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1. Introduction

Le référentiel de 12 compétences professionnelles élaboré par le ministère de l’Éducation du Québec (2001) oriente l’élaboration et la mise en oeuvre des programmes de formation initiale à l’enseignement des universités québécoises. Comme ces compétences doivent se manifester en contexte réel, ces programmes prévoient un minimum de 700 heures de stage, de sorte que la formation en milieu de pratique, au contact des praticiens, est devenue une voie privilégiée de professionnalisation de l’enseignement (Correa Molina et Gervais, 2008).

La période de stage, lieu d’apprentissage et de manifestation de compétences professionnelles, met deux formateurs en jeu : l’enseignant associé et le superviseur qui, d’une part, doivent contribuer au développement professionnel du stagiaire et, d’autre part, attester de l’atteinte des compétences professionnelles identifiées dans le référentiel (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Deux milieux de formation, scolaire et universitaire, agissent ainsi en complémentarité pour former les futurs enseignants. Ce texte traite de l’accompagnement réalisé par le superviseur de stage et, plus spécifiquement, des ressources mises en action au moment de l’entretien de supervision qui suit une observation en classe.

2. Problématique

Au Québec, la formation initiale à l’enseignement vise le développement de compétences professionnelles. La compétence est définie ici comme la mobilisation et la combinaison de ressources, afin de répondre de manière efficace à une situation particulière dans un contexte professionnel authentique (Le Boterf, 2002 ; Tardif, 2006). En vertu de cette définition, les périodes de stage représentent un moment privilégié pour étudier la mobilisation et l’utilisation de ces ressources ainsi que la manifestation des compétences professionnelles des acteurs de la formation en milieu de pratique.

Dans le cadre du stage, le superviseur doit mobiliser les ressources nécessaires pour accompagner le stagiaire dans son expérience de terrain, afin que celui-ci développe progressivement les 12 compétences mises de l’avant par le référentiel (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Cependant, est-il conscient de ses compétences ? L’acte de travail, nous dit Barbier (1996), en est un de formation s’il est soumis à une analyse. La prise de conscience qui découle de cette analyse permettrait aux formateurs oeuvrant en milieu de pratique 1) de fournir des rétroactions plus compréhensibles à leurs stagiaires (Correa Molina, 2007 ; Gervais et Correa Molina, 2005) ; 2) de soutenir leur apprentissage professionnel (Tang et Chow, 2007) et d’accomplir ainsi leur rôle formateur.

2.1 Le formateur d’enseignants

En contexte de formation pratique, un formateur d’enseignants est un professionnel doté de savoirs particuliers (Altet, Paquay et Perrenoud, 2002), appelé à manifester une triple expertise : une expertise des pratiques enseignantes, une expertise de la formation d’adultes et une expertise en analyse des pratiques et en recherche (Altet, 2002). De plus, comme le superviseur de stage a été ou est encore un enseignant, il doit développer une nouvelle représentation de sa tâche et comprendre que former consiste, entre autres, à 1) stimuler la réflexion du stagiaire en l’amenant à analyser sa propre pratique au profit de son évolution professionnelle, 2) stimuler la formalisation des savoirs d’action et les connecter à ceux issus de la recherche, 3) aider le stagiaire à travailler la mobilisation de ses ressources en évitant de tomber dans la prescription (Altet et collab., 2002). Il devient clair qu’aider quelqu’un à développer l’habileté à réfléchir et à formaliser ses savoirs n’est pas une tâche facile à accomplir. En effet, elle exige une fonc- tion de médiation, partie intégrante du rôle de formateur, qui doit à son tour réfléchir sur son propre agir et formaliser ses propres savoirs pour les rendre verbalisables.

2.2 Le superviseur de stage

Au Québec, le superviseur de stage vient généralement du milieu de l’enseignement : il s’agit en général d’un enseignant à la retraite ou en exercice (Gervais et Desrosiers, 2005). De ce fait, le superviseur manifesterait évidemment des connaissances liées à la pédagogie. Celles-ci permettent de décrire la spécificité du rôle de l’enseignant et de différencier le spécialiste d’un contenu du pédagogue (Shulman, 1987).

Bien qu’important, ce savoir d’expérience, lié à la spécificité enseignante, ne suffit pas pour être un formateur et accompagner quelqu’un dans une étape de développement professionnel. Le superviseur se doit de construire, pour lui-même, un nouveau bagage de compétences susceptibles de l’aider à gérer la complexité propre à la période de stage. Parmi les objectifs qu’il doit atteindre, mentionnons les suivants : 1) articuler la théorie qui soutient ses propres référents avec des situations concrètes ; 2) créer chez le stagiaire un projet d’appropriation de la formation qu’il suit ; 3) réduire l’écart entre le dire et le faire dans sa propre pratique et dans celle des stagiaires ; 4) assurer un accompagnement respectueux des personnes qu’il forme ; et 5) accepter de perfectionner son savoir en confrontant ses référents et ses pratiques avec celles d’autres formateurs (Lamy, 2002).

À la lumière de ce qui précède, il devient clair que les rencontres entre superviseur et stagiaire, de par leur potentiel de formation, constituent des moments cruciaux pendant la période de stage.

