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Rapports au savoir et représentations sociales

Charlot (2000) met en évidence plusieurs perspectives dans les rapports au savoir. Une perspective anthropologique privilégie la question générale de la fonction et de la nécessité d’apprentissage pour les êtres dont la condition humaine les oblige à s’approprier un patrimoine de savoirs, mais aussi d’outils, de pratiques et de relations. Une approche plus psychologique se centre sur la construction du sujet apprenant. Une perspective socio-culturelle analyse comment se construisent ces rapports au savoir (mais aussi au langage, à l’école…) en fonction d’une catégorie sociale, mais aussi en fonction des relations qu’ils entretiennent au monde, à l’autre. Enfin, la dernière perspective de Charlot consiste en un questionnement du rapport au savoir en fonction des spécificités du savoir lui-même, spécificités épistémologiques, cognitives ou didactiques.

Nous privilégions ici ces deux dernières entrées lorsque nous cherchons à déterminer ce que recouvrent les sciences économiques pour les élèves. Peut-on considérer les sciences économiques comme un ensemble cohérent, constituant un champ conceptuel dans le sens de « situations dont le traitement implique des schèmes, concepts et théorèmes, en étroite connexion, ainsi que les représentations langagières et symboliques » (Vergnaud, 1994, p. 71) ? Alpe (2004) montre que la définition d’une discipline n’est pas la même en recherche qu’à l’école ; la discipline scolaire est un construit social dont les contours diffèrent de la discipline scientifique. Notre objet n’est pas de déterminer si les sciences économiques, de par leur dimension « polyparadigmatique » ou les différentes entrées possibles (macroéconomie, microéconomie…) constituent ou non un ensemble cohérent, mais de caractériser les associations réalisées par les élèves d’économie à des concepts et/ou des représentations langagières ou symboliques.

Il s’agit d’approcher « l’épistémologie de l’élève », c’est-à-dire les représentations qu’il s’est construit de la discipline (Legardez, 2004a). La notion de représentations sociales, due à Moscovici (1994), est appliquée à la didactique, car les représentations sont le moyen d’interpréter, de représenter le monde ; elles sont dites sociales, car elles sont le produit du groupe d’appartenance. L’école dite « aixoise » des représentations sociales considère qu’elles constituent un ensemble structuré au travers de noyaux organisateurs dont les modifications se jouent en périphérie (Abric, 1994). Appliquée à l’économie, Legardez utilise la notion de représentations-connaissances ; les acquis scolaires viennent en effet s’ajouter (se superposer, s’opposer, compléter…) aux représentations qui, dans le domaine économique, sont déjà construites en dehors de l’école, tant par des pratiques de consommation que par le travail des membres de la famille ou par la forte médiatisation dont l’économie fait l’objet. Il s’agit bien d’appréhender ce que Legardez (2004b) définit comme des représentations sociales spécifiques au milieu scolaire sur l’objet « sciences économiques », comportant des savoirs sociaux et des savoirs scolaires.

Nous cherchons, pour reprendre le lexique des représentations sociales de Gérard Vergès (1989), à identifier des noeuds, le noyau central qui est au coeur des représentations de l’économie : sont-ils proches et en adéquation avec la discipline scolaire ? Dans le cas des représentations sociales, la notion de noyau central définit une structure. On peut mettre en parallèle à cette structure des représentations le modèle de schème de Vergnaud qui se constitue d’éléments organisateurs (buts, règles d’action, invariants opératoires, inférences). Nous avons donc questionné les élèves sur les buts, les méthodes, les outils, mais aussi les objets ou concepts qui pouvaient qualifier la discipline économique au travers de ce qu’est l’activité de la recherche en économie.

