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1. Introduction et problématique

Au Québec, avec la modification des curriculums (par exemple, la réforme scolaire) et la professionnalisation de la pratique enseignante, les enseignants sont amenés à développer de nouvelles compétences (Conseil supérieur de l’éducation, 2004) et à exercer une tâche qui se complexifie et s’alourdit sans cesse (Chartrand, 2006). Ce nouveau contexte accentue leur stress et est susceptible de mettre en péril leur santé psychologique (Fernandes et Da Rocha, 2009). En effet, 60 % des enseignants québécois ressentiraient des symptômes associés à l’épuisement professionnel chaque mois, et 23 % d’entre eux auraient l’intention de quitter la profession d’ici 2015 (Houlfort et Sauvé, 2010). Ainsi, une question se pose : par quel moyen peuvent-ils préserver leur santé psychologique et maintenir leur investissement au sein de leur profession en dépit des difficultés qu’ils rencontrent ? L’étude du lien entre leur mode d’engagement professionnel et leur bien-être semble pouvoir apporter des éléments de réponse à cette problématique préoccupante.

En effet, dans de nombreuses professions, les bénéfices de l’engagement professionnel des employés sur le fonctionnement de l’organisation (Bakker et Leiter, 2010), mais aussi sur le bien-être psychologique des employés (Bakker et Demerouti, 2008) ne se font plus démentir. Toutefois, dans le domaine de l’éducation, aucune étude à ce jour ne s’est intéressée aux effets, sur le bien-être des enseignants, d’un engagement au travail dit optimal, en considérant également des modes d’engagement plus problématiques : excessif ou déficitaire. Dans la présente étude, nous nous proposons d’utiliser le modèle multimodal d’engagement psychologique de Brault-Labbé et Dubé (2009), afin de mieux modéliser de quelle façon différents modes d’engagement (engagement optimal, surengagement, sousrengagement) sont associés au bien-être psychologique chez une population d’enseignants québécois du primaire.

2. Contexte théorique

2.1 Définitions de l’engagement au travail

Bien que plusieurs définitions de l’engagement se retrouvent dans les écrits, il semble que certaines composantes ressortent de façon récurrente. Ainsi, on a souvent défini l’engagement : 1) par l’intérêt et l’attachement accordés par l’individu à l’objet d’engagement (aspect affectif) (Meyer et Allen, 1991) ; 2) par son intention à persister dans son investissement (aspect cognitif) (Adams et Jones, 1997) ; 3) par ses efforts comportementaux en vue de maintenir son investissement (Rusbult et Farrell, 1983) ; et 4) par la vigueur et l’énergie déployées (aspect motivationnel) (Novacek et Lazarus, 1990). Depuis les dernières années, dans le domaine du travail, la notion d’engagement a pris de l’ampleur dans les écrits scientifiques, menant ainsi au développement de nombreux modèles et instruments de mesures (Simpson, 2009), sans qu’il y ait toutefois de consensus quant à sa conceptualisation (Schaufeli et Bakker, 2010). Par exemple, l’objet d’engagement diffère d’un auteur à l’autre, allant d’un engagement de l’individu vis-à-vis de son travail (Hakanen, Schaufeli et Aloha, 2008), vis-à-vis de à sa profession (Duchesne, Savoie-Zajc et St-Germain, 2005), vis-à-vis de différentes cibles au travail (Morin, Madore, Morizot, Boudrias et Tremblay, 2009) ou vis-à-vis de son organisation (Meyer et Allen, 1991). Cette grande diversité de définitions concernant l’engagement au travail est également présente dans le domaine de l’éducation. Certains auteurs réfèrent ainsi à l’enthousiasme ressenti (Rosenholtz et Simpson, 1990), à l’utilisation optimale des ressources personnelles dans les activités professionnelles (Duchesne et al. 2005) et à l’intention de quitter son poste (Singh et Billingsley, 1998) pour définir l’engagement de l’enseignant. Bref, bien que les diverses opérationnalisations de l’engagement professionnel enrichissent la compréhension du concept, elles rendent également difficile l’étude du phénomène (Morin et Brault-Labbé, 2014).

La présente étude vise à utiliser le modèle multimodal d’engagement (Brault-Labbé et Dubé, 2009) appliqué au domaine professionnel (Morin, Brault-Labbé et Savaria, 2011). Celui-ci offre une conceptualisation multidimensionnelle et intégrative de l’engagement, tout en y incluant ses contreparties déficitaire (sousrengagement) et excessive (surengagement). Ainsi, selon le modèle, l’engagement professionnel optimal (EPO) se compose de trois dimensions psychologiques qui interagissent pour permettre à l’individu d’initier et de maintenir un projet professionnel (Brault-Labbé et Dubé, 2009 ; Jodoin, 2000). Tout d’abord, la force affective, soit l’enthousiasme, comprend l’énergie et l’intérêt ressentis envers le travail. La force comportementale, soit la persévérance, favorise la poursuite de l’action et des efforts fournis pour maintenir l’implication au travail, et ce, malgré les difficultés rencontrées. Finalement, la force cognitive, soit la réconciliation des aspects négatifs et positifs du travail, fait référence à la capacité d’accepter les bénéfices, mais aussi les coûts associés à l’engagement professionnel.

En contrepartie, le sousrengagement professionnel (SOEP) se définit par : 1) un manque d’énergie pour réaliser les activités liées à la profession (force motivationnelle) ; 2) une perte ou un manque d’intérêt et d’importance accordés au travail (force affective) ; et 3) un envahissement face aux aspects négatifs du travail, accompagné d’une intention de quitter son emploi (force cognitive-comportementale) (Morin et al. 2011). Le surengagement professionnel (SEP) se définit par : 1) un intérêt et une énergie excessifs envers la profession, au détriment des autres activités (composante motivo-affective) ; 2) la perception de faire des sacrifices excessifs et de négliger des aspects importants de sa vie à cause du travail (force cognitive) ; et 3) une persistance compulsive dans les tâches reliées au travail (force comportementale), aux dépens de la santé physique et de l’hygiène de vie.

