche d’obtenir des « savoirs naturels pour l’école ». Plus précisément, on recueille alors ce que nous avons appelé un « système de représentations-connaissances », au sein duquel on peut repérer des éléments de savoirs scolaires et (éventuellement mais pas nécessairement) les éléments d’une représentation sociale. L’usage d’un outil d’analyse des représentations sociales adapté à la situation scolaire est alors nécessaire ; il peut également être utilisé comme instrument d’évaluation formative[11].

C’est ainsi que les différents travaux menés sur l’objet d’enseignement « entreprise » confirment l’activation en contexte scolaire d’éléments d’une représentation sociale. L’étude menée par l’équipe de F. Audigier (1987) auprès d’élèves de différents niveaux d’enseignement montrait une représentation largement partagée de l’entreprise fortement reliée à celle du travail et centrée sur l’image de la grande entreprise industrielle. Celle menée plus récemment sur des élèves de lycées technologiques et professionnels français confirme, en début d’année scolaire, le rattachement de la représentation de l’entreprise à celle du travail. La définition provisoire serait la suivante : « l’entreprise est un lieu où des salariés travaillent afin de recevoir un salaire pour un patron qui fait des bénéfices[12] ». Des enquêtes étant menées à environ 10 ans d’écart, on constate une grande stabilité de cette représentation en contexte scolaire, avec néanmoins un affaiblissement de la dimension industrielle qui semble correspondre à une intégration partielle, et avec décalage, d’éléments issus de l’évolution du réel socio-économique dans la représentation.

D’autres études permettent de repérer, dans les savoirs préalables aux apprentissages, des éléments appartenant à des représentations sociales et d’autres issus de savoirs scolaires. Ainsi, une étude menée sur « l’incertitude et le risque en économie » a mis en lumière d’une part l’inexistence d’une véritable représentation sociale sur ce thème mais une référence générale à la représentation de « la crise », et d’autre part la persistance d’éléments de savoirs scolaires concernant notamment la distinction entre les sphères réelles et financières, entre les domaines de l’incertitude et du risque, entre les agents économiques qui ne peuvent que subir (les « petits ») et ceux qui peuvent maîtriser partiellement l’incertitude et le risque (les « gros »).

Les dimensions individuelles et collectives

« Le concept de représentations sociales présente un grand intérêt pour les chercheurs en sciences sociales. En effet, il permet d’envisager dans le même mouvement, d’une part les déterminations collectives et, d’autre part, la liberté de choix et de création de l’acteur social. » (Vergès, 1995, p. 28.) Selon nous, les didacticiens sont directement intéressés. En effet, l’insistance mise sur la part de liberté de l’acteur social permet de penser le positionnement de chacun à partir de ses savoirs sociaux préalables et au sein des savoirs scolaires individuels et collectifs en devenir dans la situation didactique[13]. C’est également le problème que pointe M.-L. Schubauer-Léoni lorsqu’elle cherche à définir la didactique comparée : « Si […] la didactique comparée peut se définir à la fois comme science des sujets qui enseignent et qui apprennent et comme science des conditions qui rendent possibles cet enseignement et cet apprentissage, alors elle doit se donner les moyens de penser les processus de représentations qui lient l’individu et le social. » (2002, p. 15.) Cette question est cruciale, puisqu’elle concerne la place du sujet apprenant. Les critiques à l’utilisation de l’analyse des représentations ont porté aussi bien sur la négation de l’individualité de chaque apprenant qui serait noyée dans la représentation globale du groupe que sur la question de la sphère privée de l’élève qui devrait être laissée en dehors de la sphère publique de l’étude scolaire (Chevallard, 1987, p. 133).

Des recherches menées sur des questions économiques vives ont montré qu’il est difficile de faire comme si les élèves n’importaient pas leurs savoirs sociaux dans le contexte scolaire. Leurs « savoirs préalables » sont des recompositions ad hoc activées dans la relation didactique d’éléments issus de savoirs sociaux (et potentiellement de représentations sociales) et de savoirs scolaires antérieurs… ce que nous avons proposé d’appeler des « systèmes de représentations-connaissances ».

