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1. Introduction

Entre autres parce qu’elle coïncide avec le passage de l’adolescence à la vie de jeune adulte, la transition entre les études secondaires et collégiales est exigeante. Selon Schulenberg, Sameroff et Cicchetti (2004), cette étape figure parmi les transitions de vie les plus importantes, car les changements se font en même temps sur tous les plans : scolaire, familial, amoureux, professionnel et social. Arnett (2000) considère cette période (18 à 25 ans) comme un stade développemental distinct tant de l’adolescence que du stade jeune adulte et il utilise le terme « adulte émergent » pour désigner la personne qui traverse cette phase. Tanner (2006) ajoute que cette étape développementale est non seulement distincte, mais cruciale puisque les expériences durant ce stade imprègneront plus fortement l’identité et la mémoire de l’individu que les expériences vécues durant l’adolescence ou l’âge adulte. De ce fait, la décision d’entreprendre des études collégiales pourra influencer de façon significative le cheminement personnel et professionnel et l’avenir des adultes émergent·e·s.

En Amérique du Nord, environ 60 % des adolescent·e·s se dirigent vers des études postsecondaires. Parmi ceux·celles-ci, entre 30 à 40 % abandonnent, interrompent ou échouent dans leur programme d’études (Wintre et Bowers, 2007). Au Québec, les proportions sont similaires. En effet, environ 64 % des jeunes s’inscrivent au cégep après leurs études secondaires et entre 29 % et 39 % abandonnent ou interrompent leur programme d’études collégiales (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2014). Le système d’éducation québécois se distingue des systèmes d’éducation canadien et étatsunien sur plusieurs aspects, dont l’âge de l’entrée au collège. Ainsi, les étudiant·e·s québécois·e·s entament leurs études collégiales vers 17 ans, soit pendant la 12e année de leur scolarité, alors que les étudiante·s canadien·ne·s et étatsunien·ne·s amorcent celles-ci vers 18 ans, ce qui correspond à leur 13e année de scolarité. Au Québec, les appellations cégep ou collège peuvent être utilisées pour désigner un établissement encadrant les études collégiales.

La première année collégiale représente l’adaptation la plus difficile dans la vie d’un·e étudiant·e, car les défis à affronter sont nombreux (Giddan, 1988). Selon Métayer (1991), développer son autonomie, établir de bons rapports sociaux et avoir un but font partie des facteurs déterminants dans l’adaptation et la réussite collégiales des jeunes. L’étude de la transition secondaire-collégial est d’autant plus importante que la première session au cégep est très révélatrice de la persévérance et du succès des jeunes adultes dans leurs études (Campbell et Fuqua, 2008/2009 ; Van Heyningen, 1997). Ainsi, la capacité d’un individu à s’intégrer sur les plans social et scolaire dans son nouvel établissement sera un facteur déterminant dans la poursuite ou l’abandon de ses études postsecondaires (Ma et Frempong, 2008 ; Tinto, 1993). Pour la majorité des jeunes adultes, l’intégration dans le milieu collégial se réalisera avec aisance. En comparaison avec les décrocheur·se·s, les étudiant·e·s qui poursuivent leurs études collégiales jugent leur adaptation plus facile, leurs relations avec les professeur·e·s plus satisfaisantes et ils·elles ressentent un plus grand attachement envers leur établissement scolaire (Vezeau et Bouffard, 2009). Cette même recherche indique que les difficultés vécues par les nouveaux·elles collégien·ne·s sont liées à des dimensions personnelles plutôt qu’au contexte collégial. À la lumière de toutes ces informations, la présente étude cherche à répondre à la question suivante : Quels sont les principaux facteurs pouvant prédire l’adaptation des nouveaux·elles étudiant·e·s lors de la transition secondaire-collégial ?

2. Contexte théorique

2.1 Santé mentale et adaptation collégiale

Plusieurs nouveaux·elles étudiant·e·s au collège rapportent un faible niveau de santé mentale ainsi que des niveaux élevés de dépression et d’anxiété (Pryor, Hurtado, DeAngelo, Blake et Tran, 2010). D’ailleurs, ces deux troubles figurent parmi les problèmes de santé mentale les plus communs chez les collégien·ne·s (Eisenberg, Hunt, Speer, 2013 ; Nelson et Gregg, 2012). Des études récentes confirment que la transition secondaire-collégial se caractérise par une augmentation de la détresse psychologique et de la vulnérabilité affective et cognitive (Conley, Kirsh, Dickson et Bryant, 2014), alors qu’un faible niveau de symptômes dépressifs et anxieux favorise l’adaptation (Morton, Mergler et Boman, 2014). Les résultats d’une autre étude effectuée auprès de 14 175 collégien·ne·s réparti·e·s dans 26 campus indiquent des taux de prévalence de 17,3 % pour la dépression et de 7,0 % pour l’anxiété généralisée (Eisenberg et coll., 2013). Selon l’American College Health Association (2017), 60,9 % des collégien·ne·s déclarent s’être senti·e·s envahis par l’anxiété et 51,7 % disent avoir éprouvé un sentiment de détresse dans les deux dernières semaines, le dernier mois ou la dernière année. Cette même étude indique que la proportion des étudiant·e·s dont le rendement scolaire est affecté par la dépression et l’anxiété atteint respectivement 16,8 % et 25,1 %. Ibrahim, Kelly, Adams et Glazebourg (2013) ajoutent que la dépression représente un phénomène préoccupant chez les étudiant·e·s universitaires puisqu’elle affecte près du tiers d’entre eux (30,6 %). Enfin, une étude nationale épidémiologique étatsunienne montre que 12 % des individus âgés de 18 et 24 ans ont présenté des symptômes dans la dernière année pouvant conduire à un diagnostic de trouble anxieux (Arnett, 2015).

La dépression est associée non seulement à une plus faible adaptation au collège, mais elle influence aussi directement la persévérance pendant les études postsecondaires. En effet, ce trouble est lié au décrochage pendant les études collégiales chez plusieurs étudiante·s (Lewinsohn et Essau, 2002 ; Wintre et Bowers, 2007). De la même façon, les étudiante·s anxieux·ses vivent plus de difficultés lors de la transition au collégial (Jackson, Pancer, Pratt et Hunsberger, 2000), ils·elles obtiennent des résultats scolaires plus faibles (Silva, Dorso, Azhar et Renk, 2007/2008) et ils·elles sont plus à risque d’abandonner leurs études (Kennett et Reed, 2009).

