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1. Introduction et problématique

Le portfolio étudiant est de plus en plus utilisé dans les universités et ses usages sont tout aussi variés que le sont les types de portfolios (Tardif, 2006). Sherman (2006), Abrami et Barrett (2005) lui reconnaissent trois fonctions : apprentissage, documentation et évaluation. Barrett et Wilkerson (2004) affirment que les différentes fonctions du portfolio relèvent des paradigmes différents qui sous-tendent leur conception. Le portfolio centré sur la démarche d’apprentissage, l’étudiant ayant la responsabilité du processus et du construit, relèverait d’un paradigme constructiviste. Celui axé sur l’évaluation, la démarche étant déterminée de l’extérieur par rapport à l’étudiant, découlerait d’un paradigme positiviste. Si ces perspectives semblent opposées, elles se retrouvent dans les portfolios alliant apprentissage et évaluation, créativité et encadrement, contenus déterminés et à construire (Barrett et Wilkerson, 2004), alors que la pierre angulaire demeure l’activité réflexive de l’étudiant (Carmean et Christie, 2006 ; Doig, Illsley, McLuckie et Parsons, 2006). Ces mêmes perspectives sous-tendent les portfolios professionnels. Plusieurs intervenants du domaine de la santé doivent tenir à jour un portfolio qui témoigne de leur pratique et qui propose une réflexion visant l’intégration des théories à la pratique. Ces portfolios ont une visée de formation continue et d’évaluation de la pratique par les organismes régulateurs.

Dans le Programme d’ergothérapie de l’Université d’Ottawa, la conception d’un portfolio s’est concrétisée dans ces perspectives, étudiante et professionnelle, comme suite à la réflexion sur l’obligation des cliniciens de tenir à jour un portfolio et sur la responsabilité de l’étudiant dans sa démarche d’apprentissage. Ainsi, un portfolio professionnel étudiant a été conçu comme démarche andragogique structurée accompagnant le processus de formation dans une vision d’ensemble du programme d’études, du respect des exigences des organismes professionnels et dans le but de favoriser une démarche réflexive dont témoignerait le portfolio. D’abord en format papier (Hébert, Beaudoin, Thibeault et Pitre, 2007), le format numérique a été pris en considération, autant pour faciliter le processus d’apprentissage que pour des raisons pratiques et écologiques. Le format numérique permettrait la réalisation d’activités que le format papier rendait plus difficiles : activités réflexives se construisant sur la base de communications répétées entre professeurs et étudiants, activités synthèses réalisées sur de longues périodes et portant sur les apprentissages réalisés dans plusieurs cours, et activités nécessitant l’établissement de liens entre plusieurs ressources pour construire des représentations complexes. À l’instar des cours en ligne, le format numérique permettrait d’intégrer des liens à des sites web (Marchand, 2001 ; Seng et Mohamed, 2002) et faciliterait la communication entre étudiants et professeurs. Les professeurs pourraient accéder, directement et simultanément, aux portfolios complets des étudiants, dès que ceux-ci en autoriseraient l’accès. Finalement, la somme des activités et des documents retrouvés dans le portfolio, dont quelques-uns en ligne, et la complexité de certaines activités laissaient entrevoir des portfolios papier imposants de plus en plus difficiles à gérer.

En collaboration avec le Consortium national de formation en santé, le Centre de pédagogie universitaire et le Centre du Cyber@pprentissage de l’Université d’Ottawa, le contenu du portfolio papier a été bonifié et numérisé dans le gabarit Iwebfolio de Nuventive. L’objectif de cette étape du projet était de créer un portfolio professionnel étudiant en format numérique (ePPE) que pourraient utiliser tous les étudiants du programme d’ergothérapie pendant leur formation universitaire et, subséquemment, dans leur pratique professionnelle.

Le présent article propose au lecteur une analyse documentaire relative aux portfolios étudiants, la méthodologie de recherche-action retenue au programme d’ergothérapie pour concevoir, implanter et évaluer l’utilisation d’un portfolio professionnel étudiant numérique, les résultats de la démarche de recherche et, en discussion, l’analyse des résultats ainsi que les constats des chercheurs. Les avantages de la tenue d’un portfolio professionnel étudiant sont présentés en conclusion.

2. Contexte théorique

Pour Bossers et ses collaborateurs (1999), présentant la conception d’un curriculum de formation en ergothérapie, ainsi que pour Marcoul-Burlinson (2006), à la suite d’une étude exploratoire sur la construction des savoirs au moyen d’un portfolio numérique, ce dernier permet l’appropriation et la responsabilisation de l’étudiant vis-à-vis de ses apprentissages, car il représente plus qu’un document de preuves ou une fin en soi. Dans une recension des écrits sur les meilleures pratiques, Funk (2007) affirme que la tenue d’un portfolio doit relever d’un processus dynamique où l’étudiant reconnaît sa responsabilité, ce qui lui permet d’apprendre et de dégager un sens de cette expérience. Challis (2005), dans une réflexion sur la plus-value du portfolio numérique aux études supérieures, et Fritz (2006), dans un compte rendu de pratique, insistent sur cet aspect dynamique du portfolio : 1) dans la mesure où sa maturation n’est jamais terminée ; 2) s’il est partie intégrante d’un curriculum de formation en constant processus d’amélioration ; 3) s’il est vu par l’étudiant comme partie intégrante de sa maturation personnelle et 4) si l’étudiant est conscient que son portfolio pourra le suivre dans sa carrière. Dans cette perspective et parmi la multitude des usages proposés dans des comptes rendus de pratiques, le portfolio devient un lieu de réflexion, d’apprentissage, de prospectives, de partage, de collaboration, de gestion de l’information et de rétroaction (Sherman, 2006 ; Tosh, Werdmuller, Chen, Light et Haywood, 2006).

En ergothérapie, le portfolio professionnel relève d’une perspective similaire. Il nécessite le transfert des théories à la pratique (Burke, Jones et Doherty, 2005 ; Fritz, 2006 ; Val Klenowski et Carnell, 2006), autrement dit la prise de conscience de l’impact des apprentissages sur la pratique (Allen, 2004). Le portfolio témoigne ainsi de l’épanouissement professionnel et offre un cadre de perfectionnement qui allie apprentissage, documentation et évaluation, et permet le suivi des compétences par les organismes régulateurs, selon les normes d’exercice en vigueur, lors des inspections professionnelles (Ordre des ergothérapeutes de l’Ontario, 2005 ; Ordre des ergothérapeutes du Québec, 2004). Ce portfolio, en version papier uniquement en Ontario et au Québec, est déjà partie intégrante du quotidien de la pratique des ergothérapeutes.

