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1. Introduction

L'écorégion d’Afrique du Nord est principalement caractérisée par une faible richesse de poissons d'eau douce, mais abrite une intéressante diversité d’espèces de cyprinidés (MIMECHE et al., 2013). Le barbeau, présent dans les systèmes hydrographiques aquatiques de Tunisie et d'Algérie (KRAÏEM, 1996; BACHA et AMARA, 2007; DJEMALI et al., 2009; KARA, 2012), constitue une source importante de protéines d’origine animale pour les populations humaines rurales (MIMECHE et al., 2013).

L’étude des régimes alimentaires des poissons s’avère d’un grand intérêt. Elle permet d’estimer l’impact des populations piscicoles sur la structure des communautés benthiques où la régulation des écosystèmes est souvent interprétée comme le résultat de l’influence des niveaux inférieurs de la chaine trophique sur l’ensemble des communautés qui le composent (NORTHCOTE, 1988). Cette étude a permis de déterminer la variation saisonnière du régime alimentaire du barbeau dans le réservoir du barrage de K'sob situé dans la région de M'Sila.

2. Matériels et méthodes

2.1 Site d’étude

Le barrage de K'sob est situé à 15 km au nord de la ville de M'Sila. Ses coordonnées géographiques varient entre 35°53'09'' et 35°58'05'' de latitude Nord et 04°35'03'' et 04°42'33'' de longitude Est. Le barrage est construit sur l'oued K'sob, principal affluent (Figure 1). L’objectif de cet ouvrage était d'irriguer la plaine de M'Sila. Sa profondeur maximale est de 47 m et avec une capacité à l'origine de 30 millions de mètres cubes. La zone d’étude est caractérisée par un étage bioclimatique aride à variante douce.

Figure 1

Situation du barrage de K’sob en Algérie

Location of K'sob reservoir in Algeria

Situation du barrage de K’sob en Algérie

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Au cours de la période d'étude (septembre 2010 jusqu’à août 2011) l’apport hydrologique était de 22,72 hm3 et le volume d’eau d’irrigation par an était de 11,85 hm3. Le cumul des quantités de pluie était de 223,4 mm. La teneur minimale en oxygène dissous était de 5,5 mg∙L-1 durant le mois d’août et son opposée maximale était de 9,5 mg∙L-1 au courant du mois de décembre. La température minimale enregistrée de l'eau était de 6,5 °C pour le mois de février et celle maximale enregistrée en août avec une valeur de 28,6 °C. Il est à signaler que les températures élevées, entre les mois de mai et d’août, affectent le volume de l'eau par le phénomène d'évaporation.

2.2 Échantillonnage de poissons

La capture des barbeaux a été effectuée entre septembre 2010 et août 2011. Nous avons eu recours aux pêcheurs artisanaux de la population locale des lieux. Ces derniers utilisent des filets maillants dans l’activité de la pêche. Ce sont des outils de capture statique, constitués d’une nappe de filet en nylon monofilament montée entre une ralingue supérieure, munie généralement de flotteurs, et au pied de fil plombé. Les spécimens capturés ont été disséqués.

Les tubes digestifs de chaque individu étaient mis dans un flacon contenant une solution de formol à 5 % afin d’arrêter les processus de digestion post-mortem et pour une meilleure conservation des contenus stomacaux (BENABID, 1990; DIETOA et al., 2007). Afin d’établir la détermination et le dénombrement des différentes proies et le nombre d’individus pour chaque espèce, le contenu stomacal de chaque espèce a été examiné sous loupe binoculaire conformément aux méthodes utilisées par KRAÏEM (1980) et BENABID (1990).

À l'appui de données sur la composition du régime alimentaire du barbeau, les disponibilités alimentaires ont été évaluées dans les mêmes sites d'échantillonnage de poissons par échantillonnage des communautés de macro- et micro-invertébrés benthiques. L'échantillon composite a été placé dans un flacon en plastique étiqueté et fixé in situ en utilisant 4 % de formaldéhyde. Au laboratoire, les échantillons ont été lavés, tamisés, triés et identifiés au plus bas taxon reconnaissable (SANTOS et al., 2013).

2.3 Indices alimentaires

Les méthodes utilisées dans cette étude, pour la détermination du régime et l’activité alimentaire, sont celles utilisées par plusieurs auteurs : KRAÏEM (1980); BENABID (1990); CHERGHOU et al. (2002); PAUGY et LEVEQUE (2006). Il s’agit de la détermination des indices alimentaires utilisés pour l’analyse des contenus stomacaux et qui sont décrits par HYNES (1950).

