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1. Introduction

L’un des buts de l’éducation est de contribuer au développement d’un pays en permettant à ses citoyens de participer activement à l’amélioration de leur société. La persévérance et la réussite scolaires se trouvent donc au coeur des préoccupations des acteurs sociaux, dans toutes les sphères de leur vie, autant personnelle que familiale, scolaire et sociétale (DeBlois et Lamothe, 2005; Demba, 2010; Fonds des Nations Unies pour l’enfance, 2007).

Le présent article expose une partie des résultats obtenus dans le cadre d’une enquête réalisée auprès de lycéens, de parents et d’enseignants du Gabon vivant en zones urbaine et rurale et qui portait sur les représentations sociales de la réussite scolaire. La théorie des représentations sociales (Abric, 1996, 1987; Doise et Palmonari, 1986; Jodelet, 1991, 1997) et la typologie des croyances quant à la réussite scolaire élaborée par Rivière et Jacques (1999) servent de cadre théorique à cette étude.

1.1 Problématique : la faible réussite scolaire au Gabon

Force est de constater la faible réussite scolaire des élèves gabonais dont les effets sont fortement ressentis. Le manque d’efficacité interne du système éducatif du Gabon, pays d’Afrique centrale, est d’ailleurs reconnu par le ministère de l’Éducation nationale lui-même (2008). Compte tenu des conséquences de l’échec scolaire sur les destins individuels et sur la société, il nous a semblé important de nous pencher sur cette problématique (Mba Essogho, 2011; Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture-UNESCO, 2015; Banque mondiale, 2013).

L’efficacité interne d’un système éducatif se mesure principalement par les résultats scolaires obtenus. Au Gabon, on constate : 1) de faibles taux d’achèvement du primaire (moins de 40 % en 2016), 2) des pourcentages importants de redoublement (37 % au niveau primaire et 31 % au niveau secondaire en 2008), 3) un très faible taux de réussite aux examens nationaux du brevet d’études du premier cycle-BEPC, marquant la fin de la 3e secondaire au Québec et du baccalauréat-BAC, examen sanctionnant la fin des études secondaires et permettant l’accès à l’enseignement supérieur (voir les figures 1 et 2). Précisons que le taux de redoublement élevé explique en grande partie le faible taux de transition vers l’enseignement supérieur. En moyenne, le temps nécessaire au Gabon pour obtenir le premier diplôme du cycle secondaire, soit le brevet d’études du premier cycle-BEPC, est estimé à 17 années au lieu des 12 années prévues. Ces résultats laissent paraître l’inefficacité du système.

Figure 1

Taux de réussite au brevet d’études du premier cycle-BEPC (3e secondaire au Québec)

Taux de réussite au brevet d’études du premier cycle-BEPC (3e secondaire au Québec)

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Figure 2

Taux de réussite au Baccalauréat (1ère année du collégial québécois)

Taux de réussite au Baccalauréat (1ère année du collégial québécois)

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Comment s’explique cette situation? Quel est l’état de la recherche à ce sujet? Ces questions sont abordées dans la section qui suit.

1.2 Les facteurs de réussite scolaire dans les pays africains dits en développement

Dans un contexte de pays africain dit en développement, des chercheurs ont montré la relation qui existe entre l’environnement familial et social et la réussite scolaire des élèves (Demba, 2010; Mohamed, 2000; Nlep, 2001; Traoré, 1999). Cette relation est abordée sous divers aspects : le genre de l’élève (Koura, 2001; Traoré, 1999; Zoundi, 2003); la taille de la fratrie et la structure de la famille (Paré-Kaboré, 2003; Paré-Kaboré, 1995); l’état de santé général des élèves et la malnutrition (El Hioui, Soualem, Ahami, Aboussaleh, Rusinek et Dick, 2008; Grira, 2010); le statut social (Jarousse et Mingat, 1993; Pilon, 1995); le niveau d’aspiration scolaire et l’estime personnelle (Tourneux et Lyébi-Mandjek, 1994); les problèmes linguistiques (Association pour le développement de l’éducation en Afrique, 2005; Tourneux et Lyébi-Mandjek, 1994); le processus de socialisation de l’enfant, le diplôme des parents, les stratégies éducatives parentales et le niveau socioéconomique des parents (Koura, 2001; Lawson-Body, 1993; Traoré, 1999) et les facteurs géographiques (Demba, 2010; Koura, 2001).

D’autres chercheurs ont étudié le rôle des enseignants dans la réussite des élèves en évaluant l’influence de facteurs qui leur sont associés tels que le genre, l’âge, le niveau de qualification et les pratiques pédagogiques (Demba, 2010; Mohamed, 2000; Nlep, 2001; Ognaligui, 1999; Suchaut, 2002), leur formation pour un enseignement de qualité (Gimeno, 1984; Suchaut, 2002) ainsi que leurs caractéristiques sociologiques, leurs qualifications professionnelles, leur expérience, le ratio élèves-maître, le matériel et les équipements scolaires disponibles (Anderson, 1992; Gannicott et Throsby, 1998; Jarousse et Mingat, 1993; Scheerens, 2000; Suchaut 2002).

Toutefois, nous n’avons trouvé aucune étude abordant cette problématique du point de vue des acteurs sociaux eux-mêmes; par exemple, les élèves, les enseignants et les parents. Pourtant, cette approche est de plus en plus présente dans les recherches réalisées dans les pays plus développés (Barthes et Alpe, 2016). L’élève y est vu comme un acteur principal dans le processus d’apprentissage et, par ricochet, dans la recherche des causes pouvant affecter sa performance scolaire. Dans le cadre de notre recherche sur la réussite scolaire au Gabon, nous avons décidé de combler un tant soit peu cette lacune en recueillant le point de vue d’acteurs sociaux afin de mieux comprendre la manière dont ces derniers se représentent la réussite et l’échec scolaires.

Selon Moliner (1996 : 96), une étude de représentation sociale vise à découvrir ce qui se cache derrière les pratiques et les discours, ce qui les organise et les soutient, comme autant de piliers, qui dissimulés dans la masse des murs, soutiennent une maison. La lecture du système représentationnel de la réussite scolaire est donc susceptible de fournir des clés de compréhension utilisables par les différents acteurs mobilisés dans l’action éducative des élèves, notamment les enseignants, les parents et les instances gouvernementales.

Pour aborder cette problématique qu’est la faible réussite scolaire au Gabon, la question générale ayant guidé notre étude est la suivante : Comment les élèves, les parents et les enseignants gabonais se représentent-ils la réussite scolaire?

2. Contexte théorique

Le contexte théorique sur lequel repose cette étude comprend deux sous-sections, la première étant l’origine du concept de représentation sociale et les principaux modèles proposés; la seconde, ses applications dans le champ de l’éducation. Cette partie se termine par la présentation du cadre d’analyse retenu pour notre étude.

2.1 Le concept de représentation sociale

Durkheim (1898) a été le premier à faire usage du concept de représentation sociale dans son article Représentations collectives et représentations individuelles. Pour Durkheim, les représentations collectives apparaissent comme des sortes d’idéations sociales différentes de la représentation individuelle et renvoient à ce qui a été évoqué, élaboré collectivement. Le concept de représentation collective a ensuite été repris par le psychosociologue Moscovici (1961;1976) qui a mis en lumière les multiples représentations qui existent à propos d’un objet social à l’intérieur d’une même société ainsi que la spécificité des significations. Selon Moscovici, deux processus fondamentaux sont à la base de la genèse des représentations sociales, à savoir l’objectivation, processus qui concerne davantage l’élaboration de la représentation sociale, et l’ancrage, processus qui met en évidence l’influence de la représentation sur les conduites.

