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Introduction

Traduction libre de Julien Mercier et Colette Deaudelin.

Un intérêt croissant pour la notion d’autorégulation de l’apprentissage est noté, partiellement en réponse au besoin d’engagement actif des étudiants dans les processus d’apprentissage et d’enseignement (Boekaerts et Minnaert, 1999 ; Zimmerman et Schunk, 2001). L’autorégulation de l’apprentissage concerne tant les processus cognitifs qu’affectifs du développement de compétences chez les étudiants. Favoriser l’autorégulation de l’apprentissage dans des environnements d’apprentissage appropriés nécessite de fournir aux étudiants les occasions et les stratégies d’apprentissage nécessaires à l’acquisition autonome de connaissances et d’habiletés (Pintrich, 1999) ce qui a pour effet d’influencer grandement l’enseignement. Cette démarche ne change pas seulement la position des enseignants, mais requiert aussi de l’automotivation et des stratégies d’apprentissages souples chez les étudiants. De plus, les perceptions qu’ont les étudiants de leur environnement d’apprentissage, comme faisant ou non la promotion de l’autorégulation de l’apprentissage, deviennent un déterminant crucial de leur participation et des efforts qu’ils y consentent. En particulier, les croyances personnelles et l’acceptation par les étudiants des nouveaux environnements d’apprentissage pourraient bien déterminer la façon dont les étudiants vont intrinsèquement décider de s’engager activement dans l’autorégulation de leur apprentissage. Les environnements d’apprentissage autorégulé en éducation sont ceux qui invitent les étudiants à jouer un rôle actif et qui favorisent les activités d’apprentissage, tant cognitives, affectives, que régulatoires (Boekaerts et Minnaert, 1999). Dans de tels environnements d’apprentissage, les étudiants font l’expérience d’une plus grande autonomie et entretiennent une perception positive de leurs enseignants (Pintrich, 1999).

Ces développements vers l’autorégulation de l’apprentissage, insistant sur une plus grande autonomie des étudiants afin qu’ils organisent leur apprentissage, sont aussi survenus dans la formation des enseignants. Plusieurs études ont fait état que les formateurs d’enseignants ont des attitudes positives face à l’autorégulation de l’apprentissage en tant que stratégie d’enseignement dans la formation des enseignants. Toutefois, les conditions de son implantation sont vues comme insatisfaisantes (Richardson, 1997 ; Claxton, Atkinson, Osborn et Wallace, 1995 ; Hamilton, 1998). Néanmoins, l’autorégulation de l’apprentissage dans la formation des enseignants est considérée importante afin de préparer les futurs enseignants à développer, chez leurs futurs élèves, des habiletés concernant le contrôle, la planification et l’autoévaluation de leur propre apprentissage (Brookfield, 1995 ; Calderhead et Shorrock, 1997 ; Mayer-Smith et Mitchell, 1997). Dans la même lignée, on s’attend à ce que les formateurs d’enseignants fournissent aux futurs enseignants des occasions d’expérimenter l’autorégulation de l’apprentissage, les guident dans la mise en place des processus constituant l’autorégulation de l’apprentissage dans leur enseignement et leur fournissent des environnements d’apprentissage appropriés (Day, 1999 ; Sugrue, 1997 ; Richardson, 1997), à partir desquels ils pourront expérimenter l’autorégulation de l’apprentissage en tant que façon d’apprendre à enseigner. Conséquemment, il est intéressant d’examiner la façon dont les formateurs d’enseignants perçoivent l’autorégulation de l’apprentissage dans leur enseignement à de futurs enseignants et la façon dont ils font face aux demandes visant la création d’environnements d’apprentissage guidés par l’autorégulation de l’apprentissage.

L’autorégulation de l’apprentissage en tant que conception de l’apprentissage dans la formation des enseignants

La scène de la recherche en éducation, en dehors de la formation des enseignants, a été témoin récemment d’un nombre croissant d’études sur l’autorégulation de l’apprentissage (Paris et Paris, 2001). Ces dernières proposent des définitions variables du concept et donnent lieu à des résultats qui, dans la plupart des cas, montrent les avantages du développement d’habiletés d’autorégulation de l’apprentissage chez les étudiants (Zimmerman et Schunk, 2001 ; Boekaerts, 2002). En tant que conception de l’enseignement et de l’apprentissage, l’autorégulation de l’apprentissage demande de fournir aux élèves des environnements d’apprentissage appropriés et d’introduire des méthodes d’enseignement qui vont mener au développement de l’autonomie chez les élèves autonomes (self-directedness), dans leurs apprentissages (Claxton et al., 1995 ; Aregledo, Bradley et Lane, 1996 ; Cobb, 1994). On s’attend des formateurs d’enseignants qu’ils reconnaissent ces demandes croissantes et ces besoins de changement dans les pratiques d’enseignement et qu’ils adoptent des approches et des méthodes d’enseignement permettant à leurs étudiants d’apprendre de façon autorégulée à enseigner, pour que ces derniers dispensent à leur tour un enseignement axé sur l’autorégulation de l’apprentissage (Loughran et Northfield, 1996), en cohérence avec les visées éducatives prescrites favorisant l’autorégulation (Wideen et Grimmett, 1995 ; Hamilton, 1998 ; Calderhead et Shorrock, 1997 ; Aregledo et al., 1996). Toutefois, les conséquences de ce changement reconnu et d’une adoption croissante de l’autorégulation de l’apprentissage peuvent prendre différentes formes et expressions dans la formation des enseignants (Richardson, 1997 ; Tillema, 1997). Celles-ci dépendent entre autres des visions et perspectives professionnelles des formateurs d’enseignants concernant l’enseignement et l’apprentissage (LaBoskey, 1997 ; Fenstermacher, 1994). Les visions dominantes des formateurs d’enseignants peuvent s’étendre d’une perspective de transmission et de contrôle à celle d’une construction active des connaissances (voir Kember, 1997, pour une typologie des conceptions de l’enseignement). Une étude de Kremer-Hayon et Tillema (1999) a montré que ces visions de l’enseignement conduisent à diverses approches et orientations face à l’apprentissage de l’enseignement (voir aussi Boulton-Lewis, Smith, McCrindle, Burnett et Campbell, 2000).

