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1. Introduction

L’eau douce représente seulement 2,6 % de la ressource et nécessite une attention toute particulière au regard de la multiplicité des usages qui en sont faits. Cependant, de plus en plus de masses d’eaux sont impactées par la présence de contaminants organiques. Les pesticides sont des composés biocides, utilisés pour réguler les espèces nuisibles. Les entrées dans l’environnement, et notamment les cours d’eau, se font généralement par le lessivage des surfaces contaminées lors des précipitations. Les pesticides peuvent alors être retrouvés dans les eaux environnementales à des niveaux proches des limites de détection (ng∙L‑1), mais aussi à des concentrations pouvant atteindre le µg∙L‑1. Certains composés restent préoccupants même à de faibles teneurs : le fipronil par exemple est un insecticide utilisé (de façon non exclusive) dans différentes formulations antipuces, antitiques et antitermites, et possède une concentration prédite sans effet (PNEC) de 0,77 ng∙L‑1. De plus ses produits de dégradation semblent tout aussi toxiques que lui, comme le rappellent les travaux de GUNAZEKARA et al. (2007). Il semble majoritairement apporté dans l’environnement via les rejets de stations d’épuration, qui ne sont pas prévues pour traiter ce type de contaminant comme le rappellent CHOUBERT et al. (2012). Il est donc important de suivre et caractériser la teneur en pesticides de différentes masses d’eaux afin de cerner les apports et de faire évoluer nos systèmes de traitement et d’exploitation de l’eau.

2. Matériels et méthodes

2.1 Composés et matériaux

Les solvants employés (Scharlau; ICS, Belin-Béliet, France) ont un grade de pureté HPLC : méthanol (MeOH), et dichlorométhane (DCM). La fraction particulaire et la fraction dissoute ont été séparées à l’aide de filtres en fibres de verre (Whatman; GF/F; 0,7 µm). Les membranes des échantillonneurs passifs sont en polyethersulfone (VWR; 0,1 µm, 90 mm de diamètre). La phase Oasis® HLB (60 µm) et les cartouches SPE Oasis® HLB (3 cc, 60 mg) proviennent de la société Waters (Guyancourt, France). Les 119 pesticides sont de haute pureté chimique (> 90 %) et ont été fournis par Cluzeau Info Labo (Sainte-Foy-la-Grande, France) et Sigma-Aldrich (Saint-Quentin-Fallavier, France). Ils sont référencés dans le tableau 1.

Tableau 1

Liste des pesticides étudiés – classement par cible

Studied pesticides list – ranking by target

Liste des pesticides étudiés – classement par cible

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2.2 Plan d’échantillonnage

L’étude porte sur deux types d’eau différents : (1) la Jalle d’Eysines, un cours d’eau de la région bordelaise (caractérisée sur quatre points de prélèvements différents) et (2) les effluents de cinq zones industrielles de la région bordelaise. Deux campagnes d’échantillonnage ont été conduites en juillet et septembre 2013, à la fois par prélèvement moyenné sur 24 h à l’aide d’un préleveur automatique (bouteilles en polypropylène) et par échantillonnage passif via la pose de POCIS, dans une visée qualitative.

2.3 Analyses des eaux

Avant de procéder aux extractions, l’eau est filtrée en laboratoire afin de séparer la fraction particulaire de la fraction dissoute. Les pesticides ont été extraits et analysés selon deux techniques différentes. L’extraction des pesticides polaires à moyennement apolaires (78 molécules) se fait par Solid Phase Extraction (SPE), adapté des travaux de BELLES (2012). Les cartouches contenant de la phase Oasis® HLB (3 cc, 60 mg) sont conditionnées par 5 mL de méthanol et 5 mL d’eau dépourvue de matière organique dissoute (MOD) amenée à pH 2 par de l’acide chlorhydrique. L’échantillon (200 mL) est acidifié à pH 2 (HCl) et dopé en étalons internes en fonction de la contamination supposée de l’eau, avant d’être mis à percoler au travers de la cartouche à une vitesse de 15 mL∙min‑1. Les cartouches sont ensuite séchées sous vide durant 30 min. Les composés sont élués avec 3 mL de méthanol, qui seront reconcentrés à 300 µL sous flux d’azote. L’extrait est analysé en chromatographie liquide (Agilent 1200) couplée à de la spectrométrie de masse en tandem (Agilent 6460). Des échantillons artificiels créés à partir d’eau dépourvue de MOD dopée en composés natifs à une concentration de 50 ng∙L‑1, sont extraits en parallèle pour calculer des rendements d’extraction.