Selon ce modèle, pour chaque mode d’engagement, les trois composantes ne sont pas toujours présentes avec la même intensité chez l’individu durant le processus d’engagement. Ainsi, des profils variés d’engagement, de surengagement et de sousrengagement peuvent être distingués en fonction des composantes prédominantes fluctuantes (par exemple, l’enthousiasme peut être plus présent au départ alors qu’ensuite, la persévérance prendrait la relève). Par ailleurs, les mécanismes psychologiques spécifiques impliqués et leurs associations respectives avec le bien-être (Morin, 2013) suggèrent l’indépendance des trois modes d’engagement professionnel plutôt que de représenter un seul construit présent à divers degrés sur un même continuum. En plus de s’appliquer au domaine du travail (Jodoin, 2000 ; Morin et al. 2011), ce modèle présente l’avantage de pouvoir s’appliquer dans toute sphère d’activité, notamment dans le domaine scolaire (Brault-Labbé et Dubé, 2008, 2010) et conjugal (Brassard, Brault-Labbé et Gasparetto, 2011) ainsi que celui d’examiner de manière nuancée les liens respectifs avec de nombreux indicateurs positifs et négatifs du bien-être (Brassard et al. 2011 ; Brault-Labbé et Dubé, 2008, 2010).

2.2 Le bien-être personnel

La notion de bien-être fait l’objet de nombreux travaux, notamment dans le cadre du courant de la psychologie positive, en plein essor depuis les dernières décennies (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000). Ryan et Deci (2001) proposent l’utilisation complémentaire des deux approches principales utilisées spécifiquement pour définir ce concept : les approches hédoniste et eudaimoniste. Dans l’approche hédoniste, le bien-être subjectif est défini par l’interaction d’une composante affective (bonheur), qui inclut les affects positifs (expérience émotionnelle agréable) fréquents et les affects négatifs (expérience émotionnelle désagréable) peu fréquents, et d’une composante cognitive, où l’individu effectue une évaluation subjective de sa vie, qui fait référence à la satisfaction de vie (Diener, 2009). Par ailleurs, afin d’obtenir un portrait plus complet, Diener, Sandvik et Pavot (2009) conseillent d’intégrer la satisfaction dans un domaine spécifique, tel que la satisfaction professionnelle, à la notion du bien-être subjectif. Parfois comparé à la satisfaction professionnelle en raison de sa valence émotionnelle positive, il semble néanmoins que l’engagement professionnel se distingue par l’utilisation de cette énergie en vue d’une activation cognitive ou comportementale (Macey et Schneider, 2008). Pour sa part, l’approche eudaimoniste cherche à définir le bien-être psychologique en identifiant les composantes d’une pleine actualisation du potentiel humain (Ryff et Keyes, 1995). Le sens donné à la vie, c’est-à-dire la capacité de l’individu à se sentir en accord avec les choix effectués et à percevoir des buts qui lui sont importants (Dubé, Jodoin et Kairouz, 1997) fait partie intégrante de cette perspective. D’autres chercheurs ont proposé d’ajouter des éléments reliés à la santé physique (Antonosky, 1987 ; Argyle, 2001) dans la définition du concept, puisque la qualité de celle-ci serait également une composante essentielle du bien-être (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000).

2.3 Travaux portant sur l’étude des liens entre le bien-être et l’engagement professionnel optimal, déficitaire et excessif chez les enseignants

2.3.1 Engagement optimal

Certains auteurs suggèrent que l’engagement est une des voies à privilégier pour atteindre le bien-être (Dubé et al. 1997 ; Seligman, 2002), puisqu’il permet à l’individu d’exprimer son identité et de s’actualiser de façon congruente avec ses valeurs et ses intérêts personnels (Brault-Labbé, 2011). Parmi les rares travaux qui ont porté sur le lien entre l’engagement professionnel et le bien-être personnel auprès d’une population enseignante au Québec, une étude qualitative (Duchesne et al. 2005), réalisée auprès de 12 enseignantes du primaire, a permis de mettre en lumière les attitudes et comportements adoptés par les répondantes pour leur permettre d’entretenir un engagement professionnel élevé et, ainsi, de donner un sens à leur vie. Toutefois, ces dernières étaient sélectionnées en fonction de leur niveau élevé d’engagement, ce qui ne permet pas de rendre compte de la diversité d’expériences rencontrées à cet égard chez les enseignants du primaire. Par ailleurs, Houlfort et Sauvé (2010) ont étudié diverses variables reliées à la santé psychologique, dont l’engagement professionnel, chez 1925 enseignants de plusieurs niveaux scolaires. En s’appuyant sur le modèle de l’engagement organisationnel de Meyer et Allen (1991), les résultats ont révélé que les enseignants en moins bonne santé psychologique et qui désirent quitter la profession ont un engagement organisationnel plus faible que les enseignants en bonne santé mentale et désirant poursuivre au sein de la profession. D’autres études qui se sont intéressées au lien unissant l’engagement professionnel et le bien-être psychologique ont également cherché à prédire l’engagement à partir des indicateurs du bien-être, en montrant, entre autres, des associations positives entre la satisfaction professionnelle des populations enseignantes (Anari, 2012) et leur engagement.

