Article body

1. Introduction

Depuis de nombreuses années, les analyses chimiques de l’eau, du sédiment et des organismes donnent des indications sur la présence d’un polluant. Cependant, seules, ces indications sont insuffisantes et ne renseignent pas sur l’impact réel du polluant. Les effets biologiques des produits chimiques déversés dans le milieu naturel peuvent servir d’indicateurs de pollution, dans le règne animal et végétal, et permettent la mise en évidence précoce de contamination du milieu naturel avant l’altération de la structure des communautés. Les mollusques répondent pleinement aux différents critères pour le choix des organismes à retenir pour les bio-essais destinés à assurer une surveillance en zone littorale : vaste répartition géographique, possibilité d’utilisation toute l’année, intérêt économique (QUINIOU et TOULARASTEL, 1991; QUINIOU et al., 2005).

Comparées aux bivalves adultes (Crassostrea gigas et Mytilus galloprovincialis) retenues dans les études de surveillance, les larves de ces mêmes espèces présentent plusieurs avantages, notamment, une plus grande sensibilité vis-à-vis des métaux. De plus, les embryons et les larves ont un taux d’accumulation plus élevé en liaison avec leur développement rapide (RINGWOOD, 1990), ce qui permet de réaliser des observations de plus courtes durées. Le test d’embryotoxicité chez l’huître C. gigas recommandé par WOELKE (1972), a été sélectionné pour sa simplicité, sa rapidité et sa sensibilité, pour l’évaluation de la qualité biologique des eaux marines, estuariennes et des sédiments. Les études réalisées sur les effets toxiques des métaux sur les organismes marins ont surtout concerné les effets létaux et sublétaux sur les individus adultes maintenus dans des conditions expérimentales bien définies. Ces dernières années, il a été montré que de faibles concentrations d’éléments toxiques peuvent modifier le fonctionnement physiologique aussi bien du stade larvaire que celui adulte (HIS, 1991). L’objectif de ce travail est l’évaluation de la toxicité des métaux (mercure, cuivre et cadmium) et des rejets sur les stades de développement embryolarvaire de l’huître creuse C. gigas, après 24 h d’exposition.

2. Matériel et méthodes

Les essais ont été réalisés pendant la période naturelle de ponte des huîtres au Maroc (juin à septembre), avec des géniteurs provenant de la lagune d’Oualidia (Figure 1). Les organismes sont placés en stabulation en eau de mer à 20 °C ou maintenus à sec jusqu’au moment de l’expérimentation en moins de 24 h. L’effet toxique des milieux a été évalué en déterminant le taux de larves D anormales, obtenu après incubation d’oeufs fécondés durant 24 h, selon le protocole de QUINIOU et al. (2005) et AFNOR (2009). Les bio-essais ont été réalisés avec l’eau de mer de la lagune, considérée comme non contaminée (CHEGGOUR et al., 1999), préfiltrée sur membrane de type Millipore (porosité de 0,22 µm) et à une salinité de 30 ‰, compatible avec un bon développement embryonnaire des huîtres (QUINIOU et al., 1997 et 2005; AFNOR, 2009). La salinité de l’eau de la lagune qui est située entre 34 ‰ et 35 ‰ a été ramenée à 30 ‰ par dilution avec de l’eau distillée.

Figure 1

Localisation géographique des rejets étudiés

Map showing sources of studied sewage

Localisation géographique des rejets étudiés

-> See the list of figures

La toxicité des trois effluents industriels (Figure 1) a été évaluée et comparée aux essais-témoins réalisés en eau de mer référence :

  • Le rejet d’électrochimie (RE) émane d’une société d’électrochimie dont l’activité essentielle est la production du polychlorure de vinyle (PVC), du chlore et de la soude, faisant intervenir dans les procédés de production du mercure et du plomb.

  • Le rejet industriel mixte (RIM) est un rejet complexe par lequel transitent des flux d’eaux domestiques et industrielles très hétérogènes, provenant principalement d’industries agroalimentaires et chimiques.

