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1. Introduction

Le chrome est présent dans l’environnement principalement sous deux formes : le Cr(III) et le Cr(VI). La forme hexavalente est plus toxique que la forme trivalente et également davantage soluble dans l’eau. Le chrome trivalent est la forme la plus stable mais ayant des propriétés chimiques plus complexes que le chrome hexavalent. Le chrome trivalent a peu d’affinité pour l’oxygène, c’est pour cette raison qu’il a tendance à former nombre de complexes avec des ligands organiques. Le chrome hexavalent est un puissant oxydant. On le retrouve sous des formes d’oxyanions qui sont très solubles. L’oxydation de Cr (III) en Cr (VI) peut se faire dans les sols humides (BARTLETT et JAMES, 1979) et sera favorisée avec l’élévation du pH du sol (STOMBERG et al., 1984). La spéciation du chrome (VI) et (III) dépend de plusieurs paramètres comme le pH, leur concentration et la disponibilité en ligand.

Le secteur industriel marocain est composé de 6 070 unités dont 31 % sont des industries du textile et du cuir. Les industries du cuir consomment 120 t Cr/an (SCANDIACONSULT INTERNATIONAL, 1999).

Dans l’industrie du cuir, il y a essentiellement deux types de procédés de tannage : le tannage végétal et le tannage au chrome. Les traitements des effluents issus de ces deux procédés de tanneries peuvent être acquis soit par moyen physico-chimique, soit par procédé biologique ou par combinaison des deux (KABDASLI et al., 1993; NOZAKI et al., 1993; SZPYRKOWICZ et al., 1995; TALINI, 1994; TÜNAY et al., 1994). La plupart des processus biologiques reconnus ont été recommandés ou utilisés souvent après un prétraitement pour diminuer la charge en chrome. Des études ont développé des protocoles de traitement de ce type d’effluent par des lits à macrophytes (ALDRICH et al., 2003; BARRERA-DIAZ et al., 2004; BEGG et al., 2001; HOW et al., 2003; POLPRASERT et al., 1996; QIAN et al., 1999; SHUTES et al., 2001; SINHA et al., 2002; TIGLYENE et al., 2005). En effet, une étude effectuée par TIGLYENE et al. (2005) a montré qu’après passage de l’effluent de tannerie à travers des colonnes plantées de Phragmites australis en écoulement vertical (88 % du sable), une élimination de 99 % en Cr total et un abattement de 74 % en DCO totale sont obtenus. Les macrophytes jouent un rôle clé dans le fonctionnement des stations de traitement utilisant les plantes aquatiques (Phragmites australis, Typha latifolia, Cyperus exaltatus, etc.). Dans ces systèmes de traitement, plusieurs processus sont responsables de l’élimination des métaux. Ils incluent un ensemble de réactions physico-chimiques, biologiques et microbiologiques qui se déroulent dans les sites aérobies et anaérobies des zones humides (EGER, 1994). Ces éléments métalliques sont retenus dans ces systèmes par absorption par les plantes, par les micro-organismes de la rhizosphère, par immobilisation au niveau du sol via des mécanismes tel que l’adsorption au niveau des sites d’échanges, fixation à la matière organique, incorporation dans la structure du sol et précipitation sous formes de composés insolubles (EGER, 1994; WIEDER, 1990).

Par ailleurs, la connaissance de la concentration en métal total est souvent insuffisante pour évaluer le risque dû à sa présence dans le sol (GUPTA, 1984). Les métaux lourds peuvent, à partir de l’horizon supérieur, présenter une certaine mobilité le long des horizons des sols et regagner les nappes phréatiques (BAVEYE et al., 1999; KAFKA et KURAS, 1994; LEGRET et al., 1988). Le chrome en général et le chrome (VI) en particulier peuvent migrer jusqu’à des horizons profonds du sol (LOSI et al., 1994 ; SELIM et al., 1989).

La spéciation chimique des éléments métalliques en traces renseigne sur leur comportement probable dans le milieu. Elle peut être acquise en analysant la distribution des éléments dans les différentes phases chimiques du sol : carbonate (acido-soluble), réductible (oxydes de Fe et de Mn), oxydable (organique et sulfure), échangeable et résiduelle. En pratique, cette compartimentation peut se faire à partir des extractions chimiques simples ou séquentielles utilisant des réactifs d’agressivité croissante. De nombreux extractants peuvent être utilisés pour définir un compartiment du sol (LEBOURG et al., 1996). Toutefois, le degré de fixation ou de relargage des métaux est lié à leurs formes chimiques et à leurs associations avec les différentes phases constitutives du sol qui conditionnent leur disponibilité pour les végétaux ainsi que leur mobilité dans les solutions du sol (LEGRET et al., 1988). Dans ce sens, sous une forme adsorbée sur des hydroxydes métalliques, le chrome est peu disponible aux plantes. La concentration en Cr des végétaux est principalement contrôlée par sa teneur en solution dans le sol. Le chrome, dans un sol neutre ou basique, sera plus disponible vis-à-vis des plantes que dans un sol acide (INERSI, 2004). Cependant, plusieurs auteurs ont rapporté que les teneurs en éléments dans les tissus des plantes varient avec la concentration et la forme auxquelles la plante est exposée (BLAKE et al., 1987; JACKSON et al., 1991; NAKADA et al., 1979). En effet, CARY et al. (1977) ont montré qu’il y a une meilleure translocation du chrome vers la tige à partir d’une solution du Cr (VI) qu’avec une solution de Cr (III).