Les travaux de P. Vergès sur des thèmes économiques ont permis de mettre au point des outils d’analyses qui mesurent la cohérence ou les disparités dans un groupe, à partir de l’activation d’un processus représentationnel. Il est possible de repérer des sous-ensembles dans l’expression d’une représentation et de vérifier, par exemple, l’influence des déterminations : nationales, socio-économiques et culturelles… et celles qui seraient imputables à des apprentissages scolaires. C’est ainsi que les représentations globales de l’économie des jeunes en classes terminales des lycées français sont peu déterminées par les origines sociales, mais beaucoup plus par leur inscription dans une filière d’enseignement[14], ou encore que les déterminations nationales de la représentation de l’économie, de l’argent et de l’État sont plus fortes que les diversités socioculturelles. Il devient possible alors, en principe, d’affiner l’image des savoirs préalables des élèves de groupes classe (et éventuellement de sous-groupes) pour éclairer la stratégie didactique des enseignants[15].

Transformation des représentations sociales et apprentissages de savoirs scolaires

Contextes et transformations des représentations sociales

« Le champ éducatif apparaît comme un champ privilégié pour voir comment se construisent, évoluent et se transforment des représentations sociales au sein des groupes sociaux et nous éclairer sur le rôle de ces constructions dans les rapports de ces groupes à l’objet de leurs représentations » (Gilly, 1994 ; Jodelet, 1994, p. 364). Ce champ d’activation du processus représentationnel est une notion importante pour comprendre les possibilités de modification des représentations sociales. Moliner examine la question sous l’angle des « configurations » ; Abric et Guimelli (1998) l’abordent sous celui du « contexte ». Ces travaux peuvent éclairer l’étude des situations didactiques (Brousseau, 1986).

Dans la conclusion de leur travail sur des effets d’un contexte ou d’un changement de contexte sur l’évolution des représentations sociales, J.C. Abric et C. Guimelli précisent que « tous les résultats […] convergent pour indiquer des relations étroites entre le contexte social d’une part, et les stratégies sociocognitives qui sont à l’origine de l’élaboration et de la construction des représentations sociales d’autre part » (Abric et Guimelli, 1998, p. 35). On peut faire l’hypothèse que ces relations sont particulièrement fortes dans le contexte social spécialisé dans la gestion des stratégies cognitives qu’est le contexte scolaire.

De tels travaux peuvent nous aider à comprendre comment « la représentation de la situation induite par le contexte » (ibid., p. 27) peut agir sur les transformations des représentations sociales, et comment des apprentissages peuvent réussir (souvent partiellement), mais aussi pourquoi ils peuvent échouer. C’est ainsi qu’en « situation de réversibilité perçue, il peut être avantageux, du point de vue de l’économie cognitive, de supporter pendant un certain temps les éventuels inconvénients dus aux circonstances. La situation de réversibilité perçue devrait donc ralentir les processus de transformation de la représentation, et on devrait constater […] l’apparition dominante de schèmes étranges. » (Ibid., p. 34.) Pour de nombreux élèves, la configuration scolaire serait perçue comme une situation réversible, aussi bien dans le cadre scolaire, où l’absence de sens aux apprentissages (Charlot, Beautier et Rochex, 1992 ; Charlot, 1997 ; Beautier et Rochex 1998) ne permettrait guère l’ancrage de nouveaux savoirs scolaires, qu’hors de l’école où les savoirs naturels seraient rétifs à la contamination par des objets de savoirs scolaires. Ainsi, dans notre étude sur l’entreprise, les élèves disent clairement que les mots attendus par les enseignants qu’ils n’ont pas évoqués sont « des mots de profs », réservés, au mieux, à des activités purement scolaires (comme l’évaluation).