2.1 Retombées du portfolio

Les écrits des chercheurs en éducation créent des attentes au sujet de l’utilisation du portfolio, notamment le développement de compétences et d’habiletés métacognitives chez l’étudiant pour favoriser des apprentissages à long terme. Toutefois, Abrami et Barrett (2005), dans une réflexion sur les pistes de recherche relatives au portfolio, soutiennent que peu de recherches font état de l’impact du portfolio au regard du processus d’implantation. Depuis, Van Aalst et Chan (2007), dans trois études d’implantation et d’évaluation du portfolio portant sur l’évaluation du contenu, la participation aux forums de connaissances, la compréhension des concepts et les relations entre ces trois variables, ont montré que si l’expérience du portfolio s’inscrit dans une approche socioconstructiviste, elle constitue en soi un processus expérientiel qui génère de la connaissance. Notons que les forums de connaissances sont gérés par un logiciel, Knowledge forum, qui permet à l’étudiant de créer une carte conceptuelle de ses connaissances et d’y intégrer les nouveaux acquis.

Selon ces études, le portfolio doit impérativement contenir des activités faisant état des connaissances, mais aussi des activités témoignant du processus de construction de ces dernières, soutenant créativité et autotransformation. Des évaluations formatives du portfolio seraient ainsi essentielles au processus de construction de la connaissance (Van Aalst et Chan, 2007), pour favoriser l’ancrage des nouveaux acquis aux anciens, leur intégration et leur généralisation à d’autres expériences, selon les recensions des écrits effectuées par Blackburn et Hakel (2006), Fritz (2006), Henry (2006) et Sherman (2006), et le compte-rendu d’une expérience d’implantation du portfolio numérique par Calderon et Buentello (2006). De plus, l’évaluation de la construction des connaissances permettrait à l’étudiant de s’ajuster aux exigences de sa formation (Wade, Abrami et Sclater, 2005), alors que le processus du portfolio favoriserait une démarche d’apprentissage autonome (Hadwin, Wozney et Pontin, 2005), l’acquisition et l’intégration de connaissances par un apprentissage significatif, illustrant la maturation et la conscience de soi (Challis, 2005 ; Hatton et Smith, 1995 ; Orland-Barak, 2005 ; Val Klenowski et Carnell, 2006).

2.2 Avantages et limites du portfolio numérique

Les avantages du format numérique, comparé au format papier, sont de trois ordres : les aspects numériques, l’apprentissage et le volet carrière. D’abord, il permet l’intégration de matériel multimédia (Abrami et Barrett, 2005 ; Dillon et Brown, 2006) et l’archivage dans une multitude de formats (Flanigan et Amirian, 2006 ; Price, 2006). Il facilite chez l’étudiant l’acquisition de certaines habiletés et compétences technologiques pour construire, emmagasiner et disséminer la connaissance (Abrami et Barrett, 2005 ; Dillon et Brown, 2006 ; Flanigan et Amirian, 2006 ; Hartnell-Young, 2006). Une étude menée auprès d’étudiants en formation des maîtres par Peters, Chevrier, Leblanc, Fortin et Mallette (2006), évaluant les compétences technologiques des participants au début et après trois mois d’utilisation d’un portfolio numérique, en montre une nette amélioration. Dans une argumentation théorique, Hartnell-Young (2006) affirme que, bien que la technologie tende à placer les individus en position passive, un portfolio numérique s’appuyant sur une approche constructiviste issue des principes de Dewey (1910 : voir Hartnell-Young, 2006) favorisera l’autonomie, l’autorégulation de l’apprentissage et une meilleure compréhension du processus d’apprentissage. Selon Gibson et Barrett (2003), les portfolios numériques offrent non seulement un lieu pour la collection de documents, mais aussi un nouveau procédé pour produire des connaissances, les améliorer et les partager. Ces chercheurs donnent en exemple les avenues informatiques possibles qui permettent aux étudiants non seulement de contempler a posteriori leur processus de maturation, mais aussi la flexibilité des outils que les portfolios numériques proposent en matière de planification, de détermination de buts d’apprentissage, d’expressions diversifiées et de création d’artéfacts, et en matière de structures de travail, de création et de communication. Finalement, l’aspect carrière est souvent nommé dans les études portant sur les avantages du portfolio numérique. Dans une étude de cas menée auprès d’étudiants au Certificat en éducation des professionnels de la santé, Lawson, Kiegaldie et Jolly (2006) observent que le portfolio numérique facilite l’accès aux travaux des étudiants et la rétroaction, mais que la transmission à des partenaires externes, d’éventuels employeurs par exemple, semble plus difficile. Cependant, Wagner et Lamoureux (2006), en référence à des études de cas mixtes portant sur les avantages et les limites du portfolio numérique pour les étudiants universitaires, et Flanigan et Amirian (2006), en réponse à un sondage et à un groupe de discussion auxquels participaient cinq étudiants et cinq professeurs, concluent que la plus-value de cette sorte de portfolio se retrouve dans la recherche d’emploi, parce qu’il clarifie la vision de carrière de l’étudiant, ce qui peut entraîner un effet motivateur. Dans une étude menée auprès d’étudiants inscrits aux programmes en enseignement (n = 345) et auprès de leurs professeurs, Ring et Foti (2006) mettent un accent particulier sur cet aspect, alors que les étudiants indiquent qu’il devient intéressant d’inscrire un lien, en tête du curriculum vitae, avec le site de création de leur portfolio professionnel.

Cependant, d’autres chercheurs relèvent des limites au portfolio, tous formats confondus. Selon une enquête auprès d’un échantillon aléatoire de 22 étudiants en sciences infirmières, 67 % des étudiants jugent utile la tenue d’un portfolio, alors que 38 % soutiennent qu’elle ne contribue pas au développement d’habiletés professionnelles (Corcoran et Nicholson, 2004). Ces données sont similaires à celles de Wagner et Lamoureux (2006) selon lesquels seuls 68 % des participants à leur étude, étudiants et professeurs confondus, jugent bénéfique le portfolio numérique. Lors d’une étude longitudinale sur le passage d’un portfolio du papier au numérique, Price (2006) constate que les étudiants perçoivent le portfolio comme une tâche additionnelle qui demande trop de temps, perception accrue en présence de problèmes techniques. Marcoul-Burlinson (2006) soulève aussi l’importance des aspects financiers et du temps que la conception et la bonification des portfolios numériques exigent.

2.3 Paramètres à respecter

Un portfolio étudiant devrait inclure l’archivage des productions les plus significatives de l’étudiant, pour la durée de sa formation, la réflexion sur ces productions dans une perspective de maturation et la rétroaction sur les apprentissages. D’après Doig et ses collaborateurs (2006), qui s’appuient sur leurs études de divers portfolios numériques à l’Université de Dundee, en médecine, en éducation et en ingénierie, l’étudiant doit être outillé et soutenu. Cet encadrement inclut l’introduction à l’environnement d’apprentissage virtuel, la clarification des buts et la démonstration de la pertinence de ce type de portfolio au regard du processus de professionnalisation. À ce titre, l’étudiant doit saisir la raison d’être du processus de réflexion (Riedinger, 2006) du portfolio (Aalderink et Veugelers, 2006) et être informé des objectifs de chacune des activités proposées (Riedinger, 2006). Riedinger (2006) a examiné les défis que pose l’utilisation de l’activité réflexive dans les portfolios, recensant stratégies, types de réflexion et approches pour faciliter la réflexion. Elle recommande que le type de réflexion attendu et le processus qui le sous-tend soient définis selon les objectifs du curriculum. L’étudiant doit se voir proposer des questions adaptées au type de réflexion que l’on veut induire et à son niveau de maturation, recevoir un suivi régulier et constructif, encourageant la réflexion (Carmean et Christie, 2006 ; Wharfe et Derrick, 2006). Le choix d’inclure un portfolio numérique dans la démarche d’apprentissage de l’étudiant doit d’abord émerger d’une réflexion sur son utilisation et sur le contexte dans lequel il se fera, avant même qu’en soient définis les paramètres.

