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1. Introduction et problématique

Depuis la fin des années 1970, le Québec accorde une grande importance à l’intégration sociale, notamment l’intégration scolaire des enfants présentant des besoins particuliers. À cet effet, le rapport COPEX (1976) souligne l’importance de normaliser tous les milieux de vie de ces personnes en leur offrant des services qui leur permettront de surmonter les obstacles liés à leur situation et de renforcer leurs compétences. Pour répondre à cette orientation ministérielle, le système d’organisation des mesures d’enseignement en cascade a été adopté, privilégiant, selon les besoins de l’enfant, le milieu le plus normalisant possible, le groupe-classe ordinaire avec l’enseignante comme première responsable de l’éducation de l’enfant, ou le plus spécialisé, l’enseignement à l’intérieur d’un centre d’accueil ou d’un centre hospitalier comme dernier mode d’enseignement.

À la suite de l’établissement de la Politique de l’adaptation scolaire en 1999, le milieu scolaire s’est modifié, accueillant de plus en plus d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) dans les classes ordinaires (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2010 ; ministère de l’Éducation du Québec, 1999). Par contre, dix ans après la mise en place de cette politique, l’organisme Le Protecteur du Citoyen (2009) révèle que les parents sont, le plus souvent, insatisfaits des efforts du gouvernement pour assurer la qualité des services offerts aux enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme. En effet, les parents de ces enfants rapportent qu’ils sont déçus des services gouvernementaux offerts à ceux-ci ; ils soulignent, d’une part, le manque de continuité des services dans les moments de transition et, d’autre part, le manque d’information en ce qui concerne les approches pédagogiques et l’offre de services spécialisés en milieu scolaire (Protecteur du Citoyen, 2009). Le mécontentement des parents face au manque de services nécessaires à leur enfant nous porte à croire que le système d’éducation québécois n’a pas su s’adapter à la hausse d’élèves ayant des besoins particuliers en classe ordinaire, particulièrement en ce qui a trait aux enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme. Ces constats, qui ressortent du rapport publié par le Protecteur du Citoyen (2009), mettent en évidence l’urgence de se pencher sur la réalité des parents québécois d’un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme.

À notre connaissance, aucune recherche québécoise n’a approfondi la question de l’expérience des parents qui ont un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme intégré en milieu scolaire ordinaire. Il s’agit, à notre avis, d’une limite importante des connaissances car, selon le gouvernement du Québec, les parents sont les principaux acteurs concernés par l’éducation et la réussite de leur enfant (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2010 ; ministère de la Santé et des Services sociaux, 1996). Qui plus est, chaque pays, ou même chaque province a une logique administrative différente concernant la gestion du système d’éducation, ce qui rend donc l’expérience des parents québécois unique.

Toutefois, les connaissances acquises à ce jour sur l’expérience des parents nous apprennent que les mères et les pères vivent différemment la situation particulière de leur enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme (Chatenoud, Kalubi et Paquet, 2014 ; des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014 ; Granger, 2011 ; Sabourin, 2012 ; Tehee, Honan et Hevey, 2009). À ce propos, certaines études mettent en évidence le fait que les mères interagissent de manière différente des pères avec le personnel intervenant auprès de l’enfant (Granger, 2011 ; Sabourin, 2012) et qu’elles sont généralement plus impliquées dans les tâches spécifiques à l’éducation de celui-ci (Chatenoud, Kalubi et Paquet, 2014 ; Tehee, Honan et Hevey, 2009). Dans cette perspective, nous considérons qu’étudier le point de vue des mères est une première étape importante dans la compréhension de l’expérience d’intégration des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme au Québec. L’objectif de cette recherche n’exclut pas les pères de l’unité familiale, mais nous considèrons que leur point de vue devrait faire l’objet d’une recherche distincte en raison des différences qui ont été documentées dans les écrits entre les pères et les mères (Chatenoud, Kalubi et Paquet, 2014 ; des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014 ; Granger, 2011 ; Sabourin, 2012 ; Tehee, Honan et Hevey, 2009).

Cette recherche vise donc à documenter le point de vue des mères québécoises à propos de l’expérience d’intégration scolaire de leur enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme. Ici, nous nous intéresserons spécifiquement à leur point de vue quant aux effets de l’accès aux services spécialisés et du caractère adapté de l’environnement scolaire sur l’expérience d’intégration scolaire de leur enfant. Cette démarche nous permettra de mettre en lumière différents éléments qui ont influencé, selon elles, l’expérience d’intégration de leur enfant.

2. Contexte théorique

2.1 Intégration scolaire des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme

Au Québec, le concept d’intégration scolaire fait le plus souvent référence au système d’organisation des mesures d’enseignement en cascade proposé dans le rapport COPEX (1976).

D’après ce système, repris par Boutin et Bessette (2009), tous les enfants qui présentent des difficultés devraient bénéficier d’une évaluation de leurs capacités, de leurs besoins et de leurs progrès avant que soient choisis le placement scolaire et les services appropriés pour leur réussite éducative. Cette idéologie prône également le placement scolaire le plus normalisant possible en fonction de l’évaluation des besoins de l’enfant. Il est également important de souligner qu’à chaque niveau de ce système, des services devraient être offerts à l’enfant afin qu’il puisse continuer de bénéficier du milieu le plus normalisant possible. Au Québec, les services et les adaptations qui peuvent être offerts par le milieu scolaire sont variés, pouvant passer des services et de l’accompagnement supplémentaire (technicien en éducation spécialisée, orthopédagogue, psychoéducateur, etc.) à l’adaptation de l’environnement scolaire (structure visuelle, ratio enseignant-élèves plus petit, etc.). Certains auteurs américains soulignent l’importance d’avoir un environnement adapté et prévisible pour l’enfant afin que ce dernier soit en mesure de répondre aux exigences scolaires, lui évitant ainsi de faire face à des échecs répétés ou de développer des problèmes de comportement (Blakeley-Smith, Carr, Cale et Owen-DeSchryver, 2009 ; Crosland et Dunlap, 2012).

Selon le ministère de l’Éducation, du Loisir et des Sports (2007), les enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme font partie des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA). Au Québec, le trouble du spectre de l’autisme est désormais le handicap le plus recensé dans le milieu scolaire, avec une augmentation annuelle de 26 % de sa prévalence (Noiseux, 2012). De plus, d’après cette auteure, le taux d’intégration scolaire de ces enfants a atteint un sommet de 41 % lors de l’année 2009-2010. Ces données impliquent qu’actuellement, il n’est pas rare de rencontrer des élèves présentant un trouble du spectre de l’autisme dans une classe ordinaire.

Dans le système scolaire québécois, lorsqu’un élève ayant un tel trouble présente des limitations qui entravent ses apprentissages, le gouvernement lui attribue un code de difficulté ; dans ce cas-ci, le code 50. Ce code sert au calcul de l’enveloppe budgétaire que la commission scolaire alloue à l’école (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007, p. 9-21). Par contre, le gouvernement soutient que la distribution des services ne se fait pas en fonction de cette classification, mais plutôt selon une évaluation des capacités de l’enfant (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007, p. 3-4). C’est la direction de chaque école qui décide de la répartition globale du budget à l’intérieur de l’établissement (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). Toutefois, les règles d’attribution des services ne sont pas décrites clairement. Par exemple, aucun document ne fait mention des lignes directrices à suivre en ce qui concerne l’évaluation des capacités de l’enfant comme l’identification de la personne responsable, du moment de cette évaluation et des composantes à évaluer. Cette situation peut être problématique, puisque cette évaluation est déterminante, selon le gouvernement, pour distribuer adéquatement les services. Ces constats semblent indiquer que les politiques sociales éducatives pourraient présenter des failles dans le processus d’attribution des services. Cette recherche vise donc à documenter spécifiquement le point de vue d’un des principaux partenaires éducatifs de l’enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme, sa mère, afin de mieux comprendre dans quelle mesure les services offerts à son enfant ont influencé, selon elle, l’expérience d’intégration scolaire de celui-ci. Il est important de garder à l’esprit que cette étude a pour objectif de décrire l’expérience d’intégration de l’enfant comme l’ont perçue les mères rencontrées et non de prendre une mesure directe de l’accessibilité des services et de la qualité de l’environnement scolaire.