2.2 Soutien social, identité vocationnelle et adaptation collégiale

Le soutien social représente un facteur de protection important lors de la transition au collégial (Friedlander, Reid, Shupak et Cribbie, 2007). Une perception positive du soutien de la famille favorise l’adaptation au collège (Hiester, Nordstrom et Swenson, 2009). Ainsi, les étudiant·e·s qui rapportent une détérioration de leur relation avec leurs parents au fil des années vivent une adaptation plus difficile dans différentes sphères de leur vie par comparaison aux jeunes adultes dont la relation se caractérise par une plus grande stabilité. Leur perception de soi et de leurs compétences scolaires est plus négative ; ils·elles obtiennent des résultats scolaires plus faibles et éprouvent de plus grandes difficultés d’adaptation sur les plans personnel et émotionnel au collège. Cette transition représente un défi majeur pour les adultes émergent·e·s et leurs parents, car elle engendre inévitablement des modifications de leur relation. Les parents doivent trouver l’équilibre entre continuer à offrir un soutien émotionnel à leur jeune adulte et favoriser une plus grande indépendance. Si le soutien est adéquat, le·la jeune adulte aura une meilleure perception de la relation avec ceux-ci (Larose et Boivin, 1998). D’un autre côté, les adultes émergent·e·s qui ressentent plus de colère et se sentent plus dépendante·s envers leurs parents se perçoivent plus négativement et déclarent avoir plus de difficultés d’adaptation (Hiester et coll., 2009). Zaleski, Levey-Thors et Schiaffino (1998) ont émis l’hypothèse que la perception d’un trop grand soutien provenant de la famille pouvait entraver la capacité du·de la jeune adulte à définir son rôle au collège et à devenir indépendant·e émotionnellement.

Les étudiant·e·s qui vivent difficilement la transition au collégial rapportent aussi de plus grandes déceptions dans le domaine des interactions sociales et de l’amitié (Langston et Cantor, 1989). Plusieurs études ont démontré que les relations avec les pairs sont reliées à l’adaptation collégiale, l’achèvement des études, le taux de rétention et le bienêtre des collégien·ne·s (Brooks et DuBois, 1995 ; Fass and Tubman, 2002 ; Zea, Jarama et Bianchi, 1995). Lors de la première année collégiale, les étudiant·e·s qui déclarent recevoir un plus grand soutien de la part de leurs pairs et qui ont des relations de qualité avec leurs ami·e·s obtiennent de meilleurs résultats scolaires (Ashwin, 2003 ; Dennis, Phinney et Chuateco, 2005 ; Lapsley, Rice et Fitzgerald, 1990), présentent de faibles niveaux de dépression et d’anxiété (Mounts, Valentiner, Anderson et Boswell, 2006) et rapportent moins de détresse (Rodriguez, Mira, Myers, Morris et Cardoza, 2003). Les relations positives avec les pairs procurent une occasion de développement et d’épanouissement personnels pendant cette importante transition (Schulenberg, Maggs et Hurrelmann, 1997).

Par ailleurs, la préparation à une carrière et la formation de l’identité vocationnelle constituent aussi un aspect fondamental dans le développement de l’identité globale (Erikson, 1968 ; Guerra et Braungart-Rieker, 1999). L’identité vocationnelle signifie posséder une vision claire de ses buts, intérêts et talents, en lien avec le projet professionnel (Holland, Gottfredson et Power, 1980). Les individus qui présentent de faibles habiletés pour se fixer des buts et surmonter les obstacles, un faible niveau d’émotions positives et une faible capacité à gérer les émotions sont plus susceptibles de vivre de plus grandes difficultés dans leur cheminement pour un choix de carrière (Hammond, Lockman et Boling, 2010). À l’opposé, une personne qui possède des buts de carrière et une orientation professionnelle mieux définis est plus apte à persister dans ses études et à réussir celles-ci (Hamilton et Hamilton, 2006). Des études ont montré qu’un haut niveau d’indécision face à sa carrière est associé à l’anxiété (Fuqua, Newman et Seaworth, 1988) et à la dépression (Saunders, Peterson, Sampson et Reardon, 2000). Skorikov (2007) ajoute qu’une meilleure préparation et une orientation de carrière positive sont associées à l’augmentation du bienêtre et à la diminution de la détresse.

La majorité des études recensées portant sur la transition secondaire-collégial et la santé mentale des collégien·ne·s se sont intéressées soit à la dépression (Dyson et Renk, 2006 ; Eberhart et Hammen, 2006 ; Lee, Dickson, Conley et Holmbeck, 2014), soit à l’anxiété (Siddique, LaSalle-Ricci, Glass, Arnkoff et Diaz, 2006). Certaines études ont intégré la dépression et l’anxiété dans leurs analyses sans toutefois faire de distinction claire entre les deux troubles et leurs conséquences respectives (Bewick, Koutsopoulou, Miles, Slaa et Barkham, 2010 ; Taylor, Doane et Eisenberg, 2014) et utilisent plutôt une variable de détresse (Besser et Zeigler-Hill, 2014 ; Kerr, Johnson, Gans et Krumrine, 2004) ou de bienêtre psychologique (Wintre et Bowers, 2007). Mounts et coll. (2006) ont analysé la dépression et l’anxiété séparément, mais n’ont pas lié ces troubles à l’adaptation collégiale. Ainsi, à ce jour, seule l’étude de Morton et coll. (2014) semble avoir eu comme objectif de distinguer les symptômes dépressifs et anxieux afin de vérifier s’ils se distinguent dans leur influence sur l’adaptation collégiale. Les résultats indiquent certaines différences entre les deux troubles. Toutefois, cette recherche ne s’est pas intéressée aux différents domaines de l’adaptation. Les études scientifiques ont aussi montré que le soutien des parents et des pairs ainsi que l’identité vocationnelle jouent un rôle déterminant dans l’adaptation collégiale et la réussite scolaire (Hamilton et Hamilton, 2006 ; Hiester et coll., 2009) et entretiennent des liens significatifs avec la dépression et l’anxiété (Fuqua et coll., 1988 ; Mounts et coll., 2006 ; Rodriguez et coll., 2003 ; Saunders et coll., 2000 ; Skorikov, 2007). Cependant, ces variables n’ont pas encore fait l’objet d’une intégration dans une même étude dans le but d’évaluer leur influence respective sur ces deux troubles en lien avec l’adaptation collégiale.

