Article body

1. Introduction et problématique

Le baccalauréat français sanctionne la fin des études secondaires et permet d’accéder aux études supérieures. En France, le système éducatif s’est fixé comme objectif d’amener 80 % des élèves à obtenir le baccalauréat. Cependant, il montre les limites de son efficacité pour relever ce défi. En effet, selon le ministère de l’Éducation nationale (2013), 11,6 % des jeunes quittent l’enseignement secondaire sans diplôme. Ces constats ont rendu nécessaire le recours à de nouveaux dispositifs afin d’accroître le retour en formation générale, par exemple la préparation de la capacité en droit, les ateliers pédagogiques personnalisés ou encore les formations en alternance dans le cadre des contrats de professionnalisation. Le diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU), équivalent au baccalauréat, confère aux lauréats la possibilité de s’inscrire dans le supérieur et de se présenter aux concours ouverts aux bacheliers. Mais surtout, il permet d’attester leur niveau de formation générale sur le marché de l’emploi (ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2013). Il comporte deux orientations : l’une, littéraire, A et l’autre, scientifique, B. Si aucun titre n’est exigé pour l’inscription, certaines conditions d’âge sont à respecter : avoir 20 ans en justifiant de deux années d’activité salariée ou être âgé au moins de 24 ans. Stagiaires de la Formation continue, en présentiel ou à distance, les inscrits (13 000 par an) n’ont pas le statut d’étudiants. Deux matières sont obligatoires, le français et une langue vivante, pour l’option A, et le français et les mathématiques, pour l’option B. S’ajoutent deux matières au choix dans une liste présentée par chaque université d’accueil. Le diplôme s’obtient dans le cadre du contrôle continu, à l’issue d’un examen final ou encore par validation des acquis de l’expérience.

Qui sont ces stagiaires ? Quelles sont les raisons qui les poussent à s’engager, à persévérer ou à décrocher ? Notre propos n’est pas ici d’analyser un dispositif particulier, sur le plan structurel ou pédagogique, ni de le situer dans une typologie globale des institutions éducatives telle celle de la National Survey of Student Engagement (NSSE) basée sur les modalités d’engagement des étudiants (Pike et Kuh, 2005). De nature exploratoire, notre recherche vise à connaître les caractéristiques et profils des inscrits à la préparation de ce diplôme à l’Université Montpellier 3, à examiner leur engagement et leurs motivations et à identifier quelques facteurs favorisant les conduites de maintien ou d’abandon. Pour reprendre la typologie d’obstacles dressée par Lavoie, Levesque et Aubin-Horth (2008), notre attention portera sur les obstacles qui sont liés aux situations de vie des personnes et à leurs dispositions, plus que sur ceux relevant de l’information ou des institutions. Dans un contexte de formation visant l’accroissement des taux de réussite et de persévérance scolaire, la connaissance de cette population et l’identification de ces différents facteurs sont nécessaires aux services de Formation continue pour mieux appréhender les besoins de ces adultes et pour élaborer des dispositifs facilitant le maintien et la réussite en formation. Nos résultats permettront également de soutenir la documentation scientifique, plutôt rare, sur le maintien et l’abandon des stagiaires préparant ce type de diplôme.

2. Contexte théorique

Si tant est que nous puissions penser que les adultes qui entrent dans ce dispositif se comportent de façon réfléchie par rapport à leur engagement en formation, les constats sur le terrain montrent que tel n’est pas nécessairement le cas pour certains d’entre eux : une part non négligeable de ces inscrits quitte les études dépourvue de diplôme (Fijalkow et Fijalkow, 2004). Devant la rareté des travaux portant sur cet objet, nous nous référons aux différentes théories qui ont apporté quelques éléments de compréhension quant à l’engagement, à la motivation et à la question de la persévérance en cours de formation qui nous sont apparus en adéquation avec notre recherche exploratoire.

2.1 Engagement en formation et motivation

La question de l’engagement (Carré, 2004 ; Vallerand et Thill, 1993) occupe une place centrale dans le champ de la formation. Piolat (1980) considère la démarche d’engagement comme un ensemble plus ou moins coordonné de conduites qu’un individu développe pour rechercher les conditions favorables à l’exercice de certaines activités qu’il valorise. Bourgeois et Nizet (2005) associent l’engagement en formation à un moment critique dans le parcours, un moment de tension entre le réalisé et le devenir, durant lequel est rendue possible une forte mobilisation cognitive. Les modèles motivationnels (Eccles et Wigfield, 2002 ; Kahn et Nauta, 2001 ; Wigfield et Eccles, 2000) mettent l’accent sur les attributs personnels : représentations des buts, espérance de réussite de la tâche (expectancy), valeur de la tâche (value), etc. Si leur sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2003) amène les apprenants à se sentir capables d’aboutir, ils s’engageront davantage. Ce sentiment serait lié à la motivation à apprendre pour des adultes convaincus de leur efficacité dans la formation (Vonthron, Lagabrielle et Pouchard, 2007). Selon la synthèse de Bourgeois (1998) et de nombreux auteurs (Boshier, 1973 ; Cross, 1982 ; Rubenson, 1977 ; Tough, 1979 ; Wlodkowski, 1993) auxquels il se réfère, l’engagement en formation résulte, entre autres, d’une interaction positive entre, d’une part, la valeur attribuée par le sujet à la formation envisagée et, d’autre part, l’espérance de réussite de cette tâche. Ces deux facteurs sont dits interreliés dans la mesure où, si un seul d’entre eux n’est pas présent, la décision de s’engager sera négative. D’autres approches soulignent la disparité des formes de l’engagement qui relève d’une articulation de facteurs externes et de facteurs internes (Leclercq, 2006). Ces approches considèrent l’engagement comme une réponse à une dynamique identitaire particulière dans laquelle le sujet est impliqué au cours de sa trajectoire de vie et qui mobilise les images de soi (Kaddouri, 2006 ; Leclercq, 2006).

