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1. Introduction et problématique

Le clavardage est un mode de communication en ligne très populaire au Québec et dans plusieurs pays (Varnhagen, McFall, Pugh, Routhledge, Sumida-MacDonald et Kwong, 2010). Le clavardage, dont les discussions se déroulent en direct sur la toile virtuelle avec une ou plusieurs personnes, se démarque par ses aspects de rapidité et d’instantanéité (Tatossian, 2008b). Ces discussions virtuelles ont cours sur des programmes tels que MSN Messenger, ICQ et IRC, de même que Facebook. Le clavardage est notamment prisé par les adolescents de l’actuelle génération (Paré, 2001). La popularité du clavardage auprès des jeunes a en effet été mise en évidence par une étude réalisée récemment par Clark et Dugdale (2009), qui a révélé que 73 % des jeunes Anglais et Écossais (= 3000) clavardent, soit 66 % des garçons et 80 % des filles. Quant à Joannidès (2009), l’étude qu’elle a réalisée en France avec un échantillon de 45 élèves a montré que 54 % des élèves de niveau CM2 (dernière année du primaire) et 96 % des élèves de quatrième année (niveau secondaire) clavardent. Au Québec, 74 % des élèves de cinquième secondaire (n = 199) ont mentionné clavarder lors d’une recherche empirique réalisée par Lafontaine, Blouin-Bradette, Cantin-Fontaine et Fortier (2005). Lenhart, Madden et Hitlin (2005) affirment, quant à eux, que 32 % des jeunes âgés entre 12 et 17 ans clavardent quotidiennement.

Par l’intermédiaire du clavardage, les jeunes francophones transgressent les normes de l’orthographe française, soit les normes de l’orthographe grammaticale et lexicale, puisqu’ils utilisent une langue codée qui diffère en de nombreux points du français conventionnel. Les recherches d’Anis (2000 ; 2003) et de David et Gonçalves (2007) ont mis de l’avant les particularités de la langue employée en situation de clavardage, qui comporte surtout des réductions de graphèmes et des réductions et transformations avec variantes phonétiques. Quant aux recherches de Tatossian (2008a ; 2008b, 2011), elles se sont surtout concentrées sur la dimension linguistique du clavardage, et plus précisément sur les variantes graphiques et linguistiques utilisées dans ce contexte. Dans l’une de ces études, il a été observé qu’autant les adolescents que les adultes font appel à un grand nombre d’abréviations en situation de clavardage. Il apparaît aussi que les adolescents transgressent davantage l’orthographe conventionnelle que les adultes. Par ailleurs, une étude menée par Frias (2003) porte majoritairement sur l’utilisation et le sens des émoticônes (smileys), ces petits visages représentant les émotions des clavardeurs. Frias (2003) aborde également l’interactivité, la créativité, la spontanéité et l’expressivité amenées par le clavardage et par ces smileys. Il est à noter qu’il s’agissait, en 2003, d’une recherche en cours et que l’article ne présente pas encore de résultats. Quant à Lacerte (2006), elle s’est intéressée au clavardage d’un point de vue psychosocial, en analysant les usages et les représentations sociales des jeunes qui ont l’habitude de clavarder. Son étude a montré que le clavardage favorise le tissage de liens sociaux et que ce dernier a un impact sur le développement de l’identité générationnelle des jeunes.

Le clavardage a aussi fait l’objet de recherches lors de l’apprentissage d’une langue seconde. Sous cet angle, Noet-Morand (2003) a analysé les stratégies conversationnelles favorisées par le clavardage dans un contexte d’apprentissage d’une langue seconde à distance et a découvert que le clavardage favorise la pratique des rites de salutations et d’au revoir, du code de l’oral, des reformulations, etc. Aussi, le clavardage encourage les élèves réticents à prendre la parole et à se sentir plus à l’aise pour le faire. La pratique du clavardage, qui constitue un mode de communication authentique, faciliterait éventuellement la pratique de l’oral lors de l’apprentissage d’une langue seconde. Blake (2009) a aussi réalisé une recherche au sujet de l’influence du clavardage sur l’oral lors de l’apprentissage d’une langue seconde. Celle-ci a révélé que les personnes utilisant le clavardage avaient obtenu de meilleurs résultats aux tests oraux que ceux qui n’en faisaient pas usage. Foucher, Rodrigues et Hamon (2010) ont, quant à eux, implanté un projet de clavardage pédagogique avec des apprenants adultes lors de l’apprentissage d’une langue seconde. Ils ont remarqué que les textes écrits des apprenants sont de meilleure qualité et que ces derniers réalisent davantage d’interactions dans ce contexte. En ce qui concerne Rodet (2003), il s’est intéressé au clavardage en situation de formation à distance, avec des étudiants en sciences de l’éducation, et estime que celui-ci contribue à soutenir le sentiment d’appartenance à un groupe, fait en sorte que les échanges sont davantage organisés, et favorise l’encadrement, autant individuel que collectif, des étudiants.

En somme, le clavardage a été étudié sous bien des angles. En revanche, il l’a peu été en ce qui concerne son impact sur la maîtrise de la langue écrite, malgré le fait qu’il s’agit d’un sujet d’actualité. À notre connaissance, une seule étude québécoise francophone s’est attardée à la question (Lafontaine et al., 2005). Les études sur l’impact du clavardage sur la langue écrite anglaise sont aussi peu nombreuses. La seule portée à notre connaissance est celle de Varnhagen et al., (2010). Ces deux études seront décrites en détail dans le contexte théorique, en recension des écrits. La rareté des études sur l’impact du clavardage sur la langue écrite est donc à prendre en considération, d’autant plus que ces dernières sont relativement récentes. La question à la base de cette recherche est la suivante : Quelle est l’influence du clavardage sur la maîtrise du français écrit des élèves du premier cycle du secondaire ?

