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Introduction

Au Québec comme ailleurs dans le monde, les mouvements migratoires ont transformé le visage des écoles, qui ont plus que jamais pour mission d’intégrer et de scolariser des enfants de cultures et de langues diverses. En 1998, le ministère de l’Éducation québécois rendait publique une politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle qui précisait les orientations à suivre pour favoriser la réussite des élèves immigrants nouvellement arrivés au Québec. Plus précisément, l’une des mesures énoncées dans ce document stipule qu’une intervention immédiate et appropriée doit être mise en place auprès des élèves nouvellement arrivés qui sont en situation de grand retard scolaire. Ces élèves sont, selon le ministère de l’Éducation (1998), des jeunes, qui, à leur arrivée au Québec, accusent trois ans de retard ou plus par rapport à la norme québécoise et doivent être considérés comme étant en difficulté d’adaptation scolaire. « Ce sont des élèves qui ont été peu ou non scolarisés, qui ont subi des interruptions de scolarité dans leurs pays d’origine, qui ont connu une forme de scolarisation fondamentalement différente de celle qui a cours au Québec » (ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 1998, p. 12). Selon le tout récent état de situation, réalisé par le ministère de l’Éducation en 2002, on peut estimer à environ 7 % le nombre d’élèves dits « sous-scolarisés » au Québec par rapport au nombre d’élèves pouvant bénéficier du programme de soutien à l’apprentissage du français (classes d’accueil et autres formules de francisation). Ces élèves font l’objet d’une attention très récente dans différents pays ou provinces (aux États-Unis : Crandall et Greenblatt, 1998 ; Crandall, Bernache et Prager, 1998 ; en France : Biarnès, 1997 ; au Québec : Armand et d’Anglejan, 1996 ; Gagné, 2004 ; MEQ, 2002, 2003a et 2003b).

Le défi principal consiste à mieux connaître ces élèves afin d’identifier les pratiques pédagogiques adaptées et pertinentes à leur situation, et ce, dès leur arrivée, ainsi que le préconise le ministère (MEQ, 1998). Les connaissances que nous avons sur ces élèves restent toutefois très limitées, en particulier dans le domaine que nous explorons ici, soit l’apprentissage de la lecture en lien avec la capacité de réfléchir sur l’objet langue.

Au cours des dernières années, ces élèves sont venus principalement des pays suivants : Haïti, Afghanistan, Pakistan, Inde, Bosnie-Herzégovine, Somalie (MEQ, 2002). Plusieurs d’entre eux n’ont pu fréquenter l’école dans leur pays d’origine parce que celui-ci était bouleversé par la guerre ou par des tensions politiques et sociales ou encore parce que la fréquentation de l’école n’était pas encouragée ou tout simplement possible, en milieu rural par exemple. À leur arrivée au Québec, sans exclure la manifestation de phénomènes positifs de résilience, ils sont susceptibles de rencontrer des difficultés d’adaptation au milieu scolaire, à la fois pour des raisons psychologiques qui affectent leur motivation et leur capacité de concentration (expériences antérieures traumatisantes) et pour des raisons scolaires (méthodes de travail différentes de celles de l’école québécoise). Plus particulièrement, on peut penser que ces élèves n’ont pas nécessairement développé la littératie dans leur langue maternelle et qu’ils se confrontent au double défi de développer ces compétences à l’écrit dans une langue seconde (Painchaud, d’Anglejan, Armand et Jezak, 1994). Tout en considérant les dimensions affective et motivationnelle, les enseignants qui oeuvrent auprès de cette clientèle ont particulièrement à coeur de leur apprendre à lire et à écrire en français afin qu’ils puissent intégrer les classes régulières. Quels sont les facteurs susceptibles de favoriser ces apprentissages ?

Facteurs de réussite dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en langue seconde

Plusieurs facteurs cognitivo-langagiers et socioculturels sont susceptibles d’influencer la réussite de ces apprentissages. En ce qui concerne les premiers, les recherches en langue maternelle et en langue seconde, que nous présenterons plus loin, ont ainsi montré que la présence de capacités de distanciation et de réflexion sur la langue, soit des capacités métalinguistiques, comme la maîtrise, à l’oral, d’une langue décontextualisée, plus abstraite, constituent des atouts importants pour la réussite en lecture et en écriture (Armand, 2000 ; Gagné, 2004 ; Gombert, 1992 ; Snow, Tabors, Nicholson et Kurland, 1995).

Sur le plan socioculturel, un autre facteur clé identifié par les recherches portant sur la réussite en lecture et en écriture est le contact avec l’écrit que les enfants sont susceptibles d’entretenir en milieu familial. Nombreux sont les auteurs qui ont mis en évidence les effets bénéfiques des contacts précoces et fréquents avec le monde de l’écrit, d’une part, sur le développement de la littératie, soit le développement d’habitudes, de comportements et d’habiletés de lecteur et de scripteur (Painchaud et al., 1994), et, d’autre part, sur le développement de la compétence langagière (McGee et Purcell-Gates, 1997 ; Purcell-Gates, 1996 ; Sénéchal, LeFevre, Hudon et Lawson, 1996 ; Sulzby et Teale, 1991). En langue seconde, l’étude de Leseman et De Jong (1998), réalisée aux Pays-Bas, auprès de 89 enfants de quatre ans vivant dans des familles pluriethniques, en majorité bilingues, montre aussi que les pratiques de littératie en milieu familial et, en particulier, la fréquence des pratiques et la qualité des échanges exercent une influence sur la réussite à des épreuves de décodage et de compréhension à la fin de la 1re année.

Des enfants qui n’ont pas eu de contact (ou très peu) avec l’écrit n’ont pas pu développer pleinement la conscience des différentes fonctions de l’écrit et mesurer l’ampleur du pouvoir, dans différents secteurs de leur vie, de la maîtrise d’habiletés de haut niveau, telles que la lecture critique ou la maîtrise du discours argumentatif à l’écrit. Pourtant, il est évident que, en raison de la profusion d’informations à gérer au quotidien et des exigences d’adaptation rapide induites par un monde du travail en mutation, le développement de conduites de lecteur et de scripteur experts constitue un élément déterminant de la réussite scolaire, personnelle et professionnelle.

Afin d’apporter des éléments au portrait des élèves sous-scolarisés, nous aborderons davantage, dans le cadre de cet article, la première dimension, soit les variables cognitivo-langagières, en observant le développement des capacités métalinguistiques et de la lecture chez les élèves immigrants allophones sous-scolarisés nouvellement arrivés, ce qui, à notre connaissance, n’a pas fait jusqu’ici l’objet de recherches.