En ce sens, la présente étude contribue au développement des connaissances en analysant l’influence des symptômes dépressifs et anxieux, mesurés de façon distincte, sur l’adaptation collégiale globale, scolaire, personnelle/émotionnelle, sociale et sur l’attachement à l’établissement. De plus, le devis longitudinal utilisé permet de comparer l’influence des symptômes dépressifs et anxieux mesurés à deux reprises (cinquième secondaire et première année collégiale) sur l’adaptation collégiale, répondant à une limite des études précédentes dont la majorité a recueilli des données soit lors de l’été précédent l’entrée au collège (Bewick et coll., 2010 ; Eberhart et Hammen, 2006 ; Kerr et coll., 2004), soit une semaine avant le début du premier semestre (Lee et coll., 2014) ou encore au début de la première session au collège (Wintre et Bowers, 2007). Finalement, la mesure de plusieurs variables déterminantes dans l’adaptation collégiale, c’est-à-dire les symptômes dépressifs et anxieux, le soutien des parents et des ami·e·s ainsi que l’identité vocationnelle, représente un développement dans l’avancement des connaissances dans ce domaine d’étude.

2.3 Objectifs et hypothèses

Cet article a pour premier objectif d’analyser et de comparer la contribution de trois covariables, soit le soutien perçu des parents, le soutien perçu des pairs et l’identité vocationnelle sur l’adaptation collégiale. Le deuxième objectif est d’analyser et de comparer l’effet des symptômes dépressifs et anxieux mesurés en cinquième année du secondaire et en première année collégiale sur l’adaptation au-delà de la contribution du soutien parental, du soutien des pairs et de l’identité vocationnelle. Le troisième objectif consiste à vérifier les effets d’interaction entre les trois covariables et les symptômes dépressifs ou anxieux sur l’adaptation au collège.

En considérant les études précédentes qui ont comparé le soutien des parents et des pairs sur l’adaptation collégiale, il est tout d’abord envisagé qu’une perception positive du soutien des parents et des pairs favorise l’adaptation globale (Friedlander et coll., 2007). Toutefois, le soutien des pairs devrait aussi influencer plus fortement l’adaptation personnelle/émotionnelle, scolaire et sociale (Friedlander et coll., 2007) et l’attachement à l’établissement (Dennis et coll., 2005) que le soutien des parents. Il est également attendu qu’une identité vocationnelle mieux définie favorise en particulier l’adaptation scolaire ainsi que l’adaptation personnelle/émotionnelle (Robbins, Lese et Herrick, 1993). Deuxièmement, en tenant compte des résultats de l’étude de Morton et coll. (2014) qui indiquent qu’un faible niveau de symptômes dépressifs et anxieux favorise l’adaptation, une des hypothèses de la présente étude stipule que les symptômes dépressifs et anxieux sont tous deux associés à des capacités d’adaptation plus faibles chez les nouveaux·elles collégien·ne·s. Enfin, étant donné que plusieurs recherches ont démontré qu’une perception plus élevée du soutien des parents et du soutien des pairs et qu’une identité vocationnelle mieux définie contribuent à une diminution de symptômes dépressifs et anxieux (Fuqua et coll., 1988 ; Mounts et coll., 2006 ; Saunders et coll., 2000), il est attendu que ces trois facteurs viennent atténuer l’effet négatif des symptômes dépressifs et anxieux sur l’adaptation collégiale.

3. Méthodologie

3.1 Participants et procédure

Cette étude est réalisée auprès d’un échantillon québécois de 247 étudiant·e·s (143 filles et 104 garçons) inscrits en première année du collégial à l’automne 2009 et âgés en moyenne de 17,1 ans. Les participant·e·s proviennent de 39 écoles secondaires au temps 1 de l’étude et de 32 établissements d’enseignement collégial au temps 2. Tou·te·s les participant·e·s font partie d’une étude longitudinale de neuf ans débutée en 2003 alors qu’ils·elles étaient en 6e année de niveau primaire. L’échantillon initial comprenait 499 élèves dont 262 garçons et 237 filles provenant de douze écoles primaires publiques de la Commission scolaire des Patriotes (Rive-Sud de Montréal) et de la Commission scolaire de la Riveraine (région de Trois-Rivières) (Marcotte et Lemieux, 2014). Afin de pouvoir participer à l’étude, les élèves devaient avoir un niveau de lecture équivalent à la troisième année du primaire. Ainsi, les participant·e·s qui présentaient une déficience intellectuelle ou des troubles graves d’apprentissage ont été exclu·e·s. Au mois de juin 2009, 346 participant·e·s terminaient leur cinquième secondaire et 76 % d’entre eux·elles poursuivaient leurs études au cégep.

Les données de l’étude ont été recueillies à l’aide de questionnaires autoadministrés à l’automne de chaque année. Quand les participant·e·s étaient en cinquième année du secondaire, ils·elles ont rempli les questionnaires en classe lors de cours réguliers. Les étudiant·e·s du collégial ont été rencontré·e·s individuellement ou par petits groupes selon leurs disponibilités, à la bibliothèque de leur école ou en tout autre endroit à leur convenance.

3.2 Instruments

3.2.1 Variables indépendantes (mesurées aux temps 1 et 2 de l’étude)

Les symptômes dépressifs ont été mesurés par l’Inventaire de dépression de Beck, 2e édition (Beck, Steer et Brown, 1996). Ce questionnaire à choix multiples mesure la sévérité et la variation des symptômes dépressifs au cours des deux dernières semaines. Celui-ci comprend 21 items pour lesquels le·la participant·e doit choisir parmi quatre énoncés (cotés de 0 à 3) celui correspondant le plus à son état actuel (par exemple, 0- Je ne me sens pas triste ; 1- Je me sens très souvent triste ; 2- Je suis tout le temps triste ; 3- Je suis si triste ou si malheureux·se, que ce n’est pas supportable). Le résultat total se situe donc entre 0 et 63. Un score compris entre 0 et 14 correspond à un niveau faible de symptômes dépressifs, un score compris entre 15 et 19 démontre un niveau modéré de symptômes dépressifs alors qu’un score de 20 et plus indique un niveau sévère de symptômes dépressifs. Dans la présente étude, l’alpha de Cronbach est de 0,93 pour le temps 1 et de 0,92 pour le temps 2.