Mises à part certaines divergences dans les perspectives des formateurs d’enseignants et les multiples significations qui caractérisent la notion d’autorégulation de l’apprentissage, les conditions et ressources relatives à un enseignement respectant les principes d’autorégulation de l’apprentissage, peuvent aussi être lacunaires dans la formation des enseignants. Conséquemment, il est nécessaire de se pencher sur les significations de l’autorégulation de l’apprentissage dans la formation des enseignants et sur la façon dont les perceptions et les orientations des formateurs d’enseignants affectent l’amélioration de leur enseignement de l’autorégulation de l’apprentissage à leurs étudiants.

Un examen approfondi demande d’investiguer : (a) comment les formateurs d’enseignants perçoivent l’autorégulation de l’apprentissage à partir de leurs croyances concernant l’enseignement, (b) comment ils perçoivent les habiletés d’autorégulation de l’apprentissage de leurs étudiants et, conséquemment, (c) quels sont les dilemmes et problèmes rencontrés dans le processus de maintien de l’autorégulation de l’apprentissage lorsque l’on enseigne à des futurs enseignants comment enseigner en se basant sur les principes de l’autorégulation de l’apprentissage.

L’adaptation des formateurs d’enseignants aux demandes de soutien de l’autorégulation de l’apprentissage : la notion de dilemmes

Les formateurs d’enseignants doivent concilier les nouvelles conceptions émergentes de l’autorégulation de l’apprentissage avec leurs propres croyances professionnelles sur leur enseignement et leur répertoire de comportements d’enseignement. Une façon de mettre à jour la réflexion personnelle des formateurs d’enseignants concernant les dispositions et croyances sur l’autorégulation de l’apprentissage et ce qui se passe dans leurs pratiques d’enseignement aux futurs enseignants (c’est-à-dire le processus de mise en relation de ces deux entités), est d’examiner leurs dilemmes professionnels. Les dilemmes professionnels (Alexander, 1995 ; Billig, 1988 ; Hargreaves, 1997) expliquent ou donnent accès à la réflexion des formateurs d’enseignants, à leurs croyances et à leurs perspectives professionnelles telles qu’elles s’actualisent de façon directe ou contextualisée (Wenger, 1998). Les dilemmes reflètent les délibérations et choix professionnels concernant la mise en oeuvre d’activités concrètes (Tillema, 2004) qui représentent des conflits conceptuels qui doivent être résolus dans des situations réelles et authentiques. Généralement, les dilemmes dénotent une position réflexive qui présente deux possibilités ou plus d’actions également justifiées. C’est cette tension entre les possibilités perçues comme étant d’égales valeurs qui demande une prise de décision face à l’action. Les dilemmes peuvent aussi être décrits en tant que débats intérieurs, caractérisés par l’hésitation et la perplexité concernant des actions pratiques et/ou des conceptions philosophiques (Egan, 1997 ; Elbaz, 1983). Ce raisonnement et cette prise de décision réflexive impliquent des processus réflexifs d’identification, de cadrage et de recherche des problèmes inhérents qui doivent être résolus à partir de perspectives conceptuelles multiples, tout en considérant leurs conséquences et retombées pour l’action. Ainsi, les dilemmes revêtent un intérêt spécial pour l’étude des conceptions et croyances des professionnels, car ils révèlent une partie de leur monde intérieur, et fournissent un aperçu des relations entre les conceptions des formateurs d’enseignants et les solutions qu’ils privilégient face à des problèmes quotidiens.

Considérant le potentiel des dilemmes à fournir de l’information concernant les réflexions et les difficultés des formateurs d’enseignants, cette étude vise à révéler les dilemmes que les formateurs d’enseignants rencontrent en lien avec l’autorégulation de l’apprentissage.

Méthode

Contexte

Différents contextes de formation des enseignants – instituts de formation des enseignants pour l’éducation primaire – ont été choisis pour l’étude des thèmes mentionnés précédemment. Dans les instituts sélectionnés, l’autorégulation de l’apprentissage est jugée favorable et est implantée de diverses façons, mais dans chacun des cas, elle constitue une approche relativement nouvelle de l’enseignement et de l’apprentissage dans la formation des enseignants. Les formateurs d’enseignants doivent s’y adapter et trouver de nouvelles stratégies et façons de la présenter dans leur enseignement. Une diversité des instituts, c’est-à-dire des contextes, a été choisie pour mettre en lumière l’étendue des expériences concernant l’autorégulation de l’apprentissage dans la formation des enseignants, chercher des similarités et des différences entre les contextes et ainsi rendre possible la comparaison différenciée des résultats, c’est-à-dire les différentes expériences et solutions élaborées par les formateurs d’enseignants (Hitchcock et Hughes, 1995). Notre étude a tenu compte des contextes d’enseignement de 17 formateurs d’enseignants néerlandais, travaillant tous dans des environnements d’enseignement adoptant des méthodes d’autorégulation de l’apprentissage. Une grande variété de solutions visant à intégrer l’autorégulation de l’apprentissage à l’enseignement a été relevée : de l’enseignement traditionnel (classe entière) combiné avec le travail de groupes indépendants à l’apprentissage par problèmes des étudiants, travaillant en collaboration au sein de petites équipes. Les contextes étudiés impliquent tous des formateurs d’enseignants engagés activement dans la supervision et le mentorat de futurs enseignants dans des cours reliés aux fondements de l’éducation, aux méthodes d’enseignement et à la préparation à l’enseignement en stage.

