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Depuis près de 30 ans, le mouvement mondial en faveur de l’éducation inclusive répond à une préoccupation partagée par plus d’une centaine de pays (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], 1990, 1994) concernant le droit fondamental d’accès à l’éducation pour tous les enfants (Ramel et Vienneau, 2016). Cette organisation (UNESCO, 2009) définit l’éducation inclusive comme un processus impliquant la transformation de l’école et des autres centres d’éducation vers la prise en compte d’une large diversité de publics pour contrer l’exclusion sociale. Ainsi, l’éducation inclusive exige de prendre en compte les besoins de tous les enfants en matière d’accessibilité (Ainscow, 2007 ; Ebersold et Maugin, 2016 ; Gombert, Bernat, Vernay, 2017). Elle a comme postulat que tous les élèves peuvent apprendre et réussir en fonction de modalités ou d’objets d’apprentissage pouvant être individualisés (Falvey et Givner, 2005 ; Snell et Janney, 2005). En ce sens, l’école de quartier ou de secteur devient le meilleur lieu de scolarisation pour tous les enfants en valorisant la diversité de chacun d’entre eux et en leur permettant d’y trouver leur place (Lavoie, Thomazet, Feuilladieu, Pelgrim et Ebersold, 2013).

L’éducation inclusive s’inscrit également dans une entité plus large : celle d’une communauté éducative qui débute avant l’âge scolaire et se poursuit bien au-delà des portes de l’école obligatoire. Il s’agit alors de favoriser la participation de l’ensemble des acteurs de la communauté, chacun ayant son rôle à y jouer (Trépanier et Beauregard, 2013 ; Villeneuve et coll., 2013) afin de contrer l’exclusion sociale (Ainscow, 2007 ; Slee, 2011). L’école inclusive devient ainsi un maillon essentiel d’une communauté éducative ayant à coeur d’abattre les barrières de l’exclusion en permettant l’accès, la présence, la participation et la réussite de tous (Booth et Ainscow, 2011).

Le principe d’une communauté éducative pour tous posé, les réalités de terrain laissent cependant présager encore un long chemin à parcourir pour effectivement y arriver (Ramel et Lonchampt, 2009 ; Thomazet, 2006, 2008 ; Trépanier et Paré, 2009). Les obstacles sont encore nombreux tant pour les enfants dans les pays les plus pauvres ou en guerre à accéder à l’éducation (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 2011) que pour ceux en très grande difficulté scolaire dans les pays les plus riches à simplement achever leur scolarité avec une qualification (Caille, 2000 ; Rousseau, 2009). Dans ce dernier cas, une des raisons invoquées pour expliquer le nombre croissant d’élèves décrocheurs porte sur le fait que le système scolaire n’arrive pas à répondre à leurs besoins particuliers (Ebersold et Détraux, 2013). En effet, les exigences imposées par les systèmes et leurs normes scolaires ou sociales s’avèrent une barrière souvent infranchissable pour eux (Gombert, Tsao, Perone et Tardif, 2016 ; Slee, 2011). En outre, malgré les efforts de mise en oeuvre de politiques dites inclusives, un certain nombre d’enfants se voient encore empêchés de fréquenter la classe ordinaire de l’école de leur quartier ou de leur secteur, car leurs troubles ou leurs caractéristiques personnelles les en excluent d’emblée (Chatenoud, Horvais et Odier-Guedj, 2016) ou au fur et à mesure qu’ils avancent en âge (Guralnick, Neville, Hammond et Connor, 2008 ; Hanson et coll., 2000). L’implantation de l’éducation inclusive reste donc lente et difficile (Frankel, Susan et Amanda, 2010 ; Hutchinson, 2010 ; Smith, 2007) et de nombreux enfants se retrouvent encore en marge de la communauté éducative, ce qui constitue une violation de leur droit à l’éducation avec les autres (Carrington et coll., 2012).

Le combat contre l’exclusion sociale et scolaire relève ainsi d’une responsabilité sociétale et collective, mais interpelle aussi celle plus individuelle de chacun des acteurs de l’école et plus généralement de la communauté éducative (Slee, 2010). Pour permettre le développement de cette communauté, les acteurs se doivent de mettre en oeuvre des actions concrètes selon leurs modes propres de participation et de collaboration. Il s’agit également de considérer l’efficacité et efficience des pratiques pédagogiques (Felix et Saujat, 2015) pour qu’elles soient gagnantes. Cette mise en oeuvre nécessite aussi de se préoccuper de la formation et des actions non seulement des agents d’éducation au sein de l’école, mais également des autres membres de la communauté pour répondre aux besoins de tous les élèves (Kontos, Moore et Giorgetti, 1998 ; Tsao et coll., 2008).