Méthodologie

Pour mettre en place cette recherche, nous avons soumis des élèves à un questionnaire avant (pré-test) et après (post-test) une conférence donnée par un chercheur économiste lors de l’Université des Lycéens[1]. Le double questionnaire, appuyé sur la conférence, a pour objectif d’apprécier l’ancrage ou la volatilité des représentations identifiées. Le questionnaire a été administré par les enseignants dans le contexte scolaire. De plus, quelques entretiens complémentaires avec des élèves ont été réalisés. Nous présentons seulement ici l’analyse d’une partie des données spécifiques à l’économie, car un questionnaire commun a été conduit sur trois conférences différentes (Simonneaux, Ducamp, Albe, Simonneaux et Hirtzlin, 2005).

Chaque séance fait intervenir un chercheur qui est le conférencier principal. Celui-ci explore un champ scientifique à travers une trajectoire individuelle, mais aussi une trajectoire collective de sa discipline (évolution, enjeux, contraintes, motivations, questionnements…). La conférence qui a servi de support à notre recherche portait sur les sciences économiques au travers du thème : « La science économique peut-elle aider l’Afrique ? ». Le conférencier principal était Jean-Paul Azam, professeur de sciences économiques à l’Université des Sciences sociales de Toulouse, directeur du laboratoire ARQADE, directeur de recherche à l’Institut d’Économie industrielle et membre de l’Institut universitaire de France.

Nous analysons ici l’impact de cette conférence sur la perception des sciences économiques des élèves à partir d’un échantillon de 170 élèves (sur 380 participants) de quatre établissements de différentes filières :

  • deux classes de première et une classe de terminale de STAE (Sciences et Techniques de l’Agronomie et l’Environnement) ;

  • une classe de terminale de ES (série Économique et Sociale) ;

  • deux classes de première et une classe de terminale de S (série Scientifique, option Sciences de la vie et de la Terre).

La série STAE fait un peu de place à l’enseignement de l’économie dans son corpus, la série ES est spécialisée en sciences économiques et sociales alors que la série S ne contient aucun cours d’économie.

Une première série de questions portait sur la finalité et les outils de la recherche en économie. Ensuite, sous l’appellation de « thème », nous avons mesuré le degré de connaissances des élèves (« tout à fait d’accord », « plutôt d’accord », « plutôt pas d’accord », « pas d’accord du tout », « je ne sais pas ») sur des problématiques spécifiques aux sciences économiques, le degré de théorisation de ces problématiques pouvant être variable. Quelques questions complémentaires avaient pour but d’apprécier la connaissance éventuelle d’institutions socioéconomiques (OMC, FMI, BCE…) et ainsi arriver à caractériser la « culture économique » des élèves. Pour évaluer l’impact de la conférence, un même questionnaire est utilisé avant la conférence (pré-test) et quelques jours après la conférence (post-test). Ce questionnaire a été distribué en classe par des enseignants. Le post-test permet d’apprécier l’ancrage ou la plasticité de ces représentations et de voir si elles ont pu évoluer à la suite de la conférence.

Une dernière série de questions avaient pour objectif d’apprécier les impacts de cette conférence auprès des élèves dans une démarche autoréflexive.

Résultats

Science expérimentale ou science humaine ?

La perception de l’économie comme science est une réelle interrogation pour les élèves. Ils sont un quart, au pré-test, à ne pas différencier sciences expérimentales et sciences humaines. À la suite de la conférence, ils sont plus nombreux à définir l’économie comme science humaine ; ce résultat est attribuable essentiellement au nombre de réponses « je ne sais pas », qui diminue. Il reste encore une proportion importante d’élèves, notamment en filière STAE, qui s’interrogent sur ce qui différencie les sciences expérimentales et humaines après la conférence.

Il faut insister sur l’effet d’homogénéisation de la conférence : les élèves qui répondaient « je ne sais pas » étaient majoritairement des élèves des filières STAE et S. Leur proportion en post-test diminue plus que proportionnellement. La différence entre filières était significative en pré-test, mais devient non significative par la suite. On peut penser que l’« épaisseur » ou la « densité » des conceptions de l’économie était plus faible en terminale S ; ces élèves n’ayant généralement pas eu de cours d’économie au lycée, leur acculturation est essentiellement médiatique et non scolaire. Faut-il interpréter ces différences comme l’illustration d’un effet pervers d’une spécialisation précoce ou d’un manque de culture économique ? Les élèves de la filière ES paraissent être ceux qui doutent le moins de la dimension scientifique de l’économie.