2.2 Les mères d’enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme

Le cadre théorique retenu pour cette étude intègre des éléments de l’approche systémique de Bronfenbrenner (1979), adaptée par Seligman et Darling (2007) pour les familles qui ont un enfant avec des besoins particuliers. Ce modèle postule que l’individu est continuellement en interaction avec son environnement, qui est représenté par divers systèmes. Ainsi, la personne est placée au centre de plusieurs systèmes, partant de celui le plus près d’elle (par exemple, la famille) vers le plus éloigné (par exemple, les politiques sociales ou le gouvernement). Comme les interactions entre ces différents systèmes affectent l’expérience vécue par l’individu, tout changement dans un de ces systèmes crée un besoin d’adaptation. Par exemple, un enfant peut subir les conséquences d’un manque de soutien financier gouvernemental, car ses parents ne pourront pas lui offrir l’ensemble des services dont il a besoin. En effet, dans cette perspective systémique, les politiques sociales, particulièrement celles en lien avec l’éducation, ont une influence sur les différents systèmes qui gravitent autour de l’enfant intégré en classe ordinaire, dont fait partie la mère.

Toujours selon cette approche, l’entrée à l’école d’un enfant présentant des besoins particuliers représente une période d’adaptation importante, car ce nouveau système extérieur est alors intégré à la cellule familiale, système qui implique le lien qui unit la mère et son enfant (Chatenoud, Kalubi et Paquet, 2014 ; Seligman et Darling, 2007). Selon les connaissances acquises à ce jour, les familles d’enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme rapportent vivre des difficultés avec les systèmes extérieurs au système familial, dont le système médical et éducatif (Chatenoud, Kalubi et Paquet, 2014).

Soulignons enfin que les mères d’enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme présentent plus fréquemment des symptômes de détresse que les mères d’enfant ayant d’autres troubles développementaux (Boyd, 2002) et que les pères (des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014), notamment parce qu’elles ont plus fréquemment de la difficulté à concilier leurs responsabilités personnelles et professionnelles. Par conséquent, elles sont souvent contraintes de quitter leur emploi ou de diminuer leurs heures de travail pour pouvoir s’investir davantage auprès de leur enfant (Chatenoud, Kalubi et Paquet, 2014 ; des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014). Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de constater que les pères ont tendance à augmenter leur nombre d’heures de travail, ce qui diminue le temps disponible pour s’impliquer dans l’éducation de l’enfant (des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014). Ces constats, qui révèlent la complexité du système familial, soulignent l’importance de documenter le point de vue des parents en contexte d’intégration scolaire afin, notamment, d’identifier les politiques gouvernementales qui favorisent à la fois l’intégration des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme et le bien-être des mères. Toutefois, comme nous l’avons mentionné précédemment, le point de vue des mères et celui des pères méritent d’être étudiés séparément. Dans notre perspective, il est pertinent de documenter, dans un premier temps, le point de vue des mères, puisque les écrits soulignent que les tâches en lien avec l’éducation seraient davantage attribuées à celles-ci (Chatenoud, Kalubi et Paquet, 2014 ; Tehee, Honan et Hevey, 2009).

2.3 Perception, par les parents, de l’intégration scolaire de leur enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme

La section qui suit présente les principaux écrits qui ont porté sur la perception qu’ont les parents de l’intégration scolaire de leur enfant. Il est important de noter qu’aucune de ces recherches n’a été effectuée auprès des parents québécois, père ou mère, qui ont un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme intégré en classe ordinaire. Bien que ces écrits ne tiennent pas compte exclusivement de la perception des mères, et qu’ils s’inscrivent dans un contexte différent du contexte québécois, notamment en ce qui concerne les politiques publiques, ils nous renseignent sur les enjeux scolaires et familiaux qui peuvent être présents lorsqu’un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme est intégré en classe ordinaire.

2.3.1 Accessibilité et qualité des services selon les parents

La plupart des écrits de recherche abordent la perception des parents sous l’angle de la satisfaction que ceux-ci éprouvent face aux services offerts à leur enfant. Parmi les éléments recensés pouvant influencer la satisfaction des parents, ceux le plus souvent évoqués font référence à l’obtention, à la qualité et à l’adaptation des services et aux informations offertes par le système de santé et d’éducation aux parents, incluant ici les services préscolaires et scolaires (Bourke-Taylor, Pallant, Law et Howie, 2012 ; Brewin, Renwick et Schormans, 2008 ; Cappe, 2012 ; Renty et Roeyers, 2006 ; Siklos et Kerns, 2006 ; Stoner, Bock, Thompson, Angell, Heyl et Crowley, 2005).

L’étude américaine de Stoner et ses collègues (2005) met en évidence le fait que certains parents, avant même l’entrée à l’école de leur enfant, ont été insatisfaits des services offerts par les professionnels de la santé rencontrés lors des évaluations diagnostiques. Ces auteurs soulignent que cette insatisfaction des parents envers le système de soins contribuera à créer une méfiance qui affectera par la suite leurs relations avec le personnel scolaire. En effet, plusieurs études, canadiennes, américaines et européennes, soulignent qu’il est nécessaire, aux yeux des parents, d’adopter une attitude revendicatrice avec le milieu scolaire pour obtenir des services en raison du manque de services spécialisés au sein de l’école pour répondre aux besoins de leur enfant (par exemple : orthophonie, accompagnement en classe, service pour l’intégration sensorielle, etc.) (Brewin, Renwick et Schormans, 2008 ; Stoner et al., 2005 ; Renty et Roeyers, 2006 ; Starr et Foy, 2012).

D’autres études effectuées en Europe et en Australie rapportent que les parents qui n’ont pas reçu les services attendus vivent une détresse qui s’ajoute à celle déjà présente dans leur quotidien (Bourke-Taylor, Pallant, Law et Howie, 2012 ; Meirsschault, Roeyers et Warreyn, 2010 ; Renty et Roeyers, 2006). Par ailleurs, quand l’équipe-école adapte les services aux besoins de l’enfant, les parents développent une meilleure relation avec le personnel scolaire, ce qui diminue leur inquiétude à l’égard des services offerts (Cappe, 2012 ; Renty et Roeyers, 2006).

Les parents veulent également être informés adéquatement sur la nature du trouble du spectre de l’autisme, sur les services disponibles, sur les délais d’attente et sur les procédures dites administratives, afin de prendre les meilleures décisions possibles pour leur enfant (Renty et Roeyers, 2006 ; Siklos et Kerns, 2006). Une étude belge révèle qu’à la suite du diagnostic, seulement 38 % des parents considèrent avoir reçu l’information adéquate sur la nature du trouble du spectre de l’autisme (Renty et Roeyers, 2006). À la lumière de ces écrits, il paraît donc important de mieux documenter la façon dont les mères perçoivent, au Québec, les services spécialisés offerts en milieu scolaire à leur enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme intégré en classe ordinaire. Notons, encore une fois, que chaque province et chaque pays possède sa propre législation en ce qui a trait à l’éducation et aux services à offrir aux personnes qui ont des besoins particuliers. Pour cette raison, les perceptions des parents provenant d’autres pays ou provinces sont probablement différentes de celles des mères québécoises.

2.3.2 Expertise et implication parentale dans le contexte d’intégration scolaire

Quelques études, canadiennes, américaines et européennes, mettent en évidence le fait que les parents considèrent que leur implication joue un rôle important dans le déroulement de l’intégration de leur enfant. En effet, de nombreux parents souhaitent communiquer fréquemment et développer une collaboration étroite avec le personnel scolaire, afin d’être au courant de l’évolution de leur enfant dans le contexte de classe (Ivey, 2004 ; Renty et Roeyers, 2006 ; Starr, Foy, Cramer et Singh, 2006 ; Stoner et al., 2005). Notons également que lorsque l’opinion des parents est mise à l’écart au profit de l’expertise du personnel, il en résulte généralement une insatisfaction de la part des parents à l’égard des services offerts à leur enfant (Brewin, Renwick et Schormans, 2008 ; Starr et Foy, 2001), et ce, surtout lorsque les décisions prises sont de nature administrative (Stoner et al., 2005). Pourtant, selon Benson, Karlof et Siperstein (2008) et Iovannone, Dunlap, Huber et Kincaid (2003), l’implication parentale a des effets positifs sur l’évolution de l’enfant en contexte d’intégration scolaire, particulièrement sur le maintien et la généralisation des acquis (Benson, Karlof et Siperstein, 2008 ; Iovannone, Dunlap, Huber et Kincaid, 2003).

