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1. Introduction

La lecture d’un quotidien à l’école n’est pas une idée nouvelle. L’Association Régions Presse Enseignement Jeunesse, en France, et le Centre de ressources en éducation aux médias, au Québec, sont deux organismes qui militent en faveur de l’utilisation du journal dans les classes depuis un bon nombre d’années. Cependant, que la lecture d’un quotidien devienne le déclencheur exclusif du développement des habiletés langagières dans un programme de formation pour des jeunes en difficulté au secondaire constitue, à notre connaissance, un fait unique et une particularité des Centres de formation en entreprise et récupération, plus communément appelés les CFER.

Ainsi, des jeunes en difficulté majeure d’apprentissage et de comportement, parmi lesquels plusieurs ont d’importantes lacunes en lecture, parviendraient à lire des articles de journaux et à en discuter en classe. Si tel est le cas et s’il est convenu que c’est en acceptant d’essayer à nouveau de lire qu’un élève a des chances d’améliorer sa capacité à lire, il est possible de supposer que ces jeunes parviennent à augmenter leurs habiletés langagières au cours de leur passage de trois ans dans ces centres. Or, quelques visites dans les classes ont permis de constater que, si la lecture du quotidien y est répandue et les échanges en groupe sur les divers sujets abordés, fréquents, l’exploitation des textes reste parfois minimale. Aussi, avant même de questionner l’à-propos d’utiliser uniquement la lecture du quotidien comme déclencheur d’activités propres à développer les habiletés langagières des jeunes en difficulté, les membres de l’équipe de recherche ont voulu procéder à quelques observations et connaître, entre autres, la perception qu’ont les enseignants et les jeunes inscrits dans les Centres de formation en entreprise et récupération de cet outil pédagogique et de son potentiel. Ce texte présente les résultats de ce volet d’une étude plus vaste qui porte sur la pertinence du modèle d’alphabétisation des Centres de formation en entreprise et récupération (Plessis-Bélair, Sorin et Pelletier, 2006b).

2. Problématique et contexte théorique

Les fondateurs des CFER ont pensé ce programme de formation en fonction de jeunes adolescents en difficulté importante d’apprentissage et de comportement, c’est-à-dire des jeunes qui, à quinze ou seize ans, stagnent en secondaire I ou II et ne parviendront jamais à obtenir leur diplôme d’études secondaires. Les fondateurs sont des enseignants qui ont travaillé de nombreuses années auprès de ces groupes. C’est donc essentiellement sur la base de leur longue expérience qu’ils ont élaboré leur programme. Or, pour que ces jeunes puissent aspirer à une insertion socioprofessionnelle adéquate, principal objectif du programme, ils doivent accéder à un niveau de littératie suffisant pour obtenir un emploi.

Bien que, dans les fondements du programme de formation des Centres de formation en entreprise et récupération, il soit question de modèle d’alphabétisation, grâce aux avancées de la recherche en ce domaine, on privilégie actuellement le terme de littératie à celui d’alphabétisation. L’alphabétisation désignerait le degré zéro de maîtrise de l’écrit (Barré-de Miniac, 2002), alors que la notion de niveau de littératie refléterait plus spécifiquement la réalité de ces jeunes. En effet, ces derniers ont fréquenté l’école depuis la maternelle ; ils connaissent donc le code écrit, contrairement à des personnes qui n’ont jamais appris à lire ou à écrire. Ainsi, la littératie recouvre des aspects cognitifs, tels que les compétences, les démarches, les habiletés, les stratégies… et non cognitifs, tels que les attitudes, la motivation, l’intérêt envers l’écrit… (Lafontaine, 2002).

