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1. Introduction

De nombreuses observations faites au fil des ans à travers des activités d’enseignement des méthodes, d’évaluation de la recherche, ainsi qu’à travers divers rassemblements de chercheurs qualitatifs francophones ont favorisé l’émergence d’une programmation de recherche axée sur les pratiques de la recherche qualitative, tout particulièrement au Québec. En effet, depuis les années 1980, la recherche qualitative y est en croissance constante, tant dans les universités que dans d’autres milieux. Il est essentiel, après plus de 25 ans de développement, de connaître les manières dont les approches qualitatives sont utilisées, très peu de travaux ayant porté sur cet aspect dans le monde. Entre les méthodes prescrites et les usages, un vaste ensemble de pratiques, que nous savons déjà très diversifiées, existe et mérite d’être connu, cette connaissance étant susceptible de favoriser les avancées sur le plan méthodologique.

Des travaux sur les usages des entretiens individuels de recherche dans les sciences humaines, dans des revues québécoises de sciences sociales, ont révélé une grande variété de pratiques de recherche et de manières de rapporter ces pratiques dans les articles empiriques (Royer, Baribeau et Duchesne, 2009). L’analyse indique que les chercheurs font appel à plus d’une trentaine de techniques d’entretien qu’ils utilisent dans le but de connaître et de comprendre des phénomènes et, même, de démontrer l’existence de certains de leurs aspects. Entre autres résultats, on relève aussi que plusieurs techniques d’échantillonnage constituant des échantillons de tailles extrêmement variées (de trois à plus de 150 participants) sont utilisées. Si elles permettent de mieux cerner le contour des pratiques de recherche par entretien au Québec, ces observations soulèvent par ailleurs des questions quant à l’usage des entretiens en recherche dans les disciplines. Pour y voir plus clair, nous avons étudié plus spécifiquement un domaine où les entretiens occupent une place centrale et jouent un rôle prépondérant en ce qui a trait à l’instrumentation, celui de l’éducation (Tierney et Dilley, 2002). À cet effet, la revue internationale Revue des sciences de l’éducation s’avère, tant par la rigueur de ses exigences que par sa reconnaissance au Québec, un lieu pertinent pour les objectifs poursuivis.

2. Questions de recherche

Quels types d’entretiens les chercheurs en éducation utilisent-ils ? Quels types d’échantillon construisent-ils ? Comment analysent-ils les données et s’assurent-ils de leur validité ? Quelles indications fournissent-ils dans leurs articles sur les procédures utilisées ? Voilà l’essentiel des questions auxquelles nous tenterons de répondre dans le cadre de cet article.

Dans un premier temps, nous examinons les usages des entretiens individuels dans la recherche qualitative en éducation. Dans un second temps, nous examinons et discutons des modes de présentation des articles empiriques qui présentent des études réalisées par entretien individuel.

3. Contexte théorique

L’entretien constitue un instrument privilégié en recherche qualitative. Sa fréquente utilisation, doublée de précisions méthodologiques nombreuses et nuancées, semble un critère prometteur pour retenir ce dispositif.

3.1 L’entretien individuel en recherche qualitative dans les écrits : survol du discours méthodologique

Cerner les discours méthodologiques à propos de l’entretien de recherche n’est pas un exercice simple, du fait notamment des nombreux écrits méthodologiques publiés à ce sujet. Une bibliographie compilée par Guillemette (2008) indique qu’il existait, au moment de sa publication en 2008, environ 250 écrits francophones et anglophones portant spécifiquement sur l’entretien de recherche. Depuis les travaux pionniers des sociologues américains dans les années 1930 à 1960, en particulier les contributions importantes de Becker (1954, 1956) et de Whyte (1953, 1957, 1960) en sociologie, les discours sur le thème de l’entretien de recherche se sont développés dans plusieurs contextes disciplinaires et cela, partout dans le monde. Pour le Québec, il existe une douzaine de références de textes rédigés en français, dont huit traitent spécifiquement de l’entretien individuel (Guillemette, 2008).

L’ensemble de la documentation disponible représente ainsi une quantité impressionnante d’informations sur les aspects épistémologiques, théoriques, méthodologiques et techniques inhérents à l’usage de l’entretien. Impossible d’en faire la synthèse. À travers ces écrits, on relève l’existence de nombreux types spécifiques d’entretiens dont l’entretien qualitatif serait en quelque sorte un générique. Citons l’entretien non directif (Ghiglione et Matalon, 1978 ; Michelat, 1975) ; l’entretien en profondeur (Johnson, 2002) ; l’entretien compréhensif (Kaufman, 2006) ; l’entretien du récit de vie (Bertaux, 2005 ; Desmarais et Pilon, 1996) ; l’entretien d’explicitation (Vermersch, 1994) ; l’entretien semi-dirigé (Savoie-Zajc, 2009), et l’entretien individuel (Boutin, 2006). À lui seul, l’ouvrage Handbook of interview research (Gubrium et Holstein, 2002) comporte 44 chapitres de précisions et de débats sur l’entretien de recherche. Évidemment, comme on peut s’y attendre, chaque type d’entretien aura des caractéristiques, des exigences et un statut particuliers.