L’objectif de ce travail est : i) d’étudier la rétention et la migration du Cr dans le profil du sol, ii) de déterminer la spéciation chimique du Cr au niveau d’un pilote planté de traitement du rejet de tannage au chrome; et iii) d’évaluer la biodisponibilité du Cr et sa bioaccumulation dans la plante. L’intérêt est porté plus particulièrement sur la comparaison d’un pilote planté par Phragmites australis (Cav.) Trin ex Steudel avec un pilote non planté.

2. Matériel et méthodes

Le pilote expérimental est constitué de pots (capacité : 120 litres; diamètre : 50 cm) remplis sur une épaisseur de 15 cm de gravier et de 60 cm de sol. Trois pots sont plantés de jeunes tiges de Phragmites australis (36 tiges m-2). Trois autres pots non plantés sont pris comme témoin.

Le matériel végétal utilisé est Phragmites australis (Cav.) Trin ex Steudel ou roseau des marais. C’est une espèce très productive, qui s’adapte facilement aux différentes conditions du milieu (NÈGRE, 1961).

Le sol utilisé a une texture : limono - argilo - sableuse [argile : 3,5 %; limon : 8,5 %; sable : 88 % (sable grossier + sable fin : 72,1 %; sable très fin : 15,9 %)]. C’est un sol basique qui est riche en matières organiques. Sa conductivité électrique est élevée (Tableau 1). Les teneurs en métaux lourds du sol sont dans les normes de l’OMS (1989) : Zn=300 mg·kg‑1; Pb=100 mg·kg-1; Cr=150 mg·kg-1 et Cu=100 mg·kg-1 (GODIN, 1983). Le choix s’est porté sur ce sol sachant qu’il a une capacité de rétention de l’eau (14 %) et des matières dissoutes dans ses espaces intercellaires. D’après SOLTNER (1990), il s’agit d’un sol basique biologiquement actif qui favoriserait la prolifération d’une flore bactérienne assurant la décomposition, l’humification et la minéralisation des matières organiques. En effet, des études ont montré que certains micro-organismes, souvent isolés à partir du sable qui constitue leur habitat naturel, sont les principaux décomposeurs de la matière organique et ils sont capables d’exsuder des substances très variées à action antibactérienne, antifongique ou antiparasitaire (BARAKATE et al., 2002; BARAKATE et al., 2003; BEHAL, 2000; CHEN, 1995; KHATTABI et al., 2002; WU et CHEN, 1995).

Tableau 1

Caractéristiques physico-chimiques du sol (nombre d’échantillons = 4).

Physico-chemical characteristics of soil (number of samples = 4).

Paramètres

Teneurs

ph

8,63 ± 0,25

% m.o

4,7 ± 1,3

% humidité

21 ± 7

cE (µs·cm‑1)

400 ± 45

Cl (mg·Kg‑1)

71 ± 33

Na (mg·g‑1)

2,7 ± 1,2

Mg (mg·g‑1)

0,36 ± 0,2

Ca (mg·kg‑1)

760 ± 261

Zn (mg·kg‑1)

12 ± 4

Pb (mg·kg‑1)

1,2 ± 0,7

Fe (mg·kg‑1)

71 ± 37

Cr (mg·kg‑1)

0,6 ± 0,1

Cu (mg·kg‑1)

0,35 ± 0,12

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Les eaux usées à traiter sont originaires d’une tannerie semi-moderne, implantée dans le quartier industriel de la ville de Marrakech. Ces effluents présentent un pH acide (Tableau 2). Ils ont une conductivité électrique élevée reflétant leurs richesses en sels. La concentration en chlorures enregistrée (20,6±1,3 g·L-1) et en chrome (1 230±123 mg·L-1) dépasse largement celle recommandée par les normes de l’OMS (1989) de rejets d’effluents qui sont de 0,7 g·L-1 et de 2 mg·L-1 respectivement.

Tableau 2

Caractéristiques physico-chimiques de l’eau usée de tannerie (nombre d’échantillons = 20).

Physico-chemical characteristics of tannery wastewater (number of samples = 20).

Paramètres

Teneurs

pH

3,08 ± 1,16

CE (ms·cm‑1)

118 ± 50

MES (mg·L‑1)

233 ± 24

DBO5 (mg·L‑1)

45 ± 2

DCO (mg·L‑1)

2500 ± 13

Cl- (g·L‑1)

20,6 ± 1,3

NH4+ (mg·L‑1)

520 ± 19

Cr (g·L‑1)

1,23 ± 0,12

CE (ms·cm‑1) : conductivité électrique en millisemens par centimètre

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L’expérience a été menée durant 13 mois, s’étalant du mois d’août 2002 au mois d’août 2003. Tout au long de cette période d’étude, les 2 pilotes ont été irrigués par l’eau du tannage diluée à 50 % (Cr=780±196 mg·L-1) qui correspond d’après les tests réalisés à la teneur maximale de tolérance au chrome de Phragmites australis (TIGLYENE et al., 2005). L’alimentation des deux systèmes se fait par bâchée de 30 litres fractionnée en 3 bâchées élémentaires de 10 litres/jour pendant 3 jours successifs suivis d’une période de repos de 4 jours. L’écoulement se fait par translation verticale à travers le sol. Les dilutions ont été effectuées par une eau de puits.

