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1. Introduction

L’ordre collégial québécois fait partie de l’enseignement supérieur. Comme à l’Université, le personnel enseignant y est embauché sur la base de son expertise dans la discipline enseignée, et il ne dispose généralement pas de formation pédagogique initiale à ses débuts dans l’enseignement. Les enseignants du collégial n’ont pas l’obligation de suivre une formation pédagogique à la suite de leur embauche, mais plusieurs choisissent de le faire à un moment ou à un autre de leur carrière. En partenariat avec une cinquantaine d’établissements collégiaux, l’Université de Sherbrooke offre à ces enseignants, par l’intermédiaire de la structure PERFORMA, divers programmes de formation continue créditée, dont le Diplôme et la Maîtrise en enseignement au collégial (2e cycle), récemment révisés selon une approche par compétences.

Voué au PERfectionnement et à la FORmation des MAîtres depuis 1973-1974, PERFORMA est une structure universitaire fondée sur un partenariat qui regroupe l’Université de Sherbrooke et des établissements de l’ordre collégial.

Les deux volets du projet d’innovation rapporté ici émanent du constat suivant : plusieurs enseignants qui forment la clientèle potentielle de ces programmes ont eu l’occasion de développer sur le terrain certaines des compétences visées par les programmes d’études précités. Par conséquent, si ces personnes souhaitent poursuivre leur perfectionnement en enseignement, il semble normal que les apprentissages faits et démontrables leur soient reconnus. Or, bien que la légitimité de ces attentes soit admise par les institutions et dans les écrits scientifiques (Charraud, 2004 ; Cherqui-Houot, 2001 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2000a ; Farzad et Paivandi, 2000 ; Gouvernement du Québec, 2002 ; Jorro, 2006 ; Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005 ; Organisation de coopération et de développement économiques, 2003 ; Pineau, Liétard et Chaput, 1997), et bien que certaines assises conceptuelles sur la reconnaissance des acquis et le portfolio professionnel aient été déjà précisées, il restait à élaborer un cadre de référence suffisamment fondé, complet et structuré, adapté à la réalité de l’enseignement collégial au Québec, sur lequel appuyer un dispositif crédible et opérationnel pour soutenir les enseignants dans la constitution de leur dossier en reconnaissance des acquis.

Un tel cadre de référence pourrait alors orienter la conception de dispositifs crédibles, fiables et équitables pour accompagner les personnes candidates et pour valider et accréditer leurs acquis. Les deux volets de notre projet ont été réalisés dans cette perspective. L’accompagnement tout au long de cette démarche a paru tout à fait indiqué, car la tâche de faire émerger, à partir d’expériences professionnelles variées, des apprentissages comparables à ceux des programmes d’études (de 2e cycle, en l’occurrence) est un exercice conceptuel ardu. Le présent article fait donc état de pratiques de terrain, mises au point et à l’essai, selon des modalités de recherche de développement, en vue de procéder à la reconnaissance des acquis en enseignement collégial au Québec, et ce, de la constitution du dossier jusqu’à l’accréditation finale des acquis.

2. Contexte et problématique

Les compétences visées par les programmes de formation continue à l’enseignement peuvent être développées, en tout ou en partie, par plusieurs enseignants au cours de leur vie professionnelle en dehors d’un cadre formel de formation. Les enseignants du collégial réalisent ces apprentissages dans le cadre de leur expérience d’enseignement, notamment lorsqu’ils sont conviés à un renouvellement majeur des programmes d’études, ou lorsqu’ils s’engagent dans des projets collectifs d’innovation ou de développement pédagogique (Conseil supérieur de l’éducation, 2000b ; Gravel, Tremblay et Ouellette, 2003 ; Lauzon, 2001, 2002).

Ils acquièrent aussi des savoirs professionnels par des études autodidactes, par des lectures, des échanges avec des collègues et avec leurs étudiants, ou encore par l’expérimentation de nouvelles pratiques (Chbat, 2004) ; ils participent également à diverses activités de formation, formelles ou informelles, organisées par leur établissement et par des organismes voués au développement et à la recherche en pédagogie collégiale, comme les journées pédagogiques, les ateliers, les groupes de travail, les colloques et les congrès (Lauzon, 2001 ; St-Pierre, 2007). Depuis le Renouveau au collégial, le personnel des collèges, notamment le personnel enseignant, s’est vu attribuer de nouvelles tâches et a été invité à revoir, de manière importante, sa pédagogie, pour viser le développement de compétences plutôt que l’accumulation de connaissances. Mentionnons à ce propos que le Renouveau au collégial est une réforme majeure de l’enseignement, qui a débuté en 1993, et qui touchait les structures administratives, les programmes d’études, la pédagogie et les conditions d’admission et de poursuite des programmes au collégial.

Les compétences en enseignement ainsi acquises ont permis au personnel enseignant de concevoir les programmes d’études, comme cela est prévu dans la tâche des enseignants à cet ordre d’enseignement, de participer à la conception des programmes d’études, puis d’élaborer et de dispenser des cours dans une perspective d’approche-programme et de développement de compétences. Il a également appris et développé de nouvelles modalités d’intervention pédagogique et d’évaluation de compétences, fondées sur des principes issus des théories actuelles de l’apprentissage. Enfin, il a participé à l’évaluation systématique des programmes et à des activités de recherche ; il a aussi conçu et mené à terme divers projets de recherche et d’innovation pédagogiques. En somme, le personnel enseignant maîtrise déjà une partie des compétences visées par les programmes de formation continue (Diplôme de 2e cycle en enseignement au collégial et Maîtrise en enseignement) qui nous intéressent ici (Laliberté et Dorais, 1998 ; PERFORMA, 2006).

Au contraire du novice, l’enseignant expérimenté n’entre pas dans un programme de formation continue au tout début d’une échelle de développement de son expertise. Mais quel niveau et quelles composantes des compétences visées a-t-il atteints exactement ? Tout en étant différents, ces apprentissages sont-ils comparables à ceux visés par le programme offert ? Comment en juger ? Et comment en fournir une preuve crédible et fiable ? Les démarches de reconnaissance des acquis expérientiels ont pour but de répondre à ces questions.

Dans plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, on observe le développement de pratiques en reconnaissance des acquis expérientiels. Plusieurs logiques d’action seraient sources de cet intérêt grandissant. Pour certains, il s’agit d’une préoccupation pour le mieux-être individuel et social, situant la relance de la reconnaissance des acquis dans la nouvelle demande sociale qui plaide pour le droit à l’apprentissage tout au long de la vie (Bélisle, 2004, 2006 ; Cherqui-Houot, 2001). Selon un point de vue plutôt néolibéral, dans un contexte de pénurie appréhendée de la main d’oeuvre, la recherche de compétences et de mobilité serait aussi source de cette attention (Cherqui-Houot, 2006 ; Martel, 2007 ; Neyrat, 2007). Pour sa part, Day (2003) situe ce phénomène dans un contexte de changement de paradigme au sujet du développement professionnel et de la formation, le nouveau paradigme focalisant l’attention vers la personne et l’apprentissage, par opposition au paradigme traditionnel où l’établissement et l’enseignement officiel jouent un rôle central.

Au Québec, la reconnaissance des acquis expérientiels, issus d’expériences de vie ou de travail, reste peu développée, comparativement à l’état de la situation dans d’autres pays. Notons ici que la recherche empirique s’est développée depuis le moment où nous avons amorcé nos travaux, notamment en France, à la suite de la mise en place de la Validation des acquis de l’expérience (VAE), mais dans d’autres champs d’activités que l’enseignement.

En ce qui concerne les acquis extrascolaires, depuis le Rapport Jean (1982), les avancées sont lentes, en particulier en contexte universitaire (Association canadienne d’éducation des adultes des universités de langue française, 2006 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2000a ; Martel, 2007). Malgré un large consensus sur l’importance de la reconnaissance des acquis, il se dégage aussi un réel consensus sur l’insuffisance de son implantation (Conseil supérieur de l’éducation, 2000a).

On peut se demander s’il y a aussi un accord sur la reconnaissance effective de la diversité des lieux et des façons d’apprendre, sans laquelle la reconnaissance des acquis reste confinée aux déclarations d’intentions et son système, à des chasses gardées.

Conseil supérieur de l’éducation, 2000a, p. 10

Ces chasses gardées que relève le Conseil supérieur de l’éducation ont en effet des répercussions non négligeables sur la reconnaissance des acquis, puisque des freins, parfois inavoués, de la part des différents acteurs dans le système, sont susceptibles de ralentir son implantation, voire de l’invalider entièrement. Ces freins peuvent provenir de la croyance que les apprentissages issus de l’expérience auraient moins de valeur que les apprentissages scolaires, et que, par conséquent les personnes pourraient s’inscrire par la suite dans des programmes pour lesquels elles n’auraient pas les connaissances préalables suffisantes. Ils peuvent aussi provenir d’une éventuelle perte de revenus qui pourrait résulter du fait que les personnes ne s’inscriront pas aux activités qui leur auront été reconnues. D’autres appréhendent le coût des dispositifs de reconnaissance d’acquis dans le contexte actuel de ressources limitées.