Instrument

L’instrument consiste en une entrevue construite afin d’examiner les croyances relatives à l’enseignement, les expériences d’autorégulation de l’apprentissage, et les problèmes d’enseignement que les formateurs d’enseignants éprouvent en favorisant le développement de compétences d’autorégulation de l’apprentissage chez les futurs enseignants. L’entrevue en profondeur en tant que méthode de recherche (Hitchcock et Hughes, 1995) fut adoptée pour la collecte d’expressions authentiques de la part de formateurs d’enseignants à propos de leurs perspectives concernant leur enseignement. Les entrevues ont abordé les thèmes suivants :

  1. Les perceptions des formateurs d’enseignants concernant la signification de l’autorégulation de l’apprentissage. L’accent a été mis sur leur propre biographie d’enseignement incluant : les attitudes et dispositions concernant l’autorégulation de l’apprentissage, leurs façons préférées d’intégrer l’autorégulation de l’apprentissage à leur enseignement et la « place » de l’autorégulation de l’apprentissage dans la présentation de cours en formation des maîtres en général.

  2. Les perceptions des formateurs d’enseignants concernant le processus d’enseignement de l’autorégulation de l’apprentissage à leurs étudiants, incluant : les expériences personnelles d’enseignants et les problèmes rencontrés dans l’enseignement basé sur ces principes dans leurs propres cours et instituts ; leur préparation des futurs enseignants et les habiletés requises pour développer l’autorégulation de l’apprentissage ; et leurs façons d’enseigner selon l’autorégulation de l’apprentissage.

  3. Les dilemmes auxquels les formateurs d’enseignants font face relativement à l’autorégulation de l’apprentissage incluent les expériences de tension et les problèmes autour des pratiques d’enseignement rencontrés lors de l’implantation de l’autorégulation de l’apprentissage dans leurs cours ; ils amènent des réflexions et des arguments en faveur de l’action délibérée à l’égard de la situation actuelle.

Lors des entrevues, un ensemble de questions de référence a été utilisé pour l’obtention d’affirmations et de commentaires. Chaque entrevue débutait par une explication des aspects conceptuels de l’autorégulation de l’apprentissage. L’interviewer décrivait la signification de l’autorégulation de l’apprentissage en s’appuyant sur les écrits ; il en demandait la signification perçue par le participant. Par la suite, dans une question ouverte, l’interviewer demandait au participant de décrire son expérience personnelle en rapport avec l’autorégulation de l’apprentissage (son histoire), avec l’enseignement dans le passé (rétrospective), de même que dans le présent, c’est-à-dire après l’implantation des principes d’autorégulation de l’apprentissage dans le programme de formation des maîtres.

L’interviewer s’assurait, au moyen de questions-sondes, lorsque nécessaire, d’aborder les thèmes suivants : l’enseignement à des futurs enseignants dans le passé, l’importance de l’autorégulation de l’apprentissage dans l’enseignement actuel du formateur d’enseignant (en général et dans l’enseignement en stage en particulier), les attentes de leurs étudiants concernant leur engagement dans les activités d’autorégulation de l’apprentissage dans leur enseignement, la préparation des étudiants par rapport au développement de l’autorégulation de l’apprentissage dans leur enseignement en stage.

Après l’exploration des expériences personnelles en enseignement des formateurs d’enseignants, l’adaptation de leur enseignement, basé sur l’autorégulation de l’apprentissage, a été abordée dans les entrevues. Les questions-sondes concernant la résolution de dilemmes étaient : est-ce que l’environnement éducatif du collège favorise l’autorégulation de l’apprentissage ? Est-ce que l’environnement de stage encourageait l’autorégulation de l’apprentissage ? Est-ce que les formateurs ont rencontré des difficultés/problèmes dans leur enseignement aux étudiants (c’est-à-dire, est-ce que des dilemmes ont été rencontrés) ? Comment les participants développent-ils leurs connaissances pédagogiques concernant l’enseignement basé sur l’autorégulation de l’apprentissage (de manière systématique, sporadique, intuitive, par la réflexion, l’autoévaluation, etc.) ? Est-ce que les formateurs d’enseignants utilisent des stratégies spécifiques (manière, ordre) pour s’adapter aux exigences d’un enseignement basé sur l’autorégulation de l’apprentissage ? Quel soutien reçoivent-ils (rencontres avec des collègues, livres, étudiants, pratique, etc.) ? Quelles sont les barrières qui bloquent les étudiants dans l’implantation de l’autorégulation de l’apprentissage ?

Analyse

Les entrevues ont été transcrites en vue d’une analyse de contenu (Hitchcock et Hughes, 1995). L’analyse de contenu des données d’entrevues a mis l’accent, de prime abord, sur la signification du concept d’autorégulation de l’apprentissage chez les formateurs d’enseignants (en général) et l’adaptation de ce concept aux exigences de leur enseignement en lien avec la préparation de leurs étudiants à l’enseignement en stage (en particulier), telle que vécue dans leurs cours en formation des maîtres. L’analyse de contenu comprend deux catégories descriptives et les affirmations des formateurs d’enseignants sont segmentées en conséquence.

  1. La conception de l’autorégulation de l’apprentissage telle que perçue par les formateurs d’enseignants, concernant le contenu (personnel) et les éléments attribués au concept, ses composantes telles que perçues par les formateurs d’enseignants, et leurs attitudes et préférences relatives à l’autorégulation de l’apprentissage. La première partie de l’entrevue a été principalement utilisée pour cette section de l’analyse de contenu par l’élaboration de phrases-synthèse, contenant des références à des définitions données, à des attributions, et à des explications concernant le concept d’autorégulation de l’apprentissage (enseignement).

