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1. Introduction

Le but des récentes réformes dans les milieux scolaires canadiens est, entre autres, d’améliorer la qualité du français écrit des élèves francophones en mettant l’apprenant au coeur de son apprentissage et en le faisant participer à des tâches complexes. L’école renouvelée au Nouveau-Brunswick (Ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick, 2004) et la réforme de l’éducation au Québec (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2000) visent le transfert des connaissances déclaratives en connaissances procédurales et conditionnelles, notamment en écriture, par le biais de l’objectivation (faire le bilan de l’atteinte ou non de ses objectifs de départ), de l’évaluation formative (évaluation faite en cours d’apprentissage dans le but d’aider l’élève à se corriger et à progresser) et de la différenciation pédagogique (diversification des formules pédagogiques en fonction des capacités, des goûts, des intérêts des élèves et des situations). Ces stratégies devraient favoriser l’application des règles syntaxiques et grammaticales ainsi que le respect de l’orthographe d’usage en situation de production de texte.

Or, dans le cadre de l’enseignement de l’écriture, les démarches d’objectivation et d’évaluation formative sont souvent des tâches lourdes pour les enseignants, qui doivent composer avec des brouillons truffés d’erreurs et de problèmes de cohérence textuelle (Cavanagh, 2006). Bien que les élèves soient parfois placés en dyades pour corriger les erreurs de leur coéquipier, le milieu scolaire fournit peu d’outils concrets pour que les élèves puissent rétroagir efficacement aux textes de leurs pairs.

Cette recherche-action a comme objectif d’examiner l’impact d’un dispositif pédagogique qui consiste à donner une rétroaction aux apprentis-scripteurs en cours de rédaction. Il s’agit du groupe de révision rédactionnelle (Blain, 2003) connu sous le nom de peer response group dans les recherches anglophones (DiPardo et Freedman, 1988), qui se définit comme une rencontre entre un scripteur et ses pairs, au cours de laquelle le scripteur lit à haute voix son texte et reçoit des commentaires oraux des membres du groupe, tant sur le fond que sur la forme. Ces commentaires peuvent prendre la forme de remarques positives, de questions et de suggestions. En effet, les remarques négatives ne sont pas permises puisqu’elles peuvent nuire au bon esprit de groupe (Blain, 2001).

Notre recherche s’est déroulée dans deux contextes linguistiques différents. Nous avons choisi des élèves francophones au Québec, seule province officiellement et majoritairement francophone du Canada, et des élèves francophones du Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue où les francophones représentent 33 % de la population. Nous avons voulu vérifier si ce dispositif pédagogique avait des effets semblables ou différents selon le contexte linguistique.

Avant de décrire en détails cette intervention pédagogique dans le cadre méthodologique, nous situerons, dans la section suivante, la problématique et le cadre théorique qui ont inspiré nos questions de recherche. Suivront l’analyse et l’interprétation des résultats et nos conclusions.

2. Problématique et contexte théorique

Les résultats des élèves francophones en écriture posent le problème de l’enseignement-apprentissage du français au Canada. En effet, les études qui ont mesuré la compétence à écrire des élèves néo-brunswickois (Conseil des ministres de l’Éducation du Canada, 2004 ; Groupe DIEPE, 1995) montrent que ces derniers éprouvent de grandes difficultés en rédaction, surtout en ce qui a trait à l’application des connaissances orthographiques, grammaticales et syntaxiques dans leurs écrits. Ces résultats indiquent que, même si l’écriture constitue une des tâches scolaires les plus difficiles et les plus complexes pour l’ensemble des écoliers, elle l’est encore davantage pour les élèves francophones des milieux minoritaires (Cavanagh, 2006). Ces difficultés viennent, entre autres, du fait que les élèves perçoivent souvent le français comme une langue artificielle, qu’ils éprouvent de l’insécurité linguistique et qu’ils manquent d’occasions d’écrire en français. Ces difficultés sont également liées au contexte social anglodominant ainsi qu’à l’appartenance, pour plusieurs élèves, à des foyers exogames où la langue d’usage est l’anglais (Landry, 2003) ; ils ont alors peu l’occasion de communiquer en français dans le cadre d’échanges réels à l’extérieur de la classe. Quand vient le temps de s’exprimer en français, tant à l’écrit qu’à l’oral, les enfants ressentent souvent un manque de confiance dans leur habileté, qui se traduit par la peur de faire des fautes ou d’être ridiculisés. Ils préfèrent alors se réfugier dans le silence ou recourir à l’anglais pour exprimer leurs idées, ce qui, à la longue, ne fait que renforcer leur sentiment d’insécurité linguistique (Boudreau et Dubois, 1992 ; Lafontaine et Blain, 2007).

Du côté du Québec, milieu linguistique majoritaire, les enquêtes internationales soutenues par l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE (Programme international pour le suivi des acquis des élèves [PISA], 2001 ; 2007) indiquent que la majorité des adolescents et des jeunes adultes québécois obtiennent des résultats en écriture 10 % inférieurs aux attentes du public (Conseil des ministres de l’Éducation du Canada, 2003). Toutefois, notre étude s’est déroulée en Outaouais, qui est une zone québécoise frontalière de la région d’Ottawa, où l’anglais et le français sont parlés. Le taux de réussite du test de français écrit de fin d’études secondaires de cette région est de 70,9 %, en deçà de la moyenne provinciale de 74,9 % (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Il est donc possible que certains de ces élèves, tout comme ceux du Nouveau-Brunswick, n’entretiennent pas de rapport positif avec la langue (Cormier, 2005 ; Lafontaine et Messier, 2009), ce qui pourrait avoir un effet sur leurs résultats en écriture.

