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1. Introduction

La perception de compétence a intéressé de nombreux auteurs en psychologie du développement étant donné son rôle crucial dans le parcours scolaire des élèves. À cet effet, plusieurs ont montré que la perception de compétence de l’élève est parfois un meilleur facteur explicatif de sa réussite scolaire que sa compétence réelle (Bouffard, Markovits, Vezeau, Boisvert et Dumas, 1998; Brissette, Scheier et Carver, 2002; Gresham, Lane, MacMillan, Bocian et Ward, 2000; Phillips, 1984). La perception de compétence peut être étudiée de façon globale, mais elle peut également être examinée en fonction des différents types de biais perceptuels auxquels elle peut donner lieu. Un de ceux-ci, observé chez bon nombre d’élèves, est le biais négatif d’autoévaluation de compétence. Ce biais fait référence au regard dévalorisant posé par l’élève sur sa propre compétence (Phillips, 1984). Un second biais associé à la perception de compétence est le sentiment d’imposture. Ce biais est, pour ainsi dire, une forme d’évaluation projetée sur autrui de sa propre compétence : l’élève croit que les autres surestiment sa compétence (Clance et Imes, 1978). Dans la présente étude, nous nous intéresserons spécifiquement à l’analyse longitudinale des relations qui unissent ces deux biais de la perception de compétence, de manière à mieux comprendre leur nature propre et leurs liens d’interdépendance. Dans la section qui suit, nous définirons la perception de compétence de façon générale pour ensuite exposer séparément les notions de biais négatif d’autoévaluation de compétence et de sentiment d’imposture en tant que phénomènes sous-jacents à une perception biaisée de la compétence. Cela nous conduira à présenter les relations présumées entre ces deux phénomènes ainsi qu’à préciser nos objectifs et hypothèses de recherche.

2. Contexte théorique

2.1 Perception de compétence et biais d’autoévaluation

Selon plusieurs auteurs, dont Bandura (1986; 1989), Harter (1990) ainsi que Deci et Ryan (2008), le sentiment de compétence personnelle est une des caractéristiques essentielles au bien-être psychologique de la personne. Étant donné les différentes émotions associées à nos anticipations de réussite ou d’échec, nos perceptions de compétence agissent sur nos actions en affectant notre motivation à agir dans les diverses situations du quotidien, spécialement celles qui exigent un effort soutenu ou qui mettent nos habiletés au défi (Bandura, 1989). Plus spécifiquement, dans un contexte scolaire, la perception de compétence fait référence au jugement que porte l’élève sur sa capacité à faire des apprentissages. L’élève apprend à évaluer sa compétence par le biais de diverses sources d’information comme ses expériences concrètes d’échec et de réussite, le jugement émis par autrui, en particulier les adultes signifiants comme ses parents et ses enseignants, et la comparaison sociale (Bandura, 1986). Selon le traitement qu’il fait des informations issues de ces diverses sources, l’élève finit par développer une perception générale de sa compétence en milieu scolaire.

Ainsi, la perception de compétence n’est pas une mesure absolue, mais une expérience subjective de sa propre compétence, si bien qu’elle peut présenter un décalage plus ou moins marqué avec sa compétence réelle. Ainsi, l’élève peut évaluer de façon assez réaliste sa compétence, il peut la surévaluer et présenter ce qu’on appelle un biais positif d’autoévaluation de compétence, ou la sous-évaluer et présenter alors ce qu’on appelle un biais négatif d’autoévaluation de compétence. Dans d’autres études, le biais d’autoévaluation de compétence a été dichotomisé pour qualifier les sujets appartenant à certains groupes. Ceux présentant un biais négatif marqué ont, dans ce contexte, été considérés comme présentant une illusion d’incompétence (Bouffard, Vezeau, Chouinard et Marcotte, 2006; Phillips, 1984, 1987). Cependant, à l’instar de la plupart des études sur les biais d’autoévaluation, dans la présente recherche, nous l’examinons de manière continue, et avons ainsi opté pour l’appellation de biais négatif d’autoévaluation. Des chercheurs ont relevé certains corrélats des biais négatif et positif d’autoévaluation de compétence sur les divers aspects du fonctionnement scolaire des élèves (pour une recension, voir Bouffard, Pansu et Boissicat, 2013).

2.2 Corrélats des biais d’autoévaluation de compétence

Les résultats des études ayant porté sur le biais positif d’autoévaluation de compétence sont mitigés, ce qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs, en particulier le domaine d’activité (scolaire, social, de la personnalité, etc.) sur lequel porte le biais (Bouffard et Narciss, 2011). Dans le cas du domaine scolaire, les résultats sont plus cohérents en ce sens que le biais positif d'autoévaluation de compétence est généralement associé à un meilleur fonctionnement scolaire chez les élèves (Bouffard et al., 1998; Brissette et al., 2002; Gresham et al., 2000; Robins et Beer, 2001). Surévaluer sa compétence sur une période de cinq ans a été associé, à terme, à moins d’anxiété scolaire et à un meilleur rendement en français et en mathématiques (Bouffard, Vezeau, Roy et Lengelé, 2011).