La mesure du potentiel d’hydrogène (pH) est effectuée avec un pH-mètre de type ORION. La conductivité électrique (CE) est mesurée à l’aide d’un conductivimètre type Tacussel (RODIER, 1984). La détermination des matières en suspension (MES) consiste à séparer les phases solide et liquide par filtration sur filtre de porosité 0,45 µm. Le filtre est pesé après séchage à 105 °C (AFNOR, T90-105). La demande chimique en oxygène (DCO) est estimée par oxydation par un excès de bichromate de potassium à chaud et en milieu acide (AFNOR, T90-101). La demande biologique en oxygène (DBO5) est faite selon la méthode respirométrique par DBO-mètre (AFNOR, T90-103). Les chlorures sont dosés selon la méthode de Mohr (RODIER, 1984). Le dosage des ions ammoniums s’effectue selon la méthode colorimétrique au bleu d’indophénol (RODIER, 1984). Le dosage du chrome total est effectué par spectrophotométrie d’absorption atomique (AFNOR, T90-112). Pour chaque paramètre quatre répétitions ont été effectuées.

2. Fonctionnement hydraulique du système pilote

La ville de Marrakech est soumise à un climat méditerranéen aride, chaud, à hiver frais, caractérisé par une pluviométrie faible et variable. La saison sèche s’étend du mois de mars jusqu’au mois d’octobre. La particularité du climat de la ville de Marrakech est le passage sans transition de la période chaude de longue durée (mars à octobre) à la période froide (novembre à février) de courte durée (Figure 1). L’étude du fonctionnement hydrologique des deux pilotes testés a montré que le débit moyen à la sortie du système planté est trois fois plus élevé que celui du lit non planté, ce qui permet de traiter un volume d’eau usée plus important ou bien de réduire la superficie nécessaire par équivalent habitant (Tableau 3). Aucun signe de colmatage n’a été détecté aussi bien dans les pots plantés de Phragmites australis que dans les pots non plantés (TIGLYENE et al., 2005).

Figure 1

Évolution temporelle de la température et de la pluviométrie.

Temporal changes in temperature and rainfall.

Évolution temporelle de la température et de la pluviométrie.

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Tableau 3

Caractéristiques hydrauliques du système planté et du sol non planté (nombre d’échantillons = 50).

Hydrological characteristics of planted and unplanted systems (number of samples =50).

 

Lit planté

Lit non planté

Volume à l’entrée (L)

15

15

Temps d’infiltration

3 h 35 min

10 h 45 min

Volume restitué (L)

6 ± 3,4

9 ± 2,5

% de restitution

40

60

Débit moyen (mL·min‑1)

35 ± 13

12 ± 7

Pertes d’eau en (%)

57,5 ± 2,4

38 ± 2,7

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2.2 Évolution de la concentration du Chrome total

La concentration moyenne en Cr total dans l’effluent appliquée à l’entrée des différents pilotes varie de 534 mg·L-1 à 1 000 mg·L-1 avec une teneur moyenne de 780±196 mg·L-1. Les teneurs en Cr total enregistrées à la sortie du lit à Phragmites varient de 2,2 mg·L-1 à 3 mg·L-1 avec une concentration moyenne de 2±0,5 mg·L-1. La concentration en chrome total des eaux usées à la sortie du sol non planté varie de 2,5 mg·L-1 à 4 mg·L-1 avec une valeur moyenne de 2,4±1,3 mg·L-1.

Le taux d’élimination du chrome total calculé sur la base des charges en tenant compte des pertes d’eau par chaque système est représenté dans la figure 2. Pour les deux systèmes, la rétention du chrome total varie de 97 % à 100 % avec une élimination moyenne de 99 % (TIGLYENE et al., 2005). L’analyse de la variance au seuil de 5 % indique qu’il n’y a pas de différence significative pour l’abattement du Cr entre les deux systèmes planté et non planté et que l’effet de saison est négligeable pour les deux systèmes (p>0,05).

Figure 2

Pourcentage d’abattement du Cr total pour les deux systèmes planté et non planté.

Percent removal of total Cr in the planted and unplanted systems.

Pourcentage d’abattement du Cr total pour les deux systèmes planté et non planté.

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2.3 Répartition et mobilité du Chrome

2.3.1 Prélèvement du sol

En fin de période d’étude (septembre 2003) et au niveau de chaque pilote, des profils du sol ont été réalisés, de la surface à l’horizon, à l’aide d’une tarière : 0-5 cm, 5-10 cm, 10-15 cm, 15-20 cm, 20-30 cm, 30-40 cm, 40-50 cm et 50-60 cm.

Au niveau de chaque pilote et pour chaque horizon du sol, six échantillons ont été prélevés sur toute la surface. Les points de prélèvements sont pris de manière aléatoire.

2.3.2 Minéralisation du sol

Un échantillon du sol de 0,5 g est séché à l’air libre, tamisé (fraction < 125 µm) puis calciné à 550 °C dans un four à moufle pendant deux heures. Il a été additionné de 10 mL de HF (50 %) et porté à sec. Le résidu est dissout par 5 mL de HNO3 (60 %) pendant 2 h à chaud jusqu’à disparition des vapeurs rousses. La solution obtenue est ajustée à 10 mL par l’eau bi-distillée.

2.4 Spéciation chimique du Chrome

Pour l’étude de la spéciation, les échantillons sont traités selon le schéma d’extraction séquentielle préconisé par TESSIER et al. (1979) et modifié par LEGRET (1992). La procédure d’extraction utilisée pour la séparation des cinq phases est la suivante :

  • Étape 1 : fraction échangeable : 1 g d’échantillon de sol est mis en solution dans 16 mL de CaCl2 (1 M) et placé sous agitation pendant 2 h à température ambiante. Après centrifugation à 5 300 g, le chrome dans la fraction échangeable est dosé dans le surnageant et le culot subit la deuxième étape.

