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1. Cadre problématique

Au Québec, l’affirmation suivante suscite un large consensus : « le paradigme de l’enseignement qui semble encore dominant en classe d’histoire est […] celui d’un enseignant qui transmet le savoir à apprendre à des élèves qui […] sont trop rarement (voire jamais) confrontés à des activités qui intègrent une démarche historique d’enquête et de critique » (Martel, 2018, p. 33). À l’échelle européenne, l’enquête Youth and history avait également reconnu la prédominance de pratiques articulées autour du récit de l’enseignant⋅e et de la lecture du manuel (Von Borries, 2000). En France, les recherches suggèrent la prédominance du cours magistral dialogué (Audigier, Crémieux et Mousseau, 1996 ; Cardin et Tutiaux-Guillon, 2007 ; Doussot, 2011 ; Lautier et Allieu-Mary, 2008 ; Le Marec, Doussot et Vézier, 2009 ; Tutiaux‑Guillon, 2008). Aux États-Unis, l’enseignement de l’histoire privilégie le recours au manuel qui constitue le véhicule d’un récit réputé autorisé (De La Paz, 2005, 2012 ; Reisman, 2011 ; Rosenzweig, 2000 ; Vansledright, 2011 ; Vansledright et Kelly, 1998).

Ce diagnostic relatif aux pratiques d’enseignement en histoire au Québec, déjà formulé au tournant des années 1990-2000 (Charland, 2003 ; Martineau, 1997), a été confirmé durant cette dernière décennie par quelques recherches empiriques.

En 2011, dans son étude de cas auprès de neuf enseignant⋅e⋅s du 2e cycle du secondaire, Demers (2011, 2019) a mis en évidence la prédominance d’un mode de diffusion des connaissances de type transmissif. Trois enseignant⋅e⋅s se distinguaient par l’organisation d’activités plus complexes, de nature interprétative, encadrées dans un dispositif transmissif. Ces différences étaient principalement imputées à leurs croyances épistémologiques et aux finalités assignées à leur enseignement. En 2012, au terme d’une étude sur les pratiques d’éducation à la citoyenneté de six enseignant⋅e⋅s d’histoire au 1er cycle du secondaire, Karwera (2012) soulignait le recours majoritaire au récit et à des exercices de repérage d’informations. L’année suivante, dans son étude sur les pratiques d’usage de manuels scolaires par neuf enseignant⋅e⋅s d’histoire du secondaire, Boutonnet (2013) concluait que les activités proposées se limitaient le plus souvent au simple repérage d’informations.

Boutonnet (2013, 2019) révélait aussi un écart entre les pratiques déclarées et effectives. Il expliquait cet écart par les « représentations divergentes de l’enseignement de l’histoire » (Boutonnet, 2015, p. 16) du personnel enseignant et des variables de contexte (contraintes de travail, manque de temps, programme, perceptions des élèves). De même, Karwera (2012) avait relevé, pour quatre des six enseignant⋅e⋅s, des écarts entre « les convictions personnelles de chaque enseignant, en lien avec la citoyenneté » (p. 211) et leurs pratiques effectives d’éducation à la citoyenneté. Il expliquait ces écarts par la vision que l’enseignant⋅e a de ses élèves en salle de classe, « leur composition ethnoculturelle ainsi que leur bagage culturel […], leurs réactions anticipées et l’appréciation de leur niveau de maturité […] » (p. 237).

Ces trois études sur les pratiques effectives du personnel enseignant, menées au Québec au cours des dix dernières années, tendent donc à montrer que l’enseignement de l’histoire demeure axé sur la transmission ou la découverte d’un récit. Toutefois, Boutonnet (2013) et Karwera (2012) analysent les pratiques sous un angle particulier : l’usage du manuel scolaire ou le recours aux activités d’éducation citoyenne ; seule Demers (2011, 2019) s’est intéressée à des séances régulières d’enseignement de l’histoire en les analysant sans un angle d’approche particulier.

De plus, ces études font ressortir les écarts entre, d’une part, les pratiques déclarées et effectives et, d’autre part, les représentations et les pratiques effectives. Ces écarts sont attribués à un ensemble de variables ; certaines renvoient aux multiples contraintes temporelles, matérielles, organisationnelles, normatives et humaines qui pèsent sur le personnel enseignant ; d’autres à des « représentations divergentes » ou à des « convictions personnelles ». Si les premières variables semblent assez circonscrites (temps disponible, matériel éducatif, organisation de l’établissement scolaire, programme, connaissances et attitudes des élèves, etc.), les secondes demeurent floues, mises à part les croyances épistémologiques et les finalités que Demers (2011, 2019) documente comme explicatives des pratiques.

Ces travaux nous amènent donc à nous interroger en considérant différentes directions. Leur nombre réduit invite à mettre à l’épreuve le diagnostic de la prédominance des pratiques d’enseignement magistrocentrées en classe d’histoire au Québec. De plus, il convient de vérifier si les écarts mentionnés précédemment, mis en évidence par les études, peuvent être observés quand on évalue les pratiques d’enseignement effectives, courantes ou régulières du personnel enseignant et qu’on les rapproche de leurs représentations de l’enseignement-apprentissage. Ces représentations n’ont en effet pas été prises en compte, au contraire des croyances épistémologiques. La question de l’écart entre les pratiques d’enseignement effectives et les finalités que poursuit le personnel enseignant mérite aussi d’être approfondie.