2.1 Enseignement axé sur les processus cognitifs

L’apprentissage de l’écriture est donc une préoccupation en enseignement du français tant au Nouveau-Brunswick qu’au Québec, comme en font foi les nombreux rapports et commissions qui se sont préoccupés de la question. Depuis quelques décennies déjà, et ce, afin d’améliorer l’apprentissage de tous les élèves en écriture, les chercheurs plaident en faveur d’un enseignement de l’écriture axé sur le processus plutôt que sur le produit. Selon le modèle de Hayes (1996), l’écriture d’un texte s’apparente à une résolution de problème complexe où le scripteur doit tenir compte des contraintes globales (intention d’écriture, enjeux, type de texte, besoin du lecteur) et locales (orthographe grammaticale, syntaxe, orthographe d’usage, ponctuation, etc.). Ainsi, le scripteur passe par différentes phases lors de la rédaction : la planification, la rédaction et la révision. Ces étapes sont récursives ; le scripteur peut, par exemple, modifier son plan initial en cours de rédaction ou réviser son texte avant d’avoir terminé son premier brouillon.

Le rédacteur doit gérer simultanément ces diverses opérations : il doit à la fois garder en mémoire ses idées, les relier d’une manière logique et respecter le code orthographique ou syntaxique. Il se trouve ainsi en état de surcharge cognitive. Cette surcharge cognitive est particulièrement critique chez les enfants.

Garcia-Debanc, 1986, p. 29

2.2 Interactions verbales en apprentissage de l’écriture

Afin d’alléger cette surcharge cognitive, les approches pédagogiques de type socioconstructiviste privilégient les interactions entre les pairs (Cavanagh, 2006). Ces interactions verbales, dans le cadre du processus rédactionnel, se concrétisent en tant que rencontres entre le scripteur et l’enseignant, le scripteur et ses pairs ou encore le scripteur, l’enseignant et les pairs. Elles consistent en un moyen de rétroaction à chaque étape du processus (DiPardo et Freedman, 1988). Les théories psycholinguistiques de Vygotsky (1978) mettent également l’accent sur les interactions sociales dans l’apprentissage. Selon ce dernier, ce sont les pairs qui soutiennent l’apprentissage lorsque la tâche demandée se situe dans la zone proximale de développement. Vygotsky (1978, p. 86) définit cette zone comme […] la distance entre le niveau de développement réel déterminé par la résolution de problème indépendante et le développement potentiel déterminé par la résolution de problème à l’aide d’adultes ou en collaboration avec pairs plus capables. Ce chercheur définit aussi l’acte d’écrire comme […] une action fortement abstraite et délibérée qui présuppose l’existence d’un discours intérieur, d’une fonction mentale dont l’évolution est à son tour liée au discours social externe (1986, p. 182). L’apprentissage de l’écriture impliquerait donc une variété de processus internes qui s’actualisent lors d’interactions avec les personnes de l’environnement ou en collaboration avec les pairs (Blain, 2001 ; Rollinson, 2005). En somme, pour Vygotsky (1986), l’apprentissage n’est pas une activité individuelle, mais plutôt une activité cognitive qui se produit lors d’interactions sociales (Zhu, 2001).

En apprentissage d’une langue seconde (comme c’est le cas pour certains francophones en milieu minoritaire qui arrivent à l’école avec un bagage limité en français), le rôle des interactions sociales ou de l’output demeure un élément clé dans l’acquisition de cette langue (Swain, 2000). En effet, la production du langage permet aux apprenants de remarquer les lacunes en ce qui a trait à leurs connaissances linguistiques, ce qui les pousse à agir pour combler ces manques (Swain, 2000). Nous postulons que les groupes de révision rédactionnelle permettent cet output ou cette production langagière, tant à l’oral qu’à l’écrit, et peuvent donc s’avérer bénéfiques pour tous les apprenants, surtout pour ceux qui grandissent en milieu minoritaire.

Par le biais des interactions sociales, cet output vise ultimement un meilleur transfert des connaissances, comme le préconise l’enseignement stratégique (Tardif, 1992). En effet, l’enseignement stratégique a aussi pour but le transfert des connaissances que Tardif et Meirieu (1996, p. 4) définissent comme [...] une forme de recontextualisation [...], une sorte de transport de la connaissance en question d’une situation A à une situation B et, idéalement, à N + 1 situations. L’approche proposée ici, le groupe de révision rédactionnelle, combine deux interventions privilégiées en enseignement stratégique : 1) favoriser les interactions sociales en classe par le biais de discussions et d’objectivations pour permettre aux élèves de discuter, de négocier le sens de l’objet d’apprentissage et d’en construire une compréhension commune ; 2) mettre en place des outils d’évaluation formative. Dans ce dernier cas, il s’agit principalement d’évaluer dans le but d’aider et non de sanctionner, tout en apprenant aux élèves à adopter une attitude positive à l’égard de l’erreur.

2.3 Transfert des connaissances

Afin de faciliter ce transfert des connaissances, les enseignants doivent proposer des activités d’apprentissage qui permettent à l’apprenant d’établir, par raisonnement analogique, des similitudes entre la tâche source, c’est-à-dire le contexte initial d’acquisition des apprentissages, et la tâche cible, soit le transfert des connaissances apprises lors de rédactions autonomes subséquentes, dans un contexte de résolution de problèmes (Tardif et Presseau, 1998). Or, il appert que 

[…] le transfert doit s’enseigner en même temps que les connaissances de base que l’on souhaite voir transférer et non après. Les associations entre contextes ou entre domaines, qui sont à la base du transfert des connaissances, font partie intégrante des connaissances à transmettre.

Mendelsohn, 1996, p. 18

Théoriquement, la rétroaction verbale des pairs pourrait donc favoriser le transfert des connaissances déclaratives et procédurales en situation de rédaction où s’acquièrent les connaissances conditionnelles (Blain et Painchaud, 1999), puisqu’elle permettrait de faire le lien entre la tâche source et la tâche cible. Il importe que le transfert prenne en considération le sens que l’élève donnera aux apprentissages réalisés. La tâche source doit donc être significative et proche de la vie réelle pour l’apprenant si l’on veut que ce dernier puisse faire des transferts judicieux (Tardif et Presseau, 1998).

