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1. Introduction et problématique

Le harcèlement scolaire, souvent aussi désigné sous le terme d’« intimidation », est une source de souffrance pour de nombreux·ses enfants et adolescent·e·s (Debarbieux, 2011 ; Zych, Ortega-Ruiz et Del Rey, 2015). Parmi les réponses proposées face à ce phénomène, la médiation, et la médiation par les pairs en particulier, figure souvent en bonne place (Bonafé-Schmitt, 2000 ; Rigby, 2014). Si les tenant·e·s de cette démarche ont des arguments théoriques à faire valoir, d’autres spécialistes émettent de solides réserves quant à son usage en cas de harcèlement, notamment pour des raisons éthiques. Il est également important de savoir si, dans la pratique, la médiation par les pairs est efficace ou non pour mettre un terme au harcèlement entre élèves. L’objectif de cet article est de synthétiser les arguments théoriques, éthiques et empiriques en faveur et en défaveur du recours à la médiation par les pairs dans les situations de harcèlement en contexte scolaire.

Nous commencerons par rappeler quelques informations concernant la définition, la prévalence et les conséquences du harcèlement, puis par expliciter les principes de la médiation par les pairs. Nous discuterons ensuite des arguments théoriques et éthiques liés à l’usage de cette démarche en cas de harcèlement. Après cela, nous entrerons dans le coeur du sujet en passant en revue les études empiriques qui ont tenté d’évaluer l’efficacité de la médiation par les pairs, en cas de harcèlement, mais aussi dans d’autres situations. Nous décrirons plus en détail le contenu et les résultats du programme Vers le pacifique, largement diffusé dans le monde francophone. Au terme de ce parcours, nous pourrons dresser un bilan de l’état des connaissances et formuler des recommandations pratiques concernant le recours à la médiation par les pairs face au harcèlement.

1.1 Le harcèlement scolaire

Le harcèlement scolaire est une relation d’abus ou de maltraitance au sein de laquelle une personne subit de manière répétée des actes négatifs délibérés de la part d’une ou plusieurs autres personnes sans savoir comment y mettre fin (Olweus, 1993). Cette définition reprend les trois éléments caractérisant le harcèlement scolaire : l’intention de nuire à autrui, la répétition des faits et le déséquilibre de pouvoir entre les protagonistes. Dans les faits, le harcèlement entre élèves peut se marquer par des comportements très variés. Ce n’est pas leur forme qui définit le harcèlement scolaire, mais bien la nature de la relation qui se crée entre les élèves impliqué·e·s (Galand, 2017).

Bien qu’il existe des variations assez importantes dans les taux de harcèlement suivant les pays et suivant les instruments de mesure utilisés, le harcèlement est un phénomène qui touche un nombre important d’élèves, et ce, partout dans le monde. Chester, Callaghan, Cosma, Donnelly, Craig, Walsh et Molco (2015) ont, par exemple, mesuré les taux de victimisation des élèves de 11-15 ans dans 33 pays différents. En 2010, environ 13 % des élèves en Suisse, 14 % en France, 15 % au Canada et 22 % en Belgique francophone se sont fait harceler au moins deux ou trois fois dans les derniers mois.

En plus d’être fréquent, le harcèlement scolaire est un phénomène aux conséquences graves. Les personnes victimes de harcèlement scolaire ont une probabilité plus élevée de présenter des troubles psychosomatiques (Gini et Pozzoli, 2009) et de vivre de l’anxiété, de la peur et de la dépression, et ce, parfois encore des années après avoir subi du harcèlement (Reijntjes, Kamphuis, Prinzie et Telch, 2010). Les conséquences négatives ne s’arrêtent pas aux victimes. Le fait d’avoir été auteur·e de harcèlement est associé à des risques plus élevés de blessures, d’idées suicidaires, de délinquance, de consommation d’alcool et de drogue, de grossesse adolescente et d’implication dans des situations de violences conjugales (Ttofi, Farrington et Lösel, 2012). Le sort le moins favorable est celui des élèves qui sont à la fois victimes et auteur·e·s de harcèlement scolaire et qui cumulent les conséquences négatives (Galand, Dernoncourt et Mirzabekian, 2009 ; Stassen Berger, 2007). Même les élèves qui sont uniquement témoins de ces situations ne sont pas épargné·s (Janosz, Pascal et Galand, 2012).

Face à ces constats se pose la question de savoir comment agir efficacement contre le harcèlement scolaire. Pour lutter contre ce phénomène, les écoles utilisent tant des stratégies préventives, visant à empêcher l’apparition de situations de harcèlement, que des stratégies réactives, visant à mettre un terme aux cas de harcèlement ayant lieu (Rigby, 2014). Actuellement, un accent est mis sur la prévention du harcèlement scolaire. Cependant, celle-ci a une efficacité limitée. Selon la récente méta-analyse de Gaffney, Ttofi et Farrington (2019), les programmes de prévention sont associés à une diminution d’environ 15-20 % du harcèlement scolaire. Ce résultat montre bien que, même si un travail de prévention important est fait, des cas de harcèlement auront toujours lieu et il est nécessaire de savoir comment les gérer. Parmi les réactions les plus souvent utilisées, on retrouve la médiation par les pairs (Rigby, 2014).

1.2 La médiation par les pairs

Le terme « médiation » est entouré d’un certain flou terminologique (Guillaume-Hofnung, 2015) et regroupe dans les faits un nombre important de pratiques différentes (de Briant et Palau, 2005). Six (1990) propose de définir la médiation comme suit :

Une action accomplie par un tiers, entre des personnes ou des groupes qui y consentent librement, y participent et auxquels appartiendra la décision finale, destinée soit à faire naitre ou renaitre entre eux des relations nouvelles, soit à prévenir ou guérir entre eux des relations perturbées.

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La médiation scolaire est, elle aussi, difficile à définir étant donné ses multiples facettes (Bonafé-Schmitt, Dahan, Salzer, Souquet et Vouche, 2003). Nous pouvons toutefois dire que, comme pour toute médiation, il s’agit d’un processus structuré dans lequel un tiers neutre et impartial assiste deux personnes ou plus dans la négociation d’une résolution intégrative de leur conflit (Pingeon, 2007). Ce tiers neutre peut être un·e enseignant·e, un·e conseiller·ère/psychologue ou un·e autre élève (Cohen, 2005 ; cité dans Nickerson et Rigby, 2017). C’est dans ce dernier cas qu’on parle de médiation par les pairs. La médiation par les pairs peut être utilisée seule ou être intégrée à un programme plus large de résolution de conflits (Bowen, Desbiens, Janosz, et Bélanger 2007). Concrètement, comme décrit par Adigüzel (2015) et Rigby (2014), une séance typique de médiation par les pairs se déroule comme ceci :

  • Ouverture de la séance : Les élèves en conflit et la·le médiateur·rice se présentent, la·le médiateur·rice explique le but de la médiation, décrit son processus et énonce les règles à respecter (ne pas interrompre, parler de l’autre avec respect, et décrire le problème de son point de vue sans blâmer ou accuser l’autre).