Certaines études ont plutôt adopté une approche selon laquelle l’engagement est abordé comme variable prédictive. Par des analyses de profil latent, l’étude de Klusmann, Kunter, Trautwein, Lüdtke et Baumert (2008), menée auprès de 1789 enseignants allemands, a révélé que les enseignants qui présentent un niveau d’engagement et de résilience élevé rapportent un plus grand bien-être personnel que les autres participants. En outre, dans une recherche longitudinale, Innstrand, Langballe et Falkum (2012) ont étudié le lien réciproque entre l’engagement au travail et les symptômes anxio-dépressifs chez 3475 professionnels, dont 504 enseignants. Les résultats montrent que l’engagement au travail au temps 1 diminuait de manière importante les symptômes d’anxiété et de dépression ressentis deux ans plus tard. Bien que cette étude ait démontré le caractère évolutif de l’association entre engagement professionnel et bien-être, ses auteurs n’ont pas tenu compte des déséquilibres de l’engagement (sousengagement ou surengagement).

2.3.2 Surengagement

Jusqu’à maintenant, l’engagement excessif a été abordé essentiellement à travers la notion de workaholisme (Andreassen, Hetland, Molde et Pallesen, 2011 ; Spence et Robbins, 1992), et peu d’études ont utilisé spécifiquement le concept de surengagement. Les deux études qui l’ont fait auprès d’une population enseignante (Bellingrath, Rohleder et Kudielka, 2010 ; Von Kanël, Bellingrath et Kudielka, 2009) ont utilisé le modèle Déséquilibre efforts-récompenses (Siegrist, 1996), qui considère le surengagement comme un style personnel d’adaptation aux demandes professionnelles qui amène l’individu à surestimer ses ressources et à sous-estimer les coûts associés à la réponse à ces demandes, ce qui le rendrait plus à risque de développer des maladies psychologiques et physiques (Siegrist, 1996). Ainsi, dans les deux cas, les chercheurs ont observé des associations entre le surengagement et des troubles de santé physique, tels qu’un fonctionnement immunitaire plus faible (Bellingrath et al. 2010) et une vulnérabilité aux maladies infectieuses (Von Känel et al. 2009). Une autre étude menée auprès de 235 employés de banque avaient également montré des associations entre un investissement excessif au travail et divers troubles de santé physique (insomnie, trouble gastrointestinaux, douleurs musculosquelettiques) (Andreassen et al., (2011).

Jodoin (2000) a été le premier à conceptualiser le surengagement professionnel en s’appuyant sur le concept d’engagement optimal proposé par Dubé et ses collègues (1997) et à l’étudier en lien avec le bien-être psychologique. Ainsi, dans deux études menées auprès de 200 administrateurs scolaires et de 220 médecins spécialistes, des analyses de régressions multiples ont montré que le surengagement est associé négativement au bonheur et à la satisfaction de vie, tandis qu’il est associé positivement à la fréquence des affects négatifs dans la vie courante. De tels résultats mériteraient toutefois d’être vérifiés spécifiquement auprès d’un échantillon d’enseignants, une population particulièrement à risque de vivre des déséquilibres importants au niveau de son engagement professionnel (Klusmann et al. 2008).

2.3.3 Sousrengagement

À notre connaissance, aucune recherche référant de manière spécifique au sousrengagement n’a été effectuée dans le domaine professionnel. Par certains, l’engagement déficitaire est comparé à l’épuisement professionnel, les composantes de ce concept étant souvent opposées à celles de l’engagement (Demerouti, Bakker, Nachreiner et Schaufeli, 2001). Ainsi, les composantes de l’engagement seraient une énergie, un engagement et une efficacité élevées, alors que l’épuisement professionnel se définirait par l’épuisement émotionnel (faible énergie), le cynisme (faible implication) et l’inefficacité (faible efficacité). À cet effet, l’étude de Hakanen, Bakker et Schaufeli (2006) menée auprès de 2036 enseignants finlandais a montré que les demandes reliées au travail étaient associées à une perception plus négative de la santé physique, l’épuisement professionnel étant médiateur de cette association. Une autre étude menée auprès d’enseignants de 113 écoles primaires et secondaires norvégiennes (n = 2249) a montré, entre autres, que l’épuisement permettait de prédire une plus faible satisfaction professionnelle (Skaalvik et Skaalvik, 2010).

Bien que l’opposition conceptuelle entre engagement et épuisement professionnel permette de supposer qu’un manque d’engagement soit inversement lié au bien-être (Maslach et Leiter, 2008), cette vision est quelque peu réductrice. En effet, elle ne permet pas de rendre compte spécifiquement des processus psychologiques inhérents à un manque d’engagement, sans qu’il y ait nécessairement présence d’épuisement professionnel (Schaufeli, Leiter et Maslach, 2009).

3. Objectifs et hypothèses

L’objectif général de cette étude est de mieux comprendre la nature des associations entre l’engagement professionnel et le bien-être chez des enseignants québécois. Ainsi, les hypothèses sont les suivantes : 1) l’engagement professionnel optimal et ses composantes sont associés positivement aux indicateurs positifs du bien-être et négativement aux indicateurs négatifs, et 2) le surengagement professionnel, le sousrengagement professionnel et leurs composantes respectives sont associés négativement aux indicateurs positifs du bien-être et positivement aux indicateurs négatifs.

4. Méthode

4.1 Sujets

Initialement, 364 enseignants ont visité le site hébergeant le questionnaire, mais 141 d’entre eux ont été exclus, soit en raison d’un haut taux de réponses manquantes, de l’absence de leur consentement ou encore parce qu’ils n’enseignaient pas au primaire ; ce qui nous a menées à un échantillon final de 223 participants, avec une majorité de femmes (= 207). Toutes les régions administratives du Québec sont représentées par les participants, avec une prédominance dans la région de Montréal (19,9 %). L’âge moyen des participants est de 38,59 ans (s = 9,47). Ils ont en moyenne 13,15 ans d’expérience en enseignement (s = 8,56). De plus, 80,6 % d’entre eux occupent un poste régulier, 11,2 % un poste suppléant et 8,1 % ont un autre statut (statut précaire, contractuel, etc.).

