Article body

Les actes du colloque tenu à Toronto du 4 au 6 mai 2006 présentent un panorama fascinant d’une infime fraction de ces milliers de récits de voyage publiés depuis les grandes découvertes jusqu’au xviiie siècle. Composée de six parties, cette publication étudie la narration viatique, et constate que cette littérature résiste à toute définition développée. Marie-Christine Pioffet se demande s’il n’existe pas pour autant des règles implicites pour guider les auteurs dans leur labeur comme celle d’être authentique et de dire vrai. L’exigence de vérité a pour corollaire la quête du naturel, au point de susciter une rhétorique de la singularité (Sophie Linon-Chipon), car il s’agit de dépayser, d’arracher le lecteur à la monotonie du quotidien (p. 4). Les Viateurs usent d’hyperboles et d’envolées lyriques, au moyen d’enchâssements qui comblent les interstices ou les temps morts entre chaque épisode du récit de voyage. Ce phénomène d’expansion diégétique témoigne de la fragmentation textuelle (Réal Ouellet) redevable à des facteurs atmosphériques, des rencontres inusitées ou des réflexions intérieures. Dans cet espace narratif, le discours de l’oeil, ponctué de verbes de perception (montrer et donner en spectacle), offre à lire des descriptions animées et frappantes.

Les 22 contributions cherchent à cerner autant les avatars de la voix, dans la première partie qui met en scène pèlerins et chevaliers, que les modèles et tâtonnements de ce genre aux multiples facettes exposées dans la deuxième partie. Composée de trois articles, la partie suivante s’attarde aux relations de mission, dont les particularités font de la correspondance un exercice de consolation et de réjouissance devant les progrès de la foi. L’étude des croisements génériques et diégétiques permet d’analyser les segments enchâssés (poésie, indices de théâtralisation ou de certaines affinités avec le roman), mis en oeuvre alors que la partie consacrée du texte à l’iconographie réunit des études qui donnent lieu à une sémiologie de l’image et met en valeur le non-dit du récit. En dernier lieu, trois études, situées À la périphérie du récit de voyage, esquissent une théorie du déplacement à partir du vocabulaire de l’Odyssée, suivie des techniques employées par les voyageurs et les utopiens.

Bien qu’il s’agisse d’un condensé restreint des nombreux récits de voyage publiés, les travaux de ce collectif esquissent néanmoins, à partir d’un corpus réduit, une poétique d’un genre protéiforme, et mettent en relief ce qui caractérise ces récits, influencés, selon les époques, par l’esthétique baroque ou classique. Les analyses fines et documentées ouvrent la porte à d’autres travaux d’envergure sur un sujet qui ne se tarit guère, si l’on se fie à la production éditoriale des xixe et xxe siècles. Les résultats présentés laissent entrevoir de nombreuses retombées didactiques pour la classe de littérature et invitent, implicitement, les chercheurs à poursuivre leurs investigations avec les oeuvres contemporaines de même nature.