2.4 Effets de la rétroaction verbale des pairs

Plusieurs chercheurs en didactique de l’écriture ont examiné les effets de la rétroaction verbale des pairs en langue première et seconde, tant chez les enfants que chez les adultes (Beer-Toker, Huel et Richer, 1991 ; Blain, 2001 ; Blain et Painchaud, 1999 ; Brakel-Olson, 1990 ; Connor et Asenavage, 1994 ; Gere et Stevens, 1985 ; Harris, Graham et Mason, 2006 ; Mendonça et Johnson, 1994 ; Nelson et Murphy, 1993 ; Samway, 1987 ; Storch, 2005 ; Urzùa, 1987 ; Watanabe, 2008).

Ces recherches sur les groupes de révision rédactionnelle donnent des résultats positifs, quoique parfois mitigés, au sujet de l’apprentissage de l’écriture. En effet, selon certains chercheurs, les scripteurs intègrent 81 % (Droge, 1991), 74 % (Villamil et De Guerrero, 1998), 5 % (Connor et Asenavage, 1994) ou environ la moitié (Blain et Painchaud, 1999 ; Mendonça et Johnson, 1994 ; Nelson et Murphy, 1993 ; Samway, 1987 ; Urzùa, 1987) des commentaires de leurs pairs sous forme de révisions. Les résultats de plusieurs études montrent également que les révisions améliorent la qualité de l’écriture (Berg, 1999 ; Blain, 2001 ; Blain et Painchaud, 1999 ; Droge, 1991 ; Kern et Schultz, 1992 ; Paulus, 1999), exception faite de l’étude de McGroarty et Zhu (1997), où il n’y a pas eu d’amélioration pour les scripteurs. Par ailleurs, un entraînement préalable permet souvent d’augmenter la quantité et d’améliorer la qualité des révisions (Berg, 1999 ; McGroarty et Zhu, 1997). En effet, certains scripteurs semblent, à la suite des révisions, être plus à même de faire des changements grammaticaux dans leurs compositions, ce qui mène à une amélioration (Villamil et De Guerrero, 1998). Généralement, les scripteurs adoptent aussi une attitude positive face à la rétroaction verbale de leurs pairs (Bell, 1991 ; Mendonça et Johnson, 1994), quel que soit leur niveau de compétence en langue (Storch, 2005 ; Watanabe, 2008), quoique certains puissent préférer la rétroaction de l’enseignant (Nelson et Carson, 1998). Plus récemment, les approches en enseignement de l’écriture privilégient l’intégration des interactions entre les pairs pour favoriser l’apprentissage des stratégies de gestion du processus, tant pour l’apprentissage de l’écriture en milieu majoritaire (Lafontaine et Blain, 2007), pour les élèves en milieu minoritaire (Cavanagh, 2007) que pour les élèves de l’immersion (Kristmanson, Dicks, Le Bouthillier et Bourgoin, 2008).

Bien que le groupe de révision rédactionnelle soit un dispositif didactique de plus en plus populaire, aucune étude n’a permis de vérifier quels types de commentaires sont intégrés ni pourquoi le scripteur en tient compte. À notre connaissance, une seule étude (Blain, 2001) a examiné l’impact de la rétroaction verbale des pairs sur le transfert. Selon cette étude, il semble que quatre élèves francophones de 4e année vivant en milieu linguistique minoritaire au Nouveau-Brunswick étaient capables, lors de rédaction autonome, de réinvestir certaines connaissances apprises en groupe, notamment en orthographe grammaticale. En l’absence de groupe témoin, il reste cependant difficile d’affirmer que ce transfert était dû uniquement à la rétroaction des pairs.

2.5 Défis particuliers des minorités francophones au Canada

Ces derniers résultats obtenus avec des élèves francophones du Nouveau-Brunswick nous amènent à nous questionner sur les problématiques particulières de l’enseignement-apprentissage de la langue écrite dans un contexte de minorité. En effet, les défis sont nombreux pour les francophones minoritaires au Canada. L’indice de continuité linguistique chez les francophones vivant à l’extérieur du Québec illustre ce dernier propos, avec une valeur de seulement 0,64 (variant de 0,92 au Nouveau-Brunswick à 0,29 en Colombie-Britannique et en Saskatchewan, O’Keefe, 2001). Selon la définition de O’Keefe (2001, p. 56), l’indice de continuité linguistique

[…] représente la relation entre le nombre de personnes qui parlent le français le plus souvent à la maison et le nombre de personnes dont le français est la langue maternelle. Un indice de continuité linguistique inférieur à 1 signifie que le français enregistre plus de pertes que de gains dans ses échanges avec d’autres langues.

Éviter l’assimilation demeure donc un défi de taille, même au Nouveau-Brunswick francophone, qui gère toutes ses écoles de façon autonome. Parmi les facteurs qui expliquent ce phénomène, il y a, entre autres, le milieu anglodominant et le mariage exogame, qui limitent souvent les occasions de parler en français dans la communauté et dans la famille (Cormier, 2005). Dans ce contexte, l’école en milieu minoritaire a un rôle important à jouer pour compenser le peu d’occasions d’utiliser la langue maternelle. En effet, elle doit contrer l’insécurité linguistique dont souffrent plusieurs francophones qui grandissent en milieu minoritaire et se sentent incapables de bien parler la langue (Blain et Lowe, 2009). Pour développer cette compétence, Cormier (2005) recommande l’optimalisation de la production et de la réception langagières en français, et ce, pour toutes les matières scolaires. Nous postulons que le groupe de révision rédactionnelle permettrait cette optimalisation, puisque communication orale, écriture et lecture (à haute voix de son propre texte et celle des pairs) sont mises en oeuvre en même temps au sein de celui-ci. Nous croyons aussi que les rétroactions verbales des pairs permettent de développer un rapport positif à la langue, puisque les élèves ont ainsi l’occasion de parler pour apprendre. En effet, avoir de vraies discussions favorise le développement des compétences orales, celles-ci étant associées à une identité franco-dominante (Cormier, 2005).