À l’instar de Moscovici, des auteurs ont rendu fertile le cadre de référence théorique des représentations sociales. Ainsi, Doise et Palmonari (1986) envisagent les représentations sociales sous l’angle de la détermination de l’ancrage par la description des réalités sociopsychologiques et des dynamiques relationnelles. Ces chercheurs mettent l’accent sur les croyances spécifiques des individus dans leurs particularités. De son côté, Jodelet (1991, 1997), dans son approche narrative, analyse les représentations sociales sous l’angle du discours et des situations de communication en tenant compte de l’ensemble du contexte, aussi bien historique, social et culturel. Quant à Abric (1987, 1994), grâce à une approche structurale, il appréhende les représentations sociales sous l’angle des systèmes d’interprétation des conduites et de la compréhension des diverses réalités. Ce chercheur privilégie l’étude des croyances partagées et consensuelles des membres d’un groupe et propose une organisation hiérarchisée des cognitions.

Ces trois théories se focalisent donc sur trois aspects différents mais complémentaires des représentations sociales. L’approche de Moscovici permet de préciser la manière dont les individus engendrent et transforment les représentations. Le concept de Doise et Palmonari (1986) permet de mettre l’accent sur les croyances spécifiques des individus dans leurs particularités. Enfin, de son côté, l’approche structurale d’Abric permet de se centrer davantage sur les croyances partagées et consensuelles des membres d’un groupe en proposant une organisation hiérarchisée des cognitions.

2.2 Le concept de représentation sociale dans la recherche en éducation

Le concept de représentation sociale est de plus en plus présent dans la recherche en éducation. Des études exploratoires qualitatives indiquent à ce sujet que les représentations sociales des acteurs au regard de la réussite scolaire sont liées aux procédures et stratégies qu’ils développent et mettent en oeuvre pour appréhender cette réussite (Boisvert, 2006; Gilly, 1997; Rivière, 2002; Rivière et Jacques, 1999). Ainsi, Gilly et Paillard (1972) ont étudié les représentations sociales de pères de famille français quant à la réussite scolaire de leurs enfants. Ils ont constaté que ces représentations variaient en fonction de l’origine sociale, car comparativement aux pères de milieux socialement favorisés, les pères de milieux défavorisés accordaient plus d’importance aux fonctions traditionnelles de l’école qu’à ses fonctions de formation cognitive et sociorelationnelle. Pour les pères d’origine modeste, la réussite scolaire constituait plutôt un moyen de quitter la classe ouvrière et d’améliorer son statut social.

Dans le cadre d’une étude réalisée en France au début des années 1990, Gosling (1992) a interrogé 320 enseignants de collège. Mentionnons que le collège, en France, est un établissement d’enseignement du premier cycle du second degré. C’est la structure unique d’accueil de tous les élèves issus de l’école primaire/élémentaire, qui y accomplissent quatre années d’études, de la classe de sixième à la classe de troisième, avant de s’orienter vers le lycée général ou le lycée professionnel. Les résultats ont montré que la perception de ces enseignants quant à la réussite et à l’échec de leurs élèves était asymétrique. En effet, les enseignants se représentaient l’élève qui réussit comme une personne dont les dimensions psychologiques internes sont stables et qui est en harmonie avec elle-même, alors qu’ils se représentaient l’élève qui échoue comme quelqu’un d’anonyme faisant partie intégrante des causes de l’échec scolaire. De plus, les enseignants s’attribuaient le mérite de la réussite des élèves, alors qu’ils attribuaient aux élèves la cause de l’échec scolaire en mettant celui-ci sur le compte d’un manque d’efforts de leur part.

À peu près à la même époque, le Conseil supérieur de l’éducation du Québec (1995) a tenté de mettre au jour la conception de la réussite prévalant chez les étudiants des cégeps. Vingt-cinq entrevues de groupe ont été réalisées à l’automne 1994, auprès de 175 personnes sélectionnées parmi les étudiants de 23 cégeps. L’enquête a permis de constater que ces étudiants ne réduisaient pas la réussite scolaire simplement à l’obtention de leur diplôme dans le délai prévu. Pour eux, la réussite incluait l’idée de développement, de découverte, de progrès, de connaissances, non seulement acquises, mais aussi maîtrisées, utilisables et transférables. La réussite dépassait les frontières du milieu scolaire et s’inscrivait dans un ensemble d’activités et d’engagements porteurs de réalisations sur les plans scolaire, social et professionnel.

Rivière et Jacques (1999) ainsi que Rivière (2002) ont également étudié les représentations qu’ont les étudiants de cégep de la réussite scolaire en vue de créer un outil capable de contrer le processus de désengagement scolaire en son noyau initial, et de permettre aux étudiants de découvrir le sens de leur démarche d’apprentissage en lien avec leur réussite personnelle et sociale. Pour mieux appréhender les conceptions de la réussite chez ces acteurs, les chercheurs ont choisi une approche qualitative d’inspiration phénoménologique comprenant deux étapes de réalisation de cueillette de données. Tout d’abord, des élèves de sciences humaines (n = 81) ont répondu à un questionnaire portant sur les conceptions de la réussite. Par la suite, 25 étudiants ont participé à des entrevues en profondeur. Les données recueillies indiquent la présence de cinq types de représentation qui se situent sur un continuum allant de défavorable à la réussite à favorable à la réussite. Les représentations des deux premiers types se retrouvent chez les élèves les plus faibles, celles reliées aux deux derniers types, chez les plus forts, et celles du troisième type se retrouvent chez la majorité des élèves :

  1. La répulsion, où le discours des acteurs illustre le fait qu’ils ne sont nullement motivés par la réussite scolaire. Leur manque de motivation se voit dans leur attitude à l’égard de l’institution scolaire et de ses composantes. Ils ont une vision instrumentale et plutôt négative des études. Dans la plupart des cas, ils envisagent les études sous l’angle des exigences élevées perçues et des difficultés éprouvées.

  2. La résignation, où la réussite scolaire est vue comme une transition obligée vers un emploi et un confort matériel futur. L’intérêt pour les études elles-mêmes est minime et à peine suffisant pour persévérer.

  3. L’utilisation, où la réussite scolaire permet d’être valorisé. La réussite sociale domine ici le discours : faire mieux que les autres, réussir matériellement et gagner beaucoup d’argent soutiennent la persévérance dans de longues études.

  4. L’actualisation, où la réussite scolaire est appréhendée comme un moyen d’atteindre des objectifs personnels qui ne sont pas nécessairement liés à la carrière.

  5. L’harmonisation, où les études sont vues comme une activité ludique.

Les travaux de Rivière et Jacques ont également mis en lumière de possibles différences entre les filles et les garçons : la majorité des participants masculins avaient des représentations associées aux types élémentaires de représentation de la réussite scolaire (répulsion et résignation), alors que la majorité des filles entretenaient des représentations associées aux deux types, soit moyen (utilisation), soit élaboré (actualisation et harmonisation).

Finalement, Boisvert (2007) a étudié les représentations sociales de la réussite de garçons inscrits en sciences humaines dans un cégep. Les objectifs de cette étude étaient de décrire les représentations sociales des garçons quant au collège et à la réussite scolaire, professionnelle et personnelle, en comparant les élèves ayant des résultats élevés à ceux ayant de faibles résultats. Pour permettre cette comparaison, les auteurs se sont fondés sur la moyenne générale obtenue en fin de secondaire, sur la première note pour chacun des trois cours de formation spécifique suivis durant la première session et sur la moyenne pondérée des cotes de rendement de l’ensemble des cours collégiaux (R²). Les données recueillies ont permis d’établir la classification suivante : 30 élèves forts et 30 élèves faibles pour les questionnaires; 27 élèves forts et 19 élèves faibles pour les entrevues. La recherche était de type qualitatif-interprétatif et s’appuyait sur l’approche structurale de la représentation sociale. La démarche méthodologique comprenait des questionnaires ouverts et des entrevues individuelles et de groupe, et intégrait des techniques associatives à partir de listes de mots, de dessins avec verbalisation et de représentations imagées de la notion de collège. Boisvert a constaté que, de manière convergente, tant les élèves forts que les élèves faibles conçoivent la réussite scolaire comme l’obtention du diplôme d’études. Les distinctions dans les représentations se situent au niveau du lien que les élèves forts établissent entre leurs efforts et leur réussite, lien qui est absent dans les représentations des élèves faibles.