  • Identification du problème et récolte d’informations : Chacun à son tour, les participant·e·s racontent leur version de l’histoire sans se faire interrompre.

  • Concentration sur les points communs : Les buts de chacun sont clarifiés et les points communs identifiés.

  • Production de solutions : Généralement via un remue-méninge, les participant·e·s essaient de trouver le plus de solutions possible à leur problème.

  • Évaluation des options et choix d’une solution : Les propositions qui ont été notées sont passées en revue afin de trouver une solution acceptable pour les deux parties, une solution qui répond aux besoins de chacun.

  • Mise au point d’un accord et engagement envers celui-ci : Un accord final reprenant les rôles et responsabilités des deux élèves en conflit est signé par elles·eux-mêmes ainsi que par la·le médiateur·rice.

Il peut évidemment exister des variations à ce schéma classique. La·le lecteur·rice intéressé·e trouvera des exemples de médiations par les pairs, ainsi que davantage de détails sur le déroulement d’une séance de médiation, sur les principes de la médiation par les pairs et les techniques utilisées, sur la sélection et la formation des médiateur·rice·s (Bonafé-Schmitt et coll., 2003). Pour davantage d’informations sur les référents théoriques, la nature, les caractéristiques, etc. de la médiation en général, nous conseillons d’aller consulter l’ouvrage de Guillaume-Hofnung (2015).

2. Contexte théorique

2.1 Arguments théoriques liés à l’utilisation de la médiation par les pairs

Si la médiation par les pairs suscite un engouement important, c’est parce qu’elle pourrait avoir de nombreux avantages. Il s’agit d’une méthode de gestion des conflits qui permettrait de responsabiliser les élèves, de les éduquer à la gestion pacifique des conflits et, de façon plus générale, à la citoyenneté, et qui offrirait une solution de remplacement aux formes traditionnelles d’autorité parfois inadaptées et inefficaces (Diaz et Liatard-Dulac, 1999 ; Pingeon, 2007). En outre, dans le cadre du harcèlement scolaire plus spécifiquement, un avantage de la médiation par les pairs, comme son nom l’indique, est qu’elle s’appuie sur les pairs. Or, ceux-ci ont une position privilégiée pour agir étant donné qu’ils sont proches des élèves médié·e·s par leur âge et par leur statut (Usó, Villanueva et Adrián, 2016) et qu’ils possèdent une connaissance directe du réseau relationnel complexe du groupe de pairs (Cowie, 2014). De plus, il est montré que la façon dont les témoins réagissent face aux situations de harcèlement scolaire aura un impact important sur le maintien ou non de celles-ci. Selon l’approche du rôle des participant·e·s (Salmivalli, Lagerspetz, Björkvist, Osterman et Kaukiainen, 1996), les témoins de situation de harcèlement peuvent se comporter de façon à renforcer le harcèlement (par exemple, rire face à la situation), de façon à assister l’élève qui harcèle (par exemple, participer directement au harcèlement initié par une autre personne), de façon à défendre l’élève qui se fait harceler (par exemple, essayer de mettre fin à la situation) ou encore de façon à rester en dehors de la situation (par exemple, faire semblant de ne rien voir). Les rôles adoptés par les élèves témoins ont une influence sur la persistance ou non du harcèlement. Il arrive très rarement qu’elles·ils agissent directement pour aider l’élève victime, mais, lorsqu’elles·ils ou elles le font, le harcèlement tend à rapidement prendre fin (Hawkins, Pepler et Craig, 2001). Cela illustre bien que les élèves non impliqué·e·s dans le harcèlement ont un rôle à jouer, rôle qui pourrait passer par la médiation par les pairs. Finalement, la médiation par les pairs pourrait être une bonne réponse aux cas de harcèlement parce que les caractéristiques des élèves impliqué·e·s dans ces situations sont justement prises en compte par la médiation par les pairs (Cremin, 2001). Ces caractéristiques seraient, pour les élèves victimes de harcèlement, de l’insécurité, un manque d’ami·e·s, de la timidité et le fait d’être différent·e et, pour les auteur·e·s de harcèlement, un manque de chaleur dans les relations familiales ainsi qu’un besoin important de pouvoir, de dominance et de prestige.

Toutefois, selon d’autres auteur·e·s, les situations de harcèlement se prêtent mal à la médiation par les pairs, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, Cohen (2002) explique que les caractéristiques des élèves impliqué·e·s seraient au contraire des obstacles à la médiation, les élèves victimes de harcèlement éprouvant généralement des difficultés à défendre leurs propres intérêts, et celles·ceux auteur·e·s de harcèlement ayant souvent du mal à assumer la responsabilité de leurs actes ainsi qu’à éprouver de l’empathie pour leur victime. Rigby (2014) ajoute que dans les cas de harcèlement, spécialement si celui-ci est sévère, il est difficile de trouver un·e médiateur·rice totalement neutre. De plus, alors que la médiation fonctionne sur le principe de participation volontaire, les personnes qui harcèlent sont généralement satisfaites de leur situation et donc non désireuses de participer à une médiation (Rigby, 2014 ; Tolmatcheff, Galand et Roskam, 2018). À ce propos, les résultats de Karan et Theberge (2004) sont intéressants. Ces auteures ont réalisé une étude qualitative portant sur un programme de médiation par les pairs. L’analyse des propos des élèves, enseignant·e·s et parents leur a permis d’identifier plusieurs facteurs limitant le succès des séances de médiation. Un de ces facteurs était le déséquilibre de pouvoir dans la relation entre les deux participant·e·s, l’idée étant qu’il serait difficile, intimidant ou effrayant pour la personne dans une position inférieure d’entreprendre une médiation par peur de moqueries ou de représailles, tandis que la personne dans une position supérieure aurait peu de motivation à lancer ou accepter une médiation (Karan et Theberge, 2004). Or, comme expliqué précédemment, le harcèlement est justement caractérisé par un déséquilibre de ce type. Finalement, même si les pairs ont un rôle important à jouer, il ne faut pas négliger celui des adultes. Les enseignant·e·s, plus spécifiquement, peuvent être considéré·e·s comme les agent·e·s principaux·ales de la lutte contre le harcèlement scolaire (Kallestad et Olweus, 2003). Lorsqu’elles·ils réagissent de manière adaptée (par exemple, en séparant les élèves), leurs interventions sont efficaces pour mettre un terme aux situations de harcèlement (Troop-Gordon et Ladd, 2015). Il pourrait être préférable de mettre en place des formations pour apprendre aux enseignant·e·s comment réagir efficacement face au harcèlement scolaire plutôt que de donner cette responsabilité aux élèves.

