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Introduction

Durant la dernière décennie, un nouveau sujet est apparu au programme des politiques sur l’enseignement supérieur dans la plupart des pays du monde. Les sujets traditionnels des politiques sur l’enseignement supérieur concernant l’accès et le coût ont été complétés par une nouvelle préoccupation de la qualité académique. Initiées d’abord en France au début des années 1980, et plus amplement élaborées au Royaume-Uni par le gouvernement Thatcher vers la fin des années 1980, de nouvelles formes de réglementation nationale de la qualité – couramment appelées quality assurance ou assurance de la qualité – se sont répandues rapidement à travers le monde. Une mesure indirecte de la diffusion de ces nouvelles politiques publiques est le développement d’une association internationale d’entités publiques et indépendantes de la qualité académique – l’International network of quality assurance agencies in higher education (INQAAHE) ou réseau international d’agences d’assurance de la qualité académique dans l’enseignement supérieur. En 1990, année de sa création, ce réseau comptait 25 membres dans 17 nations, principalement représentées par les pays affiliés au Westminster. En 2001, lorsque l’INQAAHE a tenu sa sixième conférence internationale à Bangalore, en Inde, il a attiré 300 participants venus de 46 pays et régions.

Alors que les décideurs et analystes de politiques publiques ont débattu des enjeux touchant la régulation de la qualité académique, il y a aussi eu des discordes majeures sur la signification même du terme. Selon plusieurs auteurs, le concept de « qualité académique » serait amorphe, non mesurable ou si ambigu sur le plan de la signification qu’il est inadéquat au contexte de la régulation publique. Nous sommes d’avis, au contraire, que le concept de qualité académique est fondamental et nécessaire dans l’enseignement supérieur, à tel point que nos préoccupations concernant les coûts et l’accessibilité deviennent de plus en plus futiles. Dans la discussion qui suivra, nous définirons la qualité académique comme l’équivalent de standards académiques, c’est-à-dire le niveau de rendement académique atteint par les diplômés de l’enseignement supérieur. Cette définition de qualité académique comme standards académiques est consistante avec l’émergence, dans l’enseignement supérieur, d’une attention toute particulière aux résultats de l’apprentissage des étudiants – les niveaux spécifiques de connaissance, compétence et habileté qu’atteignent les étudiants à la suite de leur engagement dans un programme particulier de collège ou d’université (Pascarella, 2001).

Le développement de ces nouvelles réglementations et agences soulève des questions substantielles pour la communauté universitaire aussi bien que pour le grand public. Y a-t-il un besoin de nouvelles politiques sur la qualité académique et, si tel est le cas, quels sont les meilleurs moyens d’aborder ce sujet à la fois au sein des universités et à travers la réglementation publique ? Nous [1] avons étudié le problème de la qualité académique au cours de la dernière décennie à travers des recherches menées aux États-Unis, en Europe et en Asie et présentons ici nos résultats et observations. Dans notre analyse [2], nous exposons d’abord les grandes lignes concernant la nature et des causes du problème noté à propos de la qualité académique. Dans cette discussion, nous utilisons principalement des données sur les États-Unis, le système que nous connaissons le mieux. Cependant, les sujets que nous abordons sont aussi pertinents dans les pays d’Europe et d’Asie et devraient de ce fait avoir une plus grande pertinence générale. Nous tentons donc de suggérer quelques approches possibles d’amélioration de la qualité académique, d’abord dans les universités, puis brièvement, à travers les politiques publiques.

Avons-nous un problème de qualité académique ?

Dans une récente recherche analysant la qualité de l’enseignement au premier cycle (bachelor’s) aux États-Unis au cours des trente dernières années, George Kuh (1999), un spécialiste de l’Université de l’Indiana, a demandé : « Que sommes-nous en train de faire ? » Après avoir évalué systématiquement les données disponibles dans tous les types de collèges et d’universités sur la nature des expériences universitaires des étudiants, sur la façon dont ils emploient leur temps et le niveau d’effort qu’ils consentent aux activités liées à leur apprentissage, Kuh en arrive à la conclusion suivante :

Les experts sont habitués à utiliser l’échelle de notation allant de A à F pour évaluer la performance du système éducatif américain. Sur la base des résultats de cette étude, quelle note rend fidèlement compte de la qualité de l’expérience en premier cycle universitaire aux États-Unis ? […] Eu égard à l’effort, ni les étudiants ni les institutions n’ont atteint une note meilleure que C. Ce niveau d’effort n’atteint sûrement pas l’engagement collectif à l’excellence dont nos étudiants et notre nation ont besoin et qu’ils méritent.