Selon plusieurs chercheurs, les processus motivationnels ont une influence sur l’engagement, sur l’investissement en formation et sur son efficacité. Nous retenons la définition de Vallerand et Thill (1993), pour lesquels le concept de motivation est un construit hypothétique censé décrire les forces internes ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement. Guerrero et Sire (1999) définissent la motivation à se former comme la volonté d’apprendre en raison d’une confiance en ses capacités d’apprentissage et d’une attente de résultats. Reprenant les travaux de Houle (1961), Carré (2002) identifie dix motifs d’engagement en formation, constituant autant de contenus motivationnels. Ils reposent sur des orientations intrinsèques ou extrinsèques. Trois se réfèrent à l’orientation intrinsèque : les motifs épistémique (acquisition de savoirs comme finalité de l’engagement en formation), socioaffectif (développement de contacts sociaux) et hédonique (plaisir lié aux conditions pratiques de l’environnement et du déroulement de la formation). Sept sont relatifs à l’orientation extrinsèque : les motifs économiques (avantages matériels obtenus grâce à la formation), prescrits (participation à une formation après injonction d’autrui), dérivatifs (moyen d’éviter des activités vécues négativement), opératoires professionnels (recherche d’acquisitions utiles au développement professionnel), opératoires personnels (possibilité d’accroître des compétences servant à la vie hors travail), identitaires (acquisition d’éléments permettant de maintenir ou de modifier des aspects identitaires) et vocationnels (obtention d’atouts favorables au développement de la trajectoire d’emploi). L’auteur considère que les différentes combinaisons de motifs peuvent avoir des effets variables sur l’engagement de la personne dans son parcours formatif. S’inspirant de ces dimensions, Sylin et Jamaoui (2006) ont mené une étude auprès de personnes s’engageant dans une formation à distance. Les résultats indiquent que les personnes qui abandonnent la formation avant son terme expliquent leur inscription initiale dans le parcours par des motifs d’ordre extrinsèque. Ces travaux insistent à la fois sur l’importance des aspects motivationnels extrinsèques et intrinsèques comme anticipateurs de la mise en oeuvre et de l’investissement dans des activités formatives.

2.2 Abandon et maintien en formation

L’abandon concerne toutes les filières de l’enseignement et touche, sur le plan national, plus de 45 % des inscrits au diplôme d’accès aux études universitaires. Si, comme le montre l’excellente synthèse réalisée par Audet (2008), les recherches anglo-saxonnes et québécoises sur les facteurs qui influencent la persévérance sont nombreuses et variées, en France, hormis les travaux sur les formations de base (Leclercq, 2006), elles restent quasi inexistantes. Le phénomène est désigné sous diverses dénominations : taux de persévérance (Robitaille, 1991), taux d’abandon (Chénard, 1989), taux de non-achèvement (Leduc, 1991). Plusieurs formes d’abandon ont été identifiées par Grayson et Grayson (2003) : l’étudiant peut laisser ses études et le signaler à l’établissement, partir sans en informer quiconque, partir en y étant contraint par l’établissement, ne pas se réinscrire pour l’année suivante, interrompre ses études de façon volontaire en ayant l’intention d’y retourner ou encore changer d’établissement. À la différence de ces auteurs qui ont étudié l’abandon des études postsecondaires, notre intérêt porte sur des études préuniversitaires. Nous définissons l’abandon par le départ volontaire d’un stagiaire de la formation avant l’achèvement de l’année universitaire, sans avoir passé les examens et sans avoir obtenu le diplôme. À l’instar de King (2005), nous considérons que la persévérance se définit par la poursuite continuelle d’un candidat dans un programme qui l’amène à terminer celui-ci et à obtenir le diplôme. Vonthron et al. (2007) l’expliqueraient en partie par la perception que le stagiaire a de ses compétences, l’abandon étant par ailleurs lié au caractère pénible de la formation perçue par celui-ci. Tinto (1975) examine l’abandon sous l’angle de l’intégration académique de l’étudiant à son institution et de l’intégration sociale par son engagement dans sa communauté universitaire. L’intégration académique est mesurée, d’une part, en termes de performance scolaire et de développement intellectuel de l’étudiant et, d’autre part, par son identification aux normes du système académique. L’intégration sociale se définit par l’interaction entre l’étudiant et les intervenants du système et elle est mesurée par le degré de congruence entre lui et l’environnement social de l’établissement. Toujours selon Tinto, ce sont les concepts d’intégration et d’appartenance à la communauté qui semblent le mieux décrire le processus de la persistance. Ainsi, les expériences qui favorisent l’intégration de l’étudiant dans le milieu universitaire contribuent également à renforcer ses buts et son engagement, tant vis-à-vis de l’atteinte de ses objectifs personnels que vis-à-vis de l’université. Le modèle de Pascarella et Terenzini (1980) tient compte des caractéristiques individuelles, des buts et des engagements de l’établissement et de l’étudiant, ainsi que de l’intégration sociale et académique. Ces modèles, fondés en grande partie sur l’interaction entre l’étudiant et le milieu universitaire, sont instructifs pour expliquer les comportements d’abandon des études universitaires. Mais dans quelle mesure peuvent-ils s’appliquer à ce diplôme où le public présente des spécificités (marginalisation de ce type de formation et de public…) et où la situation d’enseignement-apprentissage est sensiblement différente, tant dans son organisation que dans ses enjeux (intégration académique balbutiante et absente pour le public étudié, pas de statut étudiant…) ?

Nous souhaitons connaître certaines caractéristiques et le profil des inscrits, ainsi que les motivations qui président à leur engagement dans la préparation du diplôme d’accès aux études universitaires.