  2. Le processus d’adaptation aux exigences d’un enseignement basé sur l’autorégulation de l’apprentissage, concernant les façons d’enseigner qui permettent le développement de l’autorégulation de l’apprentissage, c’est-à-dire les approches utilisées par le formateur d’enseignants dans son enseignement. Les thèmes ou affirmations qui ont émergé sous cette dernière catégorie ont été précédemment classifiés en deux groupes d’affirmations : les processus d’enseignement orientés vers l’individu et ceux orientés vers le groupe. Les processus du premier ensemble sont ceux qui font référence à l’enseignement d’habiletés à un seul étudiant lorsqu’il apprend par lui-même, tandis que les processus orientés vers le groupe ou collaboratifs sont ceux qui interviennent lorsque les étudiants interagissent avec d’autres au cours d’activités d’apprentissage basées sur des principes d’autorégulation de l’apprentissage (par exemple, l’apprentissage par problèmes et le travail collaboratif ou de groupe). Encore une fois, l’analyse de contenu a consisté à écrire des phrases-synthèse basées sur les affirmations du formateur d’enseignant.

Les données concernant l’autorégulation de l’apprentissage des futurs enseignants en particulier ont été analysées en parallèle avec deux questions mentionnées plus haut : le contenu et le sens que revêt pour les formateurs d’enseignant « faciliter l’autorégulation de l’apprentissage chez les futurs enseignants », l’amélioration des processus individuels et collaboratifs de développement de l’autorégulation de l’apprentissage chez les futurs enseignants.

Dans une analyse de second ordre, les problèmes perçus et les problèmes à résoudre dans l’enseignement de l’autorégulation de l’apprentissage ont été transposés en dilemmes. Les dilemmes réfèrent aux choix professionnels du formateur d’enseignant sur le plan des actions visant le développement des habiletés et des stratégies d’apprentissage des futurs enseignants. Les dilemmes sont interprétés en tant que manifestations réfléchies de choix délibérés d’actions dans les affirmations du participant, qui peuvent être classifiées dans plusieurs catégories de dilemmes qui ont finalement émergé d’une analyse récursive et inductive des protocoles (bottom-up). Ce processus a donné lieu aux catégories suivantes : théorie ou pratique ; réflexion ou action ; supervision ou mentorat ; enseignement explicite ou émergence de connaissances. Dans cette analyse de second ordre, les affirmations de chaque formateur d’enseignants sont classifiées en sélectionnant, à partir des phrases-synthèse, un problème et un choix mentionné par le formateur d’enseignants en référence à une catégorie de dilemmes. Cela vise à déterminer la position des formateurs d’enseignants par rapport à chacune des catégories à partir des problèmes qu’ils ont rencontrés dans leur enseignement basé sur l’autorégulation de l’apprentissage. La Figure 1 présente un aperçu de la répartition des données.

Figure 1

Schéma analytique utilisé dans l’analyse des données

Schéma analytique utilisé dans l’analyse des données

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Résultats

Les conceptions de l’autorégulation de l’apprentissage des formateurs d’enseignants : le contenu

Le Tableau 1 présente les résultats concernant les conceptions des formateurs d’enseignants, au sujet de l’autorégulation de l’apprentissage, et la façon dont ces formateurs perçoivent ce concept et entendent l’appliquer, en fonction de leur propre apprentissage et développement professionnel. Ces perceptions ont été divisées en deux grandes catégories mentionnées précédemment : le contenu de l’autorégulation de l’apprentissage et les processus d’enseignement basés sur l’autorégulation de l’apprentissage (pour une description du processus voir section qui suit).

Tableau 1

Conceptions des formateurs d’enseignants du contenu et du processus de l’autorégulation de l’apprentissage

Conceptions des formateurs d’enseignants du contenu et du processus de l’autorégulation de l’apprentissage

Note : Les nombres entre parenthèses représentent les fréquences auxquelles les formateurs d’enseignants ont mentionné un élément.

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La signification attribuée au concept d’autorégulation de l’apprentissage, telle que les formateurs d’enseignants l’ont reliée à leur propre position, a été exprimée en des termes très généraux et indéfinis, interprétant principalement l’autorégulation de l’apprentissage comme l’étude indépendante ou autonome. Les perceptions de l’autorégulation de l’apprentissage, en tant que moyen d’apprentissage en général, ont tendance à être principalement centrées sur le traitement de l’information sur une base individuelle. Toutefois, presque tous les formateurs d’enseignants ont trouvé difficile de relier cette activité d’investigation orientée vers l’étude à leur propre histoire d’enseignement ou de développement professionnel. Toutefois, quelques-uns (3) ont immédiatement établi la relation entre le concept et leur apprentissage professionnel, qui requiert, tel qu’ils l’interprètent, une mise à jour constante des connaissances et le développement d’une approche personnelle de l’enseignement. Pour eux, l’autorégulation de l’apprentissage était une façon évidente d’apprendre pour des professionnels. Les autres formateurs d’enseignants étaient très mal à l’aise avec la pertinence du concept d’autorégulation de l’apprentissage dans leur apprentissage, tel que mentionné par l’un d’eux :

En tant que professionnel, j’ai l’habitude de m’occuper de mon développement professionnel à ma façon, vous pouvez appeler ça l’autorégulation de l’apprentissage, mais ça ne couvre pas l’étendue de mes activités.