Pour notre propre recherche, nous avons retenu l’approche structurale d’Abric (1987, 1994) et sa théorie du noyau central, car l’objectif visé était d’étudier les représentations sociales de la réussite scolaire, de chercher les constituants du noyau central de cette réussite scolaire et de découvrir l’organisation du contenu qui donne le sens de la représentation. Ce noyau central est la partie importante parce que les éléments qui le composent donnent sens à la représentation et déterminent la hiérarchisation des éléments. Nous avons aussi fait appel à l’approche narrative de Jodelet (1991, 1997) afin de tenir compte des aspects historique, social et culturel du contexte. L’analyse des données est également inspirée de l’approche de Doise et Palmonari (1986), qui permet de vérifier l’ancrage des différentes représentations dans les réalités sociopsychologiques des acteurs. Les dimensions possibles de la réussite que nous avons investiguées, par l’intermédiaire de la collecte de données, sont les suivantes : la signification de la réussite scolaire, les aspects et domaines reliés à la réussite, les caractéristiques et attributs d’une personne qui réussit et les motivations personnelles à réussir.

3. Méthodologie

Afin de répondre à nos questions de recherche, nous avons utilisé une approche méthodologique mixte en privilégiant l’entrevue semi-dirigée pour recueillir les données et la statistique textuelle pour traiter ces données.

3.1 Sujets

Comme l’un des objectifs était de recueillir les représentations sociales différenciées selon le type de milieu démographique, la moitié des participants (30 personnes) ont été recrutés dans un lycée à Libreville, dans un milieu urbain, et l’autre moitié (31 personnes), dans un lycée à Lastourville, dans un milieu rural. Au total, 61 personnes ont participé à l’enquête : 23 élèves (12 en milieu urbain et 11 en milieu rural) ; 19 enseignants (8 en milieu urbain et 11 en milieu rural) ; et 19 parents (10 en milieu urbain et 9 en milieu rural). Pour sélectionner les participants, nous avons tenu compte des critères spécifiques suivants : être un élève âgé de 18 ans ou plus, un parent d’élèves ou un enseignant d’une classe de troisième, de seconde, de première ou d’une classe de terminale; être en situation de réussite ou d’échec sur la base des moyennes obtenues lors des deux premiers trimestres de l’année scolaire en cours; être capable de comprendre les questions posées et de s’exprimer en français de manière satisfaisante pour les besoins de l’enquête; participer volontairement à l’étude. Notons qu’étaient considérés en situation de réussite les élèves dont la moyenne trimestrielle était ≥ 11/20 et en situation d’échec, ceux dont la moyenne trimestrielle était ≤ 5/20).

3.2 Instrumentation

Le guide d’entrevue semi-dirigée est inspiré en partie des canevas d’entretien de Rivière (2002), de Rivière et Jacques (1999) ainsi que de Boisvert (2007). Comme nous devions interroger trois groupes d’acteurs différents, le canevas d’entretien du premier bloc de questions portant sur les informations sociodémographiques est fonction des acteurs. Quant au deuxième bloc qui porte sur la représentation de la réussite scolaire, il est identique pour les trois groupes d’acteurs. Pour le groupe d’élèves interrogés, le premier bloc du canevas d’entretien est constitué de quatre parties. La première partie comporte trois questions sur l’école fréquentée; la deuxième, six questions sur les aspects sociodémographiques; la troisième, huit questions sur l’environnement familial, et la quatrième, dix questions sur la représentation de la réussite scolaire. L’entrevue se termine avec deux énoncés à compléter et une liste de mots à choisir et à ordonner. Les guides d’entretien avec les parents et les enseignants ne contiennent que deux blocs de questions : l’un sur les informations sociodémographiques et l’autre sur les représentations. Voici des exemples de questions pour les différentes parties de l’entretien avec les élèves :

Première partie : Caractéristiques de l’école et de la classe

  1. Nom de l’école et milieu géographique

  2. Niveau scolaire

Deuxième partie : Aspects sociodémographiques

  1. Sexe

  2. Langue parlée à la maison

  3. Au cours de l’année scolaire précédente, en quelle classe étais-tu inscrit?

  4. Activités parascolaires ou extrascolaires

Troisième partie : Caractéristiques de l’environnement familial

  1. As-tu des frères et soeurs?

  2. Combien de frères? Combien de soeurs?

  3. Quelle est ta position au sein de cette fratrie?

Quatrième partie : Thème sur les représentations de la réussite scolaire

  1. Peux-tu me parler de choses qui sont importantes pour toi dans la vie?

  2. Peux-tu me parler d’une personne que tu connais et qui a réussi dans la vie?

  3. Qu’a-t-elle fait qui est pour toi une réussite?

  4. Selon toi, quel rôle joue l’école dans une vie réussie?

  5. Selon toi, c’est quoi réussir à l’école pour un jeune gabonais ou une jeune gabonaise?

3.3 Déroulement

Ce projet, dont le numéro de certificat est 2009-29/ 24-02-2009, a été approuvé le 24 février 2009 par le Comité d’éthique de la recherche en psychologie et en sciences de l’éducation de l’Université Laval. Afin de réaliser notre étude, nous avons d’abord communiqué officiellement avec le ministère de l’Éducation nationale du Gabon pour solliciter sa collaboration. Nous avons envoyé une demande écrite contenant une description de la recherche, les objectifs visés, les thèmes abordés en entrevue et le type d’analyse devant être effectué. Nous avons donné l’assurance que l’anonymat des propos recueillis serait respecté et nous avons partagé nos prévisions quant aux retombées positives de cette recherche pour le ministère. Après avoir reçu l’autorisation du ministère d’effectuer la recherche dans les établissements ciblés, soit le Lycée Léon-Mba à Libreville et le Lycée Arsène-Bouguenza à Lastourville, nous avons approché la direction de chacun de ces établissements. La direction de chacun des établissements nous a attribué une salle de classe où mener les entrevues. Par la suite, à l’aide des relevés de notes des élèves des classes ciblées que les censeurs, c'est-à-dire les directeurs adjoints, nous avaient remis, nous avons pu déterminer quels élèves étaient en situation d’échec ou de réussite. Une première sélection a été faite sur cette base. Nous avons invité ces élèves à une rencontre d’information au cours de laquelle ils ont pu décider de participer, ou non, à l’étude. Nous avons ensuite planifié des rencontres avec les élèves intéressés, en fonction de leur disponibilité.

Pour faire la sélection des enseignants, nous avons contacté les personnes inscrites sur une liste fournie par les censeurs afin de leur présenter les objectifs de notre recherche et de les inviter à y participer sur une base volontaire, alors que pour procéder à la sélection des parents, nous avons remis aux élèves des classes ciblées une lettre à leurs parents, qui les invitait à nous contacter par téléphone s’ils étaient intéressés à participer à l’étude.

Nous avons rencontré soixante et une personnes individuellement au cours du printemps 2009. Lors de chaque entrevue, réalisée sur place, nous avons pris le temps de nous présenter, d’informer le participant que l’entretien serait enregistré et de lui expliquer notre projet de recherche ainsi que les objectifs poursuivis. Au cours des entrevues, les techniques de relance, de reformulation, de synthèse partielle, de demande d’information ou de ressenti ont été utilisées, le but étant de s’adapter à la situation de chaque personne en utilisant, autant que faire se peut, son propre vocabulaire. La durée des entrevues a varié de trente à cinquante minutes. Chacune des questions prévues a été abordée avec chacun des participants.