4.2 Instrumentation

4.2.1 Variables sociodémographiques

L’âge, le sexe, la langue maternelle, le statut civil et familial des participants ainsi que des informations relatives à la profession (nombre d’années d’expérience, enseignement à temps plein ou partiel, poste permanent ou non, type de classe enseignée) ont été recueillis.

4.2.2 L’engagement professionnel

L’engagement professionnel a été mesuré à l’aide du Questionnaire multimodal d’engagement professionnel (QMEP ; Morin et al. 2011) adapté du Questionnaire d’engagement scolaire validé par Brault-Labbé et Dubé (2008). La structure factorielle des trois modes d’engagement et de ses composantes a été vérifiée par des analyses factorielles exploratoires (factorisation en axes principaux avec rotation oblique) auprès du même échantillon (Morin et al. 2011). Ainsi, trois échelles correspondent respectivement à l’engagement professionnel optimal (14 énoncés, α = 0,84), au SEP (18 énoncés, α = 0,92) et au sousrengagement professionnel (15 énoncés, α = 0,90) totalisant 47 énoncés auxquels répondre à partir d’une échelle Likert de 9 points variant de 0 (ne me caractérise pas du tout) à 8 (me caractérise tout à fait). Pour les trois échelles, la structure factorielle attendue en trois facteurs a été obtenue, ce qui permettait d’expliquer respectivement 48,61 % (coefficient de Kaiser-Meyer-Olkin-KMO = 0,84), 56,61 % (KMO = 0,89) et 51,55 % (KMO = 0,91) de la variance (pour plus de détails, se référer à Morin et al. 2011). Notons que ce coefficient est un indice d’adéquation de la solution factorielle. Un KMO élevé indique qu’il existe une solution factorielle statistiquement acceptable qui représente les relations entre les variables.

Plus précisément, l’échelle d’engagement professionnel optimal comprend l’enthousiasme envers le travail (6 items, par exemple, Je suis enthousiaste vis-à-vis de mon travail, α = 0,86), la persévérance (4 items, par exemple, Malgré les difficultés que je rencontre, je suis persévérant(e) dans mon travail, α = 0,69) et la réconciliation des aspects positifs et négatifs (4 items, par ex., J’accepte le fait qu’un travail comme le mien implique des aspects positifs, mais aussi des aspects négatifs, α = 0,65). L’échelle du surengagement professionnel comprend une énergie et un intérêt excessifs envers le travail (6 items, par exemple : C’est essentiellement par mon travail que je trouve la force de fonctionner au quotidien, α = 0,82), une persistance compulsive (6 items, par exemple : J’ai de la difficulté à arrêter une tâche professionnelle sans avoir complètement terminé ce que j’ai commencé, α = 0,83) et la perception de négliger des aspects importants de sa vie à cause du travail (6 items, par exemple : Je néglige ma vie amoureuse à cause de mon travail, α = 0,93). L’échelle du sousrengagement professionnel inclut le manque d’énergie pour les tâches professionnelles (5 items, par exemple : J’ai l’impression que mon travail est épuisant, α = 0,79), le manque d’intérêt pour les tâches professionnelles (5 items, par exemple : Je ne vois pas ce qu’il peut y avoir d’attirant dans mes tâches professionnelles, α = 0,75) et l’envahissement face aux difficultés rencontrées au travail (5 items, par exemple : Je pense à quitter mon travail parce qu’il me demande trop d’efforts, α = 0,89).

4.2.3 Bien-être personnel

Afin de présenter une perspective globale du bien-être, plusieurs indicateurs positifs et négatifs du bien-être visant à se compléter ont été utilisés. Ces mesures ont été validées et utilisées dans des études antérieures (Brault-Labbé et Dubé, 2008 ; Dube et al. 1997 ; Jodoin, 2000).

Le bonheur

Cette variable a été mesurée avec une échelle de trois énoncés (par exemple, Je suis heureux) proposés par Dubé et ses collaborateurs (1997 ; α = 0,93) et se distribue sur une échelle de 0 (pas du tout) à 8 (totalement). Au sein du présent échantillon, la cohérence interne est satisfaisante (α = 0,94).

Le sens donné à la vie

Les trois énoncés de cette échelle, également créée par Dubé et al. (1997), (par exemple, J’ai réussi à donner un sens à ma vie) se distribuent sur une échelle variant de 0 (pas du tout) à 8 (totalement) (α = 0,79). Dans la présence étude, l’alpha de Cronbach (α) est de 0,74.

La satisfaction de vie

Cette variable a été mesurée par l’Échelle de satisfaction de vie (5 énoncés, α = 0,88) élaborée en anglais par Diener, Emmons, Larsen et Griffin (1985) et traduite en français par Blais, Vallerand, Pelletier et Brière (1989). Une échelle initiale, une échelle de réponse initiale de type Likert, allant de 1 à 7 (α = 0,84 ; par exemple, Mes conditions de vie sont excellentes), a été modifiée (Dubé et al. 1997) afin de maintenir la même notation (1 à 8) que celle utilisée avec les deux échelles précédentes. La cohérence interne, selon l’alpha de Cronbach, dans la présente étude, atteint 0,88.

La satisfaction professionnelle

La satisfaction professionnelle est mesurée par l’Échelle de satisfaction au travail (α = 0,80) élaborée par Vallerand et Bissonnette (1990). Prévoyant des réponses sur une échelle de 1 (fortement en désaccord) à 7 (fortement en accord), le questionnaire compte cinq énoncés (par exemple : Je suis satisfait de ma vie professionnelle). Au sein du présent échantillon, l’alpha de Cronbach est de 0,91.