  • Le rejet de traitement des phosphates (RTP) est issu du complexe chimique de Jorf Lasfar dont la fonction consiste en la production d’acide phosphorique par la transformation des phosphates et du soufre.

Les gammes de concentration des rejets obtenues par dilution dans l’eau de mer de référence, sont : 0,02 %, 0, 05 %, 0,2 %, 0,5 % et 1 % pour RE, 0,1 %, 0,5 %, 1 %, 2 % et 5 % pour RIM et 0,1 %, 0,5 %, 1 %, 5 % et 10 % pour RTP.

Trois métaux (mercure, cuivre, cadmium) ont été également testés, sous forme de chlorures selon les gammes de concentrations suivantes (en µg∙L-1) :

  • Cd(II) (CdCl2, H2O) : 30 - 75 - 200 - 450 - 1 000

  • Cu(II) (CuCl2, 2H2O) : 20 - 50 - 120 - 300 - 800

  • Hg(II) (HgCl2) : 10 - 25 - 60 - 150 - 400

Le protocole du bio-essai utilisé est celui décrit par QUINIOU et al. (2005) et il correspond à une modification du protocole EPA (1996). Les essais ont été réalisés en triple dans des plaques Nunc multipuits stériles à raison de 3 mL par puits. Les oeufs fécondés sont incubés dans les milieux à tester, à raison de 20 000 à 50 000 oeufs par litre, pendant 24 h à 24 °C. À l’issue de cette période d’incubation, le développement est arrêté au stade larves D par addition du formol neutre à 8 %, et les pourcentages d’anomalies larvaires sont déterminés sur la base des critères de QUINIOU et TOULARASTEL (1991), HIS et al., (1999a), QUINIOU et al. (2005) et AFNOR (2009). Ces observations se font à l’aide d’un microscope inversé (grossissement 40x) sur 100 individus par réplicat. Les résultats sont exprimés en pourcentage d’anomalies larvaires. La CE50, correspondant à la concentration entraînant 50 % d’anomalies, est calculée à l’aide du logiciel Log Probit (EPA, 1991). Un test est considéré valide quand le pourcentage de larves anormales, enregistré au niveau des témoins, est inférieur à 20 % (HIS et al., 1997; QUINIOU et al., 2005). La validité du test et la sensibilité des géniteurs sont également vérifiées en utilisant le sulfate de cuivre (CuSO4, 5H2O) comme toxique de référence (QUINIOU et al., 2005). Les résultats sont exprimés en pourcentage brut de larves anormales.

3. Résultats

3.1 Validité du bio-essai

Les taux d’anomalies larvaires pour les témoins sont inférieurs ou égaux à 10 % lors de tous les tests réalisés. Par ailleurs, l’utilisation du toxique de référence (CuSO4, 5H2O) a permis de vérifier la sensibilité des géniteurs. La CE50 moyenne pour les huîtres marocaines est de 14 µg∙L-1 de Cu++. Ces résultats valident les bio-essais effectués dont les résultats peuvent donc être analysés.

3.2 Effet des métaux

Les pourcentages moyens d’anomalies larvaires, déterminés en fonction de la concentration du métal dans le milieu (Figure 2), montrent que le mercure exerce une grande toxicité sur le développement embryolarvaire de C. gigas. En effet, une concentration de 10 µg Hg∙L-1 provoque en moyenne 85 % d’anomalies larvaires. À partir de 60 µg∙L-1 du métal dans le milieu, il n’y a plus de développement larvaire. Le cuivre présente lui aussi une grande toxicité vis-à-vis du développement larvaire; plus de 50 % d’anomalies larvaires sont observées au niveau des pots contenant 20 µg∙L-1 seulement de cuivre. À 50 µg Cu∙L-1, nous avons noté 90 % d’anomalies avec un pourcentage important d’embryons.