Pour atteindre son plein potentiel, le portfolio mature qui s’inscrit dans une approche constructiviste doit :

  1. être un outil congruent avec la philosophie et les exigences du curriculum de formation ;

  2. offrir un recueil des réalisations de l’étudiant témoignant de sa maturation et qui en rend possible le suivi ;

  3. permettre à l’étudiant d’inclure des réalisations qu’il juge importantes et qui ont jalonné son apprentissage dans la structure du curriculum de formation et dans la réflexion sur le processus de maturation ;

  4. contenir des activités de communication entre étudiants et professeurs dans une relation de mentorat stimulant la métacognition, pour parfaire l’apprentissage des étudiants, bonifier le programme de formation et le processus du portfolio.

2.4 Types de portfolios numériques

On retrouve deux types de portfolios numériques : les formats génériques, regroupant des logiciels qui n’ont pas a priori de vocation portfolio, et les formats spécifiques aux portfolios, lorsqu’un système précis de création de portfolio est généré, impliquant programmation, création de bases de données et hébergement sur serveur (Gibson et Barrett, 2003). Les formats génériques peuvent faire appel à tout logiciel qui supporte la production et l’archivage de documents. Les formats spécifiques offrent souvent un environnement en ligne structuré et un espace de sauvegarde. Ces derniers permettent la créativité dans une structure déterminée et offrent une certaine uniformité (Gibson et Barrett, 2003). Cette structure spécifique restreint les choix des étudiants, mais peut devenir un avantage sur le plan de la conception et de l’évaluation des apprentissages et des portfolios. Ces portfolios peuvent être des produits commerciaux, conceptualisés par des établissements d’enseignement ou encodés en source libre (Cloutier, Fortier et Slade, 2006). Les produits commerciaux sont souvent plus coûteux et structurés, mais ils offrent un soutien technique crucial, selon Dalziel, Challen et Suterland (2006). Habituellement, les produits en provenance des établissements d’enseignement sont moins coûteux, mieux adaptés aux besoins des étudiants, mais le soutien technique est moindre. Les produits encodés en source libre sont offerts au grand public sans frais, ils sont généralement faciles à adapter et demandent un soutien technique minimal de la part de la communauté de partage.

Gibson et Barrett (2003) reconnaissent divers avantages aux formats spécifiques, tels les espaces organisés pour la communication entre étudiants et professeurs et pour les réalisations des étudiants ainsi que pour des réflexions sur ces réalisations. Leur flexibilité autorise la création d’une structure congruente avec celle du programme de formation et la possibilité, pour l’étudiant, de déterminer l’accès à son portfolio, dans le respect de la propriété intellectuelle et de la confidentialité. De plus, les portfolios spécifiques sont suffisamment nombreux pour permettre certains choix quant aux coûts et au soutien technique. Cependant, pour Challis (2005), si les possibilités multimédias des portfolios spécifiques sont intéressantes, elles demandent quelques connaissances informatiques et peuvent capter l’attention des utilisateurs au détriment du processus, du sens de l’expérience et du contenu.

3. Méthodologie

3.1 Format retenu au Programme d’ergothérapie de l’Université d’Ottawa

Un format numérique spécifique de portfolio, le format Iwebfolio de Nuventive (Nuventive, 2006) a été retenu, et le contenu généré à la suite de la première étape du projet y a été intégré (Figure 1).

Figure 1

Carte conceptuelle du portfolio professionnel étudiant numérique

Carte conceptuelle du portfolio professionnel étudiant numérique

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Ce choix a été fait en raison de l’hébergement de la plateforme chez Nuventive, des coûts unitaires raisonnables des licences pour étudiants et professeurs, du soutien technologique offert par Nuventive et de la facilité apparente d’utilisation. L’étudiant pouvait réaliser ses activités directement dans son portfolio numérique, insérer divers documents d’orientation à la pratique et témoignant de sa démarche d’apprentissage et de maturation, établir des liens de communication avec ses professeurs. L’étudiant trouvait, au départ, un tableau de bord (Figure 2) lui donnant accès aux différentes sections et lui permettant d’éditer les documents qu’il y insérait. L’étudiant avait au départ les directives pour réaliser les activités et organiser l’insertion des documents témoignant de ses apprentissages, pour l’année universitaire à venir.

Figure 2

Tableau de bord du portfolio numérique

Tableau de bord du portfolio numérique

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Le processus de conception, d’implantation et d’utilisation de la version numérique du portfolio visait à : 1) bonifier le contenu initial du portfolio ; 2) documenter et faciliter l’implantation et l’utilisation de la version numérique ; 3) étudier le soutien technologique requis par les étudiants et les professeurs et 4) déterminer la pertinence du gabarit retenu. Le portfolio désiré devait répondre à la fois aux besoins d’apprentissage des étudiants et à ceux de l’évaluation pour les professeurs. Il devait aussi témoigner du processus de maturation des étudiants, être congruent avec le programme de formation et pouvoir s’adapter aux changements de curriculum. Le gabarit numérique devait offrir les avantages de l’informatisation et être facile d’utilisation.

3.2 Étapes du projet de portfolio

Les écrits de Dolbec (1997), Olsen (2004), Robson (2002) et Savoie-Sjak (2000) sur la recherche-action ont permis d’établir les étapes pour concevoir, implanter, étudier l’utilisation et la bonification du portfolio numérique du programme.

La recherche-action se caractérise […] par un effort constant de relier et de mener en même temps action et réflexion, de réfléchir sur son action en vue de l'améliorer et d'agir en s'observant dans le but de développer son savoir.

Dolbec, 1997, p. 487

Ainsi, les problématiques, les objectifs et les méthodes émergent du processus. Les outils méthodologiques servent à documenter le processus et à clarifier les problématiques et les solutions.

Le projet de portfolio se divisait en trois étapes : 1) la conception du contenu générique pour tous les étudiants en ergothérapie, indépendamment de leur niveau d’étude et d’expérience quant à l’utilisation de ce portfolio ; 2) la création et l’utilisation d’une version numérique du portfolio ainsi que l’interaction des aspects numériques avec le processus d’apprentissage des étudiants et le suivi des professeurs ; et 3) la création d’un portfolio générique, qui pourrait être offert à tout étudiant en sciences de la réadaptation. Les résultats de la première étape ont fait l’objet d’un article (Hébert et collab., 2007). Le présent article s’attardera à la deuxième étape.