Les définitions comprennent des variations et des subtilités qui illustrent des positions théoriques et des conceptions de l’entretien qui sont d’une grande diversité. D’une manière générale, l’entretien peut être tenu comme une méthode de collecte d’informations (Boutin, 2006 ; Mucchielli, 2009) qui se situe dans une interaction entre un intervieweur et un interviewé (Boutin, 2006 ; Poupart, 1997 ; Savoie-Zajc, 2009) en vue de partager un savoir expert et de dégager une compréhension d’un phénomène (Savoie-Zajc, 2009). Pour Van der Maren (1995), l’entrevue, qu’elle soit libre, semi-structurée ou structurée, vise à colliger des données  ayant trait au cadre personnel de référence des individus (émotions, jugements, perceptions, entre autres) par rapport à des situations déterminées ; elle porte sur l’expérience humaine dont elle cherche à préserver la complexité.

Ces éléments de définitions rejoignent les trois types d’arguments proposés par Poupart (1997) pour recourir à l’entretien : 1) l’argument épistémologique, qui permet l’exploration en profondeur de la perspective de l’acteur ; 2) l’argument éthique et politique, qui ouvre à la compréhension et à la connaissance de l’intérieur des dilemmes et des enjeux auxquels fait face l’acteur ; et 3) l’argument méthodologique, qui donne un accès privilégié à l’expérience de l’acteur. Il existe donc divers arguments scientifiques pouvant dicter l’usage de l’entretien et ces discours contrastés colorent le dispositif choisi par le chercheur.

L’entretien individuel, plus que tout autre dispositif, permet de saisir, au travers de l’interaction entre un chercheur et un sujet, le point de vue des individus, leur compréhension d’une expérience particulière, leur vision du monde, en vue de les rendre explicites, de les comprendre en profondeur ou encore d’en apprendre davantage sur un objet donné. Comme la parole est donnée à l’individu, l’entretien s’avère un instrument privilégié pour mettre au jour sa représentation du monde.

Les textes traitant spécifiquement de l’aspect instrumental de l’entretien proposent plusieurs stratégies. La question de l’échantillonnage est traitée de façon diversifiée, qui va de l’échantillonnage théorique jusqu’à la convenance en passant par l’échantillon intentionnel, ce qui offre aux chercheurs un large éventail de possibilités. Les entretiens peuvent s’inscrire dans des devis simples ou mixtes, avec ou sans triangulation. Sont aussi fournies des indications sur la façon de construire un guide d’entretien. Les manuels de méthodologie (Boutin, 2006 ; Kvale, 1996 ; Rubin et Rubin, 2004) présentent des techniques d’analyse (catégorisation, thématisation, théorisation, etc.). Les auteurs, et notamment Poupart (1997), de façon critique et nuancée, traitent aussi l’importante question de la scientificité du dispositif, des biais à prendre en compte et des solutions à considérer en passant par des stratégies de triangulation et de saturation. Certains textes ajoutent des indications sur la préparation des rapports (Kvale, 1996 ; Rubin et Rubin, 2004).

La plupart des manuels consacrent un chapitre à l’éthique et à la scientificité en recherche. Crête (2003) traite du contexte global d’une recherche en sciences humaines et discute la question de l’éthique telle qu’elle se présente au fil des principales procédures, de la problématique jusqu’à la publication des résultats. S’offre aussi une voie de reformulation qui propose la création de critères propres au qualitatif ; apparaissent alors des critères d’ordre communicationnel, telle l’authenticité (Savoie-Zajc, 2000). Gohier (2004) reprend la question et discute de la distinction entre les critères d’ordre scientifique et ceux d’ordre éthique. Elle montre que, loin de constituer deux registres différenciés, en s’imbriquant, ils constituent les fondements de la rigueur d’une recherche interprétative. Martineau (2007) établit une distinction entre les éthiques de pratique et les éthiques de procédures ; ces dernières font l’objet des questionnements des comités d’éthique (consentement libre et éclairé, respect de la dignité du sujet, respect de la vie privée et de la confidentialité).

Boutin (2006) applique ces critères au contexte spécifique de l’entretien. La responsabilité principale du chercheur concerne le respect des droits et du bien-être des personnes, respect qui se décline en quatre exigences : sauvegarder les droits, les intérêts et la sensibilité des sujets ; communiquer les objectifs de la recherche et l’importance de leur collaboration ; assurer la confidentialité ; et protéger l’anonymat afin d’éviter toute exploitation.

Dans le cas des études par entretiens, les critères éthiques concernent donc le consentement libre et éclairé, les questions relatives à la confidentialité des données ainsi qu’aux conséquences, pour les sujets ou pour le groupe qu’ils représentent, de leur participation à la recherche.

Quant aux critères scientifiques, au sens strict de la mise en oeuvre d’une démarche méthodologique, les auteurs s’entendent généralement sur des exigences de validité, de fidélité, de crédibilité/fiabilité quant à la recherche qualitative en général (Laperrière, 1997 ; Savoie-Zajc, 2000). De plus, d’autres critères sont proposés pour des méthodes singulières (phénoménologie ou théorisation enracinée, entre autres) et pour les entretiens eux-mêmes (Poupart, 1997). Les discours présentent aussi des moyens pour opérationnaliser ces critères, tels que la triangulation (Savoie-Zajc, 1996b), la saturation (Savoie-Zajc, 1996a), ou encore, la réflexivité (Boutin, 2006).