Le Conseil supérieur de l’éducation constate que des mécanismes et des instruments de reconnaissance des acquis extrascolaires ont été développés en lien avec la formation professionnelle (au secondaire) et technique (au collégial). Cependant, dans les universités québécoises, rares sont les exemples de tels dispositifs. Seul le baccalauréat en enseignement professionnel a permis d’intégrer cette possibilité dans le parcours de formation, et cela, pour ce qui concerne les compétences dans le métier enseigné (plomberie, coiffure, etc.) seulement (Balleux, 2005). Au début de nos travaux, nous n’avons répertorié aucune pratique formelle de reconnaissance des acquis expérientiels, pour ce qui concerne les compétences en enseignement (pédagogie, gestion de classe, didactique, psychologie de l’apprentissage, etc.), dans les programmes universitaires de formation en enseignement au primaire, au secondaire, au collégial ou à l’Université au Québec (Martel, 2008). Quiconque se préoccupe de développement professionnel considère pourtant essentiel de reconnaître ces acquis dans une perspective de valorisation de l’expérience au sein d’un parcours continu et intégré de développement professionnel. Il est donc indispensable d’éviter à une personne de refaire des apprentissages déjà maîtrisés et de mieux l’orienter pour optimiser son parcours de développement professionnel (Conseil supérieur de l’éducation, 2000a, 2004 ; Martel, 2007). En conséquence, dans le cadre de l’expérimentation décrite dans cet article, il ne s’agit pas de valider des acquis pour obtenir un emploi ou pour être admis dans un programme, mais bien pour optimiser un parcours de formation continue, et ce, en lui proposant plutôt des activités de perfectionnement nouvelles tout en valorisant les savoirs issus de sa pratique.

La reconnaissance des acquis est un processus complexe, autant pour la personne candidate que pour l’institution. Du côté de la personne candidate, pour identifier ses acquis expérientiels et les faire reconnaître par une institution, elle doit 1) repérer des apprentissages qui découlent et de ses expériences professionnelles et qui peuvent être mis en rapport avec ceux des programmes de formation reconnus ; et 2) faire une démonstration convaincante de leur acquisition auprès de l’institution, en vue de leur reconnaissance officielle. Cela nécessite une démarche réflexive sur son parcours professionnel pour analyser l’ensemble de ses expériences, en dégager les compétences acquises et situer l’état de leur développement par rapport au niveau visé par le programme de formation, et cela, en portant un regard critique sur ses apprentissages. Ollagnier résume ainsi cette démarche :

[…] une auto-estimation de ce qui a été réalisé (les traces et les souvenirs du passé), une auto-reconnaissance de ce qui a été formateur dans ces événements (la réflexivité, du vécu à l’expérience) et une auto-évaluation de ce qui peut avoir une valeur actuelle et future pour soi et pour les autres de ces apprentissages (la reconnaissance).

2006, p. 105

Ce travail d’analyse des apprentissages réalisés dans le cadre de sa pratique requiert une réflexion critique en profondeur, qui permet d’argumenter avec cohérence et rigueur au sujet de la relation entre l’expérience, les apprentissages réalisés et ceux visés par le programme. Dans un tel cas, la personne candidate doit non seulement montrer, par diverses expériences professionnelles, qu’elle a fait des apprentissages de niveau 2e cycle (ce qui nous concerne ici), mais aussi argumenter pour montrer que ces apprentissages lui ont permis de développer ses capacités réflexives, et cela, en analysant ses pratiques sur la base de fondements conceptuels, comme le prévoient les orientations des programmes visés (Martel, 2005). Cette démarche complexe n’est pas intégrée dans les pratiques habituelles de formation. C’est pourquoi un accompagnement spécialisé par une personne experte dans le programme d’études, et qui possède aussi des compétences pour favoriser l’expression et le travail d’analyse (Bélisle, 2006 ; Jorro, 2006 ; Lainé, 2005 ; Mayen, 2004 ; Vial et Mencacci, 2004), est recommandé lors de la constitution d’un dossier en reconnaissance des acquis.

Du côté de l’institution, l’ensemble du processus doit être rigoureux, crédible, transparent et équitable. Il importe que les modalités reposent sur des fondements solides et explicites, partagés par l’ensemble des acteurs. Les instruments et les démarches doivent être opérationnels, validés et connus des candidats. Ils doivent permettre d’assurer l’équité entre les candidats, même si chaque cas est unique. Toutefois, comme nous l’avons rapporté, les dispositifs de reconnaissance de tels acquis sont rares et peu adaptés au contexte de l’enseignement collégial au Québec.

Pour nous, chercheures, le défi a consisté à documenter le développement d’un processus et d’outils rigoureux pour la reconnaissance des acquis expérientiels en enseignement au collégial, qui puissent reposer sur des fondements cohérents et consistants, tout en offrant un soutien à la production des portfolios professionnels des enseignants par un accompagnement spécialisé. Nous avons centré le premier volet du projet d’innovation sur le développement d’un cadre de référence visant à soutenir la reconnaissance des acquis expérientiels et d’un dispositif de formation et d’accompagnement pour les personnes candidates, et le second volet sur les modalités d’évaluation et d’accréditation de ces acquis.

3. Cadre théorique

Les concepts, les principes et le processus de la reconnaissance des acquis, les caractéristiques des acquis expérientiels, la nature des expériences professionnelles des enseignants du collégial, les finalités des programmes ciblés et un modèle de développement de compétences professionnelles ont nourri l’élaboration du cadre de référence.

3.1 Définitions, principes et processus de la reconnaissance des acquis

Pionnière en matière de reconnaissance des acquis au Québec, Sansregret (1997) désigne par reconnaissance des acquis un processus par lequel une personne identifie les apprentissages qu’elle a effectués en des temps, des lieux, selon des méthodes et des contenus variés, pour les faire évaluer par des experts et obtenir une accréditation officielle d’un établissement d’enseignement reconnu. Selon le Conseil supérieur de l’éducation (2000a), la reconnaissance des acquis est à la fois ce processus par lequel les acquis sont mis en évidence (volet 1 de notre projet) et reconnus, et le document officiel qui l’atteste (volet 2 du projet). Comme le définissent un certain nombre d’auteurs québécois, le terme acquis renvoie à une variété d’apprentissages reliés, que ce soit des connaissances, des habiletés, des compétences ou diverses autres capacités (Conseil supérieur de l’éducation, 2000a ; Dubé, 2004 ; Landry, 1987 ; Martel, 2005 ; Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005 ; Simosko, 1989). Un acquis scolaire est un apprentissage réalisé dans le cadre d’un programme formel de formation offert par un établissement d’enseignement. Un acquis extrascolaire est un apprentissage fait en dehors d’un tel cadre scolaire. Il peut s’agir alors d’activités non formelles, comme les tâches effectuées dans un groupe de travail ou la participation à un colloque (Bourdon et Bélisle, 2005), ou d’activités informelles, comme des études autodidactes (Poulin, 2004a). Il peut s’agir aussi des acquis expérientiels (Landry, 1987), issus du vécu, d’une expérience professionnelle, d’activités de la vie quotidienne ou du travail bénévole, par exemple.

Quels que soient les auteurs consultés, les principes de la reconnaissance des acquis sont convergents. Dans son rapport sur cette question, le Conseil supérieur de l’éducation (2000a, p. 16-17) les énonce en ces termes :

  • Premier principe : une personne a droit à la reconnaissance sociale de ses acquis ; en contrepartie, il lui incombe de fournir la preuve de ses acquis ;

  • deuxième principe : une personne n’a pas à réapprendre ce qu’elle sait déjà ; ce qui importe dans la reconnaissance des acquis, c’est ce qu’une personne a appris et non les lieux, circonstances ou méthodes d’apprentissage ;

  • troisième principe : tout système de reconnaissance des acquis doit viser la transparence.

À ces principes, nous ajoutons que le système de reconnaissance des acquis doit être crédible, fiable et valide. Pour les raisons mentionnées auparavant, nous estimons aussi que l’institution a la responsabilité d’offrir un dispositif de soutien et d’accompagnement pour les personnes candidates à la reconnaissance des acquis. En ce qui concerne la démarche, une partie en incombe à la personne candidate, qui doit faire la preuve de ses acquis et soumettre une demande officielle. L’autre partie relève de l’institution qui a la responsabilité de valider les acquis et de les accréditer officiellement.

