Abstracts
Résumé
La variabilité climatique, notamment pluviométrique, en Afrique de l’Ouest en général et en zone sahélo-saharienne en particulier, présente d’énormes conséquences pour le développement socio-économique. Cependant, des variables de pluie, de températures, d’humidités relatives et de débits constituent les données à étudier dans le cadre de la variabilité du climat. Cette étude a pour objectif de rechercher l’influence de la manifestation climatique sur les régimes pluviométriques saisonniers dans le haut bassin versant du fleuve Sénégal. D’une part, il s’agit de caractériser la manifestation climatique à partir de l’analyse de la température de l’air, l’humidité relative de l’air, la variation des indices pluviométriques et, d’autre part, il est question de comparer les normales pluviométriques mensuelles sur la période 1955-2014 afin de dégager le comportement des régimes pluviométriques saisonniers dans le contexte de variabilité climatique. On conclut que la température de l’air et l’humidité relative de l’air sont des facteurs de la variabilité temporelle des régimes pluviométriques saisonniers dans le haut bassin versant du fleuve Sénégal.
Mots-clés :
- Haut bassin versant,
- variabilité climatique,
- indice standardisé des précipitations,
- régime pluviométrique,
- hydrologie
Abstract
Climate variability, particularly rainfall in West Africa in general and in the Sahel-Saharan region in particular, is well established. However, variables related to rainfall such as the frequencies of rain days and the durations of wet seasons have generally been very little studied. This study aims to investigate the influence of climatic events on seasonal rainfall patterns in the upper watershed of the Senegal River. Firstly, this involves the characterization of the overall situation from an analysis of the air temperature, the relative humidity of the air and the variation of rainfall indexes, and secondly the comparison of normal monthly rainfall over the period 1955-2014 in order to identify the behaviour of seasonal rain patterns in the context of climate variability. The conclusion is that air temperature and relative humidity are factors in the temporal variability of seasonal rainfall patterns in the upper watershed of the Senegal River.
Keywords:
- Upper watershed,
- climate variability,
- standardized precipitation index,
- rainfall patterns,
- hydrology
Article body
1. Introduction
Le cycle de l’eau étant l’une des composantes majeures du climat, les implications de ses changements sur les régimes pluviométriques sont importantes. Les précipitations représentent le facteur le plus important du climat tant pour les populations que pour les écosystèmes. Elles sont faciles à mesurer. Autant de raisons qui font que la plupart des études et analyses portent sur les précipitations bien plus que sur les autres paramètres du climat. Caractériser l’impact de la variabilité climatique sur les régimes pluviométriques saisonniers devient alors indispensable pour proposer des solutions adaptées aux projets de développement. D’après ARDOIN et al. (2003) et BODIAN et al. (2011), la variabilité des conditions climatiques en Afrique de l’Ouest et Centrale en général, et dans le haut bassin versant du fleuve Sénégal en particulier, n’est plus à démontrer. Elle a d’abord affecté le Nord puis progressivement s’est étendue vers le Centre et enfin sur la zone guinéenne. Ces anomalies pluviométriques constatées depuis près de quatre décennies ont engendré d’énormes problèmes socio-économiques dans les régions nord et centre du bassin. Mais en réalité, l’ensemble du bassin présente une vulnérabilité importante aux déficits pluviométriques. Les études récentes de KOUASSI et al. (2011) montrent la variabilité climatique en tant que phénomène qui a été étudié et caractérisé. La question la plus importante, tant pour l’Afrique de l’Ouest que dans les autres régions du monde, est la recherche de facteurs explicatifs. La plupart des études climatiques réalisées se sont limitées à l’analyse des données pluviométriques annuelles ou mensuelles. Compte tenu des difficultés d’acquisition des données quotidiennes dans le bassin, l’étude des fréquences de jours de pluie est quasi absente. En effet, le bassin versant, étiré en latitude, est une zone de transition entre des climats différents.
La zone d’étude est le haut bassin versant du fleuve Sénégal (Figure 1) compris entre les longitudes -12°30ʹ et -9°30ʹ O et les latitudes 10°30ʹ et 12°30ʹ N. Le haut bassin versant du fleuve Sénégal occupe une superficie de 218 000 km2. De par sa configuration géographique allongée, le bassin versant est représentatif des grands ensembles climatiques de la Guinée, du Mali et une partie du Sénégal. Il est caractérisé par des précipitations moyennes annuelles entre 1 400-2 000 mm (zone sud du bassin) et 500-1 400 mm (zone nord). Cet article est divisé en trois parties. Les données sont présentées dans un premier temps. Ensuite, les méthodes utilisées sont décrites et explicitées. Enfin, les résultats obtenus utilisant ces données et méthodes sont présentés.