Cette étude vise à analyser les finalités que cinq enseignant⋅e⋅s québécois⋅es d’histoire assignent à l’enseignement de cette discipline, leurs représentations de l’enseignement‑apprentissage de l’histoire au secondaire et leurs pratiques d’enseignement. Cette recherche exploratoire analyse dans quelle mesure ces finalités, représentations et pratiques convergent.

2. Cadre théorique

2.1 Les finalités de l’enseignement de l’histoire

Même si le concept de finalité est polysémique, il est en général utilisé pour définir le niveau le plus élevé dans la pyramide des intentions censées ordonner l’action éducative. Une finalité consiste en un « énoncé de principe indiquant l’orientation générale de la philosophie, des conceptions et des valeurs d’un ensemble de personnes, de ressources et d’activités » (Legendre, 1993, p. 612). Dans la sphère éducative, les finalités sont énoncées par le pouvoir politique, les responsables des programmes, mais aussi le personnel enseignant.

On peut distinguer quatre ordres de finalité pour l’histoire (Audigier, 1997 ; Jadoulle, 2015b). Le premier est d’ordre culturel. La transmission culturelle constitue la raison même de l’école (Forquin, 1989) dont la mission première est d’incorporer la nouvelle génération à un héritage culturel. Cette « culture » peut se définir comme « un patrimoine de connaissances et de compétences, d’institutions, de valeurs et de symboles constitué au fil des générations et caractéristique d’une communauté humaine […] » (p. 10).

À partir des années 1960-1970, les textes officiels ont également mis en avant une deuxième finalité, intellectuelle cette fois. L’enseignement de l’histoire devait dorénavant développer des savoir-faire. Constitutifs de la méthode historique, ces savoir-faire sont censés être les vecteurs du développement de l’analyse, de la synthèse ou de l’esprit critique. Les travaux sur la pensée historienne (Seixas, 1996, 2000 ; Seixas et Morton, 2012 ; Seixas et Peck, 2004, Wineburg, 2000, 2001) ont contribué à renforcer ces finalités intellectuelles. Elles se justifient aussi au regard d’un troisième ordre de finalité, la finalité citoyenne.

À la fin des années 1960, le projet d’ordonner l’enseignement de l’histoire pour la formation de la⋅du citoyen⋅ne est revenu au-devant des instructions officielles, mais pas sur le mode civique qui prévalait jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, puisque la⋅le citoyen⋅ne qu’il s’agit de former est désormais défini⋅e comme éclairé⋅e et critique. Cette finalité citoyenne va de pair avec le projet d’amener les élèves à comprendre le présent par l’étude du passé (Jadoulle, 2015b).

Enfin, Audigier (1997) a mis en exergue un quatrième type de finalités dites pratiques, car, même si « à l’école, nous ne formons ni des historiens, ni des géographes, ni des juristes ou des hommes politiques » (p. 17), « […] il faut quand même pouvoir dire que les savoirs scolaires servent à quelque chose dans la vie sociale et professionnelle » (Audigier, 1995, p. 67).

Mais dans quelle mesure ces finalités sont-elles partagées par le personnel enseignant ? D’après Lanoix (2015, 2019), les enseignant⋅e⋅s d’histoire du Québec peuvent être réparti⋅e⋅s en deux groupes. Le premier est qualifié de patrimonial : il met l’accent sur des finalités qui valorisent la mémoire et le patrimoine historiques québécois. Les personnes affiliées à ce groupe adhèrent à trois finalités à valeur patrimoniale : 1) faire aimer l’histoire du Québec ; 2) transmettre la mémoire collective québécoise ; 3) donner une culture générale sur l’histoire. Cette insistance sur l’histoire, la mémoire et la culture québécoises ne les empêche pas de vouloir amener les élèves à comprendre la société actuelle. Ces deux dernières finalités (donner une culture générale sur l’histoire et comprendre la société actuelle) sont partagées par les enseignant⋅e⋅s du deuxième groupe. Le deuxième groupe insiste aussi sur l’importance de préparer à l’épreuve ministérielle de 4e secondaire et de développer les compétences prescrites par le programme. Si ces personnes partagent deux finalités avec les personnes du groupe patrimonial, elles ont aussi des finalités distinctes : Lanoix (2015) les qualifie de polyvalentes. Les finalités des deux groupes sont présentées à la figure 1.

Figure 1

Les finalités de l’enseignement de l’histoire aux yeux du personnel enseignant québécois (schéma réalisé par Jadoulle d’après Lanoix, 2015)

Les finalités de l’enseignement de l’histoire aux yeux du personnel enseignant québécois (schéma réalisé par Jadoulle d’après Lanoix, 2015)

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Les résultats de cette étude ont servi de cadre théorique pour cerner les finalités que les cinq participant⋅e⋅s à notre étude attribuent à l’enseignement de l’histoire.