Tableau 1

Réponses au post-test à la question « L’économie est ? »

Réponses au post-test à la question « L’économie est ? »

Note : Le chiffre entre parenthèses représente la différence entre le pré-test et le post-test.

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Qu’est-ce qui caractérise les sciences économiques ?

Les outils statistiques et mathématiques sont largement associés à l’économie par les élèves. Après la conférence, on note une évolution dans les représentations que se font les élèves de les outils utilisés par le chercheur en économie ; en effet, les « statistiques », le premier outil cité par les élèves en pré-test, régressent assez nettement au profit des « outils mathématiques » et des « enquêtes auprès des populations ». Ces dernières augmentent nettement du pré-test au post-test, passant de 18,6 % à 31,7 % pour les citations de premier rang et de 57,1 % à 77,6 % pour les fréquences cumulées.

Cette évolution est certainement due au discours du conférencier, Azam, qui a insisté sur la nécessité d’un travail de terrain, notamment auprès de la population, mais qui a aussi évoqué l’usage et la nécessité des outils mathématiques dans la recherche en dédramatisant leur usage. Précisons qu’aucune différence significative n’apparaît dans les représentations des outils utilisés par le chercheur ni entre les élèves qui définissent l’économie comme science humaine et ceux qui la définissent comme science expérimentale ni entre les filières d’origine des élèves.

Il faut sans doute davantage retenir l’élargissement du questionnement que le recul de certaines problématiques : le fait d’utiliser des questions à réponses ordonnées oblige à attribuer un rang moindre à d’autres réponses. On constate la difficulté des élèves à penser l’économie, à la fois comme science, puisqu’elle reste associée à l’outil statistique et mathématique et à la fois comme raisonnement fondé sur les préoccupations humaines. L’idée que l’économie est associée à des principes d’humanité est renforcée au cours de cette conférence ; la place primordiale accordée à différents items (enquêtes auprès des populations, des besoins de la population, des pays pauvres...) illustre cette dimension humaniste. Le débat sur l’autonomisation de l’économie vis-à-vis des sciences morales demeure donc à la fois dans l’épistémologie de la discipline et dans les conceptions des apprenants. La « mathématisation » comme critère de scientificité de l’économie (Lordon, 1997) est déjà intégrée pour une majorité d’élèves et renforcée par la conférence. Pour les élèves, l’économie n’est pas limitée à une boîte à outils, mais s’intéresse à ce qui se passe dans le « monde réel », pour reprendre le terme de Coase (2000), qui se constitue essentiellement de la population – les ménages pour utiliser un langage disciplinaire – alors que la place des entreprises, des états ou autres institutions y demeure marginale.

Tableau 2

Réponses au post-test à la question « Le travail du chercheur en économie s’appuie sur ? »

Réponses au post-test à la question « Le travail du chercheur en économie s’appuie sur ? »

Note : Le chiffre entre parenthèses représente la différence entre le pré-test et le post-test.

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On peut noter un élargissement et une ouverture des élèves sur la discipline économique : la proportion d’élèves qui pensent que l’objet de la science économique est de s’intéresser aux besoins des êtres humains augmente tant en citation de premier rang qu’en fréquence totale ; le nombre d’élèves qui pensent que l’économie a pour objet le développement des différents pays augmente également (voir le Tableau 3). Dans la même question, il est à noter que la proportion d’élèves qui pensent que la science économique a pour objet de s’intéresser aux revenus et à leur disparité passe de 48,8 % à 35,3 %. La perception de ce que recouvre l’économie s’est étendue par rapport à des représentations où les questions de revenus et d’argent sont centrales. La question sur l’utilité des études économiques vient d’ailleurs conforter cet élargissement de la discipline puisqu’il y a une diminution du nombre d’élèves qui pensent que les études économiques servent à travailler dans le commerce (84,7 % à 70,9 %) ou dans les grandes entreprises (de 63,4 % à 43,3 %) alors que le travail d’aide au tiers-monde ou de recherche augmente nettement (respectivement de 36,6 % à 57,1 % et de 27,6 % à 52,5 %).