Mais comment peut-on expliquer, dans la perspective de la théorie structurelle des représentations sociales, que des apprentissages se fassent, et que des éléments de représentations sociales se modifient en contexte scolaire, partiellement sous l’effet de pratiques scolaires ? M.-L. Rouquette et P. Rateau (1998) posent trois conditions pour que des transformations de pratiques entraînent, à terme, une transformation dans les représentations correspondantes : il faut « qu’elles soient récurrentes […], valorisantes […], que leurs implications apparaissent comme spécifiques et limitées [et donc] qu’elles n’aient pas d’incidence sur le niveau de raison proprement idéologique » (Rouquette et Rateau, 1998, p. 115). On peut penser que les deux premières conditions sont souvent réunies dans un contexte d’apprentissage scolaire ; la troisième pose implicitement la question des rapports entre la construction de savoirs scolaires et les savoirs naturels (hors du contexte scolaire), la « contamination » des savoirs naturels par les savoirs scolaires[16]. De leur côté, Brandin, Choulot, et Gafié (1998) font remarquer que « les modifications de représentations […] sont souvent circonstancielles et labiles […] elles ne se maintiendront qu’à la mesure de leur renforcement par la répétition, les engagements suscités, les soutiens de l’environnement » (p. 119). Même s’il faut se garder d’une analogie trop aléatoire avec des situations scolaires, on peut y voir comme un rappel de conditions d’un apprentissage réussi[17].

Configurations scolaires et représentations sociales

Il faudrait encore rappeler que la « configuration scolaire » peut se combiner avec les deux autres configurations « conjoncturelle » et « structurelle ». On peut faire l’hypothèse de l’existence d’une configuration scolaire structurelle dans le cas d’une représentation sociale globale de l’économie, tout au moins dans les disciplines où l’économie est un enjeu majeur des apprentissages scolaires.

Dans le cas français par exemple, on peut comparer un groupe classe pour lequel les savoirs économiques sont vécus comme centraux (dans la discipline des « sciences économiques et sociales »), où une représentation sociale « structurelle » serait activée, avec un autre groupe où les savoirs économiques ne sont pas centraux et où la représentation sociale activée serait « conjoncturelle » (comme dans la discipline « histoire-géographie »).

De même pour l’exemple de l’entreprise dans l’enseignement secondaire français : les problèmes sont partiellement différents lorsque l’entreprise s’inscrit dans une configuration scolaire structurelle (cas des filières technologiques et professionnelles tertiaires) où sa représentation irrigue l’ensemble des objets d’enseignement scolaire, ou lorsqu’elle est conjoncturelle (« sciences économiques et sociales ») et ne concerne qu’un sous-ensemble du corpus disciplinaire. Les spécificités peuvent se trouver encore entre niveaux scolaires comme le soulignait déjà l’enquête de l’INRP (1987), ou selon la période et le type de rapport à l’entreprise dans les lycées professionnels tertiaires, particulièrement dans le cadre de l’enseignement en alternance : l’entreprise est alors non seulement un enjeu de savoir, mais un enjeu de pratiques professionnelles pendant les stages (Lebatteux, 2004).

Des comparaisons sur les représentations sociales de questions économiques activées en contexte scolaire sont également menées au niveau international. Elles montrent des spécificités constantes avec, par exemple, une structuration globale de l’économie plus centrée sur les banques en Grande-Bretagne qu’en France. On peut suivre également des évolutions dans le temps sur la place de l’entreprise dans la structuration de l’économie chez les jeunes français. Par exemple encore, les mêmes études montrent que des questions vives comme le chômage ou l’argent activent des systèmes de représentations-connaissances partiellement différents selon les pays[18]. Enfin, le travail mené sur l’incertitude en économie pointe des convergences entre élèves en France et en Italie, mais des divergences avec les élèves des pays scandinaves quant à leur distinction entre domaine de l’incertitude et du risque[19].

