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1. Introduction

La régionalisation des débits fait l’objet de nombreux travaux au point qu’on peut déjà la considérer comme une discipline à part entière en hydrologie (CUNNANE, 1988; CUNDERLIK et BURN, 2002; GREHYS, 1996; MERZ et BLÖSCHL, 2005; OUARDA et al., 1999; TASKER, 1982; WILTSHIRE, 1986). Cependant, malgré des progrès remarquables déjà réalisés sur le plan méthodologique, il subsiste encore des divergences plus ou moins profondes entre les hydrologues, d’une part, et entre ceux-ci et les spécialistes des autres disciplines (écologie aquatique et géographie physique), d’autre part, sur les cinq points suivants : les méthodes de regroupement des stations en régions hydrologiques homogènes, le choix des variables hydrologiques et des lois statistiques adéquates pour estimer les quantiles sur des sites non jaugés ou partiellement jaugés, l’échelle d’analyse des débits et la finalité de la régionalisation. En fonction de ces trois derniers points, on peut distinguer deux approches : l’approche hydrologique et l’approche écologique. La majorité de travaux existants utilisent la première approche en raison de son intérêt pratique. Sa finalité est de pouvoir estimer les débits aux sites non jaugés ou partiellement jaugés (GREHYS, 1996). Ainsi, on s’est particulièrement intéressé aux méthodes de regroupement des stations en régions hydrologiques homogènes (BURN, 1990, 1997; GREHYS, 1996; OUARDA et al., 2001; RIBEIRO-CORRÉA, 1995; ZRINJTI et BURN, 1994) et au choix des lois statistiques adéquates pour estimer les quantiles des débits.

Cependant, malgré son intérêt pratique indéniable, l’approche hydrologique ne répond pas de manière satisfaisante aux préoccupations des géographes et des écologistes, et ce pour les raisons suivantes :

  • Le choix des variables hydrologiques est subjectif (GREHYS, 1996) en raison de l’absence d’un concept scientifique pour le justifier. Cette subjectivité influence le nombre de régions hydrologiques homogènes. Au Québec, par exemple, le nombre de régions hydrologiques homogènes déjà proposées varie entre 3 et 13 (ANCTIL et al., 1998). Cette diversité ne reflète plus la variabilité spatiale des caractéristiques physiographiques des débits qui influencent l’écoulement. La définition du concept même de l’homogénéité devient alors subjective comme l’avaient d’ailleurs déjà mentionné OUARDA et al. (1999).

  • En raison de ce choix subjectif, on ne tient pas compte de toutes les caractéristiques de débits comme le suggère le concept de « régime des débits naturels » introduit en écologie aquatique (POFF et al., 1997; RICHTER et al., 1996). Selon ce concept, les débits d’une rivière peuvent être décomposés en plusieurs caractéristiques fondamentales jouant chacune un rôle écologique précis dans le fonctionnement des écosystèmes fluviaux.

  • On ne tient pas compte de toutes les échelles de temps. La régionalisation se limite généralement aux débits maximums annuels, compte tenu de la finalité de l’approche. Mais ces derniers ne peuvent pas expliquer à eux-seuls les différences des régimes hydrologiques qui sont, au demeurant, complexes en raison de l’interaction de nombreux facteurs sur la variabilité spatiale des débits.

  • La seule finalité poursuivie est l’estimation des débits, aspect qui n’intéresse pas toujours les spécialistes des autres disciplines. Cette finalité contribue très peu à la gestion écologique des ressources hydriques et ne permet pas de prévoir les impacts induits par les activités anthropiques ou les changements climatiques sur les caractéristiques de débits.

Pour pallier ces insuffisances, les écologistes ont ainsi proposé une autre approche de régionalisation. Celle-ci s’est développée surtout avec l’introduction du concept de « régime des débits naturels ». Elle diffère de la précédente sur les trois points suivants :

  • Le choix de variables hydrologiques est justifié par le concept de régime des débits naturels. Ce choix devient ainsi objectif. En conséquence, la régionalisation est fondée sur un grand nombre de variables hydrologiques qui définissent les cinq caractéristiques fondamentales de débits, à savoir le volume d’écoulement (magnitude), la fréquence, la durée, la période d’occurrence et la variabilité (RICHTER et al., 1996; POFF et al., 1997).

  • On tient simultanément compte de toutes les échelles de temps (année, mois et jours) dans la régionalisation.

  • Enfin, la finalité de la régionalisation est de pouvoir expliquer les différences de structure et de composition biologiques observées entre les rivières pour une meilleure gestion écologique des écosystèmes fluviaux. Pour expliquer ces différences, il faut tenir compte de toutes les caractéristiques de débits.

Cependant, on peut formuler aussi quelques reproches à cette approche écologique.

  • Même si on applique le concept de régime des débits naturels pour justifier le choix des variables hydrologiques, il ressort de travaux fondés sur cette approche que toutes les caractéristiques de débits ne sont pas prises en compte conformément à ce concept (POFF, 1996). Par conséquent, celui-ci n’est pas intégralement appliqué. Ainsi, par exemple, les variables proposées par RICHTER et al. (1996) ainsi que OLDEN et POFF (2003) ne tiennent pas compte de toutes les caractéristiques de débits aux échelles annuelles et mensuelles.

  • Le nombre de variables hydrologiques pour définir les cinq caractéristiques fondamentales de débits peut varier d’un auteur à un autre. RICHTER et al. (1996) ont proposé 32 variables. Quant à OLDEN et POFF (2003), après avoir fait un choix parmi 171 variables hydrologiques utilisées dans la littérature au moyen de l’analyse en composantes principales, ils optèrent pour 26 variables hydrologiques non redondantes pour définir ces cinq caractéristiques. Mais on ignore encore l’impact de la différence du nombre de variables hydrologiques sur le nombre de régions hydrologiques homogènes et sur la définition du concept même de l’homogénéité.

