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1. Introduction

De nombreuses études relèvent que la qualité des relations enseignant·e-parents (notamment le degré de confiance mutuelle) est en lien avec divers indicateurs de performance scolaire (Adams et Christenson, 2000 ; Williams, Sánchez et Hunnell, 2011). De plus, l’implication parentale a en général un impact significatif sur le comportement et la réussite de leurs enfants (Hoover-Dempsey et Sandler, 1995, 1997 ; Wilder 2014), même si cet effet est parfois peu marqué (Tazouti, 2014).

Outre l’importance de l’implication des parents pour la qualité des relations école-familles — mais en lien avec cet aspect-là — c’est l’écart de capital culturel entre ces deux contextes qui a fait l’objet de nombreuses publications dans le domaine (Lee et Bowen, 2006) poursuivant ainsi les travaux de Bourdieu et Passeron (1970). En effet, plus la distance culturelle et sociale entre les familles et l’institution scolaire est grande, plus les interactions s’avèrent difficiles (Turney et Kao, 2009) ou, du moins, semblent parfois empreintes d’incompréhensions mutuelles pouvant découler des implicites de l’école (Ogay, 2017). L’école et les enseignant·e·s jouent un rôle prédominant dans l’adaptation nécessaire dans la relation école-familles. Ainsi, du point de vue institutionnel, la politique d’accueil, la structure ou les règles scolaires peuvent réduire cette distance et favoriser ainsi la communication avec les familles. Benner et Yan (2015) montrent par exemple que la valorisation de la diversité améliore considérablement l’implication des parents. Du côté des enseignant·e·s, les études mettent en exergue différentes barrières qui peuvent se dresser dans les relations avec parents (entre autres avec ceux issus de groupes minoritaires). Ces barrières découlent par exemple du climat de communication et de la convivialité des échanges, mais aussi des croyances et représentations des enseignant·e·s à l’égard des familles (Kim, 2009) ou encore de la vision déficitaire que les enseignant·e·s peuvent avoir des parents (Matthiesen, 2016) et de leurs pratiques familiales. Malgré l’évolution des moyens de communication, la souplesse qu’ils permettent et l’opinion favorable qu’en ont généralement les parents (Thompson, Mazer et Grady, 2015), il est essentiel que ces derniers se sentent écoutés et accueillis afin qu’ils soient à l’aise et s’estiment compétents pour s’impliquer dans la scolarité de leur enfant (Walker, Shenker et Hoover-Dempsey, 2010).

Notre recherche vise à mettre en évidence les différentes facettes qui caractérisent les relations entre parents et enseignant·e·s ainsi qu’à construire un outil à même de les évaluer. Nous avons volontairement choisi le point de vue des parents tout en étant conscients (1) que l’on ne peut imputer à l’enseignant·e l’entière responsabilité de qualité des interactions et (2) qu’une mesure du point de vue de l’enseignant·e permettrait de donner un regard complémentaire pertinent.

2. Contexte théorique

2.1 Éléments conceptuels

L’analyse des interactions entre les parents et les enseignant·e·s se trouve complexifiée en raison de l’absence d’une grille d’interprétation unique et « normative » des interactions. Comme l’ont démontré de nombreuses études, l’absence des parents à l’école ne signifie pas nécessairement un désintérêt de leur part pour la scolarité de leur enfant (Changkakoti et Akkari, 2008 ; Feyfant et Rey, 2006 ; Périer, 2007).