Le développement de la capacité à considérer la langue comme un objet de réflexion : les capacités métalinguistiques

En langue maternelle, les recherches portant sur le développement langagier ont mis en évidence que l’enfant qui apprend à parler apprend à associer une forme conventionnelle – le mot – à une signification. Au début de l’apprentissage, objet, signification et mot forment un tout fortement imbriqué. Le jeune enfant conçoit le mot et sa structure phonétique comme une partie de la chose, ou comme une propriété de celle-ci, inséparable de ses autres propriétés. Comme l’ont clairement montré les travaux de Vygotski (1997), les enfants d’âge préscolaire expliquent le nom des choses par leurs propriétés. Ainsi, à la question : « Peut-on remplacer le nom d’un objet par un autre, par exemple appeler la vache “encre” et l’encre “vache” ? », les enfants répondent que c’est tout à fait impossible parce qu’avec l’encre on écrit, et que la vache donne du lait. L’enfant a du mal à dissocier le nom et les propriétés de la chose : s’il « accepte », sous la pression de l’expérimentateur, de nommer un chien une vache, ce chien donne du lait et a des petites cornes (Vygotski, 1997, p. 436-437).

L’un des plus importants axes de développement du langage chez l’enfant consiste justement en cette prise de conscience du caractère arbitraire du langage. Elle se traduit par l’émergence de capacités dites métasémantiques qui permettent à l’enfant de reconnaître la langue comme un code conventionnel et arbitraire et de manipuler les mots, sans que les réalités auxquelles ils réfèrent s’en trouvent automatiquement affectées (Gombert, 1992, p. 126). Cette capacité constitue une condition essentielle au traitement de l’écrit. Toutefois, il est important de noter que cette relation de causalité est réciproque : l’apprentissage formel de l’écrit joue un rôle important dans le développement de ces capacités métasémantiques. Des adultes analphabètes, à qui on présente une image de train et une image de coccinelle et qui ont pour consigne d’indiquer quel est le mot le plus long entre ces deux images, vont répondre que c’est le train, parce « qu’un train, c’est long » (Kolinsky, Cary et Morais, 1987).

De façon générale, les activités systématiques d’apprentissage de la langue réalisées en milieu scolaire ont un effet sur la faculté de l’apprenant à considérer la langue comme un objet d’apprentissage et non plus uniquement comme un médium de communication. Ce contact formel avec la langue permet aussi de développer d’autres types de capacités métalinguistiques dans le domaine de la phonologie et de la syntaxe. Préalablement, il est important d’indiquer que la définition et l’évaluation de ces capacités alimentent un débat sur les plans théorique et méthodologique. Il y a encore une certaine difficulté à fixer des critères valides pour définir si telle performance langagière est purement linguistique ou métalinguistique dans la mesure où elle implique que le sujet en soit conscient. Nous retiendrons ici, à la suite des synthèses de Gaux et Gombert (1999), Gombert (1992) et Gombert et Colé (2000) les définitions suivantes.

Les capacités métaphonologiques

En plus de la prise de conscience du caractère arbitraire du langage, cette capacité de distanciation face à l’objet « langue » s’exprime aussi lorsque l’enfant parvient à identifier et à manipuler, de façon intentionnelle, les différentes unités phonologiques de sa langue (Gombert, 1992). Le degré de maîtrise de ces capacités métaphonologiques est évalué par des épreuves pendant lesquelles on demande au sujet d’identifier, de comparer, de substituer, de soustraire, de fusionner des syllabes, des phonèmes ou des attaques-rimes (Gombert, 1992 ; Lecocq, 1991). Par exemple, au cours d’une tâche de soustraction de phonèmes, on demande au sujet de dire ce qu’il reste de « vache » si on enlève le premier son.

Les recherches ont clairement identifié les relations, là encore de causalité réciproque, qui existent entre ces capacités et l’apprentissage de la lecture (voir, parmi les nombreuses recensions des écrits sur ce point, celles de Sprenger-Charolles et Casalis, 1996, et de Stahl et Murray, 1998). En particulier, les capacités métaphonologiques permettraient aux apprenants de prendre conscience que les mots sont constitués d’unités sublexicales (syllabes, attaques-rimes et phonèmes), ce qui soutiendrait l’apprentissage des correspondances graphophonétiques lors de l’apprentissage de la reconnaissance de mots et de l’écriture (Blackmore et Pratt, 1997 ; Campbell et Sais, 1995 ; Demont et Gombert, 1996 ; Griffith, 1991 ; Morais, Alegria et Content, 1987 ; Schneider et Näslund, 1993).

Par ailleurs, différentes recherches en tchèque, en italien, en turc et en espagnol (Caravolas et Bruck, 1993 ; Cossu, Shankweiler, Liberman, Katz et Tola, 1988 ; Durgunoglu et Öney, 1999 ; González et García, 1995) ont montré que les capacités métaphonologiques se manifestent différemment selon le langage dans lesquelles elles se développent. Par exemple, les enfants italiens réussissent mieux la segmentation de phonèmes que les enfants anglophones du même âge parce que la syllabe est plus ouverte et l’orthographe plus transparente en italien qu’en anglais.

Enfin, il est possible de développer ces capacités, au moyen d’entraînements adéquats qui évitent une approche skills and drills, de façon à faciliter l’apprentissage de la lecture (voir Ehri et al., 2001, pour une recension de 52 études, parmi lesquelles 41 concernaient l’anglais et 11 des langues autres que l’anglais, à l’exception du français).