2.2 Les représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire

2.2.1 Des représentations collectives aux représentations sociales

Forgé dans les premières décennies du 20e siècle par Durkheim, Freud, Lévy-Bruhl et Piaget, le concept de représentation collective a été remis en lumière par Moscovici (1989) au début des années 1960 sous une appellation nouvelle, celle de représentation sociale. Ce dernier adjectif reflète l’élaboration progressive des représentations au gré des interactions sociales. Pour Jodelet (1989), la représentation sociale est « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (p. 36). Pour Abric (1994a), une représentation sociale est « une vision fonctionnelle du monde, qui permet à l’individu ou au groupe de donner un sens à ses conduites, et de comprendre la réalité, à travers son propre système de référence, donc de s’y adapter, de s’y définir une place » (p. 13). Une représentation sociale est constituée d’un noyau central composé de contenus qui en déterminent la signification, l’organisation et en assurent la stabilité. La représentation comporte aussi des éléments périphériques. Ils permettent notamment au sujet d’adapter ses comportements en fonction des réalités contextuelles, et ce, sans modifier en profondeur le noyau de la représentation (Abric, 1994b, 2003).

2.2.2 Représentations et paradigmes de l’enseignement-apprentissage de l’histoire

Les représentations sociales étant « historiquement et socialement produites » (Flament et Rouquette, 2003, p. 13), le choix de ce concept présuppose que notre objet d’étude, à savoir l’enseignement-apprentissage de l’histoire, est le fruit d’une construction sociale partagée par le personnel enseignant. Cette hypothèse a été confirmée par Bouhon (2009) qui a montré que les principaux paradigmes de l’enseignement-apprentissage de l’histoire proposés au personnel enseignant en Belgique francophone depuis le milieu du 20e siècle − l’exposé-récit, le discours-découverte et l’apprentissage-recherche − constituent des instances de référence actives sur le plan des représentations sociales des enseignant⋅e⋅s belges et luxembourgeois⋅es d’histoire qui héritent de ces paradigmes institués.

La présence de ces trois paradigmes en contexte québécois (Cardin, 2014 ; Jadoulle, 2015b ; Martineau, 2010 ; Stan, 2017) nous a conduit à les intégrer dans le cadre théorique de notre étude. Ainsi, nous pouvons vérifier dans quelle mesure les représentations sociales des enseignant⋅e⋅s d’histoire du Québec sont tributaires de ces paradigmes.

Le premier paradigme − l’exposé-récit − se fonde sur une logique de transmission de connaissances orientée vers la maitrise de connaissances déclaratives. Le document se voit attribuer un rôle essentiellement illustratif, en appui du récit de l’enseignant⋅e.

Le deuxième paradigme − le discours-découverte − est orienté par le projet de faire découvrir de façon guidée et active le discours de l’enseignant⋅e : il n’est plus transmis, mais découvert par les élèves, à partir de l’analyse de documents. L’enseignement est orienté vers la maitrise de savoirs déclaratifs, mais aussi de connaissances procédurales.

Dans le troisième paradigme − l’apprentissage-recherche −, l’enseignant⋅e invite l’élève à s’engager dans une démarche d’investigation : à partir d’une phase de problématisation, l’élève enquête pour élaborer, intégrer et transférer ses connaissances. L’enseignant⋅e souhaite développer des savoirs déclaratifs et procéduraux, mais aussi des compétences. Les documents, fréquemment associés en corpus, constituent, plus encore que dans le cadre du discours-découverte, les matériaux premiers de l’apprentissage.

D’un paradigme à l’autre, le rôle de l’enseignant⋅e et celui de l’élève diffèrent donc sensiblement. Dans l’exposé-récit, l’enseignant⋅e sélectionne les savoirs, les organise et les transmet aux élèves. Dans le discours‑découverte, l’enseignant⋅e sélectionne et organise toujours les savoirs à transmettre, mais en planifie la découverte au moyen de documents. Dans l’apprentissage-recherche, l’enseignant⋅e ne se présente plus comme la personne qui détient le savoir, mais comme le trait d’union entre le savoir et l’élève. Son travail consiste à encadrer les élèves dans une démarche de problématisation, d’enquête et de transfert. Le rôle de l’apprenant⋅e est donc aussi sensiblement modifié. Dans l’exposé-récit et le discours-découverte, l’élève doit assimiler, comprendre, mémoriser et restituer le savoir. Toutefois, ce dernier paradigme, qui s’inscrit dans une dynamique de découverte du savoir, suppose en outre que l’élève apprenne à analyser des documents. Dans la dynamique de l’apprentissage-recherche, le rôle attendu de l’élève est toujours de comprendre, mémoriser, restituer les connaissances déclaratives et exercer les connaissances procédurales, mais aussi de problématiser, de construire ses connaissances comme des réponses à des questions de recherche et de les transférer dans des situations d’apprentissage nouvelles.