3. Méthodologie

Cette recherche exploratoire à caractère descriptif (identifier les caractéristiques des stagiaires) et explicatif (connaître les raisons de l’abandon) doit laisser place à d’éventuels facteurs émergents. L’objectif est l’exploration d’un problème social ou humain. Le chercheur […] rapporte la vision détaillée des individus qui l’informent, et conduit son étude dans l’environnement naturel de ceux-ci (Creswell, 1998).

3.1 Sujets

Commencée en mai 2011, la recherche s’intéresse à la population des inscrits au diplôme d’accès aux études universitaires de l’Université Montpellier 3, où seule l’orientation littéraire est proposée. L’échantillon de convenance retenu est composé des 211 inscrits en présentiel de septembre 2010 à juin 2011. En effet, l’abandon ou la persévérance des sujets en présentiel, ainsi que leur intégration à une communauté d’études sont manifestes et peuvent être plus aisément circonscrits.

3.2 Instrumentation

Afin de connaitre les caractéristiques objectives de cet échantillon, nous avons exploité des données déjà constituées, provenant de la base nationale de données Application pour l’organisation et la gestion des enseignements et des étudiants (APOGEÉ), de la base propre à l’université et de la base du service de Formation continue, gestionnaire et organisateur de la formation. Ces données ont été complétées par un corpus d’entrevues semi-dirigées (Blanchet, 1991), réalisées avec 24 stagiaires volontaires dans le but d’appréhender l’engagement, la persévérance et l’abandon en formation.

3.2.1 Données déjà constituées (n = 211)

Pour connaître les caractéristiques de la population étudiée, nous avons analysé les dossiers administratifs d’inscription qui recensaient des 211 inscrits pour l’année 2010/2011. Ensuite, nous avons utilisé les résultats de l’enquête sur la réussite à l’examen terminal et le devenir des candidats, réalisée par le service de Formation continue. Ces matériaux nous ont fourni les informations élémentaires sur le sexe, l’âge, le diplôme le plus élevé détenu, la classe d’arrêt des études initiales et la situation professionnelle/personnelle. L’analyse a permis de déterminer les proportions du maintien ou de l’abandon du cursus, de la réussite ou non à l’examen ainsi que du devenir après la formation.

3.2.2 Données recueillies (n = 24)

En janvier 2011, tous les inscrits ont été sollicités par courriel pour participer aux entrevues, et 24 stagiaires ont accepté. D’une durée de 30 à 45 minutes, les entrevues ont été enregistrées sur bande audio, en mai/juin 2011, puis retranscrites intégralement. Le guide d’entrevue prend en compte les facteurs postulés explicatifs de l’engagement, de l’abandon ou du maintien en formation : les contenus motivationnels intrinsèques et extrinsèques, la perception de ses compétences, le sentiment d’efficacité personnelle, la pénibilité perçue de la situation formative, le sentiment de concordance entre l’avenir professionnel envisagé et la formation suivie et enfin l’intégration académique et sociale.

3.3 Déroulement

Après avoir pris connaissance des objectifs de l’étude, les 24 volontaires ont répondu sans réticences à la proposition d’entretien. Les entretiens ont été guidés par une posture compréhensive, en prêtant de l’intérêt aux propos des participants et en montrant non seulement les signes d’une écoute active, mais aussi d’une disponibilité à l’imprévu, indispensable à toute phase exploratoire.

3.4 Méthodes d’analyse des données

Les données quantitatives ont été analysées à l’aide du tableur Excel et du logiciel Statview en utilisant le tri à plat et le tri croisé. Cette analyse visait à mettre en évidence les caractéristiques de la population inscrite en 2010/2011. D’autre part, nous souhaitions appréhender l’engagement et la motivation et identifier les facteurs favorisant le maintien ou l’abandon. Nous avons jugé prématuré le recours à des échelles et à la mesure du poids respectif de chaque facteur, en l’absence d’une confirmation préalable de leur existence dans le discours des stagiaires. Dans ce but, les données qualitatives ont fait l’objet d’une analyse thématique et d’une analyse lexicale à l’aide du logiciel Alceste. Celui-ci nous a permis de réduire et de classer les segments de texte (...) et d’en construire la structure (Marchand, 1998).

3.5 Considérations éthiques

En France, ces considérations reposent sur un accord tacite. Les services universitaires ont accordé leur approbation pour l’exploitation des différentes données anonymisées et pour l’organisation par leur soin du recrutement. Les volontaires devaient prendre contact exclusivement avec la chercheuse, sans d’aucune façon en référer au service. Afin d’obtenir le consentement éclairé des participants aux entrevues, nous leur avons présenté les objectifs de la recherche ainsi que les thèmes abordés. Nous les avons assurés de la confidentialité des informations ainsi que du respect de leur anonymat par l’attribution d’un pseudonyme. Ils ont été avertis que les résultats de la recherche seraient publiés.

4. Résultats

Les résultats de l’analyse des données nous ont permis de connaître quelques caractéristiques des stagiaires, leurs motivations, leur engagement et de saisir certains facteurs facilitant leur abandon ou leur maintien.

