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1. Introduction et problématique

Depuis les années 1960, la Suisse a une population d’origine étrangère qui va croissant. À un premier flux migratoire composé essentiellement de ressortissants d’origine italienne et espagnole, a succédé plus récemment un deuxième flux composé de ressortissants de l’ex-Yougoslavie et du Portugal. En 2005, plus de 20 % de la population résidant en Suisse est de nationalité étrangère alors que, parmi les élèves fréquentant l’école obligatoire, 23,7 % sont de nationalité étrangère (Office fédéral de la statistique, 2006, www.bfs.admin.ch). En Suisse germanophone, ce sont les élèves originaires de l’ex-Yougoslavie (Serbie, Croatie, Monténégro, etc.) qui constituent la population d’élèves étrangers la plus importante ; beaucoup d’entre eux ont immigré en Suisse à la suite des guerres balkaniques des années 1990. En Suisse francophone, ce sont les élèves portugais qui sont les plus représentés ; pour la plupart, ils sont arrivés en Suisse grâce au regroupement familial rendu possible par un changement du statut juridique lié au permis de travail des parents, le plus souvent du père. En effet, la plupart des travailleurs portugais ont d’abord obtenu un permis dit de saisonnier (permis A), très répandu dans les professions de la construction et de l’hôtellerie, dont les caractéristiques étaient notamment : séjour maximum en Suisse de neuf mois par année, interdiction à la famille de rejoindre en Suisse le détenteur du permis, renouvellement annuel du contrat de travail et du permis de séjour, permis de séjour tributaire du fait d’avoir un contrat de travail. Six ans après son obtention, et sous certaines conditions administratives (niveau de revenu, conditions de logement, etc.), ce permis est transformé en permis d’établissement permettant alors à la famille d’être réunie. Ce dispositif a été fortement critiqué tant en Suisse qu’à l’étranger (Communauté européenne) et a été supprimé depuis peu, pour être remplacé par un permis de travail dit de courte durée, tout aussi précaire, et empêchant la famille d’accompagner le détenteur du permis.

1.1 Intégration scolaire problématique

Comme le montrent différentes recherches (voir ci-après), l’intégration scolaire des élèves de nationalité étrangère est, d’une manière générale, problématique en Suisse, même si nous trouvons, parmi les différentes populations d’origine étrangère, des disparités quant à la qualité de leur intégration scolaire. Ainsi, les élèves portugais et de l’ex-Yougoslavie, qui sont généralement des élèves primo-arrivants, présentent plus de risque de rencontrer des difficultés scolaires que des élèves par exemple d’origine italienne, ces derniers étant généralement issus d’une immigration de deuxième, voire de troisième génération (Doudin, 1996 ; 1998 ; 2002). Cependant, les élèves d’origine italienne sont encore relativement éloignés du niveau de réussite des élèves suisses (Kurmann, Donati, Mossi, Moser et Doudin, 2001).

Toutes nationalités confondues, les élèves d’origine étrangère sont fortement surreprésentés dans les classes regroupant des élèves ayant des difficultés scolaires (Doudin, 2002 ; Kronig, 1996 ; Lischer, 1997 ; Pelgrims-Ducrey et Doudin, 2000 ; Sturny-Bossart, 1996). Pour l’année scolaire 2004-2005, 43 % des élèves fréquentant ce type de classe sont de nationalité étrangère alors qu’ils ne représentent, comme nous l’avons déjà avancé, que 23,7 % de la population scolaire totale (Office fédéral de la statistique, 2006).

Cette surreprésentation varie fortement d’un système pédagogique à l’autre, dans la confédération suisse, composée de 26 États appelés cantons, chacun ayant une structure scolaire qui lui est propre. Par exemple, dans le canton de Vaud, un élève étranger sur neuf fréquente une classe regroupant des élèves ayant des difficultés scolaires, alors que seulement un élève étranger sur 30 fréquente ce type de classe dans le canton du Tessin (Office fédéral de la statistique, 2006).

Certains systèmes scolaires ont donc une politique plus intégrative que d’autres. Cette situation particulièrement problématique au niveau de la scolarité obligatoire a des conséquences très importantes sur le plan de l’accès à la formation post-obligatoire, comme le montrait déjà Lischer (1997). Actuellement, et pour l’ensemble de la Suisse, 23 % des élèves d’origine étrangère n’entreprennent aucune formation post-obligatoire, contre seulement 8 % des élèves d’origine suisse. De plus, l’accès aux apprentissages semble plus difficile pour les élèves d’origine étrangère, les places disponibles étant attribuées en premier lieu à des Suisses. L’accès aux études tertiaires (Hautes Écoles universitaires ou spécialisées) pose également problème : non seulement la proportion d’étrangers y est très faible, mais elle a tendance à reculer ces dernières années, alors que la proportion de Suisses va croissant (Office fédéral de la statistique, 2006).