Au Canada, le plan d’intervention est un outil qui a été développé pour permettre, entre autres, aux différentes personnes impliquées auprès de l’enfant, dont les parents, de se concerter sur les besoins et les mesures à prendre pour soutenir l’enfant dans ses apprentissages (ministère de l’Éducation du Québec, 2004). Selon la loi québécoise, l’enfant doit avoir accès à tous les services nécessaires, identifiés pour la réussite des objectifs établis lors de la rencontre du plan d’intervention (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). La législation québécoise est sans équivoque quant à l’importance d’inclure les parents dans l’ensemble du processus d’intégration de leur enfant. Pourtant, les parents d’enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme sont souvent insatisfaits des mesures prises pour leur enfant (Protecteur du Citoyen, 2009), ce qui soulève un certain nombre d’interrogations. Le processus d’identification des besoins et des moyens à mettre en oeuvre se fait-il réellement en concertation entre les parents et le milieu scolaire ? Les membres du personnel tiennent-ils systématiquement compte de l’opinion des parents lors du choix des interventions à prioriser ? Les problèmes rencontrés sont-ils le résultat d’un manque de ressources, en milieu scolaire, pour faciliter l’intégration des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme ? Peu de données, jusqu’à présent, permettent de comprendre le point de vue des mères québécoises concernant l’adéquation entre les services offerts à l’enfant et les besoins de celui-ci tels qu’identifiés par ces dernières.

2.3.3 Formation et connaissances sur le trouble du spectre de l’autisme du personnel scolaire selon les parents

Des recherches européennes et canadiennes indiquent que, selon les parents, la formation et les connaissances du personnel scolaire, incluant la direction, au sujet des particularités et des interventions spécifiques au trouble du spectre de l’autisme, sont déterminantes pour l’intégration de leur enfant (Brewin, Renwick et Schormans, 2008 ; Starr, Foy, Cramer et Singh, 2006 ; Starr et Foy, 2012 ; Whitaker, 2007). Ces études font également état d’un manque de connaissances générales du personnel sur le trouble du spectre de l’autisme, ce qui entraîne souvent, aux yeux des parents, une mauvaise compréhension des besoins de l’enfant et ce qui compromet la mise en place des adaptations (Brewin, Renwick et Schormans, 2008 ; Starr, Foy, Cramer et Singh, 2006 ; Starr et Foy, 2012 ; Whitaker, 2007) ; de plus, cela alimente de mauvaises perceptions, notamment en ce qui a trait à la mise en oeuvre de stratégies visant à gérer les difficultés de comportement de l’enfant (Starr et Foy, 2012). Certains parents réclament donc que le personnel scolaire ait une formation spécifique au trouble du spectre de l’autisme lorsque leur enfant est intégré (Siklos et Kerns, 2006 ; Stoner, Angell, House et Bock, 2007).

L’étude américaine d’Horrocks, White et Roberts (2008), réalisée auprès de directions d’école, a mis en évidence le fait que la direction doit bénéficier d’une formation pour bien saisir les particularités et les besoins de l’enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme car, tout comme au Québec (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007), c’est elle qui prend les décisions concernant les services et les adaptations requis pour l’enfant. Ce constat corrobore celui d’autres études menées auprès de parents en ce qui concerne l’importance de la formation des directions d’école (Siklos et Kerns, 2006 ; Stoner, Angell, House et Bock, 2007). Par contre, selon le ministère de la Santé et des Services Sociaux (MSSS), lors du bilan qu’il a fait de son plan d’action pour intégrer les personnes avec des besoins particuliers, ses objectifs concernant la sensibilisation et la formation du personnel dans les milieux et de ceux élaborant les lois et les programmes ne se sont pas encore concrétisés, certains ayant même été abandonnés (ministère de la Santé et des Services Sociaux, 2011). Dans ce contexte, il est donc d’une importance cruciale de connaître le point de vue des mères sur l’aptitude du personnel qui prend les décisions pour l’attribution des services de leur enfant à évaluer les besoins particuliers liés au trouble du spectre de l’autisme.

Jusqu’à présent, peu d’études menées auprès de parents ont abordé spécifiquement la préparation à l’entrée à l’école d’un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme intégré en classe ordinaire. Pourtant, l’entrée à l’école représente une transition importante dans la vie de l’enfant et de sa famille (Turnbull et Turnbull, 2002). D’ailleurs, certains auteurs soulignent que les transitions devraient être préparées plusieurs mois avant l’entrée à l’école pour cibler adéquatement les besoins de l’enfant et permettre à ce dernier et à ses parents de vivre moins de stress (Goupil, 2004 ; Forest, Horner, Lewis-Palmer et Todd, 2004). Puisque les enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme sont sensibles aux changements d’environnement, il est particulièrement important de les préparer à cette transition (par exemple : visite de la classe, rencontre avec l’enseignant, etc.) et de préparer leur environnement (par exemple : horaire quotidien, personnel ciblé, etc.) avant leur arrivée à l’école (Crosland et Dunlap, 2012 ; Forest, Horner, Lewis-Palmer et Todd, 2004). Toujours selon ces auteurs, puisque les profils des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme sont très variables, il s’avère nécessaire d’effectuer une préparation individualisée, ce qui implique le développement d’une bonne compréhension des besoins uniques de l’enfant. Les résultats de ces études montrent donc l’importance de la formation du personnel scolaire et de la préparation de l’enfant, et ce, avant même l’entrée à l’école de ce dernier ; mais qu’en pensent les mères québécoises ?

À notre connaissance, aucune recherche québécoise n’a documenté le point de vue des mères sur les caractéristiques des services et de l’environnement scolaire qui, selon elles, influencent l’intégration de leur enfant en classe ordinaire. Pourtant, plusieurs recherches montrent l’importance de documenter le point de vue de ces dernières (des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014 ; Granger, 2011 ; Sabourin, 2012).

L’objectif de cet article est donc de documenter le point de vue de mères au sujet de l’intégration scolaire, en classe ordinaire, de leur enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme. Dans cet article, nous aborderons de façon plus spécifique la question de recherche suivante : Quel point de vue ont ces mères sur les effets de l’accès aux services spécialisés et du caractère adapté de l’environnement scolaire sur l’expérience d’intégration scolaire de leur enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme ?

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Dans le cadre de cette recherche, dix-huit (= 18) mères d’enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme intégré en classe ordinaire au 1er ou 2e cycle du primaire ont été interviewées. Nous n’avons exclu aucune mère qui correspondait aux critères d’inclusion de l’étude : être la mère d’un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme intégré en classe ordinaire au 1er ou au 2e cycle primaire. Les mères volontaires ont été recrutées par l’entremise d’écoles, de cliniques et d’organismes spécialisés en trouble du spectre de l’autisme et de réseaux sociaux (Facebook). Le processus de recrutement sera expliqué dans la section 3.3. L’objectif de cette recherche de nature qualitative et exploratoire est de documenter la perception de ces 18 participantes quant à leur expérience de l’intégration scolaire en classe ordinaire de leur enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme. Dans cette perspective, les résultats ne seront pas généralisables à l’ensemble des familles dans cette situation, puisque des données de nature qualitative correspondent à l’expérience unique de chaque personne (Miles et Huberman, 2003 ; Miles, Huberman et Saldaña, 2014). La méthodologie adoptée, l’homogénéité des profils des participantes, la taille (= 18) et la répartition de l’échantillon (10 commissions scolaires sur 72) sont également des éléments de cette étude qui font en sorte qu’il ne sera pas possible de généraliser les résultats à l’ensemble des mères dans la même situation. Par contre, cette méthode d’analyse nous permet de rendre compte de la complexité de la situation vécue par les mères. Le tableau 1 présente les caractéristiques des participantes.