Figure 2

Toxicité du mercure (Hg), du cuivre (Cu) et du cadmium (Cd) sur le développement embryolarvaire de Crassostrea gigas. Résultats exprimés en pourcentages d’anomalies larvaires ± écart-type (n = 3)

Toxicity of mercury (Hg), copper (Cu), and cadmium (Cd) on embryo-larval development of C. gigas. Results expressed as percentages of larval anomalies ± SD (n = 3)

Toxicité du mercure (Hg), du cuivre (Cu) et du cadmium (Cd) sur le développement embryolarvaire de Crassostrea gigas. Résultats exprimés en pourcentages d’anomalies larvaires ± écart-type (n = 3)

-> See the list of figures

Pour ce qui est du cadmium, sa toxicité embryolarvaire chez C. gigas reste inférieure à celles observées en présence du mercure et du cuivre (Figure 2). À une concentration de 30 µg∙L-1, le Cd provoque 45 % d’anomalies dans le développement. À 1 000 µg∙L-1, il n’y a plus de développement larvaire. La comparaison des CE50 des trois métaux testés (Tableau 1) montre que le mercure est le métal le plus toxique pour l’huître C. gigas (CE50 = 4,4 µg∙L-1) suivi du cuivre (CE50 = 16,4 µg∙L-1) et du cadmium qui est le moins toxique avec une CE50 de 46,9 µg∙L-1.

Tableau 1

Concentrations efficaces (CE50) de Hg(II), Cd(II) et Cu(II) avec les intervalles de confiance

Effective concentrations of Hg(II), Cd(II) and Cu(II) with confidence intervals

Concentrations efficaces (CE50) de Hg(II), Cd(II) et Cu(II) avec les intervalles de confiance

-> See the list of tables

3.3 Effet des effluents

Les résultats des tests d’embryotoxicité réalisés sur les effluents issus de la zone côtière Casablanca-Mohammedia (RE, RIM) et celui du complexe phosphatier basé à Jorf Lasfar (RTP) sont représentés sur la figure 3. L’analyse de ces résultats montre l’existence d’une relation dose - effet. Le rejet de l’électrochimie (RE) exerce un grand effet toxique vis-à-vis des embryons et des larves de l’huître C. gigas. En effet, à 0,2 % (v/v) de rejet, les taux d’anomalies larvaires dépassent 70 %, et avec la dilution de 1 % du rejet dans le milieu, 80 % d’individus sont bloqués au stade embryonnaire. La CE50 calculée est de 0,09 % (Tableau 2).

Figure 3

Toxicité des trois rejets industriels testés (RE : rejet d’électrochimie, RIM : rejet industriel mixte, RTP : rejet de traitement des phosphates). Résultats exprimés en pourcentages d’anomalies larvaires ± écart-type (n = 3)

Toxicity of three industrial wastewaters tested (RE: electrochemical, RIM: mixed industrial, RTP: phosphate treatment). Results expressed as percentages of larval anomalies ± SD (n = 3)

Toxicité des trois rejets industriels testés (RE : rejet d’électrochimie, RIM : rejet industriel mixte, RTP : rejet de traitement des phosphates). Résultats exprimés en pourcentages d’anomalies larvaires ± écart-type (n = 3)

-> See the list of figures

Tableau 2

Concentrations efficaces (CE50) des effluents avec les intervalles de confiance. RE : rejet d’électrochimie, RIM : rejet industriel mixte et RTP : rejet de traitement des phosphates

Effective concentrations of studied effluents with confidence intervals. Wastewater types: RE: electrochemical, RIM: mixed industrial, and RTP: phosphate treatment

Concentrations efficaces (CE50) des effluents avec les intervalles de confiance. RE : rejet d’électrochimie, RIM : rejet industriel mixte et RTP : rejet de traitement des phosphates

-> See the list of tables

En ce qui concerne le rejet mixte (RIM), dès la plus faible dilution testée (0,1 %), il induit 59 % d’anomalies larvaires. La toxicité augmente progressivement avec la concentration pour atteindre 100 % d’anomalies à 2 % de rejet; la CE50 est de 0,16 %.