3.2 Les normes de présentation d’un article empirique qualitatif

Les normes de présentation des articles scientifiques dans les manuels de méthodologie, dans les politiques éditoriales des revues ou encore dans les travaux de l’APA (American psychological association, 2010 ; Provost, Alain, Leroux et Lussier, 2010) exigent l’inclusion d’informations pour apprécier la qualité et la valeur des études présentées. En plus des composantes classiques conventionnelles  (objectif, méthode, participants, déroulement, analyse des données), Cossette (2009) ajoute qu’il est nécessaire de préciser la façon dont les instruments de collecte de données ont été construits et d’annexer l’instrument.

De plus, des écrits de recherche spécifique concernent la présentation des résumés. Les travaux de Haynes, Mulrow, Huth, Altman et Gardner (1990), ceux de Hartley et Sydes (1997) ainsi que ceux de Mosteller, Nave et Miech (2004) plaident en faveur de résumés structurés retenant les aspects méthodologiques tels l’objectif, la méthode, le contexte, les participants et les procédures d’analyse des données.

La Revue des sciences de l’éducation constitue au Québec l’une des revues qui publie exclusivement des articles en éducation. Plusieurs exigences sont stipulées par le comité de rédaction en ce qui concerne les informations essentielles que doit comporter tout article ; celles-ci constituent un cadre strict de présentation incluant à la fois des exigences scientifiques et des précisions typographiques.

L’auteur doit situer le cadre général de son travail (recherche quantitative, qualitative ou mixte) ainsi que le type de recherche empirique, à savoir pour le qualitatif : recherche descriptive ou recherche-développement. Il doit préciser la méthode d’analyse de ses résultats. En ce qui concerne la présentation générale, l’auteur doit fournir cinq mots-clés ainsi qu’un résumé de 100 mots qui doit mentionner l’objectif spécifique de l’article, la méthodologie ou l’approche théorique utilisée, les résultats obtenus ou le résultat du développement théorique ainsi que les conclusions dégagées.

Le comité rédactionnel stipule que, dans le cas d’un article de recherche empirique, les sept sections suivantes, ou leur équivalent, sont obligatoires : l’introduction (se terminant par une question de recherche), le cadre théorique (se terminant avec un ou des objectifs spécifiques ou encore une ou des hypothèses), la méthodologie (à savoir, les participants, l’instrumentation, le déroulement et la méthode d’analyse des résultats), les résultats, la discussion des résultats, la conclusion et, pour terminer, les références. Soulignons que ces mêmes exigences se retrouvent dans le texte de Raîche et Noël-Gaudreault (2008) concernant les particularités de l’article de recherche théorique et de l’article de recherche empirique, structure acceptée par la communauté des chercheurs en éducation.

La Revue produit aussi un canevas de rédaction pour les auteurs dans lequel une grande précision est apportée au sujet de la méthodologie. Il s’avère intéressant de résumer ici ces exigences, puisqu’elles concernent au premier chef l’une des bases de nos analyses. Sur le plan méthodologique, quatre composantes sont retenues : les sujets, l’instrumentation, la méthode d’analyse des données et les considérations éthiques. Pour les participants, on leur demande de décrire le processus de sélection, leurs caractéristiques ainsi que le contexte du système auquel ils se rattachent. Y sont en outre mentionnés certains critères de scientificité rattachés à cette opération (généralisation des résultats). En ce qui concerne l’instrumentation, il est demandé de préciser le type de dispositif (nature, caractéristiques, source, processus d’élaboration, consignes d’administration, formation des personnes, pré-expérimentation) mis en place pour recueillir les données. Il faut aussi décrire la façon dont les données ont été analysées et en expliquer les étapes et ce, pour chacun des objectifs de la recherche. Une dernière exigence concerne les précautions usuelles mises en place pour garantir le respect des personnes (entre autres la confidentialité ou le consentement éclairé).

En considérant toutes ces exigences explicites, les articles repérés dans la Revue devraient fournir des informations substantielles concernant la méthode. Nous avons choisi d’y puiser les informations nous permettant de savoir comment les chercheurs en éducation utilisent l’entretien individuel dans leurs recherches à travers ce qu’ils en disent dans leurs articles.

Notre objectif est double : d’une part, décrire les usages et les exigences relatives aux entretiens individuels en recherche qualitative. D’autre part, à la lumière de ces précautions méthodologiques, examiner et discuter des modes de présentation de la méthode dans des articles empiriques en éducation qui présentent des recherches qui utilisent l’entretien individuel.

4. Méthodologie

Dans cette perspective, une analyse documentaire a été effectuée sur des articles empiriques publiés en éducation.

4.1 Échantillon

L’échantillon est composé de 18 articles de nature empirique publiés dans la Revue des sciences de l’éducation entre 2006 et 2009 inclusivement (Tableau 1). À partir du portail de revues Érudit, la procédure d’échantillonnage a consisté à dresser un inventaire des articles parus dans cette revue et correspondant aux critères de sélection suivants : l’article fait état d’une recherche empirique réalisée par entretien individuel, dont au moins un auteur est québécois, et dont la recherche a été réalisée en contexte québécois. Plusieurs mots-clés ont été utilisés pour repérer les articles empiriques (entretien, entrevue, interview, récit). Ces mots-clés ont été appliqués tant dans le résumé que dans le corps de l’article. Sur cette base, une première banque d’articles a été constituée à partir de laquelle un tri à la main a été fait afin d’exclure les articles sans lien avec les critères d’échantillonnage.

Tableau 1

Distribution des articles retenus selon l’année de publication et le numéro

Distribution des articles retenus selon l’année de publication et le numéro

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Finalement, 18 articles ont été retenus. L’un de ces articles rapporte deux études distinctes. Par conséquent, certaines compilations présentées dans les résultats peuvent totaliser 19.