La recherche démontre que « la variable socioéconomique ou le statut social n’est pas l’indicateur le plus important à l’égard de la participation parentale » (Dumoulin, Thériault et Duval, 2014, p. 132) et que la très grande majorité des parents — quelles que soient leurs appartenances — ont de forts désirs de réussite pour leur enfant (Auduc, 2007). Leurs rapports à l’école peuvent toutefois se manifester différemment et ne passent donc pas toujours par une présence à l’école lors des rencontres formelles telles que les réunions de parents ou lors d’échanges informels avec les enseignant·e·s en début ou en fin de journée. En ce sens, Vatz Laaroussi, Kanouté et Rachédi (2008) présentent une typologie des divers modèles de collaboration familles immigrantes-écoles (modèles observés dans des situations de réussite scolaire de l’élève). Certains types de collaboration (« collaboration à distance assumée » notamment) n’impliquent pas de « rencontres entre les parents et les acteurs du monde scolaire : chacun peut parfois rester dans son univers, mais s’investir à sa façon dans une collaboration virtuelle portée par l’élève et qui favorise finalement sa réussite » (p. 298). D’autres collaborations — avec « espace de médiation » — peuvent se faire à travers des instances tierces et n’impliquent pas des contacts en tête à tête avec l’enseignant·e. Même si elles sont parfois perçues comme un retrait, voire comme un refus de coopérer, ces stratégies familiales peuvent être efficaces « à condition d’être reconnues et valorisées par les milieux en jeu » (Vatz Laaroussi et coll., 2008, p. 307).

Ainsi, ces différentes manières de concevoir les contacts avec l’école complexifient la « mesure » de l’implication parentale ainsi que l’analyse des interactions entre parents et enseignant·e·s. Toutefois, elles ne doivent pas être négligées, dans la mesure où la distance avec la culture scolaire ne signifie pas de facto un désintérêt pour la scolarité.

2.2 Éléments méthodologiques

Sur le plan méthodologique, trois démarches peuvent être envisagées pour évaluer les interactions entre des individus. La première est d’avoir un point de vue totalement externe aux interlocuteur·trice·s. Il est ainsi possible de procéder à des observations (en général enregistrées sur un support vidéo). Dans ce cas de figure, on a recours soit à une analyse de basse inférence qui se fonde sur la mise en évidence d’éléments objectifs (comme la mesure de la distance entre les individus, le temps de parole de chacun, etc.), mais dont l’interprétation est souvent difficile, soit à une analyse de haute inférence qui requiert de la personne qui observe une évaluation interprétative (par exemple, « l’enseignant·e est énervé·e ») dans laquelle la subjectivité et le ressenti personnel de l’observateur ou de l’observatrice sont présents (Bradac et Bell, 1975). De plus, on risque de ne capter qu’une petite partie des évènements significatifs.

L’entretien constitue une deuxième méthode intéressante qui permet quant à elle d’avoir accès au discours et à l’interprétation que les protagonistes font de leurs propres comportements et des comportements de leur vis-à-vis au sein de l’interaction. Les chercheur·se·s peuvent ainsi, sur cette base, procéder à une triangulation des informations récoltées (Fahrni et Ogay, 2015).

La troisième méthode consiste à une évaluation de la part des sujets qui sont donc eux-mêmes directement impliqués (Adams et Christenson, 2000 ; Mautone, Marcelle, Tresco et Power, 2015). Elle possède quant à elle deux avantages majeurs : la standardisation des données récoltées et, comme pour l’entretien, la prise en compte de leur subjectivité. Ainsi, indépendamment de l’objectivité ou du réalisme de l’évaluation, les individus réagissent à ce qu’ils perçoivent dans leurs interactions. Dès lors, si un parent ressent, par exemple, du mépris chez l’enseignant·e — que ce ressenti corresponde à une attitude réelle ou non de la part de ce·tte dernier·ère — il se comportera avec lui·elle en fonction de cette perception.

S’il est évident que les interactions dépendent de chacun des interlocuteur·trice·s, le point de vue de l’enseignant·e est majoritairement pris en compte dans les écrits scientifiques. Ainsi, alors qu’on trouve des dimensions évaluant la satisfaction, la clarté de la communication ou encore le degré de coopération des parents (Serpell et Mashburn, 2012), les dimensions de confiance perçue et d’engagement parental prédominent surtout (Izzo, Weissberg, Kasprow et Fendrich, 1999 ; Hughes et Kwok, 2007). Si ce type d’évaluation a l’avantage de reposer sur une comparaison que peut faire un·e seul·e et même enseignant·e des divers types d’interactions avec les parents, elle masque non seulement le point de vue des parents, mais également l’impact non négligeable de la personnalité de l’enseignant·e ou, du moins, de l’alchimie qui peut se produire dans toute interaction. En effet, dans la mesure où l’enseignant·e possède un statut institutionnel, il·elle est à même d’imposer, du moins en ce qui concerne la structure des échanges (réunions officielles, fréquence et médium de communication), son mode de fonctionnement. Cette position dominante risque par ailleurs d’influencer les caractéristiques relationnelles, notamment la qualité des interactions.