Vue comme un processus d’apprentissage, l’autorégulation de l’apprentissage s’est avérée difficile à appliquer pour la plupart des formateurs d’enseignants. En effet, ils ont eu de la difficulté à s’approprier l’autorégulation de l’apprentissage ou à l’incorporer à leur enseignement, car elle comporte des significations diverses en relation avec l’apprentissage des étudiants (voir aussi Zimmerman et Schunk, 2001). Ce qui semble a priori caractériser ce processus selon les formateurs d’enseignants, c’est la conscience accrue qu’a un individu de son propre apprentissage, et un engagement actif dans la poursuite du développement d’un grand professionnalisme. Pour eux, le concept d’apprentissage pour la vie semble en étroite relation avec la notion d’autorégulation de l’apprentissage.

En ce qui concerne les conceptions de l’apprentissage des étudiants en fonction de l’autorégulation de l’apprentissage, dans le domaine des habiletés individuelles, la réflexion a émergé comme l’élément principal relevé. Ce processus cognitif réfère à la réflexion critique et constructive à propos de son propre apprentissage. Des activités d’autorégulation de l’apprentissage qui ne prennent pas appui sur la réflexion à propos d’activités antérieures ne semblent pas conduire à l’amélioration des compétences d’apprentissage, selon les formateurs d’enseignants :

La réflexion devrait être inhérente à chaque étape de l’autorégulation de l’apprentissage.
Parallèlement à l’évaluation formative, la réflexion est pour moi un élément intrinsèquement formatif de mon apprentissage.

L’étude autonome et l’autoévaluation ont émergé comme composantes additionnelles des processus d’autorégulation de l’apprentissage dans l’enseignement aux étudiants. Les formateurs d’enseignants interviewés perçoivent ces composantes comme nécessaires et faisant partie intégrante de l’enseignement basé sur l’autorégulation de l’apprentissage. La rétroaction reçue est une condition favorable pour l’amélioration et le changement des pratiques d’un individu :

Si je n’évalue pas ton autorégulation de l’apprentissage, je sens que l’apprentissage est incomplet ; je préfère l’autoévaluation plutôt que de recevoir l’évaluation de collègues avec qui je collabore dans l’apprentissage de groupe, même si je sais que mon évaluation peut être subjective.

La nature collaborative de l’autorégulation de l’apprentissage, combinée avec un apprentissage indépendant et responsable, ont émergé comme les deux éléments principaux perçus par les formateurs d’enseignants et comme jouant un rôle important dans la transmission et le partage d’information avec leurs étudiants :

Apprendre par la collaboration n’est pas seulement satisfaisant mais aussi efficace. Dans les discussions, les participants apprennent les uns des autres, et réfléchissent aux idées des autres.

Il doit être noté, toutefois, que peu de formateurs d’enseignants font un lien entre leur apprentissage professionnel et le concept d’autorégulation de l’apprentissage, mais lorsque confrontés, ils acceptent volontiers la notion comme une image puissante de l’apprentissage, même si le concept réfère à différentes choses pour différentes personnes. Ce qui semble stable dans les conceptions de l’autorégulation de l’apprentissage, c’est sa nature orientée vers la recherche, principalement dirigée vers la réflexion personnelle et plus favorablement considérée quand la collaboration et l’échange sont impliqués. Employer l’autorégulation de l’apprentissage comme méthode d’apprentissage requiert des processus collaboratifs, des ateliers et la consultation avec des pairs ou collègues. Mais encore une fois, les formateurs d’enseignants eux-mêmes font rarement l’expérience d’activités collaboratives à travers des ateliers ou des conversations, même s’ils semblent considérer l’approche comme pertinente pour l’enseignement à leurs étudiants :

Vous devez principalement vous fier sur vous-même pour trouver de l’information et savoir qui connaît les sujets qui vous intéressent.

Les conceptions des formateurs d’enseignants de l’autorégulation de l’apprentissage : le processus d’apprentissage

Les données du Tableau 2 résument les perceptions des formateurs d’enseignants concernant l’enseignement de l’autorégulation de l’apprentissage à leurs étudiants.

Les formateurs d’enseignants ont décrit leur enseignement aux futurs enseignants au moyen de l’autorégulation de l’apprentissage, cette fois-ci encore en termes généraux, principalement comme l’étude indépendante, et plus spécifiquement comme la planification de séquences d’apprentissage, la réflexion, et la motivation à apprendre. Ces éléments sont dégagés de segments comme les suivants :

L’habileté d’apprendre de façon indépendante veut dire posséder les habiletés requises pour apprendre par soi-même, sans devoir dépendre des autres pour du guidage et de la rétroaction. Planifier la stratégie d’apprentissage, incluant les questions auxquelles on doit répondre ; sélectionner des sources de connaissances pertinentes ; et une réflexion critique sur ces processus sont ce que je vois comme principaux éléments de l’autorégulation de l’apprentissage chez mes étudiants.

Tableau 2

Perceptions des formateurs d’enseignants de l’enseignement de l’autorégulation de l’apprentissage à leurs étudiants

Perceptions des formateurs d’enseignants de l’enseignement de l’autorégulation de l’apprentissage à leurs étudiants

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L’autorégulation de l’apprentissage des futurs enseignants, telle que perçue par les formateurs d’enseignants, réfère à la pensée critique, à l’application des connaissances, à la préparation pour la pratique, ainsi qu’au traitement indépendant de l’information. Un formateur d’enseignants a formulé cela comme suit :

Les futurs enseignants doivent savoir qu’ils doivent apprendre pour eux-mêmes et être pleinement conscients de leurs façons d’étudier.

Les formateurs d’enseignants semblent principalement relier l’autorégulation de l’apprentissage à l’apprentissage pour la pratique lequel, selon leur conception, est plus motivant que la simple application de connaissances. Ils valorisent fortement l’autodéveloppement, la conscience de soi et l’indépendance. De plus, ils soulignent le besoin de réflexion critique, et soutiennent une orientation pratique de l’apprentissage :

Nous devons préparer les étudiants à enseigner dans des classes, et c’est précisément ce que les étudiants trouvent important, mais je trouve souvent difficile de les convaincre que l’apprentissage va au-delà de ce qu’ils trouvent à portée de la main.