La toxicité du rejet de traitement des phosphates (RTP) se manifeste également dès la dilution 0,1 % avec 44 % d’anomalies larvaires. Toutefois, ce rejet a un effet toxique moins drastique que RE et RIM; la CE50 calculée pour ce rejet est de 0,45 %.

4. Discussion et conclusion

La validité du bio-essai a été vérifiée, en particulier par l’utilisation d’un témoin positif (CuSO4, 5H2O). La CE50 moyenne pour les huîtres marocaines est de 14 µg Cu∙L-1, ce qui est en accord avec la littérature (Tableau 3).

Tableau 3

Comparaison des concentrations efficaces (CE50) pour le sulfate de cuivre (CuSO4, 5H2O) testé chez Crassostrea gigas

Comparison of EC50 for copper sulfate (CuSO4 5H2O) tested in C. gigas

Comparaison des concentrations efficaces (CE50) pour le sulfate de cuivre (CuSO4, 5H2O) testé chez Crassostrea gigas

-> See the list of tables

4.1 Toxicité des métaux

Les résultats obtenus montrent que la phase de développement embryolarvaire de C. gigas est très sensible à l’action des métaux; des anomalies de développement sont enregistrées à des concentrations sublétales très inférieures aux doses létales. Les CE50 calculées pour les trois métaux (Hg, Cu, Hg) sont faibles. En effet, après le tributylétain (TBT), les métaux exercent une toxicité plus élevée qui est de l’ordre de quelques microgrammes par litre par rapport aux autres polluants tels que les pesticides, dont l’action défavorable est de l’ordre de plusieurs centaines de microgrammes par litre (HIS, 1991). Les réponses sublétales des larves (croissance, anomalies, etc.) aux métaux sont généralement des critères plus sensibles que la mortalité larvaire (HIS et al., 1999a).

Le cuivre est un métal dont la toxicité à différents niveaux de l’organisation (mortalité, comportement, embryogenèse) chez les bivalves n’est plus à démontrer; ce métal exerce une toxicité sur le développement embryolarvaire chez C. gigas, dont l’importance vient après celle du mercure (CE50-24 h = 16,4 µg∙L-1). En effet, les sels de ce métal (oxyde de Cu, sulfate de Cu et chlorure de Cu) entrent dans la composition des peintures antisalissures qui perturbent profondément les activités aquacoles. HIS (1991), en étudiant l’effet de ces différents sels sur le développement embryolarvaire de l’huître C. gigas, a montré que le chlorure de cuivre provoque une inhibition du développement larvaire à 50 µg∙L-1 et la croissance larvaire est nettement retardée jusqu’à la concentration de 10 µg∙L-1. La comparaison de nos résultats concernant la toxicité du cuivre sur le développement avec ceux de la littérature montre que les valeurs de CE50 sont faibles; HIS et al. (1999b) ont calculé une CE50 plus élevée chez la même espèce (37 µg∙L-1). MAI et al. (2012) ont enregistré une embryotoxicité du cuivre chez l’huître japonaise à partir d’une concentration de 0,1 µg∙L-1 dans le milieu, avec une CE50 encore plus faible que celle que nous avons calculée; la même étude a révélé une forte corrélation entre le pourcentage d’anomalies larvaires et celui des dommages d’ADN observés suite à une exposition au cuivre.

La CE50-48 h déterminée par RAMACHANDRAN et al. (1997) chez l’oursin de mer Diadema setosum pour la larve Pluteus est de 40 µg∙L-1; ces auteurs ont postulé que le cuivre était plus toxique que le cadmium sur la fertilisation des gamètes de l’oursin. Par ailleurs, il a été montré que le cuivre provoque la réduction de la croissance chez les juvéniles du bivalve Scrobicularia plana à une concentration de 10 µg∙L-1 (RUIZ et al., 1994).