Les symptômes anxieux sont mesurés à l’aide de l’Inventaire d’anxiété de Beck (Beck, Epstein, Brown et Steer, 1988). Cet instrument mesure la sévérité et l’intensité des symptômes anxieux au cours de la dernière semaine. Il comprend 21 items (par exemple, « incapacité de se détendre » ; « crainte que le pire survienne ») évalués sur une échelle de Likert en 4 points : «  pas du tout  », «  un peu », « modérément » et « beaucoup ». Le questionnaire a été traduit en français par Freeston, Ladouceur, Thibodeau, Gagnon et Rhéaume (1994). Le score se calcule en faisant le total de chaque item auquel la cote 0 à 3 a été attribuée ; 0 correspondant à « pas du tout » et 3 correspondant à « beaucoup ». Le résultat total se situe entre 0 et 63. Un score compris entre 0 et 15 démontre un niveau faible d’anxiété, un score compris entre 16 et 25 correspond à un niveau modéré d’anxiété alors qu’un score compris entre 26 et 63 indique un niveau sévère d’anxiété. Dans la présente étude, l’alpha de Cronbach est de 0,91 pour le temps 1 et de 0,92 pour le temps 2.

3.2.2 Variables indépendantes (mesurées au temps 2 de l’étude)

Le soutien perçu des parents est mesuré par le Perceptions of Parents Scales (College-Student Scale, Robbins, 1994). Pour la présente étude, les sous-échelles « affection » (6 items) et « soutien à l’autonomie » (9 items) ont été utilisées, pour un total de 15 items. Ces items (par exemple, « Mon père [ou ma mère] me démontre clairement son amour pour moi », « Essaie de me dire comment mener ma vie ») sont évalués sur une échelle de Likert allant de 1 « pas du tout vrai » à 7 « tout à fait vrai ». Les corrélations entre les quatre échelles initiales de la perception du soutien parental (soutien à l’autonomie de la mère et du père, affection prodiguée par la mère et par le père) variant de 0,45 à 0,79 ont permis de créer une variable composite calculée en faisant la moyenne de ces quatre échelles. L’alpha de Cronbach est 0,93 pour cette variable.

Le soutien perçu des pairs est mesuré par le Perceived Social Support-Friends (Procidano et Heller, 1983). Ce questionnaire permet de déterminer si les besoins de soutien, d’information et de rétroaction sont satisfaits par les ami·e·s selon le·la répondant·e. Cette évaluation est basée sur la perception du soutien reçu. L’instrument a été traduit et validé en français (Sicotte, 1998). Il comprend 20 items (par exemple, « Mes amis sont sensibles à mes besoins personnels », « Je peux échanger en profondeur avec certains amis ») évalués sur une échelle de Likert allant de 1 « tout à fait vrai » à 7 « tout à fait faux ». Le résultat total se situe entre 0 et 140. Dans la présente étude, l’alpha de Cronbach est de 0,93.

L’identité vocationnelle est mesurée à l’aide d’une traduction maison de l’Échelle de l’identité vocationnelle (Vocational Identity Scale) (Holland, Daiger et Power, 1980). Cet instrument de mesure représente l’une des trois sous-échelles du questionnaire original « My Vocational Situation ». Il mesure le niveau d’engagement ainsi que la clarté des choix par rapport au plan de carrière. Il comprend 18 items devant être répondus par vrai ou faux (par exemple, « Je suis confus à propos de toute la question du choix de ma carrière. », « Je ne suis pas certain de la profession dans laquelle je me plairais. », « Je ne suis pas sûr de moi dans plusieurs sphères de la vie. »). Le score total se base sur la somme des items dont la réponse est « faux ». Plus le score est élevé, plus l’identité vocationnelle de l’individu est claire. Dans la présente étude, l’alpha de Cronbach est de 0,89.

3.2.3 Variables dépendantes (mesurées au temps 2 de l’étude)

L’adaptation collégiale est mesurée à l’aide du questionnaire Student Adaptation to College Questionnaire (Baker et Siryk, 1989). Cet instrument comprend 67 items séparés en quatre sous-échelles : l’adaptation personnelle/émotionnelle (par exemple, « Je me sens triste et maussade ces temps-ci »), l’adaptation scolaire (par exemple, « Je ne travaille pas autant que je le devrais à mes travaux scolaires »), l’adaptation sociale (par exemple, « J’ai eu des échanges détendus et personnels avec des enseignant(e)s du collège ») et l’attachement à l’établissement (par exemple, « Je suis maintenant satisfait(e) de fréquenter ce collège en particulier »). Tous les items sont évalués sur une échelle de Likert allant de 1 « ne s’applique pas du tout à moi » à 9 « s’applique parfaitement à moi ». Ce questionnaire a été traduit en français et validé auprès de collégiens québécois par Larose, Soucy, Bernier et Roy (1996). L’adaptation personnelle/émotionnelle concerne le bienêtre physique et psychologique de l’étudiant·e, alors que l’adaptation sociale mesure la capacité des étudiant·e·s à affronter divers aspects des relations interpersonnelles au collège. L’adaptation scolaire vérifie l’adaptation des étudiants vis-à-vis les exigences scolaires et l’échelle de l’attachement à l’établissement évalue le sentiment d’appartenance de l’étudiant·e à son collège. Dans la présente étude, l’alpha de Cronbach est de 0,92 pour l’échelle de l’adaptation scolaire, de 0,77 pour l’échelle de l’adaptation sociale, de 0,88 pour l’échelle de l’adaptation personnelle/émotionnelle, de 0,85 pour l’attachement à l’établissement et de 0,92 pour l’échelle de l’adaptation globale. Cette dernière échelle est calculée en additionnant le score des 67 items.

3.3 Méthode d’analyse des données

Dans un premier temps, des analyses préliminaires de corrélation ont été effectuées pour les deux années à l’étude (tableau 1) afin d’identifier les facteurs pouvant influencer l’adaptation des étudiant·e·s lors de leur première année au collège. Les résultats confirment que la presque totalité des variables est corrélée aux différentes dimensions de l’adaptation au collège, à l’exception des symptômes dépressifs et anxieux au temps 1 qui ne sont pas corrélés à l’attachement au collège. De même, le sexe est associé uniquement à la dimension personnelle/émotionnelle de l’adaptation au collège.