2. Matériels et méthodes
2.1 Matériels
Les données utilisées doivent respecter deux critères importants : d'une part, la longueur des chroniques (couvrir la plus longue période de temps possible) et, d'autre part, la qualité des données. Ainsi un certain nombre de stations pluviométriques a été retenu. Elles présentent des séries de données recueillies sur plus de 50 ans (de 1955 à 2014) et assurent une bonne couverture du bassin. On s'intéresse tout particulièrement au haut bassin du Sénégal en amont de la station hydrométrique de Bakel (Figure 1). Ce secteur est considéré comme représentatif des zones guinéennes, soudaniennes, sahéliennes et subsahéliennes. Les données ont été homogénéisées par la méthode des doubles cumuls de BRUNET-MORET (1977) et les lacunes comblées en utilisant les régressions linéaires entre postes voisins.
Quatre stations hydrométriques ont été utilisées : Oualia sur le Bakoye, Bafing-Makana sur le Bafing, Kidira sur la Falémé et Bakel sur le Sénégal. Les débits sur le Bafing et le Sénégal sont influencés par le barrage de Manantali. La méthode du double cumul a permis d’obtenir des données de débits de très bonne qualité. L'ensemble des données nous a été fourni par l'Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal.
2.2 Méthodes
Trois approches ont été appliquées pour apprécier la sècheresse dans le haut bassin versant du fleuve Sénégal, soient l'Indice standardisé des précipitations (SPI), l'Indice d'humidité climatique (CMI) et la segmentation d'Hubert, qui permettentd'avoir un rapide aperçu des phénomènes aussi complexes que la variabilité hydroclimatique.
D’après ERIKSEN et al. (2006), les trois approches facilitent la comparaison des situations à différentes périodes et donc la mise en évidence d’éventuelles évolutions. Les données ont été traitées à l’aide du logiciel Khronostat. Les résultats ont été spatialisés avec le logiciel Surfer.
2.2.1 Indice standardisé des précipitations (SPI)
L'Indice standardisé des précipitations (SPI) créé par MCKEE et al. (1993) répond à la formule suivante :
(1)
où Xi est le cumul de la pluie pour une année i, Xm et Si, sont respectivement la moyenne et l'écart-type des pluies annuelles observées pour une série donnée.
D’après BERGAOUI et ALOUINI (2001), ARDOIN-BARDIN et al. (2004) et ALI et LEBEL (2009), cet indice pluviométrique définit la sévérité de la sècheresse en différentes classes (Tableau 1). Les valeurs annuelles négatives indiquent une sècheresse par rapport à la période de référence choisie et les valeurs positives, une situation humide.
2.2.2 Indice d'humidité climatique (CMI)
Pour une compréhension du stress hydrique dans le bassin, nous avons utilisé les jeux de données d'évapotranspiration de pluies mensuelles, afin d'en extraire une information grâce au CMI (Tableau 2). Pour compléter l'analyse de la sècheresse réalisée à l'aide du SPI et du CMI, nous avons appliqué la méthode de segmentation d'Hubert (HUBERT et al., 1989).
3. Résultats et discussion
3.1 Résultats
3.1.1 Étude des précipitations du haut bassin
L'étude des précipitations du haut bassin du fleuve Sénégal indique une situation majoritairement dominée par la sècheresse dans la zone d'étude. Les valeurs moyennes de l'indice SPI sont globalement positives sur les années 1955-1964 (0,98), alors qu'elles sont négatives sur toutes les décennies suivantes : -0,592 en moyenne, avec des valeurs extrêmes de -0,28 en 1975-1984 et -1,05 en 1995-2004 (Tableau 3). Du reste, la moyenne des données annuelles des 22 postes pluviométriques passe de 1 102 mm sur la période 1955-1964 à 889 mm pour la période 1975-2004.
En considérant toutes les stations et toutes les années (2 585 cas au total), les conditions humides l'emportent dans plus de 40 % des cas sur la période 1955-1964. Une humidité forte ou extrême se manifeste dans 41,7 % des cas sur la décennie 1955-1964 et dans 15,96 % des cas sur la décennie 1965-1974 (Tableau 4).