2. Contexte théorique

2.1 Définitions des concepts

Le terme clavardage (issu de clavier et bavardage) a été choisi par l’Office québécois de la langue française (1997) pour désigner ce nouveau phénomène. Le clavardage peut être défini comme une forme de bavardage en ligne en direct, instantané et interactif où la langue codée est préconisée (Gonthier, 2011).

Ainsi, le terme langue codée est utilisé pour désigner la langue écrite utilisée en contexte de clavardage. En effet, dans cette situation, les internautes ont tendance à procéder à diverses modifications scripturales, de sorte que la langue française écrite est bien différente dans ce contexte. Tout d’abord, les individus recourent à des réductions graphiques, c’est-à-dire qu’ils vont couper certaines lettres dans un mot, de telle sorte que celui-ci se transforme en écriture graphophonétique et que les mots sont écrits comme ils sont prononcés à l’oral (David et Gonçalves, 2007). Par exemple, le mot quoi pourrait se transformer en koi, dont l’écriture au clavier est plus rapide. Par ailleurs, les réductions et transformations avec variantes phonétiques sont, elles aussi, partie intégrante de ce mode de communication. Ici, les internautes peuvent, par exemple, remplacer le mot c’est par c, ou tout simplement enlever une lettre à la fin d’un mot. Le choix des traits linguistiques à la base de toute conversation électronique est marqué par le souci de rapidité et d’instantanéité des réponses, dans le but de sauver du temps et d’écrire le plus rapidement possible. Aussi, les émoticônes, qui visent à exprimer des émotions par l’intermédiaire d’illustrations, sont souvent utilisées par les adeptes du clavardage. Les éléments de ponctuation sont quasi-absents, mis à part lorsque les internautes désirent mettre en relief une phrase en particulier. À cette fin, ils font appel à des étirements graphiques, qui consistent en l’ajout de lettres répétitives à la fin des mots afin de mettre l’accent sur le message transmis. Également, des signes vont transformer totalement un mot, signes que les personnes n’utilisant pas cette forme de communication ne sauraient reconnaître. Par exemple, asv, qui représente « âge, sexe et ville ». Cette expression est utilisée lorsque les internautes souhaitent savoir à qui ils s’adressent. Pour terminer, soulignons que cette langue se caractérise comme hétérogène, polyvalente et variable (Anis, 2000 ; 2003 ; David et Gonçalves, 2007).

À l’opposé de la langue codée utilisée en contexte de clavardage, dans le cadre de cette recherche, nous utiliserons aussi le terme langue conventionnelle pour désigner le français écrit requis dans les contextes formels d’écriture.

2.2 Recension des écrits

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les études qui se sont attardées à l’influence du clavardage sur la maîtrise de la langue écrite sont peu nombreuses à ce jour. À notre connaissance, la seule étude québécoise centrée sur l’impact du clavardage sur la langue écrite est celle de Lafontaine et al. (2005). Ces derniers ont vérifié l’incidence du clavardage sur la maîtrise du français écrit d’élèves francophones (n = 199) de cinquième secondaire de classes régulières et enrichies. L’objectif de cette étude était de comparer les performances en français écrit des élèves qui utilisent le clavardage comme outil de communication et de ceux qui ne le font pas. Afin que soit bien établie la distinction entre les élèves qui clavardent et ceux qui ne clavardent pas, les sujets ont rempli un questionnaire sur leurs habitudes de clavardage. Ces derniers ont aussi fait l’auto-évaluation de leur compétence en français et précisé leur moyenne dans cette matière. Dans le but d’analyser l’impact du clavardage sur l’écriture, les sujets ont eu à réaliser deux activités : 1) une dictée de huit phrases ; 2) et la correction de plusieurs expressions puisées selon les codes du clavardage. Étant donné l’absence de différences significatives entre les clavardeurs et les non-clavardeurs lors de la dictée et de l’exercice de correction, il a été démontré que le clavardage n’avait pas d’effet négatif sur le français écrit des jeunes de cinquième secondaire. Par ailleurs, Varnhagen et al. (2010) ont réalisé une étude dont l’un des objectifs était de vérifier l’impact du clavardage sur la maîtrise de la langue anglaise écrite. Ils désiraient également analyser la nature des mots écrits en situation de clavardage, de même que les fonctions de ces derniers. Pour ce faire, 40 élèves anglophones clavardeurs, âgés de 12 à 17 ans, ont enregistré leurs conversations par l’intermédiaire du clavardage durant une semaine. Les chercheurs ont ensuite utilisé ces conversations afin de détailler cette nouvelle langue, qui inclut des abréviations, des acronymes, des coupures, des signes de ponctuation particuliers, des émoticônes, etc. Ils ont ensuite fait passer aux sujets des tests d’orthographe basés sur des mots codés utilisés lors de leurs conversations par clavardage. Du côté procédural, il est à noter que les jeunes entendaient les mots et devaient les taper à l’ordinateur, et ensuite les envoyer par courriel ou bien par clavardage à l’expérimentateur. En somme, l’analyse de données a permis de constater que l’habileté en orthographe n’est pas liée à la langue utilisée en contexte de clavardage. Ainsi, le fait que les jeunes clavardent n’aurait pas d’incidence défavorable sur leurs performances en orthographe, ce qui, selon les chercheurs, vient contredire les affirmations de plusieurs médias et parents, qui ont manifesté une certaine inquiétude quant à l’impact du clavardage sur la langue. Aussi, l’étude de Varnhagen et al., (2010) montre que les filles, en contexte de clavardage, utilisent davantage la langue codée du clavardage (que les chercheurs appellent nouvelle langue) que les garçons. De plus, il s’avère que les garçons qui sont plus faibles en orthographe ont tendance à faire davantage appel à cette nouvelle langue que les garçons plus performants en orthographe, ce qui n’est pas le cas pour les filles. En effet, contrairement aux garçons, il apparaît que celles qui sont plus performantes en orthographe recourent davantage à des abréviations que celles qui manifestent des difficultés à cet égard.