Ces recommandations concernant le milieu linguistique minoritaire peuvent également s’appliquer au contexte canadien, puisque les élèves québécois éprouvent aussi des difficultés en écriture quand on compare leur performance à celle des élèves suisses et français (Groupe DIEPE, 1995). La présente recherche, qui s’est déroulée à la fois en contexte majoritaire (Québec) et minoritaire (Nouveau-Brunswick), nous a permis de vérifier l’impact du groupe de révision rédactionnelle dans ces deux contextes.

Les considérations précédentes ainsi que le manque de données empiriques concernant le transfert des connaissances à la suite de la rétroaction verbale des pairs nous amènent à formuler les questions de recherche suivantes :

  1. Quels types de commentaires se retrouvent sous forme de révisions dans les textes des participants ?

  2. Les participants intègrent-ils les connaissances apprises en groupe lors de rédactions autonomes ?

  3. Les résultats sont-ils semblables ou différents selon les contextes linguistiques minoritaire ou majoritaire ?

3. Méthodologie

La démarche d’investigation de cette recherche-action de type collaboratif est le développement contrôlé d’un outil pédagogique expérimenté dans deux groupes expérimentaux (un par province). Cet outil pédagogique consiste en des rencontres entre pairs qui rétroagissent aux textes qu’ils ont écrits individuellement. En début d’année scolaire (2003-2004), avant la collecte des données, les élèves des groupes expérimentaux ont reçu un entraînement donné par la chercheuse principale sous forme de modelage, afin qu’ils s’approprient les procédures à suivre lors des groupes de révision rédactionnelle, procédures adaptées de Blain (2001). Dans chaque école, il y avait un groupe témoin équivalent aux groupes expérimentaux respectifs selon les modalités de répartition des groupes dans les écoles. Ces deux groupes témoins (un par province) ont rédigé les mêmes types de textes que les élèves des groupes expérimentaux (un par province également) et à la même fréquence, mais sans avoir reçu d’aide de leurs pairs. Ces élèves, lors de l’étape de révision et de correction du brouillon, pouvaient consulter leurs outils de référence ou l’enseignante.

3.1 Sujets

Les participants étaient des enfants âgés de 10 ans qui fréquentaient deux classes de 4e année à Moncton, au Nouveau-Brunswick, et deux classes de 4e année à Gatineau, au Québec (un groupe témoin et un groupe expérimental dans chaque province) pour un total de 72 participants. Précisons que les élèves de Moncton vivent dans un milieu à 60 % anglophone, tandis que ceux qui habitent la ville de Gatineau sont majoritairement francophones (87 %), malgré la proximité d’Ottawa (Ontario). Les enseignantes de ces quatre classes se sont portées volontaires pour participer à la recherche.

3.2 Déroulement et collecte des données

Pour la recherche, les élèves ont rédigé six compositions (une par mois, d’octobre 2003 à mars 2004) pour lesquelles nous avons gardé le 1er brouillon et la copie finale, pour un total de 852 textes. Les deux classes du groupe expérimental ont participé aux groupes de révision rédactionnelle pour les 1e, 3e et 5e compositions. Parmi celles-ci, nous avons sélectionné au hasard huit élèves par province (16 participants en tout, quatre équipes de quatre enfants), pour lesquels nous avons enregistré les interactions de groupes des 1e, 3e et 5e compositions pour un total de 24 séances. Ces groupes ont été placés dans des locaux à l’extérieur de la classe pour préserver la qualité sonore de l’enregistrement. Ils recevaient les mêmes consignes que le reste de la classe et ils avaient accès à l’aide des adultes, au besoin. Les verbatims de ces rencontres ont été retranscrits.

Les deux classes du groupe témoin ont rédigé le même genre de textes et ont suivi les procédures habituelles de la classe, c’est-à-dire que les enseignantes donnaient une rétroaction orale ou écrite à leurs élèves et que ceux-ci avaient accès aux outils de correction habituels (grammaires, dictionnaires, etc.). Les deux classes du groupe expérimental ont eu le même traitement que le groupe témoin pour les 2e, 4e et 6e compositions, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas accès à la rétroaction verbale de leurs pairs.

Notre collecte des données s’est effectuée d’octobre 2003 à mars 2004. Pour chaque composition, les élèves des groupes expérimentaux se rencontraient deux fois. La première rencontre portait principalement sur le fond ou la grammaire du texte (cohérence, organisation, etc.) et la seconde, sur la forme ou la grammaire de la phrase (syntaxe, orthographes lexicale et grammaticale, etc.). Lors de la première rencontre, chaque scripteur lisait son texte à haute voix une première fois sans pause. À la suite de cette première lecture, les pairs, à tour de rôle, donnaient d’abord un commentaire constructif. Lors du modelage, on insistait sur l’importance de donner un commentaire précis (J’aime la partie de ton texte où tu dis que…), par opposition à un commentaire vague (Ton texte est bon). Cette étape était importante pour installer un climat de confiance et d’entraide entre les membres des équipes (Caillier, 2005).

Par la suite, les pairs posaient des questions à l’auteur pour l’aider à clarifier ses propos ou pour justifier le choix de n’importe quelle partie de son texte. Au début, les élèves avaient parfois de la difficulté à formuler des questions. L’étayage offert par l’enseignante, l’assistante de recherche ou les chercheuses était alors important, mais il a diminué au fur et à mesure que les enfants devenaient plus habiles. Le scripteur pouvait aussi lire son texte une deuxième fois. La deuxième écoute facilitait parfois la formulation de questions.