3.4 Considérations éthiques

Lors de cette étude, la participation de tous les acteurs s’est faite de façon volontaire. Pour respecter l’anonymat des participants et assurer le caractère confidentiel des entretiens, les personnes interviewées ont été identifiées par un numéro dans le cadre des différentes activités de diffusion des résultats. Cette information leur a été fournie dès le départ.

3.5 Méthode d’analyse des résultats

Les entrevues ont été enregistrées puis retranscrites intégralement. L’analyse de données s’est effectuée en deux étapes : dans un premier temps, une analyse de contenu a été réalisée à l’aide du logiciel Alceste (Analyse lexicale par contexte d’un segment de texte). Ce logiciel permet d’effectuer, de manière automatique, l’analyse d’entretiens, de questions ouvertes, d’oeuvres littéraires, etc. L’objectif est de quantifier un texte pour en extraire les structures signifiantes les plus fortes et d’organiser topiquement le discours en mettant en évidence des mondes lexicaux qui sont ensuite associés aux sujets dont ils sont le plus représentatifs (Reinert, 1990, 1993, 2001). Pour effectuer le traitement automatisé, il a d’abord fallu procéder au codage des 23 variables sociodémographiques retenues. Par la suite, un corpus regroupant les transcriptions des 61 entrevues a été créé, chaque entrevue débutant avec sa ligne étoilée. Précisons que, dans la préparation du corpus pour traitement avec Alceste, l’étoile * sert à coder les variables retenues pour l’analyse. Une ligne étoilée se présente ainsi : **** *sujet_1 *sexe_F *age_2, etc. Ce système de codage est conservé dans la présentation des résultats.

Lors du traitement, le logiciel Alceste procède à quatre principales analyses :

  1. la classification descendante hiérarchique, dont résulte un certain nombre de classes lexicales distinctes sur la base de la fréquence et de la cooccurrence des mots;

  2. la liste des mots et des variables démographiques associées à chacune de ces classes sur la base du khi2. Dans la méthode Alceste, la valeur minimale du khi2 est établie de manière stable à 2,7 et le degré de liberté est toujours égal à 1 (Reinert, 1990);

  3. la sélection automatique d’extraits représentatifs de chaque classe, car ceux-ci contiennent les mots ayant les valeurs de khi2 les plus élevées (Therriault, Bader et Lapointe, 2011);

  4. l’analyse factorielle des correspondances-AFC, qui permet de tracer les frontières entre les différents mondes lexicaux grâce à l’identification des deux principaux facteurs explicatifs de la variance (Abric, 2005; Lapointe, 1998). Les résultats de cette analyse factorielle des correspondances-AFC sont représentés sur un plan cartésien dont les deux axes sont ensuite nommés par la chercheuse ou le chercheur sur la base du cadre théorique retenu pour l’étude.

Dans un second temps, une analyse du discours basée sur la typologie des représentations de la réussite scolaire de Rivière et Jacques (1999) a été réalisée en examinant les liens apparents entre chaque monde de représentation, le milieu rural ou urbain, les résultats scolaires et le genre. En effet, selon Lapointe et Langlois (2004), les classes lexicales correspondent aux mondes de représentation, qui sont des systèmes distincts de représentations sociales relatifs à un phénomène ou à une expérience humaine.

4. Résultats

La présente partie comprend deux sections : la première porte sur l’analyse du corpus, qui a été réalisée à l’aide d’Alceste; la seconde traite de l’analyse complémentaire du corpus, effectuée cette fois en appliquant la typologie de Rivière et Jacques (1999).

4.1 La réussite scolaire des élèves : six mondes de représentation sociale

Les résultats de la classification descendante hiérarchique indiquent la présence de six classes lexicales, ou six mondes de représentation, quant à la réussite scolaire. La figure 3, qui se lit de droite à gauche, permet d’afficher les distinctions et les liens que ces classes entretiennent entre elles. L’analyse des itérations a tout d’abord permis de distinguer les classes 1, 5 et 6 des classes  2, 3 et 4. Ensuite, la classe 1 a été distinguée des classes 5 et 6, et la classe 4 des classes 2 et 3. Les classes 1 et 4 sont donc les plus distinctes du corpus. Finalement, le processus a permis de distinguer la classe 5 de la 6 et la classe 2 de la 3.

Figure 3

Classification descendante hiérarchique des mondes lexicaux présents dans les discours des élèves, des enseignants et des parents

Classification descendante hiérarchique des mondes lexicaux présents dans les discours des élèves, des enseignants et des parents

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L’analyse de chacune des classes lexicales en fonction des occurrences les plus significatives a permis d’identifier les thèmes principaux qui caractérisent ces mondes lexicaux.

Classe 1 : Les facteurs mésosociaux de la réussite et de l’échec scolaires des élèves

Le discours de la classe 1 se caractérise par un vocabulaire associé aux facteurs institutionnels de la réussite scolaire et à leur impact sur les élèves. On aborde les problèmes liés à la structure (khi2 = 144), à l’enseignant et à sa manière d’enseigner (khi2 = 123), à la pédagogie (khi2 = 66), à l’encadrement (khi2 = 62). Les termes utilisés, tels que rural (khi2 = 111), établissement (khi2 = 83), milieu (khi2 = 58), bibliothèque (khi2 = 72), environnement (khi2 = 43), font aussi référence à l’influence des lieux éducatifs. Cette classe est plus représentative des acteurs du milieu rural (khi2 = 111), des participants de sexe masculin (khi2 = 45), des enseignants (khi2 = 26) et des parents (khi2 = 19).

L’analyse du vocabulaire et des extraits significatifs de la classe 1 permet de dégager un monde de représentation centré sur le discours traditionnel des causes de l’échec scolaire. Ce discours se répartit entre deux pôles qui décrivent tant l’influence de facteurs mésosociaux liés au système scolaire dans son ensemble que celle de facteurs liés plus spécifiquement à l’école elle-même. Cette représentation des causes de l’échec scolaire est davantage associée aux acteurs du milieu rural. Ceux-ci décrivent comment la présence d’inégalités d’ordre institutionnel dans l’accès à des structures d’accueil, à des systèmes d’enseignement adéquats et à une organisation scolaire efficace, contribue à l’échec scolaire. Voici trois extraits d’entrevue caractéristiques de cette classe.

Cela fait cinq ans que nous sommes dans des grèves interminables. Comment les enfants peuvent apprendre dans cet environnement? Les conditions d’apprentissages et les conditions d’enseignements ne sont pas optimales.

Parent_Rural

On n’a pas assez de centres de lecture, de bibliothèques où les élèves peuvent aller faire des recherches, aller s’abreuver intellectuellement (…) des problèmes d’information, de communication.

Prof_Rural

Les enseignants ici n’ont aucune vocation pour leur métier. Ils n’aiment pas être enseignants. Ils le font parce qu’ils n’ont pas eu le choix. Ils voulaient juste des postes budgétaires. On ne doit pas se voiler la face.

Parent_Rural

Classe 2 : Rapports sociaux de sexe et éducation

L’analyse du vocabulaire de la classe 2 permet de dégager un monde de représentation centré sur les rapports sociaux de sexe et l’éducation. Des stéréotypes liés au genre se dégagent du discours. Les raisons évoquées pour expliquer la réussite scolaire se divisent en deux pôles distincts, selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes. Cette classe lexicale est plus représentative du discours des élèves (khi2 = 56), de sexe féminin (khi2 = 415) et de sexe masculin (khi2 = 400), qui sont en seconde (khi2 = 42), dans des classes dont la taille est d’une soixantaine d’élèves (khi2 = 58). Elle est aussi plus représentative du discours des élèves qui occupent une position de cadets (khi2 = 41), dans une grande famille (khi2 = 26), et dont les parents sont sans emploi (khi2 =4 6). Ces élèves sont soit en situation d’échec (khi2 = 29) soit en situation de réussite (khi2 = 20).