Dans cette perspective, deux symposiums ont été organisés en 2015 dans le cadre des rencontres du Réseau de recherche en éducation et en formation (REF) à Montréal. Ils visaient à identifier les leviers pour contrer l’exclusion dans le domaine de l’éducation par le développement d’une communauté éducative pour tous. Le premier symposium se centrait sur la formation initiale et continue de l’ensemble des acteurs de l’éducation inclusive autour d’une réflexion sur l’évolution des dispositifs actuels susceptibles de favoriser la scolarisation de tous. Le second symposium a porté sur l’identification et l’analyse des pratiques ou des dispositifs pédagogiques susceptibles de soutenir l’inclusion scolaire d’élèves de tous les niveaux scolaires.

Quatre des textes publiés dans ce numéro thématique sont issus de ces rencontres, un cinquième venant de l’appel de revue qui s’en est suivi. Trois premiers articles invitent à repenser la formation initiale et continue des acteurs de l’école qui semblent encore trop peu les « outiller » pour répondre aux besoins de tous les élèves, notamment ceux présentant des déficiences, des difficultés ou des désavantages sociaux (European Agency for Development in Special Needs Education [EADSNE], 2011 ; Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2004). Ils rendent explicite la nature des représentations de ces acteurs scolaires, ciblent les obstacles inhérents à la formation et identifient des pistes pouvant favoriser l’inclusion des élèves. Ainsi, Fortier, Noël, Ramel et Bergeron mettent en discussion les résultats d’études effectuées en Suisse, au Canada et en Nouvelle-Zélande pour faire un état des lieux sur le sens que les enseignants en devenir ou en poste donnent à l’éducation inclusive. L’article de Tant, André et Watelain se penchent également sur le lien étroit entre représentation de l’inclusion et formation, en se centrant plus spécifiquement sur des enseignants d’éducation physique. Pour leur part, Bergeron et Prud’homme traitent de l’usage des conflits cognitifs internes aux acteurs de l’école pour favoriser le processus de transformation individuel nécessaire à la mise en place de l’inclusion scolaire.

Deux autres articles interrogent les pratiques du personnel scolaire et apportent une réponse au deuxième questionnement soulevé dans cette revue. Ainsi, le texte d’Assude, Perez, Suau, et Tambone soulève la question de l’accessibilité didactique aux savoirs mathématiques, alors que celui de Bélanger, Frangieh, Graziani, Mérini et Thomazet met en lumière le concept d’« agir ensemble » pour soutenir la collaboration entre les acteurs dans la mise en place de la communauté éducative inclusive.

Ainsi, les contributions amenées au sein des deux symposiums et les textes publiés dans ce numéro et le prochain alimentent une même réflexion sur la nature des savoirs transmis et véhiculés au sein de la communauté éducative inclusive, de manière formelle dans des dispositifs de formation initiale et continue ou moins formelle au travers des pratiques émergentes et « gagnantes ». L’éducation inclusive se traduit en effet dans le vécu et les expériences uniques des acteurs de la communauté éducative. Ce numéro thématique permet de réfléchir sur l’actualisation de l’éducation inclusive par la réalisation de projets portant sur la mise en oeuvre des « agirs collectifs » des communautés éducatives pour contrer le processus d’exclusion et les situations de handicap. Il permet aussi d’appréhender les efforts qui seront à consentir pour soutenir la réussite éducative en contexte d’inclusion scolaire de tous les élèves, quelles que soient leurs caractéristiques individuelles. Les défis sont encore nombreux, mais la communauté éducative inclusive se consolidera à partir d’actions, concertées ciblant les pratiques, les méthodes ou les dispositifs d’intervention. La formation initiale, continue et continuée des acteurs scolaires pourra également être mieux ciblée en cherchant à comprendre leurs représentations sociales, pour les aider à intervenir de manière optimale auprès de tous leurs élèves en inscrivant la gestion de la diversité dans une dialectique entre la prise en compte des besoins de chacun et ceux du collectif de la classe.