Le cadmium exerce lui aussi une toxicité sur le développement larvaire de C. gigas. La CE50-24 h est estimée à 46,9 µg Cd∙L-1. L’effet de ce métal reste toutefois faible en comparaison avec celui du mercure et du cuivre sur le développement embryolarvaire. RINGWOOD (1990) a postulé l’existence d’une adaptation physiologique des véligères du bivalve Isognomon californicum à l’exposition au cadmium; cette résistance serait imputée selon cet auteur à l’induction des métallothionéines. CALABRESE et al. (1973) ont également montré que le cadmium était le moins toxique vis-à-vis des embryons de Crassostrea virginica par rapport aux autres métaux (Hg, Cu, Zn) avec une CL50 plus élevée de 10,3 µg∙L-1. Une autre étude a montré que le Cd exerce un effet sur le développement embryolarvaire de l’huître C. gigas trois fois supérieur au contrôle, mais qui reste inférieur à celui enregistré lors de la présente étude, avec une CE50 plus élevée de 212 µg∙L-1 (MAI et al., 2012). Par ailleurs, une expérimentation réalisée sur les effets de Cd et de Hg sur le comportement larvaire de Eurypanopeus depressus a montré que Cd à des concentrations sublétales perturbe l’activité de nage des larves avec une augmentation du taux de mortalité, mais son effet ne s’exerce pas à tous les stades, comparé au mercure dont la toxicité s’observe à différents stades de la vie larvaire de cette espèce (MIRKES et al., 1978).

Les résultats de l’embryotoxicité des métaux ont montré que le mercure exerce une grande toxicité sur le développement larvaire de C. gigas (CE50-24 h = 4,4 µg∙L-1), et la majorité des anomalies correspondent à des embryons qui n’ont pas atteint le stade coquillier. Ce métal est en effet classé en tête de liste de toxicité des métaux sur les premiers stades de développement chez les bivalves (HIS et al., 1999a). BEIRAS et HIS (1994 et 1995) ont trouvé que l’embryogenèse était anormale pour 50 % des individus à 11 µg Hg∙L-1 chez C. gigas. Ces études ont montré que la larve D est un stade très sensible au mercure; les CL50 augmentent en passant du stade larve D, la larve umbonée à la pédivéligère (de 33 à 200 µg Hg∙L-1) pour la même espèce. Une étude comparative entre les bio-essais larvaires chez C. gigas et l’oursin Paracentrotus lividus a montré que l’effet du mercure sur le développement de Crassostrea était plus significatif, avec une CE50 plus faible que celle enregistrée chez l’oursin (HIS et al., 1999b). CALABRESE et al. (1973) ont également montré que les stades embryons, et à moindre degré les larves, de C. virginica sont plus sensibles au mercure que les stades adultes, et ont relevé une CL50 -48 h de 5,6 µg Hg∙L-1. Toutefois, la métamorphose chez les bivalves est plus résistante au mercure par rapport aux autres stades larvaires; la concentration efficace qui réduit la métamorphose chez 50 % des individus exposés est de 60 µg∙L-1, alors que la croissance larvaire est réduite à une concentration de 4 µg Hg∙L-1 (BEIRAS et HIS, 1994).

L’estimation de la toxicité potentielle des métaux au moyen du bio-essai « embryotoxicité » a permis d’établir un gradient de toxicité identique à celui trouvé par le test de létalité réalisé avec C. gigas à savoir : Hg plus toxique que Cu qui est plus toxique que Cd (BOUHALLAOUI et al., 2003). BELLAS et al. (2001) ont trouvé le même gradient de toxicité métallique chez Ciona intestinalis, avec des CE50 supérieures à celles enregistrées chez C. gigas.