2.2 Arguments éthiques liés à l’utilisation de la médiation par les pairs

Outre ces questions théoriques, l’usage de la médiation dans le contexte du harcèlement, qu’il s’agisse d’une médiation par un pair ou par un adulte, est contesté par certain·e·s auteur·e·s pour des raisons éthiques. C’est par exemple le cas de Richard Cohen, le fondateur et directeur de la School Mediation Associates, qui s’oppose vivement à l’utilisation de la médiation en cas de harcèlement dans une lettre nommée Stop mediating these conflicts now! (Cohen, 2002). C’est également le cas d’Englander (2005), de Limber (2002, 2004) ou de Philipson (2011). Leur argument de base est que le but de la médiation est de résoudre un conflit entre deux parties égales. Or, selon ces auteur·e·s, comme un des éléments qui caractérisent le harcèlement est le déséquilibre de pouvoir dans la relation, il ne devrait pas être considéré comme un conflit, pas plus que la maltraitance à l’égard des enfants ou les violences domestiques ne devraient l’être. Selon Cohen (2002), dans le cas d’une relation aussi asymétrique que celle entre harceleur·se et victime, il est inapproprié de proposer une médiation, surtout si aucune autre mesure n’a été prise en réaction aux comportements de harcèlement. Agir de la sorte reviendrait à tolérer implicitement de tels comportements. Limber (2002) le rejoint sur ce point en expliquant que l’utilisation de la médiation dans les cas de harcèlement envoie des messages inappropriés du type « Vous avez tous les deux partiellement tort et partiellement raison » ou « Vous devez résoudre ce conflit entre vous ». Les messages adéquats à faire passer dans ces situations seraient plutôt, pour l’élève qui harcèle, « Ton comportement est inapproprié et ne sera pas toléré » et, pour celle ou celui qui se fait harceler, « Personne ne mérite de se faire harceler et nous allons faire tout ce que nous pouvons pour y mettre fin ». En plus d’envoyer des messages inappropriés aux élèves, se retrouver en face de son agresseur·se peut être une expérience très dure à vivre pour l’élève victime et constituer une sorte de victimisation en tant que telle (Limber, 2002). Englander (2005) et Philipson (2011) font le parallèle entre le harcèlement et les violences conjugales. Dans les deux cas, la relation entre la victime et son agresseur·se est caractérisée par un déséquilibre de pouvoir qui reste présent pendant la médiation. Fischer, Vidmar et Ellis (1993) se sont intéressé·e·s à la médiation dans le cas des violences conjugales et expliquent que l’agresseur·se pourrait utiliser sa culture de domination pendant le processus de médiation afin de s’assurer d’obtenir une issue qui lui est favorable. En effet, étant donné leur histoire partagée, il existerait entre les deux personnes des méthodes de communication idiosyncrasiques qui permettraient à l’agresseur·se d’avoir des mots, des gestes et des expressions d’intimidation imperceptibles pour la·le médiateur·rice. Même lorsque celle·celui-ci interagit seul·e avec la victime, cette dernière subira toujours le contrôle de son agresseur·se et risque donc de dénier, minimiser ou cacher l’abus plutôt que de chercher de l’aide (Fischer et coll., 1993). L’usage de la médiation est donc problématique dans le cas des violences conjugales et est d’ailleurs parfois empêché par des règles statutaires (par exemple en Floride, voir Philipson, 2011). Selon Philipson (2011), utiliser la médiation dans le cas du harcèlement devrait être tout autant dissuadé.

La conclusion de ces auteur·e·s est donc que, d’un point de vue éthique, la médiation ne devrait généralement pas être utilisée pour résoudre des cas de harcèlement. Elle pourrait toutefois l’être dans une visée plus préventive, pour résoudre des cas de conflits pouvant mener à du harcèlement (Rigby, 2014), ou être envisagée comme deuxième recours dans des cas de harcèlement, mais seulement si certaines conditions précises sont respectées. Selon Cohen (2002), il faut que l’élève subissant le harcèlement désire sincèrement parler à la personne l’ayant harcelé·e et que le comportement de celle-ci ait déjà été pris en charge autrement par un adulte. Limber (2002) ajoute que l’élève victime de harcèlement doit avoir été adéquatement préparé·e à la séance de médiation, qui doit être supervisée par un adulte qualifié. Selon ces auteur·e·s, la médiation par les pairs au sens strict ne pourrait donc pas être envisagée.

2.3 Objectifs de l’étude

Nous pouvons donc voir que des voix s’élèvent contre l’usage de la médiation par les pairs dans les cas de harcèlement scolaire pour des raisons éthiques et que, d’un point de vue purement théorique, il existe tant des arguments favorables à son usage que des arguments défavorables. Il est temps de se plonger dans les arguments empiriques, en laissant momentanément de côté les critiques sur le caractère non éthique de cette pratique, y a-t-il des preuves empiriques soutenant son intérêt ? L’objectif principal de cet article est de déterminer si la médiation par les pairs est efficace pour intervenir face au harcèlement scolaire, et ce, en se basant sur les études expérimentales ayant traité la question.

Un deuxième objectif connexe est de déterminer si la médiation par les pairs pourrait être efficace comme outil de prévention du harcèlement scolaire. En effet, il est possible d’imaginer que, sans que la médiation soit directement utilisée pour intervenir face aux situations de harcèlement, le fait d’avoir un programme de médiation par les pairs dans l’école ait indirectement un effet positif et contribue à faire baisser les taux de harcèlement.

3. Méthodologie

Nous avons procédé en trois étapes pour répondre à la question de recherche.