Les propos de cette classe illustrent que la réussite scolaire est importante pour tous, mais pas pour les mêmes finalités ni pour les mêmes raisons. Le discours est empreint de la tradition africaine qui concerne les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes. Les termes utilisés pour décrire la nécessité de réussir pour l’homme sont : subvenir (khi2 = 65), appeler à (khi2 = 44), devoir (khi2 = 34), s’occuper (khi2 = 40), responsabilité (khi2 = 20), en lien avec les mots famille (khi2 = 218), mari (khi2 = 104), chef (khi2 = 87), foyer (khi2 = 87), charge (khi2 = 78), époux (khi2 = 50) et père (khi2 = 32). Pour la femme, nous retrouvons une sémantique différente avec les mots mariage (khi2 = 65), prostituer (khi2 = 39), autonome (khi2 = 33), émancipation (khi2 = 28) et indépendante (khi2 = 17). Voici deux extraits d’entrevue caractéristiques de cette classe.

C’est important pour les garçons parce que, déjà dans nos sociétés, le garçon c’est un chef de famille. Un chef de famille devrait à mon sens réussir pour être justement la locomotive de cette famille. Dans le cas où il ne réussit pas, cela peut être un obstacle à l’épanouissement de la famille. (…) Pour les filles également, nous sommes aujourd’hui dans une société où on parle de plus en plus de la promotion de la femme. Donc une femme, à mon avis, devra également réussir, non seulement pour elle-même, mais aussi pour aider son époux plus tard, parce que malheureusement le mari ne peut plus faire tout seul aujourd’hui, il faut de temps en temps un soutien de la femme.

Fille

Je dis que moi, je suis obligé de réussir, parce que ce n’est pas moi que l’on va mettre au mariage, c’est moi qui vais aller chercher, c’est moi qui va faire des enfants, c’est moi qui vais devoir m’occuper du foyer, c’est moi qui vais devoir porter la culotte. Donc, pour pouvoir réaliser tout ça à bien, il faut quand même faire l’école, avoir de bons diplômes et obtenir un bon salaire pour pouvoir bien mener ton foyer.

Garçon

Classe 3 : Le rôle de l’école

Le discours de la classe 3 se caractérise par une prise de position quant au rôle social de l’école (khi2= 239). Ici, l’école est conçue en fonction du rôle qu’elle joue dans la société (khi2 = 121) et dans la réussite (khi2 = 102) en général. On y aborde l’importance de l’école dans une logique d’instruction (khi2 = 43) et d’acquisition des connaissances (khi2 = 34), et dans le développement des futurs citoyens (khi2 = 37). Le discours y est plus représentatif des enseignants (khi2 = 36) et des élèves (khi2 = 31) du milieu urbain (khi2 = 36).

Voici quatre extraits d’entrevue caractéristiques de cette classe.

L’école ouvre de grandes portes. Par exemple, lorsqu’on est à l’école, on nous apprend à réfléchir, c’est-à-dire avoir un esprit de discernement, avoir l'esprit critique, et lorsque l’on est face à une situation bien précise, on réfléchit quoi, beaucoup. Lorsque l’on parle par exemple avec vous, on sent que celle-là elle a appris, celle-là elle a fait l’école, parce que souvent ceux qui ont fait l’école, ils ne réagissent pas directe de manière prompte, ils sont d’abord posés, réfléchis, ils se disent : bon voilà, ça c’est un problème, c’est un problème qui est posé, faut que l’on réfléchisse pour pouvoir trouver des solutions.

Fille

Pour moi, réussir à l’école, c’est atteindre l’objectif qu’on s’est fixé… Quand on met pied à l’école primaire, on a au moins une vision de son avenir et au fur et à mesure que l’on avance, cette vision se développe, on peut la changer, mais on a toujours un objectif à atteindre et lorsqu’on atteint cet objectif, on a réussi.

Garçon

Le rôle de l’école, c’est de faire l’État, c’est-à-dire, sans l’école, il n’y a pas d’État, ou sans l’État, il n’y a pas d’école. C’est l’école qui a fait l’État et c’est l’État qui a fait l’école donc, c’est une relation consubstantielle, c’est-à-dire qu’on ne peut pas séparer l’école de l’État. Parce que lorsqu’on parle de l’État, ce sont les hommes. C’est l’école qui fait les hommes et ce sont les hommes qui dirigent l’État. L’État n’est rien sans l’homme. C’est pour vous dire que l’homme n’est rien sans l’école. L’école, c’est la vie.

Prof

L’école, disons, est une valeur, pour moi, c’est ce que l’on m’a dit. […] Donc, l’école pour moi, l’école, quand je grandis, l’école est une valeur. […] L’école est la voie royale, je dis bien la voie royale et loyale, parce qu’il y a d’autres voies qui sont peut-être royales, mais qui ne sont pas loyales. Donc l’école pour moi, l’école, c’est la voie royale et loyale pour penser à avoir une réussite sociale par la suite.

Prof

Classe 4 : Les études, le diplôme et la profession

L’analyse du vocabulaire de la classe 4 permet de dégager un monde de représentation centré sur la conception des études, particulièrement en ce qui a trait aux raisons légitimant leur poursuite. Les sujets associés à cette classe abordent les études (khi2 = 200) en fonction des perspectives d’avenir après le baccalauréat (khi2 = 115), soit des études longues (khi2 = 111) soit des études courtes (khi2 = 111), et en fonction de la carrière professionnelle (médecin khi2 = 90; ingénieur, khi2 = 63; finance, khi2 = 53). Cette classe met en lumière une représentation sociale de la réussite scolaire centrée sur la rentabilité des études et une culture du diplôme. Elle est plus représentative des élèves (khi2 = 25) de sexe féminin (khi2 = 26). Voici quatre extraits d’entrevue représentatifs de cette classe.

L’école, c’est la base d’abord. Pour réussir sa vie, il va falloir faire de longues études. Si tu as bien appris, dans ta vie tu seras épanoui sur le plan professionnel, sur le plan social donc c’est important, c’est le socle même. Si tu n’as pas fait des études, tu ne seras pas complètement heureux, tu ne pourras pas assumer, en plus la vie devient compliquée.

Garçon_Urbain

Études courtes, parce que ma mère est assez âgée et ne travaille pas et puis, je suis l’ainée de ma mère. J’ai des petits frères et des petites soeurs derrière, donc je voudrais venir à leur aide déjà avant.

Fille_Rural

Moi, c’est le maximum. J’ai envie d’aller jusqu’au doctorat parce que maman a dit que je suis encore jeune, j’ai du temps. Franchement, le maximum parce que je veux apprendre plus, plus de connaissances c’est toujours bon.

Fille_Urbain

Bon, le jeune Gabonais, pour lui, réussir à l’école, c’est avoir le diplôme. Et malheureusement, c’est faire tout pour avoir un diplôme. C’est-à-dire que même s’il n’y a rien derrière, l’essentiel c’est d’avoir le diplôme. En fait, on est dans une culture qui est un peu... Idolâtre le papier. On est très fort là-dessus, c’est-à-dire même si je n’ai pas la compétence, l’essentiel c'est d’avoir le papier quoi. Et ça, c’est encouragé par les parents.