On relève, parmi les questionnaires existants, celui de Vickers et Minke (1995) ainsi que celui de Kohl, Lengua et McMahon (2000) qui permettent d’envisager la mesure tant du côté des enseignant·e·s que de celui des parents par le biais de deux versions parallèles. Le premier ne possède que deux dimensions (« adhésion des parents » et « qualité de la communication ») qui — puisque centrales dans l’analyse des interactions — permettent de différencier, selon ces auteurs, les familles fonctionnelles des autres. Toutefois, ce modèle reste trop succinct pour permettre un examen détaillé des interactions. Le second propose quant à lui de plus nombreuses dimensions, mais, bien que disponible dans deux versions croisées (point de vue de l’enseignant·e contre celui des parents), il reste orienté sur l’implication de ces derniers.

Parmi les travaux qui font le lien entre les façons d’interagir et la personnalité, le modèle de Leary (1957) est sans aucun doute celui qui permet d’appréhender et de décrire au mieux les caractéristiques des interactions. Ces dernières sont représentées sous forme d’un circomplexe dont les caractéristiques principales sont les suivantes (Kiesler, 1983) : (1) présence de deux axes orthogonaux sous-jacents au modèle (2) chaque dimension pouvant être caractérisée selon sa position par rapport à ces axes ; ceci implique (3) un ordre circomplexe dans lequel les dimensions proches sur le modèle sont également proches conceptuellement (corrélations positives élevées entre elles) et (4) les dimensions opposées sur le modèle décrivent des comportements antagonistes (corrélations négatives élevées) (5) la distance au centre indique quant à elle l’intensité du comportement interpersonnel. Abondamment utilisé dans l’analyse des interactions (Plutchik et Conte, 1997), le modèle circomplexe possède l’avantage de pouvoir être adapté à des contextes très variés. En effet, sa structure de base peut se mettre facilement en adéquation avec des terrains très divers, l’adaptation devant se faire ensuite au niveau de la formulation des items.

2.3 Modèle et instrument

Diverses publications soulignent la pertinence des modèles circomplexes, tant pour dégager les traits interpersonnels de la personnalité (Plutchik, 1997 ; Whiteman, Bedford, Grant, Fowkes et Deary, 2001) que pour caractériser les relations interpersonnelles (Wubbels et Levy, 1993 ; Genoud, 2007). Chaque fois, on retrouve la structure typique et les caractéristiques d’un circomplexe bien que les dimensions (et les items correspondants) soient propres à chaque contexte spécifique.

En ce qui concerne l’évaluation des interactions enseignant·e-parents, nous avons choisi de nous concentrer sur la perception des parents plutôt que sur celle de l’enseignant·e. En effet, bien qu’il soit possible de construire deux modèles complémentaires (Benjamin, 1996) nous avons volontairement pris le contrepied des nombreuses recherches ciblées sur l’influence familiale dans l’explication de la réussite scolaire en ayant pour objectif — par le biais de ce modèle et de sa future utilisation dans un contexte de formation par exemple — d’attirer l’attention des enseignant·e·s sur l’importance des représentations des parents en ce qui concerne leur manière d’interagir avec eux.

Nous avons donc défini les deux axes du modèle en nous inspirant des différents autres circomplexes, tout en cherchant la meilleure adéquation avec le terrain particulier de notre recherche (voir figure 1). L’axe vertical est déterminé par l’influence de l’enseignant·e, d’une position de mainmise où l’enseignant·e tient à conserver le « contrôle dans les échanges », à une position caractérisée par une « ouverture » à ce que les parents peuvent apporter. L’axe horizontal prend en compte la valence dans les interactions et va d’une posture d’« opposition », où l’enseignant·e est systématiquement perçu en décalage ou en contradiction dans les échanges, jusqu’à une posture appelée « coopération » dans laquelle les parents perçoivent de sa part la volonté d’être positif dans les échanges. Ainsi, ces axes déterminent l’orientation générale des interactions (telles que perçues par les parents), ces dernières étant par conséquent caractérisées conjointement par une influence et une valence plus ou moins positive ou négative. On retrouve chez Vickers et Minke (1995) une formulation complémentaire du modèle à deux dimensions évaluant les interactions du point de vue de l’enseignant·e (et ciblé sur les parents), puisque l’un des facteurs est appelé « adhésion des parents » et l’autre « qualité de la communication ».