Tableau 3

Réponses au post-test à la question « La science économique a pour objet ? »

Réponses au post-test à la question « La science économique a pour objet ? »

Note : Le chiffre entre parenthèses représente la différence entre le pré-test et le post-test.

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L’économie, à quoi ça sert ?

Il faut souligner combien la perception de l’économie, notamment dans sa dimension humaniste, est en décalage par rapport à l’utilité ou les débouchés des sciences économiques. Selon les élèves, les métiers associés à l’économie restent majoritairement orientés vers le commerce et les grandes entreprises alors que la recherche serait peu en contact avec les entreprises. Certes, là encore, on peut supposer que la conférence a eu un effet de glissement non négligeable sur les représentations dans la mesure où les citations de débouchés vers la recherche ou l’aide au tiers-monde augmentent de manière importante et significative. Toutefois, l’idée que l’économie est faite pour travailler dans le commerce demeure majoritaire. Les finalités humanistes de l’économie (étudier les besoins des êtres humains, favoriser le développement des différents pays) demeurent, voire se renforcent, mais l’idée qu’on se fait du travail demeure majoritairement « mercantile ».

Tableau 4

Réponses au post-test à la question « Les personnes qui suivent des études en économie envisagent travailler dans »

Réponses au post-test à la question « Les personnes qui suivent des études en économie envisagent travailler dans »

Note : Le chiffre entre parenthèses représente la différence entre le pré-test et le post-test.

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Les élèves qui citent les grandes entreprises comme domaine professionnel à la suite d’études en économie citent effectivement plus souvent le commerce en deuxième choix ; mais leurs réponses ne sont pas significativement différentes quant aux outils ou méthodes utilisés par la recherche. Ces résultats sont à mettre en parallèle avec le découpage, effectué à l’université et dans les écoles de commerce, entre ce qui relève de l’économie générale et ce qui relève de l’économie d’entreprise – dénommée encore gestion ou marketing. La dichotomie entre économie et gestion demeure confuse pour les élèves. La dimension entreprise est très peu évoquée dans le travail du chercheur, y compris en pré-test, mais devient majoritaire en post-test pour évoquer les métiers auxquels prépare l’économie. Le sujet de la conférence a sans doute renforcé cette confusion, d’autant que les curricula de ces filières contiennent peu d’économie d’entreprise. La conférence fait certes bouger quelque peu les représentations sur l’usage de l’économie, mais on voit ici clairement cohabiter deux perceptions : l’une tournée vers l’entreprise et le commerce, l’autre vers les besoins des hommes…

Les outils mathématiques et statistiques, les préoccupations humanistes et enfin les dimensions marchandes (et le monde des grandes entreprises) constituent trois éléments centraux, trois noyaux organisateurs, dans les représentations de ce que sont les sciences économiques.

Il semble toutefois que les liens entre ces différents éléments ne soient pas explicites pour de nombreux élèves : les réponses ne montrent pas de liens significatifs entre ces domaines. De plus, les grandes entreprises sont citées comme débouché économique primordial mais sont mises en marge du travail du chercheur, les enquêtes auprès des entreprises étant une méthode très peu évoquée par les élèves. Est-ce à dire que le monde de la production scientifique est un monde déconnecté du monde du travail et de l’entreprise pour les élèves ? On peut au moins penser que les élèves différencient ce qui se passe dans la discipline scolaire de ce qui se passe dans le monde du travail quand ils évoquent l’économie. Est-ce à dire que, pour les élèves, ce qui se passe dans le monde réel n’entre pas dans l’économie ? Il ne nous semble pas que cela soit le cas. Toutefois, cela montre que l’apprentissage ne se limite pas – ou ne devrait pas se limiter – à des acquisitions de constructions théoriques, le risque étant de favoriser des connaissances faites pour l’école, mais qui ne sont pas mobilisées dans la vie courante et réelle. L’enseignement secondaire a pour objectif de former des citoyens et des acteurs économiques (consommateurs, entrepreneurs, salariés…) autant que de futurs scientifiques.