Pouvoir signer son nom ou lire une consigne simple ne sont plus des habiletés langagières suffisantes de nos jours. Les jeunes doivent pouvoir utiliser un ordinateur et en lire les instructions, passer des entrevues pour décrocher un emploi, remplir les multiples formulaires gouvernementaux, ou encore utiliser un guichet automatique à la banque. Les habiletés énumérées ci-dessus correspondent au niveau 3 de littératie (Organisation de coopération et de développement économiques, 2000), c’est-à-dire à l’atteinte d’un niveau minimal convenable pour les exigences de la vie quotidienne et du travail, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques et selon Statistique Canada (2001). Mentionnons que les indicateurs de littératie des élèves sont fondés sur les résultats du Programme international pour le suivi des acquis (PISA) des élèves, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ces résultats sont examinés notamment à partir des niveaux de compétence (c’est-à-dire les niveaux 1 à 5 de l’échelle du PISA).

Les élèves dont le rendement est inférieur au niveau 1 de cette échelle sont incapables de démontrer couramment qu’ils possèdent les compétences de base que le PISA veut mesurer. Ils sont, par conséquent, susceptibles de connaître de sérieuses difficultés lorsqu’il s’agira d’utiliser la compétence en lecture comme outil d’acquisition de connaissances et de compétences. Les élèves qui ont un rendement de niveau 5 sont capables d’exécuter des tâches de lecture complexes (par exemple utiliser de l’information difficile à trouver dans des textes avec lesquels ils ne sont pas familiers), de manifester une compréhension approfondie de textes difficiles et de compléter des évaluations critiques en s’appuyant sur des concepts et des connaissances spécialisés. Le niveau 3 est considéré par les experts internationaux comme le minimum requis pour bien fonctionner dans l’économie du savoir.

Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2007

Cependant, les adolescents dont il est question dans cette recherche ont vécu l’échec à l’école. On peut donc se demander en quoi un autre programme de formation peut les amener à changer leur perception de l’école et à essayer de s’y investir à nouveau (Plessis-Bélair, Sorin et Pelletier, 2006a).

La lecture quotidienne du journal régional, avec une attention particulière portée aux sujets qui rejoignent les intérêts des jeunes, a été une des pistes proposées par les fondateurs du programme des Centres de formation en entreprise et récupération en ce qui a trait à la formation générale. L’élaboration d’activités pertinentes à partir de la lecture quotidienne est exigeante pour les enseignants, qui se trouvent dans l’obligation de concevoir, voire d’improviser, des activités d’apprentissage, selon les thèmes retenus le jour même. Par ailleurs, l’exigence est d’un autre ordre pour les élèves : la réussite de cette approche dépend également de leur engagement et de leur capacité à surmonter leurs échecs passés pour se risquer à nouveau sur le terrain de la connaissance. Comment ce pari est-il relevé par les enseignants et les élèves qui prennent part au programme des CFER ?

3. Projet de recherche

Des visites préliminaires dans différents Centres de formation en entreprise et récupération ont permis de réaliser que certains enseignants exploitent d’autres types de matériel pédagogique que le journal quotidien pour développer les compétences en lecture, en écriture et en mathématiques de leurs élèves. Des cahiers d’exercices en français sont utilisés, de même que des manuels d’histoire, par exemple. Par contre, la période réservée à la lecture du journal est maintenue par tous les enseignants rencontrés, et nos visites dans les classes nous ont permis de constater que les élèves s’investissent volontiers dans les échanges pour donner leur point de vue sur les articles lus en classe.

En considérant le programme prescrit par les fondateurs et l’exploitation du journal quotidien réellement mise en oeuvre par les enseignants, nous avons voulu cerner la perception des enseignants et des élèves à ce sujet, dans une perspective de développement de la littératie.

4. Méthodologie

La collecte des données a été réalisée dans des Centres de formation en entreprise et récupération, identifiés par le comité de gestion de la Chaire Normand-Maurice comme représentatifs de la formule pédagogique propre aux CFER. Notons que la Chaire Normand-Maurice, dirigée par Nadia Rousseau, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, a pour mission d’étudier, entre autres, le programme de formation des CFER, ainsi que la problématique générale des jeunes en difficulté d’apprentissage et de comportement.