Les modalités de transformation des représentations sociales

Dans ses travaux sur les transformations des représentations sociales, C. Flament (1994a, 1994b) insiste sur le fait qu’une représentation sociale ne se transforme véritablement que lorsque son noyau central change. Pour préserver ce noyau, elle génère des périphéries dont l’une des fonctions est de protéger le noyau central[20]. Par contre, les périphéries sont plus vulnérables, et des modifications sont donc possibles sans remettre en cause la structure globale de la représentation sociale.

Si l’on tente de transposer cette théorie dans le domaine des apprentissages scolaires, on peut penser qu’une action sur des éléments des périphéries aura plus de chances de modifier la représentation sociale que celle qui s’attaquerait directement à l’un des éléments du noyau central. Les premiers didacticiens à s’intéresser à la question faisaient déjà remarquer qu’il valait mieux contourner qu’attaquer directement un obstacle repéré (Astolfi et Develay, 1989 ; Giordan, Giraud et Clément, 1994). On peut espérer ensuite s’appuyer sur cette évolution périphérique pour faire évoluer d’autres éléments des périphéries, voire du noyau, jusqu’à ce que la configuration représentationnelle change.

À titre d’exemple, la prise en compte de quelques-uns des résultats de notre travail sur l’incertitude et le risque en économie pourrait aider à construire une stratégie didactique sur ce thème, en évitant des obstacles et en profitant d’appuis repérés dans les savoirs préalables des élèves. L’enseignant peut repérer d’éventuels obstacles, comme la question elle-même de la gestion des aléas économiques qui est a priori contradictoire avec la double certitude que, d’une part, le futur ne peut pas être connu, et que, d’autre part, ces aléas sont consubstantiels à l’économie de marché et donc que rien ne peut véritablement les limiter. On peut alors suggérer que ce probable obstacle pourrait être travaillé préalablement à toute autre activité d’enseignement-apprentissage. Par ailleurs, la perception de l’incertitude comme consubstantielle à la vie économique pourrait servir d’appui pour des apprentissages concernant la théorie keynésienne de l’incertitude radicale, mais d’obstacle pour appréhender des théories libérales qui postulent une information parfaite ou probabilisable. Une appropriation de cette dualité pourrait faire évoluer les élèves vers une représentation de l’incertitude en économie plus autonome par rapport à celle des hasards de la vie, voire plus interconnectée à une représentation globale du risque sociétal (Beck, 2002).

Si l’on constate une activation d’un système de représentations-connaissances en début de séquence didactique, on peut mesurer[21] les évolutions avec celle qui sera produite sur le même objet après interactions dans le groupe classe, ou encore avec un autre groupe classe dans la même configuration. On peut aussi comparer les premiers résultats avec les anticipations des enseignants sur les savoirs préalables de leurs élèves, puis les seconds résultats avec leurs attentes après une séquence d’enseignement. Nos travaux, notamment sur la monnaie et sur l’entreprise, repèrent une anticipation souvent correcte pour la première comparaison, mais un écart grandissant pour la seconde, donc entre les objectifs d’enseignement et les résultats de l’apprentissage.

Coexistence et concurrence de savoirs en contextes scolaires

Stratégies pour des transformations des représentations sociales

On distingue alors plusieurs évolutions possibles :

  1. Si la stratégie didactique vise l’un des éléments du noyau central, on peut difficilement espérer des changements rapides et stables. C’est ainsi qu’un enseignant qui voudrait faire acquérir une définition de l’entreprise déconnectée du travail verrait probablement sa stratégie vouée à l’échec.

  2. Si c’est un élément secondaire d’une périphérie qui se trouve visé, un apprentissage pourrait avoir lieu, être vérifié par une évaluation scolaire, mais ne pas avoir de véritable ancrage dans le système des représentations-connaissances. Au mieux ce savoir serait à strict usage scolaire, mais il ne saurait modifier profondément et durablement l’ensemble du système. C’est le cas de la plupart des apprentissages scolaires qui n’entrent pas en contradiction avec le système représentationnel et qui, n’engageant pas l’acteur social, laissent libre cours au travail strictement scolaire.

