Recensions

Agostini, M. (2011). Les enfants et la philosophie. Paris, France : Éditions Aux forges de Vulcain[Record]

  • Emmanuèle Auriac-Slusarczyk

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  • Emmanuèle Auriac-Slusarczyk
    Clermont Université. Université Blaise-Pascal

La réflexion menée dans l’ouvrage est de qualité et marquera les écrits de recherche sur le sujet. Interpellant les enfants en tant qu’humains en devenir, les paroles de ces derniers ponctuent judicieusement une réflexion théorique qui interroge nos prêts-à-penser. Pédagogique, l’ouvrage est accessible à des non-spécialistes. Il est composé de trois parties distinctes d’une centaine de pages initiant chacune une question et assortie d’une bibliographie propre : Qu’est-ce que la philosophie ? Comment philosopher avec les enfants ? Pourquoi philosopher avec les enfants ? Tout d’abord, la preuve de la nécessité du philosopher est administrée comme moyen de lutte contre l’endoctrinement et le formatage des esprits. La différence entre sophisme et éducationcritique écarte le néophyte d’une vision simpliste : dialoguer ne suffit pas pour philosopher. Le maître doit assurer une relation d’accompagnateur, tel Socrate. Il doit pratiquer l’exercice de la réfutation en dépassant l’idée d’une technique appliquée. Il doit s’engager. La notion de suspension du jugement, reprise chez Montaigne, se pose ensuite comme un fil conducteur de l’ouvrage : suspendre son jugement est, pour le maître, la condition préalable du philosopher et pour faire philosopher des enfants. Dégagé de l’impasse d’une vision techniciste, le lecteur comprend que la régularité et l’exercice servent à forger les habitudes du philosopher. Puisant chez des philosophes, anciens ou contemporains (Montaigne, Locke, Conche, Derrida, etc.), certaines lignes de force pratiques sont proposées, illustrées et théoriquement commentées. De manière originale, les notions aristotéliciennes de mimesis, praxis et hexis, distinguées, sont situées pour le non-spécialiste. L’auteur défend alors, pour ces pratiques, une vidée existentialiste. L’altérité, la régularité du rituel, l’aménagement d’espace-temps, l’amitié (philia) conditionnent le Comment davantage que l’accès à des concepts philosophiques. L’éducateur doit travailler l’adaptabilité, la variabilité en toute liberté pédagogique. C’est l’examen de la pensée et sa mise en mouvement, sous toutes ses coutures, comme la vigilance à la cohérence des propos qui importent. Le troisième volet se boucle sur le Pourquoi. Les références centrales sont celles de Montaigne, et de Conche, philosophe contemporain, lecteur de Montaigne. Mais le lecteur trouve aussi des points de vue critiques sur divers acteurs contemporains du courant de philosophie pour enfants ; Galichet, Daniel, Ribalet, Tozzi, Brenifier, etc. Insidieusement, on met en lumière que les idées de démocratie et de citoyenneté conduisent à notre époque à des arguments fallacieux, ceux justement combattus dans la première partie. Au coeur de ce troisième mouvement de démonstration, c’est la tolérance qui est discutée logiquement avec le lecteur. Les notions de tolérance critique et de vigilance critique marquent le pas pour tracer la ligne de frontière entre jugement et préjugés. Ancré dans la conception du philosopher chez Montaigne, l’ouvrage consacre la démonstration patiente et logique qu’accompagner la réflexion dès l’enfance est possible et, que la philosophie est une voie royale autant qu’ordinaire. Justesse philosophique qui manquait certainement au domaine d’adaptation de la philosophie aux enfants.