3.2 Caractéristiques des acquis expérientiels

Comme le souligne Balleux (2000), si le processus de l’apprentissage expérientiel a fait l’objet de nombreux travaux depuis Dewey, notamment avec Argyris, Knowles, Kolb, Schön et St-Arnaud, il reste difficile d’en évaluer les produits, c’est-à-dire les acquis de la personne au terme de cet apprentissage (Ollagnier, 2006). L’analyse du processus vécu par la personne candidate à la reconnaissance des acquis permet de cerner la manière dont l’apprentissage s’est développé, et fournit des éléments nécessaires au travail de formalisation essentiel pour passer du processus de l’apprentissage expérientiel à ses produits, les acquis expérientiels. Une définition plus opérationnelle de l’apprentissage expérientiel nous a fourni des pistes pour guider le travail d’explicitation et d’analyse des personnes candidates, de même que des critères pour identifier et évaluer leurs acquis. Nous avons retenu ce qui suit pour guider les personnes candidates dans cet exercice :

  • l’apprentissage est fait dans le cadre d’activités professionnelles ou d’activités de la vie quotidienne qui n’ont pas pour but premier l’apprentissage en soi ;

  • l’expérience doit donner lieu à un apprentissage : la personne se trouve devant une situation, une difficulté, une tâche ou un problème à résoudre pour laquelle elle ne dispose pas a priori de toutes les connaissances, habiletés ou compétences nécessaires ; elle doit chercher de nouvelles ressources et développer ou apprendre de nouvelles façons de faire ; en cours d’action, elle identifie des défis et des moyens pour les relever ; elle tire des leçons de son expérience, elle peut dégager des façons de faire ou des connaissances qui peuvent être réinvesties dans d’autres tâches (Dubé, 2004 ; Poulin, 2004b).

Accentuons à nouveau le fait que ce ne sont pas les expériences elles-mêmes qui peuvent être validées en reconnaissance des acquis, si innovantes soient-elles, mais plutôt les apprentissages issus de ces expériences, dans la mesure où ils correspondent à ceux visés par un programme d’études, sans qu’ils leur soient nécessairement identiques. Examinons maintenant les expériences professionnelles en enseignement au collégial qui peuvent donner lieu à des apprentissages susceptibles d’être validés lors d’une demande en reconnaissance des acquis dans les programmes visés par notre projet.

3.2.1 Expériences professionnelles des enseignants du collégial

Au collégial, la tâche du personnel enseignant peut être définie selon trois dimensions principales : l’enseignement, la participation au développement des programmes d’études collégiales et de la pédagogie collégiale, et la recherche.

L’acte d’enseigner réfère à trois types de tâches : 1) celle de planification de situations d’apprentissage dans différents contextes ; 2) celle d’intervention auprès de clientèles diversifiées ; et 3) celle d’évaluation des apprentissages. Ces tâches exigent un vaste répertoire de ressources pédagogiques, didactiques, disciplinaires et technologiques. La contribution au développement des programmes d’études se concrétise par la participation à l’analyse des fondements, à la définition des orientations institutionnelles et à différents projets d’innovation pédagogique, mais aussi à la conception et à l’évaluation des programmes. Cela exige des capacités d’analyse critique et une base de connaissances conceptuelles pour fonder cette critique. Quant à la recherche, elle reste facultative pour les enseignants du collégial, mais plusieurs s’y adonnent et diffusent leurs résultats dans des milieux scientifiques et professionnels. Enfin, les enseignants participent aussi, et de façon importante, par des responsabilités départementales, à la gestion des programmes et des ressources humaines et matérielles. Ces tâches professionnelles leur permettent de vivre des expériences de travail, qui peuvent être explicitées et analysées, afin d’en faire émerger les apprentissages réalisés et de les mettre en relation avec ceux visés par les programmes d’études en vue d’une reconnaissance de ces acquis. Pour la personne candidate à la reconnaissance des acquis, la première étape consiste donc à montrer qu’elle a acquis, dans le cadre de ses expériences professionnelles, de nouvelles connaissances, habiletés et compétences.

3.2.2 Un modèle de développement des compétences professionnelles

Les recherches que nous avons effectuées dans le but de trouver un cadre théorique pertinent pour traiter de la reconnaissance des acquis en enseignement collégial nous ont conduites à penser que la nature d’un apprentissage expérientiel, comme nous l’avons décrit précédemment, ainsi que les finalités des programmes de formation continue visés (voir plus loin), s’accordaient avec une grande cohérence au modèle de développement des compétences professionnelles, proposé par Le Boterf (2004, 2006). Nous avons donc retenu ce modèle et nous l’avons intégré à notre cadre de référence pour baliser le travail d’analyse en reconnaissance des acquis. Ce modèle est structuré à partir de trois axes. Dans le cadre de son travail, le professionnel met en oeuvre des pratiques (axe 1) en mobilisant et combinant ses ressources (axe 2) actuelles et en en développant de nouvelles. Le recul ou la distanciation critique (axe 3) qu’il exerce à la fois sur ses pratiques (analyse de ses pratiques) et sur ses ressources (métacognition) lui permet de dégager des leçons de ses expériences, ce qui rend les apprentissages faits transférables à d’autres situations. Cette activité réflexive permet le réinvestissement des acquis.

Ce modèle nous a paru également fécond pour orienter l’accompagnement des personnes candidates à la reconnaissance des acquis, parce que le questionnement de ces divers éléments contribue à l’émergence des apprentissages réalisés. Le travail d’accompagnement fondé sur ce modèle doit susciter la réflexion sur ces trois axes ou dimensions, et sur leurs interrelations. Cette médiation, associée au travail de réflexion, favorise l’identification des acquis d’expérience, qui peuvent être alors analysés selon les composantes du modèle. L’étape suivante consiste à faire la démonstration qu’ils correspondent bien à ceux du programme visé par la demande de reconnaissance des acquis.

3.2.3 Finalités des programmes de 2e cycle en enseignement au collégial (PERFORMA)

Lors de leur révision, les programmes concernés par ce projet ont été façonnés de manière à prévoir un espace de formation pour les trois dimensions de la tâche du personnel enseignant du collégial ; leur finalité est le développement des compétences professionnelles en enseignement d’une praticienne ou d’un praticien réflexif au collégial (PERFORMA, 2006). Le développement professionnel en enseignement repose non seulement sur des habiletés en interventions pédagogiques, mais aussi sur un approfondissement des concepts, des théories et des modèles qui les fondent. Cinq compétences dérivées du Profil de compétences du personnel enseignant du collégial (Laliberté et Dorais, 1998) composent le profil de sortie du programme de Diplôme en enseignement au collégial. Ces compétences portent sur la capacité : 1) à prendre en charge son développement professionnel, 2) à concevoir et 3) à mettre en oeuvre des interventions éducatives, 4) à actualiser son expertise disciplinaire et 5) à intégrer les technologies de l’information et de la communication à sa pratique. L’atteinte d’une dernière compétence relative à la conception et à la réalisation d’un projet de recherche, d’innovation ou d’analyse critique permet l’obtention du diplôme de Maîtrise en enseignement au collégial (PERFORMA, 2006 ; St-Pierre et Ruel, 2006).

Ces programmes de formation continue se veulent un instrument de développement professionnel en enseignement au collégial ; ce développement professionnel peut être défini comme […]l’ensemble de toutes les transformations individuelles et collectives de compétences et de composantes identitaires mobilisées dans les situations professionnelles (Barbier, Chaix et Demailly, 1994, p. 5). Comme nous l’avons déjà souligné, il serait abusif de prétendre que seul le perfectionnement dans un cadre formel contribue à ces transformations individuelles et collectives. De fait, les compétences développées sur le terrain par les enseignantes et les enseignants peuvent être plus vastes et plus diversifiées que celles retenues dans le profil de sortie des programmes. D’autres référentiels de compétences (Bérubé et Poellhuber, 2005 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2000b) peuvent donc être aussi utilisés pour aider les membres du personnel enseignant à nommer et à analyser leurs expériences.

L’ensemble du projet a été structuré en deux volets. Outre l’élaboration du cadre de référence esquissé auparavant, le premier volet a consisté à concevoir et à expérimenter un dispositif de formation et d’accompagnement pour les personnes candidates. Le second volet est axé sur le développement et l’expérimentation des modalités d’évaluation et d’accréditation des acquis par l’institution. Il s’agit d’identifier des principes et des règles pour baliser le processus d’évaluation des dossiers et celui d’accréditation des acquis ; de concevoir et d’expérimenter ce processus ; de produire et d’expérimenter les instruments requis (grilles d’évaluation, fiches de consignation, documents d’information, etc.). À ces objectifs liés à la pratique, s’ajoutent des objectifs de recherche : valider et documenter le dispositif de formation-accompagnement et celui d’accréditation, pour mieux comprendre le phénomène et les considérations à prendre en compte lors de la mise en oeuvre de dispositifs de reconnaissance des acquis expérientiels en enseignement au collégial.

4. Méthodologie et résultats pour chacun des deux volets

Cette partie de l’article comprend trois sections : après l’approche générale, les deux volets sont présentés indépendamment l’un de l’autre. Cette présentation comprend d’abord les éléments méthodologiques relatifs à chacun d’eux (participants, aspects éthiques, déroulement de l’expérimentation (y compris le dispositif de formation et d’accompagnement [volet 1] et de validation [volet 2]), l’instrumentation utilisée pour la collecte des données et la méthode d’analyse des données. Enfin, pour conserver la cohérence du propos, l’analyse et la discussion des résultats succèdent immédiatement aux considérations méthodologiques de chaque volet.