  • Même si la finalité est de pouvoir mieux gérer écologiquement les écosystèmes fluviaux, elle ne tient cependant pas compte des facteurs environnementaux qui influencent les caractéristiques fondamentales de débits. La connaissance de ces facteurs est importante car elle peut servir à prédire les impacts induits par les changements environnementaux comme la déforestation ou le réchauffement climatique sur les caractéristiques de débits.

  • Enfin, il convient de souligner le fait que les écologistes s’intéressent surtout à la sélection des variables hydrologiques pertinentes pour caractériser écologiquement les rivières ou quantifier les impacts des activités anthropiques sur les régimes hydrologiques (e.g., ASSANI et al., 2005, 2006; CLAUSSEN et BIGGS, 2000; MAGILLIGAN et NISLOW, 2005; OLDEN et POFF, 2003; PEGGS et PIERCE, 2002; RICHTER et al., 1996). Ainsi, il existe encore très peu de travaux de régionalisation basés sur l’approche écologique (SANZ et DEL JALON, 2005; POFF, 1996; POFF et al., 2006).

À la lumière de ces critiques, l’objectif de cette note est de présenter une nouvelle approche (méthode éco-géographique) qui repose sur le même concept de « régime des débits naturels » que l’approche écologique. Elle se distingue cependant de celle-ci sur les trois points suivants :

  • La méthode que nous proposons est fondée sur l’utilisation des caractéristiques des débits et non pas sur des variables hydrologiques. Ce choix se justifie par le fait qu’il existe une infinité de variables hydrologiques pour définir les cinq caractéristiques fondamentales. Il est donc impossible de les inclure toutes dans la régionalisation. En revanche, comme le nombre des caractéristiques fondamentales est limité, il est donc possible de les inclure toutes. On rencontre ainsi les exigences du concept de « régime des débits naturels ».

  • La finalité de la méthode éco-géograhique est de déterminer les facteurs physiographiques et climatiques qui expliquent la variabilité spatiale de ces caractéristiques fondamentales afin d’assurer une gestion durable des ressources hydriques dans un contexte de changement de l’environnement. Ainsi, par exemple, il est nécessaire de déterminer les caractéristiques de débits qui sont directement influencées par la couverture forestière ou la température de l’air dans le but de prévoir les impacts éventuels de la déforestation ou du réchauffement climatique sur les ressources hydriques. Pour atteindre cette finalité, on doit analyser séparément les échelles de temps (annuelle, mensuelle et journalière) du fait que l’influence de ces facteurs physiographiques et climatiques ne peut nécessairement pas être mise en évidence à toutes les échelles temporelles. Cette finalité répond aux préoccupations des géographes qui s’intéressent entre autres à expliquer la variabilité spatiale des phénomènes.

  • L’analyse séparée des échelles de temps permet de définir toutes les caractéristiques des débits associées à chaque échelle. Ainsi, l’approche éco-géographique permet d’appliquer intégralement le concept de « régime des débits naturels » dans la régionalisation.

Nous allons appliquer cette nouvelle méthode aux débits moyens annuels au Québec. Nous avons choisi cette échelle car elle n’a jamais été utilisée par les deux autres approches. Ceci permettra de démontrer que même les débits moyens annuels peuvent être utilisés dans un cadre de régionalisation des débits. Toutefois, nous avons déjà appliqué la méthode éco-géographique à la régionalisation des débits saisonniers au Québec (ASSANI et TARDIF, 2005).

2. Présentation de l’approche éco-géographique

L’application de cette approche se fait en quatre étapes présentées à la figure 1.

Figure 1

Les quatre étapes d’application de l’approche éco-géographique.

The four stages of eco-geographic method application.

Les quatre étapes d’application de l’approche éco-géographique.

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2.1. Définition des caractéristiques des débits d’une série hydrologique

La première étape de l’approche éco-géographique consiste à définir toutes les caractéristiques des débits associées à la série hydrologique analysée (ASSANI, 2003). Le concept de « régime des débits naturels » a permis d’établir une différence nette entre une « caractéristique » des débits et une « variable ou un indice hydrologique » (RICHTER et al., 1996; POFF et al., 1997). Ces deux notions ou concepts sont généralement confondus en hydrologie. C’est pour cette raison qu’on n’établit aucune différence entre une caractéristique de débits et une variable hydrologique dans l’approche hydrologique. Il apparaît donc important de les définir de manière claire car la différence entre la méthode éco-géographique et les deux autres approches est basée sur ces deux notions. Une « caractéristique » des débits est une composante intrinsèque des débits ou un paramètre qui permet de caractériser les débits d’une rivière. Quant à la « variable ou indice hydrologique », c’est une variable statistique qui sert à définir une caractéristique des débits. Pour illustrer ces deux définitions, nous donnons l’exemple suivant : la fréquence est une caractéristique des débits. Elle peut être définie par une multitude de variables ou indices hydrologiques comme les débits de récurrence de 100, 20 ou 2 ans, etc. Le nombre des caractéristiques est limité alors que celui des variables hydrologiques qui les définissent peut être illimité.

Il découle de ces deux notions plusieurs postulats de base sur lesquels se fonde la méthode éco-géographique :

  • Une caractéristique des débits peut être définie par un nombre limité de variables hydrologiques car toutes les variables hydrologiques se rapportant à une même caractéristique sont corrélées entre elles.

  • Une caractéristique des débits intègre tous les facteurs environnementaux qui influencent toutes les variables hydrologiques qui la définissent.

  • Le nombre de caractéristiques des débits varie en fonction de l’échelle d’analyse.

  • Pour mettre en évidence les facteurs environnementaux de la variabilité spatiale des débits à une échelle d’analyse donnée, il faut tenir compte de toutes les caractéristiques qui définissent les débits à cette échelle.