Kuh, 1999, p. 117

Kuh a basé son jugement, en partie, sur des enquêtes d’activités étudiantes menées auprès d’un échantillon représentatif d’universités et de collèges américains durant les deux dernières décennies [3]. Les enquêtes examinent les déclarations faites par les étudiants concernant leurs propres activités universitaires : par exemple, la durée du temps qu’ils passent à étudier, le nombre de fois où ils passent cinq heures ou plus à rédiger des travaux, le nombre de fois où ils lisent dix pages ou plus de livres exigés en classe. À travers différentes recherches, ces activités particulières ont été identifiées comme indicateurs d’apprentissage chez les étudiants. L’analyse de Kuh montre que, dans tous les types d’instituts et universités des États-Unis, les étudiants des années 1990 ont déclaré qu’ils consacraient moins de temps aux activités liées à l’apprentissage, dont la participation aux cours et à l’étude, que l’ont fait leurs prédécesseurs, tout en affirmant avoir eu des notes plus élevées. Kuh a aussi examiné l’expérience étudiante des années 1990 sous l’angle des trois processus les plus recommandés pour promouvoir l’apprentissage : l’interaction professeurs-étudiants, la coopération entre pairs et l’apprentissage actif. Il a découvert que les étudiants ont reconnu les gains provenant uniquement de l’expérience de l’interaction professeurs-étudiants et ils ne l’ont fait que dans de petits collèges. Dans les universités décernant des doctorats, les tendances pointaient vers la direction opposée, vers moins d’interaction étudiants-professeurs et moins d’apprentissage actif [4].

Pour être juste, l’analyse de Kuh, basée comme on le voit sur des données issues de déclarations d’étudiants, ne fournit pas la preuve que les actuels diplômés des universités et des collèges américains soient moins aptes ou moins bien formés que leurs prédécesseurs. Toutefois, les tendances générales que décèle Kuh concordent avec les perceptions du public selon lesquelles la qualité de l’éducation, au premier cycle universitaire aux États-Unis, s’est détériorée. Cette préoccupation publique a conduit à des efforts, au cours de la dernière décennie, à la fois de la part de l’État et du fédéral, pour accroître l’attention qu’accordent les universités et les collèges américains à l’amélioration de l’enseignement et à l’apprentissage des étudiants (Dill, 1998). Ces efforts ont suscité des initiatives de l’État afin d’accorder une attention accrue à l’évaluation des étudiants de premier cycle dans les universités et les collèges publics – l’évaluation des étudiants renvoie dans ce contexte à des moyens plus systématiques d’évaluer les expériences d’apprentissage des étudiants de premier cycle universitaire. Ces initiatives de l’État comportent aussi une subvention basée sur la performance liée à des mesures de rendement des étudiants aussi bien que des efforts pour hausser la quantité de temps que les professeurs passent à enseigner. En Caroline du Nord, par exemple, la législature de l’État a ordonné, à l’automne 2001, un accroissement de 10 % du temps employé par les membres du corps professoral à enseigner dans les universités de recherche de l’État, en réaction à la préoccupation des politiciens sur le fait que les professeurs d’université n’accordent pas à l’enseignement de premier cycle une assez grande priorité.

Au niveau fédéral, il y a eu des appels accrus à une réforme du système d’accréditation des universités et des collèges américains (Dill, 1997). Face à cette pression fédérale, les agences d’accréditation à la fois régionales et professionnelles ont revu leurs standards et leurs processus d’évaluation pour mettre plus d’accent sur la qualité académique et l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage (Dill, 2000a). Comme nous l’avons signalé dans notre introduction, ces préoccupations publiques concernant la qualité académique et les pressions conséquentes pour la réforme ont émergé dans des pays aussi divers que le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Brésil, la Chine et la Suède.