3.3 L’entretien de supervision

La rencontre qui suit l’observation du stagiaire en classe tire sa pertinence et son utilité du fait qu’elle doit répondre aux besoins de ce dernier, selon son niveau de développement professionnel et les objectifs du stage. Ainsi, un entretien réussi est celui où le superviseur, grâce à ses connaissances et à son expérience, amène le stagiaire à regarder le problème sous un nouvel angle en stimulant sa capacité de réflexion (Chaliès et Durand, 2000 ; Henry et Beasley, 1989). Quelques études ont mis en évidence l’importance d’établir une atmosphère affective positive au cours de l’entretien de supervision, surtout quand il s’agit de traiter des difficultés éprouvées par le stagiaire (Stones, 1984 ; Lopez-Real, Stimpson, et Bunton, 2001). D’autres études encore ont souligné divers aspects à considérer lors de ces entretiens. Ainsi, 1) la relation entre superviseur et stagiaire, lors des entretiens de supervision, doit être collaborative (Chaliès, Ria, Bertone, Trohel et Durand, 2004) ; 2) les styles de supervision : directif (prescriptif, interprétatif) et interactif (Zahorik, 1988) ; 3) l’utilisation d’outils tels que le portfolio pour faciliter la réflexion au cours de l’entretien (Zepeda, 2002) ou de standards servant de référence à l’évaluation pour guider le contenu de l’entretien (Strong et Baron, 2004) ; 4) l’organisation de l’entretien de supervision selon le contenu ou la chronologie (Chaliès et Durand, 2000), ou l’absence d’organisation préalable, afin de permettre un certain équilibre de statut entre superviseur et supervisé lors de l’entretien de supervision post-observation (Waite, 2009).

Il ressort de tout ce qui précède que le superviseur doit développer des compétences nouvelles par rapport à celles manifestées dans sa fonction enseignante. Il devra donc mettre en oeuvre des ressources différentes qui lui permettront, d’une part, d’encourager l’analyse de pratiques et la réflexivité chez le stagiaire et, d’autre part, d’aider ce dernier à développer des compétences et à assumer une attitude professionnelle (Altet, 2000 ; McIntyre, Byrd et Foxx, 1996 ; Zeichner, 1996). Il convient toutefois de s’interroger sur la nature des ressources que le superviseur mobilise dans la rencontre post-observation en classe pour accomplir sa fonction formatrice et sur sa capacité de manifester les compétences attendues d’un formateur. Ce questionnement est d’autant plus pertinent que peu de chercheurs se sont penchés sur les ressources mobilisées par le superviseur de stage. En effet, la question des savoirs du superviseur comme ressource pour l’agir professionnel est peu abordée, si ce n’est sous l’angle d’habiletés prescrites (Acheson et Gall, 1993). En ce sens, l’étude de Clift et Brady (2005) souligne qu’après l’état de la recherche sur la supervision présenté par McIntyre, Bird et Foxx (1996), on a même observé une diminution du nombre d’études portant sur ce thème, notamment sur la question du contenu et de la nature des entretiens de supervision.

3. Contexte théorique

À la lumière de ce que nous venons d’exposer, l’étude présentée ici s’appuie sur un cadre de référence qui prend en compte, d’une part, la notion de compétence et, d’autre part, la catégorisation des ressources professionnelles proposée par Le Boterf (2002), à savoir les ressources apportées par la personne et celles présentes dans le milieu de travail.

3.1 La compétence professionnelle

La manifestation d’une compétence, rappelons-le, implique la mobilisation d’un ensemble de ressources (Jonnaert, 2002 ; Le Boterf, 2002 ; Tardif, 2006) que la personne utilise pour agir avec efficacité dans l’exercice de sa profession. D’après Le Boterf (2002), le professionnel serait doublement équipé en ressources, c’est-à-dire en moyens qui lui permettraient d’agir dans son contexte professionnel : les ressources personnelles et les ressources de son environnement. Les ressources personnelles constituent un équipement dit incorporé, tandis que les ressources d’environnement constituent un équipement dit objectivé. Dans ce texte, pour uniformiser la lecture, nous n’utiliserons que les dénominations personnelle et d’environnement.

Toujours selon Le Boterf (2002), les ressources personnelles constitueraient un ensemble formé, entre autres, des savoirs, des savoir-faire, de qualités ainsi que de ressources physiologiques et émotionnelles. Ces ressources sont interdépendantes et organisées en réseau afin de faciliter leur mobilisation. Les ressources d’environnement, pour leur part, seraient composées d’informations, d’installations matérielles et de réseaux relationnels, entre autres. Pour Le Boterf (2002), l’efficacité de l’action professionnelle dépend en quelque sorte de l’harmonisation de ces deux types de ressources (personnelles et d’environnement). Ce texte est centré principalement sur la première de ces catégories, celle des ressources personnelles, car ce sont les moins répertoriées par la recherche, comme nous l’avons mentionné plus haut.

3.2 Ressources personnelles

Sur le plan épistémologique, d’après Barbier (1996), la notion de savoir peut référer tout autant à des représentations, dont la valeur sociale a été ratifiée par une activité de transmission-communication, qu’à des savoirs inférés à partir des constats d’une pratique, d’une action ou d’un ensemble d’actions.