2.1 Détermination des caractéristiques majeures et mineures des débits

En écologie aquatique, comme nous l’avons déjà mentionné, chaque caractéristique de débits joue un rôle écologique précis dans le fonctionnement des écosystèmes aquatiques. Toutefois, le rôle de certaines caractéristiques peut être plus important que celui des autres, malgré leur complémentarité nécessaire au fonctionnement des écosystèmes. De même, on peut concevoir que certaines caractéristiques des débits peuvent mieux refléter l’influence des facteurs physiographiques que d’autres, d’où l’importance de les hiérarchiser. Dans la méthode éco-géographique, cette hiérarchisation est fondée sur le poids (variance expliquée) de chaque caractéristique au moyen de l’analyse en composantes principales. Si toutes les caractéristiques avaient le même poids, la variance totale expliquée (TVE) par chaque composante principale associée à chacune des caractéristiques serait égale. Il s’ensuit que les caractéristiques dont les variances totales expliquées sont plus élevées peuvent être considérées comme des caractéristiques « majeures » tandis que les autres caractéristiques seront considérées comme « mineures ». Une caractéristique des débits est alors considérée comme « majeure » lorsqu’elle satisfait à la relation suivante :

N étant le nombre total des caractéristiques qui définissent la série hydrologique analysée.

Les autres caractéristiques dont la variance totale expliquée ne satisfait pas à cette relation sont dites « mineures ». Les caractéristiques majeures sont celles qui sont généralement associées aux deux ou trois premières composantes principales. Celles-ci permettent une meilleure différenciation et une meilleure caractérisation des régions hydrologiques homogènes.

2.3 Regroupement des stations en régions hydrologiques homogènes naturelles.

Il n’existe aucune méthode statistique idéale qui permette un regroupement objectif des stations en régions hydrologiques homogènes. Ainsi, les méthodes de regroupement dépendent en partie des données et de la finalité de la régionalisation. Dès lors, il est difficile de généraliser ces méthodes dans toutes les approches de régionalisation. Toutefois, cette question fait l’objet de nombreux débats en hydrologie (approche hydrologique) et plusieurs méthodes de regroupement ont déjà été proposées. Dans son analyse comparative de ces méthodes, GREHYS (1996) a recommandé les deux méthodes de regroupement suivantes : la méthode des « régions d’influence » proposée par BURN (1990; 1997) et celle de l’analyse des corrélations canoniques introduite par CAVADIAS (1990) puis améliorée par OUARDA et al. (2001). Cependant, en tenant compte du concept de « régime des débits naturels » sur lequel repose l’approche éco-géographique et de sa finalité, ces deux méthodes de regroupement ne peuvent pas être appliquées pour les raisons suivantes :

  • Elles n’utilisent qu’une ou deux variables hydrologiques. La régionalisation qui en découle ne tient pas compte de toutes les caractéristiques des débits.

  • Elles incluent les facteurs physiographiques pour regrouper les stations en régions hydrologiques homogènes. Or, la méthode éco-géographique exclut tout facteur physiographique dans le processus de regroupement car l’homogénéité hydrologique ne peut être définie qu’en tenant compte de toutes les caractéristiques des débits exclusivement et non des facteurs physiographiques qui influencent leur variabilité.

  • Elles conduisent parfois au rejet de certaines stations lors du processus de regroupement (ANCTIL et al., 1998).

  • Elles ne permettent pas de caractériser du point de vue hydrologique les régions homogènes formées.

Dans l’approche écologique, la question de regroupement des stations n’a jamais fait l’objet de débats. La seule méthode utilisée jusqu’à présent est celle basée sur la classification hiérarchique ascendante (SANZ et DEL JALON, 2005; POFF, 1996). Mais, selon GREHYS (1996), cette approche est subjective du fait que le nombre de dendogrammes peut varier selon les méthodes de regroupement.

Pour minimiser l’effet du jugement personnel dans le processus de regroupement des stations en régions hydrologiques homogènes, nous proposons de regrouper les stations selon les signes de leurs notes factorielles sur les composantes principales significatives. Sur la base de ce critère, le nombre de régions hydrologiques homogènes naturelles est déterminé selon la relation suivante :

NR est le nombre de régions hydrologiques homogènes théoriques et m est le nombre de caractéristiques associées aux composantes principales significatives. 2 représente les signes + et – que peuvent prendre les notes factorielles des stations sur les composantes principales.

Le choix des signes de notes factorielles plutôt que de leurs valeurs se justifie par les raisons suivantes :

  • Aucun jugement personnel n’intervient dans le regroupement.

  • L’utilisation des signes de notes factorielles permet de tenir compte de toutes les caractéristiques des débits dans le processus de regroupement, conformément au concept de « régime des débits naturels ».

  • On peut caractériser du point de vue hydrologique les régions hydrologiques homogènes définies. Le signe d’une note factorielle sur une composante a une signification hydrologique précise du fait qu’il dépend de la valeur de la variable sur cette composante.

  • L’utilisation des signes pourra permettre la comparaison de l’importance des différentes classes (régions hydrologiques homogènes) entre les régions climatiques et lithologiques différentes dans le monde du fait que, le nombre de caractéristiques des débits d’une série hydrologique étant le même partout dans le monde, le nombre de régions hydrologiques théoriques maximums définies à partir de cette série sera le même partout aussi.