4.1 Sujets

De l’ensemble des Centres de formation en entreprise et récupération identifiés par le comité, cinq ont été retenus, essentiellement pour des raisons géographiques. Relativement peu nombreux, les CFER sont répartis à travers le Québec ; ceux qui étaient situés le plus près de l’Université du Québec à Trois-Rivières ont été choisis, ce qui couvre néanmoins un très large périmètre. Dans les cinq retenus, six enseignants ont accepté de se soumettre à une entrevue semi-dirigée. Quatre groupes de quatre à neuf élèves ont également été retenus pour participer aux groupes de discussion (focus group). Dans chacun des cas, il s’agissait de l’ensemble du groupe classe de la deuxième année du programme, ce qui a constitué un total de vingt-cinq élèves participants. Tant les élèves que les enseignants ont signé le formulaire de consentement.

4.2 Instruments

Un protocole d’entrevue semi-dirigée a été élaboré (Annexe 1). Spécialisés en didactique du français, les membres de l’équipe ont voulu étudier plus particulièrement comment les enseignants présentaient l’approche valorisée par les Centres de formation en entreprise et récupération, et utilisaient les différents outils pédagogiques préconisés dans ces centres, dans le but de développer des habiletés langagières, tant à l’oral qu’à l’écrit.

Inspiré de Baby (2005), un deuxième protocole a été élaboré pour encadrer les groupes de discussion avec les élèves (Annexe 2). L’équipe souhaitait connaître la perception des élèves quant à leur formation en français dans ce contexte, leur appréciation des différents outils utilisés et les retombées possibles dans leur contexte familial et social.

4.3 Procédure

Les entrevues semi-dirigées et les échanges des groupes de discussion ont été enregistrés sur bandes magnétiques, puis transcrits. Les protocoles ont été construits par les deux professeures-chercheuses et une étudiante de maîtrise. C’est en fonction de leurs possibilités que l’une ou l’autre de ces personnes se sont rendues dans les Centres de formation en entreprise et récupération choisis pour la passation des protocoles. L’équipe a convenu de s’assurer que chacun des élèves serait interpellé lors des échanges. Cependant, à de nombreuses reprises, ils se disaient du même avis ; il a donc été décidé de privilégier la fluidité des échanges à la systématisation des réponses aux questions pour chaque élève, tout en s’assurant que des avis divergents puissent être entendus, le cas échéant.

4.4 Méthode d’analyse

Un premier codage de l’information a été réalisé à l’aide du logiciel de traitement de données qualitatives Atlas-ti. Une approche de codage mixte a été adoptée pour le traitement des données. Selon Van der Maren (1996), le codage mixte représente une combinaison d’ensembles ouverts et fermés de rubriques et de catégories et présuppose que la liste initiale du lexique des codes peut être modifiée, complétée ou réduite en cours d’analyse. Nous avons effectué un premier codage de l’une des entrevues avec un enseignant, puis de l’un des enregistrements des groupes de discussion d’élèves.

Le processus de validation a débuté par la vérification des premières listes de grilles thématiques, des catégories et des codes par un membre de l’équipe. Puis, un double codage a été opéré par les autres membres de l’équipe, afin de s’assurer qu’ils classaient les mêmes données dans les mêmes rubriques choisies lors du premier codage. Le calcul de fiabilité du codage a donné un indice de 74 % de fiabilité, ce qui respecte l’indice minimum de 70 % fixé par Miles et Huberman (2003). Le reste du matériel a été codifié par la suite.

L’analyse des données recueillies a été réalisée à l’aide d’un système catégoriel. Les données ont été regroupées par catégories et rassemblées sous différentes thématiques.

Les résultats présentés dans ce texte font voir ce que la majorité des enseignants et des élèves ont répondu à nos questions quant à l’utilisation quotidienne du journal régional. Toutefois, nous ne présentons que les résultats afférents à un seul volet des réponses obtenues, celui qui concerne l’utilisation du journal quotidien comme principal déclencheur du développement des habiletés langagières des élèves.

5. Résultats et discussion

Si la lecture du journal quotidien est effectuée dans toutes les classes des Centres de formation en entreprise et récupération visitées, l’exploitation qui en est faite par la suite, afin de favoriser le développement de la littératie chez les élèves, est variable d’un enseignant à l’autre. Les résultats de la recherche montrent que certains enseignants et les élèves n’ont pas la même perception de l’intérêt de ce dispositif.

