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1. Introduction et problématique

La didactique de l’orthographe a connu un important développement ces dernières années. Les chercheurs comprennent mieux la complexité de l’orthographe du français (Catach, 2011; Daigle et Montésinos-Gelet, 2013), le développement normal de la compétence orthographique des élèves et les processus cognitifs impliqués dans la réalisation d’une tâche orthographique (Cogis, 2005). Forts de ces nouvelles connaissances, les didacticiens ont proposé des pratiques novatrices d’enseignement de l’orthographe impliquant un élève idéal, actif et engagé dans la tâche (Brissaud et Cogis, 2011; Nadeau et Fisher, 2006). Cependant, force est de constater que les avancées dans le domaine n’ont pas encore donné les fruits attendus. Le degré de maîtrise de l’orthographe atteint par les élèves québécois à la fin de leurs études secondaires, particulièrement celui des garçons, reste en deçà des attentes. À l’épreuve unique d’écriture de 5e secondaire de juin 2009, seulement 62,9 % des filles et 46,5 % des garçons obtenaient la note de passage au volet orthographe (ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport du Québec, 2010).

Dans la section qui suit, nous nous arrêterons à la complexité de l’orthographe grammaticale et aux différences de performance entre les garçons et les filles. Le rôle de la motivation sera alors soulevé et les concepts de sentiment d’autoefficacité et d’orthographe grammaticale seront présentés. Cela nous amènera à exposer l’objectif de notre étude conduite auprès de jeunes de première secondaire, puis le détail de nos considérations méthodologiques et l’exposé de nos résultats, qui seront discutés à la lumière des résultats des principaux écrits scientifiques dans le domaine.

1. 1 La complexité de l’orthographe grammaticale

L’orthographe du français est complexe et nécessite une dizaine d’années d’apprentissage (Cogis, 2005). Pour rendre compte des 36 phonèmes de la langue, le scripteur dispose de 26 lettres, de quelques signes diacritiques et d’un bassin de quelque 130 graphèmes (Catach, 2011). Orthographier correctement les mots nécessite en outre davantage qu’un seul traitement phonologique de la langue; le scripteur doit également considérer les propriétés morphologiques et visuelles des mots (Daigle et Montésinos-Gelet, 2013). Il doit apprendre à gérer simultanément trois sortes d’unités linguistiques : des phonogrammes (des graphèmes correspondant directement aux phonèmes), des morphogrammes (des marques morphologiques lexicales ou grammaticales généralement muettes) et des logogrammes qui permettent de distinguer visuellement les mots (Catach, 2011).

Parmi les différentes unités linguistiques propres à l’orthographe du français, les morphogrammes grammaticaux causent bien du souci aux élèves du secondaire. Il s’agit de marques morphologiques qui donnent des indications sur les catégories grammaticales des mots, indiquant le genre, les personnes, etc., en fonction de la classe grammaticale du mot fléchi. En contexte scolaire, ces morphogrammes grammaticaux sont généralement évoqués par le biais de l’orthographe grammaticale (Jaffré, 2011), par opposition à l’orthographe lexicale (ou d’usage), qui réfère aux graphies normées du lexique. L’orthographe grammaticale réfère plutôt à l’application des règles d’accord et à la morphologie grammaticale des mots (Jaffré, 2011), et constitue l’un des grands défis des élèves, puisque sa maîtrise suppose des connaissances explicites en syntaxe et la mobilisation de procédures de gestion des accords qui peuvent s’avérer coûteuses sur le plan cognitif (Cogis, 2005). Il faut des années pour en maîtriser les principales règles, et cet apprentissage se poursuit au-delà du cours secondaire, comme en témoignent les difficultés en orthographe grammaticale des étudiants universitaires (Lefrançois, Laurier, Lazure et Claing, 2005). Dans ces circonstances, le scripteur se doit de maintenir une motivation forte sur une longue période de temps.