Tout d’abord, nous avons passé en revue des études testant directement l’efficacité de la médiation par les pairs dans les cas de harcèlement. Pour cela, nous avons effectué deux recherches sur PsychInfo en utilisant les mots-clés “peer mediation” AND bullying et “médiation par les pairs” AND harcèlement OR intimidation. Étant donné le nombre assez limité de références identifiées, nous n’avons pas mis de limites temporelles à la recherche et avons inclus tout type de publication (et non uniquement des articles revus par les pairs). En excluant les références dans d’autres langues que l’anglais (pour la première recherche) et le français (pour la seconde), nous avons pu trouver 35 références. Sur base des titres et résumés de ces références, nous avons effectué un premier tri au terme duquel il nous restait 10 références : six thèses, cinq articles et un chapitre de livre. Nous n’avons pas pu trouver toutes les thèses afin de les lire, mais avons lu les thèses disponibles, les articles et le chapitre de livre afin de déterminer s’il s’agissait d’études empiriques ou de méta-analyses portant sur l’implantation d’un programme de médiation par les pairs et comportant au moins une mesure du harcèlement. Sur cette base, nous n’avons gardé que deux articles (Devoogd, Lane-Garon et Kralowec, 2016 ; Usó et coll., 2016). Les autres références ont été exclues principalement parce qu’il s’agissait d’études portant sur la mise en place de programmes de médiation par les pairs et de programmes antiharcèlement, mais sans lien entre les deux. Les bibliographies de deux articles, ainsi que des articles cités dans l’introduction, ont été parcourues et la fonction « related documents » disponible sur Mendeley a été utilisée afin de découvrir d’autres références. Cela nous a permis de trouver quatre autres articles pertinents (Cowie et Olafsson, 2000 ; Cremin, 2001 ; Noaks et Noaks, 2009 ; Ttofi et Farrington, 2011). Ce sont ces six articles qui ont servi de base pour écrire la partie portant sur l’efficacité de la médiation par les pairs dans les situations de harcèlement.

Ensuite, ces articles étant assez peu nombreux, nous nous sommes intéressés plus largement à la question de l’efficacité de la médiation par les pairs en général. Comme il existe davantage d’études sur le sujet, nous avons uniquement sélectionné des revues portant sur l’efficacité de la médiation par les pairs. Pour ce faire, nous avons réalisé deux recherches sur PsycInfo en utilisant les mots-clés “peer mediation” AND review et “médiation par les pairs” AND revue. Cela nous a donné 66 références. Nous n’avons gardé que des revues portant sur l’efficacité de la médiation par les pairs. Après un premier tri sur base de leur titre et leur résumé, il nous restait cinq articles et un chapitre de livre (nous avons par exemple exclu toutes les références qui utilisaient le terme de médiation par les pairs pour faire référence à une méthode d’apprentissage). Nous n’avons pas pu avoir accès au chapitre de livre, mais avons lu les cinq articles dans leur entièreté. Sur cette base, trois des articles restants ont été exclus. Nous avons ensuite à nouveau consulté les bibliographies des articles et utilisé la fonction « related documents » sur Mendeley, ce qui nous a permis d’identifier un article supplémentaire. La partie portant sur l’efficacité des programmes de médiation par les pairs en général a donc été rédigée sur base de trois articles (Burrell, Zirbel, et Allen, 2003 ; Garrard et Lipsey, 2007 ; Johnson et Johnson, 1996).

Finalement, comme le programme Vers le pacifique est un programme de médiation par les pairs fortement utilisé dans le monde francophone et qu’il est présenté comme un moyen de lutter contre le harcèlement scolaire (Institut Pacifique, 2016), nous avons passé en revue les études portant sur l’efficacité de ce programme. Ces études sont répertoriées sur le site de l’Institut Pacifique (2016). Nous avons également vérifié les bibliographies des études trouvées et les références citant ces études afin de ne manquer aucune évaluation du programme.

4. Résultats

4.1 Obstacles aux études d’évaluation

Il existe en fait assez peu d’études évaluant l’efficacité de la médiation par les pairs, que ce soit en général ou spécifiquement pour le harcèlement. Comme l’expliquent Johnson et Johnson (1996), les programmes de résolution de conflit et de médiation par les pairs sont populaires, mais, bien qu’il existe de nombreux articles portant sur le sujet, ceux-ci consistent principalement en une description de programmes, de lignes directrices pour les implanter ou de récits anecdotiques de leurs effets. Le manque d’évaluation des programmes de médiation par les pairs serait dû à plusieurs raisons citées par Johnson et Johnson (1996). D’abord, ces programmes ont été développés en marge des théories et recherches pertinentes, sur des modèles autres que ceux des théories du conflit. Cette séparation rend ardue l’évaluation de ces programmes, étant donné qu’il est difficile de définir en quoi ils consistent exactement, et donc difficile tant de répliquer les études existantes que de savoir quels aspects d’un programme seraient liés à son efficacité éventuelle. En plus de cette ambigüité relative aux programmes eux-mêmes, il existe une ambigüité à propos des variables dépendantes. Il est généralement compliqué de déterminer exactement ce qui est mesuré, et donc de comparer les résultats obtenus d’une étude à l’autre. De plus, les programmes de médiation par les pairs sont généralement évalués par des membres du personnel scolaire qui n’ont pas les ressources nécessaires pour engager des chercheur·se·s ou pour obtenir la formation, le temps, l’aide et le matériel nécessaire afin de conduire elles·eux-mêmes des recherches de qualité. Les recherches portant sur ces programmes sont donc généralement de très faible qualité méthodologique (absence de groupe contrôle, petits échantillons, mesures prises auprès d’élèves choisis non aléatoirement, validité et fidélité faibles ou inconnues des variables dépendantes, étude des effets à court terme uniquement, absence de réplication…).

Le constat de Johnson et Johnson (1996) est partagé par d’autres auteur·e·s. Cremin (2001), par exemple, pointe également le fait que les études réalisées sur les programmes de médiation par les pairs tendent à être descriptives et informelles et sont presque uniquement menées aux États-Unis. Selon Englander (2005), le succès apparent que connait la médiation par les pairs en général décourage une évaluation critique de son efficacité pour différents types de conflits entre élèves. Plus particulièrement, l’efficacité de la médiation dans les cas de harcèlement ne serait pas prouvée. Ce constat, dressé il y a un certain temps déjà, semble toujours d’actualité. Très peu d’études sur le sujet ont été publiées ces dernières années.