Finalement, les pairs émettaient des suggestions à l’auteur dans le but d’améliorer son texte. Si le scripteur n’avait pas eu le temps de terminer, il pouvait aussi recevoir des suggestions pour la fin de son texte. Nous insistions sur le fait que l’auteur devait prendre toutes les suggestions en note, mais qu’il était toujours libre de les accepter ou non.

Ces quatre étapes (lecture à haute voix, commentaires constructifs, questions, suggestions) étaient reprises pour chaque membre de l’équipe composée habituellement de trois à quatre élèves choisis par les enseignantes en fonction de leur bonne entente et de l’hétérogénéité des habiletés à écrire. Les habiletés à écrire ont été évaluées conjointement par les enseignantes et les chercheuses, qui ont examiné la qualité des premiers textes écrits par les participants en septembre. Nous nous sommes assurées que dans chaque groupe, il y avait un élève fort, un ou deux moyens et un scripteur plus faible. À la suite de cette première rencontre, les élèves avaient du temps pour remanier leur texte individuellement ou pour le finir avant de rencontrer leurs pairs une deuxième fois.

Cette seconde rencontre, qui avait comme objectif la correction de la grammaire de la phrase, se déroulait habituellement comme suit : les pairs étaient assis à côté de l’auteur (dans le cas des équipes de quatre, un enfant pouvait être debout en arrière de l’auteur) et ils lisaient le texte silencieusement. En se concentrant sur une phrase à la fois, ils indiquaient les erreurs orthographiques, syntaxiques, lexicales et de ponctuation qu’ils avaient relevées en expliquant l’origine de la faute au scripteur. En cas de doute ou de désaccord, ils avaient accès à leurs outils de correction (divers dictionnaires, grammaires, etc.).

Quand tous les auteurs avaient reçu leur rétroaction, ils retournaient à leur place et recopiaient leur texte au propre. Cependant, ils ne pouvaient pas terminer cette tâche à la maison afin d’éviter que les parents ne viennent fausser les données en aidant à la révision du texte.

3.3 Méthode d’analyse des données

Afin de répondre à la question de recherche 1, nous avons classé en trois grandes catégories, à l’aide du logiciel Atlas.ti, les interactions des 16 participants du groupe expérimental pour lesquels nous avons enregistré les groupes de révision rédactionnelle : 1) interactions ne menant à aucun changement (il s’agissait principalement des commentaires constructifs) ; 2) interactions intégrées au texte ; 3) interactions ignorées. Nous avons fait le décompte pour la grammaire du texte, d’une part, et la grammaire de la phrase, d’autre part, et ce, pour chacune des provinces, afin de mesurer les différences et les ressemblances entre nos participants du milieu minoritaire et ceux du milieu majoritaire (question de recherche 3).

Par la suite, toujours pour les 16 participants ciblés, nous avons fait le décompte, à l’aide du logiciel Atlas.ti, des interactions et des révisions correctes et incorrectes pour la grammaire de la phrase selon les catégories suivantes : syntaxe, ponctuation, orthographe grammaticale et orthographe lexicale. Nous avons fait ce décompte pour chaque province afin de répondre à notre troisième question de recherche.

Dans le but de vérifier si les participants transféraient les connaissances apprises en groupe lors des rédactions autonomes, c’est-à-dire sans participer au groupe de révision rédactionnelle (question de recherche 2), nous avons évalué le pourcentage d’erreurs syntaxiques, grammaticales, de ponctuation et d’orthographe d’usage de tous les 72 participants (groupes expérimentaux et témoins) pour chaque composition. La grammaire du texte a été évaluée par deux juges qui ne connaissaient pas les objectifs de la recherche. La fidélité interjuge, calculée avec la corrélation de Pearson, variait de 0,76 à 0,94, selon les catégories. En comparant les résultats obtenus pour le groupe expérimental en fonction de sa participation ou non aux groupes de révision rédactionnelle et en les comparant à ceux des groupes témoins, nous avons pu voir où se situait le progrès et comprendre si les interactions verbales des pairs jouaient un rôle ou non dans ce progrès. Nous avons également vérifié les ressemblances et les différences pour les résultats obtenus entre les contextes linguistiques majoritaire et minoritaire.

3.4 Considérations éthiques

Ces élèves et leurs parents ont librement signé le formulaire de consentement éthique approuvé par les comités d’éthique à la recherche des universités des chercheuses. Ce formulaire comprenait l’énoncé des objectifs de la recherche, des garanties en ce qui a trait à la confidentialité (utilisation de pseudonyme lors de la diffusion des résultats) et l’assurance que les participants avaient le droit de se retirer en tout temps et sans préjudice. Nous les informions aussi des mécanismes mis en place afin que les participants puissent avoir accès aux résultats, une fois la recherche terminée.

4. Résultats

Dans cette section, nous présenterons les résultats sous forme de figures afin de répondre aux deux premières questions de recherche, qui portaient sur l’intégration des commentaires émis lors des groupes de révision rédactionnelle dans les textes subséquents et sur l’intégration des connaissances apprises en groupe lors de rédactions autonomes. Nous analyserons et interpréterons de façon concomitante les différences et les ressemblances entre les résultats obtenus par les élèves grandissant dans un contexte linguistique majoritaire francophone et par ceux provenant du milieu linguistique minoritaire.

4.1 Prise en compte des commentaires des pairs

La figure 1 montre, pour les participants de chaque province dont nous avons enregistré les interactions de groupes (huit au Québec et huit au Nouveau-Brunswick), la répartition des commentaires des pairs qui ne menaient à aucun changement (commentaires constructifs), de ceux qui étaient intégrés au texte et de ceux qui étaient ignorés.