Le taux de réussite des garçons en orthographe grammaticale est particulièrement inquiétant. Partout dans la francophonie et dans nombre d’écrits ministériels ou scientifiques, les garçons sont jugés plus à risque d’échouer que les filles (Blais, 2003; Brissaud, 1999; Chervel et Manesse, 1989; Conseil supérieur de l’éducation, 1999; Description internationale des enseignements et des performances en matière d'écrits (groupe DIEPE), 1995; Manesse et Cogis, 2007; ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport du Québec, 2010; ministère de l’Éducation du Québec, 2003). L’explication de cette différence se trouve, selon plusieurs, du côté des facteurs psychosociaux. Le Conseil supérieur de l'éducation a publié en 1999 un rapport sur la réussite scolaire des garçons dans lequel on attribuait aux filles une attitude généralement plus positive envers l’école. Le deuxième rapport du ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport du Québec à propos du plan d’action pour l’amélioration du français (2010) abonde dans le même sens : les filles de 4e et 6e années, de même que celles de 2e secondaire sont généralement présentées comme plus motivées que leurs camarades. Toutefois, les conclusions des chercheurs sur la question des différences sexuelles dans les profils motivationnels relatifs à l’apprentissage d’une langue ne sont pas consensuelles (Pajares, 2003). Bouffard et Couture (2003) ainsi que Bouffard, Vezeau, Chouinard et Marcotte (2006) ont noté des différences entre les profils motivationnels des garçons et des filles à l’égard du français, mais leur amplitude était faible. De son côté, Bégin (2008) a noté une performance et une motivation plus grandes en orthographe lexicale chez les filles que chez les garçons, mais pas de différence dans leur perception de compétence.

L’apprentissage de l’orthographe grammaticale n’est pas seulement une question de développement cognitif, mais il comporte, comme tout apprentissage, une dimension psychoaffective dont il faut tenir compte dans la réflexion didactique (Brissaud, 2011). En raison d’exigences trop élevées et d’échecs répétés, les élèves peuvent se construire une image négative d’eux-mêmes et de leur efficacité à apprendre et à maîtriser l’orthographe grammaticale. Ce sentiment d’inefficacité est de nature à générer des attitudes négatives envers la norme de leur langue et un sentiment d’insécurité linguistique qui, à long terme, peuvent entraîner des comportements d’évitement et d’inhibition. Ces comportements, en retour, les conforteront dans leurs croyances et nuiront à leurs apprentissages (Vargas, 1996). Au vu de cette dynamique, nous nous demandons si le jugement des élèves du secondaire, tant les garçons que les filles, à l’égard de leur capacité à maîtriser l’orthographe grammaticale joue un rôle dans leur réussite dans ce domaine. Cette question est au coeur de l’étude que nous avons menée.

2. Contexte théorique

2.1 Le sentiment d’autoefficacité

Pour se réaliser efficacement, l’apprentissage de l’orthographe du français doit être soutenu par une motivation forte tout au long de la scolarité. Selon la théorie sociocognitive de Bandura (1986), le fondement central d’une telle motivation est le sentiment d’autoefficacité, une variable pivot dynamisant la mobilisation des efforts et des ressources de la personne. Ce sentiment se définit comme un jugement subjectif qu’une personne porte sur ses capacités à accomplir avec efficacité son action et à produire les résultats escomptés. En écriture, l’élève qui a un sentiment d’autoefficacité élevé s’engage plus facilement dans la tâche, est plus motivé, participe davantage en classe, persévère devant les difficultés et parvient à mieux gérer l’anxiété ressentie en situation d’évaluation (Pajares, 2003). Tout cela fait en sorte que son rendement est généralement meilleur que celui qui doute de son efficacité. Dans une méta‐analyse sur les effets du sentiment d’autoefficacité dans le fonctionnement scolaire, Multon, Brown et Lent (1991) ont conclu qu’entre 14 % et 32 % de la variance de la performance était expliquée par le sentiment d’autoefficacité. Ces résultats ont été corroborés en écriture où la performance a été liée directement et indirectement au sentiment d’autoefficacité de l’élève dans ce domaine (Pajares, 2003). En orthographe, toutefois, les recherches sur le rôle du sentiment d’autoefficacité sont peu nombreuses (voir la recension des écrits de Klassen, 2002 et celle de Pajares, 2003). Au Québec, nous n’avons relevé que celle de Bégin (2008), en orthographe lexicale, qui a observé que la perception de compétence d’élèves québécois de 6e année du primaire (11-12 ans) était positivement liée à leur rendement et leur motivation dans cette matière.