La plupart des affirmations formulées semblent exprimer des inquiétudes, du fait que la plupart des phrases contiennent « nous devons », ou « les futurs enseignants doivent être », ou encore « il est important que » indiquant une prescription du formateur d’enseignants, tel qu’il est apparent dans l’affirmation suivante :

En tant que formateurs d’enseignants, c’est notre travail d’élever la conscience de soi des futurs enseignants, d’assumer la responsabilité de leur apprentissage ; parce que souvent ils ne planifient pas et n’organisent pas leur apprentissage de manière correcte.

Dans le domaine des processus et habiletés individuels, l’importance de la réflexion critique est soulignée :

La réflexion critique est une condition pour l’amélioration de l’autorégulation de l’apprentissage chez un individu. C’est sur cette base qu’un individu peut localiser les procédures efficaces et inefficaces qui facilitent ou nuisent à l’apprentissage.

De façon marquée, les étudiants sont tenus responsables de l’apprentissage efficace et actif, de la réalisation de tâches d’apprentissage, et de leur implication active dans une recherche critique et dans l’étude autonome. Comme préalable à cela, le développement de stratégies métacognitives et métamotivationelles est identifié comme un important facteur dans la facilitation de l’étude indépendante.

Les formateurs d’enseignants sont plutôt unanimes dans leur conception selon laquelle les étudiants ont besoin d’être guidés pour planifier, diriger et maintenir leur propre processus d’apprentissage. Cette croyance est dans presque tous les cas reliée à la conviction que les étudiants doivent développer une conception personnelle de l’enseignement et de l’apprentissage :

Nous devons guider les étudiants afin qu’ils soient capables de développer les conccepts nécessaires à leur enseignement. Il est important de se rappeler que l’apprentissage pour la vie et la prise en compte des développements relatifs à l’éducation sont cruciaux pour les enseignants.

Concernant les processus collaboratifs de l’autorégulation de l’apprentissage, les formateurs d’enseignants se fient beaucoup sur la sélection d’exercices pratiques appropriés et sur la préparation conjointe de cours. Ils insistent aussi sur la responsabilité des étudiants dans l’apprentissage de groupe. De plus, ils sont préoccupés par le fait que l’autorégulation de l’apprentissage implique que les étudiants apprennent de façon trop isolée, c’est-à-dire qu’il n’y a pas assez de coopération entre les futurs enseignants :

Vous devriez étudier ensemble ; nous devons rendre les futurs enseignants conscients du fait qu’ils peuvent apprendre les uns des autres.

À partir de cette analyse de premier ordre, il apparaît que l’autorégulation de l’apprentissage est vue comme une méthode d’enseignement qui active, qui amène la découverte et qui élève la conscience de soi et la motivation des futurs enseignants. Les formateurs d’enseignants se sentent pour une large part responsables de l’émergence de cet apprentissage, en grande partie au moyen de méthodes d’enseignement coopératives.

S’adapter aux demandes relatives à l’enseignement de l’autorégulation de l’apprentissage aux futurs enseignants : les dilemmes associés à l’enseignement de l’autorégulation de l’apprentissage

Le besoin reconnu de développer l’autorégulation de l’apprentissage chez les futurs enseignants donne lieu à plusieurs dilemmes qui, en retour, créent un certain nombre de difficultés pratiques associées à l’autorégulation de l’apprentissage. Les affirmations formulées dans les entrevues, exprimant plusieurs orientations et inquiétudes concernant l’enseignement, ont été classifiées selon les catégories de dilemmes suivantes : théorie - pratique ; réflexion - action ; supervision - mentorat ; intitiative de l’enseignant - l’étudiant (voir le tableau 3).

Les dilemmes les plus fréquemment mentionnés dans la catégorie de la théorie ou pratique sont exprimés comme suit :

Nous nous occupons en priorité de la théorie et rarement du coaching de la pratique. Il y a vraiment peu de temps pour faire autre chose que s’occuper du contenu prescrit dans le programme...

Tableau 3

Nature des dilemmes rencontrés avec l’autorégulation de l’apprentissage catégorisés selon les orientations de l’enseignement des formateurs d’enseignants

Nature des dilemmes rencontrés avec l’autorégulation de l’apprentissage catégorisés selon les orientations de l’enseignement des formateurs d’enseignants

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Les formateurs d’enseignants sont très conscients des orientations de l’enseignement basé sur l’autorégulation de l’apprentissage centrées sur l’étudiant, mais tous n’ont pas intégré ces orientations ou n’enseignent pas en conséquence. Toutefois, en raison de politiques innovantes dans l’enseignement en classe et de nouvelles perspectives sur la présentation des cours dans la formation des maîtres, qui favorisent une enseignement orienté vers l’autorégulation de l’apprentissage (McLaughlin et Oberman, 1996), les formateurs d’enseignants se retrouvent souvent en situation de dilemme : est-ce qu’il est préférable de poursuivre ses méthodes traditionnelles et bien établies, centrées sur l’enseignant, dans lesquelles on a été socialisé, ou d’adopter de nouvelles façons d’enseigner ? Cela constitue une réelle préoccupation pour plusieurs d’entre eux :

Durant ma carrière, mon enseignement a été centré sur la théorie. Je suis bien meilleur de cette façon que dans mon enseignement centré sur la pratique. Cela crée un dilemme pour moi.