1.2 Quelques causes à l’origine des difficultés d’intégration scolaire

Par-delà la politique plus ou moins intégrative des systèmes pédagogiques, différents auteurs ont tenté d’expliquer les raisons de cette marginalisation importante des élèves de nationalité étrangère. Nous en donnons quelques exemples. Dans une étude sur les compétences en mathématiques, Moser, Ramseier, Keller et Huber (1997) montrent qu’à caractéristiques identiques (notamment par rapport au niveau socio-économique d’origine), les élèves étrangers obtiennent des résultats inférieurs aux élèves suisses, ce qui dénoterait, selon ces auteurs, une discrimination et des déficits spécifiques liés à la migration. Selon Müller (1997), les différents systèmes scolaires en Suisse négligeraient de prendre en considération la langue d’origine des enfants bilingues et sa valorisation. Cela développerait chez ces enfants un manque de confiance dans leurs capacités linguistiques et entraînerait des performances faibles dans la langue d’enseignement. De plus, une partie des élèves orientés au secondaire inférieur (7e degré de la scolarité obligatoire ; élèves âgés d’environ 13 ans), dans la division à niveau d’exigences élémentaires, auraient les compétences suffisantes pour fréquenter une division à niveau d’exigences plus élevées. Le niveau socio-économique d’origine des élèves jouerait certes un rôle dans le processus d’orientation, mais aussi leur origine nationale : à niveau socio-économique égal, les élèves d’origine étrangère feraient l’objet d’une discrimination par rapport aux élèves d’origine suisse. Dans une étude récente, Baumberger, Doudin, Moulin et Martin (2007) montrent que la volonté de séparation des enseignants (orientation des élèves présentant des problèmes d’apprentissage et ou de comportement dans des classes qui les regroupent) varie d’un système pédagogique à l’autre, mais cette volonté augmente très fortement avec le taux d’étrangers dans la commune : plus le taux d’étrangers est élevé, plus la volonté des enseignants de séparer des élèves à problème est grande. Ces résultats, de même que ceux de Moser et ses collaborateurs (1997), nuancent fortement ceux de Hutmacher (1987) pour qui, dans le canton de Genève, à niveau socio-économique égal, les élèves d’origine étrangère ne rencontrent pas plus de difficultés scolaires que les élèves d’origine suisse.

1.3 Recours à la différenciation structurale

Notre étude porte sur les élèves de nationalité portugaise terminant leur scolarité obligatoire dans un des systèmes pédagogiques de Suisse francophone où ils constituent la population d’origine étrangère la plus nombreuse, mais aussi une de celles qui rencontrent le plus de difficultés scolaires. Comme dans la plupart des systèmes pédagogiques en Suisse, la scolarité secondaire (les trois derniers degrés de l’école obligatoire) comporte trois voies : les voies à niveau d’exigences élémentaires, moyennes et élevées. Les élèves sont orientés dans ces différentes voies en fonction des résultats aux différentes branches et à la moyenne générale obtenue durant l’année précédant cette orientation. De plus, ce système scolaire comporte plusieurs types de classe regroupant des élèves ayant des difficultés scolaires (classe à effectif réduit, classe de développement). Notons qu’il existe également des classes et des institutions spécialisées regroupant des élèves pris en charge par l’assurance invalidité, mais que ces élèves ne font pas partie de notre étude.

C’est donc un système pédagogique qui recourt fortement à la différenciation structurale, c’est-à-dire à la création de différents types de classes, chaque type étant censé correspondre à un certain profil d’élève, défini essentiellement par son niveau de compétences scolaires ou par son comportement plus ou moins difficile à gérer en classe. C’est une tentative claire d’homogénéiser la classe en regroupant en son sein des élèves aussi proches que possible les uns des autres. C’est également un système pédagogique très actif dans le dispositif d’aide aux élèves ayant des difficultés scolaires : devoirs surveillés, leçon d’appui donné hors classe durant le temps scolaire par une enseignante dite d’appui, redoublement d’un degré, classe à petit effectif regroupant des élèves en difficulté. De plus, des mesures spécifiques d’aide pour les élèves d’origine étrangère sont proposées : classe d’accueil, cours intensifs de français.