2.2 Les biais d’autoévaluation de son efficacité et leurs corrélats

L’école fournit à l’élève de multiples occasions de construire son sentiment d’efficacité, que les indicateurs soient explicites, comme les notes obtenues aux examens, les commentaires verbaux des enseignants accompagnant ces évaluations, la comparaison de ses notes avec celles de ses camarades, ou implicites, comme le ton employé par l’enseignant pour répondre à ses questions, les attitudes des autres de la classe envers soi, etc. Avec l’âge et le développement cognitif, l’élève acquiert les outils lui permettant, en principe du moins, d’autoévaluer avec justesse ses capacités (Bouffard, Markovits, Vezeau, Boisvert et Dumas, 1998). Pour autant, le sentiment d’autoefficacité reste un jugement subjectif résultant du traitement des informations relatives aux expériences de maîtrise de l’élève et de la teneur des réactions et rétroactions de son environnement social. Des distorsions peuvent alors survenir dans le traitement de ces informations, de sorte que le sentiment d’autoefficacité ainsi acquis est en décalage avec les capacités réelles de l’élève (Vaillancourt et Bouffard, 2009). Chez certains, l’écart entre leur jugement d’autoefficacité et leurs habiletés est positif; ils se perçoivent plus capables qu’ils ne le sont. Des études ont montré que ces élèves, tant du primaire que du secondaire, adoptent des comportements qui favorisent leur réussite en contexte scolaire : ils mettent plus d’ardeur à la tâche, se découragent moins devant les échecs et participent plus en classe. Ils ont une plus grande estime de soi et sont moins anxieux lors des évaluations (Bouffard, Boisvert et Vezeau, 2003; Bouffard, Vezeau, Roy et Lengelé, 2011). Cela se répercute sur leur rendement, puisqu’ils obtiennent des résultats supérieurs à ce qui était attendu en regard de mesures standardisées d’habiletés scolaires. Dans le contexte de cette étude, les termes biais d’autoévaluation de son efficacité ou biais d’autoévaluation de sa compétence sont interchangeables. Pour des fins de clarté, nous adopterons le terme biais d'autoévaluation de compétence dans l’ensemble de l’article.

À l’inverse, d’autres élèves présentent un biais négatif d’autoévaluation, appelé également illusion d’incompétence (Bouffard et Vezeau, 2006; Phillips, 1984); ils se perçoivent moins capables qu’ils ne le sont. Le portrait de ces élèves dressé par les chercheurs est sombre : anxiété élevée, motivation intrinsèque et estime de soi affaiblies, attente réduite de rendement, peu de persévérance et d’autonomie (Bouffard et al., 2003; Bouffard, Vezeau, Chouinard, Marcotte et Dubois, 2004; Bouffard et al., 2006; Connell et Ilardi, 1987; Miserandino, 1996; Phillips, 1984; Phillips et Zimmerman, 1990). Au primaire, ils ont aussi tendance à penser que leurs parents et leurs enseignants les croient peu compétents et se disent davantage rejetés par leurs pairs (Larouche, Galand et Bouffard, 2008). Ils présentent un patron d’attributions causales dominé par une impression de non-contrôle sur la survenue d’événements : ils attribuent leur succès à la chance, à l’aide reçue ou à des causes indéterminées et leurs échecs ou moins bons résultats à leur manque d’habileté.

À long terme, les biais d’autoévaluation de leur compétence peuvent avoir des conséquences importantes sur la trajectoire scolaire des élèves touchés. Dans une recherche longitudinale de cinq ans, de la 3e année du primaire à la 2e année du secondaire, Bouffard et al. (2011) ont montré que de tels biais, déjà présents au début de l’étude, demeuraient relativement stables dans le temps et que les élèves tendaient, au fil des ans, à ajuster progressivement leur rendement avec leur autoévaluation de compétence. Selon notre recension des écrits, aucune étude n’a encore examiné la question des biais d’autoévaluation de compétence dans l’apprentissage de l’orthographe française, encore moins en orthographe grammaticale.

2.3 L’orthographe grammaticale au secondaire

L’apprentissage de l’orthographe grammaticale pose tout un défi aux élèves du secondaire. À la fin du primaire, les chercheurs observent une automatisation des accords simples à l’intérieur du groupe nominal-GN (Jaffré et David, 1999), mais notent certaines zones de résistance lorsque le signal d’accord de la chaîne morphologique n’est pas suffisamment clair. Ils relèvent également certaines faiblesses concernant l’accord des verbes en présence de structures syntaxiques plus complexes (Guyon, 2003; Jaffré et David, 1999). Enfin, si la reconnaissance des verbes à l’infinitif s’améliore chez les élèves du premier cycle du secondaire, l’accord des participes passés demeurera l’une des zones les plus fragiles, et ce, jusqu’à la fin du parcours scolaire des élèves (Brissaud et Cogis, 2008).