3.3 Participants et activités du portfolio

Parmi les 104 étudiants du Programme d’ergothérapie de l’Université d’Ottawa, pour l’année universitaire 2006 / 2007, qui ont participé à la deuxième étape du projet, 42 étaient en deuxième année ; 29, en troisième et 33, en quatrième année de formation. Ils ont tous utilisé la même version du portfolio numérique, certaines activités ayant été adaptées aux exigences de leurs cours. Les étudiants de troisième année avaient participé à l’étape précédente avec le portfolio papier, pendant l’année universitaire 2005 / 2006. Les étudiants étaient majoritairement des femmes âgées de 19 à 26 ans (seulement 11 hommes d’âge similaire) ayant une très bonne connaissance du français et une connaissance fonctionnelle de l’anglais, conformément aux exigences d’admission. Tous les professeurs du programme ont participé au projet, trois de ceux-ci étant concepteurs du portfolio et responsables du projet. Les sept professeurs réguliers du programme et un professeur à temps partiel ont conçu et inséré au moins une activité dans le portfolio, le plus souvent en lien avec un cours. Par ailleurs, certaines activités d’intégration étaient proposées par un des concepteurs, demandant une réflexion soit sur un ensemble de concepts, soit sur un ou plusieurs documents d’orientation à la pratique, soit sur la relation entre divers contenus de cours, soit sur la démarche d’apprentissage, soit sur l’auto-évaluation de cette dernière dans un contexte spécifique. Certains professeurs ont participé au processus de suivi du portfolio pour une seule activité, avec un seul groupe, alors que d’autres ont examiné le portfolio de tous les étudiants, à une ou plusieurs reprises. Les autres protagonistes étaient un coordonnateur de projets du Centre du cyber@pprentissage et deux assistantes : l’une, ergothérapeute clinicienne, et l’autre, étudiante. La figure 3 représente la distribution des participants et des activités.

Figure 3

Répartition des participants et des activités

Répartition des participants et des activités

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3.4 Instrumentation

Plusieurs sources d’information ont permis l’étude du portfolio professionnel étudiant en format numérique : les procès-verbaux des rencontres, un sondage auprès des étudiants et des professeurs, un groupe de discussion avec des étudiants à la fin de la période d’utilisation, les courriels et questions des étudiants au sujet de ce type de portfolio, ainsi que les rapports des inspections professionnelles.

Dans l’ensemble, nous avons répertorié 45 procès-verbaux de rencontres formelles réparties sur toute l’année universitaire et portant entièrement ou partiellement sur le portfolio professionnel étudiant en format numérique : dix réunions du Comité de curriculum du programme, neuf assemblées du Programme d’ergothérapie avec tous les professeurs, quatre rencontres du Comité ad hoc du portfolio universitaire, trois rencontres avec le coordonnateur de projets du Centre du cyber@pprentissage, onze rencontres avec les assistantes de recherche et six rencontres entre les concepteurs et les étudiants participant au projet. Les procès-verbaux de ces rencontres incluaient les problématiques soulevées, les commentaires des participants aux rencontres, les solutions proposées, les actions privilégiées et la planification de la mise en oeuvre des changements. Plusieurs rencontres informelles ont eu lieu pendant cette période, mettant le plus souvent en présence un des concepteurs et une assistante de recherche ou le coordonnateur de projets du Centre du cyber@pprentissage. L’objet de ces rencontres était rapporté au Comité de curriculum où siégeaient les trois concepteurs.

En fin d’année universitaire, le sondage et la consultation d’un groupe de discussion ont été conçus spécifiquement pour recueillir les commentaires des étudiants et des professeurs sur le contenu, sur le format (organisation des contenus) et le gabarit (présentation numérique) du portfolio professionnel étudiant, sur son intégration à la démarche d’apprentissage, sur la formation que tous avaient reçue en début d’année universitaire à propos du format numérique, et sur le soutien technique auquel ils avaient eu accès pendant l’année universitaire. Le groupe de discussion a réuni quatre étudiants, qui ont réitéré les réponses au sondage. Les résultats de cette rencontre ont été incorporés aux données du sondage. Les questions du sondage étaient : 1) Vous utilisez le portfolio depuis une ou deux années scolaires. Pouvez-vous nous parler de votre expérience en nous indiquant comment il s’est intégré à votre démarche d’apprentissage ? Quelles sont les activités que vous avez appréciées ? Lesquelles vous sont apparues inutiles ? 2) Avant même d’amorcer votre portfolio, vous avez eu deux formations, une en classe et une en laboratoire. Nous voudrions avoir vos commentaires sur ces formations. 3) Parlez-nous du soutien qui vous a été offert pendant l’année scolaire, autant par les professeurs que par l’assistante au projet. 4) De façon générale, vous a-t-on donné les outils nécessaires pour réaliser chacune des activités que vous aviez à compléter dans le ePPE ? 5) Que pourriez-vous nous suggérer pour améliorer le contenu ou le format du portfolio ?

La quatrième source d’information comptait les courriels et les questions posées de vive voix aux professeurs et à l’assistante au projet. Les étudiants n’avaient pas reçu de directives précises au sujet des demandes d’aide qu’ils acheminaient, hormis la recommandation de soumettre les problématiques techniques à l’assistante et les questions liées au contenu aux professeurs.

Finalement, la tenue du portfolio s’est accompagnée d’un processus d’inspection professionnelle calqué sur celui des ordres professionnels régulateurs. Ce processus, que nous décrivons plus loin, donnait lieu à un rapport pour chacune des inspections, cinq dans l’ensemble, une ou deux par groupe d’étudiants.

3.5 Déroulement du projet

Une structure de base et un contenu pour le portfolio numérique avaient été déterminés lors de la première étape du projet (Hébert et collab., 2007). La tenue de ce portfolio a été proposée aux étudiants dès leur première semaine de cours lors de la rentrée 2006, et les trois professeurs responsables du projet ont rencontré chaque classe. Le portfolio a été présenté aux étudiants en tant que stratégie d’apprentissage et stratégie pédagogique pour lesquels un soutien externe leur serait offert. À ce moment-là, les responsabilités de chacun (étudiants, professeurs et assistante) ont été abordées. Cette présentation a été suivie d’une formation en laboratoire, par l’assistante, sur les aspects numériques du portfolio professionnel étudiant. Les étudiants ont amorcé la tenue de leur portfolio numérique en septembre 2006, pour terminer en avril 2007. Entre mai 2006 et la fin de la période d’utilisation, des rencontres régulières documentées avaient lieu entre les concepteurs et les différents protagonistes du portfolio professionnel étudiant en format numérique. De vive voix au laboratoire ou par courriel, les étudiants soulevaient leurs questions liées aux activités et à la tenue de ce type de portfolio à l’assistante qui les colligeait. Elle était en communication sur une base régulière avec les concepteurs pour que les ajustements requis soient apportés au portfolio professionnel étudiant en format numérique. Les professeurs responsables des activités effectuaient le suivi dans les portfolios professionnels (commentaires, notation, corrections). À l’occasion, ils ajustaient les activités proposées. Les activités intégratrices faisaient l’objet d’un suivi par les concepteurs, en classe ou directement dans le portfolio numérique, qui était axé sur le développement des compétences disciplinaires et la réflexion en profondeur chez l’étudiant relativement à la démarche d’apprentissage.