Le biais négatif d’autoévaluation de compétence a été mis en lumière par Phillips (1984) en tant que phénomène spécifique de la perception de compétence chez les enfants d’âge scolaire à potentiel élevé. Cette auteure a montré que ce phénomène était relié à des attentes personnelles de réussite plus faibles et à une perception, chez les élèves, que leurs enseignants avaient moins d’attentes envers eux. Décrits par leurs enseignants comme des élèves manquant de persévérance, ces derniers expliquaient leurs bons résultats scolaires par l’instabilité de leurs efforts plutôt que par leurs habiletés.

Par la suite, plusieurs chercheurs ont mis en évidence divers autres aspects nuisibles accompagnant souvent le biais négatif d’autoévaluation de compétence : perception négative et erronée de leur acceptation sociale (Larouche, Galand et Bouffard, 2008), présence plus marquée d’attitudes dysfonctionnelles à propos de la réussite et de l’autocontrôle (Vaillancourt et Bouffard, 2009), estime de soi plus faible et perfectionnisme négatif ou sensibilité à l’erreur plus élevée que les autres élèves (Bouffard et al., 2006) ainsi qu’une motivation à apprendre et un rendement scolaire plus faibles que leurs pairs (Bouffard, Boisvert et Vezeau, 2002). Selon les résultats d’une étude longitudinale de Bouffard et al. (2011) réalisée chez des élèves suivis du milieu du primaire au milieu du secondaire, ceux qui avaient un biais négatif d’autoévaluation de compétence qui restait stable ou qui s’accentuait au fil du temps présentaient, à la fin de l’étude, en dépit de scores semblables à une mesure standardisée d’habiletés mentales, des résultats scolaires plus faibles que leurs camarades n’ayant pas un tel biais. Pour leur part, cherchant à comprendre le sentiment d’imposture qui, comme le biais négatif d’autoévaluation de compétence, est une perception biaisée, chez un élève, de sa compétence, Kolligian et Sternberg (1991) ont suggéré que la présence soutenue d’un biais négatif d’autoévaluation de compétence pourrait conduire la personne à développer un sentiment d’imposture.

Avant d’exposer plus en détails l’hypothèse de Kolligian et Sternberg (1991), la prochaine section est consacrée à une brève présentation du sentiment d’imposture.

2.3 Sentiment d’imposture

Mis en évidence pour la première fois par Clance et Imes (1978) dans une étude réalisée auprès de femmes en réussite professionnelle, le sentiment d’imposture a alors été défini comme la croyance qu’une personne compétente a de ne pas l’être vraiment et de ne pas mériter la position qu’elle occupe. Convaincues que les autres les surestiment, de telles personnes vivraient continuellement dans la peur d’être démasquées. Dans une optique plus clinique, Kolligian and Sternberg (1991) ont, par la suite, conceptualisé le sentiment d’imposture comme englobant trois facteurs : une conscience de soi élevée, une symptomatologie dépressive et une anxiété face aux situations sociales et d’évaluation. À ce sujet, Langford et Clance (1993) ont plus tard formulé l’hypothèse que l’anxiété ressentie par ces personnes vient de leur croyance de devoir constamment prouver qu’elles sont à la hauteur de leurs propres aspirations. De plus, même si elles ne semblent pas souffrir d’une faible estime de soi généralisée, leur estime de soi dans le domaine de la réussite serait fragile. Elles chercheraient à paraître intelligentes et seraient préoccupées par l’image que leur performance renvoie. À long terme, pour protéger leur image de soi, ces personnes développeraient un système de défense exigeant et anxiogène.

Les principaux corrélats rapportés par une personne ayant un sentiment d’imposture sont une anxiété généralisée, la dépression, une estime de soi fragile et faible ainsi que de la frustration générée par son incapacité à satisfaire ses standards personnels de réussite (Clance et Imes, 1978). Si le sentiment d’imposture n’empêche pas une certaine réussite, il reste une réelle source de détresse psychologique et empêche la personne de réaliser son plein potentiel (Clance et O'Toole, 1987). Par exemple, dans une étude réalisée auprès d’étudiants universitaires, Cozzarelli et Major (1990) ont montré que ceux qui avaient un sentiment d’imposture s'attendaient à de moins bons résultats et se montraient plus anxieux que leurs pairs avant un examen, même si leur performance concrète à l'examen ne différait finalement pas de celle de ces derniers. De plus, ceux qui ressentaient comme un échec leur résultat à un examen rapportaient aussi une grande perte de leur estime de soi. Enfin, d’autres études ont montré que le sentiment d’imposture était aussi associé à une perception faible de compétence (Caselman, 2003; Caselman, Self et Self, 2006; Kolligian et Sternberg, 1991; Kolligian, 1990).

2.3.1 Développement du sentiment d’imposture

Le sentiment d’imposture a surtout été étudié à l’âge adulte (Bernard, Dollinger, et Ramaniah, 2002; Clance et Imes, 1978; Fried-Buchalter, 1997; Harvey, 1981; Kolligian et Sternberg, 1991; Li, Hughes et Thu, 2014; Want et Kleitman, 2006). Cependant, à la suite de son étude auprès de populations cliniques, Clance (1985) a émis l’hypothèse que les premiers symptômes du sentiment d’imposture pouvaient apparaitre dès le primaire et continuer à se développer jusqu’au début de l’âge adulte. Selon l’auteur, questionnés au sujet de leur enfance, certains adultes reliaient l’émergence de leur sentiment d’imposture à leur relation avec leurs parents. Pour Harvey et Katz (1985), la surprotection parentale contribuerait au développement du sentiment d’imposture. Les résultats des études de Sonnak et Towell (2001), de Want et Kleitman (2006) et de Li et al. (2014), toutes faites chez des adultes, vont dans ce sens.