En tant que ressources, les savoirs, tant théoriques et contextuels que procéduraux, sont des savoirs formalisés, donc transmissibles, qui servent à comprendre, à décrire, à expliquer un objet ou une situation, et à proposer une démarche (Le Boterf, 2002). En ce sens, ils existent indépendamment de ceux qui les énoncent ou se les approprient (Barbier, 1996). Quant aux savoir-faire, compris aussi comme des capacités opérationnelles, ils peuvent être formalisés, lors de la maîtrise de l’application pratique de la méthode, en trois catégories : des savoir-faire cognitifs, des savoir-faire relationnels et des savoir-faire empiriques. On les qualifie de cognitifs quand, par exemple, le sujet, en interaction avec son environnement, procède à l’analyse et à la résolution de problèmes ; on les qualifie de relationnels lorsque le sujet entre en interaction avec ses collègues et d’empiriques lorsqu’ils ont été acquis par l’expérience, intimement liés à l’acteur et difficiles à exprimer. Ces savoir-faire s’apparentent à la professionnalité de la personne et réfèrent à des composants identitaires. Les qualités ou aptitudes, les émotions ou les aspects physiologiques de celle-ci constituent également des ressources personnelles influant sur l’agir de la personne dans une situation et un contexte donnés (Le Boterf, 2002).

Pour Le Boterf (2002), les savoir-faire sont des capacités opérationnelles ; pour Legendre (2005) la capacité se définit comme l’aptitude, acquise ou développée, d’une personne à réussir une activité d’ordre physique, intellectuelle ou professionnelle. On remarque une certaine similitude entre les concepts de capacité et de compétence, puisqu’ils véhiculent tous deux le sens d’un résultat réussi. Tout en soulevant le problème de la différentiation entre ces deux concepts, Jonnaert (2002) signale que, bien que capacité et compétence entretiennent des liens étroits, la première se caractérise comme une structure cognitive stabilisée, tandis que la seconde correspond à la mise en oeuvre efficace d’un éventail de ressources pour traiter une situation, ce qui souligne l’importance du contexte pour permettre la manifestation de la compétence.

4. Méthodologie

Les caractéristiques de l’étude nous ont amené à adopter une approche qualitative de nature exploratoire et interprétative car, au-delà d’une simple description, elle permet de comprendre et de considérer les significations que les individus donnent à leurs actions (Huberman et Miles, 1991 ; Lessard-Hebert, Goyette, Boutin, 1995). L’approche de l’argumentation pratique préconisée par Fenstermacher (1996) a guidé nos rencontres avec les superviseurs de stage. Selon cet auteur, la plupart des individus justifient leur action en fonction de leurs expériences passées, de sorte que le fait d’argumenter sur leur pratique les amènerait à se remettre en question et à réajuster les principes guidant leurs actions.

4.1 Sujets

Des superviseurs de stage de la dernière année du programme de formation à l’enseignement secondaire ont été invités à participer à l’étude. Le choix des participants a donc été intentionnel (Huberman et Miles, 1991 ; Savoie-Zajc, 2000). Les participants de notre étude avaient les cinq années d’expérience minimale d’enseignement exigées par l’institution universitaire offrant ce programme. Sur un total de 21 superviseurs du programme, 11 supervisaient des étudiants de quatrième année. Nous avons reçu une réponse positive de sept d’entre eux, deux femmes et cinq hommes. Dans cet échantillon, cinq participants avaient fait des études de maîtrise et deux d’entre eux avaient obtenu un doctorat, mais n’occupaient pas de poste de professeur universitaire pendant la durée de l’étude. Tandis que six d’entre eux avaient plus de 30 ans d’expérience en enseignement, le septième comptait six ans d’expérience en enseignement, en plus de 15 ans en supervision. L’expérience en supervision de ce groupe varie entre 10 et 16 ans. Dans notre analyse, nous n’avons pas tenu compte des variables liées au sexe, aux années d’expérience en enseignement ou au niveau d’études atteint. Le tableau 1 ci-dessous résume ces informations. La signification du code est : SU pour superviseur ; F pour sexe féminin ; M pour sexe masculin ; le chiffre de 1 à 7 désigne chaque participant.

Tableau 1

Les participants

Les participants

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4.2 Déroulement

Par souci de cohérence avec les caractéristiques de notre étude, nous avons choisi de recueillir les données en nous rapprochant de la situation réelle de travail des participants à la recherche (Van der Maren, 1999), ainsi que de préserver l’aspect naturel de l’interaction avec nos participants (Zavoie-Zajc, 2000). De cette manière, pour recueillir nos données, nous avons utilisé l’entrevue individuelle semi-dirigée, car elle ressemble aux formes quotidiennes d’interaction qu’entretiennent les superviseurs avec leurs stagiaires dans le cadre de leur activité professionnelle. Plutôt que de comporter des questions spécifiques, ces entrevues permettaient de traiter différents thèmes : par exemple, le type de ressources ou comment le superviseur avait développé sa façon de diriger.

Trois activités ont été réalisées avec les participants : la première a été une rencontre pour leur expliquer les objectifs de l’étude et leur en présenter le protocole ; les deux autres consistaient en deux entrevues audio-enregistrées, d’environ 45 minutes, entre superviseur et chercheur. La première entrevue a eu lieu après la deuxième visite de supervision. La deuxième entrevue a été réalisée après la fin du stage. Les entrevues avaient pour déclencheur l’enregistrement audio de l’entretien de supervision (superviseur-stagiaire) réalisé lors de la deuxième visite de supervision. Le chercheur n’était pas présent lors de l’entretien. Afin que les superviseurs se sentent concernés, nous avons demandé à chacun d’eux de choisir un segment particulièrement signifiant à leurs yeux. De manière générale, les superviseurs choisissaient le début de l’entretien. Par contre, pour la deuxième entrevue, le chercheur choisissait lui-même un segment dans le but de mettre en évidence les remarques adressées aux stagiaires, ou encore le rôle du superviseur. Ces rencontres ont été retranscrites intégralement, de telle sorte que nous avons obtenu 14 comptes rendus (verbatims), d’approximativement une quinzaine de pages chacun.