Il découle de l’application de l’équation 2 les deux types de régions hydrologiques homogènes (classes) suivants : les régions homogènes « effectives » et les régions homogènes « fictives ou virtuelles ». Dans un territoire géographique donné, une région homogène est effective lorsqu’elle contient au moins une station hydrologique. Dans le cas contraire, elle devient fictive ou virtuelle. L’existence des régions hydrologiques fictives peut paraître étrange à première vue, mais, en fait, elle traduit l’influence de deux facteurs dans la régionalisation : l’échantillonnage ainsi que les conditions physiographiques et climatiques du territoire analysé. En ce qui concerne l’échantillonnage, la présence de régions hydrologiques homogènes fictives peut traduire simplement l’absence de stations parmi les stations analysées qui présentent les combinaisons des caractéristiques des débits qui définissent ces régions hydrologiques. Cette absence se justifie par le fait qu’on ne tient pas compte de toutes les rivières dans la régionalisation des débits. On perd ainsi certaines informations sur les caractéristiques des débits et les facteurs qui les influencent. Quant aux conditions physiographiques et climatiques, l’existence de régions homogènes fictives dans un territoire donné peut être interprétée comme l’absence de l’influence de certains facteurs physiographiques et climatiques sur la variabilité spatio-temporelles des débits dans ce territoire. Ainsi, les facteurs physiographiques et climatiques présents dans un territoire donné permettent l’existence de certaines régions homogènes dont les caractéristiques des débits sont influencées par ces facteurs. Les régions dont les caractéristiques des débits ne sont pas influencées par ces facteurs deviennent dès lors fictives dans ce territoire. À titre d’exemple, la présence d’un massif calcaire peut se traduire par une variabilité intra-annuelle des débits très faible. Par conséquent, les régions hydrologiques homogènes caractérisées par une forte variabilité des débits ne peuvent exister dans ce territoire. Dans un territoire donné, la combinaison des caractéristiques des débits dépend alors des conditions climatiques, physiographiques et lithologiques.

2.4 Recherche des facteurs explicatifs de la variabilité spatiale des caractéristiques des débits

La finalité de l´approche éco-géographique est de déterminer les facteurs physiographiques et climatiques susceptibles d’expliquer la variabilité spatiale des caractéristiques des débits. Pour déterminer ces facteurs, nous proposons d’utiliser simultanément la méthode des corrélations simples et la méthode canonique des corrélations. Cette dernière aura pour objectif de maximiser les valeurs des coefficients de corrélations simples. Par rapport aux autres méthodes d’analyse multivariées, l’analyse des corrélations canoniques tient compte aussi bien des corrélations intra-groupes que des corrélations croisées entre variables de deux groupes. En effet, elle crée des facteurs (transformations linéaires des variables, communément appelées variables canoniques) dans le premier groupe (variables dépendantes) simultanément à des facteurs dans le second groupe (variables indépendantes). Elle impose à ces facteurs d’être orthogonaux entre eux au sein d’un même groupe, de sorte qu’ils s’interprètent comme de dimensions indépendantes du phénomène exprimé par un groupe de variables. Ainsi, l’analyse canonique permet de maximiser la corrélation entre le premier facteur du premier groupe et le premier facteur du second groupe; ensuite, entre les seconds facteurs des deux groupes, chacun étant orthogonal aux deux facteurs de la première paire; ensuite, entre les troisièmes facteurs et ainsi de suite. Chaque paire de facteurs exprime un type de relation entre variables des deux groupes. L’intensité de la relation d’un type déterminé est mesurée par un coefficient de corrélation dit canonique qui est le coefficient de corrélation entre les facteurs d’une même paire (AFIFI et CLARK, 1996).

3. Application de l’approche éco-géographique à la régionalisation des débits moyens annuels au Québec

3.1 Source des données

Toutes les stations analysées (Figure 2) sont localisées dans le bassin du fleuve Saint-Laurent (673 000 km2) puisqu’il n’existe pas assez de stations de jaugeage des débits dans les deux autres bassins versants des Baies d’Ungava (518 000 km2) et d’Hudson (492 000 km2). Les données des débits analysés sont tirées du Sommaire chronologique de l’écoulement au Québec édité par ENVIRONNEMENT CANADA (1992). Dans le cadre de cette étude, nous avons retenu seulement les stations dont les mesures de débits, non ou peu influencées par les activités anthropiques, ont été enregistrées entre 1960 et 1990. En effet, c’est durant cette période qu’on a pu disposer d’un grand nombre de stations hydrologiques et climatiques. De plus, pour pouvoir comparer la variabilité interannuelle des débits d’une rivière à l’autre, il fallait nécessairement travailler sur une période commune de mesure des débits. En tenant compte de toutes ces contraintes, nous avons analysé 55 stations au total. Les superficies de ces bassins versants varient entre 1,2 et 22 000 km2.

Figure 2

Localisation des stations analysées.

Location of stations.

Localisation des stations analysées.

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En ce qui concerne les facteurs environnementaux, nous avons retenu 13 facteurs répartis en trois catégories dont les données sont disponibles (Tableau 1) :

  • Les variables hydrologiques liées aux caractéristiques physiographiques des bassins versants : la superficie, la longueur et la pente moyennes du cours d´eau. Ces données ont été tirées de BELZILE et al. (1997).

  • Les variables liées aux caractéristiques des types d´affectation du sol et du couvert végétal : % du couvert forestier et % de la superficie occupée par les lacs et marais dans un bassin versant. Ces données ont été aussi tirées de BELZILE et al. (1997).

  • Les variables qui définissent les conditions pluviométriques et thermiques (facteurs climatiques) d´un bassin versant : les précipitations annuelles totales, les précipitations et le nombre de jours pluvieux de la saison froide (d´octobre à mars), la température moyenne annuelle, la température moyenne et le nombre de jours avec des températures > 0 ºC en saison froide, la température moyenne printanière et estivale. Les données climatiques ont été publiées par ENVIRONNEMENT CANADA (1991). Dans chaque bassin versant, on choisissait la station météorologique la plus proche de la station hydrologique. Pour des grands bassins versants, nous avons d’abord tenu compte de toutes les stations situées dans le bassin versant. Ensuite, nous avons calculé une moyenne globale par la méthode de Thiessen qu’on a comparée à celle mesurée à la station la plus proche. Ces deux moyennes étaient généralement très peu différentes en raison de la faible variabilité topographique des bassins versants au Québec. Par conséquent, le choix de la station la plus proche se justifiait.