À ce jour, les études réalisées chez des populations plus jeunes sont toujours rares, mais celles réalisées auprès d’adolescents ont confirmé que le sentiment d’imposture était bel et bien présent dès le secondaire (Caselman et al., 2006; Cokley, McClain, Enciso et Martinez, 2013; Leary, Patton, Orlando et Wagoner Funk, 2000; Lester et Moderski, 1995). Selon l’étude de Caselman et al. (2006), la prévalence du sentiment d’imposture à la fin du secondaire serait d’ailleurs comparable à celle observée chez les adultes.

Les instruments de mesure les plus souvent utilisés pour mesurer le sentiment d’imposture ayant été conçus pour des populations adultes (Harvey, 1981; Clance, 1985), Bouffard, Chayer et Sarrat-Vézina (2011) ont créé un instrument de mesure adapté aux enfants et aux adolescents. Étant donné que, dans le contexte scolaire, les capacités intellectuelles des jeunes sont constamment sollicitées et évaluées et que les adultes leur accordent normalement beaucoup d’importance, les auteures ont choisi de cibler l’intelligence comme objet du sentiment d’imposture. Dans cet esprit, les élèves sont appelés à révéler la menace qu’ils ressentent à l’idée qu’autrui découvre qu’ils sont moins intelligents qu’ils le croyaient. Dans leur étude de validation de l’instrument, Bouffard et al. (2011) ont montré que, même s’il était généralement peu élevé chez les enfants d’âge scolaire, le sentiment d’imposture était lié de façon importante à divers corrélats observés chez les adultes comme une estime de soi et des perceptions de compétence faibles, une anxiété scolaire, un perfectionnisme négatif et un sentiment de non-contrôle envers des résultats scolaires élevés. Une autre étude conduite par Chayer et Bouffard (2010) chez des enfants de 4e et 5e année du primaire a, pour sa part, permis de constater que le sentiment d’imposture était associé à une plus grande propension à se comparer à autrui et une plus forte identification aux pairs qui éprouvent de la difficulté qu’à ceux qui réussissent bien.

Enfin, la question de la stabilité de la présence du sentiment d’imposture n’est pas non plus un thème très exploré. Pirotsky (2001) l’a fait auprès de 154 étudiants âgés entre 22 et 55 ans, chez qui elle l’a mesuré au début et à la fin de leur première session d’étude au baccalauréat. L’auteure a observé que la moyenne du sentiment d’imposture des participants ne différait pas significativement d’une date ou d’une période de mesure à l’autre. Enfin, Chayer, Langlois-Mayer et Bouffard (2011) ont examiné les trajectoires de développement de ce sentiment dans une étude longitudinale de quatre années qui a débuté quand les jeunes étaient âgés de 11-12 ans. Les corrélations entre les temps de mesure variaient de 0,31 entre les deux temps les plus éloignés et se situaient autour de 0,50 pour les temps de mesure adjacents.

En somme, le sentiment d’imposture est un syndrome qui attaque le bien-être psychologique des personnes. Il apparaît assez tôt dans le développement et, si sa présence est momentanée chez certains, elle persiste chez d’autres. Kolligian et Sternberg (1991) l’ont associée à un problème de biais d’autoévaluation de la compétence.

2.4 Lien entre biais négatif d’autoévaluation et sentiment d’imposture

Selon Kolligian et Sternberg (1991), le biais négatif d’autoévaluation de compétence pourrait être impliqué dans le développement ultérieur du sentiment d’imposture. Selon ces chercheurs, ce sentiment serait la manifestation d’une tendance plus générale à voir la vie de manière négative et à exercer un contrôle vigilant de ses émotions et de ses comportements. Kolligian et Sternberg (1991) voient dans l’illusion d’incompétence et l’autodénigrement des élèves des études de Phillips (1984, 1987) une parenté conceptuelle avec le sentiment d’imposture observé un peu plus tard dans le développement. Selon eux, il est plausible qu’en entretenant au fil du temps une appréciation négative de leur compétence, un certain nombre de ces jeunes développent un contrôle étroit sur leurs comportements, les menant progressivement à se sentir fraudeurs et inauthentiques. Dans une rare étude longitudinale qui portait sur les trajectoires développementales relatives au biais négatif d’autoévaluation de compétence entre la 3e et 4e année du primaire et la 1e et 2e année du secondaire, Bouffard et al. (2011) ont montré que les élèves qui affichaient un biais négatif d’autoévaluation modéré ou élevé pendant toute la durée de l’étude rapportaient, au dernier temps de mesure, un sentiment d’imposture plus élevé que leurs camarades. Cependant, comme la mesure du sentiment d’imposture a été effectuée à la même année que la dernière mesure du biais d’autoévaluation, il se pourrait que le résultat soit simplement dû à cette proximité des temps de mesure et non à la trajectoire d’appartenance des sujets. La présente étude visera à combler cette lacune. Le biais négatif d’autoévaluation de compétence et le sentiment d’imposture sont vraisemblablement des phénomènes reliés (Bouffard et al., 2011) qui nuisent au bon fonctionnement scolaire et au bien-être psychologique des élèves (Bouffard, Marcoux, Vezeau et Bordeleau, 2003; Cozzarelli et Major, 1990). Dans ce contexte, il nous apparait important, sur les plans théorique et pratique, d’arriver à mieux comprendre la nature de leurs relations.