  3. Si c’est l’un des sous-noyaux périphériques qui est visé, les modifications auraient plus de chance de se stabiliser, et les apprentissages auraient plus de chance de perdurer. C’est sans doute là que se trouve le champ des apprentissages potentiellement les plus pertinents et les plus stables dans la construction de savoirs scolaires, mais aussi pour une possible transformation des savoirs sociaux (par l’intermédiaire du système de représentations-connaissances). Nous avons pu étudier cette stratégie sur les thèmes de la monnaie (création de monnaie scripturale), des revenus (revenus de transferts à côté des revenus primaires), de l’entreprise (comme agent de production de services et non seulement de production matérielle ; lieu de conflits potentiels et non seulement de collaboration, etc.).

En s’inspirant des travaux de P. Vergès, on peut également espérer s’appuyer sur des éléments de représentations sociales « dominantes », « voisines » ou « emboîtées » pour contaminer ou subvertir des éléments de celles qui ont visées dans l’apprentissage scolaire et enrichir ainsi le système de représentations-connaissances. C’est ainsi, par exemple, qu’en intervenant sur des éléments repérés comme des appuis potentiels dans la représentation sociale de l’argent, l’enseignant pourrait espérer modifier celle de la banque, ou que d’éventuelles modifications obtenues dans la structuration de la représentation sociale du travail pourraient aider à modifier celle de l’entreprise.

Si le système de représentations-connaissances est bien déstabilisé en contexte scolaire et si un processus d’apprentissage s’enclenche, les différents éléments peuvent évoluer selon des processus spécifiques et provoquer des télescopages de logiques internes générant une « polyphasie cognitive » (Moscovici) et l’apparition de « schèmes étranges » (Flament), rendant possible une restructuration globale ou locale de savoirs scolaires.

Apprentissage scolaire sous contrôle de la représentation

Pourtant, rien ne permet d’affirmer a priori qu’un apprentissage (vérifié dans le cadre d’une stratégie d’évaluation scolaire) modifiera une représentation sociale, même dans des contextes scolaires. Nos travaux semblent confirmer la coexistence de deux systèmes de représentations-connaissances dans le cadre scolaire : l’un serait réservé au contexte didactique de la classe et il intégrerait des éléments de savoirs scolaires appris ; l’autre subsisterait dans l’école, mais hors de la situation didactique, et il serait très proche de la représentation sociale construite hors de l’école.

La perméabilité entre les deux systèmes construits en contexte scolaire reste faible, comme le suggérait déjà P. Perrenoud (1995) en analysant le « métier d’élève » qui consiste, en outre, à se comporter en fonction des anticipations et des attentes des enseignants et du système scolaire, et d’investir le moins possible sa personnalité propre dans la situation didactique.

Souvent, les apprentissages se font « sous le contrôle de la représentation sociale », lorsqu’elle existe. Ainsi, les apprentissages sur l’entreprise chez des élèves de lycées professionnels semblent passer au tamis d’une représentation sociale qui en rejette certains éléments comme le chômage qui est nié dans ses relations à l’entreprise, mais en apprivoise d’autres comme la productivité, par exemple, qui est considérée comme « le mot des profs pour la production ».

Faciliter les apprentissages sur des questions économiques vives

Pour qu’ils puissent néanmoins aider les élèves à construire des apprentissages sur des objets de savoirs économiques et sociaux, les enseignants auront donc d’autant plus de chances d’être efficaces qu’ils se seront souciés de vérifier l’existence (ou non) de représentations sociales. Cela n’épuise pourtant pas la question des conditions propres à faciliter les apprentissages sur des objets d’enseignement scolaires issus de questions économiques vives dans les références des savoirs et des pratiques et qui font écho à des questions qui ont valeur d’enjeu dans l’actualité économique et sociale.