  • Étape 2 : fraction oxydable (fraction organique et sulfures) : le culot de l’étape 1 est mis en solution dans 16 mL du mélange H2O2 8,8 M + HNO3 0,02 M (v/v) (5+3) et placé sous agitation pendant 5 h à température ambiante et 1 h à 98 °C. L’extraction se fait dans 10 ml de CH3COONH4 3,5 M et placé sous agitation pendant 1 h à température ambiante. Le chrome, dans la phase oxydable, est dosé dans le surnageant et le culot subit la troisième étape.

  • Étape 3 : fraction acido-soluble (carbonates) : le culot de l’étape 2 est mis en solution dans 35 ml du mélange CH3COOH 1 M + CH3COONH4 0,6 M (v/v) (1+1) et placé sous agitation pendant 5 h à température ambiante. Le Cr dans la phase acido-soluble est dosé dans le surnageant et le culot subit l’étape 4.

  • Étape 4 : fraction réductible (oxyde de Fe et de Mn) : le culot de l’étape 3 est mis en solution dans 35 mL de NH2OH·HCl 0,1 M + CH3COOH 25 % (v/v) (1+1) et placé sous agitation pendant 4 h à température ambiante et pendant 1 h à 98 °C. L’extraction se fait dans 10 mL CH3COONH4 3,5 M et placé sous agitation pendant 1 h à température ambiante. Le chrome lié à la phase réductible est dosé dans le surnageant et le culot subit l’étape 5.

  • Étape 5 : fraction résiduelle : le culot de l’étape 4 est calciné pendant 2 h à 550 °C dans un four à moufle. Le résidu est solubilisé dans 20 mL de HCl concentré (12 M) et HF 40 % (v/v).

Les extractions ont été réalisées dans des tubes de centrifugation en polyéthylène de 50 mL de capacité. Entre deux étapes, les suspensions ont été centrifugées pendant 30 min à 5 300 g.

2.5 Biodisponibilité du Chrome

Au cours de cette étude, le réactif CaCl2 (0,1 M) a été choisi pour l’extraction du chrome biodisponible (JUSTE et SOLDA, 1988; MENCH, 1993). Une prise de 10 g d’échantillon du sol est mise en contact avec 25 mL de solution de CaCl2 (0,1 M). Le mélange est soumis à une agitation mécanique pendant une durée d’au moins 16 heures. Les suspensions d’équilibre obtenues ont été centrifugées pendant 20 min à 5 300 g. Le surnageant est filtré sur filtre de 0,45 µm et servira pour le dosage du Cr.

2.6 Teneur en Chrome dans Phragmites australis

Les parties aériennes de Phragmites australis (feuille+tige) sont séparées des parties souterraines (racine+rhizome), puis chacune des deux parties est lavée rapidement avec de l’eau du robinet puis rincée abondamment par l’eau distillée. Des échantillons moyens et homogènes sont recueillis, séchés séparément dans l’étuve à 80 °C puis broyés. Les teneurs en chrome total ont été déterminées dans ces échantillons.

Une prise de 2 g de matière sèche de la plante est calcinée dans un four à 450 °C durant 4 h. Les cendres sont humidifiées par quelques gouttes de HNO3 dilué, remises au four pendant 1 h à 450 °C. Le résidu obtenu, additionné de 5 mL de HNO3 concentré, est ramené à sec sur bain de sable. La dissolution du résidu se fait par 5 mL d’H2O2 à chaud. La solution obtenue est ajustée à 10 mLpar HCl (5 %) (TAUZIN et JUSTE, 1986).

Afin de tester la faculté de Phragmites australis d’accumuler le chrome, l’analyse des résultats est effectuée par référence à un témoin : pots (capacité : 120 litres; diamètre : 50 cm) remplis sur une épaisseur de 15 cm de gravier et de 60 cm de sol planté par de jeunes tiges de Phragmites australis (36 tiges m-2) irriguées par l’eau de puits uniquement (sans effluent de tannerie), et avec les mêmes conditions expérimentales d’alimentation des deux systèmes pilotes (août 2002 - août 2003).

Phragmites australis utilisée dans ce travail a été prélevée dans une roselière irriguée par l’eau de puits. Les témoins ont été prélevés au début de la manipulation (lors de la récolte des plantes nécessaires à l’expérience). La teneur initiale (avant l’expérience) de Phragmites australis (traitée et témoin) en Cr est de : 0,19±0,05 mg·kg-1 en matière sèche dans les racines; 0,18±0,04 mg·kg-1 (rhizome); 0,023±0,010 mg·kg-1 (feuille) et 0,03±0,01 mg·kg-1 (tige).

2.7 Bilan de l’épuration

Le calcul du bilan du Cr pour les deux pilotes de traitement des eaux usées du tannage au chrome, avec ou sans plante, après 13 mois du fonctionnement, est basé sur l’évaluation de :

  • La charge totale (en g/pot) reçue par les deux pilotes durant toute la période d’étude.

  • La charge totale restituée (en g/pot) à la sortie de chaque pilote.

  • La part retenue (en g/pot) par les différentes parties du végétal.

  • La part retenue (en g/pot) par le sol.

2.8 Analyse statistique

Les résultats obtenus ont été traités par l’analyse de variance à un facteur (ANOVA) suivie du test de Duncan à 5 % d’erreur (logiciel SPSS).

3. Résultats et discussion

3.1 Variation verticale du pH du sol

TIGLYENE et al. (2005) ont montré que le pH de l’effluent à la sortie des deux systèmes pilotes augmente de deux à trois unités par rapport à celui des rejets du tannage à l’entrée. Le pH des eaux usées brutes à l’entrée des deux systèmes varie entre 4 ≤ pH ≤ 6 avec une valeur moyenne de 5,5. Le pH des eaux usées traitées à la sortie des deux systèmes varie entre 7,3 à 8 pour le système à Phragmites australis et entre 7,6 à 8,2 pour le sol non planté.