Tableau 1

Moyennes, écarts-types et corrélations entre les symptômes dépressifs (T1 et T2), les symptômes anxieux (T1 et T2), le soutien perçu des parents (T2), le soutien perçu des pairs (T2), l’identité vocationnelle (T2) et les échelles de l’adaptation collégiale pour la première année au collège (T2)

Moyennes, écarts-types et corrélations entre les symptômes dépressifs (T1 et T2), les symptômes anxieux (T1 et T2), le soutien perçu des parents (T2), le soutien perçu des pairs (T2), l’identité vocationnelle (T2) et les échelles de l’adaptation collégiale pour la première année au collège (T2)

n = 245 ; *< ,05, **< ,01

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Ensuite, des analyses de régression multiples hiérarchiques ont été réalisées afin d’étudier et de comparer l’importance de ces facteurs pour chaque dimension de l’adaptation collégiale et de vérifier le rôle modérateur du soutien social et de l’identité vocationnelle sur la relation entre la dépression et l’anxiété sur l’adaptation au collège. À la première étape (bloc 1), les covariables soutien perçu des parents, soutien perçu des pairs et formation de l’identité vocationnelle, mesurées au temps 2 ont été introduites dans l’analyse. Pour la deuxième étape (bloc 2), les variables symptômes dépressifs et symptômes anxieux mesurées au temps 1 (T1) de l’étude (cinquième année du secondaire) ont été intégrées. Dans un troisième temps (bloc 3), les variables symptômes dépressifs et symptômes anxieux mesurées au temps 2 (T2) de l’étude (première année collégiale) ont été ajoutées dans l’équation. La quatrième étape (bloc 4) a permis d’ajouter les différentes interactions entre les symptômes dépressifs ou anxieux, mesurés au temps 1, et le soutien perçu des parents, le soutien perçu des pairs et la formation de l’identité vocationnelle, mesurés au temps 2. Finalement, la dernière étape (bloc 5) est constituée des interactions entre les symptômes dépressifs ou anxieux, mesurés au temps 2, et le soutien perçu des parents, le soutien perçu des pairs et la formation de l’identité vocationnelle, mesurés également au temps 2. Le sexe a été intégré dans le modèle de régression uniquement pour l’adaptation personnelle/émotionnelle puisque les analyses préliminaires montraient un effet significatif uniquement pour ce domaine de l’adaptation. De ce fait, le sexe a été intégré dans un premier bloc du modèle de régression pour l’adaptation personnelle/émotionnelle et les autres variables ont été introduites dans les différents blocs selon l’ordre mentionné précédemment. Cinq analyses séparées ont ainsi été réalisées pour chacune des dimensions mesurées par le questionnaire de l’adaptation au collège de Baker et Siryk (1989) ainsi que pour le score global. Les résultats de ces analyses sont présentés au tableau 2. De plus, la section suivante présente les différents pourcentages de la variance totale des modèles de régression et de la contribution unique des variables significatives pour chaque dimension de l’adaptation collégiale.

4. Résultats

1.1 Dimensions de l’adaptation collégiale

En ce qui concerne l’adaptation scolaire, le modèle final de régression explique 52 % de la variance totale. L’analyse de la contribution unique des variables montre que les variables suivantes sont significatives et qu’elles expliquent individuellement une partie de la variance totale : le soutien perçu des parents (7 %), l’identité vocationnelle (18 %) et les symptômes dépressifs mesurés au temps 2 (près de 3 %).

Pour l’adaptation personnelle/émotionnelle, le modèle final explique 66 % de la variance totale. L’analyse de la contribution unique des variables montre que les variables suivantes sont significatives et expliquent individuellement une partie de la variance totale : le sexe (6 %), le soutien perçu des parents (9 %), le soutien perçu des pairs (2 %), l’identité vocationnelle (5 %), les symptômes dépressifs mesurés au temps 1 (près de 2 %), les symptômes anxieux mesurés au temps 1 (2 %), les symptômes dépressifs mesurés au temps 2 (8 %) et les symptômes anxieux mesurés au temps 2 (3 %).

Pour ce qui est de l’adaptation sociale, le modèle final explique 27 % de la variance. L’analyse de la contribution unique des variables montre que les variables suivantes sont significatives et qu’elles expliquent individuellement une partie de la variance totale : le soutien perçu des pairs (6 %), l’identité vocationnelle (5 %) et les symptômes dépressifs mesurés au temps 2 (1 %).

Pour l’attachement à l’établissement, le modèle final explique 28 % de la variance. L’analyse de la contribution unique de chaque variable démontre que le soutien perçu des parents contribue pour 4 % de la variance totale, alors que l’identité vocationnelle contribue à près de 7 % de la variance.

Finalement, pour l’échelle globale de l’adaptation collégiale, le modèle final de l’analyse de régression explique 60 % de la variance. L’analyse de la contribution unique des variables montre que les variables suivantes sont significatives et qu’elles expliquent individuellement une partie de la variance totale : le soutien perçu des parents (8 %), le soutien perçu des pairs (2 %), l’identité vocationnelle (15 %) et les symptômes dépressifs mesurés au temps 2 (4 %). Les symptômes dépressifs et anxieux mesurés au temps 1 ne sont pas significatifs s’ils sont considérés individuellement, mais ils prédisent ensemble 2 % de la variance.

4.1 Effets modérateurs

Les résultats des effets modérateurs des modèles de régression indiquent des effets significatifs pour cinq interactions. Ainsi, pour l’adaptation scolaire, l’interaction entre les symptômes anxieux au temps 2 et le soutien des parents ainsi que l’interaction entre les symptômes anxieux au temps 2 et le soutien des pairs expliquent chacune 1 % de la variance totale. Pour l’attachement à l’établissement, l’interaction entre les symptômes dépressifs mesurés au temps 2 et le soutien perçu des parents mesuré aussi au temps 2 ainsi que l’interaction entre les symptômes anxieux au temps 2 et l’identité vocationnelle au temps 2 expliquent chacune environ 2 % de la variance totale. En ce qui concerne l’adaptation globale, l’interaction entre les symptômes anxieux mesurés au temps 2 et le soutien perçu des parents mesuré aussi au temps 2 explique près de 2 % de la variance totale.