Tableau 1

Facteurs environnementaux de la variabilité spatiale des caractéristiques des débits.

Environnemental factors of characteristics flow spatial variability.

Caractéristiques

Code

Nom de la variable

Unité

Physiographiques

B1

Superficie du bassin versant

km2

B2

Longueur totale du cours d’eau

Km

B3

Pente moyenne du cours d’eau

m/km

Affectation des sols et végétation

A1

Superficie des forêts

%

A2

Superficies des lacs et marais

%

Précipitations

P1

Totaux annuels

Mm

P2

Totaux saisonniers (octobre-mars)

Mm

P3

Nombre de jours pluvieux (octobre-mars)

 

Température

T1

Moyenne annuelle

(°C)

T2

Moyenne saisonnière (octobre-mars)

(°C)

T3

Nombre de jours avec T> 0°C (octobre-mars)

 

T4

Moyenne saisonnière (avril-juin)

(°C)

T5

Moyenne saisonnière (juillet- septembre)

(°C)

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3.2 Définition des caractéristiques des débits moyens annuels

Une série hydrologique des débits moyens annuels ne peut être définie que par quatre caractéristiques seulement, à savoir, le volume d’écoulement (magnitude) et sa variabilité interannuelle, la fréquence et la forme de la courbe de distribution de débits (coefficients d’asymétrie et d’aplatissement). Il convient de préciser que cette dernière caractéristique ne fait pas partie des cinq caractéristiques fondamentales proposées par RICHTER et al. (1996). Nous l’avons ajoutée puisque les variables hydrologiques qui définissent cette caractéristique sont fréquemment utilisées en régionalisation par l’approche hydrologique. C’est le cas notamment de la méthode proposée par HOSKING et WALLIS (1993). Ces auteurs utilisent seulement les coefficients d’asymétrie et d’aplatissement pour la régionalisation.

La caractéristique magnitude-fréquence a été définie par quatre variables statistiques (Tableau 2). Pour éviter « l’effet de taille », dû à la différence des aires des bassins versants, sur les valeurs de coefficients de corrélation et sur les notes factorielles, nous avons divisé les valeurs de ces variables par les superficies de bassins versants (pour l’obtention des débits spécifiques). Cette transformation permet ainsi de pouvoir comparer aisément la magnitude des débits entre des bassins versants de différentes tailles. Quant à la variabilité interannuelle de la magnitude, elle a été définie aussi par quatre variables statistiques dont les valeurs sont indépendantes de la taille des bassins versants. Enfin, la forme de la distribution des fréquences des débits a été définie par trois variables, dont les coefficients d’asymétrie et d’aplatissement (coefficients de Pearson). Il convient de préciser qu’on pouvait augmenter le nombre de variables statistiques pour mieux définir ces quatre caractéristiques. Mais cette augmentation n’aurait aucun impact sur les résultats finaux de l’analyse en composantes principales en vertu du premier postulat qui stipule que les variables hydrologiques, qui définissent une même caractéristique des débits, sont généralement corrélées entre elles.

Tableau 2

Variables hydrologiques utilisées pour définir les trois caractéristiques des débits moyens annuels.

Hydrological variables used to define the three characteristics of mean annual flow.

Caractéristiques

Code

Variable

Signification

Magnitude-Fréquence

M1

Mo

Moyenne de la série

M2

Me

Médiane de la série

M3

P90

Percentile 90 de la série

M4

P10

Percentile 10 de la série

Variabilité de la magnitude

VM1

CV

Coefficient de variation (en %)

VM2

(Dmax-Dmin)/Me

Dmax = Débit maximum

Dmin = Débit minimum

VM3

(P90-P10)/Me

 

VM4

P90/P10

 

Forme de la courbe de distribution

F1

(Mo-Me)/Me

 

F2

B1

Coefficient d’asymétrie

F3

B2

Coefficient d’aplatissement

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3.3 Détermination des caractéristiques majeures et mineures des débits moyens annuels

Le tableau 3 présente les valeurs de saturation des variables hydrologiques sur les trois composantes principales significatives, après rotation orthogonale varimax, et la variance totale expliquée par chaque composante. Rappelons que seules les composantes principales dont la valeur propre était supérieure à 1 étaient considérées comme significatives (KAISER, 1960). Ce tableau révèle que chaque caractéristique des débits est associée à une composante principale : la magnitude-fréquence à la première composante, sa variabilité interannuelle à la seconde et la forme de distribution des fréquences des débits à la troisième. En fonction de la variance expliquée par chaque composante, on observe que la magnitude et sa variabilité interannuelle sont les deux caractéristiques des débits les plus importantes car leur variance expliquée totale est de 70 %. La variance expliquée par chacune de deux est de 35 %. Par conséquent, les deux caractéristiques peuvent être considérées comme caractéristiques « majeures ». Elles ont le même poids dans la variabilité spatiale des débits moyens annuels au Québec. La troisième composante principale est associée à la forme de distribution des fréquences des débits et sa variance expliquée est de 18 %. Il s’agit donc d’une caractéristique « mineure ».

Tableau 3

Saturations des variables sur les trois composantes principales après rotation d’axes par la méthode varimax.

Loading of 11 hydrological variables for the three principal components after varimax rotation.