4.2 Efficacité de la médiation par les pairs dans le cas du harcèlement

Notre premier objectif était de déterminer l’efficacité de la médiation par les pairs pour intervenir face au harcèlement scolaire. D’après Noaks et Noaks (2009), le programme de médiation par les pairs Playground Peacemaker, développé par Farrington (2000), serait associé à une diminution des taux de harcèlement rapporté par les élèves. Mais leur étude ne comporte pas de groupe contrôle et aucune analyse statistique n’est reprise dans leur article. Dans sa thèse, Cremin (2001) met en évidence l’effet bénéfique d’un programme de médiation par les pairs appelé Ice-berg sur la fréquence de la victimisation autorapportée. Toutefois, l’effet positif du programme est uniquement observé dans une des trois écoles étudiées et ne concerne que la victimisation physique. De plus, l’étude comporte de nombreuses limites méthodologiques (abandon du programme à mi-chemin dans deux des trois écoles, contamination du groupe contrôle, défauts des analyses statistiques utilisées, très petit échantillon final…). Cowie et Olafsson (2000), quant à elle·lui, rapportent que l’implantation d’un programme de médiation par les pairs pour traiter les situations de harcèlement dans une école secondaire n’a eu aucun impact positif sur les mesures prises (taux de harcèlement et de victimisation, réactions face au harcèlement…). Elle·il explique ces résultats, entre autres, par le fait qu’il s’agit d’une école dans laquelle il y avait énormément de problèmes comportementaux et que seul un très petit nombre d’élèves ont été formé·e·s comme médiateur·rice·s. Ces études portant spécifiquement sur les effets de la médiation par les pairs sur le harcèlement comportent d’importantes limites. Il n’existe donc pas de données fiables permettant d’avancer que l’utilisation de la médiation par les pairs pour régler directement des situations de harcèlement a une efficacité quelconque.

Une façon détournée de répondre à notre question de recherche consiste à regarder si les programmes globaux de lutte contre le harcèlement scolaire comportant des composantes de médiation par les pairs sont efficaces. Même si les études testant l’efficacité de ce type de programme ne permettent pas de savoir quelles composantes spécifiques sont liées aux éventuels effets observés, il est intéressant de se pencher sur leurs résultats. Dans leur méta-analyse portant sur l’efficacité des programmes antiharcèlement, Ttofi et Farrington (2011) ont tenté de relier les différents éléments des programmes avec les tailles d’effet obtenues. Plusieurs éléments sont négativement reliés au harcèlement (et donc associés à une diminution de sa prévalence), mais un seul a été mis en évidence comme positivement relié aux mesures de harcèlement (et donc associé à une augmentation de sa prévalence) : le travail avec les pairs. Sous la désignation « travail avec les pairs », sont repris tous les engagements formels des pairs pour mettre un terme au harcèlement, ce qui inclut la médiation par les pairs, le mentorat par les pairs et l’incitation à intervenir en cas de harcèlement en tant que témoin. Ce résultat ne permet pas d’affirmer qu’inclure une composante de médiation par les pairs dans un programme antiharcèlement amènera à une augmentation des taux de harcèlement. Toutefois, il incite certainement à la prudence face à l’usage d’une telle méthode.

Notre deuxième objectif était de déterminer si la médiation par les pairs pouvait être efficace en tant qu’outil de prévention du harcèlement scolaire. Deux études se penchent sur cette question. Usó et ses collaborateur·rice·s (2016) ont décrit l’implantation d’un programme de médiation par les pairs dans une école secondaire (une autre école servait de groupe contrôle). En contrôlant les scores obtenus au prétest, les attitudes provictimes sont plus favorables dans l’école expérimentale que dans l’école contrôle. Par contre, en ce qui concerne les rôles joués par les élèves dans les situations de harcèlement (harceleur·se, suiveur·se, défenseur·se, témoin ou victime), le programme n’a aucun effet. Si le programme a un effet sur les attitudes des élèves, il ne semble donc pas que cela se traduise par un changement du comportement des élèves. Dans leur étude, qui porte sur l’implantation d’un programme de médiation par les pairs dans des écoles primaires et secondaires, Devoogd et ses collaborateur·rice·s (2016) rapportent que les taux de harcèlement ont diminué au cours de la période d’implantation du programme. Cependant, l’étude ne comporte aucun groupe contrôle et il semble que des programmes antiharcèlement étaient implantés en parallèle avec le programme de médiation par les pairs. Il n’y a donc pas non plus d’évidence claire que le harcèlement est un problème moins fréquent dans les écoles mettant en oeuvre un programme de médiation par les pairs.

4.3 Efficacité de la médiation par les pairs dans d’autres contextes

Il ressort de l’analyse des écrits scientifiques qu’à l’heure actuelle, il n’existe aucune assise solide soutenant l’idée que la médiation par les pairs est un outil efficace pour lutter contre le harcèlement scolaire (qu’elle soit utilisée dans un but d’intervention ou de prévention). Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle n’est pas intéressante dans d’autres contextes. Plusieurs revues des écrits scientifiques et méta-analyses ont été réalisées sur le sujet. Leurs conclusions sont brièvement reprises ici.

Johnson et Johnson (1996) ont réalisé une revue des écrits scientifiques portant sur l’efficacité des programmes de résolution de conflits et de médiation par les pairs. Il en ressort que ce type de programmes permet aux élèves de connaitre les procédures de négociation et de médiation, d’utiliser ces procédures dans des conflits réels, de transférer ces procédures à des conflits ayant lieu en dehors de la classe et de l’école, et d’utiliser des procédures de négociation intégrative pour résoudre un conflit même quand il y aurait moyen de le résoudre avec une procédure distributive. Johnson (1991) parle de stratégie intégrative lorsqu’un accord est cherché de façon à permettre aux deux parties d’atteindre leurs buts tout en maintenant une relation positive. Au contraire, lorsqu’une personne adopte une stratégie distributive, elle cherche à atteindre son objectif en forçant ou persuadant l’autre de céder. D’après Johnson et Johnson (1996), les études permettant de tirer ces conclusions seraient de bonne qualité méthodologique, mais portent presque toutes sur le même programme, Teaching Students to Be Peacemakers Program (un programme développé par Johnson et Johnson, 1995), ce qui rend ces résultats peu généralisables. À propos des effets plus distaux, il ressort de la revue de Johnson et Johnson (1996) qu’une formation à la résolution de conflit ou à la médiation par les pairs, si elle est intégrée dans des unités d’enseignement, peut avoir un effet bénéfique sur la réussite des élèves et que ce type de programme permet parfois une amélioration du climat scolaire, de la santé psychologique, de l’estime de soi, de l’autorégulation et de la résilience des élèves ainsi qu’une diminution des problèmes disciplinaires, des bagarres, des retenues et des exclusions. Ces résultats sont tirés d’études portant sur une diversité de programmes, mais donc la qualité serait nettement plus faible.