Les capacités métasyntaxiques

Également, les recherches ont relevé l’importance des capacités métasyntaxiques, qui touchent cette fois à la possibilité qu’a le sujet de raisonner consciemment sur les aspects syntaxiques du langage et de contrôler l’usage des règles de grammaire (Gaux et Gombert, 1999). Plus précisément, les capacités syntaxiques favoriseraient l’accès à la signification globale de la phrase par la maîtrise du « calcul syntaxique », soit l’ensemble des opérations qui permettent « de relativiser, d’articuler et de compléter la signification des éléments lexicaux » (Gombert, 1992, p. 129). Elles permettraient aussi au lecteur de compléter, par l’utilisation d’informations contextuelles, le traitement des indices visuels décodés lors de l’identification des mots (Tunmer, Herriman et Nesdale, 1988) et, enfin, d’établir, au fur et à mesure de la lecture, des attentes sur les mots suivants en fonction des règles grammaticales (Tunmer, 1990). La manifestation d’une conscience syntaxique est évaluée au moyen d’épreuves au cours desquelles on demande au sujet de répéter des phrases, de juger de leur grammaticalité, de corriger des phrases agrammaticales, ou encore de reproduire des erreurs grammaticales. Par exemple, on demande au sujet d’écouter la phrase suivante : « le chien jappons furieusement » et de transformer la phrase : « l’écolier chante fort » pour y reproduire la même erreur. Pour réaliser cette tâche, le sujet doit faire appel, d’une part, à ses connaissances des règles grammaticales (Willows et Ryan, 1986) pour localiser l’erreur et, d’autre part, à ses habiletés de manipulation langagières pour être capable de reproduire cette erreur dans une autre phrase. Les recherches, quoique plus rares, tendent à montrer l’existence d’un lien entre ces capacités et, d’une part, la reconnaissance de mots et le décodage (Blackmore et Pratt, 1997 ; Bowey, 1986 ; Deutsch et Bentin, 1996) et, d’autre part, la compréhension de texte (Cupples et Holmes, 1992 ; Demont et Gombert, 1996 ; Melançon et Ziarko, 1999 ; Tunmer, Nesdale et Wright, 1987).

Capacités métalinguistiques et langue seconde

En langue seconde, un courant de recherche en émergence tend aussi à montrer l’existence d’un lien, en L2, entre les capacités métaphonologiques et la reconnaissance des mots, mais non, ou de façon modérée, entre ces mêmes habiletés et la compréhension de textes, tout au moins avec des apprenants en début d’apprentissage de la langue seconde (Armand, 2000 ; Chiappe et Siegel, 1999 ; Comeau, Cormier, Grandmaison et Lacroix, 1999 ; Lefrançois et Armand, 2003). Les études tendent aussi à montrer l’existence d’une relation entre les capacités en L1 et en L2 et la possibilité d’un transfert en début d’apprentissage de la L1 vers la L2 (Comeau et al., 1999 ; Cormier et Kelson, 2000 ; Durgunoglu, Nagy et Hancin-Bhatt, 1993). Par ailleurs, une étude effectuée par Cisero et Royer (1995) auprès d’enfants bilingues hispanophones-anglophones à partir d’épreuves réalisées dans les deux langues (L1 : espagnol ; L2 : anglais) a mis en évidence que certaines composantes de la conscience phonologique sont davantage corrélées que d’autres entre les deux langues et que la force des corrélations varie avec le temps. En d’autres termes, il est difficile de préciser à quel âge et à quel niveau d’expertise de la langue seconde ces capacités métalinguistiques sont susceptibles de se manifester. Enfin, deux études réalisées en milieux pluriethniques soulignent que des programmes d’entraînement dans la langue seconde permettent de développer ces capacités et de favoriser la réussite en lecture en en écriture (Armand, Lefrançois, Baron, Gomez et Nuckle, 2004 ; Stuart, 1999).

Du côté des capacités métasyntaxiques, les recherches sont plus rares et ont démontré l’absence de lien avec la lecture en français langue seconde chez de jeunes apprenants (Armand, 2000), mais l’existence d’un lien modéré en début d’apprentissage chez des apprenants plus âgés (Lefrançois et Armand, 2003).

Ainsi, la présence de ces capacités de réflexion et de manipulation intentionnelle de la langue sur le plan phonologique et morphosyntaxique constitue un facteur important de la réussite de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Chez de jeunes apprenants, ces capacités se développent dans un contexte d’apprentissage formel de la langue. Chez des apprenants allophones plus âgés qui ont été scolarisés, elles sont vraisemblablement transférées de la langue maternelle vers la langue seconde une fois atteinte une certaine maîtrise langagière (Cummins, 1992, 2000). On peut penser alors que les élèves qui n’ont pas bénéficié d’une scolarisation régulière sont susceptibles de rencontrer des difficultés lors de tâches qui font appel à ces habiletés de réflexion sur la langue et que cela peut avoir un impact négatif sur leurs performances en lecture. C’est la question que nous aborderons ici dans une recherche effectuée auprès d’élèves sous-scolarisés inscrits dans les classes d’accueil de la région de Montréal.

Questions de recherche

Les performances d’élèves allophones sous-scolarisés dans des tâches métaphonologiques et métasyntaxiques et lors des activités de décodage et de compréhension de textes sont-elles différentes de celles d’élèves immigrants allophones dits « réguliers » nouvellement arrivés (qui ont été scolarisés dans leur pays d’origine) ? Ces performances s’améliorent-elles après deux ans de fréquentation de notre système scolaire ? Quelles sont les relations entre ces performances et la réussite en lecture ?

Méthodologie

Les sujets

Les sujets sont issus d’un total de 20 classes d’accueil de 2e cycle de l’île de Montréal. Deux groupes de sujets ont été constitués : a) les élèves allophones réguliers inscrits au 2e cycle de l’accueil et susceptibles d’intégrer la classe de 4e, 5e ou 6e année en classe ordinaire du primaire l’année suivant la date de l’expérimentation et b) les élèves allophones en retard scolaire, inscrits au 2e cycle de l’accueil. Ces enfants pouvaient avoir déjà fréquenté l’accueil durant les derniers mois de l’année précédente. Comme cette étude s’inscrivait dans une recherche plus vaste, visant à observer les liens entre la réussite en lecture de textes informatifs et la réussite en lecture et résolution de problèmes mathématiques, les sujets ont été au départ sélectionnés à partir d’une épreuve de résolution de problèmes[1]. Cette épreuve a permis de distinguer, dans chacune des classes, des solutionneurs forts et des solutionneurs faibles parmi les élèves allophones réguliers et parmi les élèves en retard scolaire. Ce choix méthodologique, qui visait à mieux faire apparaître des contrastes au sein de la population visée en ne retenant que les groupes se situant aux deux extrêmes, constitue une contrainte dans les analyses réalisées dans le cadre de cet article, mais il nous permet toutefois de présenter des informations complémentaires originales sur les habiletés mathématiques de ces deux populations (réguliers et en retard scolaire).