En présumant ici que l’analyse de Kuh et la préoccupation publique au sujet de l’enseignement de premier cycle universitaire ont une certaine validité, quelle pourrait être la cause de l’érosion de la qualité académique dans les universités et les collèges américains ? Comprendre les causes de ce problème est crucial parce que, si un nouveau type de réglementation doit être développé, nous préférerions tous qu’il soit orienté clairement et efficacement vers la résolution du problème.

Les causes du problème : le désengagement du corps professoral

Kuh (1999) suggère qu’une raison majeure du déclin apparent de la qualité de l’expérience d’apprentissage au premier cycle universitaire aux États-Unis est ce qu’il appelle le faculty disengagement ou désengagement du corps professoral. Les membres du corps professoral de tous les types d’universités sont devenus moins impliqués dans l’enseignement et dans l’évaluation de l’apprentissage des étudiants. Par conséquent, Kuh en conclut qu’un renversement des tendances négatives notées dans les activités d’apprentissage des étudiants exige que les membres du corps professoral investissent plus de temps dans des efforts ciblés, et en collaboration, pour améliorer la qualité académique.

Ce que Kuh a décrit comme le désengagement du corps professoral peut avoir deux significations. La première, la plus évidente, est la réduction du temps que les membres du corps professoral allouent à l’enseignement et l’accroissement de celui qu’ils réservent à la recherche et aux travaux d’érudition. Cette signification du désengagement du corps professoral soulève des questions intéressantes et troublantes de responsabilité professionnelle et de politique publique. Nous allons brièvement aborder ces questions avant de nous tourner vers une seconde et moins évidente signification de ce désengagement.

Des enquêtes nationales menées sur les activités du corps professoral (Fairweather, 1996), menées aux États-Unis durant les dernières décennies, ont montré que la proportion de temps que les membres du corps professoral ont reconnu passer à enseigner avait chuté et que la proportion de temps qu’ils ont reconnu passer à effectuer des travaux de recherche s’était accrue dans toutes les institutions postsecondaires de quatre ans, y compris les petits collèges centrés sur les lettres et les « humanités » (liberal arts colleges). Charles Clotfelter (1996), un économiste de Duke University, a découvert dans une analyse détaillée des changements opérés au cours des dernières années dans des départements représentatifs des universités de Chicago, de Duke et de Harvard :

Si jamais les [trois] institutions examinées ici indiquent quelque chose, la période entre 1977 et 1992 en était une de changement graduel mais perspicace. Presque toutes les charges d’enseignement, mesurées en nombre de cours par an, ont baissé dans les départements de l’échantillon. Malgré le fait que ces charges ne couvrent d’aucune façon tous les aspects de l’enseignement, elles suggèrent un écart significatif par rapport à l’enseignement et un rapprochement vis-à-vis de la recherche.

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Il est important de souligner que la décision de transférer du temps d’enseignement à la recherche a été prise par les professeurs eux-mêmes, à la fois collectivement par l’administration et aussi, indirectement, par les membres des corps professoraux. En dépit des efforts déployés par le gouvernement pour influencer l’enseignement, la recherche et le service public dans le secteur universitaire, la plupart des décisions quotidiennes concernant ces activités relèvent entièrement des départements et des membres des corps professoraux eux-mêmes. Cette décision de réduire le temps alloué à l’enseignement peut évidemment affecter la qualité de l’enseignement individuel en classe, mais comme nous allons le suggérer, elle peut aussi affecter négativement les activités collectives des professeurs relatives à l’enseignement, telles que le développement du curriculum et l’évaluation des étudiants dont dépendent considérablement et l’apprentissage efficace des étudiants et le maintien des standards académiques.

Au sein du système américain, ce désir de limiter le temps investi dans l’enseignement et de maximiser celui investi dans la recherche et les travaux d’érudition est certainement une décision économiquement rationnelle. Les fonds de recherche sont accordés de manière compétitive aux États-Unis. C’est ainsi que, dans plusieurs champs, obtenir un soutien pour la recherche et l’érudition requiert l’investissement de beaucoup de temps dans la préparation des demandes de subvention. Nous savons tous que les professeurs sont recrutés d’une université à l’autre sur la base de leur réputation sur le plan de la recherche et non pas en matière d’enseignement au premier cycle. En bref, les membres du corps professoral peuvent tangiblement augmenter les gains enregistrés durant leur vie en investissant plus de temps dans leurs activités de recherche et d’érudition que dans leurs activités pédagogiques.