4.2 Instrumentation

La collecte des données a été réalisée à l’aide d’une fiche de compilation développée et validée dans le cadre de nos travaux antérieurs portant sur l’usage des entretiens de recherche dans les sciences humaines et sociales. Cette fiche ainsi que l’explication des catégories qui la composent sont présentés à l’Appendice 1. Elle comporte 16 catégories qui permettent l’extraction et la compilation des informations recherchées (intentions, approche, type d’entretien, durée, échantillon, procédures d’analyse, scientificité, précautions éthiques), en plus des données d’identification propres à chaque article. Les données sont compilées dans une base de données et sont gérées à l’aide du logiciel FileMaker, version 9.

À chaque article correspond une fiche de compilation réalisée de manière à y concentrer les informations méthodologiques trouvées dans certaines parties déterminées des articles : le résumé, les mots-clés, la section présentant la méthode et parfois le texte en entier.

4.3 Déroulement

Le travail de compilation a été réalisé par une chercheure de l’équipe et une assistante de recherche formée à cette fin - la même assistante qui a effectué ce travail dans nos études antérieures (Royer, Baribeau et Duchesne, 2009). La validation des données a été assurée par la comparaison de leurs compilations respectives. Les données ont été traitées par un processus d’analyse de contenu (Paillé, 2004), une procédure quasi qualitative visant à décrire les informations et les procédures recensées dans les textes et, lorsque cela est pertinent, à en faire un comptage fréquentiel.

4.4 Considérations éthiques

Pour des raisons liées à l’anonymat, les résultats sont présentés de manière à ce que les auteurs et les articles ne puissent spécifiquement être identifiés. Aucun extrait pouvant identifier un article n’est utilisé.

5. Résultats

Dans cette section, nous présentons les résultats de manière à caractériser les usages des entretiens individuels tels qu’ils sont décrits par les auteurs dans leurs articles empiriques. Tour à tour, nous décrivons les intentions de recherche formulées, les types d’entretiens utilisés, la nature et la taille des échantillons constitués, les procédures d’analyse utilisées, les dispositifs auxquels les chercheurs ont recours pour assurer la qualité des résultats qu’ils présentent (triangulation, saturation et critères de scientificité), les précautions éthiques, les résumés et les mots-clés.

5.1 Intentions de recherche

Considérer cet aspect est essentiel pour comprendre dans quels buts et objectifs les entretiens sont utilisés. Pour ce faire, les objectifs de recherche ont été relevés, tels que formulés dans les articles, puis classifiés en fonction de la taxonomie du domaine cognitif, tout particulièrement, en fonction de son utilisation dans la formulation des objectifs (Legendre, 2005). Le tableau 2 présente les niveaux de savoir propres à la taxonomie ainsi que les intentions de recherche qui leur sont associées.

De cette classification, il ressort une tendance à utiliser l’entretien à des fins de connaissance, de compréhension et d’analyse. Les objectifs sont formulés de manière à favoriser l’exploration (explorer), la description (identifier, décrire, classifier dégager) ainsi que la mise en relation (analyser, comparer). On notera par ailleurs que les entretiens sont aussi utilisés à des fins évaluatives. Les visées nomothétiques relatives au développement de connaissances dominent ainsi nettement les usages. En revanche, les visées pragmatiques visant la résolution de problèmes sont moins évidentes dans ce corpus. Il faut mentionner le manque de stabilité dans la formulation des objectifs de recherche : à plusieurs reprises des objectifs sont énoncés à différents endroits dans l’article dans des formulations différentes. Pour une même étude, les variations peuvent aller de la connaissance à la compréhension et parfois jusqu’à l’application.

Tableau 2

Classification des intentions de recherche relevées dans les articles en regard de la taxonomie du domaine cognitif (Legendre, 2005)

Classification des intentions de recherche relevées dans les articles en regard de la taxonomie du domaine cognitif (Legendre, 2005)

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5.2 Types d’entretiens

Bien qu’il existe un large éventail de possibilités en matière d’entretien individuel, les données indiquent que les chercheurs en éducation manifestent une nette préférence pour les entretiens de type semi-dirigé. Deux qualificatifs sont ainsi attribués aux termes entretien/entrevue à savoir semi-dirigé ou semi-structuré. Dans quinze articles, les auteurs précisent avoir recours à des entretiens/entrevues/semi-dirigés/semi-structurés. Dans les autres, les auteurs mentionnent avoir réalisé des entretiens ou des entretiens individuels. Parfois le déterminant semi-dirigé/semi-structuré qualifie le questionnaire ou le guide d’entretien et non l’entretien lui-même.

Seulement cinq articles fournissent les guides d’entretien, alors que six intègrent au texte un aperçu des questions qui ont été posées lors des entretiens. Pour le reste, presque la moitié des articles (huit), aucune précision n’est fournie quant au guide d’entretien ou aux questions posées.

Pour le déroulement, dans plus de la moitié des articles (56 %), aucune mention n’est faite de leur durée. Les précisions données montrent que les entretiens réalisés auprès d’élèves sont de plus courte durée (20 à 60 minutes) que ceux réalisés auprès d’adultes qui vont de 45 à 180 minutes, ce qui correspond aux principes généralement admis en recherche qualitative. Dans un seul article, les auteurs mentionnent que les données ont été recueillies par des assistants de recherche formés à cet effet ; par ailleurs, on ne sait généralement pas qui a réalisé l’entretien.