4.3 Instrumentation

Pour mener nos entrevues, nous nous sommes inspirés de l’approche de l’argumentation pratique (Fenstermacher et Richardson, 1994 ; Fenstermacher, 1996). Dans un échange avec un autre, ici le chercheur, basé sur des traces réelles de la pratique (enregistrement vidéo ou audio), la personne est amenée à expliciter les fondements de son action. D’après cette approche, les actions reposent sur des prémisses souvent implicites. Le rôle de l’autre consiste justement, au moyen de questions sur l’enregistrement de la pratique, à susciter chez la personne l’analyse de son action. Bien que l’approche originale comporte deux phases, celle de l’explicitation et celle de la reconstruction, nous n’avons utilisé que la phase d’explicitation, la seconde phase nécessitant une longue période de temps, dont nous ne disposions pas dans le cadre de notre étude.

4.4 Méthode d’analyse des données

Au départ, nous avions utilisé la catégorisation des ressources professionnelles (Le Boterf, 2002), présentée ci-dessus. Cependant, en considérant, entre autres, l’échantillon et l’instrument utilisé, et afin de garder la cohérence avec l’approche privilégiée, nous avons également choisi de laisser l’espace nécessaire à l’émergence de possibles catégories au cours de l’analyse. La grille d’analyse comprend donc des catégories prédéfinies par le cadre retenu et des catégories qui ont émergé au fur et à mesure de l’analyse.

À cause du nombre de participants, nous avons choisi de ne pas utiliser de logiciel, ni pour le codage ni pour l’analyse. L’analyse de contenu (Bourgeois et Piret, 2006), a été effectuée en classant le matériel dans un tableau à trois colonnes : la première comprenait la transcription de l’entretien, organisée en unités d’analyse ; la deuxième, l’idée principale de chaque unité d’analyse, et la troisième, la catégorie (prédéfinie ou émergente).

À la suite d’une première analyse, nous avons regroupé en sous-catégories le matériel qui présentait des ressemblances : par exemple, dans la catégorie savoir d’expérience, nous avons regroupé tout ce qui concernait expérience d’enseignant et expérience de supervision. Après cela, nous avons examiné si d’autres regroupements étaient possibles à l’intérieur des trois colonnes. Avec cette première version de la grille, nous avons analysé la deuxième série d’entrevues réalisées avec les superviseurs.

4.5 Validation

La recherche interprétative vise à mieux comprendre le sens que la personne donne à son expérience. Elle est jugée valide et crédible si les gens qui y ont participé se reconnaissent (Savoie-Zajc, 2000). Nous avons fait valider nos catégories d’analyse d’une part par les participants à l’étude et, d’autre part, par un autre chercheur. Pour la première validation, nous avons soumis aux superviseurs qui avaient participé à l’étude une liste des catégories obtenues. Ceux-ci devaient prendre connaissance des catégories retenues, afin de voir si elles représentaient bien le contenu de leurs propos, et nous contacter si cette catégorisation ne reflétait pas le contenu de leur témoignage. Aucun participant n’a remis en question notre interprétation.

Dans le cas de la deuxième validation, nous avons sélectionné au hasard l’un des verbatims et organisé les cinq premières pages en trois colonnes. Nous avons procédé à une validation inter-juges en remettant à un autre chercheur ce matériel ainsi qu’une liste de catégories ; nous lui avons expliqué ce qu’elles signifiaient et nous lui avons demandé de traiter l’extrait de cinq pages conformément à ces indications. Les résultats de sa catégorisation étaient amplement en accord avec la nôtre.

4.6 Considérations éthiques

La participation à cette étude a été volontaire et son déroulement n’a pas interféré avec la démarche habituelle de supervision. Elle a aussi respecté les trois grands principes déontologiques, à savoir :

  1. Le consentement libre et éclairé : les participants ont reçu un formulaire où le titre, l’objectif général de l’étude, la démarche, les obligations et attentes du chercheur, étaient clairement explicités. À la fin du formulaire, une déclaration de consentement libre et éclairé devait être signée par la personne qui acceptait de participer à l’étude.

  2. Le respect et la dignité des participants : vu la nature de l’étude, les participants n’ont souffert aucunement de préjudice quant au respect et à la dignité qui leur étaient dus. De plus, chaque participant pouvait, comme il était signalé dans le formulaire de consentement, se retirer de l’étude en tout temps sans avoir à se justifier.

  3. Le respect de la vie privée et la confidentialité : afin de respecter l’anonymat des participants, l’accès aux enregistrements audio était restreint au chercheur et au transcripteur. De plus, un code a été attribué à chaque participant, et seul le chercheur avait accès à la liste de codes et des noms ; enfin, toute information susceptible de donner des indices quant à l’identité a été retirée.

À la fin du processus d’analyse et d’interprétation, les participants ont reçu par courriel un document résumant les résultats de l’étude et ont été invités à nous faire part de leur avis.

5. Résultats

Le superviseur doit veiller et contribuer à ce que les stagiaires manifestent progressivement les compétences déterminées par le référentiel (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Compte tenu du fait qu’il assume un rôle de formation, nous pouvons nous attendre à ce qu’il ait aussi développé des compétences propres à ce rôle. En conséquence, nous nous sommes intéressé aux ressources mobilisées par le superviseur de stage au cours d’un entretien de supervision. Ce sont les ressources évoquées par nos participants lors des entrevues que nous présentons ci-dessous.