À ce processus s’ajoutait l’inspection professionnelle des portfolios professionnels pour étudiant en format numérique. Celle-ci était réalisée selon un échéancier précis, à la mi-session ou en fin de session, selon le niveau d’études des étudiants. Les portfolios étaient alors visités par l’assistante au projet qui devait s’assurer que tous les documents requis y étaient insérés et que toutes les activités étaient réalisées. La qualité des documents n’était pas objet de vérification, puisque les professeurs avaient assuré ce suivi. Une grille d’inspection professionnelle, préalablement insérée dans le portfolio des étudiants, décrivait la démarche, les documents requis et les échéances. L’assistante complétait l’inspection et rendait compte à un des concepteurs. Elle avait la liberté d’inscrire un commentaire dans le portfolio des étudiants, pour leur donner quelques indications techniques si une activité semblait difficile ou pour glisser un mot d’encouragement. Un concepteur faisait un suivi de l’inspection auprès des groupes d’étudiants. Ce processus avait pour but non seulement de faire un suivi du portfolio et de la démarche des étudiants, mais aussi de les initier à la démarche d’inspection des ordres professionnels. Sauf pour les activités exigées dans les cours et les activités d’intégration, l’étudiant avait la liberté de réaliser son portfolio professionnel en fonction de ses propres besoins d’apprentissage ou de tout autre impératif qui lui était personnel. Cette personnalisation du portfolio était encouragée et soulignée par les concepteurs, les professeurs et l’assistante dans les portfolios professionnels pour étudiant en format numérique.

À la fin de l’année universitaire, les étudiants étaient invités à participer au sondage et au groupe de discussion. Le sondage anonyme leur était remis en classe et ils devaient y répondre au moment qui leur convenait. L’invitation à participer au groupe de discussion était lancée à ce moment et un courriel de rappel acheminé quelques jours avant la rencontre.

3.6 Méthode d’analyse des résultats

L’analyse de contenu a été la principale méthode d’analyse des résultats. Les procès-verbaux des rencontres et les questions adressées aux professeurs et à l’assistante ont été revus et une liste des problématiques, des réflexions, des solutions et des modifications a été dressée. L’analyse des contenus a été continue sur toute la période d’utilisation. Les réponses aux questions du sondage, les commentaires soulevés lors du groupe de discussion et les résultats des inspections professionnelles ont été analysés de façon similaire.

3.7 Considérations éthiques

Le Comité d’éthique en recherche de l’Université d’Ottawa a accordé son approbation, une fois la démonstration faite que le projet visait à bonifier un processus d’apprentissage et un outil que les étudiants devraient utiliser pendant leur formation et en pratique professionnelle, même en l’absence du projet. Malgré l’état captif de la population et l’obligation de la tenue du portfolio, la nature du projet le rendait éthiquement acceptable. L’aspect confidentiel de la cueillette des données et le respect de l’anonymat étaient assurés.

4. Résultats

4.1 Modifications à la version initiale du portfolio

L’analyse des 45 procès-verbaux a mis en lumière quatre secteurs de préoccupations qui ont demandé quelques modifications immédiates au portfolio professionnel étudiant en format numérique et aux suivis auprès des étudiants : le contenu du portfolio, la formation initiale, le gabarit du portfolio en format numérique et le soutien technique.

Le contenu du portfolio a soulevé peu de discussions et demandé peu de modifications. De tels résultats étaient attendus parce que le contenu en avait été révisé pendant la première étape du projet. Dans l’ensemble des procès-verbaux, le contenu n’a fait l’objet que de deux discussions : l’insertion de nouvelles activités métacognitives au portfolio en début d’étape et les difficultés rencontrées par les étudiants pour compléter deux cartes conceptuelles intégratrices de concepts vus dans plus d’un cours. À la demande des étudiants, lors de la première étape, quelques activités métacognitives supplémentaires ont été conçues et insérées dans le carnet de route du portfolio, et la conception d’une carte conceptuelle a fait l’objet d’une démonstration en classe pour illustrer la démarche de réflexion attendue.

Malgré le fait que la présentation en classe du portfolio professionnel étudiant en format numérique était suivie d’une formation en laboratoire, les étudiants posaient quelques questions très techniques auxquelles l’assistante au projet et le coordonnateur de projets du Centre du cyber@pprentissage pouvaient offrir des réponses beaucoup plus spécifiques ; ils ont donc été invités aux présentations faites en classe.

Quant au format numérique, il a nécessité plusieurs ajustements ; en effet, il figure dans 42 des 45 procès-verbaux. Les problématiques technologiques et les difficultés d’utilisation ont été de loin au coeur des préoccupations soulevées pendant les rencontres. Le premier constat a été que la conception de la version numérique du portfolio professionnel étudiant a demandé un investissement considérable de temps, malgré le choix d’un gabarit préfabriqué. La transposition du contenu au portfolio professionnel étudiant en format numérique, les liens à créer entre les sections du portfolio, le dépôt de documents et l’accès à ces documents ont soulevé plus d’une réflexion. Il est apparu que les connaissances informatiques requises allaient au-delà des habiletés des concepteurs du portfolio papier. L’implication du coordonnateur de projets du Centre du cyber@pprentissage, très au fait des aspects informatiques, est devenue rapidement indispensable. Les procès-verbaux des premières semaines d’utilisation rendent compte d’un ensemble de petits problèmes techniques qui ont demandé des ajustements. Certains documents qui devaient apparaître dans le portfolio, pourtant déposés dans le gabarit de conception, étaient absents de la version étudiante. Ils ont dû être déposés à nouveau. Certaines images n’avaient pas non plus survécu au processus de transfert du gabarit de conception au gabarit étudiant. Il s’est avéré aussi que certains étudiants éprouvaient initialement quelques difficultés d’accès à leur portfolio ou des difficultés à insérer leurs premiers documents. Ces problèmes ont été rapidement corrigés par l’assistante ou chez Nuventive.

Ce sont les problèmes liés au format numérique qui ont fait l’objet du plus grand nombre de discussions, comme en font foi les procès-verbaux. Elles allaient des difficultés d’utilisation au temps requis pour réaliser certaines activités exigeant quelques connaissances informatiques ; entre autres, les activités proposées à un des groupes d’étudiants n’ont eu à être effectuées que plusieurs semaines après l’implantation. Les directives d’utilisation avaient alors été oubliées et les rappels de l’assistante ont dû se multiplier. Nous avons noté que toute période de relâche dans la tenue du portfolio professionnel étudiant en format numérique était suivie de l’oubli des directives d’utilisation. Quelques autres difficultés d’utilisation, mineures et moins fréquentes, ont demandé l’intervention de l’assistante, du coordonnateur de projets ou de Nuventive. Les correctifs requis étaient habituellement apportés dans les 24 heures, mais les contraintes de temps et les habitudes de procrastination de certains étudiants ont parfois fait paraître ces délais très longs. Les activités qui exigeaient un minimum d’habiletés informatiques, comme la création de liens hypertextes, ont donné quelques difficultés aux étudiants peu familiarisés avec ces démarches. À cause du format numérique, les critiques le plus souvent retrouvées dans les procès-verbaux portaient sur le temps requis par les étudiants pour réaliser certaines activités, principalement en présence de problèmes techniques, et par les professeurs pour faire les suivis des activités, l’accès étant parfois un peu long. En résumé, les pépins techniques, les délais d’accès au portfolio professionnel étudiant et la complexité du format numérique étaient le plus souvent évoqués. Malgré les ajustements, ces critiques sont réapparues régulièrement dans les procès-verbaux. La complexité était associée, chez les étudiants, aux manoeuvres d’insertion de documents et à l’établissement de liens entre des documents. Chez les professeurs, la complexité était liée au dépôt de documents dans le site Internet universitaire dédié au portfolio, certains effectuant une telle démarche pour la première fois.