2.5 Objectifs et hypothèses

L’objectif principal de cette étude est d’examiner la nature des relations entre le biais négatif d’autoévaluation de compétence et le sentiment d’imposture sur une période de six années. Cet objectif se divise en trois sous-volets. Le premier sera de vérifier la stabilité temporelle de chacun des deux phénomènes. En nous fondant sur les résultats de Bouffard et al. (2011), notre première hypothèse est que les biais d’autoévaluation de compétence seront positivement corrélés entre les temps de mesure. Ensuite, à partir des résultats de Chayer et al. (2011), pour notre deuxième hypothèse, nous proposons que les scores du sentiment d’imposture soient positivement corrélés entre les temps de mesure. Le deuxième volet visera à examiner, à chaque temps de mesure, les relations entre les deux phénomènes. Selon notre troisième hypothèse fondée sur Bouffard et al (2011), Caselman et al. (2006) ainsi que Kolligian et Sternberg (1991), à chaque temps de mesure, plus le biais d’autoévaluation de compétence de l’élève sera négatif, plus son sentiment d’imposture sera élevé. Inversement, plus le biais d’autoévaluation de compétence de l’élève sera positif, moins son sentiment d’imposture sera élevé. Enfin, le troisième volet servira à examiner le rôle du biais d’autoévaluation dans le développement du sentiment d’imposture. Plus précisément, nous chercherons à vérifier si le biais négatif d’autoévaluation de compétence permet de prédire le développement du sentiment d’imposture. Nous fondant toujours sur l’hypothèse de Kolligian et Sternberg (1991), nous postulons (quatrième hypothèse) que le cumul des biais négatifs d’autoévaluation de compétence d’une année à l’autre permettra de prédire la présence du sentiment d’imposture à une année donnée, même une fois contrôlée la contribution du sentiment d’imposture de l’année précédente.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

La présente étude s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche longitudinal plus vaste qui s’intéresse au développement des biais d’autoévaluation de compétence. La cueillette de données a eu lieu une fois l’an, à chaque printemps du programme de recherche, et les variables considérées dans cette étude ont été mesurées aux années 1 à 6 du projet. Parmi les 740 élèves de l’échantillon initial, seuls les 454 élèves de 4e et 5e année du primaire (239 filles et 215 garçons) qui avaient été présents à tous les temps de mesure ont été retenus. Le taux d’attrition annuel est un peu inférieur à 10 % et s’explique en grande partie par l’absence des élèves lors des passations, les déménagements et les changements d’école, en particulier lors du passage du primaire au secondaire. Les participants ont été recrutés dans différentes écoles francophones de la Rive-Nord de Montréal. Ces écoles desservaient une population de milieu socioéconomique moyen. Pour pouvoir participer à l’étude, chaque élève devait avoir préalablement obtenu le consentement de ses parents. Le taux de consentement était supérieur à 95 %.

3.2 Instrumentation

Habileté scolaire - L’habileté scolaire des élèves a été évaluée à l’aide de la version en français adaptée par Sarrazin, McInnis et Vaillancourt (1983) de l'épreuve d'habileté mentale Otis-Lennon. Il s’agit d’un test standardisé administré en groupe qui évalue les aspects de l’intelligence sensibles à la stimulation et fait appel aux connaissances générales, au vocabulaire, aux notions de sériation, d’ensemble, de similitudes et aux habiletés mathématiques. Il n’est pas considéré comme une mesure d’intelligence globale, mais comme une mesure des habiletés relatives aux apprentissages scolaires. Son indice de cohérence interne est de 0,92 en 4e année et en 5e année du primaire. L'épreuve comprend 80 énoncés. Pour chacun, le sujet doit identifier la bonne réponse parmi cinq choix proposés. Pour chaque élève, le nombre total de bonnes réponses a été converti en indice d’habileté scolaire (IHS) selon son âge chronologique. Dans une étude précédente menée auprès d’un autre échantillon (Bouffard, Roy et Vezeau, 2006), l’indice d’habileté scolaire s’est avéré très stable sur une période de cinq ans et fortement relié, chaque année, aux résultats scolaires des élèves en français et en mathématiques (r variant de 0,74 à 0,79).

Perception de la compétence - La perception de compétence a été mesurée à l’aide des items de la sous-échelle scolaire du questionnaire Perceived competence scale for children de Harter (1982), traduits et adaptés en français par Guilbert (1990). Cette sous-échelle comprend cinq énoncés visant à évaluer la perception par l’élève, de sa compétence scolaire générale de l’élève. Pour chaque énoncé, l’élève devait indiquer sur une échelle de type Likert allant de 1 (pas du tout) à 4 (tout à fait) à quel point il ressemblait à l’élève décrit dans l’énoncé. L’énoncé qui suit est tiré de cette échelle : Cet élève est très bon à l’école. Une note moyenne pour les cinq énoncés est ensuite calculée pour chaque participant et, plus elle est élevée, plus cela indique que l’élève a une perception élevée de sa compétence. L’indice de consistance interne pour cet instrument varie de 0,73 à 0,85 entre les temps de mesure.