Tableau 2

Régressions multiples hiérarchiques pour prédire l’adaptation pendant la première année collégiale

Régressions multiples hiérarchiques pour prédire l’adaptation pendant la première année collégiale

*< .05, **p<.01 ; ∆R2 = changement de R2 après ajout de variables ; R2aj = R2ajusté ; E.S. = Erreur standard ; sr2 = corrélation par partie

1 En considérant les corrélations significatives, la variable sexe a été intégrée uniquement au modèle de l’adaptation personnelle/émotionnelle dans un bloc précédent le bloc 1.

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Afin de connaitre le sens des différentes interactions, des analyses complémentaires ont été effectuées en décomposant les trois covariables, soutien perçu des parents, soutien perçu des pairs et identité vocationnelle, selon un niveau faible ou élevé. Les résultats de ces analyses indiquent qu’une perception d’un soutien élevé des parents ou des pairs est associée à une adaptation scolaire plus faible chez les étudiant·e·s anxieux·ses. Dans le même sens, une perception d’un soutien parental très élevé semble nuire à l’attachement à l’établissement chez les étudiant·e·s plus déprimé·e·s. De plus, une identité vocationnelle moins définie est liée à un attachement à l’établissement plus faible chez les étudiant·e·s anxieux·ses.

5. Discussion

L’objectif principal de cette étude consistait à analyser l’influence de la santé mentale, du soutien social et de la formation de l’identité vocationnelle sur l’adaptation collégiale. Les résultats viennent confirmer les conclusions de plusieurs études antécédentes selon lesquelles tous ces facteurs sont associés à l’adaptation au collège. Cependant, la présente étude démontre que l’effet de ces variables varie selon les différentes dimensions de l’adaptation au collège.

5.1 Santé mentale et adaptation collégiale

De façon générale, les résultats indiquent que la présence de symptômes dépressifs et anxieux nuit à l’adaptation collégiale ; cela rejoint les conclusions de plusieurs études antérieures (Fazio et Palm, 1998 ; Halamandaris et Power, 1997 ; Morton et coll., 2014). Par contre, des différences marquées entre l’influence des symptômes de dépression et ceux d’anxiété ont été observées lorsque l’influence de ces derniers est considérée de façon distincte. En effet, l’analyse de la contribution unique de chaque variable suggère que les symptômes dépressifs, lorsqu’ils sont comparés aux symptômes anxieux, prédisent plus étroitement l’adaptation. Ainsi, les résultats révèlent que les symptômes dépressifs expliquent la majorité des dimensions de l’adaptation au collège, alors que l’anxiété apparait être associée exclusivement à la dimension personnelle/émotionnelle.

L’influence plus marquée des symptômes dépressifs par rapport aux symptômes anxieux sur les autres indices de l’adaptation pourrait s’expliquer de deux façons. Premièrement, il est important de rappeler qu’un faible niveau d’engagement envers des buts personnels caractérise la dépression. Par ailleurs, certains auteurs soulignent que la motivation et l’engagement envers les études représentent une des attitudes fondamentales pour une adaptation collégiale réussie (Métayer, 1991 ; Tinto, 1993). Les étudiant·es déprimé·e·s présenteraient donc de plus grandes difficultés d’adaptation que les étudiant·e·s anxieux·ses, car ils·elles ne parviendraient pas à bien identifier leurs buts personnels par rapport à leurs études collégiales et à se mobiliser afin d’atteindre ceux-ci. Deuxièmement, le modèle tripartite de Clark et Watson (1991) propose que la détresse générale soit un trait commun à la dépression et à l’anxiété, mais que le déficit sur le plan des émotions positives soit associé uniquement à la dépression. De ce fait, la difficulté à ressentir du plaisir et de l’intérêt ainsi que le manque d’enthousiasme empêcheraient les collégien·ne·s présentant des symptômes dépressifs de bien s’adapter au collège. Bien que les étudiant·e·s anxieux·ses puissent aussi ressentir un niveau de stress élevé face à la transition secondaire-collégial, ils auraient tout de même des émotions plus positives vis-à-vis de celle-ci, ce qui leur permettrait de mieux s’adapter à leur nouveau mode de vie.

Finalement, les variables proximales possèdent une influence plus importante que les variables distales dans l’adaptation des nouveaux·elles collégien·ne·s. En effet, les symptômes intériorisés (dépression et anxiété) ressentis lors de la première année collégiale (variables proximales) prédisent plus fortement l’adaptation que les symptômes intériorisés à la fin des études secondaires (variables distales). Ces résultats s’avèrent intéressants, car ils montrent, d’une part, que l’adaptation au collège peut être prédite par la présence de symptômes intériorisés, en particulier par les symptômes dépressifs et, d’autre part, que ces symptômes influencent certains domaines de l’adaptation collégiale dès la fin du secondaire. Par conséquent, ils indiquent l’importance d’instaurer des programmes de prévention et d’intervention ciblant la diminution des symptômes dépressifs et anxieux et l’augmentation du bienêtre psychologique des étudiant·e·s dès la dernière année de l’école secondaire et de poursuivre les interventions au début des études collégiales afin de contribuer à leur adaptation. En ce sens, le programme Zenétudes visant la gestion de l’anxiété et la prévention de la dépression chez les collégien·nes constitue un outil intéressant pour les intervenante·s et les étudiant·e·s. Ce programme prometteur fait déjà l’objet d’une expérimentation dans un établissement collégial québécois et pourrait être implanté également dans les écoles secondaires dans un proche avenir (Marcotte, Viel, Paré et Lamarre, 2016).