Figure 1

Dimension du Profil des interactions enseignant·e-parents

Dimension du Profil des interactions enseignant·e-parents

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Sur la base de cette structure, nous avons ensuite délimité huit octants (portions du circomplexe) et les avons décrits comme suit :

La dimension « Directivité » est très présente lorsque l’enseignant·e mène les discussions, fixe le cadre dans lequel elles se déroulent, et interagit avec clarté et assurance face aux parents.

Les dimensions « Soutien » et « Empathie » sont toutes deux des attitudes d’un·e enseignant·e qui valorise les parents et souhaite une collaboration avec eux. Elles se différencient cependant par le fait que la première est empreinte d’un certain contrôle de l’enseignant·e (il·elle prend l’initiative de ce soutien) alors que pour la seconde, il·elle est moins actif·ve dans les interactions, mais reste réceptif·ve tout de même à ce que les parents amènent.

La dimension « Partage » fait référence à un véritable partenariat avec les parents. L’enseignant·e ne se limite pas à écouter et à se montrer empathique, mais il·elle prend en compte les attentes ou les demandes des parents et s’adapte de manière constructive à eux.

La dimension « Incertitude » se trouve quant à elle à l’opposé de la directivité et renvoie donc à des attitudes perçues comme relevant d’un certain malaise de l’enseignant·e dans ses échanges (formels et informels) avec les parents.

La dimension « Insatisfaction » va dans le même sens, avec cependant une mise en évidence d’une certaine contrariété, voire un mécontentement de la part de l’enseignant·e. Même si l’enseignant·e n’est pas perçu·e comme étant activement en opposition, cette dernière se manifeste dans les échanges.

La dimension « Agressivité » dépeint une certaine animosité ou hostilité de l’enseignant·e dans les interactions avec les parents. Elle décrit donc le contraire d’une attitude d’empathie placée à l’opposé dans le modèle.

Finalement, la dimension « Prescription » dénote le comportement d’un·e enseignant·e qui ne fait pas confiance aux parents, qui impose son point de vue sans se préoccuper de celui des parents ou alors indique comment ceux-ci doivent se comporter.

3. Méthodologie

3.1 Instrumentation

Dans un premier temps, sur la base de la structure circomplexe et de ses huit dimensions (voir ci-dessus), nous avons formulé un grand nombre d’items (en nous inspirant en partie des questionnaires interpersonnels existants cités plus haut) puis en avons sélectionné 48 (6 par dimension) qui nous ont paru les mieux adaptés et les moins redondants (voir en annexe). Comme modalités de réponse, nous avons opté pour une échelle de Likert à 5 positions (selon les recommandations généralement suivies en psychométrie) exprimant le degré d’accord du répondant.

Par la suite, ce premier groupe d’items a été soumis à six expert·e·s (professeur·e·s et chargé·e·s de cours en sciences de l’éducation, enseignant·e·s diplômé·e·s et psychologue scolaire) afin d’évaluer leur validité de contenu. Leur tâche a consisté à examiner l’adéquation de chaque item aux dimensions du modèle. Nous avons ainsi pu calculer des indices de congruence item-dimension (Crocker et Algina, 1986). Sur cette base-ci, 4 items présentant un indice faible ont été retirés. Nous avons également ôté, dans les 4 dimensions qui n’étaient pas encore touchées par cette démarche, l’item ayant l’indice le plus faible. Il en résulte des indices de congruence moyens satisfaisants à très bons (Directivité : ,89, Soutien : ,77, Empathie : ,76, Partage : ,82, Incertitude : ,98, Insatisfaction : ,92, Agressivité : 1,00, Prescription : ,96).