Sentiment d’imposture - Le sentiment d’imposture a été évalué grâce au Questionnaire du sentiment d’imposture pour enfants et adolescents - QSIEA (Bouffard et al., 2011). Cet instrument est conçu pour mesurer le sentiment de menace propre au sentiment d’imposture. Il comporte huit énoncés visant à déterminer comment l’élève se sent à l'égard de ce que les autres pensent de son intelligence. Pour chaque énoncé, le participant doit indiquer sur une échelle de type Likert allant de 1 (pas du tout) à 4 (tout à fait) à quel point la situation d’un élève fictif est semblable à la sienne; par exemple : Cet élève pense que les autres ont tort de le trouver intelligent. Un score moyen est calculé et plus il est élevé, plus cela indique un degré plus élevé de sentiment d’imposture. L’étude de validation a montré que l’instrument possédait une cohérence interne satisfaisante (α = 0,85) et une bonne fidélité temporelle sur une période de six semaines (r = 0,71). Dans la présente recherche, la cohérence interne est aussi satisfaisante à tous les temps de mesure (α variant de 0,80 à 0,86).

Mesure du biais d’autoévaluation de compétence - Pour déterminer les biais d’autoévaluation de compétence, en accord avec les autres études dans le domaine (Bouffard et al., 2006; 2011; Brendgen, Vitaro, Turgeon, Poulin et Wanner, 2004; Kistner, David-Ferdon, Repper et Joiner, 2006), nous avons régressé le score de perception de compétence scolaire sur l’indice d’habileté scolaire de l’enfant. Le score résiduel standardisé de chaque élève détermine la valence et l’ampleur de son biais d’autoévaluation (Bouffard et al., 2006). Un score résiduel près de zéro indique que l’élève est assez juste dans l’évaluation de sa compétence scolaire. Plus le score résiduel est négatif, plus il indique la présence d’un biais négatif d’autoévaluation de compétence et, inversement, plus il est positif, plus il indique la présence d’un biais positif.

3.3 Déroulement

Afin de permettre la planification des périodes de passation des questionnaires, une sollicitation par écrit a été envoyée aux directions des différentes écoles participantes situées sur la Rive-Nord de Montréal. Lors de la première année de l’étude, deux rencontres ont eu lieu pendant les heures régulières de classe et elles ont duré au plus 50 minutes. La première rencontre a été consacrée à la passation du questionnaire sur les perceptions de compétence scolaire ainsi que de celui portant sur le sentiment d’imposture, tandis que la seconde rencontre, qui a eu lieu un mois plus tard, a servi à la passation d’une épreuve d’habileté scolaire. Les questions sur la perception de compétence et sur le sentiment d’imposture étaient réparties au hasard parmi les 230 énoncés du questionnaire du projet plus vaste dans lequel s’insérait cette étude. Afin d’assurer le bon déroulement de la passation des questionnaires et de faciliter la compréhension des énoncés, les élèves ont rempli les questionnaires de façon individuelle et confidentielle; chaque question était lue à voix haute par un premier expérimentateur, tandis qu’un second expérimentateur était présent pour répondre aux questions des élèves, le cas échéant. À partir de la 4e année du programme de recherche, une compensation financière de 10 $ sous forme d’un certificat-cadeau pour le cinéma a été remise aux élèves participants.

3.4 Considérations éthiques

Avant de commencer à remplir le questionnaire, les élèves ont été informés qu’en dépit du consentement de leurs parents, leur participation était tout à fait volontaire et qu’ils avaient le droit de se retirer de l’étude à n’importe quel moment s’ils le désiraient. Nous les avons aussi assurés que leur participation n’aurait aucun impact sur leurs résultats scolaires et que ni leur enseignant, ni leurs parents ne seraient informés de leurs réponses. Pour assurer la confidentialité des données, un numéro de sujet a été attribué à chaque participant lors de la transcription des données.

3.5 Méthode d’analyse des données

Pour atteindre notre premier objectif visant à vérifier la stabilité temporelle de chacun des deux phénomènes, des corrélations de Pearson ont été calculées entre les divers temps de mesure, séparément pour les mesures du biais d’autoévaluation et du sentiment d’imposture et en fonction du sexe des participants. Les résultats ne montrent aucun effet du sexe à l’une ou l’autre des années de l’étude, ni sur le sentiment d’imposture, ni sur le biais d’autoévaluation. Pour l’examen du second objectif consistant à observer, à chaque temps de mesure, les relations entre les deux phénomènes, une analyse de corrélation de Pearson a aussi été effectuée à chaque année de l’étude, là encore selon le sexe. De nouveau, des résultats semblables ont été obtenus chez les garçons et les filles. Finalement, notre dernier objectif était de vérifier si le biais négatif d’autoévaluation de compétence prédisait le développement du sentiment d’imposture. Sachant que le sentiment d’imposture devrait être lié d’un temps de mesure à l’autre, l’hypothèse à tester était que le cumul des biais négatifs d’autoévaluation de compétence d’une année à l’autre permettrait de prédire la présence du sentiment d’imposture et ce, même une fois contrôlée la contribution du sentiment d’imposture de l’année précédente.