Cela dit, nous pouvons nous demander comment l’élève traite la langue écrite en contexte d’écriture formel et en contexte de clavardage. C’est ce sujet qui sera abordé à la section suivante.

2.3 Le clavardage du point de vue de la psychologie cognitive

Il nous semble pertinent de nous attarder au fonctionnement cognitif de l’élève dans le but de trouver des éléments d’explication à savoir si l’utilisation du clavardage pourrait interférer avec les connaissances qu’il possède par rapport à la langue française écrite. À cette fin, nous nous inspirerons de la psychologie cognitive et de la théorie du traitement de l’information, et aborderons plus précisément l’automatisation des connaissances, le transfert des apprentissages et la métacognition (Sternberg, 2007 ; Tardif, 1992). Soulignons que les propos de cette partie sont hypothétiques, puisque dans le cadre de cette recherche, nous n’avons pas vérifié comment l’élève traite l’information sur le plan cognitif en contexte de clavardage et en contexte formel d’écriture.

Au fil de leurs apprentissages, les élèves ont appris une large gamme de mots écrits. Il est probable qu’ils ont en effet développé un lexique orthographique riche et varié qui s’est peut-être automatisé par sa fréquente utilisation. Malgré le fait qu’ils auraient ces mots en mémoire, les jeunes semblent avoir choisi volontairement de ne pas les employer à chaque fois lorsqu’ils clavardent. Il est prévisible qu’ils utilisent plutôt la langue codée, qui consiste en une variation linguistique de la langue française écrite. Si tel est le cas, ils seraient conscients que leur écriture comporte des erreurs et qu’ils n’écriraient pas en conformité avec les normes de la langue française. Ainsi, nous pouvons supposer que plus ils passeraient de temps à clavarder, plus ils automatiseraient parallèlement cette langue codée, qu’ils auraient aussi mémorisée au fil de la pratique. Les élèves auraient alors en mémoire deux variations de la langue française écrite, l’une conventionnelle et l’autre codée, qu’ils utiliseraient selon le contexte dans lequel ils se trouvent, soit respectivement en contexte d’écriture formel ou en séance de clavardage. Leurs capacités métacognitives pourraient peut-être leur permettre de distinguer ces différents contextes. En somme, il semblerait donc possible que, volontairement, ces élèves ne transfèrent pas l’utilisation du français conventionnel dans leurs conversations écrites en contexte de clavardage. Si notre raisonnement s’avère exact, le processus inverse pourrait également se produire, c’est-à-dire que de la même façon, ils ne transfèreraient pas non plus la langue codée issue du clavardage dans les écrits conventionnels. Malgré cela, si l’on considère que sa polyvalence et son aspect graphophonétique font de la langue codée un mode de communication accessible et attrayant pour les jeunes, il est possible qu’ils soient plus susceptibles de pratiquer le clavardage que l’écriture de textes formels. Ils pourraient donc automatiser davantage la langue codée au détriment du français conventionnel, qu’ils utiliseraient éventuellement dans tous les contextes. De cette façon, cela pourrait laisser supposer que le clavardage ait une incidence défavorable sur la maîtrise du français écrit.

Par ailleurs, les élèves doivent considérer de nombreux aspects lorsqu’ils rédigent un texte, et ce, de façon concomitante. En effet, l’écriture est une activité qui fait appel à des habiletés langagières multiples (Dalpé, Giroux, Lefebvre et St-Pierre, 2010). La rédaction d’un texte se situe dans une démarche de transmission de l’information ; plusieurs processus de différente nature doivent donc être impliqués : les processus cognitifs, linguistiques, métacognitifs et moteurs (Singer et Bashir, 2004). Entre autres, les élèves doivent tenir compte des trois principales stratégies d’écriture, qui consistent en la planification, la rédaction et la révision (Boudreau, 1995). Ils doivent aussi faire appel à leurs connaissances lexicales, c’est-à-dire aux mots qu’ils emploient, à leurs connaissances syntaxiques, qui leur permettent d’écrire des phrases structurées, et aux accords grammaticaux (Préfontaine, 1998). Les élèves doivent également gérer le message qu’ils désirent transmettre, de même que la manière dont ils veulent le faire, ce qui demeure un ensemble de tâches complexes (Tisset et Léon, 2009). Or, nous croyons que le clavardage, pour sa part, ne semble pas nécessiter le recours à des stratégies d’écriture soutenues. Puisque le clavardage est une activité de communication informelle de détente et de divertissement axée sur la rapidité des échanges, nous supposons qu’il n’est donc pas souhaitable que cette activité soit exigeante cognitivement, d’où la possible omission des stratégies d’écriture telles que la planification et la révision des écrits. Cependant, tout comme c’est le cas pour la langue codée, nous pouvons nous demander si la possible automatisation de l’omission prolongée des stratégies d’écriture en contexte de clavardage se transférerait dans les écrits formels, ce qui aurait pour effet d’accroître le nombre d’erreurs de français dans ceux-ci, puisque les élèves ne planifieraient ni ne réviseraient leurs écrits.