L’objectif de la présente étude est d’examiner, chez des élèves de première secondaire, si leurs biais d’autoévaluation de compétence en orthographe grammaticale sont liés à leur performance dans ce domaine dans une dictée conçue à cette fin. Nous fondant sur les études antérieures, nous prédisons un lien positif entre la performance des élèves, leur sexe et le biais d’autoévaluation de leur compétence à l’égard de l’orthographe.

3. Méthodologie

3.1 Participants

Les participants à l’étude étaient 295 élèves de première secondaire (139 filles et 156 garçons), majoritairement francophones. Ils provenaient de trois écoles de la grande région de Montréal, des réseaux public et privé, aucune n’étant située en milieu défavorisé. Ces écoles ont été sélectionnées sur la base de leur intérêt à participer à l'étude. La moyenne d’âge des participants était de 12,58 ans, très peu avaient un retard scolaire et aucun ne présentait de trouble spécifique d’apprentissage du langage. Pour participer, tous les élèves devaient avoir obtenu le consentement écrit d’un de leurs parents. Le taux d’acceptation de ces derniers était de 92,2 %.

3.2 Instrumentation

Dans le cadre de cette enquête, nous avons utilisé trois outils de collecte de données qui seront traitées de manière quantitative : une dictée de douze phrases, un questionnaire d'autoévaluation de compétence en orthographe et un test sur les habiletés scolaires.

3.2.1 La dictée

Une dictée de phrases a été conçue spécifiquement pour l’étude. Nous avons privilégié cet outil à la rédaction, car il offre un meilleur contrôle des cas observés, tout en obligeant l’élève à réaliser un raisonnement grammatical complet. Nous en avons contrôlé le degré de lisibilité avec le test Sato-calibrage (Daoust, Laroche et Ouellet, 1996) afin de nous assurer que la dictée était facile à comprendre et nous avons fait de même avec le niveau de vocabulaire utilisé avec le test Vocabprofil (Laufer et Nation, 1999), de façon à ce que la compréhension des énoncés ne soit pas un obstacle à la réussite des élèves. Pour ce faire, cette dictée a d’abord été validée dans une étude pilote auprès de 140 élèves de même niveau scolaire que ceux de l’étude principale. De ce nombre, nous en avons rencontré 31 lors d’entretiens métagraphiques, réalisés selon le protocole décrit par Jaffré (2003), afin d’évaluer la pertinence des données langagières choisies et de faciliter l’analyse des graphies fautives. Nous avons centré notre attention sur certains aspects de l’orthographe grammaticale : la gestion en nombre du nom, l’accord de l’adjectif, l’accord du participe passé, l’accord du verbe conjugué et la gestion des verbes du premier groupe à l’infinitif. Ces éléments ont été retenus, car ils font partie des principales notions grammaticales enseignées au premier cycle du secondaire (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2011), mais également parce qu’ils représentent un défi pour la grande majorité des élèves de cet âge (Cogis, 2005).

3.2.2 Le questionnaire d'autoévaluation de compétence en orthographe

L'autoévaluation de compétence en orthographe des élèves a été mesurée à l’aide d’un questionnaire inspiré de ceux de Goulet (2004) ainsi que de Paris et Oka (1986). L’instrument comprend cinq énoncés ancrés dans un contexte spécifique de tâche orthographique, pour chacun desquels l’élève devait indiquer son degré d’accord à l’aide d’une échelle de type Likert à six entrées, allant de tout à fait en désaccord (1) à tout à fait en accord (6). Ce questionnaire a été préalablement validé dans une étude pilote auprès de 233 élèves de même niveau que ceux de l’étude principale. Autant dans l’étude pilote que l’étude principale, la consistance interne de l’instrument est adéquate (alpha de Cronbach de 0,80 dans l’étude pilote et de 0,79 dans l’étude principale). La moyenne d’accord des énoncés a été calculée et, plus elle est élevée, plus cela indique que l’élève a une perception élevée de sa compétence en orthographe.