Un peu plus récemment, Burrell et ses collaborateur·rice·s (2003) ont réalisé une méta-analyse portant sur l’efficacité des programmes de médiation par les pairs en milieu scolaire. Quarante-trois études quantitatives réalisées entre 1985 à 2003 ont été retenues. Aucun critère méthodologique n’a été utilisé pour choisir les études à inclure (qui, par exemple, ne possèdent pas de groupe contrôle). Selon les résultats de leur méta-analyse, le taux de succès de la médiation par les pairs (nombre de cas où un accord est trouvé) est de 93 %, tandis que le taux de satisfaction des participant·e·s est de 88 %. De plus, les programmes de médiation par les pairs auraient un effet positif sur le climat scolaire ainsi que sur le nombre de suspensions, d’expulsions et d’actions disciplinaires. Plus spécifiquement pour les médiateur·rice·s, ces programmes seraient associés à une capacité à suivre les étapes de la médiation et à mener des interventions cohérentes, à une augmentation des connaissances et de la compréhension des conflits, à une perception plus positive des conflits et à une augmentation des compétences scolaires et de l’estime de soi.

Garrard et Lipsey (2007) ont réalisé une méta-analyse sur les effets de l’éducation à la résolution de conflits en général. Pour pouvoir être prises en considération dans leur méta-analyse, les études devaient comporter un groupe contrôle. Trente-six études, toutes réalisées aux États-Unis ont été incluses. Dix-sept études portent sur la médiation par les pairs, seize sur des programmes directs d’instruction de compétences, et trois sur l’éducation à la résolution de conflits intégrée dans les programmes scolaires ordinaires (par exemple, discussion des méthodes de résolution de conflits en partant d’une leçon d’histoire ou de littérature). Il ressort de leur méta-analyse que la taille d’effet moyenne de ce type de programme sur les comportements antisociaux des élèves est de 0,26. Cela veut donc dire que, en moyenne, le score de comportements antisociaux est moins élevé de 0,26 écart-type pour les élèves ayant participé à un programme d’éducation à la résolution de conflit. Cet effet est, selon Garrard et Lipsey (2007), assez important pour avoir une signifiance pratique et justifier l’utilisation de ce type de programme. Il n’y a aucune différence significative de taille d’effet suivant le type d’éducation à la résolution de conflit dispensée (médiation par les pairs ou autre), mais des effets plus importants sont observés lorsqu’aucun problème d’implantation n’est rapporté dans l’étude (bien que dans la plupart des études, aucune donnée liée à la fidélité d’implantation ne soit reprise). Les auteur·e·s en concluent donc que la façon dont un programme bien conçu et structuré est implanté semble plus importante que le contenu spécifique du programme.

4.4 Efficacité du programme de médiation par les pairs Vers le pacifique

Dans le monde francophone, le programme de médiation par les pairs le plus courant est Vers le pacifique (Institut Pacifique, s. d.). Il parait intéressant de s’attarder sur les effets de ce programme, car il est présenté par ces concepteur·rice·s comme en moyen de lutter contre le harcèlement. En effet, dans les brochures de présentation, bien qu’il ne soit pas directement dit que Vers le pacifique permet de réduire le harcèlement (ou l’intimidation), il est mentionné que « [l]e programme Vers le pacifique est un outil de prévention de la violence qui répond à certaines exigences de la Loi visant à prévenir et à combattre l’intimidation et la violence à l’école » (Institut Pacifique, 2017, p. 2).

Ce programme, lancé en 1998 et ciblant sur le niveau primaire, est fort populaire au Québec et est également disponible au Canada anglophone, en Belgique, en France, en Bolivie et au Pérou (Vadeboncoeur, 2005). Vers le pacifique part du principe que si les élèves agissent de manière agressive, c’est soit parce qu’elles·ils ou elles ne possèdent pas les habiletés sociales qui leur permettraient d’agir de manière prosociale, soit parce que leurs émotions les empêchent d’y avoir recours. Afin d’identifier les habiletés que les élèves devraient développer, le programme se base sur le modèle du traitement de l’information sociale de Dodge et Coie (1987). De plus, il s’intéresse au rôle que jouent les émotions dans ce traitement (Vadeboncoeur, 2005). Le programme est composé de plusieurs volets (Bowen et coll., 2007). Le premier volet vise à conscientiser, sensibiliser et former tou·te·s les élèves ainsi que leurs enseignant·e·s au développement des habiletés sociales ainsi qu’à la résolution de conflits. Cela passe par une formation du personnel scolaire, ainsi que par des ateliers destinés aux élèves de maternelle et de primaire. Le deuxième volet consiste à sélectionner, former, superviser et encadrer des élèves de 5e et 6e primaire qui pourront agir comme médiateur·rice·s lors de conflits entre élèves.

Les effets du programme ont été évalués à plusieurs reprises, mais des mesures de harcèlement n’ont jamais été prises. Les effets de la première version de Vers le pacifique ont été investigués dans une étude quasi expérimentale réalisée par Rondeau, Bowen et Bélanger (1999). L’étude portait sur environ 2000 élèves répartis entre la condition expérimentale et la condition contrôle. Lors de la première année, le programme a eu peu d’effet sur l’ensemble des élèves. Le seul effet positif observé était une augmentation des compétences comportementales des élèves et un effet négatif était également présent (il y avait dans la condition expérimentale une hausse du retrait social qui n’est pas présente dans la condition contrôle). Par contre, Vers le pacifique a eu des effets bénéfiques sur les médiateur·rice·s (diminution des niveaux de retrait social et d’agressivité et augmentation du niveau de contrôle de soi). Lors de la seconde année, les médiateur·rice·s ne semblaient plus bénéficier du programme (peut-être à cause d’un effet plafond) et, comme il n’y avait plus de groupe contrôle, il n’était plus possible d’étudier les effets du programme pour l’ensemble des élèves.