4.1 Méthodologie générale

Les deux volets du projet d’innovation ont été conçus et validés en utilisant une méthode de recherche de développement en éducation (Loiselle, 2001 ; Van der Maren, 1995). La recherche de développement vise à résoudre un problème dans le champ de la pratique. Tout en relevant de cet enjeu pragmatique, elle s’avère pertinente dans une perspective de recherche en éducation (Van der Maren, 1995) qui favorise l’intégration de la recherche et de la pratique. Loiselle (2001) présente deux types de recherche de développement. Les deux volets du projet d’innovation appartiennent au type 1 : recherches […]centrées sur le développement d’un produit, d’un programme ou d’un procédé éducatif (p. 81). Il s’agit, dans ce cas, de deux dispositifs, l’un de formation et d’accompagnement des personnes candidates à la reconnaissance des acquis expérientiels ; l’autre, de validation de ces acquis par un comité d’experts. Selon Loiselle, dans ce type de recherche, les processus de conception, de réalisation, de mise à l’essai et d’évaluation du produit font l’objet de descriptions et d’analyses. Il suggère, pour la collecte des données, des questionnaires et des entrevues, ainsi que l’observation directe pendant la mise à l’essai. Pour ne pas nous immiscer dans le processus et risquer d’interférer dans le déroulement des cours, de l’accompagnement individuel et de la délibération des experts, nous n’avons pas fait appel à l’observation. Nous avons plutôt analysé le contenu des comptes rendus des réunions de l’équipe de coordination et des comités d’experts, ainsi que celui des journaux de bord des personnes-ressources.

4.2 Méthodologie et résultats pour le volet 1 : Soutien et accompagnement des personnes candidates

4.2.1 Méthodologie

Cette section comprendra les subdivisions suivantes : Sujets, Déroulement (dispositif de formation et d’accompagnement), Instrumentation, Méthode d’analyse des données et Considérations éthiques.

Sujets

Au cours de l’expérimentation, 18 personnes ont participé au volet 1 en suivant l’activité de formation et d’accompagnement, offerte à deux reprises par deux membres de l’équipe de coordination (deux cochercheures) du projet. Nous avons convenu que les personnes inscrites devaient avoir cumulé au moins cinq années d’expérience en enseignement au collégial. C’est, selon nous, la durée minimale nécessaire pour développer des acquis expérientiels susceptibles de donner lieu à une reconnaissance des acquis dans le cadre de nos programmes de 2e cycle. Ces personnes ont été conviées à participer au projet sur une base expérimentale. Elles ont aussi été invitées à participer, au terme du cours, à une discussion de groupe dans le but de recueillir des données visant à valider le dispositif.

Déroulement (dispositif de formation et d’accompagnement)

Comme nous l’avons déjà souligné, la démarche d’explicitation et d’analyse des acquis requise par l’Université peut se révéler complexe pour une personne candidate à la reconnaissance des acquis. C’est pourquoi nous avons mis en place un dispositif de formation et d’accompagnement. Les objectifs de formation du projet sont pertinents au regard de ceux du programme. Les activités proposées comprennent de nombreuses lectures et des exercices individuels d’analyse et de synthèse suivis de discussions en groupe. Elles exigent un approfondissement conceptuel de niveau 2e cycle. En mettant au point ces activités, nous avons constaté qu’elles correspondaient elles-mêmes aux finalités de nos programmes de 2e cycle. L’innovation a donc été conçue de telle sorte que cette amorce de la démarche de reconnaissance des acquis soit elle-même reconnue comme une activité de formation créditée. Cela nous a ainsi permis de reconnaître officiellement, aux personnes engagées dans la démarche, les apprentissages que cette activité de formation a suscités en lien avec leur développement professionnel et les compétences réflexives qu’elles y ont déployées. Au début, le cours avait une durée de 30 heures et valait deux crédits. Comme nous le verrons plus loin, il est devenu essentiel d’y consacrer plutôt 45 heures et trois crédits, lors de la seconde expérimentation. Les deux-tiers de cette activité se déroulent collectivement, alors que le dernier tiers est réservé à l’accompagnement individuel des participantes et des participants ; planifié en fonction de leurs besoins et de leurs contraintes, cet accompagnement est offert par la personne-ressource, l’une des cochercheures qui anime l’activité de formation.

Dans le cadre de notre projet, la démarche en reconnaissance des acquis conduit à l’élaboration d’un portfolio qui sert à décider, de façon éclairée, s’il y a lieu ou non de compléter un dossier en vue d’une demande formelle de reconnaissance des acquis. Pourquoi un portfolio ? Malgré ses écueils (Jorro, 2006), il constitue à la fois un cadre, qui contraint et encadre, et une ressource, qui facilite la démarche et le suivi (Astier, 2004). C’est pourquoi il nous a paru le moyen le plus adéquat pour analyser et présenter les acquis expérientiels des enseignants du collégial. D’abord, il permet de rendre compte des actions et des produits ainsi que du processus d’apprentissage (selon les trois axes inspirés du modèle de Le Boterf). Ensuite, il permet à la personne de faire valoir ses habiletés de synthèse, de rédaction et de réflexion sur la pratique, en lien avec les visées des programmes ciblés. Finalement, le portfolio facilite le travail des comités d’experts qui disposent ainsi d’un document qu’ils peuvent analyser en profondeur. Soulignons, par ailleurs, que l’ampleur de ce document variera selon l’abondance des apprentissages que l’on souhaite faire reconnaître. Dans le contexte d’un cours crédité, l’exigence minimale, pour satisfaire au cours, consistait à identifier les expériences professionnelles, en lien avec au moins une compétence au programme, et à les analyser, afin d’en dégager des apprentissages et d’évaluer leur conformité avec ceux requis par le programme d’études visé.

Dans le cadre du présent article, nous ne pouvons décrire en détail toutes les étapes de la démarche de formation et d’accompagnement. Néanmoins, ces étapes ont été conçues principalement de manière à relever le double défi des personnes accompagnatrices : celui d’amener les personnes inscrites, d’une part, à distinguer clairement leurs expériences professionnelles des apprentissages qui ont pu en découler et d’autre part, à mettre en évidence, de façon convaincante, ces apprentissages, en vue d’établir une correspondance éventuelle avec ceux prévus par les programmes d’études ciblés.

Dans le cadre du cours intitulé Le portfolio professionnel, la démarche proposée aux candidates et aux candidats à la reconnaissance des acquis s’inspire de celles proposées par de nombreux auteurs (Desjardins, 2002 ; Lévesque et Boisvert, 2001 ; Moran-Alvarez, 2002 ; Pineau, Liétard et Chaput, 1997 ; Sansregret et Adam, 1996 ; Sansregret, 1997 ; Scallon, 2004 ; Simosko, 1989) ; elle se décline en quatre étapes (St-Pierre, Martel, Lauzon et Ruel, 2007) :

  1. Appropriation de la démarche en reconnaissance des acquis (6 heures)

    • Situer la démarche d’élaboration d’un portfolio professionnel, à la fois dans son développement professionnel et dans le cadre d’une reconnaissance des acquis ;

    • S’initier à une démarche d’élaboration de portfolio.

  2. Analyse de ses acquis expérientiels (18 heures)

    • Identifier ses expériences professionnelles et les relier à des compétences professionnelles ;

    • Décrire ces expériences et leur contexte de réalisation ;

    • Identifier et analyser les apprentissages découlant de ces expériences.

    Cette étape, la plus longue et complexe, nécessite quatre actions de rappel à la mémoire :

    • Identifier ce qu’on a fait et comment on l’a fait (actions complexes, interventions, productions) ;

    • Préciser ce qu’on a mobilisé ou développé (ressources, connaissances, habiletés, compétences, etc.) ;

    • Dégager la logique de ce qu’on a mis en oeuvre (processus, pratiques réelles) ;

    • Déterminer ce qui peut être transféré dans des situations semblables ou autres, et ce qui peut être réinvesti.

  3. Démarche de mise en évidence des acquis (15 heures)

    • Relier les apprentissages réalisés à des cadres de référence conceptuels et opérationnels, pertinents au regard des programmes visés ;

    • Établir une trame d’argumentation cohérente dans l’ensemble du portfolio ;

    • Identifier des documents adéquats et les présenter comme preuves crédibles des apprentissages réalisés.

  4. Synthèse et présentation du portfolio (6 heures)

    • Examiner la cohérence d’ensemble des éléments du portfolio ;

    • Assurer le suivi de la démarche pour la présentation d’une demande de reconnaissance des acquis.

Instrumentation

Le cours a été évalué selon le processus habituel d’évaluation des cours à PERFORMA et avec des outils existants (pour les participantes et les participants : Questionnaire d’évaluation générale et Questionnaire d’évaluation spécifique au cours ; pour les personnes-ressources : Questionnaire pour les personnes-ressources). Ces deux instruments contiennent des questions fermées et des questions ouvertes. À la fin du cours, une cochercheure, différente de celle qui avait donné le cours, a animé une discussion de groupe pour recueillir les commentaires critiques des participantes et des participants au sujet de l’efficacité, de l’utilité et de la pertinence de l’activité de formation, du matériel didactique utilisé et de l’ensemble du dispositif. Ainsi une partie des questions a été établie à l’avance, mais l’autre ouvrait la porte à toute remarque ou observation exprimée par les sujets de l’expérimentation. Outre l’entrevue de groupe et les questionnaires, les sources de données pour analyser l’atteinte des objectifs du volet 1 sont les comptes rendus de l’équipe de coordination, les journaux de bord des deux personnes-ressources et une entrevue de l’une d’elles qui a aussi fourni un rapport écrit de son expérience.