Objets et problématiques spécifiques aux sciences économiques

Dans cette série de questions, notre objectif est de voir si les élèves identifiaient un certain nombre de problématiques comme étant économiques. Nous avions réuni ces problématiques sous le vocable de « thème », car elles sont plus ou moins théorisées et abstraites, mais toutes assez proches du sujet de la conférence de Azam.

Soulignons tout d’abord la relative stabilité des réponses des élèves entre le pré-test et le post-test : la position des élèves sur ces problématiques évolue très peu (voir le Tableau 5). Les citations qui évoluent concernent des thèmes largement abordés par Azam et qui ont un niveau de formulation simple : pays pauvres, paysans africains, conflits et guerres civiles, rationalité des acteurs, comportements des agriculteurs. En effet, le conférencier a largement illustré ses activités de recherche en montrant comment il a analysé la production agricole dans les pays africains en guerre. Globalement, on observe un élargissement des thèmes liés à l’économie, mais ce changement demeure limité. Deux thèmes pour lesquels nous observons un recul de leur dimension économique – « l’environnement » et « dévaluation et convertibilité » – sont peu évoqués ou peu développés dans la conférence de Azam ; par contre, le thème de « la fixation des prix et des marchés », qui apparaît également légèrement en recul, a été évoqué au cours de cette journée.

Tableau 5

Pourcentage de réponses au post-test « Déterminer si le thème suivant est une question économique »

Pourcentage de réponses au post-test « Déterminer si le thème suivant est une question économique »

Note : Les chiffres entre parenthèses représentent l’évolution par rapport au pré-test.

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En deuxième point, il faut signaler les différences, souvent significatives – ou très significatives – sur le plan statistique, entre les élèves des différentes filières en pré-test et l’atténuation de ces différences à la suite de la conférence pour les problématiques les moins abstraites qui ont été traitées durant la conférence (voir le Tableau 6). Les élèves de filière ES se distinguent en considérant globalement que les différents thèmes constituent des questions économiques et en ayant un taux de réponse « je ne sais pas » inférieur. Les effets de la conférence sont donc plus importants auprès d’un public peu averti, qui connaît mal les objets sur lesquels travaille l’économie. Cela est aussi vrai pour la filière S ; quant aux élèves de la filière STAE, ils se trouvent souvent dans une position intermédiaire.

Concernant le comportement des agriculteurs, les élèves de filière ES et S ont globalement adhéré au fait qu’il s’agit d’une problématique économique, et ce de manière plus radicale que ceux de la filière STAE qui font partie de l’enseignement agricole. Répétons que l’objectif n’était pas de faire acquérir des connaissances : il est en effet clair, y compris dans les entretiens, que l’acquisition de connaissances scolaires aura été très faible.

Tableau 6

Probabilité de dépendance entre problématique et filières des élèves (STAE, ES, S) au cours du pré-test et du post-test

Probabilité de dépendance entre problématique et filières des élèves (STAE, ES, S) au cours du pré-test et du post-test

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Sont-ils prêts à changer d’avis ?