3.2.3 Le test sur les habiletés scolaires

Afin d’estimer la compétence intellectuelle des élèves, l’épreuve d’habileté scolaire Otis-Lennon (1977) a été utilisée. Cette épreuve est nécessaire pour calculer le biais d’évaluation du sentiment d’autoefficacité. Elle fait appel aux connaissances générales, au vocabulaire, aux notions de sériation, d’ensemble, de similitude et à d’autres habiletés mathématiques. L’instrument, administré en groupe, comprend 80 items utilisant des images, des mots et des chiffres. L’élève doit identifier la bonne réponse à chaque item, parmi un choix de cinq réponses proposées. Pour chaque élève, le nombre total de bonnes réponses a été converti en indice d’habileté scolaire selon son âge chronologique. La moyenne est de 100 et l’écart type de 16.

3.3 Déroulement

Nous avons rencontré les élèves en séance collective tenue durant deux périodes consécutives de classe de 75 minutes chacune. Pendant la première période, les élèves ont d’abord réalisé le test d’habileté scolaire conformément au protocole établi (Otis et Lennon, 1977). Par la suite, ils ont disposé de quelques minutes pour remplir le questionnaire d'autoévaluation de compétence. La deuxième période a été consacrée à la dictée. Après un rappel des objectifs de la recherche et du déroulement de la période, les élèves ont écouté une première fois les douze phrases de la dictée, puis chacune des phrases a été relue plus lentement pendant qu’ils les écrivaient. Par la suite, ils disposaient d’une vingtaine de minutes pour effectuer les corrections souhaitées. Les élèves pouvaient se servir des outils qu’ils utilisaient habituellement (dictionnaire, grammaire, etc.).

3.4 Considérations éthiques

C’est sur une base volontaire qu’ont été recrutés les enseignants qui ont collaboré à cette étude. Avec leur accord, nous avons remis une lettre d’information aux parents des élèves, indiquant l’objectif de la recherche et ses retombées, et garantissant l’anonymat des participants. Les données recueillies par cette étude sont entièrement confidentielles et ne peuvent en aucun cas mener à l’identification des participants. Leur confidentialité a été assurée par l’attribution d’un code numérique aux élèves. Les conclusions de l'étude ont été transmises aux enseignants participants au moyen de la remise d'un rapport de recherche.

3.5 Méthode d’analyse des données

La recherche étant quantitative, l'analyse de données repose sur l'usage de stratégies statistiques inférentielles réalisées à l’aide du logiciel SPSS. Plus spécifiquement ont été utilisées des analyses de régression permettant de vérifier le lien entre des variables. Dans cette section, nous préciserons comment a été calculé le biais d’autoévaluation de compétence et les scores de performance dans la dictée.

3.5.1 Calcul du biais d’autoévaluation de compétence

Conformément aux études antérieures (Bouffard et al., 2006; Larouche et al., 2008; Marcotte, 2007) qui ont porté sur les biais d’autoévaluation, le score d'autoévaluation de compétence a été régressé sur l’indice d’habiletés scolaires et les scores résiduels standardisés ont été retenus. Plus ce score est négatif, plus il signale la présence d’un biais négatif indiquant que l'autoévaluation de compétence de l’élève est inférieure à celle attendue au vu de ses habiletés scolaires. À l’inverse, plus le score est positif, plus il signale la présence d’un biais positif indiquant que l'autoévaluation de compétence de l’élève est supérieure à celle attendue au vu de ses habiletés scolaires. Un score résiduel près de zéro indique que l’autoévaluation de compétence de l’élève reflète bien celle attendue au vu de ses habiletés scolaires.

3.5.2 Calcul de la performance à la dictée

Les graphies des élèves ont été codées en termes de succès (2) ou d’échec (1), puis ont été classées dans l’une des cinq dimensions analysées de l’orthographe grammaticale : la gestion en nombre du nom, l'accord de l’adjectif, l'accord du participe passé, l'accord du verbe conjugué et la gestion du verbe du premier groupe à l'infinitif. Le tableau 1 présente l’indice de consistance interne et la performance obtenue par les élèves dans chacune des catégories, calculée à partir de la moyenne des bonnes réponses des élèves pour chaque catégorie.