4.1 Caractéristiques et profils des inscrits et des interviewés

Sur les 211 inscrits en 2010/2011, les femmes sont majoritaires (54,19 %). Ce pourcentage peut s’expliquer par l’orientation Lettres et sciences humaines qui attire généralement davantage les femmes que les hommes. L’effectif se compose de 136 personnes âgées de 25 à 40 ans, 42 personnes de plus de 40 ans et 33 jeunes de moins de 25 ans. Parmi eux, 131 sont des demandeurs d’emploi et 80 sont des salariés ou des bénéficiaires des aides sociales. Ceux qui ont interrompu leurs études au lycée représentent 33 % de la population étudiée. Enfin, 20 % se sont arrêtés avant le lycée. Concernant leur parcours dans le programme, 32 inscrits ont abandonné avant le début de la formation ; 63 candidats l’ont abandonné en cours de formation en profitant de certains acquis académiques avec la validation formelle d’un ou plusieurs modules. Dans ce cas, l’abandon n’est pas seulement un échec et peut signifier une avancée académique pour certains. Au total, 116 ont mené à terme la formation. Parmi eux, 63 ont obtenu le diplôme et 53 autres ne l’ont pas obtenu bien que certains aient validé un ou plusieurs modules. Ne pas valider la totalité des modules peut relever de stratégies d’utilisation du système d’unités capitalisables, en tenant compte de ses moyens.

Les participants à l’entretien se composent de 16 femmes et 8 hommes. Parmi eux, 8 ont moins de 25 ans, 8 ont entre 26 et 40 ans et les autres ont plus de 40 ans. Six stagiaires ont délaissé la formation sans se présenter à l’examen et 18 ont suivi régulièrement la formation jusqu’à la fin. Parmi ces derniers, 10 se sont réinscrits au programme pour la deuxième année et 8 ont obtenu le diplôme. La plupart d’entre eux ont quitté l’école en situation d’échec. Le fait que l’institution scolaire ait cessé de croire en leurs chances domine leur expérience : […] personne ne croyait en moi (Daniel). Ils avancent diverses raisons pour expliquer l’interruption de leur scolarité initiale et le fait de se retrouver sans baccalauréat. Quelques-uns (n =  9) n’ont pas désiré continuer pour des raisons plus personnelles. Dans ce cas, est évoqué, par exemple, le rapport conflictuel avec les parents qui a conduit à l’abandon de la scolarité. D’autres (n = 7) évoquent des raisons sociales ou socioéconomiques qui ont poussé la famille à renoncer à ses ambitions pour son enfant. D’autres encore (n = 8) ont connu des difficultés scolaires et se sont orientés rapidement vers le marché du travail. Le baccalauréat ne faisait donc plus partie des possibles. Peu ou pas diplômés, ces stagiaires ont eu des parcours chaotiques fait de stages et de formations, sans débouchés professionnels. Le travail temporaire et les contrats à durée déterminée sont les principales formes d’emploi qu’ils ont connues, à l’exception de quatre d’entre eux (deux salariés et deux jeunes qui n’étaient pas encore entrés dans la vie active).

4.2 Motivations et engagement dans le dispositif

L’engagement dans le dispositif est marqué par des enjeux différents. Les contenus motivationnels présidant à l’engagement dans la formation sont à la fois d’ordre extrinsèque et intrinsèque.

4.2.1 Légitimation sociale par le diplôme

Tout d’abord, les interviewés évoquent, comme motif d’engagement, l’intérêt pour le diplôme. Il constitue pour certains le sésame (Pons-Desoutter, 2006) autorisant à envisager l’avenir, à réaliser une ouverture personnelle ou professionnelle et, pour tous, la clé d’une légitimation sociale : […] en gros, je sentais que je n’avais pas assez de bagages. Partout où j’ai présenté mon CV, ça a été difficile ! Il vaut mieux avoir un diplôme, sinon c’est difficile (Yvan). Se former se révèle aussi un moyen d’échapper à la précarité et d’accéder à la reconnaissance : […] c’est quelque chose que j’avais fondamentalement envie de faire. Parce qu’aussi, par l’expérience du travail, on se rend compte que, quand on n’a pas de diplôme, on n’a jamais la reconnaissance qu’on pourrait avoir si on l’avait (Alexia). En termes de rythme et d’organisation pédagogique, cette formation répond aux attentes individuelles de ces adultes. En obtenant le diplôme d’accès aux études universitaires plutôt que le baccalauréat, le stagiaire bénéficie, dans une certaine mesure, d’une sorte de dérogation. Selon leurs propos, ce qui apparaît central, ce sont le diplôme, la pertinence de la formation et l’épanouissement de soi, en rapport avec le rôle qu’il suppose socialement attendu.

4.2.2 Restructuration de la trajectoire

Certains stagiaires (n = 7) viennent pour acquérir des connaissances ou pour s’enrichir culturellement : […] j’aime bien apprendre. Mon but ce n’était pas d’avoir mon DAEU, mon but c’était vraiment d’avoir tout compris et tout appris… je voulais vraiment partir avec un bagage costaud. Je voulais m’enrichir (Lucie). L’entrée en formation restructure et répare une trajectoire affectée par des aléas : j’ai perdu du temps, et j’ai dû trouver un autre chemin parce que le premier n’était plus possible (Myriam). Le désir d’aller à l’université est, parfois, le désir d’appartenir à un monde qu’ils idéalisent inconsidérément : Moi, ça m’impressionne, les gens qui ont le Bac, ceux qui sont à l’université [les étudiants], c’est des intellos (André). En procurant de la reconnaissance, la reprise des études fonctionne comme une aide à la décision de rattraper ou de continuer un parcours laissé en suspens :

C’est clair, je fais le DAEU. Si je l’ai, je pense que cela me donnera, au niveau psychologique, une petite force, parce que finalement, c’est ce que je viens chercher : c’est une reconnaissance à ce niveau là, qui me permettra aussi bien d’envisager d’autres voies de sortie du système

Yvan

Ces dires illustrent le lien entre l’engagement en formation et l’importance des attentes de l’individu à l’égard de celle-ci (Bourgeois, 1998).