Toutefois, le pH mesuré au niveau des différents horizons du sol, à la fin de l’expérience, est un pH basique. Son évolution verticale le long du profil des deux pilotes montre que celui‑ci augmente d’une unité de la surface à l’horizon 5-10 cm puis demeure constant au niveau des horizons sous-jacents (Tableau 4). La valeur du pH de l’horizon de surface est moins importante par rapport au reste du profil dû à la nitrification des ions ammoniums et de l’azote organique (YATRIBI et al., 2000).

Tableau 4

Répartition verticale du pH pour les deux systèmes planté (PP) et non planté (NPP).

Vertical distribution of pH in the planted and unplanted systems.

Horizon (cm)

0-5

5-10

10-15

15-20

20-30

30-40

40-50

50-60

Système (NPP)

7,8

±0,1

8,7

±0,3

8,7

±0,4

8,8

±0,2

8,8

±0,2

8,8

±0,1

8,9

±0,1

8,9

±0,1

Système (PP)

7,7

±0,6

8,6

±0,4

8,7

±0,5

8,7

±0,4

8,8

±0,3

8,8

±0,2

8,8

±0,1

8,8

±0,1

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3.2 Répartition du chrome total en fonction de la profondeur

La teneur en Cr total dans le sol à l’état initial est de 0,6 mg·kg-1. Les résultats présentés dans le tableau 5 montrent que, pour les deux pilotes, le chrome se trouve dans tous les horizons du sol (0-60 cm) à des concentrations largement supérieures à celles recommandées par l’OMS (150 mg·kg-1). L’analyse des résultats indique également que, pour les deux systèmes pilotes planté (PP) et non planté (NPP), la teneur en Cr total évolue d’une manière décroissante des couches supérieures vers la profondeur.

Tableau 5

Teneur en Cr total dans les différents horizons du sol pour les deux systèmes planté et non planté.

Total Cr contents in different soil horizons in planted and unplanted systems.

 

Teneur en Cr (mg·kg‑1)

Horizons (cm)

Système planté

Système non planté

0-5

47 985 ± 4355 : (80%)*

38 887 ± 6963 : (80%)*

5-10

4712 ± 2010 : (8%)

2786 ± 693 : (6%)

10-15

2891 ± 287 : (5%)

2448 ± 532 : (5%)

15-20

1464 ± 128 : (2%)

1647 ± 651 : (3%)

20-30

1352 ± 804 : (2%)

1470 ± 35 : (3%)

30-40

554 ± 12 : (1%)

337 ± 23 : (1%)

40-50

543 ± 14 : (1%)

511 ± 14 : (1%)

50-60

604 ± 20 : (1%)

442 ± 53 : (1%)

(*)

Pourcentage d’accumulation par rapport à la teneur totale retenue par le sol (0-60 cm)

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L’analyse de la variance au seuil de 5 % indique qu’il y a une différence significative entre les teneurs en chrome pour l’horizon supérieur (0-5 cm) pour le système planté 48±4 g·kg-1 et non planté 39±7 g·kg-1 (p < 0,05). Cette différence pourrait être liée à l’effet combiné de plusieurs facteurs : i) l’accumulation des métaux lourds au niveau de la rhizosphère (interface sol-racine) est différente de celle non rhizosphérique (GUCKERT et MOREL, 1988); et ii) l’activité importante des micro-organismes de la rhizosphère permet une complexation élevée du Cr pour le système planté (CHANDERS et BROOKS, 1993; JANSSON-CHARRIER et al., 1994).

Toutefois, pour les deux systèmes (PP) et (NPP), l’application du test ANOVA a montré, d’une part, qu’il y a une différence significative entre les teneurs en Cr pour l’horizon supérieur (0-5 cm) et celles des horizons sous-jacents du sol (5-60 cm), et d’autre part, entre les horizons (5-30 cm) et (30-60 cm) du sol (p < 0,05). En effet, une teneur importante de 80 % en Cr total est accumulée dans l’horizon supérieur (0-5 cm) pour les deux systèmes pilotes en comparaison aux horizons inférieurs (Tableau 5) : 1 % à 8 % pour le système planté et 1 % à 6 % pour le système non planté. Ceci corrobore les résultats obtenus par EMMERICH et al. (1982), HIGGINS (1984), LEGRET et al. (1988); et WILLIAMS et al. (1984). Dans ce sens, TAM et WONG (1994) ont constaté qu’au-delà de 4 cm de profondeur, la concentration en métaux décroît dans les échantillons de sol. Ce qui indique que la surface de sol traitant les rejets de tannage accumule un taux élevé en chrome total en comparaison aux horizons inférieurs.

Les résultats du tableau 5 montrent aussi que le Cr est un élément mobile et qui a pu migrer jusqu’à l’horizon (50-60 cm) pour les deux systèmes. Ces résultats sont en accord avec ceux obtenus dans plusieurs travaux (JUSTE et SOLDÀ, 1977; SELIM et al., 1989). LEGRET et al. (1988) ont montré que le Cr apporté par les boues peut migrer jusqu’à des horizons 80‑100 cm. De leur part, KAFKA et KURAS (1994) ont constaté que le Cr est concentré à 6 mètres de profondeur. Dans ce sens, il est rapporté par GUGGENBERG et al. (1994) que la complexation organique du Cr avec les acides hydrophyliques dissous facilite leur lessivage dans les horizons inférieurs.