Tableau 1

Consistance interne (α) et performance des élèves pour chaque catégorie

Consistance interne (α) et performance des élèves pour chaque catégorie

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Afin d’éviter de multiplier les analyses, les relations entre la performance pour chacune des catégories ont été examinées. Comme le montre le tableau 2, les coefficients de corrélation entre la gestion en nombre du nom, l’accord de l’adjectif, l’accord du participe passé et l’accord du verbe conjugué étaient généralement élevés (corrélation moyenne de 0,61) alors que la gestion du verbe du premier groupe à l’infinitif leur est plus faiblement corrélé. Par conséquent, deux variables de la performance en orthographe ont été créées aux fins des analyses : la performance accord représentant la moyenne des performances des quatre catégories très reliées (la consistance interne de 0,86 ce qui soutient la validité de la décision prise) et la performance infinitif.

Tableau 2

Les corrélations bivariées des cinq scores de performance en orthographe

Les corrélations bivariées des cinq scores de performance en orthographe

** p < 0,01 (bilatéral)

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4. Résultats

Avant d’examiner notre hypothèse, des analyses préliminaires ont été conduites. Nous avons examiné s’il existait des différences entre les garçons et les filles dans leur biais d’autoévaluation de compétence et leur performance. Les résultats d’une analyse de la variance univariée indiquent que le biais d’autoévaluation de compétence des filles était positif (0,20) alors que celui des garçons était négatif (0,22) et que la différence était significative (F(1,293) = 13,18, p < 0,01). En ce qui concerne la performance, les résultats indiquent que celle des filles (1,65) était significativement supérieure à celle des garçons pour la performance accord (1,65 par rapport à 1,55, F(1,293) = 20,87, p < 0,01), mais semblable pour la performance infinitif (1,69 par rapport à 1,66, F(1,293) = 3,8, p < 0,06).

4.1 Examen de l’objectif

L’hypothèse de cette étude était que les biais d’autoévaluation de compétence des élèves au sujet de l’orthographe seraient liés à leur performance en orthographe grammaticale dans une dictée. Avant de d’examiner cette hypothèse, nous avons vérifié si la relation entre le biais d’autoévaluation de compétence et les deux mesures de performance différaient selon le sexe des élèves. Le test de différence de corrélation indique qu’il n’en est rien. En conséquence, l’analyse de régression hiérarchique conduite pour chacune des deux mesures de performance l’a été pour l’échantillon complet. Le sexe de l’élève a été introduit dans la première étape et son biais d’autoévaluation l’a été dans la seconde étape. Dans le cas de la variable de performance accord, l’inclusion du sexe de l’élève (β = 0,26) contribue à expliquer 6 % de la variance (F(1,293) = 20,87, p < 0,001). L’ajout de la variable biais d’évaluation (β = 0,35) diminue nettement la contribution de la variable sexe de l’élève, qui reste cependant significative, mais bonifie le modèle de régression (F(2,292) = 32, 32, p < 0,001). Le biais d’auto-évaluation permet d’augmenter de 12,30 % la variance expliquée dans la performance accord par le modèle, qui atteint alors 18,30 %.

Tableau 3

Relation entre les variables la performance accord, le sexe de l'élève et le biais d'autoévaluation de sa compétence en orthographe

Relation entre les variables la performance accord, le sexe de l'élève et le biais d'autoévaluation de sa compétence en orthographe

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Dans le cas de la performance infinitif, en première étape, le sexe de l’élève (β = 0,11) est significatif (p < 0,05), mais ne permet d’expliquer que 1 % de la variance. L’ajout du biais d’autoévaluation (β = 0,26) à la seconde étape fait diminuer la contribution du sexe de l’élève (β = 0,06), qui n’est plus significative, mais bonifie le modèle de régression (F(2,292) =  12,35, p < 0,001). Le total de la variance expliquée atteint 7,8 %.

Tableau 4

Relation entre les variables : performance infinitif, sexe de l'élève et biais d'auto-évaluation de sa compétence en orthographe

Relation entre les variables : performance infinitif, sexe de l'élève et biais d'auto-évaluation de sa compétence en orthographe

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5. Discussion des résultats

Comme tout autre apprentissage, celui de l’orthographe comporte une dimension psychoaffective dont il faut tenir compte dans la réflexion didactique (Brissaud, 2011). Dans cette étude, nous avons porté notre attention sur le biais d’autoévaluation de compétence de l’élève, la variable la plus centrale dans sa motivation et son engagement dans ses apprentissages (Bouffard et Vezeau, 2006). Notre objectif était d’examiner si le sexe et les biais d’autoévaluation de compétence des élèves à l’égard de l’orthographe étaient liés à leur performance dans une tâche d’orthographe grammaticale.