En outre, comme le recrutement universitaire devient plus international et que les autres pays adoptent le système compétitif américain pour l’octroi de fonds de recherche, le problème du transfert, par les membres du corps professoral, du temps traditionnel de l’enseignement vers la recherche devient généralisé. Beaucoup de pays qui ont étendu l’accès à l’enseignement supérieur durant la dernière décennie, en vue de fournir plus souvent de meilleures possibilités économiques à leurs citoyens, deviennent préoccupés par une dérive vers la recherche observée dans les institutions de leurs systèmes d’enseignement supérieur (Dill, 1998). Ils découvrent ainsi que le professorat de leurs systèmes d’enseignement supérieur est en train d’adopter les normes et conduites des professeurs du secteur universitaire traditionnel. Par conséquent, certains pays ont mis au point des research assessment schemes ou plans d’évaluation des recherches conçus pour évaluer la qualité de la recherche des départements universitaires et limiter les subventions publiques de recherche au bénéfice de départements qui s’avèrent être les plus méritants (Dill, 1998).

Ces enjeux ne font certes pas l’unaminité. Après tout, la structure courante des incitatifs académiques, surtout aux États-Unis, est, en partie, une fonction des politiques fédérales de recherche. En outre, la recherche fait également partie des contributions indépendantes importantes pour l’intérêt public. Ainsi, l’investissement accru, par un membre du corps professoral, de temps dans la recherche peut se défendre de manière convaincante comme une contribution accrue au bien public. Ce sont là des points légitimes, mais comme nous l’avons noté, au moins au Royaume-Uni, le transfert du temps de l’enseignement vers la recherche est en train de voir le jour en raison des décisions des professeurs qui sont, en grande partie, invisibles au grand public et aux gestionnaires. Puisque ces décisions impliquent souvent le transfert de fonds publics, avons-nous une obligation d’ordre éthique de nous assurer que ces choix politiques soient débattus publiquement et que rien n’en soit tenu secret ? Et si nous prétendons, comme nous le faisons si souvent, que nous maintenons les standards académiques en transférant le temps du corps professoral de l’enseignement vers la recherche, quelles données empiriques solides soutiennent cette revendication ? Quelles nouvelles sauvegardes avons-nous mises au point pour nous assurer que la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage ne souffre pas dans ce processus ? Malheureusement, les résultats des études nationales menées par des chercheurs sur le terrain (Boyer Commission, 1998 ; Kuh, 1999) fournissent peu de soutien à ces revendications.

La qualité de l’apprentissage des étudiants et le comportement coopératif du corps professoral : le paradoxe à la Catch 22

Nous aimerions explorer une seconde signification de l’expression du désengagement du corps professoral de Kuh, qui, à notre avis, a des implications bien plus constructives pour l’organisation du travail académique et pour les politiques publiques. Le désengagement du corps professoral nous fait aussi penser à ce que Bill Massy de l’Université de Stanford (Massy, Wilger et Colbeck, 1994) appelle hollowed collegiality ou collégialité superficielle. Par collégialité superficielle, Massy veut suggérer que lorsque les départements académiques agissent collectivement, ils évitent les activités spécifiques de collaboration qui pourraient déboucher sur de véritables améliorations relatives au cursus et à l’enseignement.

En recherche sur le terrain, dans les départements des universités américaines, Massy et ses collègues (Massy, Wilger et Colbeck, 1994) ont constaté que les membres des corps professoraux reconnaissent volontiers l’effet de la participation à des réunions informelles pour partager les résultats de recherche, à des procédures collectives visant à déterminer la promotion ou la titularisation des professeurs, et à la prise de décisions consensuelles sur des cours particuliers devant être offerts chaque trimestre et sur les personnes devant le faire. Cependant,

en dépit de ces signes extérieurs de la collégialité, les répondants ont rapporté qu’ils ont rarement conduit aux plus substantielles décisions nécessaires pour améliorer l’enseignement au premier cycle ou au sens de responsabilité collective nécessaire pour rendre les efforts des départements plus efficaces. Ces vestiges de la collégialité conviennent bien aux professeurs, mais ils esquivent les questions fondamentales portant sur la tâche. Ceci est spécialement le cas, et c’est regrettable, en relation avec l’apprentissage des étudiants : la collégialité ne s’intéresse pas toujours à l’implication des professeurs dans des questions touchant la structure du curriculum, les alternatives pédagogiques et l’évaluation des étudiants.