La majorité des élèves de notre échantillon affirment mieux connaître l’économie à la suite de la conférence, mieux connaître le travail des chercheurs ou avoir trouvé très intéressante la conférence de Azam ; ils confirment donc eux-mêmes un élargissement de leur perception de l’économie. Cependant, il sont toujours une majorité à ne pas trouver l’économie très intéressante (voir le Tableau 7). Par rapport à l’objectif initial de favoriser une orientation vers des études scientifiques dans ce domaine, les retombées de la conférence paraissent aléatoires. Globalement, on ne peut que souligner la qualité du conférencier qui a su s’adapter au public en trouvant l’équilibre entre la présentation des questions économiques en Afrique et des illustrations pertinentes qui ont su capter l’attention des élèves ; la qualité de l’intervention ressort dans les entretiens comme dans le questionnaire. Le parcours universitaire et professionnel du chercheur semble avoir moins passionné les élèves qui ne paraissent pas s’y être intéressés ou projetés spontanément.

On peut s’interroger un peu plus sur le débat qui a suivi la conférence, particulièrement sur les limites imposées par de telles modalités : comment peut-on réellement débattre avec un public de 350 élèves ? Les conditions ne sont pas réunies pour qu’il y ait réellement interactions dans une discussion.

Tableau 7

Réponses en post-test à la question : « À la suite de la conférence à laquelle vous avez assisté, diriez-vous »

Réponses en post-test à la question : « À la suite de la conférence à laquelle vous avez assisté, diriez-vous »

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Lorsque nous approfondissons ces résultats en fonction de l’origine des élèves, on voit que les élèves des classes de STAE et S ont le sentiment de mieux connaître l’économie (p > 0,999) après la conférence. Certes, on s’aperçoit qu’il y a une dépendance très significative (p = 0,999) entre le fait de mieux connaître l’économie et de trouver l’économie plus intéressante. Toutefois, sur les 86 élèves qui déclarent mieux connaître l’économie – « tout à fait d’accord » ou « plutôt d’accord » –, seuls 35 sont d’accord pour trouver l’économie très intéressante à la suite de la conférence. Si la connaissance de la discipline est nécessaire au fait d’y trouver de l’intérêt, elle ne représente pas une condition suffisante. L’accroissement du recrutement vers les filières économiques passe certes par une meilleure connaissance de la discipline, mais certainement aussi par un travail avec les élèves sur leurs propres représentations de la discipline, des petites et grandes entreprises, des différents métiers.

Conclusion

Les représentations des élèves de ce qu’est la discipline économique s’appuient sur trois points essentiels relativement indépendants, voire contradictoires : l’économie est une science, car elle a une dimension statistique et mathématique ; l’économie a des préoccupations humaines, voire humanistes ; et enfin l’économie sert à travailler dans le secteur du commerce et des grandes entreprises. La discipline économie est beaucoup plus large que la science économique.

Les dimensions mathématique et statistique reconnues par les élèves illustrent aussi une conception de la science : le raisonnement scientifique en est un mathématique. Le débat, universitaire et non pas lié à l’enseignement secondaire, sur la place de la modélisation et de la mathématisation amène à s’interroger quant à cette conception. Soulignons cependant que, au cours des entretiens, cette dimension mathématique est reconnue, mais perçue négativement ; elle est donc évoquée comme élément de sélectivité dans le choix d’une orientation. On peut émettre l’hypothèse que les représentations de la sociologie, pour évoquer d’autres sciences sociales, ne comportent pas cette dimension d’outillage mathématique.

Les préoccupations humaines illustrent comment l’économie peut être mise au service d’une perspective citoyenne et viennent confirmer, y compris pour les élèves, que l’objet économie est aussi porteur de valeurs (Simonneaux, 2005). La représentation de l’économie comme offrant des débouchés professionnels dans le commerce et les grandes entreprises n’est certes pas fausse, mais elle est largement restrictive et demeure difficile à ébranler. L’économie n’est donc pas seulement une science pour les élèves, il s’agit d’un domaine d’action qui intègre les intérêts des populations tout en ayant des débouchés essentiellement mercantiles. Cette structure peut sans doute être complétée, organisée et certainement densifiée par la formation qui prend plus souvent l’exemple de grandes entreprises que celle de petites et moyennes entreprises artisanales ou commerciales.