Dans ce but, nous avons réalisé des analyses de régression hiérarchique où nous avons, à chaque année, régressé le sentiment d’imposture sur le score cumulé des biais d’autoévaluation de compétence en utilisant comme variable de contrôle le sentiment d’imposture de l’année antérieure des participants. Ces analyses ont d’abord été menées séparément chez les garçons et les filles. Des résultats identiques ont été obtenus. En conséquence, et de manière à conserver le maximum de puissance statistique, les analyses subséquentes ont été conduites sur l’échantillon total. Cependant, en raison du manque de consensus quant aux différences selon les sexes dans le sentiment d’imposture (Caselman, et al., 2006; Chayer et Bouffard, 2010; Harvey, 1981; Langford, 1990), suivant un principe de précaution, nous avons utilisé le sexe des participants comme variable de contrôle.

4. Résultats

4.1 Analyse de la stabilité temporelle des biais

Avant de vérifier nos deux premières hypothèses concernant la stabilité du biais d’autoévaluation de compétence et du sentiment d’imposture, nous avons effectué des analyses de corrélation de Pearson. Le tableau 1 présente les coefficients de corrélation entre les temps de mesure sur la période de six années. Nos résultats confirment que le biais d’autoévaluation de compétence à un temps de mesure est relié positivement à ce même biais aux temps de mesure subséquents et que ces liens augmentent (0,41 à 0,62) avec le temps. Dans le cas du sentiment d’imposture, sauf entre les années 2 et 3 où le lien est un peu plus faible, ce dernier se maintient entre 0,40 et 0,50 d’une année à l’autre.

Tableau 1

Corrélations entre les temps de mesure pour le biais d’autoévaluation de compétence et le sentiment d’imposture

Corrélations entre les temps de mesure pour le biais d’autoévaluation de compétence et le sentiment d’imposture

Note : Biais = biais d’autoévaluation de compétence; SI = sentiment d’imposture; *** < 0,001

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4.2 Analyse des relations entre biais d’autoévaluation et sentiment d’imposture

Notre deuxième objectif était d’examiner, à chaque temps de mesure, les relations entre les deux phénomènes. Les résultats des analyses de corrélation de Pearson indiquent qu’à chaque année, le biais d’autoévaluation de compétence et le sentiment d’imposture sont négativement et modérément corrélés. Le tableau 2 présente les coefficients obtenus à chacune des années. Il montre que plus le score du sentiment d’imposture d’un élève est élevé, plus son biais d’autoévaluation de compétence est négatif et vice versa. Cependant, les interrelations entre les deux phénomènes diminuent légèrement au fil du temps (de 0,48 à - 0,35).

Tableau 2

Corrélations entre le biais d’autoévaluation de compétence et le sentiment d’imposture à chacune des années de l’étude

Corrélations entre le biais d’autoévaluation de compétence et le sentiment d’imposture à chacune des années de l’étude

Note. Biais = biais d’autoévaluation de compétence; SI = sentiment d’imposture;** < 0,01

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4.3 Analyse du rôle prédicteur du biais d’autoévaluation dans le développement du sentiment d’imposture

L’hypothèse à vérifier dans notre troisième objectif était que le score cumulé des biais d’autoévaluation de compétence au fil du temps permettrait de prédire la présence du sentiment d’imposture à chaque temps de mesure et ce, même une fois contrôlée la contribution du sentiment d’imposture de l’année antérieure.

Pour ce faire, à partir de l’an 2 jusqu’à l’an 6 de l’étude, nous avons d’abord calculé un score cumulé du biais d’autoévaluation de compétence. Par exemple, à l’an 2, ce score correspond au total du biais de l’an 1 et de l’an 2. À l’an 3, il correspond au total du biais de l’an 1, de l’an 2 et de l’an 3, et ainsi de suite pour chacun des temps de mesure. Nous avons ensuite réalisé des analyses de régression hiérarchique où nous avons régressé le sentiment d’imposture de l’année en cours sur le score cumulé des biais d’autoévaluation de compétence en ajoutant le sentiment d’imposture de l’année précédente et le sexe comme variables de contrôle. Ainsi, pour évaluer le sentiment d’imposture à l’an 2, nous avons introduit la variable du sexe des participants et leur sentiment d’imposture à l’an 1 dans la première étape. Nous avons ensuite entré en variable indépendante, dans la deuxième étape, le score des biais d’autoévaluation de compétence résultant de l’addition du biais mesuré à l’an 1 et de celui mesuré à l’an 2. La même procédure a été utilisée à chacune des autres années où la mesure du biais d’autoévaluation correspondait à la somme des biais de toutes les années, incluant l’année en cours.

L’examen du tableau 3 rapportant les résultats des analyses de régression hiérarchique permet de dégager un patron clair d’interrelations, selon lequel le score cumulé des biais négatifs d’autoévaluation de compétence depuis le début de l’étude explique une part significative de la variance dans le sentiment d’imposture à tous les temps de mesure. Ainsi, le score cumulé des biais d’autoévaluation des années 1 et 2 permet de prédire négativement et significativement le sentiment d’imposture à la 2e année (β = - 0,22; p< 0,005); celui des biais d’autoévaluation des années 1, 2 et 3 permet de prédire négativement et significativement le sentiment d’imposture à la 3e année (β = 0,27; p< 0,005) et celui des biais des années 1, 2, 3 et 4 permet de prédire négativement et significativement le sentiment d’imposture à la 4e année (β = 0,20; p< 0,005). Enfin, le score cumulé des biais d’autoévaluation des années 1, 2, 3, 4 et 5 prédit négativement et significativement le sentiment d’imposture à la 5e année (β = -0,10; p< 0,05) et celui des années 1, 2, 3, 4, 5 et 6 permet de prédire négativement et significativement le sentiment d’imposture à la 6e année de l’étude (β = 0,12; p< 0,05). En résumé, le score cumulé des biais d’autoévaluation de compétence explique une part significative de la variance dans le sentiment d’imposture à chacun des temps de mesure, mais son importance dans le modèle explicatif diminue lors des deux dernières années de l’étude.