Un certain nombre de formateurs d’enseignants ont exprimé de fortes convictions selon lesquelles les façons traditionnelles d’enseigner fonctionnent mieux, si ce n’est pour tous les étudiants, au moins pour quelques-uns d’entre eux :

Je n’ai vu aucune étude qui montre sans aucun doute que l’enseignement centré sur l’étudiant donne de meilleurs résultats que l’enseignement centré sur l’enseignant. Néanmoins, je combine les deux façons d’enseigner juste par sécurité.

Le dilemme orienté vers la réflexion ou l’action concerne la focalisation soit sur les croyances et conceptions des futurs enseignants comme pierres angulaires pour la construction de connaissances et d’expertise avant d’entrer dans des situations de pratique, soit sur les expériences et le développement de l’engagement actif dans la pratique en classe. Un formateur d’enseignants a expliqué ce dilemme comme suit :

Devrions-nous enseigner la réflexion ou la laisser survenir chez les étudiants ? C’est quelquefois difficile à décider...

Le dilemme de la supervision ou mentorat a été, dans la plupart des cas, décrit comme l’exercice d’un contrôle strict ou flexible de l’apprentissage. Il concerne le choix délibéré entre le fait de donner aux étudiants la liberté de choisir la quantité et la stratégie d’apprentissage, et celui de laisser cette liberté entièrement au formateur :

Je suis souvent troublé par la question du degré de liberté que je devrais laisser à mes étudiants concernant les décisions à propos de leur apprentissage.

Le dilemme concernant l’initiative du formateur ou l’initiative de l’étudiant a donné lieu à plusieurs questions concernant le choix des méthodes et la disponibilité des alternatives pour enseigner différemment. Plusieurs formateurs d’enseignants ont remarqué que donner une plus grande responsabilité aux étudiants dans l’identification des problèmes et la formulation de questions pour la discussion est une procédure chronophage, qui peut potentiellement diminuer le niveau et la qualité de l’apprentissage :

Je tiens pour acquis que les questions et problèmes que je propose sont plus pertinents et requièrent un apprentissage plus profond en comparaison avec ceux proposés par les étudiants. D’un autre côté, si je ne leur fournis pas d’occasions de prendre des initiatives, comment vont-ils devenir des instigateurs dans le futur ?

En somme, les dilemmes rencontrés par les formateurs d’enseignants concernent les difficultés qu’ils vivent en fonction des connaissances, habiletés et attitudes des étudiants relativement à l’autorégulation de l’apprentissage et en fonction des buts d’autorégulation de l’apprentissage devant être atteints tels qu’appréhendés à partir de l’orientation de l’enseignement du formateur d’enseignants. Dans l’approche centrée sur l’enseignant, une réelle préoccupation est exprimée concernant le fait de « couvrir » tout le contenu ; les formateurs d’enseignants se sentent responsables de fournir les connaissances prescrites dans le programme. Cela crée un conflit sérieux entre, d’une part, le besoin de couvrir une certaine quantité de matière et la préparation aux demandes immédiates de la pratique et, d’autre part, la nécessité de développer l’initiative et de la réflexion des étudiants. Dans la perspective centrée sur l’étudiant, une inquiétude et un dilemme similaires sont apparents. La motivation à apprendre des étudiants et leur liberté de trouver leurs propres façons de maîtriser le contenu sont prédominants. Toutefois, les étudiants ne sont pas tous considérés comme capables d’exploiter une telle liberté d’apprendre. Aussi, l’infrastructure et le matériel d’apprentissage ne sont pas en mesure, très souvent, de rencontrer les normes requises pour cette approche d’enseignement.

Discussion

Les conceptions des formateurs d’enseignants à propos de l’autorégulation de l’apprentissage pour l’enseignement à leurs étudiants ainsi que les dilemmes qu’ils rencontrent lors de l’implantation de pratiques d’enseignement basées sur l’autorégulation de l’apprentissage ont été étudiés pour révéler la façon dont des formateurs d’enseignants se préparent à de nouvelles approches d’enseignement. En général, les formateurs d’enseignants favorisent une approche réflexive de l’acquisition de connaissances en enseignement et sont en faveur de l’étude indépendante, tant pour eux-mêmes que pour leurs étudiants. Ils définissent l’autorégulation de l’apprentissage en des termes généraux, et seulement quelques éléments sont formulés plus spécifiquement et opérationnellement. Les protocoles d’entrevue laissent entendre que plus l’expression de l’autorégulation de l’apprentissage est générale et vague, plus la clarté diminue et plus l’accord augmente.

Comme dans des études antérieures (Kremer Hayon et Tillema, 1999), l’apprentissage autonome est encouragé davantage comme une façon d’autoréguler l’apprentissage dans la formation des maîtres. Fait à noter, ces conceptions sont en accord avec les perceptions des formateurs d’enseignants concernant leur propre apprentissage. De plus, les formateurs d’enseignants considèrent la réflexion et l’étude autonomes comme des habiletés importantes pour le développement de l’autorégulation de l’apprentissage chez leurs étudiants et s’attendent à ce que ces habiletés soient pratiquées à travers la collaboration (dirigée par les étudiants ; travail de groupe) et l’échange (discussion).

Concernant les dilemmes rencontrés, la plupart sont mentionnés dans la catégorie théorie ou pratique. Dans un sens optimal, la théorie et la pratique se soutiennent l’une et l’autre en un processus cyclique. Quoique intégrée de façon inhérente dans le dilemme théorie-pratique, l’autorégulation de l’apprentissage en soi ne peut combler ce vide sans une activité où les étudiants sont plus impliqués et motivés ; l’autorégulation de l’apprentissage peut offrir une meilleure vue d’ensemble et une meilleure préparation pour la compréhension de la pratique.