5.1 Principales catégories de ressources évoquées

À la lumière de l’analyse, nous avons pu observer que certaines catégories de ressources sont fréquemment évoquées, tandis que d’autres le sont rarement, ou sont simplement absentes du discours des superviseurs. Voici celles qui ressortent le plus.

Nous constatons que certains savoir-faire occupent une place importante dans le discours des superviseurs. Ces derniers justifient leur action en faisant des liens avec leurs savoirs d’expérience en enseignement et en supervision. En témoignent les extraits suivants, liés à leur expérience en tant qu’enseignant et en tant que superviseur : J’ai commencé avec des classes difficiles et je n’ai jamais oublié ça. Pour moi, c’est important de leur faire comprendre qu’il faut développer le leadership, de se faire respecter (SUM4) ; ou J’avais beaucoup d’autorité (avec ses élèves), mais on pouvait s’amuser… et je veux transmettre ça aux jeunes enseignants (SUF2) ; En tant que superviseur, j’ai vu plusieurs classes, je peux donc comparer, je peux relativiser la situation (SUM4) ; Je ne doit pas la blesser (la stagiaire) parce que si je la blesse, c’est fini, je ne pourrai plus l’aider (SUM3). De tels exemples de savoir-faire empirique, assez typiques, sont présents dans le discours de tous les superviseurs participant à l’étude. Le savoir-faire relationnel est un autre type de savoir-faire qui émerge aussi fréquemment : Pour chacun de mes stagiaires, j’ai une rencontre avec le maître associé pour me présenter, pour lui expliquer ce que le stagiaire a appris à l’université et comment il va essayer de mettre ça en pratique (SUF2). Comme leur activité concerne l’interaction avec d’autres, nous pouvions nous attendre à ce que ce type de savoir soit amplement mobilisé par les superviseurs dans le contexte de leur action professionnelle. Par ailleurs, en raison de leur mobilité dans la région ou le secteur où ils supervisent, le savoir d’environnement est, lui aussi, facilement évoqué : J’ai beaucoup d’expérience de supervision dans plusieurs écoles. Alors, je peux parler de différentes écoles (SUM5). Enfin, en évoquant les journées de perfectionnement organisées par l’Université, les superviseurs indiquent qu’ils apprennent, entre autres, comment faire l’observation : Dans les trois jours qu’on a de perfectionnement presque à chaque année à l’université, on traite des thèmes sur comment observer ou quoi faire dans nos séminaires (SUM6), ce qui équivaut à des savoirs procéduraux, susceptibles d’être mobilisés au cours de leurs activités de supervision.

En outre, les qualités humaines sont une autre catégorie de ressources fortement mentionnées. D’après les superviseurs, et ce, de manière généralisée, certaines qualités contribuent à la réussite de l’intervention auprès du stagiaire. Mentionnons, entre autres, 1) la disponibilité : Si tu veux que j’aille te voir une autre fois pour voir un autre groupe, je pourrai y aller, je pourrai me déplacer (SUM5) ; 2) l’ouverture d’esprit, en particulier la capacité à accepter l’avis du stagiaire sur sa façon de superviser : C’est bien qu’ils aient la possibilité de s’exprimer, parce que c’est un peu mon bulletin à moi. C’est un peu ma note et quand ça s’est passé mal… bien, je ferais des choses pour corriger (SUF2) ; et finalement, 3) la qualité qui semble essentielle à leur travail, la sensibilité : Il faut être sensible aux problèmes rencontrés (par les stagiaires) qui peuvent avoir une incidence sur son enseignement (SUM5). Un autre superviseur en confirme d’ailleurs l’importance : Un jeune qui est stressé et qui est en apprentissage, la première chose dont il a besoin c’est de soutien, d’une approbation (SUM3). Selon un autre, être sensible au degré d’ouverture du stagiaire permet de bien doser l’intervention : Tu sens qu’avec un certain type de personnes, tu peux apporter beaucoup de choses, mais pas avec d’autres. Il faut respecter les limites de l’autre, et il me semble que ça se sent (SUF1).

De plus, lorsque les superviseurs parlent de la façon de mener l’entretien de supervision, des savoir-faire formalisés sont intégrés à leur discours. De manière générale, la stratégie commune consiste à commencer en demandant au stagiaire de donner son avis sur sa propre performance : Pour commencer, je leur demande toujours comment ils ont trouvé la leçon (SUF2). L’objectif ici est de viser à ce que ce soit le stagiaire lui-même qui analyse son action, et de l’accompagner dans ce processus en lui posant des questions : C’est par questionnement que je l’amène (la stagiaire) à identifier ce qui l’a dérangée […] Je n’ai pas de stratégie préparée à l’avance (organisation de l’entretien) (SUF1), ou Je leur fais découvrir qu’ils n’ont peut-être pas pensé à telle ou telle autre chose (SUM5).

Si le savoir-faire implique que l’on soit capable de réaliser une activité où l’on a une certaine expertise, il est tout aussi clair, selon les propos des superviseurs, que la supervision exige d’eux qu’ils manifestent des capacités autres que celles issues de leur expérience en enseignement : Je ne pense pas que l’expérience enseignante permet à une personne de faire de la supervision ; Il faut développer des habiletés… (SUM5). De plus, les superviseurs se disent parfaitement conscients des spécificités du travail qu’ils accomplissent, des caractéristiques propres au rôle qu’ils exercent et de la nécessité d’autres ressources pour bien exercer leur rôle. Outre les ressources facilement mentionnées, comme celles que nous venons de présenter, d’autres sont évoquées dans une moindre mesure ou de façon moins explicite.