Les pesticides les moins polaires (41 molécules) sont extraits par Stir Bar Sorptive Extraction (SBSE). Un barreau en PDMS (polydiméthylsiloxane) est introduit dans l’eau (100 mL) préalablement dopée en étalons internes. L’ensemble est mis à agiter durant 16 h à l’abri de la lumière afin de permettre l’adsorption des composés sur le barreau. Le barreau est rincé à l’eau ultrapure Millipore (dépourvue de MOD et de minéraux) puis séché afin de le débarrasser de tout matériau pouvant entrer en combustion. La désorption thermique à lieu à 280 °C au niveau du Thermal Desorption Unit (TDU) et l’injection se fait au niveau du Cool Injection System (CIS) vers un système de chromatographie gazeuse (Agilent 7890) couplée à la spectrométrie de masse en tandem (Agilent 7000A QQQ). Les rendements d’extraction sont évalués par le biais de l’extraction d’échantillons artificiels créés à partir d’eau ultrapure Millipore (100 mL) dopée en composés natifs à des concentrations de 5 et 20 ng∙L‑1.

2.4 Échantillonnage passif

Les POCIS sont montés en laboratoire. Ils se composent de 0,2 g de phase Oasis® HLB piégée par deux membranes en PES maintenues ensemble par deux anneaux en acier inoxydable. La surface exposée est de 45,8 cm2. La phase et les membranes sont préalablement nettoyées trois fois 15 min au méthanol (MeOH). Trois POCIS sont immergés par point durant dix jours, protégés par une cage en acier inoxydable.

Après récupération et démontage des POCIS, la phase est mise dans des cartouches SPE en verre, entre deux frittés en polypropylène. Elle est séchée sous vide durant 1 h puis l’élution est effectuée, comme décrit dans les travaux de TAPIE et al. (2011), à l’aide de trois solvants : 10 mL de MeOH, 10 mL de MeOH/DCM (50:50), et 10 mL de DCM. Les extraits d’un même triplicata de POCIS sont rassemblés en un seul afin d’augmenter la quantité de matériel disponible à l’analyse. Cet extrait « cumulé » est reconcentré à un volume de 3 mL dont 40 µL seront transférés dans un flacon d’injection contenant les étalons internes.

L’analyse se fait par injection liquide en chromatographie gazeuse (Agilent 7890) couplée à la spectrométrie de masse en tandem (Agilent 7000A QQQ) pour les pesticides les plus apolaires, et en chromatographie liquide (Agilent 1200) couplée à de la spectrométrie de masse en tandem (Agilent 6460) pour les composés les plus polaires.

3. Résultats et discussion

3.1 Caractérisation de la contamination en pesticides

Au maximum, 26 des 119 pesticides recherchés sont détectés sur la Jalle d’Eysines. Les concentrations extrêmes sont mesurées au niveau du point « Aval collecteur Rocade » : 0,3 ng∙L‑1 et 164 ng∙L‑1 respectivement pour le sulfure de fipronil (un métabolite du fipronil) et le métolachlore ESA (un métabolite du S-métolachlore, un herbicide). Les « concentrations cumulées » en pesticides le long de la Jalle d’Eysines présentent une plus forte contamination en se dirigeant vers l’aval : elles fluctuent de 185 à 281 ng∙L‑1 lors de la première campagne et de 152 à 221 ng∙L‑1 lors de la seconde (Figure 1). En revanche, les « concentrations cumulées » sont stables entre les deux campagnes. Certains pesticides sont retrouvés de façon systématique : l’atrazine-2-hydroxy (produit de dégradation de l’atrazine, un herbicide interdit en France depuis 2003), le diuron et l’hexazinone (des herbicides), le DMSA (produit de dégradation du tolyfluanide, un fongicide), l’imidaclopride (un insecticide), le S-métolachlore et le métolachlore ESA. Les pesticides suivants ont été retrouvés sept fois sur huit pour l’ensemble des points sur les deux campagnes de prélèvement : l’acétochlore ESA, (produit de dégradation de l’herbicide acétochlore), le carbendazime (un fongicide), le diflufenican et la terbuthryne (deux herbicides). Il faut noter l’apparition du fipronil à partir du point « Aval STEP Cantinole », à des concentrations dépassant sa PNEC (0,77 ng∙L‑1). Le fipronil n’étant pas retrouvé au point amont de la station d’épuration (STEP), il est donc légitime de supposer que le rejet de la STEP représente une source d’apport dans le milieu pour ce composé ainsi que pour d’autres pesticides comme cela a été mis en avant par CHOUBERT et al. (2012).