4.2 Toxicité des effluents

Les résultats obtenus dans l’évaluation de l’impact des rejets industriels sur le développement embryolarvaire de l’huître creuse C. gigas à travers le test d’embryotoxicité ont montré que les embryons et les larves sont très sensibles aux rejets, puisque nous observons des effets néfastes à des concentrations aussi faibles que 0,02 % du rejet dans le milieu (cas du rejet d’électrochimie). L’analyse de ces résultats a montré que les trois rejets sont toxiques sur le développement larvaire de C. gigas.

La comparaison des résultats avec les différentes études sur les stades larvaires de bivalves est limitée par la différence dans le temps d’exposition d’une étude à l’autre, les conditions d’incubation des larves, le paramètre observé et la différence dans la taille; les larves de grande taille sont supposées être plus résistantes aux polluants (BEIRAS et HIS, 1995).

L’huître C. gigas présente une grande sensibilité aux rejets en comparaison avec la moule M. galloprovincialis; les CE50-24 h enregistrées chez l’huître pour le rejet mixte et celui d’électrochimie (0,16 % et 0,09 % respectivement) sont largement inférieures aux CE50-48 h déterminées chez la moule (2,61 % pour le rejet mixte et 2,23 % pour le rejet d’électrochimie) (BOUHALLAOUI et al., 2011). L’évaluation de la toxicité de ces mêmes rejets à travers le bio-essai d’embryotoxicité utilisant les anomalies larvaires chez l’oursin de mer Paracentrotus lividus a montré le même profil d’impact, avec des CE50-48 h de 2,08 % pour RE, et de 2,56 % pour le RIM (EL HAIMEUR et al., 2013). Ces valeurs de CE50-48 h restent toutefois, supérieures à celles enregistrées chez C. gigas, ce qui confirme la grande sensibilité des bio-essais sur les stades larvaires de l’huître.

Si l’on cherche à comparer les valeurs de CE50 (embryotoxicité) avec les valeurs de CL50 (toxicité létale chez C. gigas) déterminées pour ces mêmes rejets par le bio-essai de létalité (BOUHALLAOUI et al., 2003), il se confirme que le paramètre embryotoxicité (anomalies larve D) est beaucoup plus sensible aux effluents (CE50-24 h = 0,09 % pour RE) que le critère de mortalité chez le même bivalve (CL50 -96 h = 16,6 % pour RE), avec le même profil de toxicité. La sensibilité des différents stades de développement aux toxiques varie en fonction de l’âge; selon AMIARD-TRIQUET (1983), il existe généralement un facteur de 30 entre le stade gamètes et le stade adulte, le plus résistant. Ceci est en parfait accord avec le constat relevé par plusieurs auteurs postulant que les stades précoces de développement embryonnaire sont plus sensibles aux substances toxiques que les individus adultes (CALABRESE et al., 1973; ROBERT et al., 1986; QUINIOU et TOULARASTEL, 1991; HIS et SEAMAN, 1993; BEIRAS et HIS, 1994 et 1995; QUINIOU et al.,1997; HIS et al.,1997; GEFFARD, 2001).

Les paramètres physicochimiques de ces rejets (Tableau 4) révèlent une charge polluante intense, surtout les chlorures (BOUTHIR et al., 2004) avec des niveaux qui dépassent les valeurs admises dans le cas de l’effluent d’électrochimie, et le caractère basique (pH = 11) de ce rejet explique également sa grande toxicité. Par ailleurs, la charge métallique (Cd, Pb, Hg et Cu) des moules prélevées aux abords du rejet RE révèle une contamination importante en mercure dépassant parfois les normes admises (allant jusqu’à 7,7 µg∙g-1 poids sec) avec 20 % du méthylmercure, qui est la forme la plus toxique (CHAFIK et al., 2001; INRH, 2002). L’effet toxique élevé de ce rejet serait à relier à la présence de mercure qui est utilisé, lors des procédés de production effectués par cette société.