La crise climatique qui a frappé le milieu soudano-sahélien s'est jusqu'à présent manifestée par une augmentation des sècheresses modérées à fortes et non par des sècheresses extrêmes. Les sècheresses modérées sont largement dominantes sur presque toutes les décennies d’exceptions avec 39,15 % seulement de cas de sècheresses modérées, mais 51,06 % de sècheresses fortes (Tableau 4). La figure 2 présente l'évolution des valeurs moyennes annuelles de l'indice SPI sur la période 1955-2014. Dans le haut bassin versant du fleuve Sénégal, les stations pluviométriques sont bien réparties. Sur les décennies 1950 et 1960, la situation pluviométrique est positive dans le bassin versant à l’exception de la station de Bakel. La pluviométrie devient ensuite presque systématiquement déficitaire de 1969 à 1990 malgré l’apparition de quelques années excédentaires. Ce caractère déficitaire est particulièrement accentué au cours de la décennie 1980. Vers la fin de la période d'observation, la pluviométrie reste déficitaire, mais les valeurs de l'indice descendent rarement en dessous de -1, tandis que les valeurs positives sont un peu plus fréquentes. Sur la période sèche, la station de Bakel continue de se singulariser, puisque le déficit n'y est pas systématique.
De la figure 2, on constate des années à pluviométries excédentaires et des années à pluviométries déficitaires. À partir de 1969, les années déficitaires deviennent très récurrentes. La fréquence successive du renversement des tendances pluviométriques explique l’avènement du cycle de sècheresse dans le haut bassin versant.
La figure 3 montre des valeurs moyennes du SPI pour deux périodes : excédentaire (1955-1964) et déficitaire (1970-2014).
Du point de vue spatial et temporel, la sècheresse est plus persistante dans la zone nord que dans celle du sud.
Le CMI met lui aussi en évidence une situation majoritairement sèche. L’analyse du tableau 5 confirme effectivement le caractère de sècheresse dans le haut bassin versant du fleuve Sénégal. Pour l'ensemble des stations, les valeurs moyennes passent de -0,16 et -0,27 sur les décennies de la période 1955-1974 à des valeurs inférieures à -0,35 (-0,36 à -0,49) sur les décennies de 1975 à 2014 .
Des valeurs supérieures à 0 (caractérisant des conditions humides) se retrouvent sur toute la période d'observation, mais leur occurrence est très faible (45 apparitions au total, sur 645 données). Leur plus grande fréquence décennale se place dans les années 1955-1964 (27,7 %), devant 1965-1974 (16,0 %). La plus faible concerne les années 2005-2014 (2,6 %, soit une seule apparition) (Tableau 6). La plupart des valeurs du CMI se rangent dans la plage des conditions semi-arides (-0,6 < CMI < 0), le pourcentage le plus faible étant de 43,8 % en 1995-2004 (Tableau 6). Enfin, les conditions arides sont beaucoup moins fréquentes. Cela rejoint les résultats trouvés dans la littérature (PATUREL et al., 1996; SERVAT et al., 1999; ARDOIN-BARDIN et al., 2004; ALI et LEBEL (2009).
3.1.2 Analyse de débits annuels
En zone tropicale, les écoulements sont une réponse directe aux impulsions pluviométriques dont le transfert peut être soumis à diverses modalités selon la taille, la configuration, le relief, la géologie et les sols du bassin. L’augmentation des débits est consécutive à l’amélioration de la pluviométrie qui reste cependant très fluctuante d’une année à une autre de telle sorte que la tendance à une reconstitution des ressources demeure très aléatoire et rend plus difficile la prévision des disponibilités. Sur la figure 4, on constate une variation des débits moyens annuels. La station de Bakel enregistre 558,8 m3∙s-1 alors qu’à la station de Sokotoro, le débit moyen annuel ne représente que 32,5 m3∙s-1.
3.1.3 Analyse synthétique
La baisse de la pluviométrie dans le bassin est accompagnée d’une diminution comparable de l’hydraulicité du fleuve. Le débit moyen annuel du fleuve s’inscrit dans un cycle continu de baisse depuis le début du siècle dernier, ce qui explique le caractère du régime d’alimentation du fleuve. Ce régime est unimodal à cause d’une seule saison pluvieuse. La pluie baisse au même moment avec l’humidité relative alors que la température augmente.
Outre la tendance à la baisse des débits à long terme, le régime hydraulique du fleuve se caractérise par sa forte variabilité interannuelle (d’une année à l’autre) et annuelle (d’un mois à l’autre et au cours de la même année). L’évolution en dents de scie des facteurs climatiques et des débits moyens annuels rappelle celle de la pluviométrie (Figures 5). Que l’on soit dans une séquence sèche ou humide, une année de forte hydraulicité peut être suivie d’une année de déficits sévères. On est dans le domaine de l’imprévisibilité.