2. Objectifs

Les objectifs de cette étude sont : 1) d’identifier certaines variables associées à une bonne intégration scolaire (fréquentation d’une voie à niveau d’exigences moyennes ou élevées) à la fin de l’école obligatoire ou, au contraire, associées à une intégration scolaire problématique (classe regroupant des élèves en difficulté ou fréquentant la voie à niveau d’exigences élémentaires) ; 2) d’identifier si le dispositif d’aide fourni aux élèves durant leur cursus scolaire est associé à une bonne intégration en fin de scolarité ou à une intégration problématique ; 3) en fonction des résultats, de proposer une réflexion sur le dispositif d’aide.

3. Méthodologie

3.1 Population

L’étude porte sur des élèves de père ou de mère de nationalité portugaise, fréquentant le dernier degré (9e) de l’école obligatoire dans un des systèmes pédagogi- ques de Suisse francophone. Sur une population totale de 325 élèves recensés terminant leur scolarité obligatoire, des informations ont pu être réunies sur 294 élèves (soit 90 % de la population) et leurs parents (292 pères, 277 mères). Les élèves proviennent de tous les établissements scolaires comportant des classes de 9e degré.

Nous décrivons cette population dans ses caractéristiques principales. Pour la plupart, les élèves sont nés au Portugal (92 %) et sont arrivés en Suisse au cours de leur scolarité obligatoire (78 %). Le niveau de formation des parents ne dépasse pas la scolarité obligatoire pour 81 % des pères et 85 % des mères. Une majorité de pères (53 %) et une minorité de mères (21 %) ont obtenu tout d’abord un permis de saisonnier qui ne donnait pas le droit aux enfants de venir en Suisse. Par conséquent, ces enfants ont vécu au Portugal, soit dans une famille monoparentale (32 %), soit dans leur famille élargie, sans la présence de leur père et mère (33 %). Une fois arrivés en Suisse à la suite du regroupement familial, 92 % des élèves vivent alors dans une famille biparentale. La plupart des élèves ont reçu des aides scolaires à leur arrivée en Suisse (35 % ont fréquenté une classe d’accueil, 68 % des cours intensifs de français) et au cours de leur scolarité (54 % ont reçu des leçons d’appui, 52 % ont redoublé un ou plusieurs degrés, 36 % ont fréquenté une classe regroupant des élèves en difficulté. En fin de scolarité obligatoire (9e degré), 14 % des élèves fréquentent encore une classe regroupant des élèves en difficulté, alors que 57 % des élèves fréquentent une voie à niveau d’exigences élémentaires, 24 % à niveau d’exigences moyennes et seulement 6 % à niveau d’exigences élevées.

3.2 Collecte des données

Plusieurs questionnaires ad hoc adressés aux établissements scolaires, aux élèves et à leurs parents permettent de rassembler des données portant sur :

  • le cursus des élèves : leur lieu de naissance, leur âge d’arrivée en Suisse, les différents types de classes fréquentées, les moyennes aux différentes branches lors de l’année d’orientation, les types d’aide reçus, l’absentéisme scolaire, le redoublement, leur projet de formation postobligatoire ;

  • l’intégration culturelle des élèves : la langue parlée par l’élève avec le père/la mère/les frères et soeurs/les copains/copines, la nationalité idéale de leur future époux/épouse, la durée du séjour prévue en Suisse ;

  • les caractéristiques de leur famille : le niveau d’éducation du père/de la mère, le type de famille lorsque l’élève était au Portugal, le type de famille en Suisse, le premier permis de travail obtenu en Suisse par le père et ou la mère, les difficultés administratives liées à la venue de leur enfant en Suisse.

3.3 Analyse des données

Nous procédons à une analyse des correspondances multiples (Moreau, Doudin et Cazes, 2000) dont le but est d’explorer l’ensemble des données. Pour ce faire, nous étudions les liens entre deux groupes de variables : un premier groupe est formé par les variables dites actives (caractéristiques de l’élève et de sa famille), c’est-à-dire celles qui définissent l’espace factoriel ; un deuxième groupe est formé par les variables dites illustratives (par exemple, les résultats scolaires lors de l’année d’orientation, le type de classe fréquentée en fin de scolarité obligatoire, l’absentéisme scolaire). De manière très synthétique, l’analyse donne une structure de différenciation par rapport aux variables en présence. Les variables qui émergent sont celles qui jouent le rôle le plus important dans la définition des différences entre sujets. Précisons que la moyenne générale et les moyennes par branches lors de l’année d’orientation ont été réparties en quatre classes, le chiffre un étant la moyenne la plus faible, et quatre, la moyenne la plus élevée.