Prof_Urbain

Classe 5 : Difficultés lors du cheminement scolaire et leur impact sur la réussite scolaire

Le monde de représentation de la classe 5 renvoie à la forme et au fond du curriculum officiel et à son influence sur la nature et l’ampleur des inégalités scolaires. Le discours évoque les difficultés rencontrées lors du cheminement scolaire en lien avec l’application du curriculum dans les lycées (entre 11 et 22 ans), de même que leurs conséquences sur le parcours des élèves : terminale, khi2 = 228; année, khi2 = 221; troisième, khi2 = 110) et sur leur acquisition des connaissances (mathématiques, khi2 = 134; examen, khi2 = 79; lacunes khi2 = 73). Le discours de cette classe est davantage représentatif des enseignants (khi2 = 44) qui ont une expérience de travail de plus de six ans (khi2 = 48), qui sont dans la trentaine (khi2 = 32) et qui ont une ancienneté dans le poste de moins de cinq ans (khi2 = 30).

Voici trois extraits qui caractérisent cette classe.

Le manque d’enseignants fait en sorte que la formation reçue par ces élèves n’est qu’une formation incomplète. Donc ces élèves apprennent avec plusieurs lacunes qu’ils ont des difficultés à pouvoir combler. Je vais prendre un exemple palpable, ça vous pouvez même vérifier, aujourd’hui par exemple nous avons en sixième des élèves qui n’ont pas de prof de mathématiques. Il n’y a pas que la sixième, vous avez la première, vous avez la seconde, la quatrième et la cinquième qui n’ont pas de prof de maths. On a mis un accent particulier sur les classes d’examen. Vous conviendrez avec moi qu’un élève qui revient du CM2, n’a pas de mathématiques, il va en cinquième, il n’a toujours pas de mathématiques, en quatrième, il n’a pas toujours de mathématiques, et quand il arrive en troisième, il doit faire maths. Mais c’est la catastrophe, comment va-t-il les combler, il aura du mal à les combler. Donc, c’est aussi cela qui concourt un peu à certaines insuffisances par rapport à la suite.

Prof_Rural

Les années scolaires ne sont pas vraiment suivies comme par le passé, il y a tout un tas de problèmes. Les cours sont arrêtés de manière régulière, il y a des grèves des enseignants, parce qu’ils ne sont pas satisfaits, des cahiers des charges qu’ils déposent auprès du gouvernement, il y a déjà cela qui pose un problème pour les enfants qui ne suivent pas régulièrement des cours, je ne sais même pas si aujourd’hui ils accomplissent le nombre de semaines ou le nombre de mois pour que l’année soit vraiment agréée par l’UNESCO.

Prof_Urbain

Il y a des classes qui ne font pas certaines matières. Il y a des classes de première ici, par exemple, qui ne font pas mathématiques. Seconde et première, pas de mathématiques. Cela veut dire qu’il y a un problème de prof. L’année prochaine, ils seront par exemple en terminale, voyez un peu ce que ça fait quoi? Cela veut dire qu’ils vont affronter l’examen sans avoir fait le programme de première. Voyez le programme, quelque part il se complète, c’est la suite. Vous imaginez quelqu’un qui arrive en terminale, il n’a pas eu mathématiques en première et en seconde.

Prof_Rural

Classe 6 : Influence des facteurs mésosociaux et microsociaux sur la réussite scolaire

L’analyse du vocabulaire lié à la classe 6 permet de dégager un monde de représentation centré sur l’influence des facteurs sociodémographiques, familiaux, individuels et culturels de la réussite scolaire en milieu rural. Les pratiques éducatives et culturelles y sont largement mentionnées. Le contenu principal de l’ensemble des discours porte sur la conception selon laquelle l’échec et la réussite scolaires résultent de contraintes sociales. Le discours de cette dernière classe est plus représentatif des enseignants (khi2 = 56) qui ont une expérience de travail de moins de 20 ans (khi2 = 56) et qui sont en poste depuis moins de cinq ans (khi2 = 27), ainsi que des parents (khi2 = 56) qui ont une scolarité de troisième (khi2 = 38). Voici trois extraits représentatifs de cette classe.

L’échec en milieu rural est fonction de l’environnement social, l’environnement extrascolaire. Je veux dire que le milieu scolaire ne participe pas, la pédagogie participe à aider les enfants, or en milieu rural, je constate que l’environnement social vient détruire en amont ce que la pédagogie fait dans les classes. C’est souvent des enfants des familles déjà démunies, c’est souvent les enfants… même si les parents sont là, ils ne bénéficient pas d’un cadre familial adéquat ou alors un cadre censé porter l’épanouissement à l’enfant.

Parent_Rural

Au niveau des parents, c’est vraiment la catastrophe. (…) Les parents sont entrés dans un esprit de facilité et tout le monde veut que son enfant ne redouble pas, etc., et les parents abandonnent complètement leurs responsabilités, notamment ce qui se passe en général, c’est qu’on voit les parents en début d’année pour inscrire les élèves, tant bien que mal avec tous les moyens possibles, la corruption et tout ça, et en fin d’année pour les faire passer avec les mêmes moyens, corruption et tout, influences, etc., mais le suivi permanent des élèves ne se fait pas.

Prof_Urbain

Les élèves passent tout leur temps à bringuer dans la ville, même si c’est une petite ville, pour une personne de bien, je ne pense pas qu’elle devait sortir pour ne rien faire, être là à boire et à regarder les passants, alors qu’elle a autre chose à faire à la maison.

Prof_Rural

Les résultats de l’analyse factorielle des correspondances : l’axe du continuum culturel et l’axe de la dynamique scolaire

En analysant le contenu du plan cartésien produit par l’analyse factorielle des correspondances-AFC (figure 4), on constate que les vocables qui se situent dans le quadrant Ι, en haut à droite, référent aux facteurs structurels de la réussite scolaire. Le vocabulaire du quadrant Π, situé en haut à gauche, est marqué par les rapports et les rôles sociaux de sexe en lien avec l’école. En bas à gauche, le quadrant ΠΙ contient des vocables relatifs au diplôme et aux études. Finalement, le quadrant IV, en bas à droite, contient un vocabulaire portant sur les difficultés vécues dans le cheminement scolaire et sur les facteurs mésosociaux de l’échec scolaire.

Après avoir fait l’analyse de l’ensemble des éléments lexicaux et de leur répartition sur le plan cartésien, nous avons nommé l’axe horizontal Axe du continuum culturel, car il traduit, de gauche à droite, une progression qui va de la relation filles-garçons/famille/études à la relation élève/école-système, en passant par les tensions et les questionnements des acteurs quant aux transformations individuelles et collectives observées dans la société gabonaise. Nous avons ensuite nommé l’axe vertical Axe de la dynamique scolaire, car il évoque les embûches rencontrées durant le cycle scolaire, telles qu’elles sont perçues par les acteurs, embûches qui concourraient selon eux à l’échec scolaire. Cet axe présente un continuum de représentations sociales traitant, du bas vers le haut, des liens entre les facteurs microsociaux et les facteurs mésosociaux de la réussite scolaire, en passant par les rôles sociaux de sexe.

Figure 4

Analyse factorielle des correspondances des vocables

Analyse factorielle des correspondances des vocables

Légende :

Le symbole + indique les terminaisons différentes d’un même mot (nom, adjectif ou verbe), par exemple manger+ pour mangera, mangeait, mangé pour les verbes, et belle + pour belle, belles, beau, beaux.

Le symbole < indique la présence, dans le dictionnaire Alceste, de la troncature d’un mot pour n’en conserver que la racine.

Les symboles...servent à barrer les mots qui ont été masqués sur le graphique.