3.2 Déroulement

Entre mars et mai 2016, les items restants ont été soumis à des parents d’enfants en âge de scolarité primaire (8 premières années d’école obligatoire) qui ont répondu au questionnaire en ligne (via un site Internet) de manière anonyme. Les sujets ont été recrutés par le biais d’associations de parents d’élèves de l’ensemble de la partie francophone de la Suisse et par diffusion dans nos réseaux. Un courriel présentant les objectifs de notre recherche ainsi que le lien vers le questionnaire leur a été transmis.

3.3 Participant·e·s

Parmi les 283 répondant·e·s, on trouve 89 % de femmes (11 % d’hommes) ; l’âge moyen est de 39,3 ans (SD = 5,5). Dans 84 % des cas, les répondants faisaient référence à une enseignante (16 % à un enseignant).

Il est à relever que nous n’avons pas récolté d’informations (cercle scolaire, niveau socioéconomique, degré scolaire, etc.) permettant d’identifier le répondant ou l’enseignant·e pris en considération par les parents dans leurs réponses. En effet, pour des raisons éthiques, il nous a semblé indispensable que l’anonymat soit ainsi parfaitement respecté.

4. Résultats et discussion

Dans l’ensemble de notre démarche d’analyse, les données récoltées sur la base d’échelles de Likert ont été considérées comme des scores d’échelles monotones de rapports (Kline, 2000). Bien que l’utilisation de tests paramétriques puisse être soumise à controverse, le fait de n’avoir défini que les cases extrêmes des modalités de réponse renforce le caractère quantitatif des mesures effectuées (Schwarz, Knäuper, Hippler, Noelle-Neumann et Clark, 1991).

Afin de mettre en évidence l’homogénéité des items, mais également de sélectionner 4 items par dimension pour la version finale du questionnaire (voir annexe), nous avons calculé pour chaque dimension le pouvoir discriminant ainsi que l’alpha de Cronbach (tableau 1). Ce dernier se révèle bon à très bon, d’autant plus que le nombre d’items est restreint.

Tableau 1

Dimensions et indices de fidélité

Dimensions et indices de fidélité

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La mise en évidence de la structure du modèle circomplexe a été testée par une analyse factorielle confirmatoire réalisée à l’aide du logiciel AMOS 22. Dans la mesure où certains items présentent des distributions s’éloignant de la normale, nous avons choisi comme méthode d’estimation le « maximum likelihood » qui offre les résultats les plus stables et réalistes en de pareilles conditions (Olsson, Foss, Troye et Howell, 2000).

Nous avons retenu les indicateurs les plus pertinents en ce qui concerne la qualité de l’ajustement (Sharma, Mukherjee, Kumar et Dillon, 2005) et avons défini leurs seuils indiquant un bon ajustement comme suit (Bentler et Bonett, 1980 ; MacCallum, Browne et Sugawara, 1996) : chi2/dl < 3,00 ; TLI (Tucker-Lewis Index) > ,90 ; CFI (Comparative Fit Index) > ,90 ; RMSEA (Root Mean Square Error of Approximation) < ,05 (très bon) ou < ,08 (raisonnable).

L’analyse de nos données confirme ainsi la validité de la structure de notre modèle avec les indicateurs suivants : chi2/dl = 2,55 ; TLI = ,91 ; CFI = ,92 ; RMSEA = ,064 (intervalle de confiance à 90 % : ,048 – ,054). Ces différents indicateurs mettent en évidence la qualité de l’ajustement des données à la structure prévue et, par conséquent, soulignent la validité de construit de notre modèle.

Un premier examen de la matrice des corrélations (voir tableau 2) fait non seulement ressortir la présence de liens marqués entre certaines dimensions du modèle, mais aussi une claire dichotomie — visible par le regroupement des corrélations négatives — entre les dimensions qui ont une valence positive c. négative. La valence, comparée à l’influence, constitue donc l’axe primordial dans les relations enseignant·e-parents. D’ailleurs, la représentation des dimensions sur la circonférence (figure 1) appuie nettement ce constat.