La fréquence des affects positifs et négatifs

L’échelle de fréquence des affects positifs (4 énoncés, α = 0,81) et des affects négatifs (10 énoncés, α = 0,80) est tirée des travaux de Jodoin (2000). Le participant indique la fréquence des affects ressentis au cours du dernier mois sur une échelle en sept points allant de 0 (jamais) à 6 (toujours). La cohérence interne, selon l’alpha de Cronbach, pour la fréquence des affects positifs dans cet échantillon est de 0,90, et de 0,84 pour la fréquence des affects négatifs. Des analyses factorielles exploratoires révèlent que les affects négatifs se regroupent en trois sous-catégories : 1) les affects liés à l’humeur (irritation, colère, tristesse ; α = 0,70), 2) les affects anxieux (peur, inquiétude, anxiété ; α = 0,78) et 3) les affects liés à l’image de soi (honte, culpabilité, jalousie, regret ; α = 0,70).

Perception de l’état de santé physique

Utilisée par Brault-Labbé et Dubé (2008 ; α = 0,69 ; 2010 : α = 0,79) et Jodoin (2000), l’échelle des malaises physiques représente dix symptômes physiques susceptibles d’être ressentis par les participants, regroupés en trois sous-catégories, dont les symptômes liés au stress (maux de dos, tension physique, maux d’estomac, maux de tête, α = 0,70), les symptômes liés à l’anxiété (palpitations cardiaques, tremblements, difficultés à respirer, douleurs à la poitrine, α = 0,80) et les symptômes du rhume ou de la grippe (α = 0,72). Les participants indiquent la fréquence à laquelle ils ont ressenti de tels symptômes au cours du dernier mois sur une échelle de sept points allant de 0 (jamais) à 6 (très fréquemment). Dans la présente étude, la cohérence interne globale est de 0,80. La structure factorielle est équivalente à celle obtenue auprès d’étudiants du collégial, de 17 à 19 ans (Brault-Labbé et Dubé, 2008).

4.3 Déroulement

Les enseignants ont été recrutés à titre volontaire par le biais de listes d’envoi des commissions scolaires de toutes les régions du Québec, de conseillères pédagogiques et d’associations et regroupements comptant des enseignants du primaire parmi leurs membres. Ils ont été invités à répondre à un questionnaire en ligne (durée entre 30 et 45 minutes) hébergé sur le serveur sécurisé Survey Monkey. Vu le nombre élevé de listes d’envoi utilisées, il demeure impossible d’évaluer le nombre exact d’enseignants sollicités, mais celui-ci peut être estimé à plusieurs milliers. Toutes les mesures ont été recueillies en même temps.

4.4 Considérations éthiques

La page d’accueil du site informait les participants des objectifs de l’étude, des inconvénients et des avantages de leur participation, de leur liberté de se retirer de l’étude à tout moment ainsi que des mesures de confidentialité. Une partie des résultats a été communiquée à des publics ciblés par la recherche, incluant des enseignants, mais pas directement aux participants eux-mêmes.

4.5 Méthode d’analyse

Toutes les analyses ont été effectuées à l’aide du logiciel SPSS 20.0. Des analyses descriptives, comparatives (tests-t) et corrélationnelles ont permis d’effectuer l’examen préliminaire des données. La vérification des hypothèses de recherche a été réalisée au moyen d’analyses de régression multiple et hiérarchique.

5. Résultats

5.1 Analyses préliminaires

5.1.1 Analyses descriptives

Des analyses descriptives ont été conduites sur les variables à l’étude, soit les trois modes d’engagement ainsi que leurs composantes et les indicateurs du bien-être personnel. Les indices d’asymétrie et d’aplatissement se sont situés entre 1 et – 1 pour la majorité des variables, appuyant ainsi la normalité de la distribution. Des transformations non linéaires ont toutefois été requises pour corriger l’asymétrie de certaines variables. En effet, un reflet et une racine carrée ont été appliqués sur la persévérance et le bonheur, une racine carrée a été appliquée sur l’enthousiasme excessif et le manque d’intérêt, tandis qu’un logarithme a été appliqué sur la perception de négligence et les symptômes anxieux pour atteindre la normalité de la distribution.

5.1.2 Analyses corrélationnelles

Tout d’abord, en ce qui concerne le postulat de multicolinéarité, les corrélations effectuées entre les trois sous-échelles de chaque mode d’engagement et entre les trois modes d’engagement ont révélé que tous les coefficients étaient inférieurs au seuil critique de 0,70, ce qui suggère que ces construits sont distincts. De plus, des analyses de corrélations menées entre les indicateurs de bien-être révèlent que ces variables partagent au plus 64 % de variance commune. Ainsi, il s’agit de concepts liés, mais tout de même indépendants, ce qui justifie le choix de les analyser séparément afin de conserver les nuances entre eux.

De plus, des corrélations de Pearson ont permis d’investiguer les liens initiaux entre les trois modes d’engagement et les indicateurs du bien-être personnel. Comme l’indique le tableau 1, l’engagement professionnel optimal et deux de ses composantes sont reliés à tous les indicateurs positifs du bien-être, mais sont liés négativement aux indicateurs négatifs du bien-être, sauf à la fréquence des symptômes de la grippe. La composante persévérance n’est liée qu’à un seul indicateur du bien-être, la satisfaction de vie. Pour le surengagement professionnel, le score global et les composantes de persistance compulsive et de perception de négligence sont négativement reliés à tous les indicateurs positifs du bien-être, mais reliés positivement à tous les indicateurs négatifs du bien-être. Finalement, les échelles du sousrengagement professionnel (score global et trois sous-composantes) sont corrélées négativement à tous les indicateurs positifs du bien-être et positivement à tous les indicateurs négatifs du bien-être. Seul le lien entre le manque d’intérêt et la fréquence des symptômes physiques n’est pas significatif.

5.1.3 Examen des variables à contrôler

Des analyses corrélationnelles ont été menées entre, d’une part, l’âge, le nombre d’enfants et le nombre d’années d’expérience et, d’autre part, les indicateurs de bien-être. Aucune corrélation ne justifie la pertinence de contrôler pour ces variables.