-> See the list of figures

4.2 Les représentations sociales de la réussite scolaire au Gabon à partir de la typologie de Rivière et Jacques (1999)

L’analyse du discours des acteurs gabonais ayant participé à cette recherche montre que différentes représentations sociales de la réussite scolaire coexistent chez les élèves, les enseignants et les parents. Par souci d’approfondissement de l’étude exploratoire, une analyse complémentaire du discours a été réalisée à l’aide de la typologie des croyances de Rivière et Jacques (1999). Cette analyse a permis d’enrichir notre compréhension des représentations sociales de la réussite scolaire dans un pays dit en voie de développement, en fonction des acteurs, du genre, de la performance scolaire et du milieu géographique.

Type 1 : Répulsion

Lorsqu’on leur demande ce qu’ils pensent des études et de l’école, les acteurs du milieu rural, et particulièrement les élèves en situation d’échec, expriment une vision négative de l’expérience scolaire.

L’école est difficile et dure.

Élève_Rural _Échec

Les élèves perçoivent l’école comme un fardeau.

Prof_Rural

Ils disent que c’est barbant et ennuyeux.

Prof_Rural

L’école est contrainte.

Mère_Rural

Les études au lycée ne sont pas vraiment abordables, c’est difficile, c’est dur.

Élève_Rural _Échec

Les études au lycée sont moyennes.

Élève_Rural _Échec

Les études au lycée sont dures…, pour eux, l’école c’est comme si c’était une punition. Ils sont heureux d’une journée de classe quand le prof est absent.

Prof_Rural

Les élèves pensent que les études au lycée sont une distraction, on va à l’école par suivisme.

Prof_Rural

Selon ces acteurs, les élèves percevraient l’école comme un fardeau, un poids dont il faut se défaire au plus vite. Les élèves disent ressentir une pression familiale et sociétale en ce qui a trait à la réussite scolaire. Pour eux, l’école serait un passage difficile dont ils ne se sentent libérés qu’à la fin de la journée. Leurs aspirations scolaires sont limitées, et ils optent pour des études courtes afin de gagner de l’argent pour survivre et vivre décemment. Pour ces élèves, réussir veut dire avoir un travail et être capable de planifier des projets de vie immédiats.

Bon, je parlerai d’études courtes toujours, parce que, enfin, comme je disais par rapport à une question, la conception de l’école comme contrainte, donc arrêter le plus tôt serait le mieux.

Prof _Rural

Non, ce sont des études courtes.

Prof _Rural

Avec les conditions que nous vivons un peu dans le Gabon et puis, un peu tout ce que je vis, tout ce que je vois un peu partout par rapport un peu à nos frères, ici au Gabon, si tu n'as pas quelqu’un devant pour t’aider à prolonger tes études, si tu es comme moi, il faut vraiment arrêter au bac et puis, chercher quelque chose qui pourra vraiment t’aider, sincèrement.

Élève_Rural

Non, je trouve que c’est vraiment dur pour moi de continuer à l’école et puis, ça devrait peut-être me perturber… Non, moi, vu l’âge aussi, le bac me suffit, parce qu’on compte aussi l’âge pour vite travailler aussi, cela dépend.

Élève_Rural

Type 2 : Résignation

D’autres acteurs du milieu rural se représentent la réussite scolaire comme un passage obligé pour obtenir dans le futur un emploi et le confort matériel. L’expérience scolaire signifie avoir des notes acceptables ou bonnes, obtenir la moyenne, passer d’un niveau scolaire au suivant. En milieu rural, la résignation est présente tant chez des élèves en situation de réussite scolaire que chez des élèves en situation d’échec.

Réussir à l’école, c’est être à l’abri du besoin.

Élève_Échec_Rural

Réussir à l’école, c’est avoir un poste de travail.

Élève_Réussite_Rural

Réussir à l’école, c’est avoir des résultats positifs…, et je suis satisfait de ma - journée quandj’ai eu de bonnes notes.

Élève_Réussite_Rural

Pour le jeune gabonais, réussir à l’école, c’est avoir un travail.

Prof_Rural

Type 3 : Utilisation

On remarque ce type de représentation sociale (utilisation) chez les enseignants, les parents et les élèves du milieu urbain pour qui la réussite scolaire signifie carrière, prestige social et titre professionnel. Ces acteurs se représentent la réussite scolaire comme un moyen d’atteindre un niveau social supérieur, de réussir professionnellement et de mener une vie aisée. L’utilisation comme représentation de la réussite scolaire se retrouve davantage chez les élèves qui réussissent.

J’aimerais exercer un métier comme psychologue. Avant, je voulais faire la médecine, mais maintenant, je veux prendre soin du mental des gens.

Élève_Réussite_Urbain

Banque, finance. J’ai toujours rêvé de travailler au Trésor.

Élève_Échec_Urbain

Ils s’orientent un peu vers les métiers qui donnent facilement l’intégration. Ils ne veulent pas être enseignants à cause des conditions de travail. Donc, pour eux c’est aller dans le privé, les sociétés pétrolières et dans la fonction publique, les domaines des finances, la douane, parce qu’il y a quelque chose à gagner.

Prof_Urbain

Pour mon enfant, réussir, c’est travailler comme médecin ou chirurgien.

Parent_Urbain

Type 4 : Actualisation

L’actualisation, tant en milieu rural qu’en milieu urbain, est propre aux lycéennes. Cette représentation de la réussite scolaire est attribuée à l’émancipation, à l’indépendance, à la dignité, à l’autonomie. L’ensemble des discours des acteurs montre l’existence d’un lien entre la réussite scolaire et la réussite personnelle. Pour les jeunes filles, les études sont perçues comme un moyen d’atteindre des objectifs personnels ayant trait à l’actualisation de soi, à l’autonomie et à la maturité.

Pour les filles, c’est important de réussir, d’une part pour ne pas être sous le contrôle de son mari, parce que déjà de nos jours, c’est vraiment difficile donc, il faut avoir aussi ton poste à part pour ne pas dépendre à chaque fois du salaire de ton mari.

Garçon_Rural

Pour les filles également, nous sommes aujourd’hui dans une société où on parle de plus en plus de la promotion de la femme. Donc, une femme à mon avis, devra également réussir, non seulement pour elle-même, mais aussi pour aider son époux plus tard, parce que malheureusement le mari ne peut plus faire tout seul aujourd’hui, il faut de temps en temps un soutien de la femme.

Fille_Réussite _urbain

La femme certes est appelée aussi à être dans un foyer, mais les filles, c’est important pour l’autonomie, comme je disais, être autonome c’est vraiment le rêve, c’est l’idéal. C’est-à-dire ne pas attendre quelque chose, ne pas attendre de l’autre ou bien ne pas attendre du grand-père, ou de l'oncle.

Fille_Échec_Rural

L’harmonisation, le niveau le plus élevé de la typologie de Rivière et Jacques (1999), n’apparait pas chez les sujets de notre recherche. En effet, la fonction ludique de la réussite scolaire et le plaisir d’apprendre ne sont pas présents dans les représentations.

5. Discussion

Certaines recherches avaient déjà servi à documenter les représentations sociales de la réussite scolaire qu’ont des élèves, des enseignants et des parents vivant dans un contexte de pays dits développés. Toutefois, selon la recension des écrits effectuée au début de notre étude, aucune étude de ce type n’avait été réalisée dans un pays dit en développement. La présente recherche avait donc pour but de commencer à combler ce vide en étudiant les représentations sociales de la réussite scolaire de parents, d’élèves et d’enseignants vivant au Gabon.