4.2.3 Acquisition d’une position conforme

Les moins de 25 ans (n = 8) sont particulièrement animés par l’acquisition d’une légitimité familiale. Ils se forment pour conquérir une position conforme à leur milieu social. Faire partie d’un nouvel univers social valorisé, compenser l’absence d’une activité professionnelle constituent autant de motifs. Dans certaines situations, le stagiaire fréquente l’université en s’appropriant personnellement les activités offertes, ce qui diverge de la finalité habituelle :

Déjà, ça m’a donné un cadre, ma vie maintenant est réglée. Je sais ce que je fais de ma journée, je me lève le matin comme tout le monde, je sais quand je me couche, contrairement à avant quand je me levais n’importe quand, je me couchais n’importe quand. Donc, déjà psychologiquement, c’est mieux. Je fais quelque chose d’intéressant la journée

Margot

L’entrée en formation est perçue comme favorisant un sentiment de conformité qui permet de donner une nouvelle orientation à sa vie.

4.2.4 Mise en sens

Dans les récits des stagiaires, l’engagement dans la formation est relaté, comme le signe d’une mise en sens (Galvani, 2011), […] et puis moi, ça me permet de comprendre pourquoi j’ai échoué, de savoir ce qu’il s’est passé, de me positionner, de m’autoévaluer et puis, il faut oser se confronter à un véritable partiel [examen] parce qu’il y a tout le rituel (Clarisse). Certains (n = 6) envisagent de poursuivre des études supérieures ou de passer des concours, d’autres enfin espèrent augmenter leur employabilité (n = 10). Les plus jeunes (n = 8) envisagent la formation comme un passeport indispensable pour satisfaire leurs ambitions personnelles et professionnelles :

C’est vrai qu’il y a plein de choses qui ne sont pas accessibles parce que l’on n’a pas le Bac ou l’équivalent du Bac. Je l’ai beaucoup ressenti ! Même au niveau des concours administratifs. Donc, c’est vrai que même si l’on veut rentrer dans l’administration, il faut au minimum le Bac. Donc, voilà, on est très limité professionnellement quand on n’a pas le Bac

Martine

Pour les autres (n = 16), il s’agit moins d’optimiser des performances professionnelles que de s’enrichir personnellement par l’acquisition d’une formation générale et d’une culture reconnue socialement : j’ai besoin d’avoir une ouverture d’esprit. Je me suis mariée jeune et j’ai été un peu trop modelée par les idées de mon mari (Sabine). La formation leur ouvre la voie vers un autre temps du parcours personnel. Elle les autorise à retrouver le fil de leur trajectoire et à en reprendre en main les rênes.

4.3 Facteurs favorisant le maintien en formation

4.3.1 Concordance entre la formation suivie et l’avenir envisagé

Le sentiment de concordance entre la formation suivie et l’avenir envisagé influence de manière significative les conduites de maintien. Ceux qui ont suivi régulièrement la formation (n = 18) mentionnent la nature diplômante du cursus et sa mission d’accès à d’autres formations. Ils considèrent le diplôme comme très important pour concrétiser leur projet : Je me suis dit qu’à 41 ans avoir un diplôme, oui, parce que moi j’aimerais bien continuer dans les études (Clément). Plus sensibles aux incidences de la formation sur la réorganisation de leur trajectoire, ils pensent avoir trouvé la possibilité d’opérer le passage vers des univers projetés : J’adore étudier, c’est quelque chose que j’aime vraiment ! Et, le fait d’être toute la journée ici, de faire plusieurs matières, pour moi c’est vraiment ce qui me motive. Et, en plus, pour les études que je veux faire plus tard, il vaut mieux que je suive la formation complètement (Virginie). Au-delà du diplôme s’ouvre la perspective d’une vie normale qui, pour autant, n’a rien de banal (Charlot, 2001) car, quand bien même elle revêtirait des accents de conformisme social, elle dessine un nouvel horizon d’espérances à atteindre (Périer, 2007). Nuttin (1987) indiquait déjà que cette dimension du futur, ou perspective d’avenir, est indispensable à toute activité de formation. De même, Feertchak (1998) considère qu’il ne peut y avoir de motivation sans orientation vers le futur, notamment, dans le domaine de l’éducation.

4.3.2 Perception de compétences et sentiment d’efficacité personnelle

Ils affirment qu’ils se sentent compétents (n = 18) et que, tout au long de la formation, ils ont cru en leur capacité à aller jusqu’au bout :

[…] durant toute l’année, je me suis dit que je me sens prête à assumer ou à passer outre l’échec ; pour moi, c’est quelque chose d’important parce que je me suis rendu compte que je ne suis jamais allée au bout de quelque chose et c’est bien la peur de quelque chose, ça j’en suis consciente. Maintenant, je me sens, voilà, mûre et armée pour affronter des choses

Sabine

Ces propos ne sont pas sans évoquer le lien entre la perception de compétences et la persévérance. Sans doute, ces candidats se sont-ils saisi de cette opportunité pour construire un sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2003) : […] je suis au DAEU, tu comprends, je sais un peu plus de quoi je parle. Je peux argumenter, je peux aller plus loin dans les sujets… Je sais où aller regarder pour m’informer. Tu comprends, j’ai l’impression d’avoir les bases, les clés pour. C’est le sentiment que j’ai (Pauline). Il est intéressant de constater que l’aspiration à être capable est largement partagée : […] ils te donnent un truc et ils te disent : ouais, tu vas être capable de le faire. Là au moins, on est parti à l’examen, on a su faire. On était capable de faire (Myriam). Leurs propos sont en cohérence avec la focalisation sur l’accès à qui constitue la spécificité de cette formation :

C’est un enseignement général et je me rends compte que le Bac, c’est minimum pour rentrer dans la vie active. Cela devrait être donné à tout le monde d’arriver au moins jusqu’à son Bac quoi. Je pense que c’est un apport dans la vie pour comprendre la société, pour être vraiment dedans

Christine

Il s’agit en fait, pour ces interviewés, d’être capables de faire pour accéder à une culture générale afin de mieux maîtriser leur environnement social, économique et politique. Cet objectif s’avère être au coeur de leur maintien et de leur réussite.