Tableau 1

Caractéristiques descriptives des participantes

Caractéristiques descriptives des participantes

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En ce qui concerne les caractéristiques des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme, certaines d’entre elles sont homogènes. Aucun ne présente une déficience intellectuelle et tous ont un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme représenté, selon la nomenclature du Diagnostic and statistical manualof mental disorders-IV (American psychiatric association, 2013), par de l’autisme (n = 4), un syndrome d’Asperger (n = 7) ou un trouble envahissant du développement non spécifié (= 7). Certains diagnostics comorbides sont ressortis, tels qu’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (n = 3), une dyspraxie (n = 2), de l’anxiété (n = 2), une hypotonie (n = 1), une déficience du système immunitaire (n = 1), une scoliose (n = 1) et un trouble de la modulation sensorielle (n = 1). Les enfants sont intégrés au sein d’écoles relevant de 10 commissions scolaires francophones différentes à travers la province de Québec. Trois enfants avaient un frère ou une soeur présentant également un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme.

3.2 Instrumentation

La responsable de la recherche a élaboré un guide d’entretien à partir d’une recension des écrits et de la révision du contenu par des collègues et des professeurs possédant une expertise dans le domaine du trouble du spectre de l’autisme. Afin d’obtenir le plus d’informations possible, le guide a été adapté au fil des entretiens. Au final, six thèmes principaux ont été développés : les services préscolaires, la transition vers la maternelle, l’intégration en classe ordinaire, l’influence de l’intégration scolaire sur l’enfant et sur la famille et la poursuite de la scolarisation (canevas en annexe). Il est important de noter que le guide d’entretien a été utilisé de manière ouverte, c’est-à-dire qu’en premier lieu, pour chaque thème, une question ouverte a été posée. Dans le cas où la participante a eu de la difficulté à élaborer sur le thème proposé, il a été possible de la guider à partir de questions plus spécifiques. Toutefois, il est important de souligner que l’entretien étant ouvert, le canevas a été utilisé comme un guide, c’est-à-dire que les questions ont parfois été modifiées pour permettre à chaque mère de décrire son expérience selon sa propre logique. Dans ces circonstances, certains thèmes n’ont donc pas été abordés, car ils ne correspondaient pas à la réalité de certaines mères. Seule la responsable de la recherche a procédé à l’administration des entretiens. La rencontre avec les participantes a eu lieu une seule fois, et durait entre 90 et 120 minutes.

3.3 Déroulement

Le recrutement s’est fait par l’entremise de divers organismes et cliniques spécialisées en trouble du spectre de l’autisme, quelques commissions scolaires et les réseaux sociaux (Facebook). Dans chaque organisation, une personne responsable a remis aux mères répondant aux critères d’inclusion une lettre leur expliquant le projet et leur possibilité de participer à l’étude. Les mères intéressées ont contacté la personne responsable du projet, d’une part, afin que celle-ci s’assure que leur profil répondait aux critères d’inclusion et, d’autre part, pour prendre rendez-vous et choisir le lieu de rencontre (local à l’Université du Québec à Montréal, domicile, bibliothèque, Skype, etc.) selon leur convenance. Les entretiens se sont déroulés au cours de l’année 2011-2012. Parmi les moyens de communication utilisés, il est remarquable de constater que l’utilisation de l’application informatique Skype, outil de collecte peu utilisé en recherche, nous a permis d’obtenir un échantillon diversifié en rencontrant des mères de régions éloignées (= 3). Qui plus est, ce médium s’est avéré convivial et nous a permis de recueillir des informations aussi riches que celles recueillies auprès des mères que nous avons rencontrées en personne. Tous les entretiens ont été enregistrés sur un enregistreur audionumérique afin d’être retranscrits intégralement pour les besoins de l’analyse.

3.4 Méthode d’analyse des données

Nous avons privilégié l’analyse qualitative thématique proposée par Braun et Clarke (2006), qui est une approche inductive ayant pour objectif d’identifier et d’analyser des thèmes émergeant de l’entièreté du discours des participantes. Comme il s’agit d’une approche inductive, la thématisation et la catégorisation ne sont pas imposées en fonction d’un cadre théorique. Par conséquent, nous n’avons fait aucune précatégorisation des réponses. Cette méthode nous a permis d’avoir un guide d’entretien très flexible qui s’est adapté au discours et à l’expérience de chaque mère. Pour réaliser l’analyse, nous avons suivi les six étapes suggérées par ces auteurs. Ces dernières sont résumées dans le tableau 2. Le logiciel NVivo a été utilisé pour faciliter l’analyse des données.

Tableau 2

Étapes d’analyse proposées par Braun et Clarke (2006)

Étapes d’analyse proposées par Braun et Clarke (2006)

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3.5 Considérations éthiques

Une personne responsable dans chaque organisation ciblée a remis aux mères qui répondaient aux critères d’inclusion une lettre leur expliquant le projet et la possibilité qu’elles participent à l’étude. Certains organismes ont préféré afficher l’annonce de recrutement sur leur site Internet avec les lignes directrices du projet. Afin de respecter un consentement libre, ce sont les mères intéressées à participer à l’étude qui ont contacté l’expérimentatrice pour obtenir de plus amples informations. Afin de nous assurer de la confidentialité, nous avons codifié les noms des personnes et des écoles lors de la retranscription. Nous avons également obtenu un certificat d’éthique attestant que notre projet de recherche respectait les normes de l’établissement universitaire (Université du Québec à Montréal), quant aux recherches sur des humains. Les mères intéressées à recevoir les résultats de la recherche nous ont fourni leurs coordonnées. Les résultats de cette recherche seront présentés dans le cadre d’une recherche doctorale, dont la copie sera envoyée, par courrier ou par courriel, aux mères qui nous ont fourni leurs coordonnées à cette fin.

4. Résultats

Notre objectif était de documenter le point de vue des mères sur les éléments qui ont influencé, selon elles, l’expérience d’intégration en classe ordinaire de leur enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme. Comme nous l’avons mentionné précédemment, notre démarche de recherche était inductive : nous avons laissé les mères s’exprimer sur les éléments qu’elles considéraient comme importants pour l’intégration de leur enfant. Le propos des mères a clairement fait ressortir que (1) l’accès aux services spécialisés et (2) l’environnement scolaire sont des éléments qui affectent de façon marquée l’expérience d’intégration scolaire de leur enfant.

4.1 Accès aux services spécialisés

4.1.1 Accès aux services préscolaires spécialisés

Même avant la scolarisation de l’enfant, plusieurs mères ressentent déjà le manque d’accès aux ressources en raison de l’attente qu’elles vivent pour recevoir des services spécialisés, soit pour une évaluation diagnostique ou pour de l’intervention adaptée dans les Centres de réadaptation en déficience intellectuelle − trouble envahissant du développement (CRDI-TED). Les propos analysés mettent de l’avant le besoin de plusieurs mères d’avoir une opinion de professionnels avant l’entrée à l’école concernant le diagnostic, le développement de leur enfant, les services nécessaires au fonctionnement de ce dernier ainsi que les interventions à prioriser pour un enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme : J’aurais eu besoin d’une opinion d’expert avant qu’il rentre à l’école, avoir des évaluations pour répondre à nos questions : Est-ce qu’il est prêt à rentrer à la maternelle ? Qu’est-ce que cela lui prend ? (Mère no 13).