Méthode d’analyse des données

Les réponses aux questions fermées ont été compilées, tandis que celles des questions ouvertes ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique. Les données recueillies au moyen de ces sources diversifiées ont été répertoriées et analysées en fonction des catégories suivantes, issues des questionnaires : perceptions des participants et perceptions des personnes-ressources au sujet de l’organisation, du soutien, de la pertinence, de l’utilité et de l’efficacité des modalités et des instruments ; perceptions des difficultés vécues et des moyens qui ont permis de les réduire ; suggestions de modifications ; appréciation globale de l’expérience. Des thèmes récurrents ou pertinents ont émergé de l’analyse inductive des données recueillies, et ils ont servi à l’amélioration du dispositif de formation et d’accompagnement en reconnaissance des acquis. L’équipe de coordination s’est réunie tous les mois au cours des deux mises à l’essai. Pour tenir compte des observations faites au fur et à mesure du déroulement, des améliorations ont été apportées au dispositif de façon continue.

Considérations éthiques

Comme les processus et les instruments étaient en cours de construction et de validation, cela impliquait qu’il pouvait se produire des hésitations dans les processus, des imprécisions dans les directives et des lacunes dans les documents de soutien. En contrepartie, aucuns frais n’étaient exigés pour le traitement du dossier des personnes candidates à la reconnaissance des acquis et elles avaient la possibilité de compléter leur dossier si le comité d’évaluation leur réclamait des précisions. Dans le formulaire de consentement volontaire, une mention particulière leur assurait que les résultats de cette expérimentation seraient présentés de façon à préserver leur anonymat, et que leur dossier en reconnaissance des acquis resterait confidentiel. Les 18 personnes ont été informées qu’elles pouvaient se retirer en tout temps de la collecte des données, mais aucune ne l’a fait.

4.2.2 Résultats (volet 1)

Les résultats montrent que les personnes candidates à la reconnaissance des acquis tirent un grand profit de cet exercice en ce qui concerne leur développement professionnel, et ce, même lorsqu’elles choisissent de ne pas déposer une demande officielle de reconnaissance des acquis (choix fondé sur l’analyse de leurs expériences professionnelles les amenant à conclure que leurs acquis sont insuffisants ou non pertinents pour le programme). Ces personnes considèrent que les buts du cours sont pertinents et suffisants. Elles déclarent parfois avoir pris conscience, au cours de la démarche, de l’importance de ceux-ci pour leur propre développement professionnel. Certaines auraient aimé que les apprentissages visés par le cours les conduisent à construire de nouveaux outils pédagogiques pour leur propre enseignement. En outre, les personnes participantes affirment qu’elles ont apprécié les échanges avec leurs collègues et avec la personne-ressource en classe, ainsi que l’accompagnement individuel et l’exercice d’analyse de leurs compétences. Les sujets de l’expérimentation considèrent que les ressources les plus utiles pour le cours sont les documents qui décrivent le programme, les exemples fournis par la personne-ressource et servant de modèles et certaines des lectures proposées. Parmi les travaux à faire hors classe, ils ont apprécié la description de leurs expériences professionnelles, la rédaction du récit autobiographique et de la fiche réflexive, ainsi que la rétroaction obtenue lors de l’accompagnement individualisé. Toutefois, de leur point de vue, les besoins d’accompagnement individualisé ont été sous-estimés, de même que le temps requis pour constituer le portfolio exigé. En ce sens, les sujets ont recommandé de prévoir davantage de rencontres individuelles et un accompagnement plus structuré pour faciliter l’analyse de leurs expériences professionnelles. Ils suggèrent également de prévoir un exercice d’appropriation des programmes visés qui soit plus approfondi.

Les personnes qui ont participé à ce cours estiment disposer maintenant d’une vision élargie de leurs tâches et de leurs responsabilités comme enseignants au collégial. Elles disent avoir acquis une définition plus étoffée des notions de compétence et d’expérience. Elles ont élaboré une vision systématique du processus de reconnaissance des acquis et de compétences. Plusieurs ont apprécié cette occasion de faire un bilan de leur vie professionnelle. L’une d’entre elles mentionne avoir la certitude de s’être engagée dans un processus pertinent pour l’atteinte de ses buts personnels et professionnels. Responsable elle-même du dossier de la reconnaissance des acquis dans son collège, elle relève la possibilité de transfert direct dans son travail des apprentissages réalisés et se dit apte à accompagner des étudiants dans un tel processus.

Les participants mentionnent aussi une démystification du processus de reconnaissance des acquis, la nécessité d’une base de connaissances théoriques et d’expériences professionnelles substantielles et significatives pour s’engager avec profit dans cette aventure, l’importance de l’encadrement en présence offert par la personne-ressource, les exigences de la démarche sur les plans cognitif et affectif, le besoin d’une période de réflexion prolongée pour l’élaboration du portfolio, et la nécessité de clarifier la démarche et d’améliorer certaines ressources didactiques.

Quant aux personnes-ressources, elles soulignent deux besoins : celui de mieux définir la notion d’apprentissage expérientiel et de la situer par rapport à celle des acquis expérientiels, et celui d’analyser le dossier académique de chaque candidat dès le début de l’activité. Elles relèvent également l’importance de prévoir au plan de cours suffisamment de rencontres individuelles et de s’assurer d’une progression constante et soutenue de la part des personnes participantes. En outre, elles ont recommandé l’ajout d’un crédit au cours (ce qui a été fait pour la deuxième expérimentation), ainsi que des pistes pour la révision de l’ensemble du matériel didactique. Enfin, elles signalent diverses difficultés liées à l’accompagnement des personnes candidates, notamment en raison du caractère évolutif du cadre de référence tout au long du projet expérimental. Selon elles, ces difficultés ont engendré quelque inconfort sur le plan conceptuel et méthodologique pour elles et les participants.

4.2.3 Analyse et discussion (volet 1)

Ces résultats montrent la pertinence et la validité du dispositif de formation-accompagnement, autant pour les personnes candidates que pour les personnes-ressources. À travers les données recueillies auprès des participants, nous avons pu constater que le but de la personne qui s’inscrit à ce cours n’est pas seulement en lien avec sa demande de reconnaissance des acquis, mais plus largement avec son développement professionnel, et plus spécifiquement au coeur de sa tâche : l’enseignement. C’est pourquoi plusieurs personnes, même si elles choisissent de ne pas déposer une demande en reconnaissance des acquis, apprécient le cours et ses effets sur leur développement professionnel.

Le rôle d’accompagnement des personnes-ressources s’est avéré exigeant, notamment en raison du contexte d’expérimentation. Il repose sur une intervention adaptée, en grande partie individualisée, qui requiert à la fois des connaissances, une posture d’accompagnement appropriée et une bonne conscience des enjeux sociaux reliés à la reconnaissance des acquis. La posture d’accompagnement doit permettre la réflexion en profondeur tout en faisant ressortir la capacité d’analyse et d’explicitation de l’action professionnelle chez la personne candidate. L’ensemble des connaissances que possède la personne-ressource au sujet des cadres de référence de la reconnaissance des acquis, des outils ou procédures d’élaboration du portfolio, et en ce qui a trait au milieu de l’enseignement collégial et des programmes visés par la demande de reconnaissance des acquis, contribuent à un meilleur suivi de la démarche, qui conduira éventuellement au dépôt d’une telle demande.

Au cours de l’expérimentation, nous avons observé trois types de difficultés pour la personne accompagnatrice : celles provenant du participant ou de la participante, celles liées au contexte expérimental de la reconnaissance des acquis, et celles relevant de la procédure d’élaboration du portfolio. En effet, comme la démarche de constitution d’un dossier en ce domaine exige un réel investissement de la part de la personne candidate, il lui sera plus ou moins facile d’élaborer son portfolio selon son cheminement professionnel, sa capacité d’explicitation ou ses habiletés d’écriture. Il appert également qu’une connaissance pointue des programmes est une condition essentielle pour faire valoir les acquis de l’expérience. En effet, en reconnaissance des acquis, pour que la démarche soit valide, seuls les acquis expérientiels reliés aux compétences en enseignement comme les définissent les programmes concernés peuvent être retenus et faire l’objet d’une analyse appropriée en vue de leur reconnaissance officielle. La procédure d’élaboration du portfolio s’avère donc exigeante au regard de la crédibilité d’un dossier en reconnaissance des acquis, tant dans la justesse des propos à rendre dans le document que dans les preuves à joindre. Pour une telle démarche, un accompagnateur doit avoir la maîtrise des cadres conceptuels et opérationnels impliqués, ce qui exige une préparation minutieuse de sa part, comme le soulignent Mayen (2004) et Veilhan (2004). Les ambigüités de ces cadres en début de projet ont d’ailleurs augmenté la complexité de la tâche des personnes engagées dans cette démarche, tant les accompagnatrices que les candidates.