Quant au soutien technique, les préoccupations mentionnées dans les procès-verbaux étaient en lien avec des questions organisationnelles chez les étudiants. Une migration des demandes de soutien a été observée entre le début et la fin du projet ; les étudiants s’adressaient initialement plus souvent et plus régulièrement à Nuventive, pour finalement ne requérir que l’aide de l’assistante au projet. De plus, alors que les périodes d’inspection professionnelle approchaient, l’assistante se trouvait débordée de demandes et ne suffisait plus à la tâche. La seule autre préoccupation soulevée à propos du soutien technique a été la langue de certaines instructions. Malgré le bilinguisme de nos étudiants, ils n’ont guère apprécié la présence de quelques instructions en anglais, Nuventive étant une compagnie américaine.

4.2 Soutien à offrir aux étudiants pour la tenue du portfolio en format numérique

Les questions adressées à l’assistante qui offrait du soutien aux étudiants constituaient la deuxième source d’information sur le portfolio professionnel étudiant en format numérique. De septembre 2006 à avril 2007, elle a répondu à 43 demandes d’information au laboratoire et à 239 par courriels (assistante et Nuventive confondus). Les demandes d’assistance des étudiants portaient sur l’ouverture de leur compte Iwebfolio de Nuventive, les difficultés à télécharger et à ouvrir certains documents, la création d’hyperliens, les étapes du transfert de certains documents du gabarit concepteur vers le gabarit étudiant, les étapes pour accéder à leur portfolio et les instructions pour retrouver les rétroactions des professeurs et de l’assistante dans leur portfolio. À cela s’ajoutent quelques commentaires de l’assistante dans les procès-verbaux : 1) le caractère indispensable de la formation en laboratoire, mais appuyée d’un aide-mémoire qui éviterait bon nombre de questions ; 2) la motivation des étudiants à tenir à jour leur portfolio qui aurait gagné à être ravivée régulièrement pendant l’utilisation ; 3) les difficultés techniques ; 4) la nécessité d’un logiciel et d’un soutien totalement francophones ; 5) les habitudes de procrastination de quelques étudiants, éprouvantes pour tous, assistante et étudiants ; 6) les habiletés informatiques qui deviennent à l’occasion un plus grand défi que le contenu même du portfolio professionnel étudiant et, finalement, 7) le processus d’inspection professionnelle qui semblait offrir très peu aux étudiants, mais qui s’est avéré très exigeant pour l’assistante.

Les constats de l’assistante, la nature des questions soulevées par les étudiants et les problématiques retrouvées dans les procès-verbaux ont donné lieu à : 1) la création d’un aide-mémoire papier décrivant les aspects numériques de la tenue du portfolio professionnel étudiant ; 2) l’ancrage des activités d’intégration à certains cours du programme, incitant à utiliser à un rythme hebdomadaire le portfolio professionnel en format numérique et stimulant l’intérêt des étudiants ; 3) la conception d’un gabarit numérique plus simple pour la prochaine année d’utilisation ; 4) la simplification des aspects technologiques liés au suivi des activités par les professeurs ; et 5) le maintien du soutien technique offert aux étudiants. Ces ajustements ont été réalisés facilement, mais la conception d’un nouveau gabarit, à la fin de l’étape, a demandé à nouveau un investissement notable de temps.

4.3 Perceptions des étudiants et des professeurs relativement au portfolio

Quarante-quatre étudiants et cinq professeurs sur les 104 participants ont répondu au sondage de fin d’année. Les résultats recoupent cinq axes qui concernent l’implantation et l’utilisation du portfolio professionnel étudiant en format numérique : 1) la formation initiale ; 2) le soutien offert en cours d’année universitaire ; 3) le format ; 4) les contenus et la démarche d’apprentissage et 5) le processus de tenue du portfolio.

La formation initiale a soulevé, chez les étudiants, des divergences liées à la compétence informatique de chacun. La majorité a estimé la formation initiale suffisante et adéquate, soulignant son appréciation des séances en laboratoire. Cependant, une minorité s’est dite dépassée par les habiletés informatiques requises et aurait souhaité des séances de formation individuelles et des rappels réguliers des directives de base. Quant aux professeurs qui avaient reçu la formation en laboratoire, ils se sont dits satisfaits. Le soutien technique offert en cours d’année universitaire a été jugé indispensable, et les étudiants ont attribué leur satisfaction à quatre facteurs bien précis : la disponibilité de l’assistante, sa rapidité à trouver réponse aux questions, sa compétence informatique générale et sa connaissance approfondie de l’outil. Cependant, deux critiques ont émergé. D’une part, les étudiants ont déploré la connaissance limitée des aspects techniques de l’outil chez certains professeurs et l’absence de rappels automatiques des dates de tombée des activités. D’autre part, les professeurs ayant eu recours au soutien technique ont avoué n’avoir jamais réussi à développer les habiletés techniques requises pour effectuer les suivis, et ce, malgré la qualité du soutien. Le format Iwebfolio de Nuventive a suscité de vives réactions : seul le tiers des étudiants s’est dit satisfait de l’outil, alors que la majorité des répondants a jugé le format compliqué à utiliser, et les démarches techniques longues, frustrantes et inutiles. La variabilité des compétences informatiques a engendré un large spectre de réponses : quelques répondants, peu intéressés par l’informatique, n’ont pu saisir la dimension pratique du portfolio professionnel étudiant en format numérique, et n’y ont vu qu’un exercice complexe et dénué de sens. D’autres auraient désiré des défis techniques plus poussés et auraient aimé créer un portfolio encore plus personnalisé, y voyant une occasion d’apprentissage. Entre les deux pôles, une majorité d’étudiants ont éprouvé des problèmes techniques qu’ils ont qualifiés de frustrants, d’inutiles dans leur processus d’apprentissage et de perte de temps. Les professeurs ont tous noté que le format Iwebfolio de Nuventive, quoique d’une qualité esthétique intéressante et d’une facilité d’utilisation apparente, a provoqué une augmentation du temps consacré aux suivis, en raison des manoeuvres de visites des portfolios professionnels pour étudiant et des délais pour aller d’un portfolio à l’autre. Ils n’ont pas apprécié les problèmes techniques et les difficultés d’insertion de documents. Les espaces réservés aux commentaires à transmettre aux étudiants semblaient de prime abord intéressants, mais ont compliqué le suivi pour plusieurs, dans la mesure où ils ne pouvaient inscrire leurs commentaires directement dans l’activité réalisée par l’étudiant.