Notre hypothèse de liens positifs entre ces trois variables s’est vérifiée, ce qui va dans le sens des résultats d’autres écrits scientifiques (Bouffard et al., 2003; Bouffard et al., 2004; Bouffard et al., 2006; Bouffard et al., 2011; Connell et Ilardi, 1987; Miserandino, 1996; Phillips, 1984; Phillips et Zimmerman, 1990). Les études rapportées dans les recensions des écrits de Klassen (2002) et de Pajares (2003) concluaient généralement à une relation positive entre le sentiment d’autoefficacité envers l’écriture et la performance dans de telles tâches. Notre étude ajoute à ces données en montrant que même quand l’autoévaluation de compétence orthographique est exagérément positive, cela s’avère mieux adapté qu’une perception réaliste ou, pire, négative. Comme l’ont montré d’autres études, cette vision optimiste de sa compétence soutient l’adoption de comportements qui favorisent l’apprentissage (Bouffard et al., 2003; Bouffard et al., 2011). En effet, ces élèves s’engagent dans les tâches scolaires avec enthousiasme, se fixent des objectifs ambitieux et se donnent les moyens d’y parvenir. Ils ne se laissent pas abattre par les obstacles et les erreurs, qui sont légion en orthographe. Inversement, les élèves qui se sous-évaluent adoptent plutôt des comportements psychosociaux dysfonctionnels en contexte scolaire (Vaillancourt et Bouffard, 2009). Ils fuient les tâches complexes, source d’apprentissage certes, mais qu’ils jugent à haut risque d’échec. Ils ne se projettent pas dans des scénarios de réussite, planifient peu leurs actions et baissent rapidement les bras devant les obstacles.

À la lumière de ces résultats, un examen des pratiques d’enseignement et d’évaluation en orthographe s’avère nécessaire. Ces pratiques doivent être réfléchies de façon à consolider l'autoévaluation de compétence des élèves plutôt qu’à l’affaiblir. Plusieurs avenues s’offrent au praticien : mettre l’accent sur les indicateurs de réussite, donner aux élèves les moyens d’observer leur progrès, revisiter le statut de l’erreur (Reuter, 2013). Mais surtout, l’enseignant doit prendre son temps. Il ne sert à rien de couvrir à toute vitesse une panoplie de concepts grammaticaux et de règles qui étourdissent les élèves et contribuent à leur sentiment d’incompétence, tant la tâche leur semble impossible. Il faut s’assurer que les apprentissages essentiels soient bien solides avant d’introduire les exceptions qui viendront ébranler le système de connaissances des élèves. L’enseignant doit offrir un étayage adéquat des notions et ne pas précipiter leur enseignement. En effet, les savoirs en jeu sont complexes et nécessitent un apprentissage dans la durée. Il importe d’en connaître la progression et de la respecter (Chartrand, 2008).

5.1 Différences entre les sexes

Sur le plan des différences dans le profil motivationnel des garçons et des filles à l’égard de la langue, les avis des experts sont partagés (Bégin, 2008; Bouffard et al., 2006; Pajares, 2003). Selon les résultats de certains travaux (Brissaud, 1999; Chervel et Manesse, 1989; Description internationale des enseignements et des performances en matière d'écrits (groupe DIEPE), 1995; Manesse et Cogis, 2007), comme dans ceux des épreuves ministérielles (Blais, 2003; Conseil supérieur de l'éducation, 1999; ministère de l'Éducation des Loisirs et du Sport du Québec, 2010; ministère de l'Éducation du Québec, 2003), il existe souvent un écart significatif de performance en faveur des filles en orthographe. Les résultats de notre étude confirment ces constats : les scores de performance obtenus par les garçons pour la variable accord et la variable verbe infinitif sont significativement plus faibles que ceux obtenus par les filles. Nous avons également constaté une différence significative entre les deux groupes dans leur biais d’autoévaluation de compétence, les filles s’évaluant plus positivement que les garçons. Toutefois, les résultats montrent que, si le sexe contribue significativement aux deux variables de performance, dans les deux cas, il perd de son importance lorsque sont introduits les biais d’autoévaluation. Dans un rapport sur la réussite scolaire des garçons, le Conseil supérieur de l'éducation (1999) propose l’explication que des facteurs psychosociaux soient en cause, notamment, une attitude plus positive des filles envers l’école. Notre étude pointe dans la même direction : ce n’est pas le fait d’être un garçon ou une fille qui influe sur la performance en orthographe grammaticale, mais bien les croyances que chacun entretient envers soi-même. Ainsi, un élève qui a un biais d’autoévaluation positif se comportera de la même manière, peu importe qu’il soit un garçon ou une fille, et il en est de même pour l’élève ayant un biais négatif.

