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C’est bien connu, la critique du discours de l’autre apparaît toujours plus facile que celle du sien propre. Dès lors, que devient cette critique lorsque l’on sait que le discours de l’autre est toujours celui qu’on se construit soi-même à propos de ce dernier ! ? Je suis conscient de cette limite et reconnais aussi mon adhésion inconditionnelle depuis nombre d’années au constructivisme radical de von Glasersfeld et de ses collègues Bateson et von Foester ; de fait, bien avant la découverte de leur pensée, ou même de l’expression, il y a une vingtaine d’années.

Cela étant, on ne s’étonnera pas d’apprendre que la lecture de ce recueil m’a laissé plus d’une fois sur ma faim, particulièrement en l’absence d’un texte consistant sur le socioconstructivisme. À considérer certains des textes, le statut épistémologique de ce dernier apparaît pour le moins ambigu : s’agit-il vraiment d’une forme de constructivisme, d’une théorie du connaître, comme le soutiennent les instigateurs de l’ouvrage, ou seulement d’un mode de construction collective de la connaissance ? Le discours de certains auteurs donne à penser qu’il ne s’agit que d’une approche pédagogique à saveur constructiviste. Cette absence est d’ailleurs d’autant plus déplorable que certains utilisent allègrement et sans distinction les deux termes !

L’ensemble des textes se présente d’ailleurs davantage comme un collage de textes hétéroclites autour du vocable constructivisme que d’un recueil de réflexions sur ou autourdu constructivisme radical ; ce à quoi on se serait attendu, puisqu’il est question de rendre hommage à son plus célèbre représentant… Sauf exceptions, les auteurs ne semblent pas s’être concertés, ni avoir discuté entre eux de leurs textes, ni même discuté de la signification exacte des termes essentiels que chacun emploie. Sinon plusieurs maladresses linguistiques ou sémantiques auraient pu être évitées, et aussi certaines ambiguïtés ou contradictions. La valeur des textes est donc inégale. Des textes de très haute qualité (limpidité, cohérence, rigueur, richesse, fécondité, qualité d’écriture) côtoient des textes d’apparence bâclée.

Parmi les meilleures contributions, signalons d’abord la désormais classique Introduction à un constructivisme radical de von Glasersfeld : une cathédrale où chaque mot, chaque expression, chaque phrase contribue à élaborer une structure en porte-à-faux qui défie les fondements réalistes naïfs d’une langue au surplus linéaire et séquentielle. On apprécie d’ailleurs dans tous les textes de ce grand penseur — y compris le tout dernier utilisé pour clore le recueil (Questions et réponses au sujet du constructivisme radical) — leur grande sobriété, leur étonnante clarté, leur rigueur sans faille et, par-dessus tout, leur richesse éclectique.

D’autres textes sont également tout à fait dignes de mention pour leur générosité, leur audace, leur ingéniosité ou les trois. Dans le premier cas, je songe en particulier à celui de Marie-Françoise Legendre (Approches constructivistes et nouvelles orientation curriculaires : d’un curriculum fondé sur l’approche par objectifs à un curriculum axé sur le développement de compétences). Dans le second cas, je songe notamment à la trop brève mais non moins étincelante contribution de Marie Larochelle (Du côté de chez Ernst). Enfin, dans le dernier cas, je songe immédiatement à la contribution de Roth et Masciotra (Apprendre, c’est faire émerger).

Ne serait-ce que pour ces textes, l’ouvrage mérite amplement l’attention du lecteur.