5.2 Des ressources moins présentes dans le discours

De nouveau, se dégagent deux catégories, celle des savoirs et celle des ressources. En ce qui concerne la première catégorie, nous remarquons que les savoirs théoriques sont pratiquement absents du discours des superviseurs, qui ne les mentionnent qu’à l’occasion et de façon imprécise. Ainsi, l’un des participants déclare avoir entendu parler de la relation d’aide dans ses cours de maîtrise (SUM5), tandis qu’un autre signale : la gestion de classe… je sais qu’elle (la stagiaire) apprend ça en microenseignement (SUF2). Par contre, on ne trouve aucune mention de concepts théoriques reliés à leur propre rôle ; par exemple, les approches d’accompagnement en supervision ou les phases de la supervision clinique. Par ailleurs, sans qu’on puisse affirmer à leur sujet qu’ils sont absents, les savoir-faire cognitifs sont très peu évoqués ou à peine touchés par le discours des superviseurs : Lorsque le stage est fini, je m’interroge toujours sur mon approche (SUM3). On pourrait peut-être interpréter cette affirmation comme un mode de raisonnement à propos de la façon de mener le processus de supervision.

Pour ce qui est des ressources émotionnelles, elles restent absentes du discours des superviseurs, même si nous pouvons supposer qu’elles existent, dans la mesure où ils disent se plaire dans ce qu’ils font : Je trouve que le fait d’aider quelqu’un c’est un rôle extraordinaire (SUM7). C’est très valorisant, je me sens utile (SUM4).

Enfin, à propos des ressources d’environnement, les superviseurs disent apprécier les échanges entre pairs lors des journées de perfectionnement organisées par l’Université, parce qu’ils peuvent discuter de leurs manières de faire face à des situations vécues dans le cadre de leurs rencontres de supervision, ou avoir la chance de contacter la personne responsable en cas de difficulté lors du stage. À part cela, on ne trouve pas, dans leurs propos, mention d’autres ressources telles que des documents officiels ou des articles issus de travaux de recherche sur la supervision.

6. Discussion des résultats

Rappelons d’abord que cette étude cherchait à identifier les ressources mobilisées par des superviseurs de stage lors de la dernière année de formation, à l’intérieur d’un programme de Baccalauréat en enseignement au secondaire et que, dans ce but, nous avons utilisé un cadre référentiel composé des ressources professionnelles (Le Boterf, 2002). En premier lieu, nous discuterons des catégories de ressources les plus présentes dans les propos des superviseurs, pour ensuite traiter de celles qui sont moins évoquées, ou absentes, tant au regard des témoignages de ces formateurs que des résultats de recherches diffusés par les écrits. Nous conclurons cette section sur un schéma résumant les catégories de ressources que le superviseur est censé mobiliser lors de l’entretien de supervision qui suit une observation en classe.

6.1 Les ressources évoquées

De manière générale, on peut dire que les superviseurs utilisent la majeure partie des ressources professionnelles proposées par Le Boterf (2002). La catégorie des ressources personnelles est amplement représentée par des savoir-faire et, force est de reconnaître que, parmi ces derniers, le savoir-faire empirique occupe une place importante dans le discours des superviseurs. Tiré de l’expérience pratique, ce savoir permet au superviseur d’accomplir sa fonction dans un contexte qui lui est familier (de par son expérience en tant qu’enseignant). Ce savoir d’expérience (Gauthier et collab., 1997) ou cette sagesse de la pratique (Shulman, 1987), lui permettent de reconnaître des situations vécues par le stagiaire et de lui fournir l’aide appropriée aux situations que ce dernier expérimente dans son stage. C’est ce que Le Boterf (2002) identifie comme des savoirs du corps et des sens. Ce type de ressources est cependant insuffisant pour faire de la supervision un moment de formation, ce dont les superviseurs sont conscients. D’ailleurs, ils disent clairement qu’il ne suffit pas d’avoir été enseignant pour superviser un stagiaire, et qu’il leur a fallu développer des savoirs spécifiques. Ces propos font écho à ceux d’Altet et de ses collaborateurs (2002), selon lesquels un formateur d’enseignants fait partie d’un groupe caractérisé par des savoirs qui l’identifient.

Les ressources du superviseur relèvent de différents domaines et, dans notre étude, elles correspondent principalement à des savoirs de type procédural et environnemental, en lien avec le contexte de leur action : le type de stagiaires, le type d’écoles, par exemple ; ces ressources correspondent aussi à des savoir-faire de type empirique, relationnel et formel. Ces ressources seraient mobilisées en fonction d’une certaine sensibilité qui permettrait de sentir ce que l’autre (le stagiaire dans ce cas-ci) ressent. Lors de l’entretien de supervision, cet aspect est particulièrement présent chez le superviseur ; en effet, il perçoit les différentes expressions faciales, le débit et le ton de voix du stagiaire. Ces signaux lui indiquent l’état d’esprit de ce dernier et le guident pour sélectionner la stratégie d’intervention la plus adéquate dans ces circonstances et avec ce stagiaire en particulier, afin de l’aider dans son développement professionnel. Ainsi, plutôt que d’organiser l’entretien avant la rencontre (Chaliès et Durand, 2000), les superviseurs agissent en tenant compte de la situation (Waite, 2009). Sur ce point, nos résultats sont comparables à ceux de Lopez-Real et de ses collaborateurs (2001), qui ont mis en évidence le fait que les stagiaires apprécient que leurs superviseurs leur signalent leurs difficultés sur un ton respectueux. En outre, ils corroborent les résultats de Chaliès et Durand (2000), ainsi que ceux d’Henry et Beasley (1989), quant à l’importance des relations interpersonnelles pour bien mener l’entretien de supervision et pour promouvoir le développement professionnel du stagiaire.