4.3.3 Facteurs identitaires

En majeure partie, les interviewés ont le sentiment d’effacer quelque peu les étiquettes scolaires (échecs, décrochage…) qu’ils ont accumulées au cours de leur scolarité. Persévérer dans la formation leur donne la possibilité de se racheter et d’accéder à une reconnaissance d’aptitudes intellectuelles dont certains doutaient profondément : Au niveau des notes [en France, la notation est sur 20], je suis plus fier un peu de moi ; avant, ça ne montait pas au-dessus de 10 et là maintenant,j’ai 15, 17 ; ça fait du bien de savoir qu’on a quelque chose dans la tête (Alain). Ils manifestent le souci d’apporter les preuves d’un changement personnel : […] Maintenant, je suis devenu très curieux et tout ce qu’ils vont dire, ça va m’intéresser, et donc je vais le prendre… J’ai envie de réussir, je veux montrer que je peux (Cyril). L’obtention du diplôme représente une reconnaissance institutionnelle, la confirmation, par des référents significatifs, du changement tant désiré. Pour ces individus, elle est l’indicateur que la voie qu’ils ont choisie, cette fois-ci, est la bonne : On me donne les moyens, les cours sont excellents, la pédagogie est extraordinaire, l’écoute est formidable. Enfin, il y a vraiment tout pour relever quelqu’un qui était en échec, vraiment. Mais il faut travailler, et on nous apprend à travailler (Nathalie). Ces considérations s’inscrivent dans l’idée conjointe de valorisation de soi et d’irréductibilité de la formation à de simples acquisitions professionnelles. Elles contribuent à la dynamique identitaire : et j’ai envie de savoir qui je suis, en fait. C’est une quête d’identité voilà… Et maintenant, je m’envole… (Sabine). La formation reste un fait porteur d’avenir (Goguelin, 1970) et permet à plusieurs de ces adultes de développer une activité de construction de soi (Zaouani-Denoux, 2007).

4.3.4 Soutiens sociaux perçus

Pour la majorité des participants (n = 18), les soutiens familiaux, des enseignants et des pairs semblent, selon leur perception, constituer de puissantes ressources pour mieux vivre leur apprentissage : Mes parents depuis qu’ils ont vu que j’étais vraiment sérieuse, que je voulais vraiment passer mon Bac, enfin le DAEU. Ils étaient là, ils me soutenaient tout le temps, quoi (Clarisse). L’aide des parents est aussi financière : […] comme l’université est loin de chez mes parents, ils n’ont pas hésité à prendre en charge l’intégralité de mes dépenses. Ils font un sacrifice financier (Margot). D’après leurs témoignages, le maintien dans le dispositif des apprenants adultes doit aussi beaucoup au soutien des enseignants. L’attitude de mise en confiance de ces derniers leur a permis de dépasser leurs difficultés, de se maintenir dans le rythme et de rester mobilisés. Les professeurs semblent prendre en compte le poids des verdicts scolaires antérieurs en valorisant ces stagiaires qui paraissent en délicatesse avec l’institution scolaire dont ils ont été ou se sont exclus :

[…] Ils savent parler avec nous, ils nous écoutent. Je me sens soutenue en fait par ces profs-là. Ils ont tous dit que s’il y avait un souci, il fallait venir les voir. C’est quand même vachement rassurant. Si tu es en train de te prendre la tête sur une question pendant trois heures et que tu ne comprends pas, et bien tu l’appelles. Et tu dis voilà, je n’ai pas compris et il va t’expliquer. Je trouve ça vachement rassurant

Audrey

Ces nouvelles considérations dont ils bénéficient de la part des professeurs les aident à changer leur regard sur eux-mêmes. Ce soutien se renforce de l’appui des pairs qui semble majeur dans la confrontation aux situations déstabilisantes, notamment au moment des résultats des différents contrôles continus :

[…] en fait, ce n’est pas une compétition, si tu as une bonne note tu es contente, et si le camarade à côté a une mauvaise note, tu lui dis ben, c’est pas grave, tu te rattraperas ; on est tous au même pied d’égalité, on a tous foiré nos études d’avant. Maintenant on est là, on a tous des projets et il faut tous se motiver, se soutenir et repartir bien. On est l’élite de la nation [rire]

Marlène

Le renfort et la solidarité reposent sur des trajectoires d’épreuves et de souffrances qu’ils ont connues ou partagent encore. Solidarité aussi entre adultes en reprise d’étude qui, dégagés des compétitions scolaires, s’apprécient et se soutiennent à égalité de statut face aux exigences universitaires et à partir desquelles certains parviennent à reconstituer un entre-soi protecteur. Ainsi le soutien familial, des professeurs et des pairs s’avère être un étai important pour dépasser les obstacles (Vonthron et al., 2007) et pour aller jusqu’au bout de son engagement formatif.

4.4 Facteurs favorisant la non-persévérance en formation

Une des caractéristiques de cette formation est le taux élevé d’abandon au cours de l’année. Ce phénomène commence après un mois de formation, s’accélère vers les vacances de Noël et ce, jusqu’au mois de février pour ralentir avant de se stabiliser. Les analyses font apparaître une grande diversité d’expériences, depuis l’abandon qui renvoie à des contraintes rencontrées hors du cadre de la formation jusqu’à l’abandon qui va de pair avec la préservation d’un modèle identitaire positif de référence, en passant par l’abandon lié à une réorientation professionnelle ou humaine vécue positivement par le sujet.