Massy, Wilger et Colbeck, 1994, p. 19

Un important facteur contribuant à cette collégialité superficielle est un mode de communication fragmentée parmi les membres du corps professoral au sein des départements observés. Non seulement ces membres effectuent-ils la plus grosse part de leur enseignement de manière individuelle, mais aussi, parce que les sous-champs des disciplines sont souvent définis très étroitement, plusieurs d’entre eux trouvent presque impossible de discuter de leur enseignement avec des collègues. La prédominance des valeurs de l’autonomie individuelle et de la spécialisation universitaire mène à l’atomisation du curriculum et à l’isolement professionnel.

Des enquêtes menées, auprès des professeurs aux États-Unis, par le professeur Joan Stark et ses collègues, à l’Université de Michigan (Lattuca et Stark, 1994), ont révélé que les normes et standards des disciplines, qui fournissaient habituellement une base pour la planification coopérative des cursus et les discussions entre professeurs sur l’apprentissage des étudiants, influencent de moins en moins le comportement des professeurs. Dans beaucoup de disciplines, les membres du corps professoral ne peuvent plus s’accorder facilement sur les définitions de contenu du cursus. Ils ne s’entendent pas non plus sur le fait que des séquences spécifiées de contenu d’apprentissage sont appropriées pour les étudiants. Dans plusieurs disciplines, les membres du corps professoral croient que la diversité des champs a empêché l’atteinte d’un consensus sur ce que les étudiants devraient connaître [5].

Ici, nous trouvons ce que nous croyons être le paradoxe central des universités contemporaines : le paradoxe de la qualité académique. Ce paradoxe est similaire à celui auquel fait face Yossarian, le protagoniste du roman populaire, Catch 22, de Joseph Heller (1961). Yossarian est un bombardier de l’armée de l’air américaine pendant la Seconde Guerre mondiale qui en est venu à croire, avec une certaine justification, pourrions-nous ajouter, que tout le monde veut le tuer. Yossarian tente de se dispenser du combat en se déclarant malade mental. Mais le médecin consultant confronte Yossarian à la règle de Catch 22 – un homme doit être déclaré fou pour être dispensé de l’obligation de combattre ; en revanche, tout homme voulant échapper à l’obligation de combattre ne peut être réellement fou.

Le défi d’améliorer la qualité académique pose un paradoxe similaire. L’action collective des professeurs en vue d’améliorer l’enseignement et l’apprentissage des étudiants exige des preuves qu’un investissement de temps et d’énergie individuel dans des comportements collectifs avec ses collègues en vaut la peine (Dill, 1999a). Mais parce que la nature essentielle de l’organisation et de la culture académique est hautement individualisée et que les professeurs ont toutes sortes d’incitations à poursuivre leurs propres champs d’intérêts en enseignement spécialisé et en recherche, les membres des départements académiques éprouvent de la difficulté à s’entendre sur des mesures communes pour l’apprentissage des étudiants. Dès lors, les unités universitaires ne réussissent pas à recueillir des preuves évidentes que l’action coopérative pour restructurer les cursus et améliorer l’apprentissage des étudiants est bénéfique.

Faute de telles preuves, tout membre raisonnable du corps professoral croirait qu’il devrait, et ce, dans son propre intérêt, continuer à investir un temps précieux dans des efforts privés d’enseignement et de recherche. Cela révèle le paradoxe du type Catch 22 de la qualité académique. Comment créons-nous des conditions incitatives au comportement coopératif pour améliorer l’apprentissage des étudiants dans une institution organisée de manière à encourager la discrétion individuelle dans l’enseignement et la recherche ?

L’organisation apprenante

Nous avons mentionné initialement que les universités de plusieurs pays sont soumises à une pression publique croissante pour améliorer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage des étudiants. S’il en est ainsi, comment ces universités abordent-elles le paradoxe de type Catch 22 ? Notre propre recherche (Dill, 1999b) basée sur des études de cas menées au Royaume-Uni, en Europe, en Australie, en Asie et en Amérique du Sud, suggère que les universités essaient d’adapter leur structure académique, d’abord en encourageant les membres des corps professoraux à s’impliquer dans la résolution plus active de problèmes universitaires, puis en améliorant l’imputabilité et la communication au sein des unités académiques, et enfin, en créant de nouveaux mécanismes pour coordonner l’enseignement et l’apprentissage des étudiants à travers toute l’université.