« La fonction première de la représentation sociale est la familiarisation avec l’étrange, au contraire de la science qui elle rend étrange le familier. » Cet aphorisme de S. Moscovici peut nous mettre sur la voie de stratégies didactiques adaptées à l’enseignement et à l’apprentissage d’objets d’enseignements scolaires liés à des questions socialement vives qui s’appuieraient sur des « débats argumentés » en classe (Simonneaux, 2003, 2004 ; Legardez et Simonneaux, 2003)[22].

Mais la problématisation d’une question scolaire est délicate pour l’élève qui va devoir opérer une véritable rupture épistémologique, renoncer à ses représentations sociales (donc à ses opinions, ses certitudes), en les confrontant à d’autres positions (celles de ses pairs, celles de l’enseignant) et en les mettant en relation avec des éclairages scientifiques (souvent à travers divers paradigmes théoriques en concurrence), apprendre à argumenter. Le « risque d’apprendre » y est particulièrement fort et de nombreux élèves prennent leurs distances avec les savoirs scolaires, hésitent à « importer » leurs savoirs naturels dans l’école et créent un hiatus entre le « monde de l’école » et « la vraie vie »[23].

Le « risque d’enseigner » est également fort pour les enseignants. La problématisation est délicate ; ils sont tentés de « déproblématiser » des questions qu’ils considèrent trop chaudes pour l’école. Ils ont alors tendance à éloigner les savoirs scolaires de ce qu’ils se représentent des savoirs naturels des élèves, quitte à vider les apprentissages d’une partie de leur sens.

Conclusion

Pour les élèves, la difficulté majeure consiste à accepter l’enjeu des savoirs dans le cadre scolaire, et donc à trouver du sens dans la reconstruction d’un savoir à légitimité scolaire, puis à intégrer une partie de ces savoirs scolaires dans son système de représentations-connaissances pour éclairer ses pratiques sociales ; tandis que pour l’enseignant la difficulté serait de proposer à l’élève les moyens d’y parvenir. Or on constate que des savoirs scolaires sont bien enseignés et appris, mais qu’ils restent souvent des savoirs pour l’école et qu’ils sont peu « exportés » vers les savoirs sociaux « citoyens ». Il semble que ces deux genres de savoirs appartiennent à deux mondes qui coexistent sans que des savoirs scolaires interfèrent rapidement et directement avec les savoirs du jeune citoyen (Legardez et Lebatteux, 2002 ; Rayou, 2002).

Risque d’enseigner et risque d’apprendre sont particulièrement vifs dans les domaines où les objets d’enseignement sont issus de questions (doublement) socialement vives, et où il est difficile, sinon impossible, de faire comme si les sujets sociaux que sont les acteurs de la situation didactique pouvaient s’abstraire totalement de leurs représentions sociales. Au contraire, l’activation en contexte scolaire d’un processus représentationnel dans un domaine de connaissances préexistant au sein des savoirs naturels peut susciter l’élaboration d’un système de représentations-connaissances sur de nombreux objets économiques et sociaux, particulièrement lorsque les questions qui prennent forme scolaire sont avivées par l’actualité.

Dans le cadre de recherches finalisées par l’enseignement et la formation, il y aurait donc à mener des études en aval sur les stratégies didactiques potentiellement les plus efficaces en fonction des obstacles (ou des appuis) éventuels repérés, notamment par l’organisation de débats véritablement argumentés en classe, par l’intermédiaire desquels les enseignants peuvent aider leurs élèves à décontextualiser et à convertir partiellement leurs systèmes de représentations-connaissances en savoirs scolaires, voire scientifiques, puis à les recontextualiser partiellement dans leurs savoirs de citoyens en dehors de l’École ; donc, dans leurs représentations et leurs pratiques sociales.