Figure 1

Pourcentage d’interactions ne menant à aucun changement, intégrées au texte et ignorées selon le type (grammaire du texte ou de la phrase) et selon la province

Pourcentage d’interactions ne menant à aucun changement, intégrées au texte et ignorées selon le type (grammaire du texte ou de la phrase) et selon la province

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Nous constatons que les scripteurs québécois ont intégré 60 % des suggestions de leurs pairs pour la grammaire de la phrase, comparativement à seulement 15 % des commentaires pour la grammaire du texte. La proportion est à peu près semblable pour les élèves néo-brunswickois en ce qui a trait à la grammaire de la phrase (57 % des commentaires intégrés) avec un plus fort pourcentage (28 %) que leur vis-à-vis québécois pour la grammaire du texte. Ce dernier résultat peut être dû au fait que les élèves de la classe expérimentale au Nouveau-Brunswick n’avaient pas toujours le temps de terminer leur composition avant le premier groupe de révision rédactionnelle. Ils recevaient donc des suggestions pour finaliser leur texte, ce qui peut expliquer qu’ils aient fait un plus grand nombre de révisions de ce type en tenant compte des commentaires de leurs pairs. Nous observons également que le pourcentage d’interactions intégrées au texte est plus élevé pour la grammaire de la phrase que pour la grammaire du texte tant au Québec qu’au Nouveau-Brunswick. Ce résultat ne surprend pas outre mesure, puisque les élèves sont généralement plus habitués à intégrer des corrections qui touchent la grammaire, l’orthographe et la ponctuation que des révisions qui touchent à la cohérence ou à l’organisation de l’ensemble du texte. Ces résultats vont dans le même sens que les résultats de recherches antérieures selon lesquels les scripteurs intégraient environ la moitié des commentaires dans les versions subséquentes (Blain et Painchaud, 1999 ; Mendonça et Johnson, 1994 ; Nelson et Murphy, 1993 ; Samway, 1987 ; Urzùa, 1987).

Nous remarquons aussi qu’il y a seulement 9 % de différence entre les deux provinces en ce qui a trait aux interactions non intégrées au texte pour la grammaire de la phrase (31 % au Nouveau-Brunswick et 40 % au Québec). Cette différence est accentuée pour la grammaire du texte, puisque seulement 27 % des commentaires de ce type ont été ignorés par les Néo-Brunswickois, alors que leur vis-à-vis québécois ont ignoré près de la moitié (48 %) des suggestions de leurs pairs.

4.2 Type d’interactions et de révisions au niveau de la phrase

Devant la plus grande propension des participants des deux provinces à intégrer les commentaires des pairs en ce qui a trait à la grammaire de la phrase, nous avons choisi d’examiner plus à fond le type d’interactions et de révisions pour la syntaxe, la ponctuation, l’orthographe grammaticale et l’orthographe d’usage. Les figures suivantes présentent le nombre d’interactions et de révisions correctes (Figure 2) et erronées (Figure 3) pour les 16 participants qui ont été enregistrés lors des groupes de révision rédactionnelle.

Figure 2

Nombre d’interactions et de révisions correctes pour la grammaire de la phrase

Nombre d’interactions et de révisions correctes pour la grammaire de la phrase

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Figure 3

Nombre d’interactions et de révisions erronées pour la grammaire de la phrase

Nombre d’interactions et de révisions erronées pour la grammaire de la phrase

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Dans ces deux figures, contrairement à la figure 1, nous n’avons pas déterminé dans quelle proportion chaque type d’interaction se retrouvait sous forme de révision dans la copie finale de nos participants, car les nombres étaient généralement trop petits. Nous pouvons cependant interpréter, à la lumière des résultats obtenus pour l’analyse des interactions se retrouvant sous forme de révisions (Figure 1), que les scripteurs intégraient environ six commentaires sur dix dans leur copie finale.

En comparant les deux figures, nous faisons un constat intéressant : il y a une plus grande quantité de suggestions et de révisions correctes qu’erronées pour toutes les catégories. De même, le nombre de révisions qui ajoutent des erreurs au texte surpasse le nombre de suggestions erronées. Ce sont donc les scripteurs eux-mêmes qui ajoutent des erreurs à leur texte sans la contribution de leurs pairs, autant pour les élèves des milieux linguistiques minoritaire que majoritaire. Nous avons aussi observé que, si une suggestion erronée était faite par un membre de l’équipe, il y avait souvent une autocorrection immédiate soit par l’auteur, soit par un autre membre de l’équipe. Ces résultats pourraient donc rassurer les enseignants qui craignent parfois que leurs élèves ne s’enseignent des erreurs.

De façon surprenante, le nombre de révisions correctes des participants du Nouveau-Brunswick est inférieur au nombre de suggestions correctes qu’ils ont reçues. Cette proportion est inversée pour les élèves québécois pour les quatre catégories de la grammaire de la phrase. Selon ces résultats, les scripteurs du Québec auraient donc été capables de faire des corrections supplémentaires de façon autonome, tandis que ceux du Nouveau-Brunswick n’auraient pas toujours réussi à intégrer les suggestions appropriées de leurs pairs. Nous pouvons nous demander quelles raisons ont poussé les participants du milieu linguistique minoritaire à ne pas intégrer ces commentaires de leurs pairs. Était-ce par manque de stratégies révisionnelles, par doute à propos de la compétence de leurs pairs ou par incompréhension orale ? Selon notre analyse de la prise de parole publiée antérieurement (Lafontaine et Blain, 2007), il appert que les scripteurs intègrent les commentaires de leurs pairs parce que la prise de parole est faite de façon polie, gentille, pertinente ou justifiée. Ces commentaires sont également intégrés parce que l’élève est d’accord avec la correction proposée et a vérifié la correction dans les outils de référence, et ce, autant pour les élèves québécois que néo-brunswickois.