La sélection des sujets sur la base de l’épreuve mathématique

L’épreuve collective de résolution de problèmes mathématiques consistait en problèmes de structure additive de deux niveaux de complexité croissante (voir Barouillet et Poirier, 1997). Pour chacun des deux niveaux (M1 et M2), trois versions de complexité linguistique croissante (L1, L2 et L3) ont été rédigées. Un exemple de problème de niveau mathématique 1 et de complexité linguistique 1 (M1L1) serait le suivant : « Arthur a 9 billes. Il joue une partie. Après la partie, il a 4 billes. A-t-il gagné ou perdu des billes durant la partie et combien ? » Un problème de niveau mathématique 1 et de complexité linguistique 2 (M1L2) serait le suivant : « Avant de jouer, Serge avait 8 billes. Après avoir joué, il en possédait encore 3. En a-t-il gagné ou perdu durant la partie et combien ? » L’épreuve comprenait aussi des tâches d’addition, de soustraction, de division et de multiplication pour vérifier les habiletés générales algorithmiques des élèves.

Pour être classés forts, les élèves devaient avoir posé un calcul adéquat et donné une réponse complète aux problèmes mathématiques de niveau 1 et 2 qui leur étaient présentés. Ceux qui ne réussissaient aucun des problèmes étaient classés faibles.

Au total, l’échantillon final de cette étude a donc été sélectionné parmi la population de 20 classes d’accueil situées dans neuf écoles de l’île de Montréal, visitées en mai 1997 et en mai 1998. Du nombre total d’enfants inscrits dans ces classes ont été retirés ceux dont les parents avaient refusé de participer à la recherche, ceux qui venaient d’arriver ou qui ne maîtrisaient pas suffisamment les bases de la langue française. Ont été aussi retirés les élèves pour lesquels existait un doute quant à l’existence de difficultés d’apprentissage majeures, ces élèves n’ayant pas encore été évalués par un psychologue. Toutefois, en l’absence d’évaluation complète par un professionnel, il est possible que certains élèves en difficulté d’apprentissage, non identifiés, fassent partie de l’échantillon retenu. Parmi les 309 enfants restants, 62 enfants, ayant un retard scolaire de deux ans et plus, ont été identifiés, à partir des évaluations des professeurs. Après la passation de l’épreuve collective mathématique, un sous-groupe de 28 élèves (17 filles et 11 garçons) parmi les 62 allophones sous-scolarisés solutionneurs forts (trois ont réussi les problèmes mathématiques de niveaux 1 et 2) et faibles (25 n’ont réussi aucun des problèmes mathématiques) a été distingué. Ces 28 élèves avaient en moyenne trois ans de retard scolaire et une scolarité de 13 mois en classe d’accueil au moment des passations. Parmi eux, seuls 14 (8 filles et 6 garçons) ont pu être suivis l’année d’après, une grande partie des élèves n’ayant pas été retrouvés en raison d’un changement de domicile. Ils avaient alors en moyenne 19 mois de fréquentation de la classe d’accueil.

Toujours à la suite de la passation collective de l’épreuve mathématique, un groupe de 53 élèves allophones (27 filles et 26 garçons), comprenant 26 solutionneurs forts et 27 solutionneurs faibles, ont été rencontrés pour une seule série de passations (pas de suivi) en 1997 ou en 1998. La majorité d’entre eux avait une scolarité moyenne en classe d’accueil de 11 mois. Le Tableau 1 présente les informations relatives aux sujets.

Tableau 1

Description des sujets de l’étude

Description des sujets de l’étude

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Lors de la première rencontre, l’âge moyen des 28 élèves allophones sous-scolarisés était de 12 ans et 2 mois ; pour le groupe de 14 sujets suivis lors de la deuxième rencontre, il était de 12 ans 8 mois. Celui des sujets allophones réguliers était de 11 ans 4 mois. Les langues parlées par l’ensemble des élèves sont très diverses : langues d’origine latine, créole, langues africaines, langues indiennes, etc. (voir Annexe 1). À noter aussi un nombre important d’enfants en situation de bilinguisme (deux langues maternelles différentes du français).

L’épreuve mathématique a permis de montrer que, après une moyenne de 13 mois d’accueil, parmi les 62 élèves en retard scolaire de deux ans et plus de notre échantillon, 5 % (3/62) seulement des élèves sont des solutionneurs forts tandis que 40 % (25/62) sont des solutionneurs faibles. Il est important de noter que le sous-groupe des 25 solutionneurs faibles regroupe la majorité des enfants présentant une moyenne non de deux ans, mais de trois ans de retard scolaire, ce qui, selon la définition retenue par le ministère de l’Éducation (1998) correspond aux élèves sous-scolarisés. Ce sont sur ces élèves que la présente étude se penchera plus particulièrement. En comparaison, chez les élèves allophones réguliers, après une moyenne de 11 mois en accueil, la proportion d’élèves solutionneurs forts est plus importante (10 %, soit 26/247), tandis que celle des solutionneurs faibles est moins importante (11 %, soit 27/247). Les analyses comparatives entre les groupes allophones réguliers et sous-scolarisés seront réalisées à l’intérieur des catégories identifiées à partir de la passation de l’épreuve mathématique collective, soit solutionneurs forts et solutionneurs faibles.

Les épreuves

Toutes les épreuves ont été préalablement validées auprès de groupes d’enfants allophones réguliers et de trois enfants sous-scolarisés, puis elles ont été modifiées lorsque nécessaire pour ce qui concerne la clarté des consignes, la longueur des épreuves et le choix des items.

Épreuves métaphonologiques

Inspirées par les travaux de Gombert (1992), de Lecocq (1991) et de Yopp (1988) ainsi que par les recherches réalisées au Québec par Armand (2000) et Melançon et Ziarko (1999), les 11 épreuves (P1 à P11) visant à mesurer les capacités métaphonologiques ont été construites par les chercheuses[2] de façon à varier le niveau de complexité des opérations mises en oeuvre. Ainsi, les épreuves d’identification seraient parmi les plus faciles, celles de comparaison et de catégorisation se situeraient au milieu de l’échelle et celles de soustraction et de substitution seraient les plus difficiles. L’épreuve de fusion est difficile à classer, étant donné qu’elle était effectuée sur des syllabes chez Lecocq (1991) et sur des phonèmes chez Yopp (1988). Afin de varier aussi le niveau de difficulté en fonction de l’unité (sept épreuves portent sur le phonème et quatre épreuves portent sur la syllabe) et de la place de l’unité à traiter, les différentes opérations ont été réalisées sur ces deux unités placées au début, au milieu ou à la fin de mot. Étant donné que les épreuves s’adressaient à des débutants en français langue seconde, il est à noter que, pour ne pas introduire de biais, seules deux épreuves (P4 et P6) faisaient appel à des connaissances lexicales (« trouve un mot qui… »). Chacune des 11 épreuves comptait six items, chaque bonne réponse permettait d’obtenir un point pour un total de 66 points. Les épreuves ont été passées en individuel, et uniquement à l’oral. Les réponses des enfants ont été enregistrées. Avant chacune des épreuves, trois essais étaient proposés aux enfants avec rétroaction pour les deux premiers. On trouvera à l’Annexe 2 un tableau synthèse de l’ensemble des épreuves ainsi que les consignes pour chacune.