Variables

CPI

CPII

CPIII

M1

0,977

-0,1449

0,148

M2

0,959

-0,217

0,124

M3

0,985

0,034

0,147

M4

0,933

-0.304

0,161

VM1

-0,167

0,948

-0,084

VM2

-0,106

0,876

-0,095

VM3

-0,179

0,944

-0,040

VM4

-0,204

0,910

-0,071

F1

-0,001

0,551

0,126

F2

0,172

-0,019

0,981

F3

0,212

-0,025

0,973

Valeurs propres

3,9038

3,8525

2,0333

Variance expliquée

35,5 %

35 %

18,5%

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En tenant compte des signes des stations sur la première composante principale, celle-ci permet de séparer les bassins versants caractérisés par des débits spécifiques élevés de ceux caractérisés par des débits spécifiques faibles. Si on considère les débits spécifiques moyens, par exemple, le seuil de séparation est situé à 23 L/s//km2. Tous les bassins versants qui ont des débits spécifiques moyens supérieurs à ce seuil ont le signe positif sur la première composante, et ceux qui ont des valeurs inférieures à ce seuil ont le signe négatif. Quant à la seconde composante, elle permet de séparer les bassins versants caractérisés par une forte variabilité interannuelle des débits moyens annuels de ceux qui ont une faible variabilité. Le seuil de séparation est situé à 20 % en ce qui concerne le coefficient de variation. Tous les bassins versants dont le coefficient de variation est supérieur à 20 % ont des notes factorielles positives sur la seconde composante. Enfin, la dernière composante permet de séparer les bassins versants selon le degré d’asymétrie des courbes de distribution des débits moyens annuels. Mais contrairement aux deux précédentes caractéristiques, il n’existe aucun seuil net pour séparer les bassins versants. Toutefois, les bassins versants caractérisés par des valeurs élevées des coefficients d’aplatissement, notamment, ont des notes factorielles positives et relativement élevées sur la troisième composante. Ceci ne concerne que moins de 10 % des stations. Par conséquent, la majorité des bassins versants est caractérisée par des valeurs faibles des coefficients d’asymétrie et d’aplatissement au Québec. C’est ce qui explique un faible pouvoir discriminant de cette composante par rapport aux deux premières.

3.4 Formation et caractérisation des régions hydrologiques homogènes naturelles

L’application de l’équation 2 permet de former huit régions hydrologiques homogènes naturelles théoriques à partir de ces trois caractéristiques car chacune d’elles est associée à une composante principale significative. Nous faisons remarquer ici que le regroupement des stations se fait selon les caractéristiques des débits associées aux composantes significatives et non selon les 11 variables hydrologiques de départ. De plus, les quatre caractéristiques qui définissent la série des débits moyens annuels sont prises en compte dans la classification. On se conforme ainsi au concept de « régime des débits naturels », ce qui constitue une différence fondamentale avec les deux autres approches. Le tableau 4 présente les signes de notes factorielles associés aux trois premières composantes principales qui caractérisent les huit régions hydrologiques homogènes. La dernière colonne de ce tableau contient les noms de rivières qui composent chaque région hydrologique homogène. Il existe sept régions hydrologiques homogènes effectives (régions II à VIII) et une seule région hydrologique fictive (région I). L’existence de cette dernière région fictive peut être attribuée soit à l’absence de stations parmi les stations analysées, dont la combinaison des caractéristiques des débits ne correspond pas à cette région hydrologique fictive, ou soit au fait que les facteurs physiographiques et climatiques du Québec ne permettent pas la combinaison naturelle des caractéristiques des débits qui définissent cette région.

Tableau 4

Regroupement des stations en régions hydrologiques homogènes naturelles en fonction des signes de notes factorielles sur les trois premières composantes principales.

Grouping of stations into natural homogeneous hydrologic regions based on the loadings signs on the first three principal components.

RH

PCI

PCII

PCIII

Rivières

I

+

+

+

 

II

+

+

-

Becancour, Blanche, Etchemin, Famine, Gouffre, Madeleine, Nabisipi, Nicolet, Nicolet SO, Nouvelle, Portneuf, Sud, Tonnerre.

III

+

-

+

Aulnaies ouest, Eaux volées.

IV

+

-

-

Aguanus, Cap Chat, Cascapedia, Eaux volées, Jacques Cartier, Matane, Moisie, Montmorency, Romaine, St-Paul, Ste-Anne (Bras nord).

V

-

+

+

Coaticook, L’assomption, Noire, Vermillon.

VI

-

+

-

Beaurivage, Kinojevis, Loup, Richelieu, Rimouski, Rouge, Trois-Pistoles, Yamaska.

VII

-

-

+

Coulonge, Matawin, Rouge.

VIII

-

-

-

Chamouchouane, Croche, Eaton, Hall, Lièvre, Malbaie, Maskinongé, Mistassibi, Mistassini, Nord, York.

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En ce qui concerne la caractérisation des régions hydrologiques homogènes retenues, un des objectifs poursuivis par l’approche éco-géographique, la région hydrologique homogène II regroupe des stations caractérisées par des débits spécifiques élevés et par une forte variabilité interannuelle des débits moyens annuels. La région IV s’en distingue par une faible variabilité interannuelle des débits moyens annuels. Les régions VI et VIII se distinguent des deux précédentes principalement par des faibles valeurs des débits spécifiques. Mais la variabilité interannuelle des débits moyens annuels est relativement plus forte en région VI qu’en région VIII. Au Québec, les régions II, IV et VIII regroupent plus de 60 % des stations analysées. Ces trois régions sont caractérisées par un signe négatif sur la troisième composante principale, c’est‑à‑dire par des valeurs des coefficients d’asymétrie et d’aplatissement relativement faibles.

La cartographie de sept régions hydrologiques homogènes a révélé qu’elles ne sont pas géographiquement contiguës. Ainsi, comme le montre le tableau 4, deux bassins versants géographiquement contigus ne se retrouvent pas forcément dans une même région hydrologique homogène comme l’avaient déjà noté plusieurs auteurs (ACREMAN et WILTSHIRE, 1987; BURN, 1990).