5.2 Soutien social et adaptation collégiale

De façon générale, les résultats de la présente étude confirment l’hypothèse selon laquelle le soutien social provenant des parents et des pairs contribue positivement à l’adaptation au collège. Tout d’abord, les résultats témoignent du rôle essentiel des parents dans les capacités d’adaptation des adultes émergent·e·s (Conseil supérieur de l’éducation, 2010 ; Ratelle, Larose, Guay et Sénécal, 2005). En effet, le soutien parental est lié autant à l’adaptation scolaire, personnelle/émotionnelle qu’à l’attachement à l’établissement, alors que le soutien des pairs est associé plus spécifiquement à l’adaptation sociale. En ce sens, les deux types de soutien semblent être complémentaires puisqu’ils influencent des dimensions différentes de l’adaptation. Toutefois, en considérant la seule adaptation globale, le soutien des parents détient une place plus importante que le soutien des pairs. Ce dernier résultat vient appuyer les conclusions de l’étude longitudinale de Hiester et coll. (2009) qui rapporte qu’une détérioration de la relation entre les adultes émergent·e·s et leurs parents influence négativement leur adaptation collégiale. L’ensemble des résultats diffère des constats de Friedlanler et coll., (2007) selon lesquels le soutien de la famille influence seulement la mesure globale de l’adaptation, alors que le soutien des pairs prédit autant l’adaptation sociale, personnelle/émotionnelle que l’adaptation globale. Cette différence dans les résultats s’explique sans doute par le fait que la majorité des participant·e·s québécois·es de la présente étude poursuivent leur scolarité au collégial tout en demeurant chez leurs parents, alors que plus de 80 % des étudiant·e·s canadien·nes faisant partie de la recherche de Friedlander et coll. (2007) vivent en résidence. Cela fait ressortir une différence importante entre les systèmes d’éducation : au contraire des systèmes d’éducation canadien et étatsunien, le système collégial du Québec offre pour plusieurs adultes émergent·e·s la chance de faire leurs études sans avoir à quitter le domicile familial. Smojver-Azic, Dorcic et Zivcic-Becirevic (2015) soulignent que les adultes émergent·e·s qui restent encore à la maison montrent une meilleure adaptation émotionnelle au collège. Le soutien parental serait donc davantage lié à l’adaptation des nouveaux·elles collégien·ne·s qui vivent toujours sous le même toit que leurs parents, alors que le rôle des ami·e·s serait plus significatif pour les étudiant·e·s qui ne peuvent recevoir ce soutien de la part de leur famille. À cet égard, l’étude de Buote Pancer, Pratt, Adams, Birnie-Lefcovitch, Polivy et Gallander Wintre (2007) montre que le soutien des pairs est plus significatif pour les étudiant·es qui vivent en résidence.

Il n’est pas surprenant que le soutien des pairs soit associé plus particulièrement à une adaptation sociale positive puisque ce domaine est lié aux habiletés sociales, à la participation aux activités sociales du collège et à la confiance en soi sur le plan social (Baker et Siryk, 1989). En ce sens, ce résultat vient aussi corroborer les conclusions de l’étude de Mattanah, Ayers, Brand, Brooks, Quimby et McNary (2010) qui indiquent qu’un programme d’intervention favorisant l’affiliation à un groupe de pairs augmente l’adaptation sociale des nouveaux·elles collégien·e·s. D’ailleurs, la majorité des programmes de prévention tant pour la dépression que pour l’anxiété incluent des composantes d’enseignement d’habiletés sociales et de communication. Les étudiant·e·s qui n’ont pas la chance de bénéficier du soutien de leurs pairs pourraient se sentir insatisfait·e·s de leur transition au collégial (Langston et Cantor, 1989 ; Tinto, 1993).

Il peut paraitre tout de même étonnant que le soutien des parents occupe une place aussi importante dans les capacités d’adaptation des nouveaux·elles collégien·nes, alors que cette période de la vie est caractérisée par le détachement des adultes émergent·e·s envers leurs parents. Ces résultats ne s’accordent pas avec les résultats obtenus par Dennis et coll. (2005), lesquels indiquent que le soutien des ami·e·s représente un meilleur prédicteur de l’adaptation au collège que le soutien de la famille. Toutefois, cette dernière étude s’est intéressée au lien entre le soutien social et l’adaptation collégiale chez une population composée uniquement de nouveaux·elles étudiant·e·s faisant partie d’une première génération familiale à atteindre ce niveau scolaire. Il serait donc possible que le soutien parental apparaisse plus important que le soutien des pairs pour les adultes émergente·s dont les parents possèdent une meilleure connaissance du collège pour y avoir eux-mêmes étudié. Il faut aussi considérer que les données de la présente étude ont été recueillies lors du premier semestre collégial. Le soutien des pairs pourrait s’avérer de moindre importance dans les autres domaines de l’adaptation au début des études collégiales, car la formation d’un nouveau réseau social pouvant apporter un soutien significatif nécessiterait plus de temps. Ainsi, l’affiliation à un groupe de pairs contribuerait à l’adaptation collégiale globale et favoriserait la réussite et l’achèvement des études collégiales à plus long terme (Mattanah et coll., 2010). En ce sens, Ashwin (2003) affirme que le soutien des amis influence positivement le rendement scolaire des étudiant·e·s et leur réussite lors des examens de fin d’année.

D’un autre côté, les résultats de l’étude de Wilson, Mason et Ewing (1997) indiquent que le taux de rétention a augmenté de 14 % chez les étudiant·e·s qui ont bénéficié d’un suivi avec un tuteur de leur collège. Le tutorat représenterait même le facteur le plus déterminant pour contrer le décrochage chez les étudiant·e·s souffrant de troubles psychiatriques (Weiner et Weiner, 1997). À la lumière de ces derniers résultats, il serait pertinent d’examiner, dans une prochaine étude, le soutien offert par un·e adulte significatif·ve autre que les parents, tel qu’un·e tuteur·rice ou un·e enseignant·e puisque celui·celle-ci contribuerait à l’adaptation et au bienêtre des collégien·ne·s. Les enseignant·es ou les tuteur·rice·s pourraient jouer un rôle tout aussi significatif que les parents et les ami·e·s dans la diminution de l’impact négatif des symptômes dépressifs et anxieux sur l’adaptation au collège.

Enfin, il est intéressant de souligner les résultats de certaines interactions de la présente étude qui indiquent qu’une perception d’un soutien des parents et des pairs très élevé est associée à une adaptation plus faible sur le plan scolaire chez les étudiant·e·s anxieux·ses. Ces données semblent appuyer les propos de Hiester et coll. (2009), selon lesquels les jeunes adultes qui se sentent plus dépendant·e·s envers leurs parents présentent des difficultés d’adaptation. Toutefois, il est important de rappeler que ces effets d’interactions sont plutôt faibles.