Les représentations des modalités d’enseignement-apprentissage de l’histoire des participant⋅e⋅s à cette étude ainsi que leurs pratiques ont été analysées à partir de cet éclairage théorique. Le cadre théorique que nous avons choisi se rapproche de ceux de Lenoir (2014) et de Rey (2001), mais s’en distingue du fait qu’il est spécifique à l’enseignement‑apprentissage de l’histoire. Il se démarque en outre de la typologie utilisée par Demers (2011, 2019), à la suite de Maggioni, Vansledright et Alexander (2009), du fait qu’il met l’accent sur les dimensions didactiques et pédagogiques.

2.3 Les pratiques d’enseignement de l’histoire

La pratique enseignante peut se définir comme « l’ensemble des gestes et discours de l’enseignant en classe, mais aussi dans toutes les autres situations en relation avec son action professionnelle » (Lenoir, 2014, p. 212). La présente étude a trait au champ plus restreint des pratiques d’enseignement constituées d’un ensemble « d’activités opératoires (des activités d’enseignement-apprentissage) agissant en tant que médiations sur un rapport d’objectivation (le processus d’apprentissage) qui s’établit entre le sujet apprenant et des objets de savoir » (p. 212). Ces pratiques dépassent donc l’activité que l’enseignant⋅e dirige en classe ou en phase interactive (Altet, 2002 ; Bru, 2001) ; elles englobent, en amont, les activités de planification en phase préactive et, en aval, les activités d’autoévaluation en phase postactive (Bru, 2001 ; Lessard et Tardif, 1999). Dans le cadre de cette étude, seules les pratiques d’enseignement en phase interactive ont été analysées, et ce, à partir des trois paradigmes de l’enseignement-apprentissage de l’histoire définis précédemment. En effet, puisqu’il s’agissait d’observer les écarts possibles entre les représentations et les pratiques d’enseignement de l’histoire, il était nécessaire de s’appuyer sur le même cadre théorique.

3. Dispositif de recherche

Cinq enseignant⋅e⋅s (deux femmes et trois hommes) d’histoire en première  (n = 1), troisième (n = 3) et quatrième (n = 1) années du secondaire ont pris part à notre étude multicas. Cumulant entre 10 et 22 ans d’expérience, ces participant⋅e⋅s sont titulaires d’un baccalauréat en enseignement (3), d’un baccalauréat en histoire auquel s’ajoute un brevet d’enseignement (1) ou une maitrise en enseignement (1). Leur lieu de travail est Montréal (1), l’Estrie (1), la ville de Québec (1) ou la région Chaudière‑Appalaches (2). Il s’agit donc d’un échantillon de convenance non aléatoire, non représentatif de la population du corps enseignant d’histoire de la province du Québec.

La collecte des données a eu lieu en novembre 2018 au moyen de trois types d’outils : un questionnaire en ligne, l’observation d’une séance d’enseignement (1 h 15, au choix des participant⋅e⋅s) et des entretiens réalisés en phase postactive, juste après la séance observée. Nous avons fait savoir que nous voulions observer une séance régulière et non une séance proposant un contenu ou une activité sortant de l’ordinaire. Comme expliqué dans notre problématique, l’objectif était de disposer d’un matériel le plus à même de nous renseigner sur les pratiques d’enseignement courantes. Les cinq enseignant⋅e⋅s ont confirmé que la leçon observée était bien représentative de leur pratique régulière. Notons que la maquette-horaire officielle attribue aux programmes (obligatoires) d’études de l’histoire 75 heures par année, en première et en deuxième années du secondaire, et 100 heures par année, en troisième et en quatrième années.

Le questionnaire en ligne visait à cerner les finalités que les enseignant⋅e⋅s attribuent à l’histoire comme discipline scolaire et leurs représentations de son enseignement-apprentissage. Nous avons utilisé l’outil de recueil de données conçu par Lanoix (2015) pour les questions relatives aux finalités ; nous avons créé le questionnaire relatif aux représentations. Les affirmations étaient associées en triade. Les enseignant⋅e⋅s devaient répondre à la question suivante : « [p]our chaque triade (1 à 11), sélectionnez l’affirmation avec laquelle vous êtes le plus en accord et celle avec laquelle vous êtes le plus en désaccord ». Ce type de questionnaire, dit de caractérisation (Vergès, 2001), constitue un outil typique des recherches sur les représentations sociales. Il est censé mettre en lumière le noyau central de la représentation par le calcul de la fréquence des éléments choisis. Le tableau 1 présente le questionnaire de caractérisation que nous avons élaboré.

Tableau 1

Questionnaire relatif aux représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire

Questionnaire relatif aux représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire

Tableau 1 (continuation)

Questionnaire relatif aux représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire

Tableau 1 (continuation)

Questionnaire relatif aux représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire

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Une fois le questionnaire rempli, chaque enseignant⋅e nous a invité à observer une séance, de manière non participante. Le recours à la vidéoscopie nous a permis de dresser un synopsis (Blaser, 2009 ; Schneuwly, Dolz et Ronveaux, 2006) qui rend compte des phases constitutives de chaque séance, du ou des types d’objets enseignés, leurs modes d’enseignement, la⋅le ou les acteur⋅rice⋅s, le rôle de l’enseignant⋅e, le rôle des élèves, la présence et la fonction des documents. Le tableau 2 montre la grille que nous avons utilisée, laquelle dérive directement de notre cadre théorique.