Si l’on considère que les filles de notre étude manifestent un biais d’autoévaluation de leur compétence plus positif que les garçons et que la relation entre les biais et les mesures de performance ne diffèrent pas selon le sexe, cela nous conduit à proposer que la faiblesse de la performance des garçons en orthographe puisse s’expliquer, en partie du moins, par une mésestimation de leur compétence.

6. Conclusion

La nature de l’échantillon d’élèves examinés dans cette étude limite la généralisation des conclusions qui en découlent : l’impact des biais d’autoévaluation pourrait être plus ou moins marqué chez des populations ayant des caractéristiques différentes (élèves en retard scolaire ou non francophones) ou provenant de milieux socioéconomiques moins favorisés. L’autre aspect qui limite la portée de nos conclusions est l’utilisation de l’épreuve Otis-Lennon comme mesure de compétence pour estimer la nature des biais d’autoévaluation, en l’absence d’un test standardisé permettant de mesurer la compétence de base en français. Si cette épreuve est une bonne mesure d’habiletés scolaires fortement reliées au rendement scolaire, elle n’est pas spécifique au français. Cela dit, même si un biais d’autoévaluation de compétence un peu général est relié à la performance en orthographe, on peut croire que ce lien aurait été encore plus fort avec une mesure de biais plus spécifique.

De cette étude se dégagent quelques pistes prometteuses pour de futures recherches. Elle constitue un instantané probant, mais elle ne permet pas de comprendre comment se construit, en amont, la relation entre les biais d'autoévaluation de compétence en orthographe et la performance des élèves, ce que permettrait une étude longitudinale. De plus, nous n'en savons pas plus à propos de l'évolution de cette relation tout au long du cours secondaire et de son impact sur la réussite des élèves. Il s'agit là d'avenues riches d'enseignement. Il serait également très utile de considérer plusieurs dimensions du profil motivationnel des élèves, telles la valeur attribuée à la tâche et la motivation scolaire qui y est reliée. Enfin, d'autres études sont nécessaires afin de confirmer ou d'infirmer les conclusions auxquelles nous sommes parvenues concernant la mésestimation des garçons à l'égard de leur compétence et son impact sur leur performance, et ce, à plus long terme.

Pour conclure, la contribution originale de cette étude à la didactique de l’orthographe tient à une conception de l’élève dont les acquis ne relèvent pas uniquement de son appareillage cognitif, mais également d’une interface complexe entre ce dernier et son système affectif et motivationnel. L'autoévaluation des élèves de première secondaire de leur compétence en orthographe a un réel effet sur leur performance, ce qui milite en faveur d’interventions en amont, dès les premières années de scolarisation. Tous les enseignants doivent être informés à ce propos, mais il leur faut également comprendre comment se construit un tel jugement et quel rôle ils peuvent jouer pour contribuer positivement à cette construction. En orthographe, il conviendrait de s’interroger sur l’effet que certaines pratiques traditionnelles ont sur l'autoévaluation de compétence des élèves, que l’on pense à la dictée hebdomadaire, pratiquée quasi religieusement dans toutes les classes du primaire et du secondaire (Simard, 1996) ou aux pratiques évaluatives qui mettent l’accent sur les erreurs plutôt que sur les apprentissages. Une meilleure connaissance du développement de la compétence orthographique et des attentes plus réalistes de la part des divers intervenants, dont le ministère de l'Éducation, des Loisirs et du Sport du Québec, sont nécessaires pour éviter l’enseignement de notions trop complexes suscitant la confusion chez les élèves. Enfin, une meilleure formation des enseignants en didactique de l’orthographe et de la grammaire permettrait la diffusion de pratiques novatrices et stimulantes susceptibles de contribuer positivement à l’apprentissage des élèves, à leur motivation et à leur autoévaluation de compétence en orthographe.