5.1 Perception des enseignants

Tous les enseignants interviewés respectent la durée de lecture d’un quotidien dans leur classe. Il s’agit d’une période variant de 15 à 20 minutes en début de matinée ou d’après-midi. De manière générale, il est exigé que les élèves identifient une nouvelle internationale, une nouvelle nationale et une troisième, régionale. Dans certaines classes, on demande aux élèves de noter le titre de chacun de leurs trois articles retenus et d’en faire un très bref résumé. Par la suite, il y a un retour collectif sur la lecture desdits articles pour en clarifier le contenu et discuter de certains thèmes. Ainsi, l’enseignant lance une première question qui peut porter sur les articles qui se retrouvent en première page du journal, ou encore il demande ce qui a retenu l’attention d’un élève. D’une journée à l’autre, au fil des événements, les questions varient et l’enseignant prend soin d’interpeller la majorité des élèves, en demandant parfois aux uns d’aider les autres par leur propre compréhension d’un article. Le contenu est mis de l’avant. Ce n’est qu’au hasard des mots incompris, parfois nombreux, qu’une recherche de définition dans le dictionnaire sera menée. Par la suite, ces nouveaux mots font l’objet de rédaction de phrases qui favorisent leur utilisation dans un contexte qui amène la même définition du mot.

Cette démarche favorise la compréhension chez un plus grand nombre d’élèves grâce aux explications des pairs ou aux interventions de l’enseignant ; ce dernier peut, par exemple, fournir le contexte plus général pour situer l’information. Parfois, la lecture se pratique de façon collective, soit par l’enseignant, soit par les élèves. Par ailleurs, pour éviter que les élèves ne limitent leur lecture qu’aux articles sportifs, à l’horoscope ou à la section traitant de leurs vedettes préférées, il arrive qu’on leur impose d’explorer les différentes sections du journal. L’enseignant peut également exiger qu’un article soit lu en priorité, selon son potentiel pédagogique. Certains articles sont résumés de manière plus spécifique ou font l’objet d’une analyse lexicale plus poussée. D’une manière générale, une étude du vocabulaire nouveau à l’aide du dictionnaire et d’une remise en contexte suit l’activité de lecture.

Tous les enseignants rencontrés se disent en faveur de l’utilisation du journal. La variété des articles qu’on y trouve permet à chacun des élèves de lire des textes adaptés à son niveau de compréhension et selon ses intérêts, sans risquer l’échec. Par exemple, des enseignants ont observé que certains élèves se servent habilement des supports à la lecture que sont les photographies et le chapeau de l’article pour en saisir le sens ; leur compréhension se confirme lors des échanges en groupe qui suivent la lecture du journal. Les enseignants soulignent également que les élèves s’habituent à la lecture du journal et apprécient le fait de suivre un événement d’une journée à l’autre.

Par contre, la différence d’avis chez les enseignants vient de l’utilisation exclusive du journal préconisée par les fondateurs. Si quatre enseignants sur six considèrent l’outil comme suffisamment riche pour favoriser l’intégration des différentes disciplines scolaires, deux autres trouvent carrément ennuyeux pour les élèves et pour eux de n’utiliser que le journal comme déclencheur à diverses activités d’apprentissage. Ils pensent qu’il faudrait introduire également des manuels d’histoire, de géographie et des exercices de grammaire, afin de mieux comprendre et exploiter la richesse des articles, et qu’il y ait véritablement intégration des trois volets du français, sinon du français et d’autres matières.

Certains enseignants ont également déploré l’absence, dans leur pédagogie, d’autres types de textes, comme les textes de fiction. Toutefois, ils s’accordent pour dire que le genre journalistique, caractérisé par des écrits brefs et bien circonscrits, favorise l’entrée en lecture des élèves, puisqu’ils se sentent moins découragés d’aborder de courts textes et plus curieux des grands titres, chaque jour nouveaux.