2.4 Synthèse des écrits et hypothèses

En somme, vu que les élèves sont nombreux à clavarder, et qu’ils le font pendant un nombre considérable d’heures par semaine, nous pensons que ceux-ci pourraient être à risque d’automatiser la langue codée au détriment du français conventionnel. De la même façon, en contexte de clavardage, nous pouvons nous demander si la possible omission prolongée des stratégies d’écriture pourrait en empêcher l’automatisation, de sorte que les élèves n’en feraient plus usage en contexte d’écriture formel. Il serait donc possible que les jeunes transfèrent les processus d’écriture souvent répétés en séance de clavardage dans les contextes d’écriture formels, ce qui occasionnerait plus d’erreurs de français.

À la suite de ces suppositions, l’objectif de notre recherche est de vérifier l’influence du clavardage sur la maîtrise du français écrit des élèves du premier cycle du secondaire. L’hypothèse émise est que le clavardage aurait une influence défavorable sur la maîtrise du français écrit des élèves du premier cycle du secondaire. Trois hypothèses secondaires issues de cette dernière sont examinées dans le cadre de cette recherche : 1) plus les élèves clavardent à un jeune âge, plus ils sont susceptibles de faire des erreurs de français associées au clavardage ; 2) plus les élèves clavardent durant la semaine, plus ils sont susceptibles de faire des erreurs de français associées au clavardage ; et 3) les élèves qui clavardent font davantage d’erreurs de français associées au clavardage comparativement à ceux qui ne clavardent pas.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Les participants à la recherche sont des élèves âgés entre 12 et 16 ans, qui étudient dans une même polyvalente du Bas-Saint-Laurent, située dans un milieu défavorisé. L’échantillon est constitué de 158 sujets, répartis en sept groupes réguliers du premier cycle du secondaire. Il s’agit de 90 élèves de sexe masculin (57 % de l’échantillon) et de 68 de sexe féminin (43 % de l’échantillon). En somme, le groupe de sujets compte 86 élèves de secondaire 1 et 72 élèves de secondaire 2.

3.2 Instrumentation

Deux outils ont été nécessaires à la collecte des données :

3.2.1 Dictée

Des séances d’observation de discussions par l’intermédiaire du clavardage ont d’abord été réalisées sur des sites Internet populaires, québécois et français, destinés aux adolescents et ayant le clavardage pour fonction. Il n’y a eu, de la part des chercheures, aucune participation aux discussions, étant donné que l’objectif était d’observer les échanges afin d’être davantage informés sur l’écriture codée employée par les adolescents lorsqu’ils clavardent. À la suite de ces séances d’observation d’une durée de trois heures, les mots de vocabulaire les plus couramment abrégés et modifiés durant les séances observées ont été regroupés dans une liste, qui a ensuite été utilisée pour bâtir la dictée. Cette liste comporte 189 mots ou expressions.

La dictée avait pour but de vérifier si les mots associés au clavardage ciblés lors de l’observation des échanges seraient bien orthographiés en contexte scolaire. La dictée en question, rédigée sous forme de dialogue, est d’une longueur d’une page et compte 225 mots. Quarante-et-un mots et expressions de la liste susmentionnée y ont été intégrés. Parmi ces mots, certains se retrouvent à quelques reprises dans la dictée. Par exemple, le mot ça, qui s’écrit souvent sa en contexte de clavardage, a été placé dans deux phrases différentes. Les principales différences entre notre dictée et celles que les élèves ont l’habitude de réaliser en classe sont que notre dictée prenait la forme d’un dialogue, ce qui la rapprochait d’un clavardage, et incluait de ce fait plusieurs mots fréquemment modifiés par les jeunes d’aujourd’hui en contexte de clavardage. La validité de ces mots est démontrée par le fait qu’ils ont été tirés des séances de clavardage et observés à plusieurs reprises. Après la dictée, nous avons demandé aux élèves d’écrire cinq lignes supplémentaires afin de continuer le dialogue selon leurs propres idées. Les erreurs repérées dans les deux parties de l’activité ont été comptabilisées. Ainsi, la variable erreurs de français associées au clavardage, qui est une variable continue, a été mesurée par le dénombrement des mots s’apparentant à la langue codée dans la dictée et dans la production écrite de cinq lignes. Tous les mots de ces productions auraient pu être transformés par les élèves selon les caractéristiques de la langue codée. Afin de corriger la dictée, nous avons créé un registre des mots considérés comme des erreurs de français associées au clavardage. Pour ce faire, nous nous sommes notamment référées aux écrits des chercheurs (Anis, 2000 ; 2003 ; David et Gonçalves, 2007 ; Tatossian, 2008) concernant les caractéristiques la langue codée utilisée en situation de clavardage. Il est enfin important de préciser que l’attention a été dirigée uniquement sur l’orthographe lexicale et grammaticale lors de la correction.

3.2.3 Questionnaire sur les habitudes informatiques

Le questionnaire sur les habitudes informatiques comprenait plusieurs questions concernant le temps que consacrent les élèves au clavardage et l’utilisation qu’ils font de l’informatique. Les variables continues âge de début du clavardage et temps hebdomadaire consacré au clavardage ont été mesurées par le biais de ce questionnaire. Pour terminer, les données relatives à la variable le fait que l’élève clavarde ou non ont également été considérées. Pour ce faire, la variable temps hebdomadaire consacré au clavardage a été convertie en variable dichotomique, selon qu’ils clavardent ou qu’ils ne clavardent pas.