Épreuves métasyntaxiques

Inspirées par les travaux réalisés en français par Gaux et Gombert (1999), Armand (2000) et Melançon et Ziarko (1999), quatre épreuves ont été construites par les chercheuses afin de mesurer les capacités métasyntaxiques : dénombrement lexical (Épreuve S1 constituée de 8 items, 1 point par réponse correcte), répétition de phrases simples et complexes (Épreuve S2 constituée de 10 items, 2 points pour une répétition parfaite, 1 point pour une répétition comportant une inexactitude), jugement de phrases grammaticales ou agrammaticales (Épreuve S3 constituée de 20 items, 1 point par réponse correcte), correction de phrases agrammaticales (Épreuve S4 constituée de 10 items, 2 points pour une correction parfaite, 1 point pour une correction du point de vue grammatical mais avec une erreur dans la répétition de la phrase). Au total, l’enfant pouvait obtenir 68 points pour l’ensemble des épreuves. Les épreuves ont été passées en individuel et uniquement à l’oral. Les réponses des enfants ont été enregistrées pour faciliter la correction. Avant chaque épreuve, deux essais avec rétroaction étaient proposés aux enfants. On trouvera à l’Annexe 3 une présentation des différentes épreuves.

Décodage

L’objectif étant d’évaluer la maîtrise des correspondances graphophonologiques en rapport avec les capacités métaphonologiques, une épreuve de lecture à haute voix de pseudo-mots a été adoptée. Toutefois, afin de créer un contexte un tant soit peu significatif pour une telle tâche, les sujets devaient « jouer au professeur et faire l’appel » en lisant une liste de noms et prénoms dont les caractéristiques étaient variées de façon à augmenter la difficulté des items (fréquence des correspondances et des phonèmes, présence de clusters et de digraphes, etc.). Inspirée de Cunningham (1990), cette épreuve individuelle a été adaptée au Québec par Melançon et Ziarko (1999). Pour chaque syllabe bien lue, on attribue 1 point à l’enfant pour un total possible de 148 points.

Compréhension de textes

Placé dans un petit groupe, l’enfant doit lire un texte informatif de 318 mots, Les dangers de la rue, puis, sans le texte, répondre à 10 questions de complexité variable. Le texte et les questions ont été élaborés par les chercheuses. Selon la catégorisation effectuée par Pearson et Johnson (1978) et Wixson (1983), deux questions textuelles explicites (la réponse est telle quelle dans le texte) sont posées, ainsi que quatre questions textuelles implicites (la réponse nécessite d’établir des liens entre deux éléments du texte) et quatre questions scripts implicites (la réponse nécessite d’effectuer des liens entre le texte et les connaissances antérieures du lecteur). Parmi ces questions, six sont ouvertes et quatre sont fermées (choix multiples). On trouvera à l’Annexe 4 un tableau synthèse des questions et l’indication des points attribués pour chacune en fonction de sa complexité. Au total, l’enfant peut obtenir 24 points pour cette épreuve.

Déroulement de la recherche

Les sujets ont été rencontrés collectivement pour l’épreuve mathématique en mai 1997 ou en mai 1998. Une fois les solutionneurs forts et faibles sélectionnés, ces enfants étaient revus individuellement une première fois pour procéder à l’évaluation des capacités métaphonologiques et métasyntaxiques. Lors d’une deuxième rencontre individuelle, ils réalisaient l’épreuve de décodage et de compréhension de textes.

Résultats

Préalablement à l’analyse des résultats, nous avons procédé aux calculs des alpha de Cronbach afin de vérifier la cohérence interne des groupes d’épreuves. Sur la base des relations attendues sur le plan théorique et observées entre les épreuves d’un même groupe (les alpha de Cronbach se révélant adéquats dans la majorité des cas), un score global a été obtenu par la somme des différentes épreuves individuelles constituant un même groupe d’épreuves. La sous-épreuve métasyntaxique 1 a été repondérée de 0 à 20 pour que toutes les sous-épreuves aient le même score maximal. Des comparaisons de moyenne ont ensuite été effectuées, au moyen de tests t-standard sur ces scores globaux. Notons que ces tests t-standard ont été réalisés pour des variances égales. Des tests t-standard pour variances inégales ont été aussi réalisés et ces tests parviennent à des conclusions identiques : l’hétérogénéité des variances n’a donc pu fausser nos conclusions. Par ailleurs, étant donné le nombre réduit d’élèves sous-scolarisés solutionneurs forts au temps 1 (n = 3) et au temps 2 (n = 1), nous ne les avons pas conservés dans les analyses statistiques.

Le premier objectif de la présente étude visait à préciser le portrait d’élèves allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles en cours d’apprentissage du français langue seconde en ce qui concerne leurs capacités métalinguistiques ainsi que leurs habiletés dans le domaine du décodage et de la compréhension de textes, et à comparer les résultats de ces élèves à ceux de leurs pairs allophones réguliers, qu’ils soient solutionneurs forts ou solutionneurs faibles, après un nombre sensiblement similaire de mois passés en classe d’accueil. Pour tracer ce portrait, les moyennes et les écarts-types ont été calculés pour chacune des épreuves.

Le Tableau 2 présente les moyennes et les écarts-types obtenus aux différentes épreuves (score global) par les deux groupes de sujets, et rapportés sur une échelle de 0 à 100 afin de faciliter leur comparaison.

Tableau 2

Moyennes (M en %) et écarts-types (ET) obtenus aux différentes épreuves par les allophones réguliers (solutionneurs forts et solutionneurs faibles) et les allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles au temps 1 (T1)

Moyennes (M en %) et écarts-types (ET) obtenus aux différentes épreuves par les allophones réguliers (solutionneurs forts et solutionneurs faibles) et les allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles au temps 1 (T1)

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On observe que les scores du groupe d’allophones réguliers solutionneurs forts sont supérieurs à ceux des deux autres groupes et que ceux des allophones réguliers solutionneurs faibles sont eux-mêmes supérieurs à ceux des allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles, en particulier en ce qui concerne les capacités métalinguistiques. Le Tableau 3 présente le résultat des tests t-standard effectués pour comparer les moyennes des différents groupes aux différentes épreuves.