5.2 Perception des élèves en difficulté

Les élèves questionnés ont un lourd passé d’échec scolaire. Néanmoins, à deux ou trois ans de leur entrée dans le marché du travail, ils comprennent fort bien, pour la plupart, (ils le verbalisent) que ce programme constitue leur dernière chance de développer les compétences langagières minimales nécessaires à leur embauche dans des entreprises, et l’unique opportunité de se munir d’un diplôme qui leur ouvrira les portes du monde du travail. En raison de la qualité du programme CFER, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport reconnaît les capacités des jeunes inscrits dans les différents CFER, en leur décernant un diplôme officiel : le certificat de formation en entreprise et récupération.

Cependant, comment amener ces jeunes à croire à nouveau en eux, en leur potentiel, s’ils ont cessé d’y croire très tôt dans leur cursus scolaire ? Le premier défi est de les convaincre de se lancer à nouveau dans l’apprentissage, d’une manière différente, sur de nouvelles bases (Prot, 2003 ; Plessis-Bélair, Sorin et Pelletier, 2006a). Or, la lecture du quotidien et les échanges qui s’ensuivent semblent favoriser, chez ces jeunes, un nouvel élan pour une dernière tentative de maîtrise de l’écrit.

Dans le contexte des groupes de discussion, il a été tenu pour acquis que lorsque des élèves font des commentaires et que les autres acquiescent ou n’interviennent pas en sens contraire, ils sont tous d’accord. Selon les élèves, certains textes sont parfois difficiles à lire, mais l’échange qui suit la lecture leur permet de s’assurer d’une certaine compréhension. Certains soutiennent que la recherche des mots de vocabulaire inconnus dans le dictionnaire ajoute à leur compréhension et à leur propre expression verbale. D’après un élève, les discussions lui permettent de mieux synthétiser ses idées à l’oral. Les jeunes affirment également se sentir moins stressés par la lecture parce que l’enseignant ne leur demande pas nécessairement d’en faire le résumé et qu’ils peuvent s’entraider. Lors des échanges après la lecture, ils sont plutôt amenés à dire leur opinion sur un article en s’appuyant sur des éléments du texte, ce qui montre leur compréhension.

En outre, au-delà de leur acceptation de reprendre leur démarche d’appropriation de la lecture dans ce contexte, les élèves ont tous souligné l’ouverture sur le monde que cette activité leur procure. Pour la majorité d’entre eux, la connaissance du monde que favorise la lecture du journal constitue un facteur de motivation considérable et un enrichissement indéniable dans leurs échanges interpersonnels. Ils trouvent également plaisir à pouvoir choisir les articles qui les intéressent, bien que parfois, soulignent-ils, l’enseignant leur demande de lire un article qu’il a sélectionné. Ils mentionnent que le journal contient des informations récentes, contrairement à un livre, et qu’il leur permet d’être informés des événements de leur région et du reste du monde. Ils reconnaissent qu’ils n’ont jamais autant lu.

5.3 Journal et développement des compétences langagières

Au regard de la lecture, nos observations préalables dans les classes nous ont montré que les jeunes lisent ou tentent de lire les articles de leur choix, puisqu’ils savent identifier et inscrire seuls les titres retenus, dans les trois catégories de nouvelles internationale, nationale et régionale. Les discussions qui s’ensuivent montrent leur compréhension réelle ou approximative des textes lus. Le relatif choix des articles, la nouveauté quotidienne des sujets traités, la capacité de parler de ces sujets d’actualité avec parents et amis ainsi que l’assurance que le contexte ne leur fera pas vivre un nouvel échec participent assurément du plaisir de lire ou, du moins, de la volonté d’essayer à nouveau, malgré les échecs antérieurs. De plus, selon plusieurs enseignants, le travail collectif sur le vocabulaire ainsi que les échanges entre pairs sur divers sujets semblent favoriser le retour confiant des élèves à la lecture, dans un contexte d’entraide où chacun se sent partie prenante de la démarche de compréhension.