Il est singulièrement ironique qu’un facteur initial et critique d’amélioration de la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage des étudiants dans une université soit l’instauration d’une culture de la preuve dans la résolution de problèmes universitaires. Comme l’a observé Sir Ashby (1963), de manière si incisive, il y a une quarantaine d’années,

[p]artout à travers le pays, ces groupes d’érudits ne voudraient pas prendre de décision sur la forme d’une feuille ou l’étymologie d’un mot ou l’auteur d’un manuscrit sans péniblement rassembler des éléments de preuve, alors qu’ils prennent des décisions au sujet des politiques d’admission, de la taille des universités, des ratios professeurs-étudiants, du contenu des cours, et de sujets de même nature, sur la base d’hypothèses douteuses, de données floues et de simples pressentiments.

p. 93

La résolution effective de problèmes pour l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage des étudiants, surtout en ce qui concerne l’unité universitaire de base, dépend considérablement de la qualité des « connaissances sociales » au sein d’un corps professoral déterminé. Pour que les membres d’une unité universitaire développent des connaissances sur la qualité académique, on requiert une approche basée sur des preuves et un langage commun à propos du rendement des étudiants. Comme l’ont fréquemment révélé les recherches sur les cultures des disciplines (Braxton et Hargens, 1996), l’efficacité de la résolution collective de problèmes de nature universitaire varie considérablement en fonction des champs d’expertise. Chez des professeurs dont les champs d’expertise et les cursus sont moins structurés, l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage est problématique, souvent à cause de débats idéologiques sur l’enseignement et les cursus. Elle est également problématique en raison de la croyance que l’enseignement est un art plutôt qu’une science. Reconnaissant cette limite, un certain nombre d’universités fournissent maintenant une formation à leurs unités universitaires sur les processus d’évaluation et sur l’assurance de la qualité académique. Ces universités ont découvert que le développement d’une norme partagée de résolution analytique de problèmes et d’un langage à l’échelle universitaire à propos de la performance académique a incité les membres du corps professoral à discuter collectivement et à débattre de nouvelles connaissances pour l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage des étudiants. Ces remarques suggèrent qu’encourager une culture de résolution de problèmes basée sur des preuves au sein de toutes les unités académiques est un premier pas crucial, souvent sous-estimé, pour résoudre l’actuel paradoxe de la qualité académique.

Pour rendre la résolution de problèmes universitaires efficace, la structure des universités doit permettre aux membres des corps professoraux de coordonner effectivement les processus d’enseignement et d’apprentissage des étudiants. La spécialisation et les traditions d’autonomie professionnelle rendent souvent difficile, sinon impossible, la collaboration des professeurs dans les processus d’amélioration des programmes. Certaines universités que nous avons observées s’appuyaient auparavant sur une forme traditionnelle d’organisation professorale. Ces universités créent maintenant de nouvelles structures pour favoriser l’imputabilité et le contrôle du corps professoral sur l’enseignement des spécialités. Ces structures incluent la désignation de coordonnateurs de cursus parmi les professeurs, la création de comités formés de professeurs pour coordonner la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage au sein des unités, et, dans certains cas, la mise sur pied d’« écoles » formelles comme moyen d’encourager des cursus conçus et dirigés avec plus de cohésion.

Un autre changement organisationnel est le développement, sur le plan pan-universitaire, de structures de coordination plus efficaces, un meilleur soutien et une plus grande imputabilité en vue de l’amélioration systématique de l’enseignement et de l’apprentissage. Ces changements comportent le développement de comités de professeurs sur le plan universitaire avec le devoir de vérifier, sur une base continue, la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage dans les unités universitaires. Ces comités ont aussi souvent pour mandat d’allouer des fonds pour le soutien d’expériences et d’innovations dans l’enseignement et l’apprentissage, et de coordonner le travail de diverses unités techniques qui fournissent un soutien pour l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage dans l’unité universitaire. Ces unités incluent des centres d’enseignement et d’apprentissage, des groupes d’évaluation de cursus et de programmes, et des unités qui assurent une assistance dans l’évaluation des étudiants et dans des enquêtes auprès des diplômés.