5.3 Nature et taille des échantillons

Les données indiquent que 72 % des échantillons se composent de moins de 40 participants. On relève notamment quatre études comptant 30, 31 ou 32 participants et cinq études qui en comptent moins de dix. La figure 1 illustre la distribution de la taille des échantillons.

Figure 1

Distribution de la taille des échantillons dans les études analysées (n = 19)

Distribution de la taille des échantillons dans les études analysées (n = 19)

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Quant aux procédures de sélection des participants, sept articles en font mention, dont deux les présentent en détail. L’examen de ces procédures montre que les chercheurs font surtout appel à des techniques d’échantillonnage dites non probabilistes telles que : boule de neige, volontaire, choix raisonné, de convenance, intentionnel, diversifié. La présence d’échantillons de type probabiliste a été relevée - pigé au hasard et aléatoire simple – sans toutefois que le recours à ces échantillons ne soit expliqué.

5.4 Procédures d’analyse des données

Cette section concerne les indications fournies par les auteurs qui permettent d’établir la manière dont les données d’entretiens ont été traitées et analysées : la transcription des données enregistrées, codage, analyse, et théorisation, s’il en est.

Dans la plupart des articles analysés, les chercheurs indiquent que les données ont été enregistrées, transcrites puis codées. C’est là l’information la plus couramment repérée. Des chercheurs mentionnent aussi recourir à des grilles pour catégoriser les données. Ils rapportent ainsi des analyses faites par catégories dites prédéterminées et émergentes (catégories mixtes), à la manière de Huberman et Miles (1991, 1994) ainsi que de Miles et Huberman (2003). De plus, trois principaux types d’analyse peuvent être distingués : l’analyse de contenu (de loin le plus fréquent), l’analyse thématique et l’analyse de discours. Dans six études, les auteurs ne donnent aucune précision quant aux procédures d’analyse utilisées. Dans 11 articles, les auteurs mentionnent avoir soumis les grilles de codage ou certains résultats d’analyse à d’autres spécialistes pour valider leurs décisions (accord inter-juge ; intra et inter-codage) et ils fournissent un pourcentage d’accord.

5.5 Pratiques de triangulation, saturation et critères de scientificité

Selon Savoie-Zajc (1996b) la triangulation est une stratégie de recherche qui consiste à combiner les données issues de plusieurs instruments, compensant ainsi les biais propres à chacun. Par ricochet, la triangulation permet d’assurer la validité (justesse et stabilité) des analyses effectuées. La triangulation est ainsi intrinsèquement liée à la validité et à la scientificité. On dénombre 11 articles qui ne font aucune mention de triangulation de données au sens où Savoie-Zajc l’entend ; dans huit travaux, nous n’avons retrouvé que la mention d’un seul dispositif de collecte de données. Dans deux articles se retrouvent des traces (triangulation instrumentale) dans les cas où les entretiens sont jumelés à des entrevues de groupe, à des observations, au journal de bord du chercheur, aux notes de terrain ou à l’analyse documentaire, bien que ces sources ne soient pas systématiquement utilisées dans la présentation des résultats. Des questionnaires sont utilisés pour le recueil de données sociodémographiques.

Quant au critère de saturation (Savoie-Zajc, 1996a), il s’agit du point où, dans une recherche, toute donnée nouvelle n’apporte aucun élément inédit à la compréhension du phénomène à l’étude. Deux articles mentionnent la saturation, l’un dans un contexte d’échantillonnage théorique et l’autre en soulignant avoir trouvé de la redondance dans les propos des derniers sujets interviewés. Les 16 autres articles n’en font aucunement mention.

L’analyse réalisée s’est intéressée à la manière dont les critères de scientificité sont traités (Savoie-Zajc, 1996c). Quelles traces les auteurs laissent-ils quant aux précautions prises, au cours de la recherche, pour assurer la qualité du processus et des résultats de la recherche ? Très peu de précisions ont été relevées à cet effet dans les articles. C’est dans le paragraphe consacré aux limites de la recherche que se retrouvent les quelques informations. Certains auteurs mentionnent que la fiabilité de leurs résultats résulte soit de la corroboration des résultats par les sujets interviewés, soit des procédures de triangulation qu’ils ont mises en oeuvre. D’autres s’excusent de ne pouvoir ni généraliser ni transférer les résultats de leurs recherches, compte tenu qu’ils ont utilisé une approche qualitative. Certains discutent succinctement la scientificité de leurs recherches en proposant d’allonger le temps de présence sur le terrain, d’augmenter la taille de l’échantillon ou encore de le diversifier, de raffiner leurs outils, de baliser la subjectivité du chercheur ou d’encadrer les capacités mémorielles des sujets. Cependant, ces informations sont plutôt rares dans les textes examinés.

5.6 Précautions éthiques

La politique éditoriale de la Revue ainsi que la littérature méthodologique demandent que soient précisées les manières dont les chercheurs ont protégé les participants et ont fait en sorte de respecter leurs droits (particulièrement le consentement libre et éclairé, les questions relatives à la confidentialité des données ainsi qu’aux conséquences, pour les sujets ou le groupe qu’ils représentent, de leur participation à la recherche). Neuf articles n’en font aucune mention. Quant aux autres, les chercheurs font référence aux précautions prises pour assurer la confidentialité (6) ou l’anonymat (8), au consentement éclairé des sujets et aux possibilités de retrait de la recherche (2). Une étude mentionne les compensations offertes aux sujets.