Toutefois, l’accumulation du Cr dans le sol dépend de nombreux facteurs (GREFFARD et al., 1985) : pH, Eh (potentiel redox), texture, teneur en matière organique, teneur en calcaire, CEC (capacité d’échange cationique). En effet, le sol utilisé pour cette expérience présente des caractéristiques en faveur d’une bonne fixation du Cr : i) un pH basique (8,63) qui favorise la précipitation du Cr avec les carbonates et les oxydes de fer et de manganèse; et ii) une teneur assez importante en matière organique (4,7 %) qui est capable de piéger le Cr par complexation avec des ligands organiques complexants (COMBER et GARDNER, 2003) et par adsorption (BJERRE et SCHIERUP, 1985; HARTER, 1983; VAN BLADEL et al., 1988).

3.3 Spéciation du Cr total dans le profil du sol

  • Système planté (PP)

    Les résultats de la spéciation du Cr (Figure 3) montrent un enrichissement des formes oxydables, réductibles, carbonates et résiduelles par le Cr pour l’horizon (0-5 cm) plus important que dans les niveaux sous-jacents (5-60 cm).

    Pour les différents horizons du système (0-60 cm), la teneur en Cr liée à la fraction oxydable représente environ 0,2 % à 30 % et résiduelle 0,2 % à 9 %. La part associée au carbonate présente 0,1 % à 14 % du Cr total. Les teneurs en Cr dans la fraction réductible varient de 0,2 % à 10 %.

  • Système non planté (NPP)

    L’analyse des résultats illustrée par la figure 4 montre que, pour les différents horizons du système non planté (0‑60 cm), le Cr est surtout localisé dans la fraction oxydable du sol 0,4 % à 23 %. La proportion du Cr retenue dans la fraction résiduelle varie de 1,4 % à 7 %. La part associée à la forme réductible du sol représente 0,4 % à 4 % et aux carbonates 0,2 % à 3 % du Cr total.

Figure 3

Répartition du Cr dans les différents horizons du sol pour le système planté.

Cr speciation in different soil horizons of the planted system.

Répartition du Cr dans les différents horizons du sol pour le système planté.

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Figure 4

Répartition du Cr dans les différents horizons du sol pour le système non planté.

Cr speciation in different soil horizons of the unplanted system.

Répartition du Cr dans les différents horizons du sol pour le système non planté.

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Les résultats illustrés par les figures 3 et 4 révèlent également que, pour les deux systèmes, le Cr est très faiblement lié à la fraction échangeable (moins de 1 %). Ceci est dû au fait que le Cr (III), forme utilisée dans les opérations du tannage, est peu soluble dans l’eau (INERIS, 2004) et que sa précipitation est favorisée par le pH basique des différents horizons du sol (KOLELI, 2004). De plus, l’irrigation du système à Phragmites australis a entraîné un enrichissement plus important au niveau de l’horizon (0‑5 cm) des formes réductible et carbonate par le Cr que dans le système non planté. D’un autre coté, la forme du Cr associée à la fraction oxydable est la forme la plus mobile sous laquelle peut se trouver le Cr. Ceci pourrait expliquer sa migration jusqu’à l’horizon profond (50‑60 cm) pour les deux systèmes pilotes. Au vu de ces résultats, la spéciation chimique totale du Cr dans les deux systèmes est représentée comme suit :

Par ailleurs, l’application du test ANOVA a montré qu’il y a une différence significative de la spéciation chimique totale du Cr entre les deux systèmes pilotes (p<0,05).

Toutefois, LEGRET et al. (1987) ont montré que la fraction potentiellement mobilisée d’un métal pourrait être déduite par la somme de la fraction échangeable et de la fraction oxydable. Par conséquent, le Cr retenu dans le système non planté sera relargué en plus grande quantité que dans le système planté.

TIGLYENE et al. (2005) ont rapporté qu’il y a une meilleure oxygénation du sol dans le lit à Phragmites australis (abattement de 74 % en DCO totale) permettant aux bactéries aérobies de proliférer et d’assurer, en conséquence, une meilleure minéralisation et oxydation de la matière organique par rapport au système non planté (élimination de 60,5 % en DCO totale). En outre, il a été montré que le relargage métallique le plus facile à obtenir est celui provenant de la désorption métallique et de la destruction de la matière organique (CIAVATTA et al., 1993). De ce fait, il apparaît, d’après les résultats de la spéciation chimique totale du Cr que, dans le système planté, il y a une libération ou une transformation partielle du Cr de la fraction oxydable mobile pour s’associer aux phases carbonate et réductible relativement stables. Ces fractions constituent un réservoir du Cr partiellement disponible et susceptible de jouer un rôle de tampon de la fraction mobile.

En revanche, les résultats trouvés par KOLELI (2004) montrent que le Cr est présent sous forme : résiduelle (89,8 %) > oxydable (7,1 %) > réductible (2,1 %) > carbonate ≅ échangeable (0,8 %). Pour leur part, DURAND et AMBLES (2004) rapportent que le Cr est peu mobile et qu’il est principalement localisé dans la phase résiduelle. D’un autre coté, LEGRET et al. (1988, 1992) ont montré que le Cr se trouve essentiellement localisé dans la phase résiduelle (76,3 ‑ 78,8 %).

La différence, au niveau des résultats obtenus dans cette étude avec les autres travaux, est en rapport avec les caractéristiques physico-chimiques du sol ainsi que la nature et la concentration du Cr. Dans ce sens, il est rapporté par COMBER et GARDNER (2003) et par KOLELI (2004) que la matière organique, le pH et les carbonates du calcium sont parmi les facteurs qui influencent la spéciation du Cr. BÉNARD et al. (2003) ont montré que certaines bactéries du sol (Pseudomonas putida) peuvent également avoir une action sur la spéciation du chrome.