Deux groupes de dilemmes — supervision ou mentorat et initiative de l’enseignant versus initiative de l’étudiant — semblent fusionner en une dimension sous-jacente plus large, c’est-à-dire en une orientation de l’enseignement traditionnelle et rigide ou une réorientation progressive et flexible. Ces orientations de l’enseignement résultent de la confiance des formateurs d’enseignants dans l’habileté à apprendre des étudiants. Dans cette dimension, les participants réfèrent au besoin de degrés de rigidité du contrôle à exercer, de la responsabilité et des occasions de liberté dans l’apprentissage des étudiants, qui requièrent un suivi minutieux et l’évaluation du progrès des étudiants. Les formateurs d’enseignants, en faveur d’un enseignement de l’autorégulation de l’apprentissage centré sur les étudiants, estiment que l’habileté des étudiants à ce sujet est plus grande que chez ceux qui favorisent la vision de l’enseignement orientée par la matière ou la vision traditionnelle. La même chose est vraie pour le dilemme concernant la personne qui prend l’initiative de l’apprentissage et de l’évaluation, incluant la sélection des buts et l’appréciation, la localisation des sources d’information par le formateur d’enseignants versus par les étudiants, ce qui consiste à les laisser prendre conscience de l’amélioration de leur performance. Les formateurs d’enseignants entretenant une vision de l’enseignement plus traditionnelle tendent à intervenir à un stade antérieur à ceux favorisant une vision indépendante de l’apprentissage.

Cela peut conduire à la conclusion que même si le contenu des dilemmes rencontrés par les formateurs d’enseignants concernant l’autorégulation de l’apprentissage est plus ou moins identique, la nature et la direction des actions menées relativement à l’autorégulation de l’apprentissage semblent dépendre des visions personnelles de l’enseignement. L’évaluation de l’autorégulation de l’apprentissage en tant que méthode en formation des maîtres semble être intégrée aux croyances et perceptions des problèmes rencontrés dans l’implantation des rôles d’enseignement basé sur l’autorégulation de l’apprentissage. Les formateurs d’enseignants interviewés sont conscients que leur rôle est en évolution et sont à la recherche de nouvelles approches constructives de l’enseignement basées sur l’autorégulation de l’apprentissage recherchent de nouvelles façons d’initier, de concevoir, d’adapter et d’agir en accord avec leur conception de l’autorégulation de l’apprentissage. Cela souligne que les formateurs d’enseignants, en tant que leaders de classe, aspirent continuellement à faire une différence cruciale dans la mesure où leurs réflexions, conceptions, et perspectives sont importantes dans la mise en pratique (grounding) de leur enseignement et de leur préoccupation pour la préparation professionnelle de leurs étudiants. Ils sont des « agents réfléchis » qui luttent pour avoir un impact sur l’apprentissage de leurs étudiants.

Cette étude a examiné l’autorégulation de l’apprentissage dans le contexte de la formation des maîtres du point de vue des perceptions et dilemmes des formateurs d’enseignants. Elle a montré comment des formateurs d’enseignants s’orientent afin d’aider leurs étudiants de manière professionnelle à devenir des enseignants. Fait intéressant, aucune dépendance linéaire ou univoque n’a été observée entre les perceptions de la signification et du processus de l’autorégulation de l’apprentissage, d’une part, et entre la façon dont les dilemmes sont rencontrés dans la pratique de l’autorégulation de l’apprentissage, d’autre part. Les dilemmes rencontrés peuvent être interprétés comme des problèmes persistants, actuels, rencontrés dans l’environnement de travail des formateurs d’enseignants (Lampert, 1997). La façon dont ils sont abordés dépend de la réflexion, des croyances et du raisonnement professionnel et conceptuel des formateurs d’enseignants, qui peuvent mener à différentes réalisations ou solutions dans l’enseignement basé sur l’autorégulation de l’apprentissage (Paris et Paris, 2001). En regard de cela, l’importance de cette étude vient de la découverte des dilemmes associés au travail des formateurs qui peuvent élargir la conscience de professionnels considérant l’adoption et la pratique de nouvelles approches dans leur enseignement. Par ailleurs, l’investigation autonome (self-study) et la découverte de dilemmes par les formateurs d’enseignants eux-mêmes pourraient étayer leurs efforts d’amélioration de leur enseignement et communiquer de nouvelles approches et pratiques à leurs étudiants. En effet, le temps et l’investissement accordés à la clarification des dilemmes peuvent améliorer la réflexion concernant la pratique quotidienne de l’enseignement (Van Manen, 1991). Toutefois, les formateurs d’enseignants indiquent que poursuivre une meilleure compréhension des complexités de l’enseignement requiert un changement considérable sur le plan des pratiques dans un environnement de formation souvent restrictif (Hargreaves, 1997), ce qui demande en conséquence une restructuration des conditions d’enseignement pour une formation des maîtres basée sur l’autorégulation de l’apprentissage. Même conscients des dilemmes impliqués, seulement quelques formateurs d’enseignants ont l’occasion d’agir sur ceux-ci. Toutefois, en dépit de cette limite, les dilemmes peuvent quand même être utiles pour articuler les pratiques, pour scruter et examiner les croyances et pour expliciter des croyances tacites, et ainsi fournir une façon de construire une pédagogie de la formation des maîtres (Loughran, 1996).

Le cadre théorique des dilemmes en tant qu’unité de réflexion, de choix et d’action, peut fournir un outil intéressant pour cadrer la réflexion professionnelle des formateurs d’enseignants et relier la réflexion et l’action. En tant qu’outil conceptuel (Bereiter, 2002), la construction et l’analyse des dilemmes rencontrés peut soutenir la mise en place d’un discours évolutif sur la compréhension de situations chez les formateurs d’enseignants et les convier à mettre à jour la façon dont leurs conceptions sont reliées à leurs actions. De cette façon, utiliser les dilemmes peut constituer une approche professionnelle de l’avancement des connaissances.