5.3 Identité vocationnelle et adaptation collégiale

Les résultats de la présente étude font ressortir l’importance indéniable du processus découlant de la formation de l’identité vocationnelle puisque celle-ci est associée étroitement à tous les domaines de l’adaptation collégiale. Ces résultats viennent appuyer les conclusions de l’étude de Skorikov (2007) qui signalent le rôle essentiel de la préparation à la carrière dans le bienêtre psychologique et l’intégration sociale. Dans le même sens, Erikson (1968) précise que l’identité vocationnelle fait partie intégrante du développement de l’identité globale contribuant à l’adaptation psychosociale. Ainsi, la formation de l’identité vocationnelle irait bien au-delà du choix de trouver un métier intéressant. Il est important de signaler que l’identité vocationnelle représente un des facteurs qui prédit le plus fortement l’adaptation scolaire, puisque cet indice est lié aux buts, à la motivation et aux efforts pour atteindre ceux-ci ainsi qu’à la réussite des études. De ce fait, une personne qui possède des buts de carrière et une orientation professionnelle mieux définis est plus susceptible de persister dans ses études et de réussir celles-ci (Hamilton et Hamilton, 2006).

En considérant ces résultats, il serait possible de croire que tous les étudiant·e·s indécis·es vivent une plus grande détresse psychologique incluant la dépression et l’anxiété. Pourtant, selon l’étude de Guay, Ratelle, Senécal, Larose et Deschênes (2006), plus de la moitié des étudiant·e·s (52 %) demeurent indécis·es face à leur carrière future lors de l’entrée au collège, alors que les symptômes dépressifs et anxieux ne sont pas présents chez un aussi grand nombre d’étudiant·e·s. L’indécision vis-à-vis de la carrière constituerait donc, comme le suggèrent certaines études, un processus nécessaire et approprié dans le développement pouvant être associé à des résultats positifs (Arnett, 2004 ; Kelly et Pulver, 2003 ; Krieshok, 1998). De ce fait, l’incapacité à décider de sa carrière pendant l’adolescence n’empêcherait pas les jeunes de développer leur autonomie et une bonne santé émotionnelle pendant la transition à l’âge adulte (Peterson, 2002). L’indécision ne serait donc pas perçue ou vécue de façon similaire chez tou·te·s les nouveaux·elles collégien·ne·s, ce qui correspond aux conclusions de l’étude de Santos et Ferreira (2012) selon lesquelles les étudiant·e·s indécis·es ne forment pas un groupe homogène. Les étudiant·es qui ne ressentent pas de détresse psychologique face à leur indécision pourraient posséder certains traits de caractère constituant des facteurs de protection. En ce sens, une étude récente montre que les nouveaux·elles collégien·ne·s qui font preuve d’optimisme et d’espoir ressentent moins de détresse psychologique lors de leur entrée au collège (Besser et Zeigler-Hill, 2014). Ces collégien·ne·s indécis·es ne se sentiraient pas démuni·e·s, car ils·elles resteraient convaincu·e·s de leurs capacités à identifier et à atteindre leurs buts professionnels.

D’un autre côté, une attention particulière doit être apportée aux étudiant·e·s dont l’indécision s’accompagne de problèmes de santé mentale tels que des symptômes dépressifs et anxieux, car ceux-ci pourraient être associés à des difficultés importantes dans la formation de leur identité vocationnelle et leur choix de carrière (Hammond et coll., 2010). Cette analyse vient appuyer les suggestions de Kelly et Pulver (2003) selon lesquelles les individus semblent avoir besoin d’être non seulement guidés dans leur choix de carrière, mais également d’être soutenus afin de développer leur estime de soi et leur capacité à prendre des décisions leur permettant ainsi de mieux s’adapter pendant leurs études collégiales. À cet égard, il est pertinent de rappeler que l’identité vocationnelle semble favoriser l’attachement à l’établissement chez les étudiant·e·s anxieux·ses.

6. Conclusion

La présente étude avait pour objectif principal d’analyser l’influence des symptômes dépressifs et anxieux, du soutien perçu des parents, du soutien perçu des pairs et de l’identité vocationnelle sur l’adaptation collégiale. L’échantillon était composé de 247 étudiant·e·s inscrit·e·s en première année du collégial et les données ont été recueillies à l’aide de questionnaires autoadministrés. Il est important de tenir compte que les instruments psychométriques utilisés pour mesurer les symptômes dépressifs et anxieux ne permettent pas un diagnostic de dépression majeure ou de trouble anxieux. Les résultats ne peuvent donc pas être généralisés à une population clinique d’adultes émergent·e·s diagnostiqué·e·s dépressif·ve·s et anxieux·ses. En ce qui concerne les trois covariables, soit le soutien perçu des parents, le soutien perçu des pairs et l’identité vocationnelle, il aurait été intéressant d’analyser leur évolution entre la fin des études secondaires et les études collégiales afin de mieux cibler les changements liés à ces facteurs pendant cette période. Cependant, il n’a pas été possible de recueillir de telles informations pour la cinquième année du secondaire.

Par ailleurs, les résultats de la présente étude suscitent un intérêt particulier pour la compréhension des variables associées à l’adaptation collégiale puisque les modèles statistiques analysés comprenant les cinq variables mentionnées précédemment peuvent prédire 60 % de la variance de l’adaptation totale et entre 27 % et 66 % de la variance des différentes dimensions de l’adaptation. Ces résultats révélateurs permettent donc d’identifier plusieurs facteurs liés à l’adaptation des étudiant·e·s lors de la transition secondaire-collégial et de cibler les ressources et les interventions adéquates pour favoriser la réussite scolaire des collégien·ne·s et l’obtention de leur diplôme. En ce sens, les résultats indiquent l’importance de se préoccuper de la santé mentale des étudiant·e·s, particulièrement de la présence de symptômes dépressifs, dès la fin des études secondaires et soulignent la pertinence d’instaurer des programmes de prévention et d’intervention qui portent une attention particulière à la formation de l’identité vocationnelle afin de favoriser l’adaptation collégiale future. Enfin, les résultats des interactions entre le soutien des parents et les symptômes dépressifs et anxieux sur l’adaptation montrent que la perception d’un soutien parental très élevé peut nuire à l’adaptation collégiale chez les étudiant·e·s présentant des troubles intériorisés. Toutefois, cette étude ne permet pas d’identifier les éléments spécifiques faisant partie de ce type de soutien qui peuvent avoir des conséquences négatives chez les collégien·ne·s anxieux·ses ou déprimé·e·s. Ces résultats représentent donc une avenue intéressante pour de futures recherches, particulièrement dans une société où les parents occupent une place aussi importante dans la vie des adultes émergent·e·s.