3.5 Détermination des facteurs de variabilité spatiale des caractéristiques des débits.

3.5.1. Analyse des corrélations simples entre les caractéristiques des débits et les facteurs explicatifs

Nous avons corrélé les composantes principales aux facteurs explicatifs susceptibles de rendre compte de la variabilité spatiale de ces caractéristiques. Il ressort du tableau 5 les faits significatifs suivants :

  • La caractéristique magnitude-fréquence des débits moyens annuels, associée à la première composante principale, est positivement corrélée (r > 0,500) aux précipitations annuelles et hivernales mais négativement corrélée aux températures printanières et estivales. Cette corrélation négative est due tout simplement à l’évapotranspiration. En effet, plus la température printanière ou estivale est élevée, plus la quantité des débits perdue par évaporation devient importante. Il importe de faire remarquer que les facteurs physiographiques comme la superficie des bassins versants n’influencent que très modérément ce volume d’écoulement (magnitude). Comme il fallait s’y attendre, l’augmentation de la taille des bassins versants s’accompagne d’une diminution des débits spécifiques.

  • La variabilité interannuelle de la magnitude-fréquence est positivement corrélée aux températures hivernales et annuelles mais négativement corrélée à la longueur des cours d’eau. Notons que ce dernier facteur dépend de la taille des bassins versants. Il s’ensuit que la variabilité interannuelle de la magnitude des débits augmente avec la température hivernale mais diminue avec la longueur des cours d’eau qui dépend de la taille des bassins versants.

  • La forme de la courbe de distribution des débits moyens annuels est négativement corrélée seulement à la température hivernale. Mais cette corrélation est relativement faible (r = ‑0,290).

Tableau 5

Coefficients de corrélation calculés entre les composantes principales et les facteurs environnementaux.

Coefficients of correlation between the principal components (flow characteristics flows) and environmental factors.

Facteurs explicatifs

CP I

CP II

CP III

B1

-0,2809

-0,4587

-0,1016

B2

-0,1799

-0,5434

0,0734

B3

0,2073

0,2966

-0,1465

A1

0,1069

-0,3932

-0,0678

A2

-0,1908

-0,3350

0,1227

P1

0,5990

-0,1233

0,0857

P2

0,5982

-0,0869

0,0300

P3

0,3836

-0,3871

0,2042

T1

-0,3658

0,5488

-0,1719

T2

-0,1428

0,6170

-0,2902

T3

-0,4864

0,3693

-0,0031

T4

-0,4828

0,4254

-0,0645

T5

-0,3520

0,4146

-0,2406

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3.5.2. Analyse canonique des corrélations

Le tableau 6 présente les valeurs des coefficients de corrélation entre les variables canoniques et les variables originales ainsi que les composantes des combinaisons linéaires. Les coefficients de corrélation canonique pour l’ensemble des données sont respectivement de λ1 = 0,8604, λ2 = 0,770 et λ3 = 0,4625. Le degré de liaison de l’ensemble des variables n’est pas très élevé car la valeur du premier coefficient n’excède pas 0,900. Le tableau 6 révèle qu’en ce qui concerne les caractéristiques des débits, la première variable canonique est positivement corrélée à la caractéristique magnitude-fréquence mais négativement corrélée à la caractéristique forme de courbe de distribution. Ces deux caractéristiques varient donc de façon inverse, ce qui n’a pas été mis en évidence avec les corrélations simples. La seconde variable canonique est corrélée négativement à la variabilité de la caractéristique magnitude-fréquence. La troisième variable canonique n’est corrélée significativement à aucune caractéristique. Quant aux facteurs physiographiques, la première variable canonique (W1) est liée positivement aux précipitations annuelles et hivernales mais négativement aux températures printanières et estivales. La seconde variable est positivement reliée à la superficie occupée par les lacs et les marais mais négativement à la pente des cours d’eau. Ces résultats sont en grande partie différents de ceux obtenus avec l’analyse des corrélations simples. En effet, l’analyse canonique des corrélations révèle d’abord l’influence de la superficie occupée par les lacs et marais sur la variabilité interannuelle de la magnitude-fréquence. Cette influence n’a pas été mise en évidence par l’analyse des corrélations simples. Par ailleurs, cette analyse révèle aussi que la forme de la courbe de distribution et la magnitude-fréquence sont influencées par les mêmes facteurs physiographiques, à savoir, les précipitations et les températures saisonnières.

Tableau 6

Coefficients de corrélation entre les variables canoniques et les variables originales ainsi que les composantes des combinaisons linéaires.

Correlation between principal components (flow characteristics) and environmental factors and canonical roots.

 

V1

V2

V3

W1

W2

W3

PC I

0,893

-0,404

0,120

0,768

-0,311

0,092

PC II

-0,486

-0,804

0,342

-0,418

-0,619

0,158

PC III

-0,863

0,457

0,215

-0,743

0,352

0,100

B1

-0,255

0,274

-0,187

-0,296

0,355

-0,405

B2

-0,038

0,336

-0,161

-0,045

0,436

-0,347

B3

0,293

-0,374

0,051

0,341

-0,485

0,111

A1

0,267

0,314

0,065

0,310

0,408

0,140

A2

-0,086

0,407

-0,221

-0,101

0,528

-0,477

P1

0,567

0,095

- 0,065

0,659

0,124

-0,141

P2

0,596

0,102

-0,071

0,693

0,133

-0,152

P3

0,368

0,288

-0,035

0,428

0,374

-0,075

T1

-0,391

-0,142

0,061

-0,455

-0,184

0,131

T2

-0,198

-0,216

0,087

-0,230

-0,281

0,188

T3

-0,467

-0,043

0,057

-0,543

-0,055

0,122

T4

-0,466

-0.104

0,015

-0,541

-0,135

0,032

T5

-0,289

-0,018

0,036

-0,336

-0,024

0,077

VE (%)

59,4

34,0

6,8

15,8

10,0

3,5

Rd (%)

44,0

20,1

1,5

11,7

6,0

0,7

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La variance totale expliquée (VTE) par les variables canoniques associées aux caractéristiques des débits est très élevée. La première variable canonique rend compte de près de 60 % de la variance totale des caractéristiques des débits. En revanche, la variance totale expliquée par les variables physiographiques est très faible (moins de 30 %). Cette faible valeur peut être expliquée par un grand nombre de variables physiographiques retenues dans l’analyse. Quant à la redondance totale des caractéristiques des débits (Rd), qui exprime la part de variance totale des caractéristiques des débits dont les variables physiographiques rendent compte, elle dépasse 65 %. Cette valeur nous autorise à conclure que les caractéristiques des débits sont plus ou moins fortement liées aux variables physiographiques. Ce degré de liaison n’a pas été suffisamment mis en évidence par les corrélations simples.