Bowen, Rondeau, Fortin, Dias, Bélanger, Desbiens, Janosz, Dufresne et Lacroix, (2006) ont réalisé une étude longitudinale testant l’impact de la deuxième version de Vers le pacifique. L’étude s’est déroulée de 2001 à 2005 dans 13 écoles primaires de la région de Montréal. Huit écoles ont implanté le programme pendant les quatre ans et cinq écoles ont servi de groupe contrôle lors des deux premières années puis ont implanté le programme (il était censé y avoir huit écoles dans la condition contrôle, mais trois ont abandonné avant le début de l’étude). Environ 5000 élèves ont été exposé·e·s au programme, mais 30 % n’ont pas reçu le consentement de leurs parents pour participer à l’étude. De plus, le taux d’attrition était important. Les données proviennent d’un questionnaire de connaissances rempli par les élèves, de désignations comportementales par les pairs, d’un questionnaire portant sur le comportement des élèves rempli par leur enseignant·e et d’entrevues structurées réalisées avec certain·e·s élèves. L’efficacité du programme a été testée via des analyses hiérarchiques multiniveaux. Certains effets proximaux positifs (par exemple, une meilleure capacité à identifier les causes des conflits) ont été observés, tant par l’analyse des mesures autorapportées, rapportées par les pairs et rapportées par les enseignant·e·s que par l’analyse des entretiens structurés. Concernant les effets distaux, le programme semble avoir été associé à une augmentation des conduites prosociales (désignations des pairs) ainsi qu’à une diminution des problèmes externalisés et internalisés (évaluation d’enseignant·e·s). Les effets étaient modérés par l’âge des élèves, leur genre ainsi que le statut plus ou moins défavorisé de l’école, avec des effets plus importants pour les filles, chez les élèves plus jeunes et dans les écoles moins défavorisées.

Deux thèses portent sur les effets de Vers le pacifique auprès d’un public plus spécifique. Vadeboncoeur (2005) a mené une étude quasi expérimentale dans quatre écoles primaires défavorisées de la région de Montréal (233 élèves) afin d’examiner les effets du programme chez les 4-5 ans. Les données sont issues de mesures prises auprès des pairs et des enseignant·e·s ainsi que d’observations en situation contrôlée. Après un an d’implantation du programme, il n’y a pas eu d’effet selon les mesures rapportées par les pairs, tandis qu’après deux ans, quelques effets positifs ont été observés. Concernant les mesures prises auprès des enseignant·e·s, une amélioration était présente pour les comportements prosociaux, mais pas pour les comportements d’évitement ou de retrait. Aucun effet sur les comportements des élèves n’est rapporté par les observateur·rice·s externes. Par contre, une augmentation plus importante des solutions constructives proposées est observée dans le groupe expérimental que dans le groupe contrôle.

Beaumont (2005, 2015, voir également Beaumont, Royer, Bowen et Bertrand 2004) s’est quant à elle intéressée à l’implication d’élèves présentant des troubles du comportement dans un programme de médiation par les pairs, non seulement en tant que médié·e·s, mais également en tant que médiateur·rice·s. L’étude portait sur 141 élèves entre 9 et 12 ans présentant des troubles du comportement et issu·e·s de quatre écoles d’enseignement spécialisé (deux implantant le programme et deux servant de condition contrôle). Mis à part une diminution générale du nombre de comportements violents dans l’école, les effets bénéfiques de la médiation par les pairs se limitent aux médiateur·rice·s (qui montrent une augmentation de l’autocontrôle comportemental, de l’expression des habiletés sociales et de l’estime de soi ainsi qu’une diminution de l’agressivité). Des effets négatifs ont aussi été observés chez ces élèves, avec une augmentation significative de l’anxiété chez celles·ceux étant intervenu·e·s un nombre important de fois, et une influence négative des médiations non réussies sur la satisfaction personnelle des médiatrices (l’effet est uniquement présent chez les filles). Il semble donc que le programme ait uniquement un effet positif pour les élèves médiateur·rice·s. Toutefois, il y avait uniquement 15 élèves endossant ce rôle, ce qui limite fortement la validité des résultats (voir aussi Bonafé-Schmitt, 2006, pour une étude qualitative). Il semble donc que Vers le pacifique puisse être associé à certains effets bénéfiques sur les connaissances, compétences et comportements des élèves. Cependant, il n’y a aucune preuve nous permettant de montrer l’efficacité de ce programme en lien avec le harcèlement scolaire. Il serait nécessaire de mener des études sur le sujet.

5. Discussion des résultats

Les résultats rapportés ne permettent pas d’affirmer que la médiation par les pairs est un moyen efficace de lutter contre le harcèlement. Non seulement rien ne dit que les écoles qui mettent en oeuvre ce type de programme font face à des taux moins élevés de harcèlement, mais il semblerait aussi qu’inclure une composante de médiation par les pairs dans un programme de lutte contre le harcèlement puisse avoir un effet délétère.

Il nous semble donc qu’il est plus pertinent d’utiliser une autre méthode d’intervention pour mettre fin aux situations de harcèlement scolaire, telle que l’utilisation de sanctions directes, les pratiques réparatrices, le renforcement de l’élève victime de harcèlement, la méthode du groupe de soutien ou la méthode des préoccupations partagées. La·le lecteur·rice intéressé·e pourra consulter Thompson et Smith (2011) ou Rigby (2012) pour trouver une série de recommandations qui peuvent aider les écoles à choisir la méthode d’intervention la plus adaptée suivant la situation de harcèlement à laquelle elles font face.