Si, comme dans l’extrait qui précède, certaines des mères que nous avons rencontrées sont confrontées au manque de services professionnels, d’autres mères ont, pour leur part, profité de services de diagnostic précoce et d’intervention du centre de réadaptation, en l’occurrence des services d’intervention comportementale intensive (ICI). Ces services ont, en effet, permis aux quelques mères qui en ont bénéficié de mieux connaître les difficultés de leur enfant, et ainsi de revendiquer plus facilement les services scolaires nécessaires lors de l’entrée à l’école. En ce qui concerne spécifiquement l’intervention comportementale intensive, ces mêmes mères ont trouvé que cette intervention facilitait l’intégration de leur enfant. D’une part, cette forme d’intervention leur aurait permis de se familiariser avec les services et les interventions nécessaires au développement de leur enfant. D’autre part, ces mères nous ont également dit que, lors de ces périodes d’interventions, leur enfant a fait beaucoup d’acquis, cognitifs et sociaux, qui ont été, selon elles, essentiels à son intégration. On peut d’ailleurs le remarquer dans le témoignage de cette mère : Je pense que s’il n’avait pas eu l’intervention comportementale intensive, il n’aurait probablement pas été capable de fonctionner dans une maternelle régulière. Ils ont trouvé le piton « on » sur mon garçon ! (Mère no 18).

En revanche, de nombreuses mères que nous avons rencontrées déplorent un manque de continuité et de communication lors de la transition entre les services préscolaires et l’entrée à l’école. Cette situation fait en sorte que les connaissances acquises sur l’enfant dans un service (par exemple : centre de réadaptation) ne sont pas maintenues ou transmises une fois que l’enfant commence à fréquenter le milieu scolaire. À ce sujet, les mères qui ont bénéficié d’une période prolongée d’intervention comportementale intensive après la rentrée scolaire nous ont dit qu’elles ont trouvé la transition plus facile, car les éducatrices de ce service ont pu transmettre au personnel scolaire leur connaissance de l’enfant, des besoins et des interventions à prioriser avec ce dernier. Ce travail de transmission fait par les éducatrices a d’ailleurs permis à l’enfant de bénéficier d’une continuité des services et a également allégé l’implication nécessaire de la mère, car elle n’avait pas à faire toutes ces démarches : Le premier plan d’intervention de l’école, elle était présente (en parlant de l’éducatrice de l’intervention comportementale intensive). Elle a présenté [l’enfant]. Elle a donné toutes ses recommandations et la façon dont elle travaillait avec lui (Mère no 18).

4.1.2 Accès aux services scolaires spécialisés

Les mères ayant reçu des services scolaires spécialisés (par exemple : accompagnement, service de psychologie, d’orthopédagogie, de transport adapté, etc.) ont souligné que ceux-ci ont joué un rôle positif dans le déroulement de l’intégration de leur enfant. Malheureusement, la majorité des mères que nous avons rencontrées n’ont pas obtenu les services qu’elles percevaient comme nécessaires au bien-être de leur enfant. À cet effet, la plupart des mères nous ont dit qu’elles auraient voulu davantage d’heures d’accompagnement.

Par ailleurs, force est de constater que plusieurs mères souhaitant obtenir des services pour leur enfant ont fait face à des obstacles de nature administrative de la part de l’école (par exemple : attente d’un rapport médical écrit), et ce, malgré les besoins flagrants de l’enfant : La direction disait que sans un diagnostic écrit, ils ne peuvent pas aller chercher une cote au gouvernement pour avoir une aide pour [l’enfant]. Mais, en même temps, je ne pouvais rien faire, car le médecin ne faisait pas le rapport rapidement (Mère no 17).

De plus, certains services que plusieurs mères que nous avons rencontrées considèrent nécessaires pour leur enfant ne sont pas offerts à l’école. Cette situation oblige ces mères à débourser des frais substantiels pour que leur enfant bénéficie de ces services en bureau privé, comme en témoigne cette mère : Mon fils a besoin d’ergothérapie, il n’y a pas d’ergothérapie. Il faut payer et on n’est pas assuré (Mère no 03). Quelques-unes déplorent également le manque d’accès à la subvention gouvernementale pour les enfants handicapés, malgré le diagnostic établi au sujet de l’enfant : J’avais fait une demande à la Régie des Rentes du Québec. Puis, ils me disent : « Vous savez, ça va avec la sévérité des choses. » C’est vrai qu’il n’a pas de retard de langage ou de déficience, mais il fait des crises incroyables ! (Mère no 12). Selon ces mères, l’accès à la subvention leur aurait permis de payer les services complémentaires non disponibles dans le milieu scolaire (par exemple : formation sur les techniques d’intervention et d’apprentissage pour les élèves présentant un trouble du spectre de l’autisme et les problématiques associées, service d’ergothérapie, etc.). Il faut en outre souligner l’importance que plusieurs mères accordent aux services d’ergothérapie en milieu scolaire pour répondre aux besoins de leur enfant. Pourtant, ce service qui semble identifié par ces mères comme répondant à un besoin réel n’était offert dans aucune école intégrant les enfants des mères participant à notre recherche. En revanche, quelques mères ont particulièrement apprécié que l’école prenne les devants pour offrir des services à l’enfant après avoir observé que ce dernier avait des besoins particuliers, comme nous raconte cette mère : Elle (en parlant de la directrice) m’a dit : « Avec ce que je vois, je sais qu’il va avoir besoin d’une technicienne en éducation spécialisée, je vais chercher tout de suite le budget » (Mère no 17).

De nombreuses mères que nous avons rencontrées ont aussi déploré le fait qu’une absence de symptôme aggravant chez leur enfant (par exemple : les colères, les comportements perturbateurs, etc.) aboutit souvent à une perte ou à un accès limité aux services. Une mère nous raconte que son enfant n’a pas reçu de service, car il ne faisait pas d’assez grosses crises : L’éducatrice nous a dit « Ce n’est quand même pas un petit garçon qui se tape la tête sur les murs. On en a vu que c’était des crises, c’est très dérangeant, alors on va donner du service » (Mère no 10). Selon plusieurs mères, cette situation a des conséquences non négligeables sur le fonctionnement de l’enfant qui se retrouve aux prises avec une réapparition des symptômes problématiques (par exemple : anxiété, crises/colère, etc.).

4.1.3 Accès à l’information sur les services spécialisés disponibles

Outre l’obtention des services, l’analyse du propos de la majorité des mères révèle que ces dernières considèrent qu’elles n’ont pas eu accès à de l’information adéquate pour pouvoir répondre aux besoins de leur enfant et les aider dans leur intégration à l’école. Il s’agit principalement d’information en ce qui a trait au fonctionnement de l’école, aux procédures administratives, aux droits parentaux (par exemple : choix du type de classe, accord avec le plan d’intervention), aux services et aux ressources disponibles ainsi qu’aux processus cliniques (par exemple : élaboration de plan d’intervention, le rôle des intervenants, etc.). Une mère souligne même qu’elle croit ne pas avoir eu accès à l’information par l’école pour être en mesure de leur faire des demandes : Nous, on demande quelque chose, c’est long avant qu’il se passe de quoi. On nous laisse dans un vide intersidéral, ils ne veulent tellement pas qu’on se rende plus loin qu’ils nous en donnent le moins possible (Mère no 14). Face à l’inconnu et à l’incertitude, plusieurs mères ont vu, d’une part, leur propre anxiété augmenter et, d’autre part, elles ont dû investir un temps considérable dans la recherche d’informations afin de donner à leur enfant les meilleures chances d’évoluer dans le système scolaire. Par ailleurs, les mères ayant participé activement à l’élaboration du plan d’intervention à l’école ont trouvé que ce processus les avait aidées à mieux comprendre les démarches entourant l’intégration (par exemple : les services disponibles, l’application et le choix des mesures, etc.).

La majorité des mères que nous avons rencontrées soulignent également qu’elles n’ont pas eu d’information concernant les démarches qui régissent la distribution des services. Cette situation a frustré quelques mères qui ne comprennent pas pourquoi leur enfant n’a pas accès à certains services dont il a besoin : J’ai appelé la commission scolaire de Montréal pour demander à quoi servait le code 50, où les budgets non utilisés retomberaient et pourquoi mon fils n’aurait pas droit aux services dont il a besoin (Mère no 03).