En ce qui concerne la langue elle-même, non seulement l’apprentissage de mots nouveaux permet l’enrichissement du vocabulaire, mais les activités qui suivent la lecture, comme la copie, la prise de notes ou le résumé, même sommaire, favorisent également l’orthographe usuelle ou grammaticale. Il est à remarquer que toutes les activités précisées ci-dessus visent à favoriser un contact rassurant avec l’écrit.

Au regard de la communication orale, les élèves manifestent peu de résistance à discuter des articles lus et reconnaissent avoir plus de sujets de conversation dans leurs échanges interpersonnels avec leur entourage.

6. Conclusion

La grande majorité des enseignants consultés sont favorables à l’exploitation du journal quotidien en classe de français. Non seulement cet outil pédagogique incite les élèves à tenter de lire malgré leur échec antérieur dans ce domaine, mais il semble constituer, aux yeux des élèves, un motif valable pour chercher un nouveau mot dans le dictionnaire et le compiler avec les autres mots étudiés, notés et intégrés à des phrases dans un cahier réservé à cette activité. Ce dispositif permet une certaine intégration de l’écrit et, en raison des sujets abordés, amène parfois les élèves à vouloir situer les événements sur le plan historique ou géographique, pour ne prendre que ces exemples. Si certains enseignants déplorent que le journal soit le seul outil préconisé par le programme du réseau des Centres de formation en entreprise et récupération dans son modèle d’alphabétisation, ce qui entraîne, selon eux, lassitude et démotivation chez eux, de leur côté, les élèves, en groupes de discussion, manifestent un intérêt certain pour la lecture du journal, qui, d’après eux, engendre une nouvelle motivation de leur part pour la lecture et leur permet d’entrevoir une éventuelle réussite scolaire.

En résumé, cet intérêt chez les élèves à s’investir à nouveau dans la lecture aurait plusieurs sources. Les enseignants estiment que les sujets d’actualité suscitent l’intérêt des élèves et que les courts textes qui constituent les articles d’un quotidien, les grands titres et les chapeaux, les photographies, leurs explications, la recherche de définition des mots de vocabulaire et leur remise en contexte, les discussions entre eux et les élèves s’avèrent autant de soutiens à la reprise de la motivation à lire des élèves en difficulté. De leur côté, les élèves confirment la perception des enseignants à cet égard et se déclarent convaincus d’avoir amélioré leur capacité à lire, ce qui ne peut, dans tous les cas, que les encourager à s’investir davantage.

Un autre élément qui ressort de cette recherche se situe au niveau de la perception des élèves quant à leur intérêt pour l’actualité de l’information apprise de la lecture du journal. Comme nos résultats l’indiquent, les jeunes se disent heureux de mieux connaître ce qui se passe dans le monde et dans leur région. Ils sont fiers également de pouvoir parler des événements récents. Pendant les échanges, certains ont indiqué avec satisfaction qu’ils en savaient bien davantage, par exemple, sur la guerre en Irak que leurs amis du secondaire régulier ! Comme nous l’avons rappelé en début d’article, le développement de la littératie intègre autant les aspects cognitifs que non cognitifs. Dans le cas présent, nos résultats reflètent particulièrement, nous semble-t-il, l’apport non négligeable des dimensions affectives.

Il est, bien sûr, impossible d’affirmer ici que la seule exploitation du journal quotidien comme outil pédagogique joue un rôle dans le développement de la littératie chez des élèves du secondaire en grande difficulté. Cependant, notre recherche montre que ces élèves se disent intéressés et fiers de lire le journal, ce qui dénote chez eux une attitude positive face à l’écrit et représente un premier pas vers une reprise possible du développement de la littératie. Si le rehaussement véritable de leur niveau de littératie reste à vérifier, la présente recherche met toutefois en évidence que ces jeunes, placés dans un contexte qui les empêche de revivre le sentiment d’échec, et stimulés par l’imminence de leur entrée sur le marché du travail, ont, en quelque sorte, vaincu leurs résistances et trouvé un moyen d’action grâce au quotidien régional, qui agit comme un véritable levier.