3.3 Déroulement

Les chercheures ont rencontré le directeur de la commission scolaire sollicitée de même que la directrice adjointe de l’école ciblée à l’automne 2010 afin de leur faire connaître le projet de recherche. Par la suite, les enseignants désirant impliquer leurs groupes au projet se sont manifestés et ont eu en main tous les renseignements nécessaires à la concrétisation du projet. La seconde étape consistait à aller en classe présenter la recherche ainsi que son déroulement aux 192 élèves des classes volontaires. Lors de cette première visite en classe, nous leur avons expliqué que l’étude visait à déterminer quelles erreurs de français écrit étaient le plus souvent commises par les élèves correspondant à leur groupe d’âge. Nous avons volontairement omis d’aborder le clavardage. En effet, étant donné que l’étude porte sur l’influence du clavardage sur la maîtrise du français écrit, il était prévisible que les élèves fassent beaucoup plus attention durant la dictée aux mots qu’ils écrivent souvent dans le cadre de séances de clavardage s’ils avaient été au courant du but de la recherche. Pour ces raisons, les participants ainsi que leurs parents n’ont pas été avisés de la véritable nature de la recherche. De même, les élèves ont reçu un formulaire de consentement à signer pour signifier leur accord quant à leur participation à la recherche et un second formulaire leur a été remis pour leurs parents. Les contraintes associées à la remise des formulaires de consentement signés des élèves et des parents ont fait en sorte que finalement, 158 jeunes ont officiellement participé à la recherche. Par la suite, la dictée, et le questionnaire quelques jours plus tard, ont été administrés dans les classes participantes. La collecte des données dans son ensemble s’est déroulée à l’automne 2010.

3.4 Méthode d’analyse des données

Dans le cadre de ce projet, les méthodes de recherche quantitatives ont été privilégiées. À cet égard, nous avons fait appel à des tests statistiques afin de vérifier nos hypothèses de recherche.

La variable dépendante est leserreurs de français associées au clavardage. Les trois variables indépendantes (l’âge de début du clavardage, le temps hebdomadaire consacré au clavardage et le fait que l’élève clavarde ou non) ont été liées à cette dernière par l’intermédiaire de tests statistiques (tests de régression linéaire et test t). De plus, des comparaisons ont été effectuées entre ces variables en ce qui a trait au sexe des sujets, par l’intermédiaire de tests t et d’un test du khi-carré. Par ailleurs, les moyennes, les médianes, les modes, les minimums et les maximums, ont été ressortis pour les erreurs de français associées au clavardage, l’âge de début du clavardage et le temps hebdomadaire consacré au clavardage. Pour ce qui est de la variable le fait que l’élève clavarde ou non, seules les fréquences ont été considérées, étant donné que cette variable est dichotomique.

3.5 Considérations éthiques

Pour l’étude présentée dans le cadre de cet article, nous avons a pris en compte les considérations éthiques à respecter lors de l’élaboration d’une recherche. Tout d’abord, soulignons que la confidentialité des données a été préservée et les renseignements touchant aux sujets, classés sous clé. Un code de recherche a été associé à chaque élève. Un certificat d’éthique a d’ailleurs été délivré à l’étudiante-chercheure responsable du déroulement de cette recherche par le comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Rimouski. À la suite de l’analyse des données, les résultats ont été communiqués en mai 2011 aux personnes concernées, par l’intermédiaire d’un compte-rendu écrit pour les intervenants ayant pris part au projet et d’un compte-rendu oral pour les élèves.

4. Résultats

4.1 Statistiques descriptives

Avant tout, des statistiques descriptives ont été révélées concernant le sujet à l’étude. Ces dernières ont, entre autres, permis de mettre en lumière des données concernant les habitudes de clavardage des adolescents d’aujourd’hui.

4.1.1 Âge de début du clavardage

Lors du questionnaire sur les habitudes informatiques, les élèves ont précisé à quel âge ils ont commencé à clavarder. L’analyse des réponses à cette question montre que les jeunes (n = 135) commencent en moyenne à clavarder à 9,36 ans. Le tableau 1 montre les principales statistiques descriptives sur l’âge de début du clavardage.

Tableau 1

Âge de début du clavardage

Âge de début du clavardage

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Nous avons comparé l’âge de début du clavardage des filles et des garçons. Le test t utilisé a été corrigé, étant donné l’hétérogénéité des variances. Au test t corrigé, la différence de 0,50 année n’est pas significative : test t corrigé (dl = 122,86) = -1,917 ; p = 0,058.

4.1.2 Temps hebdomadaire consacré au clavardage

Par ailleurs, les sujets ayant participé à cette étude (n = 158) clavardent en moyenne 4,30 heures par semaine. Selon les résultats du tableau 2, qui présente les statistiques descriptives en lien avec cette variable, nous pouvons remarquer que les filles clavardent significativement plus que les garçons : test t corrigé (dl = 105,06) = -2,256 ; p = 0,026.

Tableau 2

Temps hebdomadaire consacré au clavardage

Temps hebdomadaire consacré au clavardage

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4.1.3 Le fait que l’élève clavarde ou non

Nous avons également catégorisé les jeunes selon qu’ils clavardent ou non. Ici, 135 d’entre eux s’adonnent au clavardage, contre 23 élèves qui ne clavardent pas du tout. Par ailleurs, le tableau 3 montre les statistiques descriptives à l’égard du clavardage pour les garçons et les filles.

Tableau 3

Le fait que l’élève clavarde ou non en fonction du sexe (x2 : 1,744 ; dl : 1 ; p= 0,187)

Le fait que l’élève clavarde ou non en fonction du sexe (x2 : 1,744 ; dl : 1 ; p= 0,187)

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Les résultats au test du khi-carré (χ2  (dl = 1) = 1,744, p = 0,187) ont révélé qu’il n’y a pas de différence significative entre les garçons et les filles à cet effet.

4.1.4 Erreurs de français associées au clavardage

Les 158 sujets ont commis en moyenne 4,91 erreurs lors de la dictée. Le tableau 4 présente les statistiques descriptives pour les erreurs de français associées au clavardage.

Tableau 4

Erreurs de français associées au clavardage

Erreurs de français associées au clavardage

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Nous pouvons remarquer que les garçons font davantage d’erreurs de français associées au clavardage que les filles, test t corrigé (dl = 152,67) = 4,75 ; p = 0,000.