Par contre, les mères qui n’ont pas été confrontées à ces difficultés ont souligné avec insistance à quel point avoir une seule personne à la commission scolaire qui s’occupait du dossier complet de l’enfant a été aidant pour les démarches administratives et la transmission de l’information sur l’enfant à toutes les personnes impliquées auprès de ce dernier : Elle s’appelle [conseillère pédagogique], c’est cette personne-là qui a fait vraiment toutes les démarches auprès de l’école (Mère no 02). Les mères ayant bénéficié de cet intervenant pivot évoquent également que si elles avaient des questions, elles pouvaient toujours se référer à cette personne, évitant ainsi d’investir du temps pour obtenir des informations éparpillées et, parfois même, erronées.

4.2 L’environnement scolaire

4.2.1 Préparation de l’environnement scolaire pour l’entrée à l’école de l’enfant

Aucune des mères rencontrées n’a bénéficié de l’élaboration d’un plan d’intégration ou de transition vers l’école afin de cibler préalablement les besoins de l’enfant et d’adapter l’environnement du milieu scolaire à ceux-ci. Selon la plupart des mères, le manque de planification pour l’entrée à l’école a eu un effet négatif sur les capacités d’adaptation de l’enfant à son nouvel environnement. Pour plusieurs mères, cette lacune quant à la préparation a eu pour conséquence une hausse de l’anxiété chez leur enfant lors de l’entrée à l’école, ce qui a teinté négativement la poursuite de l’année scolaire. Une mère témoigne avec déception que malgré une préparation préalable, le changement de direction a fait en sorte que l’enfant n’a pas pu bénéficier des préparatifs qui avaient été faits spécifiquement pour lui : L’intégration était supposée de se faire dans la classe où ce qu’il était, sauf qu’en changeant de directrice, ils ont changé de classe, ils ont changé d’étage. Tous les repères qu’on avait fixés, il ne les avait plus (Mère no 18).

Les propos des mères qui ont vécu une entrée scolaire difficile font ressortir que la mise en place de stratégies efficaces comme une visite préalable de l’école ou de la classe, l’instauration d’un plan d’intervention ou une rencontre avec le personnel scolaire avant l’entrée à l’école leur aurait permis de ressentir moins de tension lors de cette grande transition. En revanche, le discours de quelques mères qui ont vécu une belle transition lors de l’entrée à l’école met en évidence à quel point la préparation de l’enfant à l’entrée à l’école avait aidé ce dernier à s’intégrer et à s’adapter à ce grand moment qu’est l’entrée à l’école : Accueillir [l’enfant] une journée ou deux, j’aimerais ça qu’il vienne à l’école avant que les autres amis arrivent pour qu’il s’habitue, qu’il s’habitue à la classe (Mère no 09). Une mère témoigne même que la préparation et l’expérience positive de l’entrée à la maternelle a permis à son enfant d’acquérir une confiance en lui ; ce qui, selon cette mère, a permis à son enfant de passer au travers de certaines années plus difficiles qui ont suivi : Le fait qu’il ait eu une bonne intégration et une bonne transition, l’a rendu capable de revenir là-dessus et de dire « Regarde c’est juste cette année que c’est une situation difficile » (Mère no 04).

4.2.2 Organisation de la classe pour qu’elle soit adaptée aux besoins de l’enfant

L’analyse du propos des mères met également en lumière les nombreux éléments, à l’intérieur même de la classe, qui peuvent influencer l’expérience d’intégration de leur enfant. Quoique certaines circonstances décrites par les mères semblent être hors du contrôle de l’école, d’autres pourraient peut-être être évitées.

Selon plusieurs d’entre elles, le changement de personnel est un élément qui influence l’expérience d’intégration de leur enfant. Certaines mères ont d’ailleurs été confrontées à des départs précipités d’enseignantes en congé de maladie ou à des remplaçants différents chaque semaine : J’ai essayé de rencontrer enseignant après enseignant, après enseignant pour les informer de la situation. Mais bon, un mois plus tard, c’était à recommencer (Mère no 04). Comme en témoigne l’extrait précédent, cette situation a obligé ces mères à investir du temps pour informer les nouveaux enseignants des particularités de leur enfant.

Un climat de classe perturbé par la présence de plusieurs enfants avec des troubles de comportement, de la surstimulation sonore ou de fréquentes désorganisations comportementales ont également, selon plusieurs mères, des conséquences importantes sur l’évolution de l’enfant : Cela a créé un climat de classe très tumultueux, beaucoup de bruit, beaucoup de désorganisation… Les apprentissages inconstants et mal dosés (Mère no 04). Afin de remédier à ces problèmes, une école a décidé de sélectionner au préalable le groupe-classe de l’enfant pour, d’une part, trouver l’enseignante qui répondrait le mieux aux besoins de l’enfant et, d’autre part, regrouper les élèves qui seraient les plus faciles pour l’enseignante, ce qui lui permettrait d’accorder le temps nécessaire à l’enfant : Ils ont quand même regardé quelle prof, dans leur équipe, serait la plus habilitée à l’accueillir en maternelle ; ils ont même été jusqu’à trier les élèves pour mettre les élèves les plus faciles dans son groupe pour que le prof puisse mettre le plus d’énergie sur [l’enfant](Mère no 09).

Pour alléger la charge de travail de l’enseignant, certaines écoles ont diminué le ratio d’enfants dans la classe, comme en témoigne cette mère : Au lieu de 25 dans la classe, ils sont justes 17, la professeure est plus avec les enfants (Mère no 16). Ce moyen a été apprécié par les quelques mères qui en ont bénéficié, car elles considèrent que l’enseignant pouvait consacrer plus de temps à leur enfant et que le climat de classe était plus calme. Une autre approche judicieuse adoptée par certaines écoles est de permettre aux enseignants de choisir s’ils veulent accueillir des enfants avec des besoins particuliers dans leur classe.

4.2.3 Organisation des heures scolaires hors de la classe pour qu’elles soient adaptées aux besoins de l’enfant

Ici, il est utile de constater que la majorité des mères ont abondamment parlé des difficultés vécues par l’enfant à l’école, hors des heures de classe (par exemple : récréation, dîner, service de garde, etc.). Seule une mère a relaté une expérience positive, car son enfant a bénéficié d’un accompagnement individualisé lors de ces périodes. Par contre, plusieurs mères ont déploré le fait que l’école ne fournisse pas de service pour répondre aux besoins de leur enfant à ces moments de la journée. Les principaux éléments dysfonctionnels qui ont été soulevés sont le manque de structure et d’encadrement (par exemple : maintien de l’horaire structuré et organisation d’activités), l’environnement surstimulant (par exemple : beaucoup de bruits et d’élèves dans la même pièce) ainsi que le ratio élevé d’enfants par éducatrice. Une mère nous raconte que l’école n’a pas mis en place des services permettant à son enfant de s’intégrer à ses pairs lors des récréations, laissant l’enfant errer seul : Je passais en auto. Je le voyais, seul qui s’en allait, qui ne savait pas trop où s’en aller. J’aurais aimé qu’il ait du support (Mère no 05). De manière générale, ces périodes sont décrites comme très difficiles pour l’enfant, créant souvent des tensions avec ses pairs et pouvant même affecter sa disponibilité aux apprentissages : Il y a quelque chose qui se passe au service de garde, presque chaque jour. Des fois, ça peut prendre jusqu’à une heure pour qu’elle devienne dans un mood pour travailler pour l’après-midi (Mère no 16). Quelques mères ont tenté de faire en sorte que leur enfant n’ait pas à fréquenter le service de garde. Par contre, pour plusieurs, la conciliation travail-famille ne leur permet pas d’éviter ce service.