4.3 Progrès des élèves en orthographe grammaticale et d’usage

Devant la quantité importante de révisions et d’interactions pour les accords grammaticaux et l’orthographe d’usage, il nous a semblé à propos de comparer le pourcentage d’erreurs qui se retrouvaient dans la copie finale pour ce type d’erreurs avec l’ensemble de nos participants. Les figures 4 et 5 illustrent les résultats obtenus pour l’orthographe grammaticale, tandis que les figures 6 et 7 illustrent les résultats obtenus pour l’orthographe d’usage. En examinant les résultats obtenus par le groupe expérimental pour les 1re, 3e et 5e compositions révisées à l’aide des pairs, les 2e, 4e et 6e compositions révisées sans les groupes de révision rédactionnelle et en comparant ces résultats à ceux du groupe témoin, nous pourrons voir où se situe le progrès et comprendre si les interactions verbales des pairs jouent un rôle ou non dans ce progrès.

Figure 4

Évolution du pourcentage d’erreurs grammaticales pour les groupes expérimental et témoin au Québec

Évolution du pourcentage d’erreurs grammaticales pour les groupes expérimental et témoin au Québec

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Figure 5

Évolution du pourcentage d’erreurs grammaticales pour les groupes expérimental et témoin au Nouveau-Brunswick

Évolution du pourcentage d’erreurs grammaticales pour les groupes expérimental et témoin au Nouveau-Brunswick

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Notons d’abord qu’il y a des données manquantes pour les élèves du groupe témoin du Nouveau-Brunswick. En effet, pour des raisons hors de notre contrôle, nous n’avons pas reçu de 1e ni de 4e compositions.

Nonobstant ces données manquantes, nous constatons que, généralement, les erreurs grammaticales ont diminué entre le 1er brouillon et la copie finale, surtout pour les groupes expérimentaux (Québec : 6 fois sur 6 ; Nouveau-Brunswick : 5 fois sur 6). Qu’ils aient révisé seuls ou en groupes, les élèves ont réussi à diminuer leur nombre d’erreurs grammaticales. Le pourcentage de ce type d’erreurs pour le groupe témoin du Québec, quant à lui, a également baissé, mais de façon moins marquée pour les compositions 2, 3, 4 et 5, et a augmenté pour les compositions 1 et 6. Le groupe expérimental du Québec a sensiblement fait moins d’erreurs grammaticales que le groupe témoin à partir du 4e texte. Le même phénomène s’est produit au Nouveau-Brunswick, mais seulement pour le 6e texte. L’ensemble de ces résultats nous indique que les élèves qui ont participé au groupe de révision rédactionnelle étaient en mesure de répéter leur performance lorsqu’ils rédigeaient seuls (possibilité d’un transfert des connaissances). Ils semblaient également avoir un certain avantage sur les élèves des groupes témoins puisque, pour les élèves du Québec à tout le moins, ils faisaient moins d’erreurs de ce type à partir du 4e texte, ce qui laisse entrevoir un apprentissage plus intégré en orthographe grammaticale grâce, entre autres, à la verbalisation lors du groupe de révision rédactionnelle.

Les deux figures suivantes illustrent l’évolution du pourcentage d’erreurs en ce qui a trait à l’orthographe d’usage pour les groupes témoins et expérimentaux, au Nouveau-Brunswick (Figure 6) et au Québec (Figure 7).

Figure 6

Évolution du pourcentage d’erreurs d’orthographe d’usage pour les groupes expérimental et témoin au Nouveau-Brunswick

Évolution du pourcentage d’erreurs d’orthographe d’usage pour les groupes expérimental et témoin au Nouveau-Brunswick

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Figure 7

Évolution du pourcentage d’erreurs d’orthographe d’usage pour les groupes expérimental et témoin au Québec

Évolution du pourcentage d’erreurs d’orthographe d’usage pour les groupes expérimental et témoin au Québec

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Nous remarquons que le pourcentage d’erreurs d’orthographe d’usage a baissé (10 fois sur 12) entre le premier brouillon et la copie finale pour les deux groupes expérimentaux. Les deux groupes témoins ont également réussi à diminuer le pourcentage de ce type d’erreurs 5 fois sur 8. Comme le pourcentage d’erreurs d’orthographe d’usage ne suivait pas une tendance continue dans le temps, il apparaît difficile de conclure à un quelconque avantage des groupes expérimentaux sur les groupes témoins.

5. Discussion des résultats

L’objectif principal de cette recherche était de vérifier l’impact de la rétroaction verbale des pairs lors du processus d’écriture chez les élèves de 4e année du primaire du Québec et du Nouveau-Brunswick francophone. Plus particulièrement, nous avons examiné le type de commentaires que les scripteurs intégraient à leur copie finale. Nous avons aussi examiné l’évolution du pourcentage d’erreurs en orthographe grammaticale et lexicale, tant pour les élèves qui participaient aux groupes de révision rédactionnelle que pour les élèves des classes témoins. Finalement, nous avons vérifié s’il y avait des différences et des ressemblances pour les deux contextes linguistiques, majoritaire et minoritaire.

Les résultats montrent que les commentaires sur la grammaire de la phrase sont intégrés plus fréquemment (6 fois sur 10 environ) que les suggestions sur la grammaire du texte (2 fois sur 10 en moyenne), ce qui confirme les résultats obtenus dans des recherches antérieures (Blain, 2001, 2003). Cela confirme également les observations au sujet des jeunes scripteurs, généralement plus enclins à corriger les fautes liées à la grammaire de la phrase (révisions mineures ou de surface) que les erreurs de cohérence textuelle (révisions majeures) (Simard, 1997).