Tableau 2

Grille d’analyse des synopsis (ER : exposé-récit ; DD : discours-découverte ; AR : apprentissage‑recherche)

Grille d’analyse des synopsis (ER : exposé-récit ; DD : discours-découverte ; AR : apprentissage‑recherche)

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Après chaque séance, nous avons mené un entretien semi-dirigé avec chaque participant⋅e. Nous invitons chaque enseignant⋅e à s’exprimer tout d’abord sur le caractère régulier de la séance. Ensuite, nous l’interrogions sur deux ou trois moments de la séance, de façon à les documenter davantage dans la perspective de la construction du synopsis. Enfin, le chercheur interrogeait l’enseignant⋅e à propos du sens accordé à certains choix d’items dans le questionnaire afin de mieux trianguler les données relatives aux finalités déclarées, aux représentations, aux pratiques observées, et celles venant des entretiens avec les enseignant⋅e⋅s. Dans le cadre de cet article, les entretiens n’ont pas pu faire l’objet d’un examen approfondi : seuls deux d’entre eux ont été exploités ponctuellement.

4. Les résultats

4.1 Quelles finalités le personnel enseignant attribue-t-il à l’enseignement de l’histoire ?

Quatre enseignant⋅e⋅s sur cinq ont choisi la finalité comprendre la société actuelle en répondant au questionnaire, sauf Virginie[1] qui, pourtant, poursuit cette finalité, lorsqu’interrogée durant l’entretien. Il s’agit d’une finalité citoyenne. Mais, autour de ce consensus, des différences apparaissent.

Aucune des cinq personnes de l’étude ne s’affilie au profil patrimonial de Lanoix. Par contre, les vues exprimées par Albert et étienne correspondent à celles du groupe polyvalent. Ils ont choisi deux finalités qui font partie du noyau commun aux deux groupes, patrimonial et polyvalent (développer la culture historique des élèves et comprendre la société actuelle). Ils ont délaissé les finalités propres au groupe patrimonial (comme développer la mémoire du Québec ou faire aimer l’histoire du Québec), pour privilégier une troisième finalité qui renvoie au projet de développer la maitrise de compétences ou de la méthode historique. Puisqu’ils ont associé des finalités patrimoniales et intellectuelles, ils appartiennent donc au groupe dit polyvalent.

Marcel, quant à lui, a choisi une finalité commune aux deux groupes (comprendre la société actuelle), une finalité typique du groupe polyvalent (développer la maitrise des compétences en histoire) ainsi que la finalité développer la méthode historique ; or, cette dernière a été ignorée par les deux groupes mis en évidence par Lanoix. En ne choisissant aucune finalité à connotation patrimoniale, Marcel se distingue d’Albert et Étienne par le choix de finalités d’ordre intellectuel. Nous faisons l’hypothèse que Marcel est représentatif d’un troisième groupe, ni patrimonial ni polyvalent, que nous qualifions d’intellectuel. Virginie semble également s’affilier à ce groupe. Elle fait le choix de deux finalités d’ordre intellectuel (développer la maitrise des compétences et développer la méthode historique). Elle choisit aussi une finalité qui pourrait être considérée comme « patrimoniale » : aimer l’histoire du Québec. Toutefois, lors de l’entretien, elle explique que son désir de montrer aux élèves l’utilité de l’histoire pour comprendre la société et le monde actuels lui fait poursuivre cette finalité qu’elle était pourtant la seule à ne pas choisir. Selon l’enseignante, son choix rejoint la finalité comprendre la société actuelle, commune aux quatre autres personnes de l’étude.

Catherine est peut-être représentative d’un quatrième groupe que nous avons dénommé « pratique » en référence aux finalités pratiques de l’histoire enseignée. Ainsi, elle est la seule à choisir comme finalité le projet d’amener les élèves à réussir l’épreuve ministérielle de 4e secondaire. Par contre, elle partage avec les autres participants à l’étude le souhait d’aider les élèves à comprendre la société actuelle, un but utilitaire en soi. Elle a également choisi la finalité faire aimer l’histoire. Notre entretien avec elle nous a permis de constater que cette intention manifeste son désir que les élèves aiment apprendre l’histoire.

Par rapport à la typologie de Lanoix, aucune des personnes que nous avons interrogées ne s’affilie donc au groupe dit patrimonial. Deux adhèrent au groupe polyvalent tandis que les trois autres semblent appartenir à deux groupes distincts que nous avons qualifiés respectivement intellectuel et pratique.

4.2 Quelles sont les représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire ?

Le tableau 3 présente le nombre d’items afférents aux trois paradigmes qui ont été choisis ou rejetés par le personnel enseignant à l’étude.