4. Résultats

L’analyse des correspondances multiples permet de dégager plusieurs axes de différenciation des élèves. Nous nous limitons ici à l’exposition des deux premiers axes (Figure 1).

4.1 Premier axe de différenciation

L’axe I permet de dégager un premier facteur qui oppose deux types de profil d’élèves : le premier profil (à gauche de l’axe) est caractérisé essentiellement par une prise de distance importante avec le pays d’origine, un niveau élevé d’éducation des parents et l’absence de mesures d’aide au cours de la scolarité. Ce profil est associé à des variables définissant un bon niveau d’intégration scolaire (moyennes élevées des élèves lors de l’année d’orientation, fin de la scolarité obligatoire dans une division à niveau d’exigence moyen ou élevé, pas d’absentéisme scolaire). Le second profil (à droite de l’axe) est caractérisé par la fréquentation de mesures d’aide (cours d’appui, redoublement) durant la scolarité. Ce deuxième profil est associé à des variables concernant des difficultés d’intégration scolaire (moyennes très faibles lors de l’année d’orientation, fin de la scolarité en division à niveau d’exigence élémentaire).

Ce premier facteur indique que la réussite en fin de scolarité est essentiellement associée au degré d’intégration de la famille et au niveau d’éducation des parents, alors que des difficultés d’intégration en fin de scolarité obligatoire sont associées à différentes formes d’aide reçues au cours de la scolarité.

4.2 Deuxième axe de différenciation

L’axe II permet de dégager un deuxième facteur qui oppose deux types de profil d’élèves. Au bas de l’axe, nous trouvons un profil défini par le parcours administratif des parents (le père n’a pas eu de permis A et la famille n’a pas rencontré de difficulté à faire venir l’enfant en Suisse). Ce profil est associé à des variables définissant la réussite scolaire (moyenne générale élevée et moyennes élevées dans les disciplines ou branches d’enseignement suivantes : géographie, français, mathématiques, allemand et sciences). Au haut de l’axe, nous trouvons un profil défini par un regroupement de variables associées au niveau de formation des parents (père et mère sans formation scolaire achevée), leur parcours administratif (obtention d’abord d’un permis A), des difficultés scolaires de l’élève (classe de développement durant le cursus scolaire) et un lien avec la culture d’origine de l’élève (l’enfant souhaite épouser plus tard un/une Portugaise). Ce profil est associé à des difficultés d’intégration scolaire (moyenne très faible dans différentes branches lors de l’année d’orientation, taux d’absentéisme scolaire élevé, fin de la scolarité obligatoire en classe de développement).

Ce deuxième facteur indique que la réussite en fin de scolarité obligatoire est essentiellement associée au parcours administratif (l’absence de permis A est associée à la réussite de l’élève), alors que les difficultés d’intégration en fin de scolarité obligatoire sont associées au niveau d’éducation des parents, à une identité culturelle de l’élève proche de son pays d’origine et au parcours administratif des parents (obtention d’un permis A).

Figure 1

Analyse des correspondances multiples – position des variables dont le poids est le plus important dans le plan des facteurs 1 (axe horizontal) et 2 (axe vertical)

Analyse des correspondances multiples – position des variables dont le poids est le plus important dans le plan des facteurs 1 (axe horizontal) et 2 (axe vertical)

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Cette analyse fait donc ressortir, d’une part, l’importance des variables caractérisant la famille et son parcours administratif (type de permis, difficulté ou non à faire venir l’enfant en Suisse) en association à la réussite ou à des difficultés scolaires de l’enfant en fin de scolarité obligatoire et, d’autre part, le manque d’effet compensatoire des différentes mesures d’aide fournies aux élèves au cours de leur scolarité. En effet, des mesures d’aide au cours de la scolarité sont apportées aux élèves qui ont obtenu des moyennes très faibles lors de l’année d’orientation ; de même, des mesures d’aide au cours de la scolarité sont associées à la fréquentation d’un type de classe en fin de scolarité indiquant, au mieux, la maîtrise du niveau élémentaire d’exigences, au pire des difficultés à maîtriser ce niveau (classe de développement).