4.2 Analyses corrélationnelles

Des analyses statistiques corrélationnelles ont été par la suite effectuées. Celles-ci visaient à vérifier l’hypothèse principale de différentes façons selon les données traitées. Selon cette hypothèse, le clavardage aurait une influence défavorable sur la maîtrise du français écrit des élèves du premier cycle du secondaire.

4.2.1 Lien entre l’âge de début du clavardage et les erreurs de français associées au clavardage

L’hypothèse secondaire qui suppose que plus les élèves débutent le clavardage à un jeune âge, plus ils sont susceptibles de faire des erreurs de français associées au clavardage a d’abord été vérifiée par le biais d’un test de régression linéaire. Les résultats à l’analyse de régression (r = 0,01 ; p = 0,904) montrent qu’il n’y a pas de lien significatif entre les deux variables, c’est-à-dire que les élèves faisant usage du clavardage depuis plus longtemps ne font pas plus d’erreurs que ceux qui ont recours à ce média depuis peu. La figure 1 met en évidence cette absence de relation. La droite de régression est à l’horizontale et demeure pratiquement au même niveau, peu importe l’âge de début du clavardage et le nombre d’erreurs.

Figure 1

Diagramme de dispersion du nombre d’erreurs de français associées au clavardage en fonction de l’âge de début du clavardage

Diagramme de dispersion du nombre d’erreurs de français associées au clavardage en fonction de l’âge de début du clavardage

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4.2.2 Lien entre le temps hebdomadaire consacré au clavardage et les erreurs de français associées au clavardage

Ensuite, un test de régression linéaire a été appliqué dans le but de vérifier si plus les élèves clavardent durant la semaine, plus ils sont susceptibles de faire des erreurs de français associées au clavardage. Les résultats sont les suivants : r = 0,19 ; p = 0,816. Cette analyse statistique nous montre que le temps hebdomadaire consacré au clavardage n’influence pas négativement la qualité du français écrit, ce qui réfute également l’hypothèse principale. La figure 2, où le temps hebdomadaire consacré au clavardage est représenté en minutes, illustre ce fait. Lorsque nous étudions la droite de régression, nous constatons que sa pente n’est pas très prononcée ; elle est même presque horizontale, ce qui montre encore une fois qu’il n’y a pas de lien significatif entre les deux variables analysées.

Figure 2

Diagramme de dispersion du nombre d’erreurs de français associées au clavardage en fonction du temps hebdomadaire consacré au clavardage

Diagramme de dispersion du nombre d’erreurs de français associées au clavardage en fonction du temps hebdomadaire consacré au clavardage

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4.2.3 Lien entre le fait que l’élève clavarde ou non et les erreurs de français associées au clavardage

Par la suite, nous avons vérifié si les élèves qui clavardent font davantage d’erreurs de français associées au clavardage comparativement à ceux qui ne clavardent pas. À cette fin, un test t a été appliqué. Les analyses montrent que les 135 sujets utilisant le clavardage comme outil de communication ont effectué en moyenne 5 erreurs lors de la dictée, avec un écart-type de 4,13. Pour ce qui est des jeunes qui ne clavardent pas du tout (n = 23), ils y ont fait 4,35 erreurs, avec un écart-type de 4,10. Les résultats au test t (dl = 156) = 0,70 ; p = 0,889) confirment qu’il n’y a pas de différence significative à l’égard des erreurs de français associées au clavardage entre les élèves qui clavardent et ceux qui ne s’y prêtent pas du tout.

5. Discussion des résultats

La présente étude avait pour objectif de vérifier l’influence du clavardage sur la maîtrise du français écrit des élèves du premier cycle du secondaire. Il en est ressorti que l’hypothèse selon laquelle le clavardage aurait une influence défavorable sur la maîtrise du français écrit a été infirmée. Tout d’abord, cette recherche aura permis de mettre en évidence des statistiques descriptives concernant la pratique du clavardage. Il apparaît que les jeunes commencent à clavarder en moyenne à 9 ans et qu’ils clavardent en moyenne 4,30 heures par semaine. À cet égard, nous n’avons pas trouvé de recherches faisant état de l’âge de début du clavardage et du temps hebdomadaire consacré en moyenne par les jeunes. En revanche, plusieurs recherches ont mentionné la proportion d’élèves qui clavardent. Remarquons que les statistiques des différentes recherches recensées précédemment (Clark et Dugdale, 2009 ; Joannidès, 2009 ; Lafontaine et al., 2005 ; Lenhart et al., 2005) concernant les clavardeurs et les non-clavardeurs sont variables. Dans le cadre de notre recherche, 85 % des élèves ont déclaré clavarder, alors que pour d’autres recherche, les statistiques oscillent entre 54 % et 96 % (Lafontaine et al., 2005 ; Clark et Dugdale, 2009 ; Joannidès, 2009).

Nous avons aussi constaté que les filles clavardent un nombre d’heures significativement plus élevé que les garçons. Aucune recherche ne semble avoir vérifié ni comparé le temps hebdomadaire consacré au clavardage des garçons et des filles. En revanche, les résultats de Lenhart et al. (2005) ont montré que 52 % des filles clavardent minimalement une fois par jour, alors que c’est le cas pour 45 % des garçons.

Bien que les filles clavardent plus que les garçons, ces derniers ont fait significativement plus d’erreurs de français associées au clavardage. Cela pouvait dès lors laisser penser que le clavardage n’aurait pas d’incidence défavorable sur la maîtrise du français écrit, étant donné que l’utilisation de la langue codée couramment utilisée par les filles ne semble pas nuire à leur maîtrise de la langue écrite. D’ailleurs, l’étude de Varnhagen et al. (2010) a montré que les filles tendent davantage à recourir à la langue codée que les garçons lorsqu’elles clavardent et que celles qui sont les plus performantes en orthographe font plus appel à des abréviations que celles qui ont des difficultés en orthographe.