Toutefois, contrairement à ceux de Lopez-Real et de ses collaborateurs (2001), nos résultats vont plus loin que l’exigence de sensibilité chez les superviseurs pour traiter des sujets délicats avec les stagiaires. En effet, la sensibilité dont on parle ici sert également à encourager les stagiaires et à renforcer ce qu’ils font de bien : Souvent je vais les reprendre, parce qu’ils sont portés à conclure avec les aspects négatifs. C’est ce qui les frappe émotivement (SUM3). Selon les superviseurs, il faut : […] briser le drame qu’ils voient dans la supervision (SUM4) ; aller rencontrer le stagiaire et lui faire sentir qu’on est là pour l’aider (SUM3) ; […] essayer qu’elle soit à l’aise (SUM7). Ainsi, ce n’est pas uniquement dans les cas difficiles que les superviseurs disent manifester leur sensibilité. En effet, au cours de l’entretien de supervision, les ressources mobilisées par le superviseur servent aussi à créer une ambiance propice à l’échange ; celle-ci permet d’établir une relation susceptible de stimuler l’analyse de la pratique enseignante chez le stagiaire lui-même et, par conséquent, de l’amener à assumer la responsabilité de son propre développement. Nos résultats vont aussi au-delà des habiletés recommandées pour l’agir professionnel par Acheson et Gall (1993).

Quant aux ressources d’environnement, au delà des rencontres de perfectionnement programmées ou des éventuels contacts avec les responsables de stage de l’université, cette catégorie semblerait peu exploitée par les superviseurs. En effet, il n’y a pas eu mention de recours à des réseaux d’expertise ou à des sources écrites telles que des documents traitant de supervision. Cependant, ce constat peut tout aussi bien être attribuable au cadre méthodologique choisi qu’à une véritable absence de recours à des réseaux d’experts, par exemple. C’est une des limites dont nous traiterons plus loin.

6.2 Des ressources non évoquées

Selon Lamy (2002), le formateur compétent est censé articuler la théorie qui soutient ses référents avec les situations concrètes qu’il vit dans l’exercice de son activité professionnelle. De plus, la notion de triple expertise de tout formateur d’enseignant implique le recours à la recherche (Altet, 2002). Or, les superviseurs de notre étude n’ont fait aucune référence explicite à des savoirs théoriques pour justifier leur action au cours de l’entretien de supervision. Ils n’ont pas non plus mentionné qu’ils avaient recours à des informations issues de la recherche pour enrichir, par exemple, leur façon d’intervenir auprès des stagiaires. Cela viendrait-il remettre en question leur compétence en tant que formateurs d’enseignants ? Nous ne sommes pas prêts à l’affirmer. En effet, d’après Fenstermacher (1994) et Le Boterf (2002), ce type de savoirs constitue un cadre de référence pour l’action et sert à rendre une situation intelligible. Ces savoirs ne seraient donc pas directement mobilisables dans la pratique ni nécessairement faciles à verbaliser, même par des praticiens chevronnés. De plus, le fait que nous n’avons travaillé que sur des segments de l’entretien de supervision peut avoir eu pour effet de réduire les possibilités de trouver mention de certaines ressources.

À partir de ces ressources, évoquées ou non lors de son discours, se constitue, en quelque sorte, le bagage du superviseur pour intervenir auprès du stagiaire au moment de l’entretien de supervision. C’est dans ce contexte que ces ressources s’activent, se manifestent et se colorent selon les qualités personnelles du superviseur, selon sa vision, ses intentions, son engagement, ainsi que selon les rôles qu’il assume dans la réalisation de sa tâche. La mobilisation et la combinaison de ces ressources rendraient le superviseur habile à agir dans un contexte mouvant, où l’imprévu fait partie de la situation.

6.3 Les ressources du superviseur de stage : un schéma-synthèse

Au moyen d’un schéma, inspiré de la catégorisation des ressources de Le Boterf (2002), nous proposons une synthèse des ressources identifiées chez les superviseurs de stage. Ces ressources constitueraient, à notre avis, un savoir-superviser ; autrement dit, un savoir qui, fondé sur Barbier (1996), s’inscrirait dans la zone sémantique de la professionnalité, son référent étant constitué de composants identitaires.

Ce savoir-superviser définirait le superviseur comme un professionnel qui sait gérer la complexité d’une situation d’enseignement (ici, l’entretien de supervision post-observation en classe), en combinant et en mobilisant les ressources nécessaires pour soutenir le stagiaire dans son développement professionnel.

En bref, les ressources que le superviseur mentionne devoir prendre en compte dans le contexte de l’entretien de supervision sont les suivantes : non seulement les savoirs que le superviseur apporte et qu’il mobilise au moment d’aller rencontrer le stagiaire, mais aussi des qualités, des expériences, des réseaux relationnels, ainsi que le contexte dans lequel la rencontre se déroule et où ces savoirs entrent en action et, par conséquent, mis au service du stagiaire.