5. Discussion

À la suite de l’analyse du propos des mères, nous avons été en mesure de constater que deux éléments ont une influence particulière sur l’expérience d’intégration scolaire de leur enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme. En effet, l’analyse révèle que ces dernières souhaitent que l’attribution des services réponde aux besoins uniques de leur enfant, ce qui n’est pas toujours le cas. De plus, l’adaptation de l’environnement scolaire devrait lui aussi, selon les mères, combler ces besoins qui sont propres à chaque enfant. Nos résultats sont donc concordants avec les études recensées sur la perception des parents canadiens, européens et américains quant à l’importance d’avoir des services et un environnement adapté aux besoins de l’enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme intégré en classe ordinaire (Brewin, Renwick et Schormans, 2008 ; Bourke-Taylor, Pallant, Law et Howie, 2012 ; Cappe, 2012 ; Ivey, 2004 ; Renty et Roeyers, 2006 ; Starr et Foy, 2012 ; Starr, Foy, Cramer et Singh, 2006 ; Siklos et Kerns, 2006 ; Stoner et al., 2005 ; Stoner et Angell, 2006 ; Stoner, Angell, House et Bock, 2007). Or, nos résultats nous apprennent également qu’intégrer un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme n’est pas une tâche simple pour les mères québécoises, car elles font face à une multitude d’embûches quand il s’agit de recevoir des services et d’avoir un environnement adapté pour leur enfant. Souvent, elles vivent une déception à l’égard du système d’éducation qui ne répond pas à leurs attentes.

Il est essentiel de constater que le point de vue des mères québécoises que nous avons rencontrées se rapproche de celui des enseignantes d’ailleurs en ce qui concerne l’importance de l’accès aux services et aux ressources (Glazzard, 2011), et des enseignantes d’ici, quant à l’importance de pouvoir préparer l’environnement et l’enseignement pour les élèves présentant un trouble du spectre de l’autisme (Ruel, Poirier et Japel, 2015). Il serait donc nécessaire de se questionner sur les conditions de travail des enseignantes en contexte, puisque les mères évoquent la possibilité que ces dernières ne disposent pas de ressources ni de soutien de la part de la direction d’école.

Toutefois, contrairement à d’autres études menées auprès d’enseignantes (Perko et McLaughlin, 2002 ; Renzaglia, Karvonen, Drasgow et Stoxen, 2003), le discours des mères rencontrées ne remet pas en question le fonctionnement de leur système familial ou les caractéristiques de leur enfant, mais nous mentionne uniquement des systèmes extérieurs à la famille tels que le milieu scolaire et les politiques gouvernementales. En effet, il semblerait qu’aux yeux des mères, la structure du système éducatif soit un élément déterminant dans l’expérience d’intégration de leur enfant. D’ailleurs, les résultats illustrent bien le fait qu’un même enfant, dont les caractéristiques sont plutôt stables d’année en année, peut vivre des échecs certaines années et de grands succès lors d’autres années d’intégration. Par conséquent, les résultats de cette étude nous laissent croire que les fluctuations de l’expérience d’intégration en classe ordinaire sont plutôt attribuables, selon les mères, à l’organisation des services et du milieu. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que les difficultés liées à l’intégration sont, toujours dans la perspective des mères, le résultat d’une incapacité de l’école à faire face aux défis que présente l’intégration. Ce constat nous amène donc à nous questionner sur notre système et sur l’organisation des services offerts à l’enfant en contexte d’intégration en classe ordinaire.

À ce sujet, notre recherche met en lumière qu’au Québec les règles qui régissent l’attribution des services pour les enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme ne sont pas clairement définies et ne sont pas connues des mères. Les mères rencontrées n’avaient pas l’impression d’obtenir l’information adéquate sur l’attribution des services ainsi que sur les processus cliniques et administratifs (par exemple : placement scolaire, plan d’intervention, droits parentaux, disponibilité et choix des services, etc.). Cette situation peut donner l’impression aux mères de ne pas avoir accès au meilleur encadrement possible et aux services attendus pour leur enfant. Dans les faits, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2007) mentionne que les services doivent être distribués en fonction d’une évaluation des besoins et des capacités de l’enfant. Toutefois, l’analyse du propos des mères met en évidence le fait que le processus d’évaluation n’est pas expliqué aux mères et certaines d’entre elles soulignent qu’aucune évaluation n’a été réalisée avec l’enfant, du moins avec leur consentement. Cette situation est inquiétante, car elle va à l’encontre de ce qui est proposé par le gouvernement en ce qui concerne l’intégration scolaire (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). De plus, si on se fonde sur la définition de l’intégration proposée par Boutin et Bessette (2009), il est également impossible de parler d’intégration dans ce contexte, car cette notion implique qu’une évaluation préalable et continue des besoins et des progrès de l’enfant soit réalisée. Notre étude soulève donc la possibilité que l’organisation actuelle des services puisse ne pas respecter systématiquement le modèle d’intégration proposé par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport et ne réponde pas aux attentes des mères québécoises.

Ces constats concernant les règles d’attribution des services nous portent donc à croire qu’il serait souhaitable que les mères soient mieux informées de la manière dont sont décidés et priorisés les besoins de leur enfant. Pourtant, au Québec, le processus d’élaboration du plan d’intervention a, entre autres, été instauré pour permettre une concertation entre le personnel scolaire et les parents (ministère de l’Éducation du Québec, 2004). Cette situation est paradoxale, puisque les mères ne semblent pas être en courant des éléments d’évaluation permettant à leur enfant de bénéficier ou non de services. Il est donc permis de penser que la rencontre de plan d’intervention n’est pas systématiquement faite en concertation avec les mères, ce qui aurait pour effet de créer des insatisfactions quant aux services offerts à l’enfant. Une autre hypothèse soulevée par nos résultats est que le milieu scolaire manque de personnel pour répondre à l’augmentation du nombre d’élèves avec des besoins particuliers.

Il est également important de souligner que le système d’organisation des services tel que décrit par les mères semble offrir des services en réaction à des comportements de l’enfant qui perturbent le climat de la classe. Toutefois, les enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme ont des profils très variés (Schwartz, Sandall, McBride et Boulware, 2004), et tous ne présentent pas des comportements perturbateurs. Ainsi, plusieurs mères ont dit ne pas recevoir les services pour leur enfant en raison de l’absence de problèmes comportementaux. Cette situation est inquiétante, car elle nous indique que le système n’adopte pas une posture de prévention des comportements. Dans cette optique, il est possible de croire que certains enfants doivent vivre beaucoup de détresse avant qu’une intervention adéquate ne leur soit offerte. Un autre élément qui nous permet de croire que le système actuel ne privilégie pas toujours une approche préventive est le manque de préparation du milieu scolaire pour accueillir un élève présentant un trouble du spectre de l’autisme. L’analyse du propos des mères met en évidence que contrairement aux recommandations de Forest, Horner, Lewis-Palmer et Todd (2004) et Goupil (2004), les écoles ne proposent pas systématiquement de plan de transition ou de préparation à l’entrée à l’école pour les enfants. Pourtant, ces chercheurs mettent clairement en évidence l’importance de préparer ce moment, surtout pour les enfants avec des besoins particuliers, et ce, dans l’objectif de cibler les besoins et les services nécessaires à leur réussite scolaire. Cette situation soulève des questions quant aux efforts fournis par le milieu scolaire lorsqu’un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme entre à l’école en milieu régulier. Pourtant, comme l’ont montré d’autres études, il est crucial d’adapter l’environnement de l’enfant pour s’assurer de sa réussite (Blakeley-Smith, Carr, Cale et Owen-DeSchryver, 2009 ; Crosland et Dunlap, 2012). Face à ces constats, il apparait essentiel de mettre en place des modalités pour que le personnel scolaire puisse, minimalement, rencontrer l’enfant et ses parents avant l’entrée à l’école afin que l’environnement puisse être adapté aux particularités de ce dernier. De même, des démarches plus transparentes et systématiques devraient être prises dans le cadre du processus visant à identifier les besoins de l’enfant et les mesures à mettre en oeuvre pour répondre à ces besoins. Les procédures administratives pour accéder aux services semblent également trop lourdes aux yeux des parents. Il est donc possible de conclure que, selon les mères, le système d’éducation québécois présente d’importantes failles dans l’organisation des services qui leur sont offerts, à elles et à leur enfant.