Les résultats de notre recherche corroborent ceux des deux études recensées précédemment quant à l’impact du clavardage sur la maîtrise de la langue écrite. En effet, ces dernières ont également confirmé l’hypothèse nulle en montrant que le clavardage n’a pas d’influence néfaste sur la maîtrise de la langue écrite, notamment chez les élèves francophones de cinquième secondaire pour l’étude de Lafontaine et al. (2005). Quant à l’étude de Varnhagen et al. (2010), elle a déterminé que les jeunes anglophones âgés entre 12 et 17 ans qui recourent au clavardage peuvent orthographier de façon adéquate les mots qu’ils utilisent lors des séances de clavardage, ce qui suggère aussi que ce dernier n’a pas d’effet défavorable sur la langue conventionnelle anglaise. Ces résultats, combinés aux nôtres, semblent indiquer que le clavardage ne serait pas néfaste pour la maîtrise de la langue écrite de l’ensemble des élèves du secondaire, puisque les sujets de notre recherche se trouvent en première et en deuxième secondaire. D’ailleurs, il semblerait que le nombre de mots codés dans les discussions par clavardage soit moins élevé que l’on serait tenté de le croire. Effectivement, Tagliamonte et Denis (2008) ont réalisé une synthèse des changements linguistiques effectués par 71 adolescents âgés entre 15 et 20 ans en situation de clavardage et ont remarqué que les coupures, les abréviations et les émoticônes, représentent seulement 2,4 % des mots présents dans les conversations par clavardage. À cet égard, Tagliamonte et Denis (2008) affirment que, bien que le recours à différentes abréviations soit courant, il demeure que ces dernières sont moins présentes dans les conversations des jeunes que l’ont laissé croire divers médias. Les résultats de la recherche de Baron (2004) appuient ces affirmations. Dans le cadre de son étude, des étudiants de collège ont clavardé et il apparaît que, dans un corpus constitué de 12 000 mots, les étudiants ont recouru à 31 abréviations en moyenne seulement, ce qui représente à vue d’oeil un nombre assez mince. Le nombre d’acronymes était, lui aussi, peu élevé.

Dans le cadre de notre recherche, bien que nous n’ayons pas mesuré le traitement cognitif de l’information que fait l’élève en contexte d’écriture formelle et en contexte de clavardage, nous nous sommes référées à la psychologie cognitive et à la théorie du traitement de l’information afin de tenter de mieux comprendre comment l’élève pourrait traiter la langue conventionnelle et la langue codée à l’écrit. Nous avions supposé que la pratique fréquente du clavardage pourrait faire en sorte que les adolescents automatiseraient davantage la langue codée au détriment du français conventionnel et que celle-ci serait ensuite transférée dans leurs écrits formels. Or, comme le montrent les résultats de la présente recherche, le fait que les élèves semblent aptes à ne pas transférer la langue codée du clavardage dans leurs écrits scolaires laisse croire qu’ils possèderaient pour la majorité de bonnes aptitudes métacognitives. Nous pouvons présumer que la plupart des élèves ont fait la part des choses et ont écrit en contexte scolaire les mots de la façon dont ils leur ont été enseignés, et non pas comme ils les écrivent en clavardant, et ce, malgré le fait qu’ils ont déclaré utiliser régulièrement, pour plusieurs d’entre eux, la langue codée. Il est donc possible qu’ils possèdent en mémoire deux variations de la langue française écrite, l’une conventionnelle, notamment requise en contexte scolaire, et l’autre codée, en situation de clavardage, qu’ils sauraient départager selon les contextes. Ce phénomène est comparable au verlan, qui constitue une variation linguistique de la langue orale particulièrement utilisée en France par les adolescents (Bertucci, 2003). Les jeunes interrogés dans le cadre de la recherche de Bertucci (2003) estiment être aptes à faire appel au français oral conventionnel et au verlan selon les contextes où ils sont requis. Or, comme le mentionne Mercier (2002), le fait que la langue subisse des variations linguistiques n’est pas le signe d’un fonctionnement déficient, mais bien d’une adaptabilité, d’une flexibilité et d’une souplesse importantes. Il nous semble que les deux langues, tant la langue conventionnelle que la langue codée, peuvent cohabiter et demeurer vivaces, et ce, autant à l’oral qu’à l’écrit, pourvu qu’elles soient également pratiquées.

Par ailleurs, il est possible que les élèves ne fassent pas appel à des stratégies d’écriture soutenues en situation de clavardage. Nous pensions à cet égard que l’omission prolongée de ces stratégies d’écriture en contexte de clavardage pourrait elle aussi s’automatiser et, de ce fait, être transférée dans les écrits formels, ce qui nuirait à la qualité de leur français, puisque les élèves auraient pris l’habitude de ne pas planifier ni réviser leurs écrits. Finalement, cela ne semble pas être le cas, puisque l’analyse des données a montré que le fait que les jeunes aient commencé à clavarder à un jeune âge, qu’ils clavardent un nombre d’heures plus élevé, ou qu’ils clavardent, tout simplement, n’agit pas négativement sur leur maîtrise du français écrit. Leurs stratégies métacognitives pourraient ainsi les guider afin de juger s’il est requis ou non d’utiliser des stratégies d’écriture soutenues, selon les contextes.