Tableau 3

Les représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire : nombre d’items afférents aux paradigmes choisis ou rejetés par les enseignant⋅e⋅s (ER : exposé-récit ; DD : discours-découverte ; AR : apprentissage-recherche)

Les représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire : nombre d’items afférents aux paradigmes choisis ou rejetés par les enseignant⋅e⋅s (ER : exposé-récit ; DD : discours-découverte ; AR : apprentissage-recherche)

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De façon générale, les items choisis relèvent en majorité du discours-découverte (37). Toutefois, les personnes ayant participé à notre étude ont choisi aussi un grand nombre d’items propres à l’apprentissage-recherche (33). Lorsqu’elles s’affilient surtout à ces paradigmes, il semble qu’elles rejettent de façon cohérente les finalités typiques de l’exposé-récit (47).

Au vu de ces tendances, Albert semble faire exception. Il choisit en priorité des items qui relèvent de l’exposé-récit (10). Il rejette toutefois davantage les items du discours‑découverte (8) que de l’apprentissage‑recherche (6) alors que ce dernier modèle est, sur le plan théorique, le plus éloigné de celui auquel il s’affilie. Son profil se distingue donc assez nettement de celui d’Étienne, lequel a choisi des items qui relèvent de l’apprentissage‑recherche (10) ; en conséquence, il rejette les items typiques de l’exposé-récit (9). Bien que ces deux enseignants aient un profil semblable et dit polyvalent sur le plan des finalités, ils s’affilient donc à des modèles opposés (exposé-récit et apprentissage-recherche).

Marcel, lui, a choisi sept items qui relèvent du discours-découverte, mais il en retient six qui renvoient à l’exposé-récit et six typiques de l’apprentissage-recherche. Comme les items rejetés en priorité (9 et 6) relèvent de ces deux derniers modèles, on peut avancer l’hypothèse que son paradigme de référence est le discours-découverte. Mais il entretient un rapport nuancé avec l’apprentissage-recherche puisqu’il choisit autant d’items (6) relevant de ce paradigme qu’il en rejette. Virginie, qui partage avec Marcel une préférence pour des finalités de nature intellectuelle, s’affilie aussi au discours-découverte (11) et rejette les items qui relèvent de l’exposé-récit (11). Marcel et Virginie partagent ainsi un profil similaire.

Enfin, Catherine (seule enseignante qui poursuit des finalités de nature pratique) a choisi huit items qui relèvent du discours-découverte. Même si elle choisit aussi huit items typiques de l’apprentissage-recherche, elle rejette un plus grand nombre d’éléments relevant de ce dernier paradigme (4) que du discours-découverte (2). Pour Catherine, enseigner revient pour l’essentiel à faire découvrir un discours ; elle rejette d’ailleurs en majorité les items qui relèvent de l’exposé-récit (13).

Les trois paradigmes que nous avons mis en exergue et auxquels se réfèrent les enseignant⋅e⋅s francophones d’histoire de la Belgique et du Luxembourg semblent constituer des modèles de référence pour les cinq enseignant⋅e⋅s que nous avons interrogé⋅e⋅s. Le discours‑découverte est le paradigme de la majorité ; les deux autres modèles sont préférés chacun par un enseignant. La polyvalence dont témoignent Albert et Étienne sur le plan des finalités semble se refléter dans la diversité des représentations qui sont les leurs : l’exposé‑récit pour Albert, l’apprentissage-recherche pour Étienne. Les finalités intellectuelles et pratiques semblent quant à elles s’associer prioritairement avec le discours‑découverte. Le tableau 4 compare les différents profils des personnes qui ont participé à notre étude.

Tableau 4

Profils comparés des enseignant⋅e⋅s sur le plan des finalités assignées à la discipline enseignée et des représentations de son enseignement-apprentissage

Profils comparés des enseignant⋅e⋅s sur le plan des finalités assignées à la discipline enseignée et des représentations de son enseignement-apprentissage

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L’affiliation à ces paradigmes nous permet de spécifier les représentations de chaque enseignant⋅e quoique l’on doive faire preuve de nuance. Ainsi, Albert, tout en se référant en priorité à l’exposé‑récit rejette davantage le discours-découverte que l’apprentissage‑recherche. De son côté, Marcel s’affilie au discours-découverte et rejette l’apprentissage-recherche, mais il choisit autant d’items afférents à ce modèle qu’il en rejette. Ces deux profils particuliers invitent à examiner de près les représentations de l’enseignement-apprentissage qui transparaissent dans la pratique de ces deux enseignants, mais aussi des trois autres.

4.3 Quelles pratiques de l’enseignement-apprentissage de l’histoire ?

Comme précisé plus haut, chaque séance a donné lieu à un synopsis. À la figure 2, chaque bandeau représente une séance (1 h 15). Les différentes zones colorées occupent un espace proportionnel au temps d’enseignement dévolu à chaque étape de la séance. Les zones en jaune désignent des périodes consacrées à la transmission de consignes ; les zones en bleu pâle des temps d’évaluation ; les zones en bleu plus foncé, en vert et en rouge, représentent des périodes d’enseignement orientées respectivement dans le sens de l’exposé-récit, du discours-découverte et de l’apprentissage-recherche.

