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Ce livre consiste principalement en une étude des rapports entre la langue des élèves à l’école et leur origine sociale ainsi qu’entre la langue scolaire et l’insertion sociale des finissants des écoles. Toutefois, les auteurs de l’ouvrage cherchent à décrire de façon plus globale le phénomène des inégalités d’apprentissage dans les écoles de France en présentant un résumé de l’évolution du système pendant les quarante dernières années, y compris les changements dans le programme, la formation des enseignants, le rôle des divers intervenants, les nouvelles pédagogies prônées, etc. Néanmoins, une thèse sociologique prédomine : expliquer l’échec du système scolaire dans son ambition de permettre à tous les jeunes Français l’accès à une éducation en fonction de leurs intérêts et talents, indépendamment de leurs origines sociales. Selon les auteurs, l’école réussit mal à assurer un minimum de littératie étendue pour tous les élèves, et ces échecs sont beaucoup plus nombreux dans les classes populaires.

Les auteurs rappellent fort à propos les travaux clefs de Bourdieu et Passeron, pour qui l’arbitraire culturel des universités serait la source de la Reproduction sociale par l’éducation, mais, selon Bautier et Rayou, les nombreux changements survenus dans l’ensemble du système d’éducation en France depuis les années 1960 s’expliquent d’une autre façon : les malentendus en éducation qu’ils voient dans plusieurs des domaines et dont ils tracent l’évolution.

Sans trop simplifier les propos des auteurs, qui se soucient beaucoup de nuancer leur point de vue, on peut dire qu’ils concentrent leur explication des inégalités sur le malentendu suivant : très souvent, les divers acteurs confondent la participation des élèves au processus éducationnel avec l’atteinte, par les élèves, des objectifs cognitifs du programme, et cette confusion se ferait principalement au niveau de l’utilisation de la langue. Puisqu’une partie centrale de la réussite scolaire prônée par toute école est la littératie étendue – soit une maîtrise de la langue qui inclut les compétences cognitives plus avancées comme celles que nous avions l’habitude de décrire en faisant référence à la taxonomie de Bloom –, l’approche est sûrement légitime. En s’appuyant sur plusieurs recherches empiriques, les auteurs montrent que le problème s’inscrit dans une tendance généralisée à percevoir l’utilisation en classe de la langue populaire par les élèves comme un indice de la maîtrise de la langue scolaire. Alors que celle-ci suppose le développement de compétences cognitives, ce n’est pas le cas de la langue de tous les jours. Ce malentendu existerait autant chez les élèves que chez les enseignants, les aide-enseignants et même les parents.

Le grand intérêt de l’ouvrage réside dans la volonté des auteurs de poursuivre la recherche d’éléments de solution à un problème universel, la démocratisation de l’enseignement. En effet, les auteurs proposent un certain nombre de pistes d’action à la fin de leur volume. De plus, les nombreuses recherches empiriques qui l’appuient donnent beaucoup de crédibilité à la vision des auteurs. Évidemment, il faudrait examiner de plus près dans quelle mesure la problématique telle qu’elle existe en France est présente dans d’autres pays. Par ailleurs, ce lien étroit avec la France rend l’ouvrage relativement onéreux pour un lecteur qui n’est pas français et en fait sa limite principale.