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Dirigé par la professeure Schneider et divisé en 16 chapitres, La littérature de jeunesse, veilleuse de mémoire est un ouvrage scientifique original et riche, regroupant les résultats de recherche de 16 universitaires issus d’horizons diversifiés : Grèce, Portugal, France, Italie, Pologne, Irlande, Espagne, Corée, République tchèque et Allemagne. Tous se sont donné pour objectif d’examiner, à travers une trentaine d’oeuvres destinées à un jeune public, comment sont relevés les défis de la transmission de l’histoire et de l’éducation aux valeurs morales lorsque la thématique de la guerre est abordée. Si la Deuxième Guerre mondiale s’y taille la part du lion, on n’en aborde pas moins également la Révolution des Oeillets au Portugal, la guerre civile d’Espagne, la dictature des colonels en Grèce, le génocide des Tutsis au Rwanda et les soubresauts dramatiques de l’Ulster.

Dans les oeuvres historiques pour la jeunesse, il devient de moins en moins pensable d’édulcorer le passé. Est donc présenté ici un large éventail de récits dont la cruauté de certaines scènes nécessite, selon les chercheurs, un accompagnement adulte en raison de l’effroi qu’elles pourraient causer. Dans les albums aussi bien que dans les romans, la lecture des images et des textes permet aux chercheurs d’examiner les modes de représentation des objets, individus, lieux et actions de guerre. Par-delà clichés et stéréotypes inévitables, cette analyse littéraire plurielle montre comment sont illustrés la déshumanisation et le caractère absurde et indicible de la guerre. À ce sujet, on signale aussi l’autocensure ou le malaise d’écrivains à témoigner du (mauvais) rôle que leur propre pays a joué durant ces conflits sanglants.

À travers enchâssements, juxtapositions, parallélismes, symboles, pluralité des voix, illustrations suggestives, documents authentiques, fables, etc., on fait observer que les auteurs jeunesse hésitent entre dénoncer et expliquer. Visant la construction d’une mémoire commune, cet ouvrage de recherche met de l’avant le devoir de mémoire, c’est-à-dire la (délicate) « responsabilité des États de rappeler à leurs concitoyens les souffrances et les injustices subies par certaines populations » (p. 14). Toutefois, selon Anne Schneider, ce choix risque de se faire au détriment du devoir d’Histoire qui est de révéler des faits exacts. Le brouillage des images du passé est en effet bien présent dans la littérature de jeunesse.

En plus de faire connaitre des oeuvres phares, francophones ou allophones, l’intérêt de ce collectif de recherche est de poser transversalement le problème de la relation triangulaire entre la littérature, l’histoire et l’éducation à la citoyenneté. La littérature de jeunesse, veilleuse de mémoire ouvre en effet sur de nouvelles questions complexes. Par exemple : Dans quelle mesure faut-il parler à la sensibilité pour construire la connaissance ? De quelle connaissance s’agit-il ? Que faire avec la vérité si elle est multiple ? Comment développer l’esprit critique et former un citoyen ouvert sur le monde et respectueux de la diversité ?

Sans l’ombre d’un doute, ce précieux ouvrage réussira à susciter la réflexion chez les chercheurs en littérature de jeunesse, les étudiants en formation à l’enseignement, les enseignants et toute personne s’intéressant à l’éducation ainsi qu’au rôle de la littérature dans la formation personnelle et sociale. Pour la pratique enseignante, il ne sera pas (trop) difficile de transposer les résultats de ces analyses littéraires en pistes didactiques stimulantes.