Tableau 2

Corrélations entre les dimensions

Corrélations entre les dimensions

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En ce qui concerne les valeurs de ces coefficients, nous pouvons constater qu’elles sont toutes modérées à fortes (et par conséquent significatives à p < 1 % vu la taille de l’échantillon). Leur organisation correspond en grande partie (76 %) à ce que l’on peut attendre d’un modèle circomplexe où r1 < r2 < r3 < r4 (voir diagonale supérieure de la matrice des corrélations du tableau 2). En effet, sur les 288 comparaisons des corrélations prises deux à deux, 219 satisfont à cette exigence de relation d’ordre. La comparaison des valeurs des coefficients amène déjà un premier indice de l’interstitialité des dimensions. De plus, la représentation graphique des dimensions par rapport aux deux axes qui sous-tendent tout modèle circomplexe (Acton et Revelle, 2004) indique que la distance de chacune des huit dimensions au centre du modèle (rayon) reste constante (figure 2).

Figure 2

Représentation des dimensions sur la circonférence

Représentation des dimensions sur la circonférence

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Malgré la structure confirmée par l’analyse en équations structurales, on constate ici que les dimensions Soutien, Empathie et Partage sont proches (dans le même quadrant) et pourraient former une seule et même dimension. Leurs corrélations (en gras dans le tableau 2) s’avèrent en effet très fortes. Il en va de même pour les dimensions Insatisfaction, Agressivité et Prescription qui corrèlent fortement (et sont ainsi positionnées de manière relativement proche sur le graphique). Ainsi, cette représentation s’éloigne quelque peu du modèle théorique postulé puisque, dans notre échantillon de sujets, on voit apparaitre quatre (uniquement) dimensions clairement distinctes dans l’évaluation des relations enseignant·e-parents (une par quadrant). Ainsi, de par l’espacement inégal des dimensions, notre modèle s’apparente davantage à un quasi circomplexe (Browne, 1992), quand bien même la structure est principalement liée aux choix des dimensions retenues au départ (Plutchik, 1997).

Nous pouvons comprendre en partie cette proximité des dimensions par le fait que la dimension Partage implique une relation de partenariat compliquée à atteindre, vu la prépondérance que semble prendre l’enseignant·e dans les interactions. En effet, ce partenariat — tel que défini par Larivée (2011) — a une visée égalitaire entre parents et enseignant·e et passe entre autres par une communication bidirectionnelle, une recherche de consensus dans la prise de décisions ainsi qu’une reconnaissance réciproque d’expertises, éléments particulièrement difficiles à atteindre.

Il semble donc que l’on peut prendre en considération deux modèles qui s’imbriquent l’un dans l’autre. D’une part, il y a celui qui correspond à une représentation des interactions selon les quatre dimensions (correspondant aux quatre quadrants) et, d’autre part, celui qui permet de distinguer plus finement les dimensions et qui comporte les huit dimensions de base. En effet, la discrimination que font les expert·e·s entre les items formulés ainsi que l’analyse factorielle confirmatoire nous amènent à conserver tout de même ce modèle à huit dimensions.

5. Conclusion

L’évaluation des interactions enseignant·e-parents pose un certain nombre de difficultés tant conceptuelles que méthodologiques. Dans notre recherche, nous avons pris le parti de les aborder sous l’angle de la perception (subjective par définition) des parents à l’aide d’un questionnaire autorapporté.

Les résultats soulignent de bons accords interjuges, une bonne homogénéité interne des items pour chacune des huit dimensions retenues compte tenu du nombre d’items et une structure factorielle adéquate, malgré une répartition peu régulière sur la circonférence. En effet, à l’instar d’autres modèles similaires (Genoud, 2003), l’axe horizontal (valence négative c. positive des interactions) est prédominant. De plus, on constate ici que certaines dimensions sont proches dans l’évaluation qui en est faite, ce qui permettrait de proposer un modèle à quatre dimensions, chacune d’entre elles résumant un quadrant délimité par les deux axes sous-jacents. Ainsi, ce regroupement suggère clairement que de bonnes interactions peuvent être décrites non seulement par une valence positive, mais aussi par une ouverture (partie inférieure du modèle) de la part de l’enseignant·e.