5.7 Résumé et mots-clés

Tous les articles empiriques présentent un résumé, conformément aux exigences de la Revue. Toutefois, ces résumés ne comportent pas tous des précisions méthodologiques. Ainsi, 11 résumés mentionnent la méthode ou l’approche utilisée (recherche qualitative, par exemple). Six résumés mentionnent le type d’instrument utilisé (entrevue semi-dirigée, par exemple). Presque tous (n = 15) mentionnent la population concernée (parents, enseignants, par exemple). Quatre résumés mentionnent le type d’analyse effectuée sur les données. Six articles y précisent le but de l’étude : connaître, savoir, explorer, approfondir. Le résumé fournit en quelque sorte des informations méthodologiques de base telles que le dispositif et l’échantillon, sans plus. Aucun article ne retient, dans les mots-clés, un mot-clé relatif à la méthode.

6. Discussion des résultats

L’objectif de cette étude est d’examiner et de discuter, à la lumière des précautions méthodologiques, les usages de l’entretien tels qu’ils sont décrits dans des articles empiriques publiés dans le champ de l’éducation dans la Revue des sciences de l’éducation. Les résultats obtenus pour les pratiques en usage en éducation sont similaires aux observations faites pour les sciences sociales en général (Royer, Baribeau et Duchesne, 2009). L’entretien individuel est principalement utilisé dans le but de connaître, de comprendre, et aussi pour analyser des phénomènes ou des situations, ce qui confère effectivement à l’entretien une place centrale dans la production de connaissances en éducation (Tierney et Dilley, 2002).

Bien que les articles fournissent peu d’informations sur la manière dont les échantillons sont construits, les résultats indiquent que ces derniers sont de petite taille, généralement en deçà de 40 participants. Ils sont construits de manière intentionnelle, à l’aide de techniques diverses pour la plupart non probabilistes. En recherche qualitative, il est en effet reconnu que la qualité de l’échantillon est moins liée à sa taille et à sa représentativité qu’au fait qu’il produit des informations nouvelles (Lincoln et Guba, 1985).

L’analyse révèle des aspects intéressants quant à l’instrumentation, au déroulement des entretiens et à l’analyse des données. Les guides d’entretien sont utilisés, mais peu sont présentés, laissant ainsi le lecteur ignorant quant au contenu des entretiens, aux thèmes abordés, aux questions posées, voire aux informations recherchées ; quant à leur déroulement, très peu d’informations sont fournies. Les procédures d’analyse se regroupent autour des analyses de contenu, thématique et de discours. Les étapes classiques de codage et de catégorisation sont présentées, sans toutefois que soient fournis des détails sur ces procédures. L’ensemble de ces omissions aura des effets importants non seulement sur la compréhension des résultats présentés, mais aussi sur la crédibilité de l’étude (Laperrière, 1997 ; Savoie-Zajc, 2000).

Quant à la triangulation, à la saturation des données et aux autres procédures touchant la scientificité d’une recherche, très peu, sinon pas d’informations ont été repérées. Rarement retrouvons-nous des indices de retour de données aux informateurs, sinon pour valider la transcription des entretiens. Ou faire appel à ces dispositifs ne fait pas partie des usages dans la recherche en éducation, ou les chercheurs – et les pairs évaluateurs – ne considèrent pas important de les mentionner dans les articles. Dans tous les cas, ces façons de faire prêtent flanc à la critique des études réalisées.

Tels que présentés dans les articles, ces constats concernant les usages de l’entretien individuel en recherche qualitative nous amènent à discuter des modes de présentation des aspects méthodologiques dans les articles empiriques, le second volet de cette étude. Cette discussion méthodologique se divise en trois points : le résumé et les mots-clés, la présentation de la méthode et le recours à l’entretien individuel. Elle met en parallèle, pour comparaison, d’un côté, les exigences de la Revue des sciences de l’éducation ainsi que celles des discours méthodologiques relatifs au contenu des articles empiriques et, de l’autre, les pratiques des chercheurs telles que décrites dans les articles empiriques.

6.1 Le résumé et les mots-clés

Le résumé et les mots-clés sont des composantes essentielles pour le repérage des articles dans les bases de données bibliographiques. Or, aucun article du corpus analysé ne mentionne dans les mots-clés le dispositif qui a été utilisé. Il serait peut-être intéressant de demander qu’au moins un (1) des cinq (5) mots-clés concerne le dispositif ou l’approche, par exemple : entretien ou encore approche qualitative.

Il semble qu’une considération plus soutenue pourrait être apportée au résumé. Les exigences de la Revue ne sont pas toujours prises en compte, et les évaluateurs devraient continuer d’y tenir avec rigueur. L’identification des objectifs spécifiques pourrait faire l’objet de plus d’attention, car il nous a été parfois difficile de les cerner sans avoir recours au corps du texte. Les paramètres mis de l’avant par Mosteller, Nave et Miech (2004), c’est-à-dire un résumé d’environ 400 mots comportant sept dimensions, pourraient être retenus. Certes plus longs que les 100 mots exigés, ces paramètres faciliteraient néanmoins le repérage dans les banques informatisées et n’obligeraient que dans certains cas à plonger dans l’article pour décider de sa pertinence.