Nos résultats mettent également en évidence que le milieu scolaire ordinaire québécois n’est pas, selon les mères, bien adapté aux besoins de leur enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme. Ce résultat soulève la question de la pertinence d’avoir abandonné les mesures visant la formation et la sensibilisation du personnel administratif élaborant les lois, les projets et les programmes éducatifs au Québec (ministère de la Santé et des Services Sociaux, 2011). De plus, nos résultats corroborent ceux de Stoner et al. (2005) qui indiquent que l’expertise parentale devrait être davantage prise en considération dans le processus menant à l’octroi des services. Cette expertise parentale est nécessaire pour s’assurer que les services répondent réellement aux besoins uniques de l’enfant, surtout dans le contexte où les profils de ces enfants sont très variés (Rogé, 2008 ; Schwartz, Sandall, McBride et Boulware, 2004 ; Simpson, Boer-Ott et Smith-Myles, 2003). En alliant un personnel administratif sensibilisé aux besoins des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme et l’expertise de leur parent, il sera probablement plus facile de cibler les services et les ressources réellement utiles pour l’intégration de l’enfant.

Nos résultats corroborent également ceux mis en évidence dans le rapport du Protecteur du Citoyen (2009) selon lesquels les parents, ici particulièrement les mères, n’ont pas l’impression de recevoir les services attendus lorsque leur enfant est intégré dans le milieu scolaire ordinaire. Cette situation n’est pas uniquement présente au Québec. En effet, plusieurs études, canadiennes, américaines et européennes, rapportent que le milieu scolaire manque de ressources, ce qui, le plus souvent, se traduit par un manque de personnel qualifié pour répondre aux besoins de l’enfant (Brewin, Renwick et Schormans, 2008 ; Renty et Roeyers, 2006 ; Starr et Foy, 2012 ; Stoner et al., 2005). Nos résultats confirment également que le transfert de l’information entre les institutions (par exemple : centre de réadaptation, école, etc.) ainsi qu’entre les professionnels constitue un problème majeur au Québec (Protecteur du Citoyen, 2009). Cette situation est clairement une source d’insatisfaction, car les mères qui ont bénéficié de services dépensent beaucoup d’énergie à communiquer des informations sur l’évolution de leur enfant à chaque personne impliquée auprès de ce dernier, ce qui entraîne souvent, chez elles, de la frustration et de l’épuisement. Pour cette recherche, un autre résultat digne d’intérêt, qui, à notre connaissance, n’a jamais été documenté dans les écrits scientifiques québécois, est le fait que les mères des enfants qui ont bénéficié d’une intervention comportementale intensive étaient beaucoup plus satisfaites du déroulement de la transition à la maternelle que les autres mères. Elles ont particulièrement apprécié le suivi des intervenants de ce service avec le personnel scolaire, qui a permis une continuité dans les interventions, et allégé ainsi leur tâche. Qui plus est, la plupart d’entre elles ont également souligné que ce service a permis à leur enfant d’acquérir les compétences cognitives et sociales nécessaires pour fréquenter une classe ordinaire.

L’analyse du discours des mères met en lumière le fait que la quasi-totalité des enfants n’ont pas bénéficié de services (par exemple : accompagnement, etc.) à l’extérieur des heures de classe (par exemple : service de garde, récréation, etc.), ce qui représente, pour la majorité de ces derniers, de 1 à 4 heures par jour. Toutefois, dix-sept des dix-huit mères que nous avons rencontrées nous ont spontanément parlé des difficultés que leur enfant vivait lors de ces périodes. Cette situation est étonnante, puisque les balises pour l’attribution des services émises par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2007) ne spécifient pas que ces périodes sont exemptes d’une prestation de services si l’enfant présente des besoins. Encore une fois, les lignes directrices concernant l’attribution des services sont interprétées différemment par l’école car, selon les mères, un accompagnement lors de ces périodes répond à un besoin manifeste pour leur enfant. Cette situation est inquiétante, puisque plusieurs études montrent clairement l’importance que l’enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme ait un environnement adapté (Blakeley-Smith, Carr, Cale et Owen-DeSchryver, 2009 ; Crosland et Dunlap, 2012), ce qui inclut les heures à l’extérieur de la classe. Il est clair que l’adéquation des services de garde est influencée par l’organisation des services offerts à l’enfant et au personnel. Soulignons également que les périodes visées par le service de garde représentent un grand défi pour les enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme, puisque leurs compétences sociales y sont fortement sollicitées ; ce qui, rappelons-le, représente leur principale difficulté. Il semble donc pertinent pour le gouvernement et le milieu scolaire de réfléchir sur les moyens qui peuvent être pris pour aider ces enfants à vivre moins de détresse lors de ces moments. Pour ces raisons, les mères ont l’impression que le milieu scolaire ne leur donne pas tous les services nécessaires au bien-être de leur enfant et sont réticentes à l’idée que leur enfant fréquente ces services.

Enfin, notons un dernier constat qui ressort de nos résultats et qui corrobore ceux de des Rivières-Pigeon et Courcy (2014) : la situation actuelle des mères d’enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme ne favorise pas la conciliation des responsabilités personnelles et professionnelles de ces dernières. Dans le contexte d’intégration scolaire, il est clair que, pour ces mères, avoir accès à un service de garde avec des services et un environnement adaptés aux besoins de leur enfant leur permettrait, entre autres, de maintenir leur horaire de travail. Une autre solution serait que le gouvernement offre à ces mères une aide financière pour qu’elles puissent avoir recours à une éducatrice spécialisée à la maison après les heures de cours. Les mères doivent également investir beaucoup de temps et d’énergie pour avoir accès à de l’information valide ou pour négocier avec la direction les services nécessaires au développement de leur enfant. Il serait donc primordial que les mères puissent bénéficier, dans tous les cas, d’un intervenant pivot spécialisé en trouble du spectre de l’autisme. Cet intervenant pourrait offrir aux parents l’ensemble de l’information nécessaire aux décisions éducatives à prendre, ce qui leur éviterait d’investir un temps considérable pour obtenir des informations qui sont parfois même erronées.

6. Conclusion

L’objectif de cet article était de documenter le point de vue des mères sur l’expérience d’intégration scolaire de leur enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme. Notre analyse, réalisée à partir du cadre d’analyse inductif proposé par Braun et Clark (2006), nous a permis de mettre en évidence le fait que les mères perçoivent que leur enfant a besoin d’avoir un accès rapide aux services de soutien spécialisé, et ce, dès le préscolaire. Elles croient également que l’environnement scolaire doit être adapté aux besoins uniques de leur enfant. Ces résultats nous portent donc à croire que le système d’éducation n’a peut-être pas su adapter son offre de service aux besoins des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme.

Cette recherche de nature exploratoire nous a permis de dresser un premier portrait de la perception, par les mères, des éléments qui ont influencé l’expérience d’intégration scolaire en classe ordinaire de leur enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme. D’autres recherches devront se pencher sur cette question pour permettre de soutenir les familles dans cette situation. Dans une perspective systémique, nos données pourraient être complétées par l’étude qualitative des points de vues des pères, des accompagnatrices, des enseignantes et des directions d’école quant aux éléments qui, selon eux, auraient une influence sur l’expérience d’intégration en classe ordinaire des élèves présentant un trouble de spectre de l’autisme. Il ressort de nos résultats que ces acteurs ont, aux yeux des mères, une influence importante sur l’expérience d’intégration de leur enfant. Ce constat confirme que chaque système qui gravite autour de l’enfant doit être documenté pour comprendre l’intégration scolaire des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme.

Notre étude comporte évidemment un certain nombre de limites. La méthodologie utilisée et la taille de l’échantillon (= 18) ne nous permettent pas de généraliser les résultats à l’ensemble des familles québécoises dans cette situation. Qui plus est, la répartition de l’échantillon rattachée à 10 commissions scolaires ne nous permet pas d’avoir un portrait exhaustif de la situation québécoise qui comprend 72 commissions scolaires ayant chacune son propre fonctionnement. Les mères qui ont choisi de participer à l’étude peuvent également présenter des caractéristiques différentes de celles que l’on retrouve pour l’ensemble des mères dans cette situation. Par exemple, les mères qui ont fait face à des embûches lors de l’intégration de leur enfant pourraient être plus sujettes à vouloir revendiquer leurs besoins et donc plus enclines à participer à une recherche.