5. Discussion

Les résultats de notre étude montrent que les difficultés scolaires, ou au contraire la réussite des élèves, sont associées à des variables extrascolaires, plus particulièrement le niveau d’éducation des parents, le degré d’intégration des parents dans leur pays d’accueil, le type de permis de travail des parents.

Face à l’arrivée de ce flux migratoire, l’école n’est pas restée inactive et de nombreux types d’aide, tant à l’accueil qu’en cours de scolarité, ont été mis sur pied. Schématiquement, des aides en cours de scolarité sont associées à des difficultés d’intégration en fin de scolarité obligatoire, alors que l’absence d’aide est associée à une bonne intégration en fin de scolarité. Nous pouvons alors nous demander si ces mesures jouent pleinement leur effet compensatoire (Doudin et Lafortune, 2006). Si c’était le cas, des aides en cours de scolarité devraient aussi être associées à un bon niveau d’intégration scolaire en fin de scolarité.

Alors que, dans certains secteurs, les employeurs exigent maintenant un certificat de fin d’études, au moins en division à niveau d’exigences moyennes, pour entreprendre un apprentissage, il est à craindre qu’une proportion importante d’adolescents portugais ne soient fragilisés sur le plan de l’intégration professionnelle. On peut penser que la marginalisation scolaire entraîne la marginalisation professionnelle et sociale d’un nombre important d’élèves. Il y a là un problème éthique et économique qui doit être résolu si l’école ne veut pas contribuer à faire enfler les chiffres du chômage et à créer des problèmes sociaux.

À première vue, nos résultats pourraient, d’une part, renforcer le point de vue que la qualité de l’intégration scolaire est associée exclusivement à des caractéristiques extrascolaires (déterminisme social) et, d’autre part, renforcer un point de vue défaitiste, toute aide étant vue comme inutile, car inefficace. Bien au contraire, nous pensons que l’école a un rôle extrêmement actif à jouer afin de favoriser l’insertion d’élèves primo-arrivants et de relativiser, du moins en partie, le déterminisme social. En ce domaine, certains systèmes scolaires sont plus efficaces que d’autres. En outre, il serait illusoire et naïf de penser que l’on puisse se passer de toute aide face à des situations sans doute complexes.

Si on veut améliorer la situation, il convient notamment de réfléchir sur les moyens d’intervention et les formes que pourraient revêtir l’aide – Qui aider et comment ? – afin que les moyens financiers et humains investis soient mieux rentabilisés. Les points suivants peuvent contribuer à cette réflexion.

Pour la plupart, les mesures d’aide reposent sur un paradoxe qui consiste à vouloir mieux intégrer l’élève sur le plan scolaire tout en l’excluant – de son groupe d’âge en le faisant redoubler – de la classe régulière, soit momentanément (appui donné hors classe), soit durablement, voire, dans certains cas, définitivement (classe de développement). Ce paradoxe est d’autant plus criant que ces formes d’exclusion touchent justement des élèves migrants qui tentent de s’intégrer à leur pays d’accueil. De telles mesures d’aide risquent de déboucher sur des cercles vicieux : le statut de saisonnier est une attaque contre la structure et la cohésion familiale. En excluant certains de ses membres, il empêche durablement la famille d’être réunie et les parents d’exercer un encadrement parental conséquent. Ce à quoi l’école répond par d’autres mesures d’exclusion lorsque la famille est finalement réunie. Il conviendrait donc de casser ce cercle vicieux en proposant des mesures d’aide non paradoxales.

Ces mesures d’aide font de l’élève le porteur de l’inadaptation (ou du symptôme). Or, et c’est un truisme que de le répéter, les apprentissages scolaires sont également, et peut-être surtout, le résultat d’un processus interactionnel entre la personne enseignante et l’élève, ainsi qu’entre élèves (voir, par exemple, le courant dit de l’éducation cognitive ou de la métacognition et, à ce propos, la synthèse de Doudin, Martin et Albanese, 2001).