Nous avons centré la figure 1 sur les ressources mobilisées au moment de l’entretien de supervision et avons divisé le schéma en trois sections : 1) les ressources qui préparent le superviseur à son agir professionnel ; 2) le contexte, c’est-à-dire l’entretien de supervision post-observation et, finalement, 3) les ressources activées, c’est-à-dire des savoirs et des qualités combinés et mobilisés d’une manière particulière pour tel stagiaire et pour tel entretien de supervision.

Figure 1

Savoir-superviser lors de l’entretien de supervision

Savoir-superviser lors de l’entretien de supervision

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Dans la section ressources disponibles pour l’action, nous avons regroupé les savoirs théoriques, les savoirs d’environnement, les savoirs procéduraux et les savoir-faire empiriques, relationnels et cognitifs ainsi que les qualités humaines. Nous avons constaté que le superviseur bénéficie d’un passé d’enseignant, a suivi des formations pour faire de la supervision, a vécu des expériences d’enseignement et de supervision, a poursuivi des études supérieures, a développé des réseaux relationnels, etc. C’est ce qui lui donnerait l’assurance et la connaissance nécessaires pour exercer son rôle de formateur au moment de l’entretien de supervision.

De telles ressources lui permettent de savoir quoi faire et comment le faire, car il s’agit d’une mobilisation en contexte, et en accord avec les besoins et les caractéristiques du stagiaire. De par son intention, avant tout formatrice, le superviseur se caractérise aussi par un savoir-s’engager, c’est-à-dire s’impliquer affectivement et mobiliser les qualités qui le caractérisent, en vue d’aider le stagiaire qu’il supervise. C’est ce que nous appelons la manifestation de son savoir-superviser lors de l’entretien post-observation en classe.

7. Conclusion

Grâce à la professionnalisation de l’enseignement, on accorde plus de place aux périodes de stage à chaque année de la formation initiale, dans l’intention de permettre le développement progressif de compétences chez les futurs enseignants. Étant donné que la compétence se définit comme la mobilisation efficace de ressources, le stage permet, tant aux stagiaires qu’aux formateurs en milieu de pratique, de mobiliser et de combiner leurs ressources en fonction de la situation à laquelle ils doivent réagir et du contexte où ils doivent agir. Conscient de la dimension formative de la supervision, nous nous sommes intéressé aux ressources professionnelles des superviseurs de stage.

Guidé par un cadre référentiel tiré des catégories professionnelles de Le Boterf (2002) et en nous inspirant de l’approche de l’argumentation pratique (Fenstermacher, 1996), nous avons travaillé avec sept superviseurs d’expérience. Notre but était d’explorer les ressources mobilisées par ceux-ci au cours de l’entretien de supervision qui suit une observation en classe. Certes, notre recherche comporte des limites : le nombre restreint de participants, le caractère volontaire de leur participation et la méthodologie retenue, constituent des limites certaines qui empêchent toute généralisation. Toutefois, nous croyons que notre méthodologie est tout à fait pertinente pour l’étude effectuée ici, car elle respecte l’idiosyncrasie de l’activité de supervision et donne la parole à l’acteur, pour qu’il puisse verbaliser son action et expliciter ce qui la fonde.

Comme nous l’avons souligné, les résultats obtenus viennent compléter ceux d’autres chercheurs qui se sont, eux aussi, intéressés à la supervision en contexte de stage ; par exemple, l’étude de Lopez-Real et de ses collaborateurs (2001), qui porte sur la relation superviseur-stagiaire en contexte de difficulté. À partir des propos de nos participants, nous constatons que, pour eux, la sensibilité ne se déploie pas seulement en contexte de difficulté : elle aide aussi le stagiaire à reconnaître ses forces. Nos résultats nous ont permis de dresser un panorama des ressources fréquemment évoquées ainsi que de celles moins présentes dans le discours des superviseurs. Ces ressources, regroupées dans un schéma inspiré de la catégorisation de Le Boterf (2002), nous ont permis de proposer une synthèse des ressources mobilisées au cours de l’entretien de supervision, ressources qui se manifestent dans ce que nous appelons le savoir-superviser.

Nos résultats pourraient servir à orienter les thèmes des rencontres de formation annuelles offertes aux superviseurs. Il serait possible, par exemple, de traiter de la place du savoir théorique dans l’exercice de la fonction de supervision, puisque, nous l’avons constaté, les superviseurs ont peu tendance à l’évoquer de manière explicite, omettant ainsi une des compétences identifiées par Lamy (2002). En effet, cet auteur considère qu’il est nécessaire d’harmoniser les situations vécues sur le terrain avec la théorie, et de réduire l’écart entre le discours sur l’action et l’action même, dont l’analyse de pratique peut faire prendre conscience.

Se pose donc la question de savoir comment promouvoir l’actualisation des savoirs théoriques des acteurs de la formation en milieu de pratique. Comment peut-on former ces derniers à l’analyse de pratique pour qu’ils puissent faire le pont entre savoirs théoriques et savoirs d’action ? Comment les aider à expliciter et à formaliser leurs savoirs issus de la pratique ? La professionnalisation d’un groupe, identifié par l’activité que celui-ci accomplit, passe justement par la formalisation des savoirs qui le caractérisent. Ces questions constituent autant de pistes de recherche pour développer la professionnalisation des formateurs en milieu de pratique.