Pour la grammaire de la phrase, les élèves québécois et néo-brunswickois n’intègrent pas respectivement 40 % et 31 % des commentaires de leurs pairs. Cette différence est plus marquée (48 % et 27 %) pour la grammaire du texte. Nous pouvons peut-être expliquer cette différence de comportement par le nombre total d’interactions pour les élèves québécois (281), qui surpasse en nombre celui des participants néo-brunswickois (174), et ce, pour le même nombre de groupes de révision rédactionnelle et de temps consacré à ces rencontres dans chaque province. Il semble que les élèves du Québec avaient tendance à répéter les commentaires énoncés précédemment par leurs pairs, ce qui pourrait expliquer en partie le plus faible pourcentage d’intégration. Nous pouvons aussi nous demander si l’insécurité linguistique des élèves qui grandissent en milieu linguistique minoritaire pourrait expliquer le moins grand nombre d’interactions pour les équipes du Nouveau-Brunswick.

Pour le transfert des connaissances grammaticales, les résultats montrent que les deux groupes expérimentaux semblent avantagés par rapport aux deux groupes témoins, puisqu’ils réussissent à diminuer, de façon constante et plus marquée, leur pourcentage d’erreurs entre le premier brouillon et la copie finale. Nous n’avons pas observé de tendance semblable pour l’orthographe d’usage. Ces résultats semblent corroborer des observations antérieures sur le transfert possible des connaissances en orthographe grammaticale lorsque les scripteurs discutent de leurs erreurs avec leurs pairs (Blain, 2001).

Cette recherche comporte des limites. Les groupes dont nous avons enregistré les interactions étaient situés hors de la classe, ce qui a pu donner un portrait biaisé du contexte réel de la classe. L’enregistrement, uniquement audio, nous a privées d’informations non verbales qui auraient pu donner des résultats plus complets. Il y a eu aussi des périodes de temps imposées par les contraintes du milieu scolaire et des difficultés à obtenir des conditions semblables entre les groupes expérimentaux et témoins. Pour toutes ces raisons, nous n’avons pas pu faire d’analyses statistiques non paramétriques pour déterminer si les différences entre les groupes témoins et expérimentaux étaient significatives ou non.

Malgré ces limites, l’ensemble des résultats de cette recherche laisse entrevoir que les enseignants peuvent mettre les pairs à contribution lors du processus d’écriture, tant en milieux linguistiques majoritaire que minoritaire.

6. Conclusion

L’objectif principal de cette recherche-action était d’examiner l’impact d’un dispositif didactique nommé groupe de révision rédactionnelle sur des apprentis- scripteurs francophones de 4e année du primaire vivant dans des milieux linguistiques majoritaire (au Québec) et minoritaire (au Nouveau-Brunswick). Plus précisément, nous voulions savoir quel type et quelle proportion des commentaires émis par les pairs se retrouvaient sous forme de révision dans la copie finale. Nous avons également cherché à comprendre si les élèves étaient capables de transférer les connaissances apprises en groupe lorsqu’ils rédigeaient seuls. Finalement, nous avons comparé les résultats obtenus pour les deux milieux linguistiques choisis.

Les participants à la recherche étaient les élèves de deux classes de 4e année du primaire à Moncton, au Nouveau-Brunswick, et de deux classes de 4e année à Gatineau, au Québec (un groupe témoin et un groupe expérimental dans chaque province) pour un total de 72 participants. Pour la recherche, les enfants ont rédigé six compositions, à raison d’une par mois. Les deux classes du groupe expérimental ont participé aux groupes de révision rédactionnelle pour les 1re, 3e et 5e compositions. Nous avons sélectionné au hasard huit élèves par province (16 participants en tout, quatre équipes de quatre enfants), pour lesquels nous avons enregistré les interactions verbales lors des rencontres de groupes.

Les résultats révèlent que les commentaires qui touchent la grammaire de la phrase se retrouvent plus souvent sous forme de révisions dans la copie finale que les suggestions faites sur le plan de la grammaire du texte. Nous avons également trouvé qu’il y avait une certaine forme de transfert des connaissances en orthographe grammaticale lorsque les participants rédigeaient seuls. Finalement, malgré des différences entre les scripteurs québécois et néo-brunswickois, il semble que la rétroaction verbale des pairs ait un effet positif sur le transfert des connaissances en écriture, tant en milieux linguistiques majoritaire que minoritaire.

Cette recherche vient confirmer des résultats d’études antérieures au sujet de la rétroaction verbale des pairs dans l’apprentissage de l’écriture et préciser les aspects textuels pour lesquels des élèves de 4e année sont capables de faire des changements à la suite des groupes de révision rédactionnelle. Toutefois, plusieurs questions demeurent : Qu’en est-il maintenant de la qualité des corrections réalisées ? Les rétroactions permettent-elles de développer un regard métacognitif sur l’écriture ? De nouvelles pistes de recherche permettraient d’explorer ces aspects.

Apprendre l’écriture est un processus complexe pour les jeunes scripteurs et requiert, de la part des enseignants, des pratiques novatrices pour permettre à leurs élèves de travailler dans leur zone proximale de développement. Les élèves éprouvent souvent des difficultés lors de la phase de révision et ils ont alors besoin d’une aide individualisée souvent difficile à obtenir de la part de l’enseignant qui doit soutenir une trentaine d’élèves à la fois. Selon les résultats de notre recherche, il semble que la rétroaction verbale des pairs puisse favoriser le processus de révision, puisque l’élève a la chance de recevoir cette aide individualisée. Bien que l’évolution de la qualité de l’écriture n’ait pas été évaluée, il semble que les élèves soient capables de s’entraider, comme le montre la diminution du pourcentage d’erreurs en orthographe. Les élèves francophones canadiens vivant en milieux linguistiques majoritaire et minoritaire sont aptes à aider leurs pairs lors de cette phase du processus d’écriture.