Dans un premier temps, il apparaît que différentes représentations sociales de la réussite scolaire coexistent chez les élèves, les enseignants et les parents. L’analyse du discours effectuée à l’aide du logiciel Alceste a en effet permis de mettre en évidence six mondes de représentation sociale : les facteurs mésosociaux de la réussite et de l’échec scolaire; les rapports sociaux de sexe en lien avec l’éducation; le rôle de l’école; les études, le diplôme et la profession; les difficultés lors du cheminement scolaire et leur impact sur la réussite scolaire; l’influence des facteurs mésosociaux et microsociaux sur la réussite scolaire. La diversité de ces représentations montre qu’il existe un certain nombre de réflexions et de prises de position à l’égard de la réalité scolaire. Pour les trois groupes d’acteurs gabonais rencontrés lors des entretiens, le noyau central semble être la finalité, puisque le but de la réussite scolaire est de mener à l’obtention d’un emploi et de gagner sa vie. En milieu rural, la réussite scolaire se concrétise dans le cadre d’études courtes, car la pauvreté est très présente, alors qu’en milieu urbain, elle mène à l’Université et à la pratique d’une profession socialement valorisée. Même les filles considèrent la réussite scolaire comme la voie obligatoire menant à un emploi, puisque ce dernier est une condition essentielle à leur indépendance économique et leur émancipation.

Dans un second temps, il apparaît que les représentations sociales de la réussite, au Gabon, correspondent à quatre types de représentation sur cinq, telles qu’elles ont été proposées par Rivière et Jacques (1999) dans leur typologie. La répulsion, la résignation et l’utilisation se retrouvent chez les élèves, les enseignants et les parents, avec des variantes selon que le milieu est urbain ou rural, alors que l’actualisation n’est présente que chez les lycéennes et que l’harmonisation est complètement absente de l’ensemble des discours.

Nos résultats montrent aussi que les représentations sociales de la réussite scolaire sont liées à la situation scolaire des élèves : la conception de ceux qui sont en situation de réussite correspond à la notion d’utilisation, alors que la conception de ceux qui sont en situation d’échec correspond à la notion de répulsion ou de résignation. Ces résultats rejoignent ceux obtenus par Rivière et Jacques (1999) en contexte québécois. Toutefois, en milieu rural gabonais, la résignation est également présente chez certains élèves en situation de réussite, données qui diffèrent de celles obtenus par Rivière et Jacques. De la même manière, la notion d’actualisation est présente dans le discours de l’ensemble des lycéennes, indépendamment de leur situation scolaire.

En ce qui a trait au milieu, nos résultats éclairent le fait qu’en milieu rural, les représentations sociales des acteurs quant à la réussite scolaire correspondent aux notions de répulsion et de résignation, alors qu’en milieu urbain, elles correspondent à la notion d’utilisation. Selon nous, en milieu rural, les acteurs sociaux appuient leurs représentations sur une appréciation objective des chances de réussite scolaire; ils ne souhaitent pas l’impossible, bien qu’ils prônent la mobilité sociale par l’école. La réussite scolaire est avant tout liée à la possibilité d’exercer un métier, plaisant ou non, car l’important est d’assumer correctement son rôle de chef de famille. Les acteurs du milieu rural intériorisent donc le projet de mobilité sociale que permettrait l’école, tout en restant réalistes quant aux possibilités que ce projet se réalise. Ces résultats viennent nuancer les conclusions de Gilly (1997), à la suite d’une étude faite en France, selon lesquelles les familles d’origine modeste voient dans la réussite scolaire une réussite sociale qui permettrait de quitter la classe ouvrière et d’améliorer son statut.

En ce qui a trait aux représentations liées au genre, nos résultats mettent en lumière des différences entre les lycéens et les lycéennes. Alors que les garçons se situent dans les premiers niveaux de représentation, la répulsion, la résignation et l’utilisation, les filles rejoignent un niveau plus élevé, l’actualisation, laquelle est toutefois associée à la résignation et à l’utilisation. Plus précisément, on constate que les lycéens de la zone rurale entretiennent des représentations liées à la répulsion et à la résignation, puisque leur objectif est d’atteindre coûte que coûte un niveau de réussite qui leur permettra de gagner leur vie et celle de leur famille, alors que les représentations des lycéens de la zone urbaine se situent au niveau de la résignation et de l’utilisation, la réussite scolaire étant pour eux une condition sine qua non à la réussite professionnelle et sociale. En ce qui a trait aux représentations des lycéennes, elles se distinguent de celles des lycéens, mais des nuances existent selon le milieu. En effet, bien que le discours des lycéennes décrive la réussite scolaire comme menant à l’indépendance économique et à l’autonomie (actualisation), d’autres types de représentation apparaissent dans leur discours: la répulsion, dans celui des filles qui vivent en milieu rural, et l’utilisation, dans celui des filles de milieu urbain. Ces résultats rejoignent en partie ceux de Rivière et Jacques (1999) qui avaient constaté que la répulsion et la résignation étaient des types de représentation qui se retrouvaient chez la majorité des garçons, alors que l’actualisation et l’harmonisation étaient présentes chez la majorité des filles. À ce sujet, nous croyons que l’absence du type actualisation chez les garçons proviendrait d’une contrainte culturelle : ces derniers se sentent obligés d’assumer le rôle de chef de famille imposé aux hommes par la société traditionnelle gabonaise.

En ce qui a trait à l’harmonisation, ce type de représentation n’apparait pas dans le discours des acteurs rencontrés, ce qui peut s’expliquer par le fait que ce niveau supérieur de représentation ne peut émerger dans un contexte où les besoins de base – comme la sécurité financière et politique, l’accès au logement, à la nourriture ou aux soins de santé − sont peu comblés, comme c’est souvent le cas au Gabon.

6. Conclusion

Cette recherche tire son origine de l’absence d’études sur la problématique de l’échec scolaire à partir des représentations sociales d’acteurs vivant dans les pays dits en développement. L’objectif était de dégager, d’analyser et de comparer les représentations sociales de la réussite scolaire de trois groupes d’acteurs vivant dans un pays en voie de développement, le Gabon. Cette étude a permis d’explorer la manière dont les acteurs sociaux s’expliquent la problématique de la faible réussite scolaire dans ce pays de l’Afrique centrale. Les données analysées indiquent qu’au Gabon, les représentations sociales de la réussite scolaire semblent correspondre à quatre des cinq niveaux proposés par Rivière et Jacques (1999). Une première représentation, surtout présente chez les garçons en milieu rural, est la répulsion, exprimée à la fois par un désintérêt à l’égard de l’école et par un sentiment de devoir réussir dans le but de gagner sa vie en tant que futur chef de famille. Une deuxième représentation, également présente en milieu rural, est la résignation selon laquelle la réussite scolaire est une étape de transition obligée pour atteindre un bien-être matériel et professionnel. La troisième représentation, plus présente chez les garçons en milieu urbain, est l’utilisation, selon laquelle la réussite scolaire est perçue comme menant à la réussite professionnelle et sociale. La quatrième représentation, qui correspond à l’actualisation, est plus présente chez les filles de milieux urbain et rural. Ces dernières voient dans la réussite scolaire un moyen d’atteindre leurs objectifs personnels d’émancipation et d’autonomie. Le niveau supérieur de représentation qu’est l’harmonisation n’apparait pas dans le discours des acteurs gabonais rencontrés.

Bien que cette recherche exploratoire enrichisse la compréhension de la problématique de la réussite scolaire au Gabon, de nombreuses pistes de recherche demandent à être explorées. La population du Gabon est très diversifiée en regard des langues parlées, de la démographie et des réalités socioéconomiques. Des enquêtes similaires à celle-ci devraient être menées un peu partout au pays dans le but de produire un portrait plus complet de la situation. De plus, les représentations sociales de la réussite scolaire pourraient faire l’objet de recherches dans de nombreux autres pays dits en voie de développement, en Afrique et ailleurs, afin d’obtenir une meilleure compréhension de la réussite scolaire, telle qu’elle est appréhendée et expliquée par les acteurs sociaux qui sont aussi des agents de changement. Par la suite, dans une optique de recherche-transformation, il deviendrait possible d’interagir avec les élèves, les parents, les enseignants et les communautés dans le but de développer leur pouvoir d’agir sur la réalité et de l’améliorer.