L’effluent industriel mixte accuse des valeurs très élevées en matière organique, en matière en suspension (988 mg∙L-1) et en éléments nutritifs, surtout les orthophosphates et les sulfates (Tableau 4). Il présente des valeurs de la demande chimique en oxygène (DCO = 2 180 mg∙L-1) qui se traduisent par un apport important de la matière organique. Les teneurs métalliques (Cu, Cd) enregistrées au niveau du rejet industriel mixte montrent que ce rejet est chargé en métaux, en particulier le Cu avec une concentration qui dépasse 200 µg∙L-1 (BOUTHIR et al., 2004), ce qui explique sa toxicité sur le développement larvaire de ce bivalve.

Tableau 4

Qualité physicochimique moyenne des rejets testés (présente étude; BOUTHIR et al., 2004; KAIMOUSSI, 2002)

Average of physico chemical quality of industrial wastewaters tested

Qualité physicochimique moyenne des rejets testés (présente étude; BOUTHIR et al., 2004; KAIMOUSSI, 2002)

a Matières en suspension; b demande chimique en oxygène.

c Rejet d’électrochimie; d rejet industriel mixte; e rejet de traitement des phosphates.

-> See the list of tables

Le rejet de traitement des phosphates exerce lui aussi un effet sur le développement embryolarvaire de C. gigas. La qualité physicochimique (Tableau 4) des eaux du collecteur principal de RTP montre aussi des dépassements au niveau des phosphates (55 mg∙L-1), témoignant d’un apport considérable par cet émissaire, pouvant conduire à l’eutrophisation du milieu littoral récepteur. La toxicité du RTP serait également due à sa nature acide (pH = 2). Une étude réalisée sur l’évaluation de l’impact des rejets de l’industrie des phosphates installée à Jorf Lasfar sur le milieu a montré que les moules de cette région sont très contaminées par le Cd et le Cu, particulièrement au niveau des points du rejet; ces métaux sont originaires des résidus phosphatiers (phosphogypse) déversés dans l’eau de mer (CHEGGOUR et al., 2000). KAIMOUSSI (2002) a en effet détecté des teneurs élevées en métaux lourds au niveau du collecteur principal du RTP, particulièrement le cuivre (Tableau 5). Ces polluants se manifestent au niveau des organismes marins et provoquent ainsi la dégradation du milieu.

Tableau 5

Concentrations métalliques moyennes au niveau du collecteur principal du RTP (rejet de traitement des phosphates) (KAIMOUSSI, 2002)

Average of metal concentrations in the RTP (phosphate treatment wastewaters) collector

Concentrations métalliques moyennes au niveau du collecteur principal du RTP (rejet de traitement des phosphates) (KAIMOUSSI, 2002)

-> See the list of tables

NELSON et al. (1983) ont mis en évidence des perturbations dans le développement larvaire de C. virginica imputables à l’action des eaux de ruissellement; ils ont démontré l’existence d’une toxicité résiduelle un mois après le déversement dans la zone de rejet. Par ailleurs, les mélanges métalliques incluant le mercure en particulier sont plus toxiques sur les embryons de bivalves que les éléments métalliques individuels (HIS et al., 1996).

Les résultats recueillis dans cette étude mettent en évidence le danger que peuvent constituer les activités anthropiques pour les écosystèmes littoraux, notamment une détérioration des conditions de milieu, particulièrement dans les zones de déversement de rejets dont la composition chimique en polluants a des proportions parfois variables, est souvent inconnue. Les CE50 enregistrées témoignent de la grande nocivité des effluents déversés dans le milieu marin sans traitement préalable.

En conclusion, ces résultats confirment que les larves de Crassostrea gigas constituent un matériel de choix pour la surveillance de la qualité du milieu marin. En effet, les tests basés sur l’utilisation des larves de C. gigas permettent de déceler la présence de substances toxiques dans l’eau, lorsque les méthodes de la chimie analytique ne sont pas assez sensibles.