L’utilisation de la spéciation chimique a permis la destruction sélective de chaque phase composant le sol des différents horizons étudiés. Cette destruction est régie par des conditions physico-chimiques bien précises du milieu. Dans ce sens, il sera donc possible, en fonction des modifications physico-chimiques qui peuvent survenir sur le site d’étude, de prévoir : i) quelle phase risque d’être détruite, ii) connaître la quantité du Cr associée à cette phase; et iii) définir la quantité du métal susceptible de repasser en solution dans ce cas précis :

  • Si une destruction des matières organiques se produit : 36 % du Cr total dans le système planté (PP) et 54 % du Cr dans le système non planté (NPP) seraient relargués.

  • Si une baisse de pH a lieu, le relargage du Cr se ferait comme suit : 19,6 % Cr total dans le système (PP) et 10,7 % du Cr dans le système (NPP).

  • S’il y a une minéralisation des matières réductibles : 18 % Cr total dans le système (PP) et 10 % du Cr dans le système (NPP) seraient relargués.

En revanche, dans la phase résiduelle, se regroupent les composés très stables et qui, sauf exception, ne libéreront pas le métal à court ou à moyen terme (MAIZ et al., 2000).

3.4 Biodisponibilité du Cr total

Les résultats obtenus révèlent que la quantité extraite du chrome de la solution du sol par CaCl2 (0,1 M) est de 0,60±0,01 mg·kg-1 et 0,70±0,03 mg·kg-1 respectivement pour les deux systèmes (PP) et (NPP). Ces teneurs, faibles par rapport à celles enregistrées dans la phase solide du sol, montrent que le Cr se trouve sous d’autres formes (organique, carbonate, réductible, résiduelle).

Toutefois, la faible biodisponibilité du Cr est liée au pH du sol et à sa teneur en calcaire. Après 13 mois d’expérience, le sol a un pH basique (Tableau 4), sa teneur moyenne en calcaire est de 785±26 mg·kg-1. Plusieurs travaux ont montré que l’augmentation du pH (ELLIOT et al., 1986; PARDO et GUADALIX, 1996) et de la teneur en calcaire dans le sol (JUSTE et SOLDA, 1988; HYLANDER, 1995 a,b) est accompagnée d’une réduction de la biodisponibilité des métaux lourds. De ce fait, le Cr total prédomine sous forme organo-métallique soluble ou, sous forme précipité d’oxyde et hydroxydes associés ou inclus dans les oxydes de Fer et des complexes organo-métaliques insolubles (LOSI et al., 1994). De leur part, les carbonates constituent une phase de contrôle du processus de rétention métallique par adsorption et précipitation (MADRID et DIAZ-BARRIENTOS, 1992).

3.5 Teneur de Phragmites australis en Cr total

À la fin de l’expérience (septembre 2003), les résultats de la répartition du Cr dans la plante montrent que la teneur en Cr dans Phragmites australis traitée par l’eau du tannage au chrome est largement supérieure à celle de Phragmites australis irriguée par l’eau de puits (Tableau 6).

Tableau 6

Teneur en Cr total (mg·kg-1 en matière sèche) dans les différentes parties de Phragmites australis (moyenne ± écart type).

Total chromium contents (mg·kg-1 dry matter) in different parts of Phragmites australis (mean ± standard deviation).

 

Tige

Feuille

Rhizome

Racine

Plante traitée

68 ± 27

67 ± 19

70 ± 31

1690 ± 124

Plante témoin

0,03 ± 0,01

0,025 ± 0,011

0,18 ± 0,05

0,19 ± 0,07

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Les résultats montrent que, d’une part, dans la plante traitée, l’incorporation du Cr se fait aussi bien dans les parties souterraines (racine + rhizome) qu’aériennes (tige + feuille); d’autre part, que la concentration en Cr est 24 à 25 fois plus élevée au niveau des racines par rapport, respectivement, aux rhizomes et aux parties aériennes (feuille + tige) de la plante. Par ailleurs, l’application de l’analyse de variance indique que la teneur en Cr présente une différence statistiquement significative entre la partie aérienne et la partie souterraine de Phragmites australis traitée (p<0,01). Dans ce sens, KABATA-PENDIAS (1992) a rapporté qu’une quantité plus importante en chrome est observée dans les racines plutôt que dans les feuilles, tandis que la concentration la plus faible se trouve dans les graines.

3.6 Biomasse du Phragmites australis

L’analyse des résultats du tableau 7 montre que la biomasse du Phragmites australis a diminué par rapport au stade initial de transplantation après 13 mois de fonctionnement du pilote. La réduction de la biomasse de Phragmites australis se manifeste surtout par une diminution plus importante de sa biomasse racinaire en comparaison à sa partie aérienne. En effet, le système racinaire de la plante est faiblement développé avec des racines qui tapissent les parois des pots. Dans ce sens, GRIES et GARBE (1989) ont rapporté que la réduction de la biomasse racinaire peut être une part de la stratégie de survie des plantes afin de réduire l’absorption et le transport des ions dans le rhizome et les tiges vertes. Toutefois, le comportement des plantes face à une pollution métallique se traduit de trois manières : i) la plante exclue le métal par des complexes organiques de l’exsudation racinaire (MOREL, 1985); ii) le métal pénètre dans la plante et trouve des voies de détoxification; dans ce cas il est bioaccumulé (MAITANI et al., 1996; ORTIZ et al., 1992); et iii) la plante ne dispose pas de mécanisme de détoxication et dans ces conditions le métal va agir sur son métabolisme avec toutes les conséquences sur la croissance du végétal.