6.2 La méthode : sujets, instrumentation, éthique et scientificité

En ce qui concerne les sujets, la Revue, à l’instar des écrits méthodologiques, s’attend à retrouver leurs caractéristiques et le contexte du système auquel ils se rattachent ainsi que la description du processus de sélection. On y trouve en outre mentionnés certains critères de scientificité rattachés à cette opération (généralisation des résultats).

Les articles mentionnent les caractéristiques des sujets et certains aspects du contexte du système (par exemple, l’ordre d’enseignement, la tâche, la nature des activités). Quant aux procédures de sélection, cet aspect laisse à désirer. Dans les directives aux auteurs, le comité éditorial établit un lien entre l’échantillon et la généralisation des résultats. Or, la Revue adopte une position nuancée qui ne devrait pas conduire les auteurs à s’excuser de ne pouvoir généraliser les résultats de leurs travaux. Ces derniers devraient plutôt s’attarder à montrer comment ils dépasseront les limites inhérentes à toute recherche, qu’elle soit quantitative ou qualitative et quels que soient les dispositifs mis en oeuvre.

Quant à l’instrumentation, la Revue demande de préciser le type de dispositif mis en place pour recueillir les données : nature, caractéristiques, source, processus d’élaboration, consignes d’administration, formation des personnes, pré- expérimentation. Les auteurs nomment le dispositif et ses caractéristiques générales (par exemple, entretien semi-dirigé). Toutefois, peu fournissent des indications concernant l’élaboration du guide d’entretien, les consignes de réalisation, le déroulement, la formation des personnes et la pré-expérimentation. Il serait essentiel d’inclure le guide d’entretien en appendice et d’y préciser les consignes d’utilisation. Quant à la formation des intervieweurs, cette information s’avère intéressante dans le cas où des assistants ont procédé à la collecte de données. Si une pré-expérimentation a eu lieu, les modifications apportées devraient être rappelées. Toutes ces précisions sont riches de sens pour le lecteur et lui permettent de mieux apprécier la qualité de l’étude. De plus, tous les écrits qui traitent de l’entretien considèrent comme essentielle la qualité de l’interaction établie entre le chercheur et les sujets ; l’un parle de la qualité de la communication (Boutin, 2006) ; Savoie-Zajc (2009) souligne que la qualité des données découle de la conduite de l’entretien ; Poupart (1997) discute longuement des précautions à prendre pour établir une relation de qualité entre le chercheur et l’interviewé ; et Van der Maren (2010) souligne qu’un guide d’entretien est essentiel pour mener à bien ce travail de collecte de données. Boutin (2006) propose même des indications générales pour l’élaboration d’un guide d’entretien et Van der Maren (2010) fournit aux chercheurs une procédure pour établir les contacts avec des sujets.

Les précautions éthiques sont peu souvent mentionnées, alors que chaque recherche a sûrement fait l’objet d’une certification du comité d’éthique des universités de rattachement des chercheurs. Minimalement, ces derniers devraient indiquer au lecteur les précautions prises pour protéger les participants à l’étude. En effet, cette omission remet en cause la valeur des résultats présentés dans les articles et celle des usages que le lecteur peut en faire. Gohier (2004) soutient à juste titre qu’une recherche qui place la considération du sujet au coeur de ses préoccupations serait en contradiction avec ses propres postulats si elle ne témoignait pas de précautions éthiques.

Sans entrer dans une querelle quant aux choix des critères de scientificité, et bien que la Revue n’en fasse pas spécifiquement un aspect à propos duquel des précisions doivent être fournies, quelques observations sont nécessaires pour bien camper les exigences afin que les analyses puissent être reçues comme valides et crédibles. Plusieurs précautions y répondent, surtout celles qui concernent les procédures d’analyse. À la suite des travaux de Lincoln et Guba (1985), qui ouvraient la porte à une reformulation des critères de scientificité pour les recherches qualitatives, de nombreux chercheurs (mentionnons, entre autres, Laperrière, 1997 ; Poupart, 1997 ; Savoie-Zajc, 2000 ; Van der Maren, 1995) se sont efforcés, avec succès, d’établir des critères scientifiques en recherche qualitative. Les auteurs ont donc à leur disposition des travaux leur permettant de traiter cette question et d’insérer, au travers de la présentation des résultats, les précautions qu’ils ont prises pour en assurer la scientificité.

6.3 Le recours à l’entretien individuel

Afin de discuter cette question, reprenons les trois types d’arguments pour recourir à l’entretien, tels qu’énoncés par Poupart (1997). Considérons tout d’abord l’argument épistémologique, soit l’exploration en profondeur de la perspective de l’acteur, ce qui rejoint le propos de Savoie-Zajc (2009) qui soutient que les entretiens poursuivent des visées d’explicitation et de compréhension en profondeur. Plusieurs études mentionnent avoir recours au qualitatif dans un but de compréhension en profondeur. Cette profondeur pourrait être atteinte au travers d’un petit nombre de sujets, certes, mais rencontrés sur une longue durée ou à travers des entretiens répétés. C’est à partir du devis méthodologique et des précisions fournies dans les articles analysés que nous avons pu estimer ce principe. Or, dans 10 des 18 articles, aucune mention n’est faite de la durée de l’entretien et du fait que les chercheurs seraient retournés auprès des sujets pour un second entretien ou pour un complément d’information afin de valider leurs interprétations. Lorsque les sujets sont revus ou que les transcriptions leur sont acheminées, c’est pour valider la transcription de leurs propos. Comment un lecteur peut-il attester de la profondeur et de la semi-direction de l’entretien si aucune précision n’est donnée quant à la durée de l’entretien et à la prise en compte de la rétroaction des participants à la lecture de leurs propos ? Comment savoir si une certaine saturation a été obtenue si le chercheur ne traite pas de cet aspect ?