Chacun des changements structurels qui ont été mentionnés – résolution systématique de problèmes, liaison plus claire entre l’autorité et la responsabilité pour les cursus, et l’apprentissage des étudiants – peut être compris comme exemple d’une forme nouvellement émergeante d’organisation appelée learning organization ou organisation apprenante (Dill, 1999b). Par organisation apprenante, nous entendons une organisation habilitée à créer, à acquérir et à transférer des connaissances, et à modifier sa conduite pour refléter des connaissances nouvelles et de nouveaux insights (nouvelles perspectives) (Garvin, 1993, p. 80).

Les recherches récentes (Dill, 1999b) sur les organisations apprenantes suggèrent des caractéristiques qui permettent à ces types d’organisation de survivre et de prospérer dans des circonstances de plus en plus compétitives. De tous les facteurs qui se sont avérés critiques au développement réel d’une organisation apprenante, ceux qui faisaient le plus défaut, dans les universités que nous avons observées, étaient les processus ou les structures qui encourageaient le transfert interne de nouvelles connaissances sur l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage des étudiants. Ici, la tradition profondément enracinée d’autonomie universitaire empêche l’université de réaliser des progrès évidents. Ce handicap est créé par une attitude de laisser-faire administratif à l’égard de l’amélioration de la qualité académique au sein des collèges et des universités (Dill, 2000b). Des pays, tels le Royaume-Uni et la Suède, qui ont systématiquement revu les mécanismes de maintien des standards dans divers champs d’expertise ont inévitablement découvert une variation considérable dans les moyens employés dans les unités d’une même université de façon à assurer la qualité exigée. Certaines des méthodes d’assurance de la qualité universitaire utilisées dans les unités visitées étaient, aux yeux des analystes externes, clairement supérieures aux autres approches. Mais lorsque ces variations étaient révélées aux doyens ou à la haute administration de l’université avec autorité sur les programmes pertinents, ces responsables déclaraient souvent ignorer ces différences. Ce peu de connaissances – et d’intérêt dans plusieurs cas – portant sur les variations observées dans les processus d’assurance de la qualité académique au sein des universités soulève de sérieuses questions sur un possible abandon de la part des administrateurs de leur responsabilité d’assurer les standards universitaires. Mais il suggère également qu’au sein de la plupart des universités, certaines unités plus performantes ont des connaissances sur l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage dont d’autres unités pourraient s’inspirer. Cette réalité reflète la valeur à escompter en accordant une attention d’entrepreneur à l’identification de meilleures pratiques dans l’assurance de la qualité académique au sein d’une université et en apportant une assistance dans le transfert de ces pratiques à d’autres unités universitaires.

Les actions dont nous avons dressé les grandes lignes précédemment pourraient servir de guide pour l’amélioration de la qualité à tous les plans d’une université, d’un département, d’une faculté ou de l’ensemble de l’établissement. Mais comme nous l’avons proposé, l’impulsion de tels changements ne vient généralement pas de la dynamique interne des institutions, mais de pressions externes pour l’amélioration des processus d’assurance de la qualité. Toutes les universités que nous avons examinées avaient été sujettes à de telles pressions externes pour réformer leurs approches. Par conséquent, nous aimerions conclure avec quelques brèves remarques sur la conception de telles politiques publiques.

Les politiques orientées vers les processus d’assurance de la qualité académique

Nous avons indiqué que les motivations et les valeurs qui sous-tendent le comportement individualiste des professeurs, au détriment des efforts de coopération nécessaires à l’amélioration de la qualité académique et au maintien des standards académiques, constituent une cause majeure des problèmes relatifs à la qualité académique. Si cela est vrai, il est prévisible que plusieurs des politiques publiques prônées actuellement pour assurer la qualité académique risquent d’être inefficaces du fait qu’elles sont orientées vers de faux problèmes. C’est particulièrement le cas des systèmes d’accréditation qui sont centrés sur la qualité des inputs de l’université plutôt que sur les processus essentiels et les produits, les efforts pour réglementer les charges de travail du corps professoral, les systèmes de mérite et de classement qui évaluent la qualité académique sur la base du prestige du corps professoral et de l’université, et les systèmes d’octroi des subventions liés à des mesures traditionnelles de la productivité universitaire. Nous croyons plutôt que les politiques publiques sur la qualité académique doivent être orientées vers les processus, centrées sur le renforcement des processus dans les institutions où les professeurs, collectivement et au sein des unités, exercent leur responsabilité de maintenir de hauts standards universitaires [6].