6. Conclusion

Cette recherche avait pour objectif de vérifier l’influence du clavardage sur la maîtrise du français écrit des élèves du premier cycle du secondaire. Le clavardage est un mode de communication très populaire et semble prendre de plus en plus d’ampleur au fil des années. Ses principaux avantages demeurent l’interactivité et la rapidité qu’il offre aux usagers. Bien sûr, les clavardeurs s’amusent à transgresser les normes de la langue française, particulièrement par l’intermédiaire de procédés abréviatifs, dont des réductions de graphèmes et des réductions avec variantes phonétiques (Anis, 2000 ; 2003 ; David et Gonçalves, 2007). Toutefois, il s’agit à ce jour d’un phénomène peu étudié ; en effet, peu de recherches ont été consacrées au clavardage, et encore moins à son impact sur la langue écrite. À notre connaissance, deux études seulement (Lafontaine et al., 2005 ; Varnhagen et al., 2010) se seraient attardées à cette question. Ces deux études, tout comme la nôtre, ont d’ailleurs révélé que le clavardage ne nuisait pas au français écrit.

Comme dans toute recherche, notre étude comporte néanmoins des limites qui doivent être soulevées. D’une part, il importe de rappeler que la recherche s’est déroulée avec des élèves appartenant à des groupes réguliers. Il aurait été instructif de comparer ces résultats avec ceux obtenus dans des groupes d’adaptation scolaire. D’autre part, les différentes étapes de la recherche ont eu lieu dans une même polyvalente du Bas-Saint-Laurent. Il aurait été souhaitable de réaliser la collecte des données dans différentes écoles afin d’effectuer une comparaison et de vérifier si les résultats auraient été similaires. Une autre limite de notre recherche est qu’une seule dictée a été utilisée aux fins d’analyse et que ses propriétés psychométriques sont inconnues. Il aurait été pertinent que les élèves réalisent plus d’une dictée, par exemple une dictée dont le niveau de difficulté aurait été plus élevé et/ou un test standardisé, afin de vérifier si les résultats auraient été les mêmes.

Certes, cette recherche peut avoir pour effet de nous rassurer, compte tenu que le clavardage couramment utilisé par les jeunes n’a pas d’impact défavorable sur leur maîtrise du français écrit. Elle nous rappelle néanmoins l’importance de placer régulièrement les élèves en situation d’écriture en classe. En effet, si nous souhaitons nous assurer que leur maîtrise de la langue conventionnelle puisse demeurer et cohabiter harmonieusement avec la langue codée du clavardage, il est important qu’ils puissent pratiquer autant, sinon plus, la langue conventionnelle. Cela représente un défi important, considérant le nombre d’heures hebdomadaires assez élevé auquel les jeunes se consacrent au clavardage (4,3 heures en moyenne selon la présente étude).

En outre, cette recherche pourrait conduire vers de nouvelles avenues à propos des apports du clavardage pédagogique recourant, dans ce contexte, au français conventionnel. Il s’agit d’une formule pédagogique qui, à notre avis, aurait l’avantage d’inciter les jeunes à écrire et qui pourrait accroître leur motivation. Une étude centrée sur le clavardage comme outil pédagogique serait d’ailleurs tout indiquée. En ce sens, Strassman et D’Amore (2002) étudient le recours au clavardage pédagogique lors du processus d’écriture. Elles affirment que ce mode de communication offre aux élèves un média d’écriture authentique, qui leur permet de pratiquer l’écriture d’une façon qui correspond à la vie courante. D’après elles, le clavardage est susceptible d’aider les jeunes à améliorer leur processus d’écriture, d’autant plus qu’il semble susceptible de favoriser leur motivation à écrire.

De plus, quelques recherches centrées sur le clavardage pédagogique (Blake, 2009 ; Foucher et al., 2010 ; Noet-Morand, 2003) ont mis en évidence que le clavardage serait bénéfique pour le développement des compétences en écriture des scripteurs et pour le développement de compétences orales, écrites et interactives lors de l’apprentissage d’une langue seconde. Pour sa part, Donohue (2012) recommande d’intégrer les technologies de l’information et de la communication en classe. Elle propose en effet d’utiliser le clavardage, de même que d’autres littératies numériques telles que les blogues, les wikis, les sites Web, les balados et Twitter. En plus de soutenir l’apprentissage de la lecture et l’écriture, ces outils offrent l’avantage d’amener les élèves à se forger un esprit critique, à questionner et à évaluer l’information traitée, mentionne-t-elle. De même, ces technologies les ouvrent sur le monde et leur permet de partager avec des gens d’autres cultures.

Enfin, il serait nécessaire que les recherches futures s’attardent au phénomène de l’impact du clavardage sur le français écrit chez les élèves en difficulté d’apprentissage. Il serait alors possible de vérifier si ces élèves, par la faute de leurs habiletés métacognitives moins développées pour plusieurs, transfèrent davantage la langue codée du clavardage dans leurs écrits scolaires. De surcroît, des chercheurs pourraient également vérifier l’influence du clavardage sur la maîtrise du français écrit selon une perspective longitudinale, à savoir si les heures cumulées finiront, au fil des années, par avoir une incidence sur la maîtrise du français écrit. Effectivement, au fur et à mesure que le temps avance, les jeunes possèdent davantage d’heures de clavardage à leur actif. Il se peut que l’augmentation du nombre d’heures consacrées fasse en sorte que le clavardage ait, au fil du temps, une influence défavorable sur la maîtrise de leur langue écrite. À cet égard, nous pensons qu’une étude longitudinale d’une durée de cinq ans serait tout à fait appropriée. Divers outils de mesure pourraient être créés, par exemple des dictées et des épreuves d’écriture, afin d’examiner le phénomène dans son ensemble. Des chercheurs pourraient aussi évaluer si l’omission présumée des stratégies d’écriture en contexte de clavardage se généraliserait dans les situations d’écriture formelles.