Tableau 3

Résultats de la comparaison des moyennes (test t-standard) entre les différents groupes (réguliers solutionneurs forts et réguliers solutionneurs faibles, réguliers solutionneurs faibles et sous-scolarisés [SS] solutionneurs faibles, réguliers solutionneurs forts et sous-scolarisés solutionneurs faibles) pour chacune des épreuves

Résultats de la comparaison des moyennes (test t-standard) entre les différents groupes (réguliers solutionneurs forts et réguliers solutionneurs faibles, réguliers solutionneurs faibles et sous-scolarisés [SS] solutionneurs faibles, réguliers solutionneurs forts et sous-scolarisés solutionneurs faibles) pour chacune des épreuves

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Ces tests statistiques confirment que, au sein du groupe d’allophones réguliers, les scores du groupe de solutionneurs forts sont, de façon significative, supérieurs à ceux du groupe de solutionneurs faibles, à l’exception des scores à l’épreuve de décodage. Par ailleurs, à l’intérieur du groupe de solutionneurs faibles, les scores des enfants allophones réguliers sont, de façon significative, supérieurs à ceux des élèves sous-scolarisés uniquement pour les épreuves métalinguistiques. Enfin, les allophones réguliers solutionneurs forts obtiennent des scores supérieurs à ceux des élèves sous-scolarisés solutionneurs faibles pour chacune des épreuves.

Le deuxième objectif visait à observer l’évolution des résultats des élèves après deux ans de scolarisation en classe d’accueil. Le Tableau 4 présente les moyennes et les écarts-types du sous-groupe de 13 élèves allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles au temps 1 puis au temps 2. Il est à noter que, afin de vérifier que ce sous-groupe de 13 enfants qui a été suivi sur deux ans ne se distingue pas de l’ensemble du groupe d’élèves sous-scolarisés vus au temps 1, un test t-standard a été effectué pour chacune des épreuves entre ce groupe de 13 élèves allophones au temps 1 (n = 13) et le reste du groupe d’élèves allophones sous-scolarisés au temps 1 et non suivis au temps 2 (n = 12). Aucune différence significative n’apparaît (p>0,05).

Tableau 4

Moyennes (M en %) et écarts-types (ET) obtenus aux différentes épreuves par le sous-groupe allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles au temps 1 (T1) et au temps 2 (T2)

Moyennes (M en %) et écarts-types (ET) obtenus aux différentes épreuves par le sous-groupe allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles au temps 1 (T1) et au temps 2 (T2)

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On observe que, après deux ans de scolarisation, les élèves ont progressé pour l’ensemble des épreuves. Les tests t-standard effectués permettent de comparer leurs scores à ceux de l’année précédente et d’observer, après deux ans, où ils se situent par rapport à ceux obtenus par leurs pairs allophones réguliers lors de la première année (voir Tableau 5).

Tableau 5

Comparaison des moyennes (test t-standard) entre les différents groupes et temps de passation (sous-scolarisés [SS] aux temps 1 et 2, sous-scolarisés au temps 2 et réguliers solutionneurs forts au temps 1, sous-scolarisés au temps 2 et réguliers solutionneurs faibles au temps 1) aux différentes épreuves

Comparaison des moyennes (test t-standard) entre les différents groupes et temps de passation (sous-scolarisés [SS] aux temps 1 et 2, sous-scolarisés au temps 2 et réguliers solutionneurs forts au temps 1, sous-scolarisés au temps 2 et réguliers solutionneurs faibles au temps 1) aux différentes épreuves

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Ces tests statistiques permettent de constater que, de façon significative, les élèves ont progressé du temps 1 au temps 2. Ils ont réussi à obtenir, après 19 mois de scolarisation, des scores équivalents à ceux obtenus, après 13 mois, par des élèves réguliers solutionneurs faibles pour trois épreuves et, de façon surprenante, des scores supérieurs pour l’épreuve de compréhension de textes. Toutefois, leurs scores sont toujours inférieurs, de façon significative, à ceux des allophones réguliers solutionneurs forts pour les épreuves métalinguistiques.

Le troisième objectif de la recherche visait à observer l’existence de liens entre les capacités métalinguistiques et les habiletés en lecture des sujets. Afin de procéder à cette analyse, des tests de corrélation ont été réalisés entre les différentes épreuves dans chacun des trois groupes (Tableaux 6, 7 et 8).

Une seule corrélation significative, relativement forte, se manifeste entre les capacités métasyntaxiques et la compréhension dans le groupe des allophones réguliers solutionneurs forts (Tableau 6). Chez les élèves allophones réguliers solutionneurs faibles, on peut relever l’existence de corrélations entre les capacités métaphonologiques et le décodage, d’une part, et la compréhension, d’autre part (Tableau 7).

Tableau 6

Corrélations entre les épreuves métaphonologiques, métasyntaxiques, de décodage et de compréhension de textes pour les allophones réguliers solutionneurs forts (n = 26)

Corrélations entre les épreuves métaphonologiques, métasyntaxiques, de décodage et de compréhension de textes pour les allophones réguliers solutionneurs forts (n = 26)
**

p<0,01

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Tableau 7

Corrélations entre les épreuves métaphonologiques, métasyntaxiques, de décodage et de compréhension de texte pour les allophones réguliers solutionneurs faibles (n = 27)

Corrélations entre les épreuves métaphonologiques, métasyntaxiques, de décodage et de compréhension de texte pour les allophones réguliers solutionneurs faibles (n = 27)
*

p<0,05

**

p<0,01

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Dans le groupe des allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles au temps 1, plusieurs corrélations significatives se manifestent : entre les capacités méta-phonologiques et le décodage, d’une part, et la compréhension, d’autre part, et, de façon plus étonnante, entre les capacités métasyntaxiques et le décodage (Tableau 8).