Figure 2

Représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire (ER : exposé-récit ; DD : discours‑découverte ; AR : apprentissage-recherche) actives durant la leçon et inférées à partir de l’analyse des synopsis

Représentations de l’enseignement-apprentissage de l’histoire (ER : exposé-récit ; DD : discours‑découverte ; AR : apprentissage-recherche) actives durant la leçon et inférées à partir de l’analyse des synopsis

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Les pratiques d’Albert relèvent de l’exposé‑récit, du discours‑découverte et de l’apprentissage‑recherche. Albert alloue 30 % du temps d’enseignement à des pratiques qui relèvent de l’apprentissage-recherche. Les pratiques typiques de l’exposé-récit mobilisent un temps d’enseignement équivalent (28 %). Ces pratiques sont reliées à son adoption de l’exposé‑récit. Il faut rappeler qu’Albert rejette davantage les items du discours-découverte que de l’apprentissage-recherche, ce qui semble cohérent au vu de ses pratiques.

Comme Albert, Étienne poursuit des finalités polyvalentes ; toutefois, il s’en distingue par son paradigme de référence, l’apprentissage-recherche. Ainsi, tout au long de la leçon d’Étienne, les élèves sont amené⋅e⋅s à résoudre, seul⋅e⋅s ou en équipe, une tâche complexe qui consiste à examiner une grande variété de ressources documentaires. Pendant ce temps, l’enseignant occupe une posture de personne-ressource, circulant d’un⋅e élève et d’un groupe d’élèves à l’autre.

Dans sa pratique, Marcel met en oeuvre des démarches qui relèvent en majorité de l’apprentissage-recherche (85 % du temps d’enseignement). Pourtant, en évaluant son questionnaire, nous avons déterminé que le discours-découverte, (sept items choisis) constitue son paradigme de référence même s’il a choisi six items afférents à l’exposé-récit et six items relevant de l’apprentissage-recherche. Nous avons remarqué aussi qu’il entretenait un rapport nuancé avec l’apprentissage-recherche puisqu’il a choisi et rejeté autant d’items (6) qui en relèvent. L’examen de sa pratique confirme son ouverture à ce dernier paradigme.

Virginie assigne à ses élèves des tâches de découverte du savoir (50 % du temps d’enseignement). Les moments de transmission comptent pour 43 % du temps d’enseignement. Nous n’avons pas constaté de périodes qui relèvent de l’apprentissage-recherche. Le primat donné au discours-découverte dans sa pratique se retrouve dans son affiliation prioritaire à ce paradigme.

Enfin, Catherine privilégie la transmission d’informations sous la forme d’un récit dialogué ponctué de nombreuses interactions avec les élèves. Elle rejetait majoritairement les items relevant de l’exposé-récit (13).

Le tableau 5 compare les représentations dominantes des enseignant⋅e⋅s et celles qui transparaissent dans leur enseignement (lors de l’observation d’une séance de cours). Il montre que deux des cinq personnes (Virginie et Étienne) ont des pratiques qui relèvent du paradigme auquel ils s’affilient, respectivement le discours‑découverte et l’apprentissage‑recherche.

Tableau 5

Comparaison entre les paradigmes auxquels s’affilient les enseignant⋅e⋅s selon leurs représentations et ceux inférés à partir de l’observation de leur pratique

Comparaison entre les paradigmes auxquels s’affilient les enseignant⋅e⋅s selon leurs représentations et ceux inférés à partir de l’observation de leur pratique

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Pour les trois autres personnes, le paradigme d’affiliation ne semble pas imprégner leur pratique. Soulignons enfin que trois enseignant⋅e⋅s sur cinq (notamment Albert et Virginie) combinent des pratiques qui font appel respectivement à trois ou à deux paradigmes de référence.

5. Discussion des résultats et conclusion

Cette étude exploratoire confirme le rôle central des finalités citoyennes partagées par l’ensemble du personnel enseignant. Ce souci s’assortit d’accents patrimoniaux, intellectuels ou pratiques. Nous constatons donc l’émergence de trois profils : polyvalent, intellectuel et pratique. Ces deux derniers profils complètent ceux mis en évidence par Lanoix (2015, 2019). Notre étude, bien que conduite à partir d’un petit nombre d’enseignant⋅e⋅s observées une seule fois, suggère donc qu’il faut enrichir le tableau des finalités que le personnel enseignant d’histoire au Québec attribue à l’enseignement de sa discipline.

Cette étude montre aussi que les trois paradigmes mis au jour dans le contexte de la Belgique francophone permettent de caractériser les représentations des cinq enseignant⋅e⋅s d’histoire québécois⋅es interrogé⋅e⋅s. Le discours-découverte constitue le paradigme de référence : trois enseignant⋅es sur cinq, qu’elles⋅ils nourrissent des finalités intellectuelles ou pratiques, s’y affilient. Les deux autres enseignants, polyvalents sur le plan des finalités assignées à la discipline, partagent les attendus de l’exposé-récit ou de l’apprentissage-recherche.