Tableau 7

Biomasses de Phragmites australis obtenues au stade initial et final d’expérimentation (moyenne ± écart-type)

Biomass of Phragmites australis at the beginning and at the end of the experiment (mean ± standard deviation)

 

Biomasse initiale

Biomasse finale

Partie aérienne

g (poids sec) / pot

80 ± 23

57 ± 11

Partie racinaire

g (poids sec) / pot

236 ± 45

190 ± 32

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3.7 Bilan de l’épuration

Le calcul du bilan du Cr pour les deux pilotes permettra de quantifier le rôle joué par les différentes composantes du système : la plante et le sol. Les résultats illustrés par le tableau 8 montrent que la part majoritaire du Cr se concentre au niveau du sol, 94 % et 98 % respectivement pour le système planté et non planté. Le chrome est essentiellement retenu au niveau du sol par : i) précipitation favorisée par le pH basique des différents horizons du sol; et ii) incorporation dans les différentes phases constitutives du sol (organique, carbonate, réductible et résiduelle) pour les deux systèmes pilotes.

Tableau 8

Bilan du chrome pour les deux systèmes planté et non planté - (moyenne ± écart type).

Mass balance of Cr for the planted and unplanted systems - (mean ± standard deviation).

Bilan en g / pot

Système planté

Système non planté

Charge reçue

222 ± 79

222 ± 79

Charge restituée

2,3 ± 1,4 : (1%)*

3,8 ± 1,7 : (2%)*

Rétention par le végétal

 

 

Partie aérienne

3,1 ± 0,7 : (1%)

-

Partie racinaire

7,5 ± 2,6 : (4%)

-

Rétention par le sol

209 ± 69 : (94%)

218 ± 53 : (98%)

(*)

Pourcentage du Cr retenu par rapport à la charge totale reçue

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Cependant, les résultats du bilan montrent que Phragmites australis retient uniquement 5 % du Cr apporté au système et qu’il est surtout concentré au niveau des racines dans le système planté. L’examen du tableau 8 montre que les charges restituées à la sortie des deux pilotes représentent 1 % et 2 % respectivement pour les systèmes planté et non planté. Bien que la teneur en Cr dans la plante soit faible, Phragmites australis joue un rôle important dans le système planté en maintenant une porosité suffisante pour assurer la percolation des eaux en traitement et, avec des temps de résidence hydraulique trois fois plus réduit, le système planté assure un abattement du chrome total (99 %) comparable à celui du système non planté (TIGLYENE et al., 2005). Ainsi, chaque compartiment du système joue un rôle important et complémentaire dans l’épuration.

4. Conclusion

La présente étude a été réalisée dans le but d’étudier la répartition, la migration, la spéciation et la biodisponibilité du Cr dans les différents horizons du sol d’un pilote planté de traitement du rejet de tannage au chrome après 13 mois de fonctionnement. L’intérêt est porté plus particulièrement sur la comparaison d’un pilote planté par Phragmites australis avec un pilote non planté.

L’étude de la localisation du chrome total a permis de suivre l’évolution de ce métal en fonction de la profondeur. Les résultats obtenus montrent, d’une part, que le chrome total est présent dans tous les horizons du sol à des concentrations décroissantes des couches supérieures vers la profondeur, d’autre part, que les résultats indiquent qu’il y a une accumulation importante de 80 % en Cr total dans l’horizon superficiel (0‑5 cm) pour les deux systèmes pilotes planté (PP) et non planté (NPP). Cependant, l’application du test ANOVA a montré qu’il y a une différence significative (p<0,05) entre les teneurs en chrome pour l’horizon supérieur (0-5 cm) : 48±4 g·kg-1 pour le système (PP) et 39±7 g·kg-1 pour le système (NPP). Les résultats montrent également que le Cr total est un élément mobile qui a pu migrer jusqu’à l’horizon profond (50‑60 cm) pour les deux systèmes.

L’étude de la distribution du Cr entre les différentes formes physico-chimiques du sol montre que le chrome total est peu échangeable et est principalement associé aux phases oxydables, résiduelles, carbonates et réductibles avec une prédominance dans la fraction oxydable pour les deux pilotes. La méthode d’extractions sélectives a permis de montrer que le chrome total n’est pas fixé de façon irréversible. En effet, Phragmites australis a favorisé la dissociation partielle du Cr de la fraction oxydable mobile vers les fractions carbonate et réductible relativement stables. Par conséquent, le Cr retenu dans le système non planté sera probablement relargué en grande quantité que dans le système planté.

L’évaluation de la biodisponibilité du chrome indique que sa teneur présente dans la solution du sol est faible.

Les résultats de la répartition du Cr total dans Phragmites australis montrent que l’accumulation du Cr est plus importante au niveau des parties souterraines (racine+rhizome).

L’établissement d’un bilan global de l’épuration, après 13 mois de fonctionnement du pilote planté, a permis de constater que le sol assure une rétention de 94 % du Cr total appliqué au système; 5 % du Cr est prélevé par Phragmites australis et 1 % du Cr est restitué à la sortie du pilote. La présence des plantes permet de maintenir une porosité suffisante pour assurer la percolation des eaux en traitement et augmenter la conductivité hydraulique du pilote grâce à son système racinaire. Le débit moyen du système planté est trois fois plus élevé que celui du lit non planté, ce qui permet de traiter un volume d’eau usée plus important ou bien de réduire la superficie nécessaire par équivalent habitant.