Divers pays ont implanté de telles politiques de qualité académique orientées vers les processus (Dill, 2000b). Ces politiques portent différents noms, mais elles présentent certaines caractéristiques communes. Premièrement, elles supposent à l’origine que le maintien de standards universitaires est principalement la responsabilité du corps professoral, et que les universités en sont imputables. Deuxièmement, les politiques privilégient des évaluations externes, menées par des groupes de pairs, sur les processus que les universités ont mis en place pour s’assurer de la qualité de l’apprentissage des étudiants et des standards de leurs diplômes. Troisièmement, les évaluations ne sont pas directement liées au financement, mais elles fournissent des rapports publics sur les processus d’assurance de la qualité dont les collèges et universités se servent pour exercer leur responsabilité relativement aux standards universitaires et à la qualité de leur enseignement et de l’apprentissage des étudiants.

Menées de façon indépendante, des évaluations de ces politiques d’assurance de la qualité (Dill, 2000b) au Royaume-Uni, en Suède, à Hong Kong et en Nouvelle- Zélande ont révélé les points suivants :

  • Les évaluations de la qualité orientées vers les processus ont fait de l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage des étudiants une priorité. La nature publique des évaluations et la publication d’analyses de la qualité ont placé l’amélioration des processus, conçus pour assurer et hausser la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage des étudiants de manière ferme, à l’ordre du jour de chaque établissement, dans plusieurs cas pour la première fois. Plusieurs des établissements évalués ont réagi à leurs rapports publiés en signalant que les changements suggérés par les évaluateurs étaient en cours, mais les évaluations laissaient entendre que plusieurs des changements opérés dans les politiques et structures institutionnelles n’auraient pas été implantés sans la pression des évaluations externes.

  • Les évaluations orientées vers les processus ont facilité la discussion active et la coopération au sein des unités universitaires sur les moyens d’améliorer l’enseignement et l’apprentissage des étudiants. Toutes les évaluations ont montré, chez les professeurs, un accroissement d’une discussion collégiale et une action coopérative en vue d’améliorer la qualité académique ainsi que des résultats du processus même d’évaluation externe de la qualité. Cela était particulièrement le cas dans les versions suédoises et hong kongaises des évaluations externes orientées vers les processus, qui encourageaient des réactions, à la fois institutionnelles et départementales, aux analyses et recommandations des experts.

  • Les évaluations orientées vers les processus ont aidé à clarifier la responsabilité d’améliorer l’enseignement et l’apprentissage des étudiants en ce qui concerne l’unité universitaire, le corps professoral et l’établissement. Les analyses ont souvent montré que les départements, les professeurs et les administrateurs sont responsables du développement et de l’implantation des processus actifs d’assurance de la qualité pour contrôler et améliorer l’enseignement et l’apprentissage des étudiants.

  • Les évaluations orientées vers les processus ont fourni des informations sur les meilleures pratiques à la fois au sein des établissements et à travers eux. Le processus d’évaluation a révélé aux administrateurs, souvent pour la première fois, qu’il existait de meilleures pratiques identifiables d’assurance de la qualité académique au sein de leurs propres institutions et qu’elles pouvaient être transférées entre les départements et les facultés comme outil d’amélioration. Sur le plan interinstitutionnel, l’Agence britannique d’assurance de la qualité (UK Quality Assurance Agency) a mis au point une fonction formelle de « facilitation de la qualité » conçue pour disséminer les meilleures pratiques à travers tout le système d’enseignement supérieur. Cette fonction s’est révélée à travers les révisions de la qualité académique.

Nous croyons ainsi que ces politiques orientées vers les processus d’assurance de la qualité ont un potentiel substantiel pour faire face au paradoxe de la qualité académique parce qu’elles ont une plus grande probabilité d’aider à restaurer le réseau interne de responsabilités académiques au sein des universités. Et en restaurant ce réseau, ces politiques favoriseraient l’application de standards rigoureux et l’amélioration de la qualité des apprentissages des étudiants.