Des tests t ont permis d’examiner les différences sur les indicateurs du bien-être en fonction de cinq variables sociodémographiques dichotomiques codifiées 0 ou 1 : sexe, en couple ou non, tâche à temps plein ou non, poste régulier ou non et classe régulière ou non. Seules les différences significatives sont rapportées. Les résultats obtenus aux tests t ajustés pour les variances inégales indiquent que les femmes ont rapporté une fréquence plus élevée d’affects liés à l’humeur (M = 2,62 ; t223 = 2,81, p = 0,005, = 0,70) et de symptômes liés au stress (M = 2,70 ; t223= 3,05, p = 0,003, d = 0,86) que les hommes (respectivement = 1,88 ; M = 1,72). Quant au statut conjugal, les participants qui sont en couple rapportent un bonheur (M = 6,60 ; t81,67 = 2,10, p = 0,02, d = 0,37), une satisfaction de vie (M = 6,00 ; t78,81 = 2,51, p = 0,01, d = 0,41) et un sens donné à la vie (M = 6,71 ; t76,30 = 2,83, = 0,006, d = 0,48) plus élevés que ceux qui ne sont pas en couple (M = 5,95 ; M = 5,31 ; M = 5,98).

Tableau 1

Corrélations entre les trois modes d’engagement et les indicateurs du bien-être personnel (VD)

Corrélations entre les trois modes d’engagement et les indicateurs du bien-être personnel (VD)

*p < 0,05 ** p < 0,01

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Par ailleurs, les enseignants à temps plein mentionnent une satisfaction professionnelle plus élevée (= 4,67 ; t218 = 2,47, p = 0,014, d = 0,32) et une fréquence d’affects anxieux moindre (M = 2,46 ; t222 = 2,20, p = 0,029, d = 0,28) que les enseignants qui travaillent à temps plein (= 4,11 ; M = 2,86). Les enseignants à poste régulier (M = 4,64) sont également plus satisfaits professionnellement (t54,07 = 2,38, p = 0,021, d = 0,44) que ceux qui n’ont pas un poste régulier (M = 3,95). Enfin, les enseignants qui travaillent dans une classe régulière (M = 2,74) rapportent une fréquence plus élevée de symptômes de stress (t(221) = 2,85, p = 0,005, d = 0,56) que ceux qui le font dans une classe spéciale, mixte ou les deux (= 2,09).

Ainsi, les variables de contrôle comprennent le statut conjugal pour le bonheur ; le type de classe, le nombre d’enfants et le statut conjugal pour le sens donné à la vie ; le poste, le statut conjugal et le nombre d’enfants pour la satisfaction de vie ; le poste et la tâche pour la satisfaction professionnelle, le type de classe et la tâche pour les affects anxieux ; le sexe pour les affects liés à l’humeur ; le type de classe et le sexe pour la fréquence des symptômes de stress ; le nombre d’enfants pour la fréquence des symptômes de la grippe.

5.2 Analyses principales

Avant d’effectuer les analyses de régression multiple standard et les régressions multiples hiérarchiques, tous les postulats de base ont été vérifiés et respectés (taille de l’échantillon, homocédasticité, absence de multicolinéarité et de valeur extrême).

Afin d’évaluer la valeur prédictive des trois modes d’engagement et de leurs composantes sur chaque indicateur du bien-être personnel, quatre séries d’analyses de régression multiple ont été réalisées. La première série vise à évaluer la valeur prédictive des trois modes d’engagement (échelles globales) sur tous les indicateurs du bien-être personnel, tandis que les trois autres visent à évaluer la contribution respective des composantes de l’engagement optimal, du surengagement et du sousrengagement. Des analyses de régression multiple standard ont été effectuées lorsqu’aucune variable contrôle n’a été introduite dans le modèle. Des analyses de régression hiérarchiques ont été effectuées lorsqu’il s’avérait nécessaire de contrôler l’apport des variables sociodémographiques. Les variables contrôles pertinentes ont été insérées en bloc dans la première étape des analyses, suivies des variables prédictives d’engagement dans la deuxième étape. Seul le modèle de régression des trois composantes de l’engagement optimal comme prédicteurs des symptômes de la grippe n’est pas significatif (F4,212 = 2,400, p = 0,051).

La première série d’analyses a montré que, lorsque les trois modes d’engagement sont considérés simultanément, l’engagement professionnel optimal prédit positivement tous les indicateurs positifs du bien-être personnel et prédit négativement la fréquence des affects négatifs liés à l’image de soi (voir tableau 2). Le surengagement professionnel prédit négativement tous les indicateurs positifs du bien-être sauf la satisfaction professionnelle et prédit positivement tous les indicateurs négatifs du bien-être, sauf les symptômes physiques liés au stress. Le sousrengagement professionnel prédit négativement la satisfaction de vie, la satisfaction professionnelle et la fréquence des affects positifs et prédit positivement tous les indicateurs négatifs, sauf les symptômes physiques liés à la grippe.

Tableau 2

Analyses de régression multiple standard et hiérarchique prédisant le bien-être personnel à partir de l’engagement optimal, du sur-engagement et du sous-engagement

Analyses de régression multiple standard et hiérarchique prédisant le bien-être personnel à partir de l’engagement optimal, du sur-engagement et du sous-engagement

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La deuxième série d’analyses, impliquant les trois composantes de l’engagement professionnel optimal comme variables prédictives, montre que l’enthousiasme prédit tous les indicateurs du bien-être, sauf les symptômes liés à la grippe (voir tableau 3). De plus, cette composante est la seule à prédire significativement le bonheur et la fréquence des affects négatifs liés à l’image de soi en expliquant respectivement 12,3 % et 7,78 % de la variance unique de ces variables (corrélation semi-partielle au carré-sr2). Notons que cette valeur n’est pas présente dans les tableaux. Cependant, on peut l’obtenir en mettant au carré la colonne « Corrélation part » dans SPSS. Le sens des relations observées pour la persévérance va à l’encontre des hypothèses prédites. Ainsi, cette composante prédit négativement la satisfaction professionnelle (sr2 = 1,39 %) et positivement la fréquence des affects anxieux (sr2 = 4,12 %), des affects reliés à l’humeur (sr2 = 2,89 %) ainsi que la fréquence des symptômes physiques liés à l’anxiété (sr2 = 1,77 %) et des symptômes liés au stress (sr2 = 2,92 %).