Figure 1

Concentration des masses d’eaux en pesticides en fonction de la campagne et des points de prélèvement

Pesticide concentrations in water according to the sampling point and the sampling campaign

Concentration des masses d’eaux en pesticides en fonction de la campagne et des points de prélèvement

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Concernant l’analyse des contaminants dans les zones industrielles bordelaises, les concentrations cumulées varient de 200 à 830 ng∙L‑1 respectivement pour les zones industrielles d’Artigues campagne n° 2 et Bruges campagne n° 1. Les concentrations cumulées de la deuxième campagne sont de 10 à 40 % inférieures à celles de la première campagne, avec des profils de contamination différents d’une campagne sur l’autre selon le point considéré. On peut aussi observer que le profil des effluents diffère de celui des eaux naturelles de par la forte présence de permethrine, d’imidaclopride, de flutriafol, de carbendazime et d’hexazinone. La concentration maximale est observée pour le futriafol sur la zone industrielle de Pessac, deuxième campagne avec 170 ng∙L‑1.

3.2 Comparatif échantillonnage ponctuel/passif

L’échantillonnage passif a été utilisé dans un but qualitatif, afin de mettre en évidence des molécules indétectables via l’échantillonnage ponctuel. Les données ont été exprimées en ng∙g‑1 de phase. La démarche PRC n’ayant pas été utilisée dans le cadre de ces campagnes, il n’est donc pas possible de remonter jusqu’à des concentrations moyennes en ng∙L‑1.

Si l’on se concentre sur les points de la Jalle, les échantillonneurs passifs permettent la détection de 43 pesticides, tous sites et campagnes confondus, contre 26 pour les prélèvements ponctuels (Figure 2). Ils révèlent en outre que les eaux de la Jalle d’Eysines échantillonnées contiennent de façon systématique de l’acétochlore ESA, amétryne, atrazine, atrazine déséthyle, carbendazime, DMST, hydroxysimazine, irgarol, isoproturon, metribuzin, prométhrine, propiconazole, simazine, spiroxamine et terbutylazine, alors que leur présence n’avait jamais été mise en évidence par la méthode ponctuelle, ce qui met bien en avant le caractère accumulateur de cet outil. Par exemple, il est possible de comparer l’échantillonnage passif et l’échantillonnage ponctuel sur le point le plus amont de la Jalle d’Eysines (THIL) lors de la première campagne. Seules neuf molécules sont quantifiées par échantillonnage ponctuel contre 33 molécules détectées via l’échantillonnage passif.

Figure 2

Nombre moyen de composés détectés par point de prélèvement en fonction du mode d’échantillonnage

Number of pesticides detected in water according to the sampling point and the sampling mode

Nombre moyen de composés détectés par point de prélèvement en fonction du mode d’échantillonnage

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De même, certains pesticides sont observables par échantillonnage passif et non par SPE dans le cadre de l’étude des zones industrielles : 2,4-D, amétryne, atrazine, chlorpyriphos-éthyl, fosthiazate, hexazinone, isoproturon, malathion, MCPA, metolachlore, prométhryne, propiconazole, simazine, spiroxamine, tébuconazole, terbutylazine. En revanche, certaines molécules (acrinathrine, chlorotoluron, cyfluthryne, cyperméthryne, défenoconazole, époxiconazole, ethopophos, famoxadone, fenbuconazole, fluquinconazole, flutriafol, lambda-cyalothrine, permétrine, phosalone, prosulfuron, tau-fluvalinate et terbutryne) n’ont pu être quantifiées via l’échantillonnage passif (défaut d’accumulation). La cause la plus probable est l’hydrophobicité de ces composés puisque la majorité des molécules non accumulées dans les POCIS mais quantifiables par prélèvement ponctuel sont relativement hydrophobes. Il faut rappeler que les POCIS accumulent principalement les composés ayant un log KOW compris entre un et quatre. Or, certains des composés non accumulés ont des coefficients de partage octanol/eau supérieurs à cette gamme, tels que l’acrinathrine (6,3), la cyperméthrine (5,3) ou encore la famoxadone (4,8). En revanche, certains composés ne sont pas accumulés malgré leurs log KOW compris entre 1 et 4, tels que : chlorotoluron (2,5), epoxiconazole (3,3), éthopophos (2,9).

4. Conclusion

L’échantillonnage de masses d’eau d’origines différentes a mis en évidence une différence de profil de contamination entre milieu naturel et effluents, tant au niveau des composés retrouvés qu’au niveau des concentrations qui vont évoluer différemment selon le composé considéré. L’échantillonnage passif a permis l’identification d’une plus large gamme de contaminants, que ce soit dans le milieu naturel ou les effluents de zones industrielles. Il est cependant nécessaire pour le futur de développer l’approche PRC dans l’optique de rendre les POCIS quantitatifs et de comparer les concentrations estimées à celles obtenues par échantillonnage ponctuel. L’objectif à long terme serait l’utilisation des POCIS pour la surveillance rapprochée de différentes masses d’eaux.