Dans la démarche d’apprentissage des étudiants, les contenus et l’impact de la tenue du portfolio professionnel étudiant en format numérique ont généré peu de commentaires. Quelques-uns, étudiants et professeurs, ont noté qu’ils n’étaient pas parvenus à comprendre l’organisation des différentes sections du portfolio professionnel étudiant en format numérique. Celle-ci s’avérait moins palpable que dans la version papier, et les menus déroulants demandaient une compréhension de base de l’organisation du portfolio. Les étudiants et les professeurs ont manifesté une nette appréciation de la fonction documentaire de l’outil et de sa nature métacognitive. Les réflexions métacognitives ont été les plus appréciées par les étudiants, alors qu’ils ont jugé les activités d’intégration, les résumés de cours ou les liens à établir entre les contenus de plusieurs cours, redondantes avec les démarches de réflexions en classe. Quelques étudiants ont manifesté le besoin que les professeurs valident toutes leurs réflexions et leur démarche, ce qui indiquait une compréhension différente des dimensions d’autonomie et de responsabilisation propres à ce portfolio professionnel. Ces réflexions ont entraîné la conception d’une carte conceptuelle papier présentant l’organisation du portfolio professionnel étudiant en format numérique ainsi que la rédaction d’une introduction dans le portfolio lui-même, pour soutenir les avantages de tenir un portfolio en termes d’autonomie professionnelle.

En résumé, les commentaires touchant au processus de tenue du portfolio professionnel étudiant en format numérique étaient de trois ordres : 1) le caractère bilingue de l’outil, qui n’était pas apprécié ; 2) le processus d’inspection professionnelle, qui s’est avéré une source d’anxiété importante pour certains, leur faisant oublier les bienfaits de la réflexion qui leur était proposée et 3) tous les irritants techniques qui les ont, à l’occasion, plus centrés sur les aspects techniques que sur le contenu des activités. Quant aux professeurs, ils ont noté que la conception d’activités pour le portfolio avait stimulé leur propre réflexion sur la maturation professionnelle qu’ils voulaient favoriser chez les étudiants. Selon eux, malgré les problèmes techniques, la visite des portfolios des étudiants leur avait donné une nouvelle vision de la démarche d’apprentissage de leurs étudiants, qu’ils mettraient à profit dans leurs cours.

5. Discussion des résultats

Les résultats de la présente étude nous montrent qu’un usage efficace et apprécié du portfolio numérique, dans le processus d’apprentissage des étudiants, est tributaire de plusieurs facteurs, notamment son intégration et sa congruence au programme de formation des étudiants et la simplicité de ses aspects techniques, pour ne pas distraire l’étudiant des objectifs primordiaux qui sous-tendent la tenue du portfolio : réflexion, apprentissage et maturation professionnelle.

5.1 Motivation et question de sens pour le portfolio chez les étudiants

Il est apparu primordial de mettre en relief ces objectifs dès l’implantation du portfolio professionnel étudiant en format numérique. Seule une vision claire et répétée de l’utilité du portfolio et de ses avantages permettra à l’étudiant de se l’approprier, de se responsabiliser dans cette démarche et de cultiver sa motivation. Les nombreuses mentions perte de temps retrouvées dans les cueillettes de données pendant le projet (courriels et sondage), nous ont conduits à constater que nos efforts pour l’implantation n’avaient pas été suffisants. Le lien entre portfolio, apprentissage et maturation professionnelle doit être montré initialement, mais doit aussi se dégager du portfolio lui-même. Il faut également que la démarche de réflexion proposée soit significative et congruente au processus d’apprentissage et de maturation professionnelle attendus de l’étudiant. Fritz (2006) mentionnait que l’expérience même du portfolio devait devenir source d’apprentissage et porteuse de sens. Cette étape du projet nous a fait réaliser l’importance que cette perception s’installe dès les premiers moments d’utilisation, non seulement lors de la présentation du portfolio aux étudiants, mais aussi par un choix éclairé d’activités qui soutiennent le processus de tenue du portfolio comme source d’apprentissage et de maturation. Dans le prochain portfolio de nos étudiants en ergothérapie, des activités métacognitives sur la tenue même du portfolio professionnel étudiant en format numérique viendront compléter les activités de réflexion sur la démarche d’apprentissage et sur les contenus professionnels. Sur le plan technologique, l’équipe d’implantation doit prévoir des mesures spéciales à offrir aux étudiants moins chevronnés en informatique, telles que des formations individuelles, des aide-mémoire et des retours réguliers en laboratoire. Ces stratégies peuvent contribuer à ancrer les habiletés informatiques (Hartnell-Young, 2006) et à équilibrer les compétences au sein du groupe, afin d’éviter que les aspects numériques ne deviennent un problème démesuré pour certains étudiants. Ce soutien pourra être modulé par la simplicité du format numérique retenu par les concepteurs. Enfin, cette étape de l’étude nous a montré que la formation initiale des professeurs utilisateurs mérite aussi une attention particulière : des connaissances insuffisantes et une faible performance de leur part entravent non seulement le processus d’utilisation du portfolio mais minent la motivation étudiante.

5.2 Soutien technique pour les aspects numériques

Les résultats du projet nous montrent que le soutien technique offert en cours d’année est incontournable pour un projet numérique réussi (Doug et collab., 2006 ; Ring et Foti, 2006). Le seul nombre de courriels reçus par l’assistante pendant cette étape de la recherche serait suffisant pour montrer la nécessité de ce soutien. En plus des coûts directs du portfolio numérique, ici les licences pour les étudiants et les professeurs, les coûts du soutien pourraient facilement devenir un élément dissuasif dans le choix de ce type de portfolio. Il demeure impensable, pour les concepteurs, d’avoir eu à offrir eux-mêmes ce soutien. Un soutien de qualité doit être offert : 1) sur le plan informatique, par une personne compétente et maîtrisant l’outil ; 2) sur le plan technique, par quelqu’un qui saisit le sens des activités et les ressources s’y rattachant ; 3) sur le plan humain, par un pédagogue flexible et ouvert. Si Dalziel et ses collaborateurs (2006) soulignent l’avantage du soutien technique offert avec les portfolios commerciaux, nous avons constaté que ce soutien était nettement insuffisant, les étudiants ayant rapidement abandonné cette ressource pour s’adresser à l’assistante au projet. Les efforts de soutien chez Nuventive étaient louables et ils ont été fort appréciés pendant la conception de la version numérique mais, une fois cette étape réalisée, une assistante ayant développé de bonnes habiletés informatiques et une excellente connaissance de chacune des activités insérées au portfolio nous a semblé un avantage encore plus grand.