En somme, l’analyse de ces commentaires nous permet de constater que la démarche de reconnaissance des acquis est elle-même une activité qui contribue au développement professionnel des personnes qui s’y engagent, même pour celles dont la démarche ne conduit pas à l’octroi de crédits dans le programme. Ce résultat est particulièrement important pour une organisation dont la mission est centrée sur le développement professionnel.

4.3 Méthodologie et résultats pour le volet 2 : Validation et accréditation des acquis

4.3.1 Méthodologie

Cette section comprendra les subdivisions suivantes : Sujets, Déroulement (dispositif de validation), Instrumentation, Méthode d’analyse des données et Considérations éthiques.

Sujets

À la suite du cours, 12 des 18 participantes et participants (67 %) ont déposé une demande officielle de reconnaissance des acquis. Les six autres personnes sont arrivées à la conclusion, au fil du cours et de l’accompagnement offert, que les résultats de l’analyse de leurs expériences professionnelles ne donnaient pas matière à une telle demande. Les demandes soumises ont été évaluées par un comité d’experts propre à l’étude de chacun des dossiers. Pour susciter la discussion et pallier la subjectivité de chaque évaluateur, ces comités ont réuni au moins quatre personnes : la responsable et une professeure du programme, ainsi que deux autres personnes, dont au moins une spécialiste du contenu. Dans les faits, les comités ont été constitués par les quatre membres de l’équipe de coordination du projet, auxquelles se joignait au besoin une personne invitée sur la base de son expertise au regard du contenu du dossier soumis. En tout, cinq autres experts se sont ainsi joints à l’un ou l’autre des comités d’évaluation : deux experts du domaine de l’intégration des technologies, deux expertes de la didactique et une experte de la formation des enseignants du collégial.

Déroulement (dispositif de validation)

Le processus de validation, qui comprend l’évaluation des acquis et leur accréditation, ainsi que les instruments pour en opérationnaliser la réalisation ont été construits, expérimentés et validés tout au long du projet. L’évaluation des demandes en vue d’une attribution d’équivalences ou de substitutions s’est faite avec diligence pour permettre aux personnes de poursuivre un cheminement régulier dans le programme auquel elles étaient inscrites, sans avoir à participer à des activités qui visaient des apprentissages déjà faits. Par conséquent, en même temps que les personnes étaient accompagnées dans la production de leur demande, la mise au point de la démarche administrative pour la reconnaissance des acquis s’opérait afin que les demandes soient traitées dès leur soumission. Comme les balises institutionnelles et facultaires étaient elles-mêmes en voie d’élaboration, il convenait de les appliquer ou de les adapter et de préciser au besoin des règles pertinentes en fonction des programmes visés. Notre tâche a donc été d’élaborer une démarche qui respecte ces orientations et les principes de transparence, de crédibilité, de rigueur, d’équité et d’efficience évoqués précédemment. En ce sens, la démarche proposée s’est opérationnalisée au moyen d’instruments appropriés pour :

  • évaluer et consigner la nature et le niveau des apprentissages que la personne souhaitait faire reconnaître ;

  • attester de l’adéquation et de la suffisance des preuves fournies ;

  • estimer la concordance avec les apprentissages prévus aux programmes,

  • proposer ou accepter les activités pouvant être reconnues ou, s’il y a lieu, le nombre global de crédits ;

  • formuler une proposition pour obtenir la formation manquante au besoin.

Toutes ces tâches ont nécessité une réflexion commune de l’équipe de coordination et la conception de divers documents associés aux étapes du processus de reconnaissance des acquis.

Pour guider l’évaluation, les principes suivants ont été retenus en cohérence avec ceux déjà cités :

  • le droit à la reconnaissance des acquis ;

  • la responsabilité d’en faire la preuve ;

  • la crédibilité, la fiabilité et la transparence du dispositif ;

  • le choix de critères de validation pertinents (selon la nature des compétences : la conformité de l’action avec ce qui est attendu ou sa pertinence, toutes deux estimées sur la base de l’intersubjectivité des membres du comité d’experts pour justifier sa décision) ;

  • la perspective de valorisation de l’expérience ;

  • la recherche d’optimisation du cheminement vers la diplômation.

La procédure d’évaluation que nous avons mise en oeuvre comprend les étapes suivantes :

  • la réception de la demande et l’étude de sa recevabilité par la personne responsable du programme (complète, admissible) ;

  • la constitution d’un comité d’experts ;

  • la formation des nouveaux membres du comité d’experts, s’il y a lieu ;

  • l’évaluation individuelle par les membres du comité ;

  • la réunion du comité et sa délibération ;

  • la transmission de la décision ;

  • la proposition d’acquérir la formation manquante, au besoin, et l’éventuelle accréditation (selon la décision transmise).

Pour être recevable, un dossier soumis en reconnaissance des acquis devait comprendre les pièces suivantes :

  • un avis de confidentialité et de responsabilité éthique signé par la responsable du programme et par la personne candidate ;

  • un avis d’assermentation ;

  • une fiche synthèse de la demande de reconnaissance des acquis ;

  • un récit autobiographique ;

  • une description de la ou des compétences faisant l’objet de la demande ;

  • une présentation du ou des cours pour lesquels les crédits sont demandés ;

  • une fiche réflexive qui explicite et met en valeur la compétence à reconnaître, et qui permet de faire les liens avec les apprentissages conceptuels et opérationnels visés dans le programme ;

  • les preuves à l’appui des apprentissages à reconnaître en reconnaissance des acquis.

La fiche réflexive, pièce maîtresse dans l’élaboration du portfolio, a été construite à partir des éléments du cadre de référence retenu. On y retrouve, pour chacune des compétences, une description des expériences professionnelles qui ont permis de développer la compétence et l’analyse approfondie des acquis. Cette analyse s’est faite en plusieurs opérations :

  • la mise en relation des actions effectuées avec la compétence ;

  • l’identification des différentes ressources mobilisées et développées ;

  • l’identification des moyens qui ont permis l’apprentissage ;

  • les démarches et les résultats de la réflexion sur la pratique ;

  • la mise en relation des cadres de référence utilisés ou élaborés avec la compétence.

Le comité d’experts a utilisé une grille d’évaluation construite à partir des critères suivants :

  1. La démonstration des acquis est explicite, convaincante et argumentée (par rapport aux compétences et aux exigences des cours réclamés), au regard :

    • des actions effectuées : leur ampleur, leur complexité et leur cohérence ;

    • des ressources mobilisées ou développées : leur pertinence, leur suffisance et leur actualité ;

    • de la réflexion portée sur la pratique : les problèmes et les défis identifiés, les processus et les moyens mis en oeuvre et les leçons dégagées ;

  2. les preuves sont pertinentes, suffisantes et crédibles ;

  3. le nombre de crédits demandés est justifié et les cours choisis sont appropriés (cohérents avec les apprentissages identifiés).

Instrumentation

Avec l’accord des experts participants, une analyse thématique des comptes rendus des réunions d’experts ainsi que des rapports rédigés pour chacun des 12 dossiers a permis de dégager à la fois les limites du dispositif et des instruments utilisés, des suggestions pour améliorer le processus et les questions soulevées par une telle démarche. Les comptes rendus des réunions de l’équipe de coordination ont également été utilisés pour l’analyse.

Méthode d’analyse des données

Ces rapports et ces comptes rendus ont été analysés selon une technique d’analyse de contenu. Les thèmes mentionnés ci-dessus (limites du dispositif et des instruments, suggestions d’amélioration, questions soulevées) ont servi de catégories pour l’analyse des résultats.

Considérations éthiques

La personne-ressource qui avait accompagné la personne candidate dans la démarche d’élaboration de son dossier participait aux échanges pour éclairer le comité d’experts sur certains aspects du dossier, mais elle se retirait lorsque venait le temps de prendre une décision sur la reconnaissance à attribuer. Cette précaution visait à assurer la crédibilité de l’opération et à protéger l’intégrité des personnes-ressources accompagnatrices. Les experts invités ont été informés que ce projet se déroulait dans un contexte expérimental, et ont accepté que les comptes rendus des réunions soient utilisés pour dégager des résultats de l’expérimentation.

4.3.2 Résultats (volet 2)

Douze dossiers ont été soumis et évalués à partir de la grille exposée précédemment. Le nombre de crédits demandés s’échelonne de 2 à 18 crédits. Entre 2 et 13 crédits ont été reconnus par les comités d’experts. Notons que le Règlement des études de l’Université de Sherbrooke prévoit qu’un maximum de 15 crédits, pour ce qui est du diplôme de 2e cycle, et de 30 crédits, pour ce qui est de la Maîtrise en enseignement au collégial, peut être attribué au moyen de la reconnaissance des acquis.