4.4.1 Facteurs extrinsèques

Les stagiaires interviewés avancent plusieurs raisons pour expliquer leur défection. Ils évoquent le changement de situation au regard de l’emploi qui survient au cours de l’année et les pousse à abandonner pour travailler : Je me suis inscrite en attendant que ma situation sur le marché de l’emploi s’améliore et dès que j’ai eu mon poste, j’ai quitté la formation. D’autres attribuent leur renoncement à une réorganisation de leur vie familiale dans laquelle il n’y a plus de place pour les études. La rupture, pour d’autres encore, est due à un déménagement.

4.4.2 Pénibilité perçue au sujet de l’apprentissage

D’autres facteurs semblent favoriser l’abandon. Les décrochages précoces paraissent le fait de candidats non diplômés. Les personnes concernées perçoivent de fortes difficultés face aux exigences scolaires. La genèse de leur décrochage procède de leurs difficultés à comprendre et par conséquent à persister dans un investissement qu’ils considèrent sans rendement : […] le DAEU, pour moi, ça n’apportait rien, puisque je ne suivais plus en cours, même si je voulais suivre, je ne comprenais pas. J’allais droit dans le mur, je me suis dit : je ne suis vraiment pas faite pour ça (Laure). Le rythme des enseignements, jugé trop rapide, fait naître chez eux une forme d’impuissance à agir efficacement sur le cours d’un destin qui leur échappe. Ne se sentant pas capables de faire face aux exigences scolaires, ils quittent la formation sans autres explications.

4.4.3 Sentiment d’inefficacité personnelle

Le désir initial d’apprendre, à la base de leur engagement, s’étiole dès les premiers contrôles. La majorité de ceux qui se démettent le font après restitution des premières notes de contrôle continu. Pour eux, l’évaluation semble ne pas être seulement celle de leur devoir, mais surtout un jugement global porté sur leur personne. Le décalage entre investissement et faiblesse des résultats conduit à des attitudes d’autodévaluation : […] quand j’ai vu que même en faisant des efforts, j’avais encore de mauvaises notes, je me suis dit, de toute façon ça ne sert à rien. Je n’arriverai à rien. Ce n’est pas la peine de continuer, j’ai vraiment rien dans la tête (Alain). L’image négative dont ils sont porteurs les empêche de dépasser les obstacles ressentis. Leur sentiment d’incompétence et d’inefficacité personnelle influencent significativement leur conduite d’abandon.

4.4.4 Dynamique de préservation identitaire

Le pourcentage des abandons est très élevé chez les inscrits âgés de moins de 25 ans ; sans trop d’informations pertinentes à propos de la formation, ils ont été orientés là et ne se sont pas approprié leur cursus. Mais, plus encore, ils ressentent l’entrée en formation comme une menace pesant sur leur identité :

C’est la Mission Locale [organisme d’insertion] qui m’a proposé le DAEU. Ils parlent de ça comme si c’était, enfin, c’est le top. C’est la première chose qu’ils m’ont proposée. Sans tenir compte de ma personnalité, ni de ma motivation. Oui, et une fois dedans, je galère. Je n’ai pas le niveau. Forcément, j’ai abandonné et ça fait mal

Thomas

D’autres semblent porteurs de contraintes internes (représentations, idéologies, croyances…) les amenant à refuser l’enseignement dispensé :

On était en histoire, et on a abordé un thème sur le dalaï-lama. Et, au bout d’un moment j’ai explosé. Vous dites que le dalaï-lama va voir des pays démocratiques dans le but d’avoir des fonds pour retrouver leur autonomie. Ça, c’est bien ! Mais de dire que c’est pour se retrouver dans un régime féodal. Parce que féodal, c’est quand même un mot péjoratif. Donc, on n’a pas le droit de donner un avis là-dessus

Alexia qui, à la suite de cet incident, quittera définitivement le cours d’histoire

Leurs préconceptions bloquent leur apprentissage, les empêchant de répondre à la demande scolaire. Ils ont peur d’un changement qui remettrait en question leur identité. Se trouvant devant l’alternative de changer sa façon de faire ou de s’y refuser afin de préserver son identité, le stagiaire choisit la seconde solution. Pour lui, le changement introduirait une dissonance dans ses figures identitaires. Sa persistance en formation est donc un choix coûteux à bien des égards. Face aux risques courus, ces sujets résistent à l’acte d’apprendre et se résignent à quitter la formation. Leurs connaissances sont d’autant plus difficilement modifiables qu’elles sont associées à un modèle identitaire positif de référence. L’ébranlement de ces connaissances signifierait l’ébranlement du modèle identitaire auquel elles sont liées (Bourgeois, 1998).

5. Discussion

Ces stagiaires d’âge, de cursus et de niveau scolaire différents ont été, pour la plupart, confrontés à des obstacles qui ont gêné leur scolarité initiale. Comme le soulignent Bourgeois et Nizet (2005), reprendre des études semble en effet correspondre à un moment critique dans le parcours de ces adultes. Sans pouvoir davantage l’identifier, nous constatons effectivement que l’entrée en formation traduit une forte mobilisation cognitive, mais surtout que celle-ci paraît avoir régénéré chez ces interviewés une disposition aux activités intellectuelles. Cette mobilisation repose sur une appréciation diversifiée du diplôme, de la formation et des apprentissages. Selon nos résultats, la majorité d’entre eux recherchent certes des acquisitions utiles au développement professionnel, mais aussi la possibilité d’accroître des compétences servant leur développement personnel. Il s’agit clairement d’une motivation extrinsèque à rapprocher des motifs opératoires professionnel et personnel décrits par Carré (2004). Certes, quelles que soient leurs motivations, ils attendent l’acquisition d’une culture générale, l’obtention d’un diplôme et la concrétisation, enfin, d’un projet précis. Cependant, il convient de ne pas sous-estimer la motivation intrinsèque des stagiaires qui aspirent également à pouvoir s’autoriser à envisager l’avenir ou à réaliser une ouverture personnelle. Toutefois, bien au-delà d’un ensemble plus ou moins coordonné de conduites qu’un individu développe pour rechercher les conditions favorables à l’exercice de certaines activités qu’il valorise (Piolat, 1980), l’engagement s’avère ici procéder d’une mise en sens de leur trajectoire (Zaouani-Denoux, 2007). Pour eux, la formation semble obligatoirement se situer dans un rapport au passé, au présent et à l’avenir. Beaucoup en espèrent l’acquisition d’éléments qui leur permettront de maintenir ou de modifier des aspects identitaires (Carré, 2002) et d’accéder ainsi à une position plus conforme à leurs aspirations et à leur milieu social et familial. Comme le souligne fort à propos Kaddouri (2006), cet engagement semble stimuler la réflexion, les actes et l’envie de se redéfinir en reformulant le sens de sa propre existence, en lui donnant de nouveaux repères et ancrages identitaires.