Tableau 3

Analyses de régression multiple standard et hiérarchique prédisant le bien-être personnel à partir de l’enthousiasme, de la persévérance, et de la réconciliation des aspects positifs et négatifs

Analyses de régression multiple standard et hiérarchique prédisant le bien-être personnel à partir de l’enthousiasme, de la persévérance, et de la réconciliation des aspects positifs et négatifs

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Le tableau 4 présente les résultats de la troisième série d’analyses menée sur les trois composantes du surengagement comme variables prédictives. Ainsi, l’enthousiasme excessif prédit uniquement la satisfaction professionnelle (sr2 = 2,66 %). Toutefois, le sens positif de cette relation va à l’encontre de l’hypothèse formulée. La persistance compulsive est la seule composante à prédire positivement la fréquence des affects anxieux (sr2 = 9,18 %). Cette variable prédit également positivement tous les indicateurs négatifs du bien-être. Finalement, la perception de négligence est la seule composante à prédire négativement le bonheur (sr2 = 1,88 %) et la fréquence d’affects positifs (sr2 = 2,02 %).

Tableau 4

Analyses de régression multiple standard et hiérarchique prédisant le bien-être personnel à partir de l’enthousiasme excessif, la persistance compulsive et la perception de négligence

Analyses de régression multiple standard et hiérarchique prédisant le bien-être personnel à partir de l’enthousiasme excessif, la persistance compulsive et la perception de négligence

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La quatrième série d’analyses, qui vise à examiner la valeur prédictive des composantes du sousrengagement, a montré que l’envahissement face aux aspects négatifs est la composante qui prédit le plus d’indicateurs du bien-être (voir le tableau 5). En considérant simultanément les autres composantes, elle permet de prédire négativement tous les indicateurs positifs du bien-être et positivement tous les indicateurs négatifs du bien-être, à l’exception des symptômes liés à la grippe. Le manque d’énergie prédit négativement la fréquence des affects positifs (sr2 = 2,40 %) et positivement la fréquence des affects liés à l’humeur (sr2 = 2,79 %) et des symptômes associés à l’anxiété (sr2 = 2,13 %) et au stress (sr2 = 3,03 %). Finalement, le manque d’intérêt prédit uniquement la plus faible satisfaction professionnelle (sr2 = 2,16 %).

Tableau 5

Analyses de régression multiple standard et hiérarchique prédisant le bien-être personnel à partir du manque d’énergie, du manque d’intérêt et de l’envahissement des aspects négatifs

Analyses de régression multiple standard et hiérarchique prédisant le bien-être personnel à partir du manque d’énergie, du manque d’intérêt et de l’envahissement des aspects négatifs

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6. Discussion

Deux objectifs ont été ciblés au sein de la présente étude. Le premier visait à évaluer la valeur prédictive des trois modes d’engagement professionnel (engagement optimal, surengagement, sousrengagement) à l’égard des indicateurs positifs et négatifs du bien-être personnel des enseignants du primaire. Le second objectif avait comme but de vérifier comment les composantes des trois modes d’engagement prédisaient ces mêmes indicateurs.

Premièrement, tel qu’attendu, la présente étude soutient l’idée que l’engagement professionnel optimal est lié positivement au bien-être des enseignants du primaire. Il serait même le seul mode d’engagement lié à tous les indicateurs positifs du bien-être. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’en s’investissant délibérément dans un domaine qu’il affectionne, l’enseignant serait en mesure d’exprimer son identité et d’agir en harmonie avec ses valeurs personnelles (Brault-Labbé, 2011). De plus, les résultats ont montré que même en considérant l’engagement professionnel optimal, l’engagement excessif (surengagement professionnel) et l’engagement déficitaire (sousrengagement professionnel) sont associés négativement au bien-être, ce qui, à notre connaissance, n’avait jamais été étudié auparavant. Il est à noter que le surengagement professionnel est le seul mode d’engagement à être associé significativement aux symptômes de la grippe, ce qui concorde avec une étude antérieure ayant montré le rôle du surengagement dans le fonctionnement immunitaire (Bellingrath et al. 2010). Ainsi, un enseignant qui présenterait un engagement excessif au travail serait plus enclin à dépasser ses limites émotionnelles et physiques et à négliger une hygiène de vie adéquate, ce qui rendrait son système immunitaire plus vulnérable à vivre des infections telles que la grippe.

Deuxièmement, les résultats ont montré le rôle respectif de chacune des composantes de l’engagement au travail sur le bien-être, en étant associées de manière distincte aux indicateurs du bien-être, comme l’avait suggéré Jodoin (2000). Certains résultats sont inattendus et méritent qu’on s’y attarde davantage. En effet, contrairement aux hypothèses initiales, pour ce qui est de l’engagement professionnel optimal, il semble que la persévérance soit liée à une satisfaction professionnelle moindre et à une fréquence plus élevée d’affects anxieux, d’affects négatifs reliés à l’humeur, de symptômes physiques liés à l’anxiété et au stress. Ces résultats diffèrent de ceux obtenus auprès d’une population étudiante, où la persévérance était associée au maintien de l’engagement, en plus de prédire positivement plusieurs indicateurs du bien-être (Brault-Labbé et Dubé, 2010). Ces résultats suggèrent que la persévérance n’est pas un ingrédient suffisant pour que l’engagement élevé soit lié à des répercussions positives chez l’enseignant, mais que d’autres aspects tels que le plaisir et l’intérêt ressentis doivent également être présents (Gorgievski, Bakker et Schaufeli, 2010). Étant donné l’ampleur des défis que posent la complexité des responsabilités liées à cette profession, les efforts considérables à fournir pour surmonter les difficultés qui en découlent (persévérance) seraient donc associés à un vécu plus négatif.