Coefficient de vacuité (V) : rapport exprimé en pourcentage entre le nombre d’estomacs vides (EV) et le nombre total d’estomacs examinés (EE).

equation: 5040663n.jpg (1)

Coefficient d’occurrence (CO) : rapport exprimé en pourcentage entre le nombre de poissons dont l’estomac contient une proie donnée (EP) et le nombre d’estomacs pleins examinés (EPE).

equation: 5040664n.jpg (2)

Coefficient volumétrique (CV) : rapport exprimé en pourcentage entre le volume d’une proie donnée ou d’une catégorie de proies (VP) sur le volume total des proies (VT).

equation: 5040665n.jpg (3)

Intensité de prédation (IP) : rapport entre le nombre total des individus de chaque catégorie de proies (NTiCP) sur le nombre total d’estomacs examinés (EE).

equation: 5040666n.jpg (4)

Indice alimentaire (IA) de LAUZANE (1975) :

equation: 5040667n.jpg (5)

où CO : coefficient d’occurrence (%) et CV : coefficient volumétrique (%).

Selon la classification de LAUZANE (1975), les proies sont classées suivant leur valeur d’indice alimentaire :

  • Proies secondaires si 0 < IA < 10

  • Proies importantes si 10 < IA < 25

  • Proies essentielles si 25 < IA < 50

  • Proies dominantes si IA > 50

3. Résultats et discussion

L’analyse des contenus stomacaux a été pratiquée sur 379 individus. Les résultats obtenus sont répertoriés dans le tableau 1. La nourriture du barbeau est variée et englobe plusieurs taxons du règne animal, des composantes végétales (graines de céréales, fragments de feuilles, petits copeaux de bois et des algues filamenteuses) et du substrat meuble (vase).

Tableau 1

Les différents composés retrouvés dans les contenus stomacaux du barbeau

The different compounds found in the gastric contents of the barbel

Les différents composés retrouvés dans les contenus stomacaux du barbeau

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Le comportement ichtyophage des adultes sur les juvéniles n’a pas été observé au cours de la période d’étude par comparaison avec le barbeau en Tunisie (KRAÏEM, 1994), ni de cannibalisme comme le cas du barbeau du Rhône (KRAÏEM, 1980). Nous avons constaté que le barbeau du réservoir de K'sob a un régime alimentaire omnivore. L’analyse quantitative était basée sur la fréquence numérique des composés ingérés et l’importance du volume qu’elles occupent dans le contenu stomacal.

3.1 Activité alimentaire

La variation saisonnière de l’activité alimentaire d’une population peut être évaluée selon HYSLOP (1980) à travers l’examen et le pourcentage des tubes digestifs vides. En effet, chez L. callensis, sur les 379 estomacs examinés, 138 étaient vides, soit un pourcentage de vacuité de 36,4 %. Le coefficient de vacuité varie avec les saisons. Le pourcentage le plus élevé d’estomacs vides était observé en hiver avec 50,5 % et le plus faible était observé en saison estivale avec 18,4 % (Figure 2).

Figure 2

Variations du coefficient de vacuité en fonction des saisons chez le barbeau

Variations in seasonal vacuity coefficient for the barbel

Variations du coefficient de vacuité en fonction des saisons chez le barbeau

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Étant un être poïkilotherme, l’activité alimentaire de L. callensis est réduite par la diminution des températures durant l’hiver et l’automne (ELLIOTTE, 1975). Cette diminution est amplifiée par la réduction du potentiel trophique (CHERGHOU et al., 2002).

Au printemps, le coefficient de vacuité a diminué par rapport à l’hiver à cause de la disponibilité des macro-invertébrés et micro-invertébrés, ce qui coïncide avec l’augmentation des températures qui favorisent l’augmentation du poids des gonades durant cette saison. Comme conséquence de cette hypertrophie, on peut assister à un encombrement et une compression du tube digestif, d’où une réduction du bol alimentaire de l’animal (BOËT, 1980).

En été, l’augmentation de la vitesse du transit gastrique suit l’élévation de la température de l’eau et une activité plus intense du poisson, engendrant ainsi un accroissement de son intensité de prédation et d’ingestion. Cet état de fait s’est traduit par une réduction de la vacuité observée chez les barbeaux où il a été observé le plus bas coefficient de vacuité au cours de notre étude (Figure 2).