En moyenne, 10 crédits ont été demandés par dossier et sept ont été attribués. Des activités de formation manquante ont été proposées à trois personnes pour compléter leur formation. Une seule a décliné cette offre, préférant suivre un cours régulier du programme.

Le processus d’évaluation et d’accréditation ainsi que les instruments développés se sont avérés efficaces. Les experts reconnaissent la pertinence et la crédibilité du dispositif qui respecte les principes à la base de sa conception. Selon les rapports des experts, l’une des plus grandes limites de la reconnaissance des acquis expérientiels en enseignement collégial est liée à la dimension conceptuelle des apprentissages qui doivent correspondre à ceux visés dans les programmes concernés, mais sans être nécessairement identiques (nous y reviendrons plus loin).

Le fait que l’équipe de coordination du projet fasse aussi partie de l’équipe d’évaluation des dossiers n’a pas posé de problème et se justifiait par la nature des acquis à reconnaître : la plupart du temps, la reconnaissance des acquis demandée concernait les compétences pédagogiques, domaine que maîtrisent les membres du comité de coordination. Le rôle de l’équipe de coordination dans le processus de validation lui a, entre autres, permis d’apporter des ajustements pertinents en cours d’expérimentation. En outre, l’équipe s’est elle-même co-formée tout au long du déroulement du projet. À cet égard, elle se considère dorénavant plus apte à soutenir de nouvelles personnes-ressources accompagnatrices et à former de nouveaux experts invités à se joindre aux comités d’évaluation des dossiers.

4.3.3 Analyse et discussion des résultats (volet 2)

Le second volet visait le développement et l’expérimentation d’un dispositif d’évaluation et d’accréditation des acquis expérientiels. Au terme du projet, un dispositif rigoureux, crédible et transparent a été mis au point. Les considérations suivantes ont aussi émergé des travaux. Les lacunes identifiées dans les portfolios se rapportent systématiquement à des éléments conceptuels ou théoriques. Ces éléments sont requis pour une description satisfaisante des apprentissages expérientiels au regard de ceux prévus par les programmes d’études, selon l’avis des différents experts des comités d’évaluation. On constate donc qu’il s’avère difficile pour les candidats à la reconnaissance des acquis de dégager les modèles implicites qu’ils ont pu construire par l’expérience, et de les décrire dans une forme qui soit reconnaissable aux yeux des experts membres des comités d’évaluation, et équivalente à celle des modèles proposés dans les activités de formation formelle.

Le fait qu’il n’existe pas de profil de compétences en enseignement collégial adopté par la communauté dans son ensemble a pour conséquence que plusieurs référents sont utilisés simultanément par les personnes candidates pour expliciter les apprentissages tirés de leurs expériences. Ces divers référents, même s’ils rendent plus difficile, pour les personnes candidates à la reconnaissance des acquis, la cohérence des propos et même s’ils complexifient la recherche d’équivalence entre les demandes qui portent sur les mêmes compétences, pour les experts amenés à en juger, ont l’avantage de favoriser l’expression d’apprentissages expérientiels plus variés.

Par ailleurs, la lourdeur des dossiers à constituer et à évaluer doit être prise en compte. Il a été porté à notre connaissance que des personnes qui possèdent de nombreux acquis expérientiels de haut niveau, reconnues dans leur milieu pour leur expertise, hésitent à s’engager dans une démarche de reconnaissance des acquis, car il leur paraît plus simple et moins exigeant de s’inscrire aux cours ; elles sont alors placées dans la situation de réapprendre ce qu’elles savent déjà.

En ce qui a trait surtout aux aspects administratifs du processus, la préoccupation de renouveler de façon continue l’éventail de personnes expertes pour les comités d’évaluation et de leur fournir une formation minimale en reconnaissance des acquis constitue un défi dans le contexte d’un bassin assez réduit de membres potentiels pour ces comités.

5. Analyse et discussion générale

Dans cette section, nous présenterons d’abord des constats tirés de cette expérience, suivis de pistes pour des recherches futures issues d’interrogations qui ont émergé de l’analyse.

5.1 Constats : avantages et limites

Notre expérience a permis d’illustrer une manière de rendre possible la reconnaissance des acquis expérientiels pour les enseignants du collégial. Du point de vue de l’ensemble des acteurs concernés, le dispositif de formation et d’accompagnement s’est avéré crédible et opérationnel. Le cadre de référence élaboré a répondu aux attentes quant à son adéquation pour la reconnaissance des acquis en enseignement collégial. Intégré au cadre de référence, le modèle de Le Boterf (2004 ; 2006) a joué un rôle pertinent pour l’analyse des expériences professionnelles. En fonction de ses trois axes, cette analyse s’est effectuée et a consisté à décortiquer ces expériences pour en faire émerger des apprentissages correspondants, sans pourtant qu’ils soient identiques, à ceux visés par les programmes d’études. La stabilisation du cadre de référence devrait permettre de lever certains doutes ou ambigüités qui subsistaient lors de notre projet pilote, sa validation s’étant effectuée au fur et à mesure du développement du projet. Même si plusieurs référentiels de compétences peuvent servir à identifier les apprentissages réalisés, un cadre de référence solide offre un soutien profitable, dans la mesure où la personne-ressource (ou la personne candidate) possède aussi une bonne connaissance des programmes de formation pour juger du degré d’adéquation ou de correspondance des apprentissages relevés par rapport à ceux des programmes concernés. Les démarches de reconnaissance des acquis réalisées au cours de ce projet ont contribué à une optimisation des parcours de formation continue des personnes engagées dans une telle démarche. Selon leur profil, elles ont donc pu s’engager dans des activités du programme qui complétaient leur formation plutôt que d’avoir à réapprendre ce qu’elles savaient déjà. Notre décision d’inviter les personnes qui avaient au minimum cinq ans d’expérience en enseignement collégial s’est avérée judicieuse, car il a été plus difficile pour celles qui avaient le moins d’expérience de rédiger un portfolio en reconnaissance des acquis en lien avec nos programmes de 2e cycle en enseignement.

Le portfolio s’est aussi révélé un outil efficace de la demande de reconnaissance des acquis des candidats. Les preuves apportées à l’appui des apprentisages à reconnaître ont été jugées satisfaisantes par les experts invités. L’analyse des expériences professionnelles sur la base de fondements conceptuels est la clé de voûte de ce processus, dans la mesure où elle permet de dégager des apprentissages expérientiels et d’établir une éventuelle correspondance de ces apprentissages avec les programmes de formation visés.

Toutefois, notre expérience a montré que la cohérence de l’argumentation à ce propos demeure un défi important, surtout pour identifier la nature des apprentissages effectués, les décrire à leur juste valeur et les associer à ceux visés par les programmes de formation concernés. Néanmoins, il vaut la peine de souligner que deux personnes ont réussi l’exercice avec brio. Quant aux autres, la grande majorité a convaincu les experts de lui reconnaître en grande partie les apprentissages mis en évidence dans le portfolio, en raison principalement de la cohérence entre ceux-ci et les apprentissages que visent les programmes de formation.

En outre, l’accompagnement des personnes candidates à la reconnaissance des acquis a mis en évidence l’importance d’avoir une connaissance approfondie des programmes de formation continue pour leur attribuer le plus de compétences possible, au terme d’un processus de reconnaissance des acquis. De plus, si on y ajoute une bonne connaissance du dossier des candidats, il devient possible de leur reconnaître un maximum d’acquis, compte tenu de leur parcours professionnel et des apprentissages expérientiels qui ont pu en découler. En effet, une meilleure connaissance des dossiers contribue à une analyse plus fouillée et mieux orientée des expériences professionnelles soumises à l’examen ; de celles-ci, on tentera de faire émerger les apprentissages particuliers qu’elles ont générés. Que l’accompagnement des personnes candidates à la reconnaissance des acquis ait pris la forme d’un cours n’est peut-être pas une obligation ; néanmoins, cette approche se prêtait bien, selon nous, au contexte de formation continue dans lequel les personnes candidates à la reconnaissance des acquis en enseignement collégial étaient déjà engagées. Compte tenu des apprentissages qu’il a suscités, l’intégration de ce cours aux programmes de formation continue concernés nous paraît toujours justifiée. Ce qui nous semble essentiel cependant, c’est l’accompagnement des personnes candidates à la reconnaissance des acquis, afin qu’elles aient le soutien nécessaire pour mener ce processus à terme, et qu’elles en récoltent des fruits appréciables. À partir de ses expériences professionnelles, l’exercice de démarche réflexive approfondie, propre à toute demande de reconnaissance des acquis, est en soi fort exigeant. Souvent, l’accompagnement permet de faire ressortir ou émerger, par les échanges et la discussion au sujet des expériences professionnelles, une description des apprentissages dont peut bénéficier la personne candidate à la reconnaissance des acquis. C’est également dans ce sens que les outils didactiques doivent être révisés, que la démarche de reconnaissance des acquis doit être clarifiée, y compris la nécessité d’une période de réflexion prolongée, et qu’un examen plus approfondi des programmes de formation concernés doit être envisagé, à l’intérieur du dispositif de formation et d’accompagnement.