Pour ce qui est du surengagement professionnel, il semble que seul l’enthousiasme excessif soit lié à une meilleure satisfaction professionnelle. Bien que le sens de ce lien soit contraire aux hypothèses, ce résultat rejoint les résultats d’une étude portant sur le workaholisme, menée auprès de 661 employés de divers domaines, qui a montré que l’individu était protégé des effets négatifs d’un engagement excessif sur son bien-être, tant et aussi longtemps que le plaisir ressenti au travail était élevé (Andreassen et al. 2011). Or, dans la présente étude, contrairement à l’enthousiasme ressenti au sein de l’engagement professionnel optimal qui était lié à plusieurs indicateurs du bien-être global et professionnel, l’enthousiasme excessif n’est associé qu’à un aspect du travail. Cela laisse suggèrer que l’enseignant aurait avantage à répartir son investissement et ses intérêts de façon plus équilibrée dans les autres sphères de sa vie afin de tendre vers un bien-être global et non exclusivement professionnel. De plus, la composante de persistance compulsive est liée négativement à plusieurs indicateurs du bien-être et positivement à tous les indicateurs négatifs du bien-être. Ces résultats appuient d’autres études soulignant l’effet négatif de la notion de compulsion au travail (Brady, Vodanovich et Rotunda, 2008). Enfin, cela rejoint l’idée que l’individu qui s’investit en raison de pressions internes incontrôlables ou d’obligations extérieures serait moins susceptible d’en retirer des bénéfices, notamment parce que le travail n’aurait pas été intégré à son identité en fonction de choix pleinement libres et assumés (Houlfort et Vallerand, 2006).

Quant au sousrengagement professionnel, l’envahissement face aux aspects négatifs est la composante qui ressort comme systématiquement liée à un moindre bien-être, et ce, pour tous les indicateurs, sauf les symptômes liés à la grippe. Puisque l’enseignant sous-engagé se sent envahi par les difficultés au travail vécues comme insurmontables, il n’est plus en mesure de trouver un sens aux sacrifices effectués, cependant nécessaires pour maintenir son investissement. Par ailleurs, ce résultat converge avec les résultats obtenus quant à la persévérance, ce qui met une seconde fois de l’avant l’ampleur des difficultés rencontrées au sein de la profession et leur impact potentiel sur le bien-être des enseignants. C’est d’autant plus important qu’il s’agit de la composante du sousrengagement qui se définit en partie par l’intention de quitter la profession. Ce résultat témoigne donc particulièrement de la pertinence de mettre en place des mesures qui viseraient à mieux cibler et intervenir sur les aspects négatifs de la profession qui deviennent envahissants pour les enseignants, aux dépens de leur persévérance dans le métier et, donc, des élèves et du système scolaire en entier.

En dépit de ces résultats révélateurs, la présente étude comporte certaines limites. Tout d’abord, elle utilise un devis corrélationnel qui ne permet pas de s’assurer de la causalité des relations trouvées. Des recherches longitudinales futures permettraient de mieux comprendre l’évolution des trois modes d’engagement et du bien-être personnel chez des enseignants. De plus, la généralisation des résultats est limitée, puisque les enseignants qui ont accepté volontairement de participer à l’étude présentaient en général des niveaux relativement élevés d’engagement, ce qui ne reflète pas nécessairement l’expérience subjective vécue par la majorité des enseignants.

7. Conclusion

Cette recherche empirique a permis de mieux comprendre les associations entre les trois modes d’engagement au travail et leurs composantes respectives, d’une part, et le bien-être personnel de 223 enseignants québécois, d’autre part.

À notre avis, l’approche intégrée présentée dans cette étude est susceptible de faciliter l’identification de cibles d’intervention prioritaires en vue de favoriser le bien-être des enseignants. Ainsi, les résultats soulignent l’importance de soutenir l’enthousiasme des enseignants, notamment par le biais d’un milieu de travail stimulant (Agarwal, Datta, Blake-Beard et Bhargava, 2012) où ils peuvent déployer leur autonomie (Rosenholtz et Simpson, 1990) et entretenir des rapports positifs avec leurs collègues et la direction (Duchesne et al. 2005). De plus, les résultats suggèrent la pertinence de mettre en place des mesures afin de limiter un engagement excessif au travail, compte tenu des associations négatives avec le bien-être personnel ; par exemple, en limitant le nombre d’heures supplémentaires et en favorisant un climat propice à la conciliation travail-famille (Burke, 2001). Finalement, afin de limiter l’envahissement négatif ressenti par certains enseignants face à leurs tâches, il serait bénéfique de diminuer les demandes professionnelles excessives (par exemple : surcharge, changements dans les tâches) et d’augmenter les ressources personnelles (par exemple : le sentiment d’efficacité professionnelle) et organisationnelles (par exemple : soutien des pairs, de la direction) disponibles (Demerouti, Mostert, et Bakker, 2010). Si l’on considère qu’un bien-être élevé chez l’enseignant est associé à des effets positifs, tant sur l’élève que sur l’école (Soini, Pyhältö et Pietarinen, 2010) et que ce bien-être est susceptible d’être affecté par le mode d’engagement professionnel, lui-même caractérisé par une intensité et des processus psychologiques distincts, des recherches futures pourraient tenter d’aller plus loin en s’intéressant également aux facteurs susceptibles de contribuer ou de prévenir les déséquilibres de cet engagement.