L’argument éthique et politique vise la compréhension et la connaissance de l’intérieur des dilemmes et des enjeux auxquels fait face l’acteur. Nos analyses montrent des lacunes quant à la description des précautions éthiques qui ont été mises en place. Quant à l’argument politique, nous n’en avons trouvé aucune trace qui aurait pu relever de l’apprentissage ou de l’émancipation des participants (Savoie-Zajc, 2009).

Enfin, l’argument méthodologique concerne l’accès privilégié à l’expérience de l’acteur. Pour estimer cet aspect, il conviendrait d’avoir accès aux guides d’entretien, ce qui nous permettrait de bien cerner l’aspect semi-directif. Il nous semble aussi qu’en l’absence de triangulation, nous devrions retrouver une argumentation concernant le choix d’un seul dispositif pour recueillir les données. En effet, les motifs qui président au choix de l’entretien semi-dirigé, et de l’entretien uniquement, ne sont pas argumentés, sauf par allusion à une visée de profondeur (en lien avec un nombre limité de sujets). Cette absence soulève des questions. Les données sont-elles fiables ? Que verrait-on avec un autre instrument, dans ce même contexte ? Quelles données nouvelles surgiraient ? La triangulation des dispositifs permet de contrer les biais relatifs aux limites de l’entretien. Sans en faire spécifiquement mention, il semble que bon nombre de pratiques de recherche tentent de baliser la subjectivité des chercheurs par des procédures de codage interjuge ou encore par le retour des transcriptions des entretiens aux sujets. Nous pensons que la triangulation des sources, la réflexivité sur le processus, l’implication à long terme sur le terrain et la prise en compte des cas contrastés s’avèrent des voies qui concordent davantage avec l’esprit du qualitatif (Laperrière, 1997).

7. Conclusion

Cette étude aura permis de dresser un portrait des usages de l’entretien individuel dans la recherche en éducation au Québec à travers les précisions méthodologiques présentées dans les articles et de contraster ce portrait avec les précautions méthodologiques d’usage.

À l’issu de l’analyse de contenu de 18 articles empiriques, se dessinent certains contours de ces usages (champ marqué par l’usage de l’entrevue semi-dirigée, visées compréhensives, petits échantillons, usage de divers types d’analyse). Les résultats n’en révèlent pas moins de nombreuses lacunes (manque généralisé de précisions sur les procédures utilisées, usage extrêmement limité de la triangulation et de la saturation) qu’on ne saurait trop attribuer aux seules pratiques de recherche ou à leurs modes de présentation.

En plus d’affiner la connaissance des usages et des pratiques de l’entretien, les résultats de la présente étude peuvent offrir aux chercheurs des repères supplémentaires pour la préparation de leurs articles. Cette analyse offre aussi à la Revue un reflet de ses politiques éditoriales, tout en permettant à d’autres revues scientifiques de mettre en place des politiques ou de raffiner celles qu’elles ont déjà. Par-dessus tout, le fait de regarder la manière dont la recherche qualitative est réalisée et la manière dont elle est présentée est extrêmement éclairant en regard de l’épistémologie des méthodes et des modes de constitution des connaissances scientifiques. Dans le cas de cette analyse, par exemple, on peut se demander si une confiance trop grande n’est pas accordée aux dispositifs d’entretien qui sont utilisés, du fait de la très faible présence de saturation et de triangulation dans les devis de recherche, ou encore si certains aspects liés à la préparation des articles ne sont pas considérés comme acquis par les chercheurs qui omettent ainsi plusieurs informations fondamentales dans leurs écrits.

Cette analyse comporte des limites. En effet, elle s’en tient à une discussion méthodologique relative à des articles publiés dans le champ de l’éducation et dans une seule revue, la Revue des sciences de l’éducation. De plus, le propos, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, prend appui sur les rapports que les chercheurs rédigent en regard de la méthode utilisée, regard indirect sur les pratiques et les usages de la recherche qualitative. Pour comprendre les usages de l’entretien individuel en recherche qualitative, d’autres études seraient nécessaires. Il faudrait pour cela rencontrer les chercheurs en entretien, les suivre et les observer pendant leurs activités de recherche.

Cette étude soulève aussi des questions sur le plan des pratiques de recherche qui seraient intéressantes à explorer. Qu’en serait-il en sciences humaines, sociales et de la santé ? Qu’en serait-il dans d’autres revues, européennes par exemple ? Qu’en est-il dans les demandes de subvention ? Qu’en est-il dans les thèses et les mémoires de recherche ? Qu’en est-il des articles refusés par les revues ? L’examen des pratiques de recherche soulève aussi des questions sur l’enseignement et l’apprentissage des méthodes, sur leur utilisation, sur leur valeur scientifique et sur les conceptions que les chercheurs en ont. Ces champs d’exploration constituent des lieux privilégiés pour étudier tout à la fois les usages de la recherche qualitative et la question de la rédaction de discours scientifiques. Finalement, notre travail concerne aussi, au-delà des champs disciplinaires, la validité et la crédibilité des données de recherche sur lesquelles les chercheurs s’appuient pour construire la connaissance.