Tableau 3

Analyses de régression hiérarchique du sentiment d’imposture à chacune des années de l’étude

Analyses de régression hiérarchique du sentiment d’imposture à chacune des années de l’étude

Note : Biais = biais d’autoévaluation de compétence; SI = sentiment d’imposture.

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5. Discussion

L’objectif principal de cette étude était d’examiner la nature des relations entre le biais d’autoévaluation de compétence et le sentiment d’imposture chez l’élève d’un point de vue longitudinal, deux phénomènes dont le point commun est le jugement de compétence de la personne. Dans un cas, il s’agit d’une estimation, par la personne elle-même, de sa compétence et, dans l’autre, d’une estimation de la compétence qu’elle croit qu’autrui lui attribue.

En nous fondant sur des études antérieures (Bouffard et al., 2011; Chayer et al., 2011), nous avions prédit une relative stabilité de chacun des phénomènes d’une année à l’autre. Nos résultats indiquent que c’est bien le cas : le biais négatif d’autoévaluation de compétence de même que le sentiment d’imposture sont modérément corrélés d’une année à l’autre. De plus, les coefficients de corrélation d’une année à l’autre augmentent continuellement pour le biais négatif d’autoévaluation et demeurent assez stables pour le sentiment d’imposture. Ces résultats indiquent que, loin de s’estomper avec le passage du temps, les deux phénomènes s’enracinent ou, du moins, se maintiennent chez les élèves touchés. Il est possible que cette consolidation des phénomènes puisse être favorisée par un traitement biaisé des informations au sujet de la compétence amenant l'élève à développer une perception de compétence erronée. Par exemple, Thompson, Davis et Davidson (1998) ont montré que le sentiment d'imposture était lié à des distorsions cognitives telles que la surgénéralisation qui implique qu'un seul échec soit perçu par l'élève comme caractéristique de sa compétence générale. Il en est de même du biais d’autoévaluation dont Vaillancourt et Bouffard (2009) ainsi que Vaillancourt, Bouffard et Langlois-Mayer (2014) ont montré qu’il était aussi lié avec cette même distorsion cognitive. Si on en croit diverses études, en milieu scolaire du moins, le maintien au fil des ans d’un biais positif d’autoévaluation de sa compétence est favorable au fonctionnement de l’élève (Bouffard et al., 2011). Ce n’est cependant pas le cas du biais négatif d’autoévaluation de compétence, ni du sentiment d’imposture qui comportent tous deux des coûts importants sur les plans du fonctionnement et du bien-être psychologique des élèves à court et plus long termes.

En ce qui concerne les relations entre les deux phénomènes, nous avions formulé l’hypothèse que, pour un même temps de mesure, un biais négatif d’autoévaluation de compétence serait associé à un sentiment d’imposture plus élevé et qu’un biais positif serait associé à un sentiment d’imposture moins élevé. Nos résultats confirment clairement nos prédictions : on observe que les phénomènes sont négativement et modérément corrélés à chacun des temps de mesure. Il faut cependant noter que leur association diminue lentement avec les années, indiquant ainsi qu’ils tendent à se distinguer. Pour autant, leur parenté conceptuelle peut s’expliquer, en partie du moins, par le fait que les deux phénomènes sont liés de façon semblable à divers corrélats. Comme l’ont en effet montré certaines études, autant le biais négatif d’autoévaluation que le sentiment d’imposture sont liés 1) négativement, à l’estime de soi (Bouffard et al., 2011; Ross et Krukowski, 2003), 2) positivement, au perfectionnisme négatif ainsi qu’à la frustration générée par une incapacité à satisfaire ses propres standards de réussite (Clance et Imes, 1978) et enfin, à de l’anxiété (Bouffard et al., 2011; Cozzarelli et Major,1990). Ces constats nous portent à croire que les deux types de biais pourraient être l’expression d’un facteur plus englobant comme une difficulté généralisée du traitement des informations relatives à ses performances. Cependant, pour Kolligian et Sternberg (1991), le fait d’entretenir pendant plusieurs années un biais négatif d’autoévaluation de compétence pourrait favoriser le développement ultérieur d’un sentiment d’imposture. L’examen de cette hypothèse a fait l’objet de notre troisième objectif.