3.2 Étude du spectre alimentaire

3.2.1 Abondance relative

Les composantes végétales et le substrat meuble (vase) ne figurent pas dans l’abondance puisqu’ils ne sont pas dénombrables. Nous avons remarqué que le dénombrement des proies présente l’inconvénient de favoriser les proies de petite taille (zooplancton) et de sous-estimer celles de tailles plus importantes (BOUHBOUH, 2002).

Les résultats relatifs aux analyses globales des contenus stomacaux (Figure 3) nous ont permis de distinguer chez les micro-invertébrés une dominance totale des copépodes (49,2 %) et chez les macro-invertébrés, les larves des chironomes sont les plus abondantes (28,7 %). Les larves des simulies et les larves des éphéméroptères présentent respectivement des abondances relatives de 8,8 % et 5,8 %. La diversité du mode d'alimentation dépend de la richesse spécifique et de l'abondance des espèces proies potentielles dans le biotope (ADAMEK et OBRDLIK, 1977; LOBON-CERVIA et DE DIEGO, 1988).

Figure 3

Abondances relatives globales des différentes proies ingérées par L. callensis

Overall relative abundances of different prey ingested by L. callensis

Abondances relatives globales des différentes proies ingérées par L. callensis

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3.2.2 Coefficient d'occurrence

Le coefficient d'occurrence des proies globales de L. callensis révèle quelques proies préférentielles rencontrées dans les estomacs analysés (Tableau 2). Il s’agit des zooplanctons représentés par les copépodes et des cladocères avec des taux respectifs de 38,3 % et 10,3 %. Les insectes sont dominés par les diptères où 34,6 % sont des chironomes et 21,1 % sont des simulies. Pour les éphéméroptères, ils occupent une place parmi les proies des barbeaux, avec un taux de 21,1 %. Concernant le substrat meuble (vase), ce dernier présente une part de 31,1 % alors que les composantes végétales ne représentent que 10,0 %.

Tableau 2

Coefficient d’occurrence (CO) globale et saisonnière des composés ingérés par le barbeau

Overall and seasonal occurrence coefficient of compounds ingested by the barbel

Coefficient d’occurrence (CO) globale et saisonnière des composés ingérés par le barbeau

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L'étude des variations saisonnières du spectre alimentaire de L. callensis montre que la nature et l'importance en nombre des proies ingérées varient en fonction des saisons (Tableau 2), avec toujours une prédominance relative importante pour les copépodes, les diptères et les éphéméroptères au cours de toutes les saisons à l'exception de l'automne où il est observé une présence relative des gastéropodes et des trichoptères. Les diptères sont un ordre qui est d'une grande importance pour les poissons en raison de leur contenu calorique élevé d’une part et de l’autre pour leur faible mobilité qui facilite leur capture (EASTON et ORTH, 1992).

Les copépodes et les cladocères sont représentés par des espèces pérennes dans les lacs artificiels semi-arides et arides d’Algérie (CHERBI et al., 2008). Dans le réservoir du barrage de K'sob, site de notre étude, les copépodes forment l’essentiel du zooplancton. Le développement de ces copépodes est lié en général aux conditions du milieu. C’est ainsi que MAIER (1989) a mentionné que la durée de développement des oeufs, des larves et des stades copépodites est inversement proportionnelle à la température, d’où l’importance de ce facteur, qui est déterminant pour la distribution temporelle dans la région d’étude.

De même, on peut diviser les différents taxons en deux groupes. Un premier groupe de proies qui est toujours présent dans les contenus stomacaux au cours de toutes les saisons et dont l'abondance relative est généralement importante, et un deuxième groupe dont la présence dans les contenus stomacaux est faible ou limitée à quelques saisons.

Pour ce qui est du composant végétal, il est important dans le mode d'alimentation de L. callensis. Son importance croît avec l'âge des poissons (ENCINA et al., 1999; SANTOS et al., 2013). La présence du sable et de la vase dans le contenu de l'estomac semble être étroitement liée au mode de prise de la nourriture (le ramassage et le raclage) (GRANDMOTTET, 1983) et au comportement benthique des poissons (LOBON-CERVIA et DE DIEGO, 1988) qui se nourrissent de la partie inférieure de la rivière et du barrage qui est plus sujet au phénomène d’envasement. Le sable pourrait jouer un rôle dans la fragmentation de proie (KRAÏEM, 1996).