Des persévérants perçoivent une concordance entre la formation suivie et leur projet, montrant ainsi qu’il ne peut y avoir de motivation sans orientation vers le futur, notamment dans le domaine de l’éducation (Feertchak, 1998 ; Nuttin, 1987). Sans pouvoir généraliser avec certitude, nos résultats mettent en évidence l’existence d’un lien chez ces stagiaires entre la perception de compétence, le sentiment d’efficacité personnelle et le maintien en formation. Ces considérations contrediraient l’étude de Giampietro, Bello et Battistelli (2005), qui a relevé une absence de lien entre maintien en formation et sentiment d’efficacité personnelle, pour une population de jeunes demandeurs d’emploi en stage. La pénibilité perçue de la situation formative et le sentiment d’inefficacité personnelle sont souvent, mais pas systématiquement, évoqués par les stagiaires qui abandonnent. Ils font écho aux travaux de Bandura (1995) selon lesquels le niveau de sentiment d’efficacité personnelle influence la façon de considérer et de dépasser les obstacles rencontrés. Les données exploitées ne nous ont pas permis d’observer le rôle de l’intégration scolaire et de l’intégration sociale telles que définie par Tinto (1975). En revanche, le soutien perçu de la famille, des enseignants et de la communauté d’apprentissage (Wenger, 1998) que sont les pairs, facteurs non retenus initialement, s’avèrent déterminants. Ces résultats convergent avec ceux de Vonthron et al. (2007) sur la formation professionnelle qualifiante : la perception de soutiens sociaux disponibles constitue une ressource significative pour affronter les difficultés rencontrées et pour persister. En complément des différents travaux sur le maintien et l’abandon en formation, nos résultats soulignent l’impact des dynamiques identitaires : certains adultes persistants en espèrent un changement personnel ; d’autres, non persistants perçoivent la formation comme menaçante pour un modèle identitaire positif de référence qu’ils voudraient préserver.

Outre la concordance entre nos résultats et certaines études mentionnées, cette recherche nous porte à penser que l’engagement en formation procède d’une mise en sens par le stagiaire de sa trajectoire. De plus, contrairement à d’autres travaux, elle souligne que la perception de compétence, le sentiment d’efficacité personnelle et le maintien en formation sont liés. Enfin, pour ce dernier, notre étude tend à révéler, déjouant nos attentes, le caractère décisif de la perception des soutiens sociaux.

6. Conclusion

Notre recherche visait à connaître les caractéristiques et profils des inscrits au diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU), à examiner leur engagement et leurs motivations et à identifier quelques facteurs favorisant les conduites de maintien ou d’abandon. Les résultats montrent que, pour ces stagiaires de cursus et de niveau scolaire différents, la reprise d’études correspond à un moment critique dans leur parcours d’adulte. Leur engagement en formation relève de motivations à la fois extrinsèques (recherche de compétences au service du développement personnel) et intrinsèques (reformuler le sens de sa propre existence à l’aide de nouveaux repères identitaires). Des facteurs comme la perception de compétence ou le sentiment d’efficacité personnelle apparaissent déterminants pour le maintien en formation. Le soutien social perçu, facteur initialement non retenu, s’avère décisif. En plus de leur ouvrir de nouveaux horizons culturels en attestant leur niveau de formation générale, la formation semble leur avoir permis de réévaluer les verdicts scolaires. Elle fonctionne comme une procédure d’appel en vue de la révision des jugements scolaires antérieurs, de l’effacement des stigmates qui y sont liés, d’une réhabilitation à la fois culturelle, sociale et personnelle (Fosse-Poliak, 1991). Les résultats montrent la nécessité de mettre en place des actions pédagogiques qui soutiennent l’engagement, le maintien et la réussite à l’examen. Des bilans réalisés aux périodes critiques, ainsi qu’un accueil et un accompagnement personnalisés tout au long de l’année constituent des perspectives pertinentes et fructueuses pour les universités. Par son caractère exploratoire, cette recherche a révélé quelques caractéristiques des 211 stagiaires et les expériences de 24 interviewés. Elle a permis de mettre en avant un ensemble de facteurs sans les approfondir. Notre démarche centrée sur les motifs explicités pourrait être enrichie par d’autres éclairages. Nos résultats sont transférables et généralisables sous réserve de la prise en compte du caractère restreint de l’échantillon, de sa spécificité et de celle du contexte étudié. Des recherches ultérieures pourraient s’intéresser à une population en présentiel et à distance plus importante sur plusieurs années afin d’obtenir plus d’information et d’examiner l’impact d’autres facteurs. Enfin, nous pensons que la connaissance des conceptions véhiculées par les enseignants de ce dispositif contribuerait à l’intelligibilité de ces différents phénomènes.