À travers ces graphiques, nous pouvons constater qu’à partir de 2002, il y a une baisse de l’humidité relative, de la pluie moyenne et du débit moyen du bassin. Cette situation de baisse des apports hydrologiques explique principalement l’avènement d’un nouveau cycle de sècheresse.
3.2 Discussion
Les différentes méthodes mises en exergue ont permis de mettre en évidence la tendance générale à la baisse de la pluviométrie à partir de la décennie 1961-1970 qui s’est aggravée au cours des décennies suivantes. Cependant, l’ensemble du bassin n’a pas été touché de la même manière compte tenu de l’influence des climats locaux. Ce résultat est en accord avec les résultats des tests statistiques appliqués aux pluies annuelles. La variabilité climatique se manifeste par une baisse de l’humidité relative et une hausse des températures de l’air. Elle affecte sévèrement le cycle hydrologique. Dans les régions tropicales forestières où les surfaces forestières sont très étendues et sensibles aux états de surfaces, l’humidité atmosphérique a une origine continentale marquée (FONTAINE et JANICOT, 1992). L’augmentation des surfaces sèches doit provoquer une hausse des températures de l’air par transfert de chaleur. D’après SULTAN et al. (2001), la diminution de la couverture forestière, qui absorbe naturellement du gaz carbonique contenu dans l’atmosphère, va contribuer à augmenter la teneur atmosphérique de ce gaz à effet de serre.
La procédure de segmentation d’Hubert a permis de mettre en évidence une importante baisse des fréquences des jours pluvieux dans le haut bassin versant du fleuve Sénégal à partir de la fin des années 1970. La variabilité climatique constatée dans le bassin est liée en partie à la baisse des fréquences de jours pluvieux en général et aux pluies journalières des hauteurs pluviométriques comprises entre 10 et 50 mm en particulier. En effet, la baisse des fréquences de jours pluvieux est synchrone avec celle des hauteurs de pluies annuelles. Les travaux de PATUREL et al. (1996) et SERVAT et al. (1998), ont montré que le nombre de jours de pluie a diminué en Afrique de l’Ouest alors qu’il semble être plus stable sur l’Afrique centrale.
Il apparaît que la température et l’humidité relative de l’air sont des facteurs de la variabilité temporelle des régimes pluviométriques saisonniers dans le haut bassin versant du fleuve Sénégal. En effet, ces paramètres atmosphériques influencent fortement la distribution spatiotemporelle de la pluviométrie. Or, les résultats précédents de l’étude montrent une baisse des variables pluviométriques et de l’humidité relative alors qu’on note une hausse des températures moyennes au cours de la même période dans le bassin versant. Partant de ces constats, on peut dire que la variabilité des régimes pluviométriques saisonniers dépend d’une part de la baisse de l’humidité relative et d’autre part, de la hausse de la température de l’air.
Dans une perspective de hausse de la température de l’air, on est en droit de redouter une modification des régimes climatiques saisonniers dans le bassin versant. Les résultats obtenus peuvent être mis en relation avec d’autres travaux dans le monde. D’après les résultats des travaux de RICHARD et al. (2002), les événements d’El Niño postérieurs à 1970 s’inscrivent dans une série chaude avec des amplitudes très élevées. Selon le même auteur, sur la fenêtre Afrique australe, les effets de la sècheresse sont devenus plus accentués et étendus dans l’espace. Ces résultats peuvent être mis en relation avec l’augmentation de la magnitude des variations décrites aux environs de 1970.
4. Conclusion
Les traitements réalisés mettent en évidence une diminution persistante des pluies sur les décennies 1970, 1980 et 1990 par rapport aux années antérieures (1955-1964). D'après les résultats de SPI, la sècheresse garde généralement un caractère modéré et n'est que très rarement extrême dans le haut bassin versant du fleuve Sénégal. Ainsi, ce travail a permis d’avoir une idée des impacts potentiels des changements climatiques sur l’évolution des précipitations dans le haut bassin du fleuve Sénégal. Les données hydrologiques mettent très logiquement en lumière une variation des écoulements et des précipitations (Figures 5c et 5d). Cette sècheresse hydrologique a dû provoquer l’arrêt de la navigation pour les gros navires sur le fleuve Sénégal (CITEAU et al., 1988). Il apparaît que la sècheresse hydrologique est encore effective en 2013, même si elle s’est atténuée au cours des dernières années.
Appendices
Remerciements
Les auteurs voudraient remercier le Centre Universitaire de Recherche et d’Application en Télédétection (CURAT) d’Abidjan et l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) pour toute leur aide et la mise à notre disposition des différentes données et matériels.
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