Les élèves sont porteurs potentiels de ces contradictions qu’il faudrait sans doute éclaircir avec eux. La conférence a renforcé les représentations de l’économie comme science et comme ensemble à finalité humaniste. Ces éléments « centraux » nous amènent cependant à dire qu’il serait intéressant d’élargir ces représentations en étudiant avec les élèves les différents métiers et les apports de l’économie dans une perspective professionnelle ainsi que d’élargir les champs et objets couverts par la discipline (institutions, firmes, politiques économiques, environnement…). Les impacts de cette conférence nous conduisent à penser que, pour faire évoluer les représentations des sciences économiques, on peut poursuivre le questionnement scientifique et ouvrir sur d’autres thèmes aussi pertinents que l’Afrique ; l’environnement serait sans doute une piste possible pour élargir ce qu’est l’objet économie.

Le contenu de la discipline étudiée, notamment une instrumentation mathématique/statistique et des préoccupations humaines, semble fort peu relié aux représentations des métiers auxquels prépare l’économie. Les représentations de l’économie paraissent proches de ce que serait un grand ensemble des sciences sociales, alors que le domaine d’application est axé autour de la gestion et du commerce. La question de l’orientation vers des études scientifiques doit-elle être pensée par rapport à la représentation de la science ou par rapport aux représentations des métiers ? Les élèves peuvent s’orienter vers des études scientifiques sans envisager un métier lié à la recherche. Il faut explorer les projections et l’investissement des élèves dans un futur professionnel en l’articulant avec les représentations de la science et de la discipline. Autant que la recherche, d’autres professions liées au commerce ou aux grandes entreprises ou aux collectivités locales, à la sphère politique pourraient être envisagées dans la présentation des métiers liés à l’économie. Ce serait l’occasion également d’approcher les sciences sociales (économie, politique, gestion, droit, etc.) et de les relier à des projets ou des situations professionnelles.

Cependant, on voit que la caractérisation de l’économie par les élèves comme discipline scolaire consiste en un équilibre entre contenu scientifique, préoccupation du réel et projection professionnelle. La structuration de la discipline scolaire est donc différente de celle de la discipline scientifique. Pour cette dernière, les règles de fonctionnement sont importantes. De plus, les objets sur lesquels porte la discipline sont plus structurants dans le champ scolaire que dans le champ scientifique. La structuration des sciences économiques entre différents courants économiques (théorie standard, économie du développement, etc.) ou champs économiques (production, environnement, etc.) ne semble pas être comparable à la structuration des représentations-connaissances des élèves.

Cette analyse d’une rencontre entre chercheur et lycéens montre que l’évolution des représentations des sciences économiques au travers d’actions comme celle-ci reste limitée et ne peut se traiter de manière ponctuelle et ce, même si cette conférence paraît avoir été la plus « efficace » parmi les trois conférences étudiées. Ce « rapport » au savoir ne doit pas se confondre avec la volonté éventuelle de jeunes de s’orienter vers des études et une carrière scientifique, sur laquelle, rappelons-le, cette conférence n’a eu pas eu d’incidence significative (Simonneaux et al., 2005). Les représentations de l’économie sont plus fortement ancrées chez les élèves des filières économiques et sont plus « malléables » dans le cas des filières qui ne sont pas spécialisées dans ce domaine. C’est une modalité qui est d’autant plus efficace que l’acculturation est faible ; on peut donc redire que cette initiative paraît souhaitable en classe de seconde, avant que les choix de filière ne soient réalisés. On peut supposer qu’un nombre plus limité d’élèves (de l’ordre d’une classe ?) doit favoriser la mise en place d’une réelle situation d’échange et de débat ; l’efficacité de telles actions se verrait sûrement améliorée. Cependant, il apparaît que le succès reste très dépendant de la capacité de communication des conférenciers invités et de ce que l’enseignant pourra réaliser dans la classe en complément.