En lien avec l’idée proposée par Kolligian et Sternberg (1991), nous avions supposé que le score cumulé des biais d’autoévaluation de compétence serait négativement lié au sentiment d’imposture pour chacun des temps de mesure. Les résultats indiquent que, à chaque année de l’étude, même une fois contrôlé l’apport du sentiment d’imposture de l’année précédente, le cumul des biais négatifs d’autoévaluation de compétence est lié significativement au sentiment d’imposture de l’élève. Cela suggère qu’une sous-évaluation, année après année, de sa propre compétence pourrait contribuer, chez l’élève, au développement et au maintien d’un sentiment d’imposture. Néanmoins, comme nous l’avons aussi vu, la contribution du sentiment d’imposture de l’année précédente au sentiment d’imposture de l’année en cours est plus élevée aux deux dernières années qu’aux quatre premières années de l’étude. Inversement, la contribution du score cumulé des biais d’autoévaluation est plus faible. La mise en lien de ce dernier constat avec celui de la diminution graduelle des interrelations entre les deux phénomènes laisse suggérer que le sentiment d’imposture pourrait se consolider avec l’âge et finir par s’entretenir plus ou moins indépendamment du biais négatif d’autoévaluation de compétence. Ainsi, chez certains élèves, le fait de sous-estimer de manière soutenue leur compétence pourrait finir par modifier leurs anticipations face à leurs réussites et leurs comportements envers celles qu’ils vivent. Par exemple, Cozzarelli et Major (1990) rapportent que les élèves qui sous-évaluent leur compétence en viennent à développer des stratégies d’adaptation consistant à monitorer de façon exagérée leurs comportements en se surpréparant ou, à l’inverse, en procrastinant, dans le but de réduire leur anxiété de performance. Toutefois, en portant une attention exagérée à leurs comportements en contexte d’évaluation, ces élèves confirmeraient malgré eux leur sentiment d’incompétence par une sorte de prophétie autoréalisatrice. Ultimement, croyant fermement en leur manque de compétence et se croyant les seuls à être conscients des efforts qu’ils déploient pour pallier ce manque, ces élèves finiraient par développer le sentiment de ne pas mériter leurs succès et de duper ceux qui croient en leurs habiletés.

Ainsi, sans mener directement au sentiment d’imposture, nous estimons qu’entretenir un biais négatif d’autoévaluation de compétence à long terme joue un rôle dans le développement ultérieur du sentiment d’imposture par le biais d’antécédents communs. Un de ces antécédents pourrait être la surprotection parentale. Par la surprotection et l’édiction de règles de conduite très balisées et strictes, les parents tentent d’éviter à leur enfant les difficultés et déceptions, alors que ce faisant, ils entravent le développement de son sentiment d’autonomie, son sens des responsabilités en cas d’échec mais aussi de réussite, sa confiance en soi et son sentiment de compétence. À plus long terme, un tel enfant éprouve des difficultés à intérioriser les compliments reçus d’autrui sur sa compétence et choisit plutôt d’attribuer ses réussites à des facteurs externes (Langford et Clance, 1993). La surprotection parentale a été liée à de la timidité, à des troubles intériorisés et un lieu de contrôle externe, lui-même lié à une perception de faible compétence (Chorpita et Barlow, 1998; Coplan, Prakash, O’Neil et Armer, 2004; Rubin, Burgess et Hastings, 2003; Spokas et Heimberg, 2009). Selon Leary et al. (2000), pour prévenir les situations d’échec qui pourraient menacer leur estime de soi déjà fragilisée, ces jeunes tendraient alors à dénigrer publiquement leurs performances. Ils chercheraient en même temps à abaisser les attentes d’autrui envers eux pour ainsi diminuer leur anxiété et protéger leur image de soi.

6. Conclusion

Cette étude est la première à avoir examiné simultanément le biais d’autoévaluation et le sentiment d’imposture, deux types de biais de perception de compétence. Son devis longitudinal a permis de constater une relative stabilité de chacun des phénomènes sur une période de six années couvrant la fin de l’enfance et une bonne partie de l’adolescence. L’échantillon examiné dans cette étude est important et ses conclusions s’appliquent autant aux garçons qu’aux filles. Malgré ces forces indéniables, cette étude comporte néanmoins des limites dont la première est sa nature corrélationnelle qui empêche de se prononcer sur la possible causalité entre les deux phénomènes. Une deuxième limite est l’âge des participants au début de l’étude; même s’ils étaient encore relativement jeunes, il est manifeste que les phénomènes avaient émergé plus tôt chez nombre d’entre eux. Par conséquent, on ignore quand et comment les relations observées se sont développées, si l’apparition d’un phénomène a précédé ou même favorisé l’apparition de l’autre, ou s’ils s’influencent réciproquement.

En somme, la présente étude a permis de constater que le biais négatif d’autoévaluation de compétence et le sentiment d’imposture sont l’un et l’autre modérément stables et interreliés dans le temps. Nos résultats indiquent aussi, comme le laissaient croire Kolligian et Sternberg (1991), qu’une appréciation négative de compétence durable chez les jeunes favorise un contrôle étroit sur leurs comportements, les menant progressivement à se sentir fraudeurs et inauthentiques. Au vu de ces résultats et sachant que les deux phénomènes mettent à mal le fonctionnement scolaire et le bien-être psychologique des élèves (Bouffard et al., 2003; Cozzarelli et Major, 1990), il serait important que des recherches futures examinent plus en détails leur interrelation en réalisant, par exemple, des analyses de trajectoires jointes. Sur le plan théorique, de telles analyses permettraient de mieux comprendre le lien d’interdépendance entre les deux phénomènes. Sur le plan pratique, savoir si un phénomène prévaut sur le développement de l’autre ou si l’effet de l’un accentue l’effet de l’autre aura des retombées pratiques pour les cliniciens. Ces connaissances pourraient permettre un dépistage précoce des jeunes à risque dans le but de mettre en place des interventions pour contrer le développement du biais négatif d’autoévaluation de compétence et du sentiment d’imposture ainsi que les problèmes qui leur sont associés.