3.2.3 Coefficient volumétrique

Les analyses volumétriques fournissent des résultats plus fidèles du spectre alimentaire que les analyses numériques (PERRIN, 1980). Chez L. callensis (Tableau 3), les chironomes représentent la plus grande fraction du spectre alimentaire avec 51,0 % en automne et 10,1 % en hiver suivi par la vase (substrat meuble) avec 44,0 % en hiver et 7,7 % en été. Les composantes végétales sont bien observées en hiver (28 %).

Tableau 3

Variations du coefficient volumétrique en fonction des saisons chez L. callensis

Volumetric coefficient variations with seasons in L. callensis

Variations du coefficient volumétrique en fonction des saisons chez L. callensis

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3.2.4 Intensité de prédation

La prédation chez L. callensis est maximale en automne, basée surtout sur les zooplanctons (copépodes) et les insectes (chironomes). En effet, cette saison correspond à la période de brassage des eaux des réservoirs et à l’augmentation de l’abondance des copépodes et des cladocères (JABARI, 1998). En saison hivernale, la prédation y est très faible (Figure 4). Cet état de fait est dû à la diminution de la température qui réduit la production primaire de la chaine alimentaire.

Figure 4

Intensité de prédation en fonction des saisons chez L. callensis

Seasonal predation intensity in L. callensis

Intensité de prédation en fonction des saisons chez L. callensis

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Au printemps et en été, la prédation augmentée est basée sur les zooplanctons (cladocères) et les hyménoptères. Cette période coïncide avec les changements physiologiques liés à la reproduction chez L. callensis qui favorise l’accélération du bol alimentaire (BOËT, 1980; KRAÏEM, 1994) pour une transformation en énergie. Cette énergie peut être utilisée au cours de la maturation des gonades et pour la reproduction (ENCINA et GRANADO-LORENCIO, 1997).

Ces variations saisonnières dans la consommation alimentaire sont probablement liées à des fluctuations saisonnières de l'abondance des macro-invertébrés (RIBEIRO et al., 2007; SANTOS et al., 2013) où la température demeure un facteur écologique essentiel dans le régime alimentaire des poissons (YALҪIN et al., 2001).

3.2.5 Importance des proies dans le régime alimentaire

L’importance des chironomes dans le régime alimentaire du barbeau est due à leur abondance dans le réservoir du barrage de K'sob (Tableau 4). SALMAN et al. (2009) ont signalé que ces diptères sont présents dans les réservoirs peu profonds où ce type de milieu pourrait leur fournir des habitats diversifiés ainsi qu’à d’autres macrobenthoses parce que la richesse et la densité de la macrofaune benthique sont plus élevées dans les endroits riches en végétation aquatique. Aussi, ces insectes (chironomes) peuvent se rencontrer dans une grande variété de lieux mais ils restent caractéristiques des milieux de barrages (GROWNS et GROWNS, 2001; AHMADI et al., 2012).

Tableau 4

Indice alimentaire chez L. callensis

Food index in L. callensis

Indice alimentaire chez L. callensis

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Les copépodes sont également un élément important dans l’alimentation du barbeau. Ils constituent une ressource alimentaire disponible dans le réservoir (ENCINA et al., 2004) en raison de leur présence pérenne dans de tels lieux d’étude (CHERBI et al., 2008).

Dans le réservoir de K'sob, L. callensis présente un régime alimentaire omnivore à tendance zoobenthophage (Tableau 4). Par contre, dans le réservoir du barrage Allal El Fassi (Maroc), BOUHBOUH (2002) indique un régime alimentaire omnivore à tendance zoophage alors qu’il est omnivore à tendance phytophage dans l’oued Boufekrane (Maroc) (CHERGHOU et al., 2002). Aussi, KRAÏEM (1996) a indiqué que dans plusieurs stations au Nord de la Tunisie, le régime de cette espèce à l’état juvénile est micro-zoobenthophage, mais en vieillissant il devient strictement benthophage.

4. Conclusion

Le barbeau, espèce autochtone d’Afrique du Nord, est colonisateur des écosystèmes lacustres artificiels (barrages) en raison de la plus grande amplitude de sa niche trophique. Le changement de tendance alimentaire en fonction du milieu témoigne de l’opportunisme du barbeau et sa grande capacité d’adaptation aux conditions trophiques. Cette plasticité permet aux barbeaux d'habiter et de coloniser des endroits à environnements différents où la température reste un facteur écologique clé dans le régime alimentaire.