La grille d’évaluation présentée aux experts invités leur a permis de rendre un jugement éclairé sur les dossiers soumis pour la reconnaissance des acquis. Afin d’y parvenir, il leur fallait considérer l’ampleur, la complexité et la cohérence des actions professionnelles effectuées ; examiner les ressources mobilisées en fonction de leur pertinence, de leur suffisance et de leur actualité ; et enfin, porter un jugement réflexif sur la pratique de la personne candidate à la reconnaissance des acquis, quant aux problèmes et aux défis qu’elle a rencontrés, aux processus et moyens qu’elle a mis en oeuvre et aux apprentissages qu’elle a pu en dégager. Il revenait de surcroît aux experts invités de déterminer si les preuves amenées étaient pertinentes, suffisantes et crédibles. Finalement, ils devaient se pencher sur l’équivalence en termes de crédits et de cours qui pouvaient être accordés aux candidats à la reconnaissance des acquis.

Nonobstant tous les aspects positifs que notre expérience a permis de dégager, la survie du processus de reconnaissance des acquis expérientiels ne sera assurée que si des conditions explicites et transparentes sont acceptées par tous les acteurs en jeu. Pour ce faire, il est nécessaire que l’inscription en reconnaissance des acquis se fasse dans le cadre d’une politique institutionnelle accompagnée de ressources suffisantes. En effet, il est difficile de convaincre des personnes de s’engager dans des démarches laborieuses alors que les règles restent floues, hésitantes et incertaines. Si l’on souhaite réellement permettre à des personnes de faire valoir leurs acquis expérientiels, de manière formelle et intégrée au processus de formation continue, et dans le cadre du développement professionnel, il s’avère donc essentiel qu’une institution se dote de processus rigoureux en reconnaissance des acquis. Les moyens pour assurer la pérennité du dispositif restent à identifier.

Les deux principaux problèmes sont : 1) la lourdeur et le coût de l’opération d’évaluation et d’accréditation par un comité d’experts ; et 2) le manque de personnes-ressources capables d’accompagner les personnes désireuses de s’engager dans une telle démarche. Malgré les exhortations du Conseil supérieur de l’éducation (2000a, 2004) et de divers autres groupes (Fédération des syndicats de l’enseignement-Centrale des syndicats du Québec, 2005 ; Poulin, 2001), il semble que les sources de financement demeurent insuffisantes pour établir des dispositifs de reconnaissance des acquis efficaces et équitables. Mentionnons également qu’une politique universitaire à propos de la reconnaissance des acquis était toujours attendue au moment de notre expérimentation. La politique de reconnaissance des acquis de l’Université de Sherbrooke a été adoptée par le Conseil d’administration le 19 juin 2007. À cette date, la phase de mise à l’essai des deux volets du projet rapporté ici était terminée, et elle a servi d’expérience phare à la politique actuellement en vigueur.

5.2 Pistes de recherches futures

Diverses questions en suspens fournissent autant de pistes pour de nouvelles recherches en reconnaissance des acquis. Nous continuons à nous demander si les obstacles liés au développement et à l’implantation de dispositifs de reconnaissance des acquis efficaces à l’Université, de manière générale, ne seraient pas moins contraignants que les obstacles qui relèvent d’une remise en question des conceptions actuelles de plusieurs membres de la communauté universitaire, quant à la légitimité et à la valeur respectives des savoirs théoriques par rapport à ceux issus de la pratique. C’est ce que nous laisse penser le Conseil supérieur de l’éducation lorsqu’il évoque, en parlant de la reconnaissance des acquis, un système assorti de chasses gardées. Il faudrait peut-être mieux connaître les conceptions et les freins au développement de la reconnaissance des acquis à l’Université.

D’autres interrogations naissent de lacunes observées dans les connaissances actuelles au sujet de la nature de l’apprentissage expérientiel et au sujet des relations qu’on peut établir entre ce dernier et l’apprentissage formel. À quel degré de congruence doit-on s’attendre entre l’expression des apprentissages des personnes candidates à la reconnaissance des acquis et celle affichée dans les programmes d’études ? Quelles formes de médiation permettrait de faire émerger une meilleure conceptualisation des apprentissages construits lors de la pratique ? Parmi ces formes de médiation, lesquelles pourraient favoriser la comparaison entre les acquis expérientiels et ceux attendus au terme d’un cours, sans être elles-mêmes une forme d’enseignement ? Est-il juste de conclure à une intégration des ressources conceptuelles chez les personnes candidates, alors que la démarche de constitution de leur portfolio leur permet de s’approprier et d’approfondir ces concepts au cours de la démarche ? Autrement dit, cette démarche permet-elle de reconnaître des acquis tirés de l’expérience, ou bien de nouveaux apprentissages réalisés au cours de la démarche ? En reconnaissance des acquis, à quoi s’attendre au sujet de la réflexion sur la pratique qui, selon le modèle retenu, devrait s’exercer en cours d’action et après l’action pour fonder un réinvestissement des acquis ? Pour le portfolio, quels seraient les indicateurs valides de cette réflexion ? Les exigences sont-elles plus grandes pour une personne candidate à la reconnaissance des acquis que pour une personne inscrite dans l’un des cours des programmes de formation en enseignement au collégial ? Quant à la valeur et à la crédibilité des évaluations en reconnaissance des acquis, peut-on espérer autre chose ou davantage que ce qu’offre l’intersubjectivité d’experts dans un comité d’évaluation ? Dans ce contexte, comment assurer la crédibilité et l’équité dans l’ensemble du processus ? Est-il possible de simplifier la procédure sans sacrifier la crédibilité ?

6. Conclusion

La question de la reconnaissance des acquis s’inscrit dans l’univers plus large du soutien au développement professionnel. Cette question devient prioritaire pour quiconque souscrit à l’idée que, d’une part, les personnes n’ont pas à réapprendre ce qu’elles savent déjà et que, d’autre part, elles ont droit à une reconnaissance de leurs acquis d’expérience. Toutefois, en ce qui concerne les expériences professionnelles en enseignement et les programmes de formation continue offerts au personnel enseignant, il reste beaucoup à faire pour opérationnaliser cette reconnaissance.

Dès le début des travaux de révision de ces programmes de formation en enseignement au collégial, il est apparu évident que les compétences visées pouvaient avoir déjà été en partie développées sur le terrain, à des degrés différents, par les praticiens. Ces enseignants souhaitent poursuivre leur formation en continuité, ce qui paraît légitime, voire souhaitable, dans une perspective de soutien au développement professionnel du personnel enseignant du collégial. En conséquence, il nous semble essentiel de reconnaître les compétences ou les éléments de compétences développés pour mieux offrir diverses mesures et activités de perfectionnement adaptées au niveau de développement professionnel de chacun ; bref, pour mieux offrir des parcours de formation individualisés. Au fur et à mesure que se redéfinissent et se précisent les réponses à apporter aux besoins de formation continue du personnel enseignant, la reconnaissance des acquis s’impose. Par ailleurs, les commentaires des personnes candidates à propos des effets bénéfiques de la démarche de reconnaissance des acquis sur leur développement professionnel nous permettent de conclure que cet exercice génère des retombées beaucoup plus substantielles que la stricte attribution de crédits.

Reconnaître les acquis est à la fois reconnaîre des compétences développées, quels que soient les lieux et les modalités pour ce faire, et un […] levier majeur pour la dynamique de la formation continue (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005, p. 5). Ce levier agit sur plusieurs plans : 1) sur le plan individuel, en optimisant les parcours de formation continue offerts aux personnes ; 2) sur le plan institutionnel, en bénéficiant au développement des universités pour attirer de nouvelles clientèles, contribuer à la diplômation et conduire au développement de nouveaux programmes de formation, notamment pour les personnes accompagnatrices et pour les personnes évaluatrices en reconnaissance des acquis ; et 3) sur le plan social, en reconnaissant la valeur des savoirs construits ailleurs que dans le contexte institutionnel, et en facilitant l’insertion professionnelle.

Quant aux universités, les avantages liés à leur mission de formation et aux objets de recherche en éducation sont appréciables. Dans plusieurs aspects de la formation, la reconnaissance des acquis vient remettre en question les conceptions et les pratiques : évaluation des apprentissages acquis en divers lieux et de diverses façons, suivie d’une attribution correspondante de crédits ; lien entre les apprentissages expérientiels et les apprentissages formels ; validité des uns et des autres ; finalités de la formation universitaire, et fondements de l’éducation.

Sur un plan pratique, le développement de référentiels de compétences, de démarches, d’outils et de modalités d’accompagnement ainsi que l’organisation de parcours individualisés de formation fournissent aux praticiens et aux chercheurs des avenues pour l’innovation et le développement. Les remises en question que suscite la reconnaissance des acquis peuvent contribuer aussi au développement de connaissances conceptuelles et méthodologiques – qu’on pense, par exemple, à la didactique professionnelle (analyse de l’expérience de travail), au rôle du jugement d’un expert ou aux indicateurs de développement de compétences.