Il faut cependant relever de nombreuses limites aux démarches statistiques présentées dans cet article. En effet, la validation d’un modèle circomplexe requiert une large gamme d’analyses permettant d’en faire émerger ses nombreuses caractéristiques bien particulières (Acton et Revelle, 2004). De plus, il faut noter que nos résultats ont été menés sur la base d’une seule passation dont la taille de l’échantillon reste limitée au vu des analyses réalisées. Notre échantillon est géographiquement délimité et, pour des raisons évidentes d’anonymat, nous avons une information peu détaillée concernant les répondant·e·s, contacté·e·s en partie par l’intermédiaire d’associations de parents d’élèves. Un biais d’échantillonnage est donc présent à ce niveau-là, puisque les membres de ces associations sont en général assez proches de la culture de l’école et ont en moyenne un niveau socioéconomique plutôt élevé (Migeot-Alvarado, 2002 ; Monceau, 2008).

Ainsi, avec un travail d’adaptation sur les dimensions afin d’en améliorer significativement la répartition sur le continuum circulaire, puis de nouvelles récoltes de données sur de larges échantillons, il serait envisageable d’aboutir à une réelle validation complète d’un outil en menant encore des analyses qui seraient indispensables pour atteindre un tel but. Toutefois, notre objectif premier n’est pas de fournir un instrument de mesure standardisé, statistiquement irréprochable, mais bien d’amener des leviers de réflexion autour de la problématique des relations école-famille. Par le biais des items formulés dans notre questionnaire, de leur regroupement qui s’inscrit dans une structure de modèle quasi circomplexe, les résultats suggèrent des dimensions que parents, enseignant·e·s ou chercheur·se·s peuvent appréhender de manière relativement simple.

Un tel outil est toutefois à utiliser avec discernement puisqu’il ne cherche en aucun cas à donner une image objective de l’enseignant·e ; bien au contraire, il capte les représentations subjectives de parents. C’est bien sur cet aspect-là que les scores peuvent permettre à l’enseignant·e de savoir comment il est perçu, lui donnant ainsi des pistes soit pour modifier son mode d’interactions avec les parents, soit pour l’amener à rendre plus explicite aux yeux des parents sa manière d’interagir avec eux (afin que ces derniers puissent éventuellement modifier leurs perceptions). Il faut rester conscient que cet outil ne donne que le point de vue des parents et qu’il pourrait être intéressant — à l’aide d’un outil complémentaire (telle la variante « enseignant » que l’on trouve chez Kohl et coll., 2000) — d’articuler les profils trouvés avec celui issu du regard de l’enseignant·e.

Ce questionnaire peut être utilisé dans sa variante de base « regard des parents », mais aussi sous une forme « idéale » (avec la consigne suivante : « Quelles sont, selon vous, les interactions qu’un enseignant·e devrait idéalement avoir avec des parents d’élèves ? »), voire dans une variante autoévaluative où l’enseignant·e répond aux différents items de son propre point de vue. La comparaison des profils permet de repérer les divergences et offre alors un levier pour d’éventuels changements.

La prudence reste toutefois de mise dans l’interprétation des résultats. En effet, l’enseignant·e fait un certain nombre de choix dans sa manière d’envisager les interactions avec les parents de ses élèves (ceci notamment au travers du fonctionnement propre de l’établissement scolaire dans lequel il·elle se trouve). Il faut garder à l’esprit que notre questionnaire ne vise aucunement à porter un jugement sur les interactions (telles que perçues par les parents), mais bien à en donner une image, à un moment donné. En outre, il est primordial de prêter une attention toute particulière à la manière dont les relations s’établissent, sans quoi l’objectif « idéal » du partenariat peut concrètement se retourner contre les familles les moins proches de la culture scolaire en les éloignant encore davantage de l’école (Périer, 2007). Il s’agit en effet de considérer les principes de justice dans les rapports entre les parents et l’école (Périer, 2012), notamment la nécessité de reconnaitre la pluralité des formes d’expression et d’implication parentales (dont certaines ne sont pas reconnues comme telles aux yeux de l’école) et la nécessité d’explicitation des attentes de l’école envers les parents afin de clarifier les implicites qui peuvent entraver la construction d’une relation enseignant·e-parents favorable au parcours scolaire de l’enfant. Avec cet outil, nous visons à soulever un questionnement chez les parents et les enseignant·e·s afin qu’il puisse y avoir une clarification de ces implicites, démarche qui devrait être à même d’améliorer la qualité des interactions et, in fine, la cohérence de l’éducation.