Sur le plan des pratiques, le paradigme qui semble le plus présent est l’apprentissage‑recherche (et non le discours-découverte auquel les enseignant⋅e⋅s s’affilient majoritairement). En effet, trois enseignant⋅e⋅s sur cinq, dont deux de façon dominante (85 % et 88 % du temps), ont des pratiques qui relèvent de l’apprentissage-recherche ; le troisième met en place des pratiques d’enseignement qui s’orientent dans ce sens (30 % du temps). Les deux premiers enseignants s’affilient l’un à l’apprentissage-recherche, l’autre au discours‑découverte, tandis que le troisième témoigne de représentations qui relèvent plutôt de l’exposé-récit. Aussi, pour trois enseignant⋅e⋅s sur cinq, les représentations manifestées et les pratiques observées ne coïncident pas. Par contre, deux des cinq personnes développent des pratiques qui relèvent du paradigme auquel tous deux s’affilient, respectivement le discours‑découverte et l’apprentissage‑recherche.

Ces constats invitent à tester le diagnostic de la prédominance des pratiques magistrocentrées au Québec à partir d’une étude fondée sur un échantillon plus large et plus robuste. Notre étude confirme l’existence au Québec d’écarts entre les pratiques déclarées et réelles d’usage d’un manuel ou entre les représentations de la citoyenneté et les pratiques d’éducation citoyenne. Dans une étude antérieure menée en Belgique (Jadoulle, 2015a), nous avons aussi mis en évidence l’existence d’écarts entre les pratiques d’usage d’un manuel déterminé et les représentations de l’enseignement de l’histoire en utilisant le même éclairage théorique que celui adopté dans cette étude. Cette dernière montre à son tour que les représentations de l’enseignement‑apprentissage de la discipline sont peu prédictives des pratiques d’enseignement, moins que les croyances épistémologiques si l’on se réfère aux conclusions de Demers (2011, 2019). Ce constat peut être rapproché des conclusions de Bouhon (2009) qui a montré que les représentations résistent peu aux contraintes humaines, normatives et organisationnelles. Notre étude suggère aussi que les finalités assignées à l’enseignement de l’histoire pourraient constituer de meilleurs prédicteurs des pratiques, comme l’avancent Barton et Levstik (2004), Demers (2011, 2019) et Van Hover et Yeager (2007). En effet, les finalités polyvalentes qu’Albert et Étienne assignent à leur enseignement pourraient expliquer le fait qu’ils développent des pratiques qui se rapprochent malgré des représentations différentes. Cette influence des finalités ne se vérifie toutefois pas dans le cas de Virginie et Marcel qui partagent les mêmes représentations et les mêmes finalités et développent des pratiques sensiblement différentes. Quant à Catherine, on peut poser l’hypothèse que la nature des finalités qu’elle vise explique en partie le fait qu’elle se distingue des quatre autres enseignant⋅e⋅s par ses pratiques.

Enfin, on pourrait aussi émettre l’hypothèse d’une forme d’affiliation majeure et mineure, la mineure pouvant prendre le pas dans la pratique d’enseignement. Cela permettrait de comprendre le cas d’Albert et Marcel dont les pratiques font référence à un paradigme (l’apprentissage-recherche) qui n’est pas celui auquel ils s’affilient. Les données pour ces deux enseignants indiquent que l’apprentissage-recherche est le paradigme le moins rejeté. Cette hypothèse pourrait être rapprochée de l’existence d’un noyau central au sein des représentations sociales et d’un système périphérique, ce dernier permettant possiblement à l’enseignant⋅e d’adapter ses pratiques en fonction des réalités contextuelles, et ce, sans modifier en profondeur le noyau de sa représentation. Cette hypothèse ne permettrait toutefois pas de comprendre le cas de Catherine qui développe des pratiques typiques de l’exposé-récit tout en manifestant une adhésion au discours-découverte et sur un mode mineur à l’apprentissage‑recherche, mais pas à l’exposé-récit, les items relevant de ce paradigme étant nettement rejetés (figure 4). Comme supposé plus haut, les finalités seraient peut-être plus prédictives dans son cas.

D’autres études, fondées sur un échantillon plus robuste, permettraient d’approfondir cette délicate question de l’écart entre les représentations de l’enseignement-apprentissage et les pratiques d’enseignement de l’histoire. Le questionnaire que nous avons utilisé pour cerner les représentations pourrait aussi être peaufiné. L’exemple de Virginie suggère que certains items pourraient être reformulés. Il serait également utile d’observer plus d’une séance d’enseignement pour caractériser les pratiques.

Les contraintes du réel constituent-elles les seuls éléments explicatifs ? Les finalités sont‑elles plus prédictives des pratiques que les représentations ? Dans quelle mesure l’hypothèse d’une affiliation secondaire pourrait-elle expliquer que l’enseignant⋅e développe des pratiques qui diffèrent de son affiliation principale lorsque la réalité l’y contraint ? Comment les croyances épistémologiques et les représentations de la discipline enseignée se combinent‑elles ? Si cette étude exploratoire ne nous autorise pas à élucider ces questions, elle propose cependant un tableau des pratiques d’enseignement de l’histoire et de ses finalités bien plus diversifié que celui des études existantes. Elle suggère aussi que l’exposé‑récit, le discours‑découverte et l’apprentissage‑recherche sont des paradigmes qui organisent les représentations du personnel enseignant québécois de l’enseignement de l’histoire.