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Dans ce livre, la question de l’école élémentaire sert à la fois de substrat et de prétexte à une réflexion sur les liens entre l’épistémologie et la pédagogie. Ces relations, Trouvé les examine en profondeur en mettant en évidence des ambiguïtés, des tensions, voire des oppositions, non pas tant en vue de penser l’élémentaire à l’école, mais bien de le repenser par des mouvements dialectiques. L’ouvrage comprend six chapitres, que nous pourrions regrouper en deux parties principales. La première présente un état de la situation quant à l’élémentarité comme principe et à son rôle dans les considérations éducatives (chap. 1, 2, 3 et 4). Distinct du rudimentaire, de la facilité et de la simplicité, l’élémentaire y est associé à un processus d’élémentation permettant de déterminer ce qui, dans l’ordre des savoirs et des connaissances, « vient en premier » (logiquement). Sur le plan pédagogique, Trouvé montre qu’une telle conception, issue du rationalisme cartésien et incarnée actuellement dans la pensée éducative républicaine, conduit à structurer les savoirs selon les principes d’un enseignement programmé (répondant à l’ordre des raisons), allant des connaissances les plus simples aux plus complexes. Par la suite, ce discours est opposé au pédagogisme à travers lequel l’élémentaire est abordé à l’aune de la complexité mobilisatrice orientée vers la construction de sens. Sur le plan pédagogique, il s’agirait de développer des compétences, des capacités cognitives et des attitudes morales, considérées comme autant de savoirs fondamentaux. Finalement, par l’exploration des relations entre le savoir élémentaire et la culture commune, Trouvé relève la difficulté de déterminer les fondamentaux ainsi que la nécessité d’assurer un équilibre entre leurs finalités culturelles et instrumentales. La seconde partie de l’ouvrage (chap. 5 et 6) s’articule autour d’une synthèse des perspectives visant à poser les jalons d’une nouvelle élémentarité. S’appuyant sur les critiques de l’élémentaire élaborées notamment par Bachelard et Morin, Trouvé rejoint le paradigme de la complexité dans lequel l’élémentaire est considéré comme une composante, comme un outil essentiel pour penser les relations. Dès lors, d’un point de vue pédagogique, il s’agirait de concilier la rationalité et l’expérience en fixant les invariants par lesquels aborder la complexité.
Bien qu’il soit possible d’y relever quelques faiblesses – comme par exemple le rappel constant de certaines idées qui donne parfois le sentiment de faire du sur-place, ou encore les attaques peu justifiées à l’égard du postmodernisme –, l’ouvrage de Trouvé propose une vision renouvelée et dynamique du savoir élémentaire qui contribue à alimenter les réflexions éducatives contemporaines. Les perspectives historiques, philosophiques et pédagogiques qu’il propose sont des exemples de savoirs élémentaires qui améliorent notre lecture des situations éducatives. Mais par-dessous tout, il s’en dégage au moins deux principes fondamentaux dans toute réflexion pédagogique : 1) la vigilance constante que nous devons avoir quant à la détermination de ce qui est premier selon l’ordre rationnel et de ce qui est premier selon l’ordre de l’acquisition des connaissances ; 2) l’importance capitale de contribuer au développement de la pensée, considéré comme l’un des fondements de la culture commune.