Il convient donc de tout faire pour soutenir ce processus relationnel. Prendre la décision de faire redoubler un élève, de l’orienter dans une classe regroupant des élèves ayant des difficultés ou encore de lui faire suivre des cours d’appui donnés hors classe est, au contraire, une rupture de la relation pédagogique avec l’enseignant de classe régulière et une délégation du problème à un autre enseignant qui, dans le cadre de la classe regroupant des élèves ayant des difficultés ou dans le cadre de l’appui, prend le rôle de spécialiste. Cela peut contribuer à la dévalorisation, tant de l’élève que de la personne enseignante de classe régulière, qui n’est pas reconnue par l’institution comme compétente pour gérer les difficultés d’apprentissage rencontrées par certains de ses élèves et qui risque de déléguer le problème à un autre enseignant ou à un spécialiste, plutôt que de mettre en place une collaboration. Afin d’éviter de tels écueils, de nouvelles approches sont tentées dans certains pays (par exemple, Acheson et Gall, 1992 ; Dionne et Rousseau, 2006 ; Rousseau et Bélanger, 2004 ; Saint-Laurent, Giasson, Royer et Boisclair, 1995), comme l’intervision (groupe pairs), l’assistance indirecte ou l’accompagnement (intervention d’un spécialiste auprès d’un enseignant ou d’un groupe d’enseignants). Ces approches visent toutes à soutenir l’interaction pédagogique entre l’enseignant de classe régulière et ses élèves, plutôt qu’à l’interrompre momentanément (comme c’est le cas lors de l’appui donné hors classe), durablement (classe à effectif réduit), voire définitivement (classe de développement). En fournissant aux membres du personnel enseignant notamment une rétroaction sur leur manière d’enseigner, on leur permet de développer des stratégies d’enseignement plus efficaces pour l’ensemble de la classe, pour un sous-groupe d’élèves ou pour un élève en particulier, et d’éviter, autant que faire se peut, l’exclusion de l’élève. De telles stratégies d’intervention se situent dans une démarche de pratique réflexive provoquant des prises de conscience (Martin, Doudin, Pons et Lafortune, 2004) et des remises en question pouvant conduire à des changements de pratique et à une pédagogie de l’inclusion (Rousseau et Langlois, 2003).

Perrenoud propose une pédagogie différenciée qui consiste à proposer aux élèves d’une même classe différents types d’interactions et d’activités, de sorte que chaque élève soit constamment ou, du moins, très souvent, confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui (1995, p. 29). Aussi, plutôt que d’opter pour une différenciation structurale, il conviendrait d’amener les enseignants et enseignantes à réfléchir à leurs pratiques pédagogiques et évaluatives de façon à reconnaître les gestes ou attitudes qui peuvent mener à une certaine forme d’exclusion, et qui iraient à l’encontre d’une équité sociopédagogique (Lafortune, 2006). Selon Lafortune (2006), cette équité sociopédagogique vise le développement d’une posture qui tienne compte du contexte social, des attitudes, des croyances (conceptions et convictions), des valeurs, des façons de considérer les élèves, des façons de réagir à des propos.

Il convient de reconnaître l’hétérogénéité des élèves et de tenter d’adapter la relation pédagogique. Le passage de la différenciation structurale à une équité sociopédagogique suppose un changement important de politiques scolaires, tant sur le plan de la structure que de la formation à l’enseignement et une réallocation des moyens financiers et humains.

6. Conclusion

Si de nombreuses études montrent que l’inclusion en classe régulière d’élèves en difficulté constitue un bénéfice pour ces élèves (pour une synthèse, voir Doudin et Lafortune, 2006), d’autres études nous rendent attentifs au fait que les enseignants et enseignantes incluant dans leur classe des élèves en difficulté sont plus à risque d’épuisement professionnel (ou burnout) que des professionnels qui recourent à l’exclusion des cas difficiles. Il s’agit donc de mettre en place une politique inclusive, sans pour autant que ces professionnels se fragilisent face à une politique perçue comme menaçante. Un des facteurs de protection efficace contre le burnout est le soutien social, c’est-à-dire le réseau d’aide qu’une personne peut solliciter lorsqu’elle est confrontée à des situations professionnelles problématiques (Canouï et Mauranges, 2004). Il est donc important que l’école accompagne le professionnel dans ce changement (Lafortune, 2008) allant de la différenciation structurale à l’inclusion. La réallocation des moyens financiers et humains consisterait principalement à diminuer le nombre de classes regroupant des élèves en difficulté. Avec les moyens ainsi dégagés, il conviendrait de former des personnes-ressources aptes à soutenir les enseignants et enseignantes de classe régulière dans leur démarche inclusive. Dans une optique de co-construction avec ceux-ci, les personnes-ressources permettraient de repenser la situation et d’envisager de nouvelles pistes de réflexion et d’action dans des situations où certains élèves risqueraient l’exclusion de la classe régulière.