De même, nous n’avons pas pu montrer l’efficacité de la médiation par les pairs comme moyen de prévention du harcèlement scolaire. Le constat semble toutefois plus positif concernant l’efficacité de la médiation par les pairs dans d’autres situations. Prises ensemble, les données passées en revue suggèrent que les programmes de médiation par les pairs peuvent être efficaces. Toutefois, deux limites viennent nuancer leur efficacité. Tout d’abord, alors que le succès de la médiation par les pairs est souvent évalué sur base de l’atteinte ou non d’un accord à la fin de la séance, il est intéressant de se pencher sur le type d’accord trouvé. La solution la plus souvent adoptée serait pour les deux élèves en conflits de s’éviter l’un l’autre (Smith, Daunic, Miller et Robinson, 2002 ; Long, Fabricius, Musheno et alumbo, 1998 ; Johnson et Johnson, 1996), ce qui est en désaccord avec les principes de la médiation et est souvent irréaliste pour des élèves fréquentant la même école (Philipson, 2011). Ensuite, il ressort des différentes études que la majorité, et parfois même la totalité, des effets positifs des programmes de médiation par les pairs sont observés chez les médiateur·rice·s et non chez les médié·e·s. Or, les médiateur·rice·s sont souvent choisi·e·s sur base de leurs capacités de leadeurship positif (Flecknoe, 2005). Elles·ils possèdent donc déjà de bonnes compétences sociales avant d’être formé·e·s et sont généralement des élèves ayant un faible risque de présenter des comportements antisociaux, ce qui voudrait dire que ce sont les élèves qui en ont le moins besoin qui bénéficieraient le plus des programmes de médiation par les pairs (Casella, 2000). Ce deuxième constat pourrait nous amener à penser qu’il serait plus intéressant de privilégier un programme de médiation dans lequel tou·te·s les élèves sont formé·e·s et peuvent alors être médiateur·rice·s à tour de rôle. Cela pourrait être un moyen de permettre à l’ensemble des élèves de profiter des effets positifs du programme. Toutefois, trois faits viennent remettre cette idée en question. Tout d’abord, une étude (Corriveau, Bowen, Rondeau et Bélanger, 1998) a montré que les médiateur·rice·s pratiquant peu de médiation ne bénéficiaient pas de leur rôle. En effet, en fin d’année, celles·ceux-ci présentaient un niveau de compétence faible ainsi qu’une diminution de leur popularité auprès des autres élèves. Il semble donc qu’il est nécessaire de pratiquer régulièrement la médiation pour que sa pratique soit associée à des retombées positives. Or, si tou·te·s les élèves sont formé·e·s en tant que médiateur·rice, ils et elles exerceront automatiquement moins de médiations que si seul un petit groupe est formé. Ensuite, comme nous l’avons vu, exercer comme médiateur·rice pourrait ne pas être associé qu’à des conséquences positives. Dans une étude portant sur des élèves médiateur·rice·s présentant des troubles du comportement, Beaumont, Royer, Bowen et Bertrand (2004) ont montré une augmentation de l’anxiété chez les médiateur·rice·s ayant pratiqué un nombre important de médiations ainsi qu’une diminution de la satisfaction personnelle chez les médiatrices à la suite des médiations non complétées ou non réussies. Il semble donc que le rôle de médiateur·rice soit associé tant à des couts qu’à des bénéfices. Finalement, il est possible que tou·te·s les élèves n’aient pas les compétences requises pour mener à bien des séances de médiation et pour en tirer des bénéfices personnels. Comme dit plus haut, dans la grande majorité des cas les élèves médiateur·rice·s sont choisi·e·s en fonction de leurs compétences sociales importantes et il n’est pas garanti que des élèves ne disposant pas d’aussi bonnes compétences soient à même de mener des séances de médiation avec succès.

Un autre point important à noter est que la façon dont un programme est réellement mis en place dans une école aura une influence sur son succès. La question de l’implantation est généralement absente des évaluations des programmes de médiation par les pairs. Pourtant, comme le suggèrent les résultats de Garrard et Lipsey (2007), elle serait importante. Il semblerait qu’une certaine cohérence entre le programme et le contexte dans lequel il est implanté est nécessaire à son succès (Galand, 2017). En effet, selon Lindsay (1998), un obstacle majeur à l’institutionnalisation des programmes de résolution de conflits et de médiation par les pairs serait le fait qu’ils sont basés sur des postulats incompatibles avec la culture de beaucoup d’écoles. Comme l’expliquent Johnson et Johnson (1996), la procédure utilisée pour résoudre un conflit et le contexte dans lequel celui-ci est apparu peuvent être congruents ou non. Lorsqu’ils sont congruents, par exemple, lorsqu’une procédure intégrative telle que la médiation par les pairs est utilisée dans un contexte coopératif, les conflits auront tendance à être gérés plus facilement que lorsqu’ils ne le sont pas. Quand les programmes de résolution de conflits et de médiation par les pairs sont implantés dans un contexte compétitif et individualiste, leur efficacité peut être sérieusement compromise (Johnson et Johnson, 1994, 1995). Or, la plupart des écoles seraient dominées par la compétition et non par la coopération (Johnson et Johnson, 1989, 1994). Sellman (2002) met lui aussi en avant le fait que certains programmes de médiation échouent parce qu’ils ne sont pas compatibles avec la vision globale de l’école, trop autoritariste. Par ailleurs, il est possible que le fait de ne pas prendre en compte le contexte global dans lequel les conflits apparaissent limite l’efficacité de la médiation par les pairs. Casella (2000) a réalisé une étude de cas approfondie de l’implantation d’un programme de médiation par les pairs dans une école secondaire. Il ressort de son étude que si la médiation peut fonctionner pour des conflits simples, elle n’est pas adaptée pour des formes plus complexes de conflits auxquels les médiateur·rice·s ne sont pas préparé·e·s. Dans l’école étudiée, de nombreux conflits traités en médiation sont liés à des éléments contextuels beaucoup plus globaux et impliquent des questions de pauvreté, de racisme, d’homophobie, de harcèlement sexuel… Or, les médiateur·rice·s apprennent dans le programme à se centrer sur les caractéristiques et comportements individuels des élèves sans aucunement prendre en compte le contexte dans lequel les conflits sont apparus. Il n’y a aucune reconnaissance dans le programme de médiation que le déclenchement d’une partie des conflits est lié à une violence systématique associée aux discriminations et aux injustices de la société. De même, il n’y a aucune reconnaissance du rôle que la structure scolaire peut jouer dans le déclenchement des conflits. Selon Casella (2000), pour qu’un programme de médiation par les pairs puisse être réellement efficace, il faut que ces questions puissent être ouvertement discutées, malgré leur caractère controversé.

6. Conclusion

En conclusion, tant que des études de bonne qualité méthodologique n’auront pas été menées pour évaluer l’efficacité de la médiation par les pairs en tant que moyen d’intervention face au harcèlement scolaire, il semble qu’il faudrait lui privilégier d’autres méthodes d’intervention. En effet, outre le fait qu’aucune étude de qualité ne soutienne son efficacité dans ce cas spécifique, il existe plusieurs raisons de proscrire son usage étant donné le déséquilibre de pouvoir qui caractérise la relation entre la victime et l’auteur·e du harcèlement. De plus, les résultats de la méta-analyse de Ttofi et Farrington (2011) suggèrent que l’inclusion d’une composante de médiation par les pairs dans un programme antiharcèlement peut empirer la situation.

Cette conclusion ne remet pas en cause l’utilisation de la médiation par les pairs dans d’autres contextes. En effet, il semble que certains effets positifs soient associés à son utilisation. Toutefois, la plupart des effets observés le sont sur les élèves ayant un rôle de médiateur·rice·s, qui sont généralement celles·ceux en ayant le moins besoin. De plus, lorsqu’un programme de médiation par les pairs est introduit dans une école, il devrait sans doute être accompagné d’une réflexion sur la culture de l’école et, si nécessaire, de changements visant à la rendre plus démocratique et coopérative dans l’ensemble de son fonctionnement.