Tableau 8

Corrélations entre les épreuves métaphonologiques, métasyntaxiques, de décodage et de compréhension de textes pour les allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles au temps 1 (n = 25)

Corrélations entre les épreuves métaphonologiques, métasyntaxiques, de décodage et de compréhension de textes pour les allophones sous-scolarisés solutionneurs faibles au temps 1 (n = 25)
*

p<0,05

**

p<0,01

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Discussion

L’ensemble des données présentées ici confirme un fait prévisible : les élèves allophones sous-scolarisés ayant en moyenne trois ans de retard sont en difficulté sur le plan scolaire et nécessitent une prise en charge rapide. Ils se retrouvent parmi les élèves manifestant très peu d’habiletés de compréhension et de résolution de problèmes mathématiques. En ce qui concerne la lecture, on peut constater que leurs habiletés en décodage et en compréhension de textes tendent à rester plus faibles que celles de leurs pairs allophones réguliers et ne sont pas très développées après 13 mois de scolarisation (moyenne de 41 % de réussite en compréhension d’un texte court). Ce qui est particulièrement frappant, ce sont les scores nettement inférieurs obtenus aux épreuves de métaphonologie et de métasyntaxe par rapport à ceux des pairs allophones qui ont bénéficié d’une scolarisation dans leur pays d’origine. On peut donc penser que cet enseignement formel de la langue d’origine a permis le développement de capacités métalinguistiques et que des phénomènes de transfert ont pu s’opérer, en dépit des différences entre les langues. Cette étude aurait été plus complète si les capacités métalinguistiques des élèves avaient été évaluées dans la langue maternelle, mais le nombre important de langues ne permettait pas d’envisager la traduction des épreuves dans ces différentes langues. Toutefois, les résultats de cette recherche permettent d’indiquer que, en l’absence de scolarisation formelle au cours de laquelle des activités de réflexion sur la langue maternelle ont pris place, les élèves sous-scolarisés ont de grandes difficultés à développer ces capacités métaphonologiques et, plus encore, ces capacités métasyntaxiques en français langue seconde.

En ce qui concerne le deuxième objectif, le suivi de 13 élèves sous-scolarisés permet d’observer que, après une moyenne de 19 mois en classe d’accueil, ces élèves progressent dans tous les domaines et que leurs résultats, relativement faibles (ils se situent entre 41 % et 62 % de réussite), se rapprochent de ceux obtenus par leurs pairs réguliers après 11 mois aux épreuves de décodage et de compréhension. Toutefois, les résultats obtenus aux épreuves métalinguistiques restent, de façon significative, inférieurs à ceux de leurs pairs allophones réguliers solutionneurs forts. On peut donc penser que, en dépit de progrès relativement modérés, ces élèves sous-scolarisés ont encore des difficultés dans le domaine des habiletés cognitivo-langagières nécessaires à la réussite des épreuves métalinguistiques.

Enfin, en ce qui a trait aux liens entre les capacités métalinguistiques et la lecture (troisième objectif), l’observation des corrélations existant entre les différentes épreuves offre un portrait inattendu des relations qui se manifestent entre elles pour chacun des groupes. En effet, on se serait notamment attendu à ce qu’il y ait plus de corrélations significatives pour le groupe des élèves réguliers solutionneurs forts que pour le groupe des élèves réguliers solutionneurs faibles ou sous-scolarisés. Toutefois, les corrélations observées sont révélatrices d’une maîtrise différente des processus de traitement langagier.

Chez les élèves allophones solutionneurs forts, on observe une corrélation significative, relativement élevée, entre les capacités métasyntaxiques et la compréhension. Ils sont donc capables, après 11 mois de scolarisation en français, de mettre en oeuvre leurs capacités d’analyse des formes syntaxiques pour mieux comprendre un texte. Ainsi, chez ce type d’apprenants du français langue seconde, on observe, comme en langue maternelle, une relation entre les capacités syntaxiques et la lecture. On peut voir ici un effet du mode de sélection puisque ces sujets avaient manifesté de plus grandes habiletés de compréhension et de résolution de problèmes mathématiques dont la complexité linguistique variait. On peut donc penser qu’un lien existe entre, d’une part, les habiletés mises en oeuvre dans ce domaine mathématique, et, d’autre part, la lecture de textes courants, et la capacité de réfléchir adéquatement sur la structure syntaxique des énoncés.

Chez les allophones réguliers solutionneurs faibles, il n’existe pas de corrélations entre les capacités métasyntaxiques et les autres variables. Toutefois, on peut noter des corrélations entre les capacités métaphonologiques et le décodage, ce qui confirme une fois de plus en langue seconde les conclusions obtenues en langue maternelle. On peut s’étonner de l’absence de liens entre le décodage et la compréhension tout en observant la présence d’un lien « indirect » puisqu’il existe une corrélation entre les capacités métaphonologiques et la compréhension.

Enfin, chez les élèves sous-scolarisés, on retrouve les mêmes liens entre, d’une part, les capacités métaphonologiques et, d’autre part, le décodage et la compréhension de textes. Il est aussi intéressant de noter une corrélation significative élevée (0,71) entre les capacités métaphonologiques et métasyntaxiques, ce qui permet de croire que les élèves sont poussés à développer globalement un regard réflexif sur l’objet langue et que cela s’exprime à la fois dans ces deux dimensions.

Conclusion

Cette recherche visait à tracer le portrait d’élèves allophones sous-scolarisés relativement à leurs capacités métalinguistiques ainsi qu’à leur compétence en lecture (décodage et compréhension de textes). La portée des résultats obtenus est limitée par le fait que cette étude a été réalisée dans le cadre d’une recherche plus vaste, ce qui a apporté des contraintes dans la sélection des sujets. Cette recherche porte donc plus spécifiquement sur les élèves allophones sous-scolarisés qui, selon le ministère de l’Éducation du Québec, ont trois ans en moyenne de retard scolaire, et qui, de façon majoritaire dans cette recherche, sont classés dans la catégorie des solutionneurs faibles en mathématiques. Par ailleurs, du point de vue méthodologique, il faut continuer de mettre en question la capacité des instruments de mesure des capacités métalinguistiques utilisés à révéler la conscience que le sujet a de ses propres processus de traitement langagier.

Sur le plan théorique, cette recherche démontre les relations existant entre des capacités métalinguistiques (métasyntaxiques chez les plus avancés, métaphonologiques chez les moins avancés) et la lecture en français langue seconde chez les élèves allophones. Elle montre aussi que le fait d’avoir été peu ou pas du tout scolarisé a un impact négatif sur le développement de ces capacités métalinguistiques en français langue seconde et que les élèves sous-scolarisés peinent à développer ces capacités. On observe pourtant qu’ils obtiennent, après plusieurs mois supplémentaires en classe d’accueil, des résultats proches de ceux de leurs pairs allophones réguliers solutionneurs faibles. Toutefois, ces scores restent globalement faibles et on peut se questionner sur les effets à plus long terme de ces difficultés lors de leur intégration dans les classes régulières. Dans le même ordre d’idée, la recherche doctorale de Gagné (2004), qui se penchait sur l’étude du développement des habiletés langagières orales décontextualisées chez ces mêmes élèves allophones sous-scolarisés, tend à montrer l’existence de difficultés persistantes rencontrées par ces élèves dans des tâches orales de description d’images et de production de définitions.