5.3 Gabarit du portfolio en format numérique

En ce qui a trait au gabarit numérique, la formule la plus simple se révélerait certainement la plus populaire. En effet, peu d’étudiants recherchaient des fonctions informatiques sophistiquées, privilégiant plutôt la simplicité et la rapidité du processus. En prenant en compte les possibilités de personnalisation et de diffusion, une plateforme sommaire, souple et facile d’utilisation, constitue un choix judicieux. Malgré la simplicité initialement perçue du Iwebfolio de Nuventive, les étudiants ont éprouvé des difficultés à effectuer certaines manoeuvres techniques. Les plus réfractaires ont centré et soutenu toute leur attention sur ces difficultés et se sont éloignés de l’objectif même de leur portfolio : la réflexion. Si le portfolio numérique offre l’avantage de créer un environnement plus multimédia (Abrami et Barrett, 2005 ; Dillon et Brown, 2006), s’il permet l’archivage dans une multitude de formats (Dillon et Brown, 2006 ; Flanigan et Amirian 2006 ; Price, 2006), s’il facilite le processus de diffusion (Abrami et Barrett, 2005) et s’il permet à l’étudiant d’acquérir certaines habiletés technologiques (Abrami et Barrett, 2005 ; Hartnell-Young, 2006), ce ne sont pas ces caractéristiques que les étudiants ont appréciées. Dans une certaine mesure, elles ont été perçues plutôt négativement. Les étudiants n’ont pas réussi à percevoir la plus-value que constituerait le développement de ces habiletés pour leur pratique future. Les difficultés technologiques perçues ont surpassé les avantages. La présentation finale très esthétique de leur portfolio, l’archivage ordonné des activités complétées et des documents d’orientation à la pratique, la facilité de communication entre professeurs et étudiants avec le portfolio numérique, et le développement obligé de certaines habiletés informatiques sont rapidement tombés dans l’oubli, alors que les difficultés techniques ont créé un souvenir vif et soutenu. À la lumière de ces résultats, le format numérique retenu doit être minimaliste au regard des habiletés informatiques requises, mais suffisamment souple pour permettre aux utilisateurs chevronnés en informatique d’y exploiter les avantages du numérique. Dans une telle vision, le format numérique peut devenir un outil centré sur l’apprenant et adapté à sa démarche d’apprentissage. À la suite de ces constats, les concepteurs du portfolio professionnel étudiant en format numérique ont opté pour l’abandon du Iwebfolio de Nuventive et l’essai d’un nouveau format numérique, générique cette fois.

5.4 Stratégies pour optimiser les apprentissages avec le portfolio

À la réflexion, trois stratégies pourraient faciliter le développement des habiletés réflexives chez nos étudiants et favoriser leur autonomie professionnelle. Afin de maintenir la motivation étudiante, chaque présentation d’une activité à compléter dans le portfolio professionnel étudiant en format numérique pourrait s’accompagner des motifs de son inclusion, pour rendre explicites à la fois la démarche pédagogique et les avantages pour l’apprentissage. Dans le but de stimuler la réflexion, un plus grand nombre d’activités métacognitives viendront s’insérer au fil du temps, incidemment des activités réflexives portant directement sur la tenue du portfolio. Pour apaiser certaines inquiétudes chez ces étudiants plus avides de structure et de validation, les activités demandant une autoévaluation de la démarche pourraient se compléter d’une rétroaction d’un professeur. Par contre, pour favoriser la maturation professionnelle et l’autonomie, il nous semble nécessaire de conserver la nature formative, et non sommative, de certaines activités plus en lien avec la maturation professionnelle. Finalement, le processus même du portfolio professionnel étudiant en format numérique gagnerait à être soutenu en cours d’année, autant par les commentaires des professeurs que par la régularité, la gradation et la congruence des activités proposées au regard du processus de maturation des étudiants. Les résultats ont montré qu’une amnésie s’installe après quelques semaines sans activités dans le portfolio, estompant la raison d’être de l’exercice. Certaines activités métacognitives régulières pendant la démarche de formation, qui concernent le lien entre la tenue du portfolio et la maturation professionnelle, pourront ainsi soutenir la plus-value de la démarche.

6. Conclusion

Dans la démarche de formation des étudiants en ergothérapie, comme probablement dans tout autre domaine de formation en sciences de la santé, le projet de portfolio numérique offre sans contredit des perspectives d’apprentissage pédagogiques et de maturation professionnelle intéressantes. Dans le cadre des considérations plus générales, les concepteurs du projet ont constaté que la conception et l’implantation d’un portfolio demandent un temps de réflexion et de préparation important. À la conception et pendant l’utilisation, le soutien des instances administratives doit être assuré pour répondre aux exigences organisationnelles (temps de préparation et soutien aux étudiants). Le processus de réalisation du portfolio exige un investissement de temps chez les étudiants et les professeurs. Il doit donc soutenir, servir et enrichir la démarche d’apprentissage. Comme plusieurs chercheurs l’avaient constaté, il doit être centré avant tout sur la réflexion et la maturation de l’étudiant. Les aspects numériques doivent être évalués dans la perspective où l’intention n’est pas d’en faire la préoccupation première des étudiants. Les écueils technologiques doivent être perçus et éliminés rapidement pour permettre aux étudiants de se consacrer totalement à la réflexion, car les problèmes technologiques occuperont facilement toute la pensée des étudiants.

Malgré la spécificité du portfolio étudié, son contexte d’utilisation particulier, le petit nombre d’utilisateurs et l’objectif premier de le bonifier, le projet a offert des indications intéressantes pour la réflexion sur l’implantation des portfolios numériques dans les programmes de formation universitaires. Les aspects numériques offrent certains avantages qui peuvent certainement s’appliquer à tout portfolio étudiant universitaire ; cependant, dans ce cadre, la réflexion et la responsabilisation des étudiants doivent demeurer les préoccupations premières. Le portfolio peut être une stratégie pédagogique dynamique qui évolue avec le programme qui l’implante, et favoriser ainsi la maturation même des programmes, mais il doit avant tout favoriser la maturation des principaux utilisateurs, les étudiants. Les avantages du format numérique sont intéressants à plusieurs égards, mais dans cette aire où la technologie est partie intégrante de la réflexion pédagogique, encore faut-il le rappeler, elle ne doit pas primer sur le contenu ni devenir une source de préoccupation pour les utilisateurs. Tout comme la présentation PowerPoint (diaporama électronique) ou le campus virtuel sont devenus des incontournables dans nos salles de classe universitaires, il ne faut pas, comme il arrive trop souvent, concentrer les efforts sur le format, le coup d’oeil ou le gabarit, mais bien sur le contenu et ses visées.

La prochaine étape du présent projet reprendra les considérations numériques du portfolio mais portera principalement sur la valeur réflexive des activités qui seront proposées aux étudiants. Il semble opportun d’examiner avec précision l’impact des activités réflexives proposées dans un portfolio numérique sur le processus d’apprentissage et de maturation professionnelle des étudiants en sciences de la santé. Autrement, le portfolio qui n’ajoute rien, ou peu, à la démarche d’apprentissage des étudiants, comparativement à nos stratégies pédagogiques plus traditionnelles, n’est peut être pas le meilleur investissement pédagogique, compte tenu des ressources qu’il exige, autant chez les étudiants que chez les professeurs.