4. Discussion et conclusion

Le tableau 7 compare les trois approches de régionalisation. La contribution de l’approche éco-géographique est de proposer l’utilisation des caractéristiques des débits à la place des variables hydrologiques. Cette utilisation présente deux avantages majeurs suivants :

  • Le nombre des caractéristiques des débits étant limité par rapport à celui des variables hydrologiques, il devient donc possible de tenir compte de toutes les caractéristiques dans la régionalisation. La définition de « l’homogénéité hydrologique » devient alors objective car sa définition ne dépend plus du nombre et du type des caractéristiques des débits. De même, le nombre des régions hydrologiques homogènes n’est plus influencé par le choix des caractéristiques des débits. Le tableau 8 révèle la diversité des variables hydrologiques déjà utilisées pour la régionalisation au Québec, Dans ce contexte, l’homogénéité hydrologique devient fortement subjective.

  • En tenant compte de toutes les caractéristiques des débits qui définissent une série hydrologique donnée, l’approche éco-géographique est la seule qui applique de manière intégrale le concept de « régime des débits naturels ».

Tableau 7

Comparaison de trois approches de régionalisation.

Comparison of three regionalization methods.

Critères de comparaison

Approche hydrologique

Approche écologique

Approche éco-géographique

Fondement

Régionalisation basée sur les variables hydrologiques.

Régionalisation basée sur les variables hydrologiques.

Régionalisation basée sur les caractéristiques des débits.

Choix

Choix de variables non justifié par un concept scientifique.

Choix des variables justifié par un concept scientifique.

Choix de caractéristiques justifié par un concept scientifique.

Nombre de variables ou des caractéristiques

Très peu de variables hydrologique (moins de 5).

Grand nombre de variables hydrologiques (plus de 10).

Toutes les caractéristiques fondamentales.

Échelle d’analyse

Échelles journalière et mensuelle.

Toutes les échelles analysées simultanément.

Toutes les échelles mais analysées séparément.

Finalité

Estimation des débits sur des sites non jaugés ou partiellement jaugés.

Expliquer les différences de structure et de fonctionnement des communautés biologiques.

Recherche des facteurs qui influencent la variabilité spatiale des caractéristiques de débits pour une meilleure gestion des écosystèmes fluviaux.

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Tableau 8

Exemples des variables hydrologiques utilisées pour la régionalisation dans l’approche hydrologique.

Examples of hydrological variables used for regionalization by hydrological method.

Auteurs

Pays (Province)

Série hydrologique

Variables hydrologiques

Anctilet al. (2000)

Canada (Québec)

AM

CSM et CKM

Anctilet al. (1998)

Canada (Québec)

AM

CSM et CKM

Burn (1997)

Canada (Manitoba)

AM

MT

Burn (1988)

Canada (Manitoba)

AM

CVM

Cunderlik et Burn (2003)

Grande Bretagne

AM

MT

Daviauet al. (2000)

Canada (Québec et Ontario)

AM

MT, CVT, MM, CVM, CSM

GREHYS (1996)

Canada (Québec et Ontario)

AM

CVM, MM

Mkhandiet al. (2000)

Afrique australe

AM

CVM et CSM

Ribeiro-Corréaet al. (1995)

Canada (Québec)

AM

Q2, Q100

Ouardaet al. (2001)

Canada (Ontario)

AM

Q2, Q100

Am = série annuelle des débits minimums; AM = série annuelle des débits maximums; CSM ou CSm = coefficient d’asymétrie des débits annuels maximums; CKM ou CKm = coefficient d’aplatissement des débits annuels maximums; MT = moyenne des dates d’occurrence des débits annuels maximums; CVT = coefficient de variation des dates d’occurrence des débits annuels maximums; MM = moyenne des débits annuels maximums; CVM = coefficient de variation des débits annuels maximums; Q2 = débit de récurrence de deux ans; Q100 = débit de récurrence de 100 ans.

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En ce qui concerne la finalité de la régionalisation, l’approche éco-géographique vise à déterminer les facteurs physiographiques qui influencent la variabilité spatiale des caractéristiques des débits dans un territoire géographique. Cette préoccupation ne ressort pas des deux autres approches. Dans le cas de l’approche hydrologique, on tient parfois compte des facteurs physiographiques pour la délimitation des régions hydrologiques homogènes. Cependant, comme nous l’avons souligné, l’utilisation de quelques variables hydrologiques dans la régionalisation par l’approche hydrologique ne permet pas de déterminer tous les facteurs physiographiques susceptibles d’influencer la variabilité spatiale des caractéristiques des débits. La connaissance de ces facteurs est importante pour une meilleure gestion des écosystèmes aquatiques. Il est intéressant, par exemple, de déterminer les caractéristiques des débits sensibles aux changements de la couverture forestière ou de la température de l’air. Ces caractéristiques peuvent ainsi être utilisées pour déterminer les impacts hydrologiques induits par les changements de ces facteurs. L’approche éco-géographique apparaît ainsi comme un outil de gestion pour un meilleur suivi des régimes hydrologiques face aux changements de l’environnement induits par les activités anthropiques ou les modifications du climat.