Afin de tracer un portrait plus complet, il serait important, d’une part, d’observer, par une collecte de données longitudinales après l’intégration au régulier, la poursuite du développement de ces différentes capacités métalinguistiques ainsi que celui de la compétence en lecture et, d’autre part, d’étudier les relations qui existent entre ces variables à des étapes distinctes de l’apprentissage de la lecture. Toutefois, comme on l’a vu, il s’agit d’une population très mobile, en raison souvent du statut précaire des parents qui sont demandeurs d’asile ou réfugiés, et il a été particulièrement difficile de poursuivre la collecte des données une deuxième année. Par ailleurs, il serait important de prendre en compte la variable éducative dans la mesure où les commissions scolaires, de plus en plus sensibilisées à cette problématique (voir les documents fournis en 2003 par le ministère de l’Éducation, Direction des services aux communautés culturelles), tendent à offrir un soutien plus adéquat à cette clientèle d’élèves. On peut donc espérer que les progrès seront plus manifestes et permettront à ces élèves de réussir leur intégration dans les classes régulières.

Enfin, il faut souligner que, comme nous l’indiquions, étant donné la grande variété des communautés linguistiques constituant l’échantillon, les capacités métalinguistiques des sujets n’ont pas été mesurées dans chacune des langues maternelles. Or il reste à mieux préciser, par de nouvelles recherches, jusqu’à quel point, dans le domaine des capacités métalinguistiques, un transfert peut s’opérer entre les différentes langues maternelles et le français langue seconde. Les études menées par Comeau et al. (1999) et Cormier et Kelson (2000) auprès d’une population d’élèves anglophones du primaire scolarisés dans des classes d’immersion française montrent l’existence de tels effets de transfert entre les langues en présence, tout au moins en contexte de bilinguisme additif (voir Cummins, 2000). Il serait pertinent d’observer, auprès d’élèves immigrants allophones sous-scolarisés, issus de différentes communautés linguistiques et susceptibles de vivre une situation de bilinguisme soustractif, comment se réalise le développement des capacités métalinguistiques en L1 et en L2, en relation avec l’apprentissage à l’oral et à l’écrit de la langue seconde.

En matière d’implications pédagogiques, les résultats de cette étude indiquent qu’il est nécessaire d’appuyer les élèves allophones sous-scolarisés dans leur appropriation de toutes les facettes de la compétence langagière, à l’oral comme à l’écrit (Painchaud et al., 1994). En effet, il apparaît nécessaire de mettre l’accent tout autant sur l’apprentissage des habiletés de bas niveau, telles que la reconnaissance des mots, que sur la familiarisation avec la culture de l’écrit, au moyen d’activités authentiques (ou réalistes) de lecture et d’écriture. Par ailleurs, une attention particulière devrait être portée au développement des habiletés langagières orales décontextualisées et à l’approfondissement de la capacité à réfléchir consciemment sur les différentes unités de la langue et à les manipuler délibérément. En effet, ces capacités métaphonologiques constituent un indicateur de la force spécifique de ce groupe d’élèves solutionneurs faibles, qu’ils soient allophones réguliers ou sous-scolarisés, comme c’est la présence de capacités métasyntaxiques qui constitue un marqueur de l’expertise en compréhension de textes des élèves allophones réguliers solutionneurs forts. Des programmes visant le développement de capacités métalinguistiques leur permettraient de s’appuyer sur leurs forces pour mieux réussir leur apprentissage de l’écrit (pour la métaphonologie : Armand et al., 2004 ; Stuart, 1999).

Par ailleurs, le recours à la langue maternelle, préconisé par le ministère de l’Éducation du Québec (1998, p. 25), pour les élèves sous-scolarisés pourrait s’avérer une aide précieuse. Des activités de manipulation et d’observation guidées de la langue première ainsi que du français langue seconde, menant à la prise de conscience des régularités en termes de phonologie comme de morphosyntaxe, permettraient à ces élèves de consolider ou de développer leurs capacités métalinguistiques. Autrement dit, au-delà de l’acquisition de simples connaissances langagières, il s’agit d’amener l’apprenant à devenir un observateur de la langue, un « linguiste en herbe » (Brédart et Rondal, 1982). Toutefois, en contexte fortement plurilingue, le recours à la langue maternelle de chacun des enfants présents peut se révéler difficile faute de ressources appropriées. Il serait intéressant alors de s’inspirer des pratiques pédagogiques développées dans le cadre de programmes qui favorisent plus largement l’éveil au langage et l’ouverture à la diversité linguistique. Ces programmes sont apparus en Grande-Bretagne, au début des années 1980, grâce à Eric Hawkins (1987) et à James et Garrett (1991), qui sont à l’origine du courant du language awareness. Les objectifs de ces programmes sont de favoriser, par le contact et la manipulation de corpus de différentes langues, le développement de capacités métalinguistiques favorables à l’entrée dans l’écrit, le passage de la langue maternelle à l’apprentissage d’une langue étrangère ainsi que la reconnaissance et l’enseignement des langues des élèves issus des minorités linguistiques. Dans les années 1990, alors qu’elle était un peu mise de côté en Grande-Bretagne, cette approche a été rebaptisée l’éveil au langage ou l’éveil aux langues, selon les objectifs visés, et reprise en Europe dans le cadre des programmes Evlang (Candelier, 2003) et Eole (Perregaux, De Goumoëns, Jeannot et De Pietro, 2003). Au Québec, une équipe de recherche a récemment élaboré un programme d’éveil au langage et d’ouverture à la diversité linguistique (Armand, Maraillet et Beck, 2004) et il serait particulièrement intéressant d’observer les effets d’un tel programme sur le développement des habiletés métalinguistiques d’élèves allophones sous-scolarisés, comme, de façon plus générale, sur leur motivation face aux apprentissages langagiers.

En conclusion, conformément à la première orientation de la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (MEQ, 1998), l’objectif visé, à travers l’éclairage fourni par les différentes recherches et les mises à l’essai d’innovations pédagogiques réalisées auprès de ces élèves immigrants nouvellement arrivés et en situation de grand retard scolaire, est bien d’outiller pour la réussite et la participation tous les élèves scolarisés dans le système scolaire québécois.