Abstracts
Résumé
Le bassin versant de la Mitidja (1 300 km2), situé au Nord de l'Algérie, a enregistré une sécheresse vers la fin du XXe siècle. Le but du présent travail est de caractériser cet épisode et de déterminer son extension spatiale dans le bassin versant au moyen de l’analyse des données pluviométriques mesurées dans huit stations. L’analyse de la longue série pluviométrique de la station de référence d’Hamiz barrage (1905-2010) au moyen de plusieurs tests statistiques (Mann-Kendall, Pettitt, U de Buishand et la procédure bayésienne de Lee et Heghinian) a révélé que cet épisode de sécheresse a sévi de 1973 à 2001 et a provoqué une baisse des précipitations annuelles variant entre 16 % et 24 % dans le bassin versant. Après cette période de sécheresse, une période humide s’est installée dans la Mitidja et est à l’origine d’une hausse des précipitations annuelles de 31,4 %, notamment à la station de Réghaïa.
Mots-clés:
- Mitidja,
- variabilité pluviométrique,
- sécheresse,
- tendance,
- rupture,
- analyse statistique
Abstract
The Mitidja watershed (1 300 km2), located in northern Algeria, has experienced a drought in the late 20th century. The purpose of this work is to characterize this episode and determine its spatial extension in the watershed through the study of rainfall data measured at eight stations. The analysis of the long rainfall series of the Hamiz dam reference station (1905-2010) using several statistical tests (Mann-Kendall, Pettitt, Buishand U, and the Bayesian procedure of Lee and Heghinian) revealed that this episode of drought occurred between 1973 and 2001 and caused a decrease in annual rainfall varying between 16% and 24% in the watershed. After this period of drought, a wet period settled in the Mitidja, causing annual rainfall to increase by 31.4%, particularly at the Réghaïa station.
Key words:
- Mitidja,
- rainfall variability,
- drought,
- trend,
- break-point,
- statistical analysis
Article body
1. Introduction
La variabilité climatique est un phénomène planétaire qui touche beaucoup de pays dans le monde selon les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 2013). De plus, ces experts ont mis en évidence, sans équivoque, un réchauffement global causé par des facteurs anthropiques. Parmi les répercussions de celui-ci se trouve le changement du régime des précipitations. On constate, en effet, une augmentation des précipitations dans les régions continentales de moyenne latitude de l’hémisphère Nord et dans l’Est de l’Amérique du Sud, alors qu’on enregistre une diminution des précipitations au Sahel, en Méditerranée, en Afrique australe et dans une partie de l’Asie du Sud (GIEC, 2013). Une étude sur les paramètres climatiques vient appuyer ces résultats et révèle une tendance négative des précipitations à l’échelle saisonnière et interannuelle dans la région est du bassin méditerranéen sur la période 1946-2016 en précisant que le régime climatique dans cette région est complexe (HAFEZ, 2018). Quant à la rive sud de ce bassin, la variabilité pluviométrique a été identifiée dans divers travaux, notamment en Arabie Saoudite (SAADA, 2015), en Égypte (ONYUTHA et al., 2015; El-HAGRSYet al., 2018), en Tunisie du Nord (ABIDI et al., 2017) et Tunisie centrale (KINGUMBI et al., 2001; KINGUMBI et al., 2005), au Maroc septentrional (SEBBAR et al., 2011), au Maroc du Nord (EL IBRAHIMI et al., 2015) et au Maroc oriental (EL HAFID et al., 2017).
À l’instar des pays frappés par la variabilité climatique mondiale, l’Algérie a connu, dans la deuxième moitié du XXe siècle, une baisse considérable des précipitations dans plusieurs régions du Nord (MEDDI et MEDDI, 2009; TAIBI et al., 2015). Dans le Nord-Ouest algérien, le déficit pluviométrique a atteint 36 % (MEDDI et MEDDI, 2009; GHENIM et MEGNOUNIF, 2013) conduisant à la baisse sévère des écoulements de surface. Dans la Haute Tafna, le ruissellement a diminué de 69 % (GHENIM et al., 2010). Sachant que la recharge des nappes d’eau est assurée essentiellement par les précipitations, on s’attend à ce que tout changement du régime des précipitations ait un impact sur la ressource en eau souterraine.
Dans le bassin versant de la Mitidja, zone très proche d’Alger, des valeurs de précipitations très faibles ont été enregistrées entre 1970 et 2000 (NEZZAL et IFTINI-BELAID, 2013). À titre d’exemple, on a observé une pluviométrie de 341 mm en 1996 à la station de Hamiz barrage. Cette dernière présente une moyenne interannuelle de 765 mm sur la période de 1905 à 2010.
Dans ce contexte de variabilité des précipitations régionales, mise en évidence dans le rapport du GIEC en 2013 et dans plusieurs travaux à l’échelle de l’Afrique du Nord et la région est du bassin méditerranéen, on s’intéresse dans notre travail à la problématique de caractérisation de l’évolution temporelle de la pluviométrie dans le bassin de la Mitidja. Pour cela, on a adopté une approche statistique permettant d’analyser les séries pluviométriques enregistrées dans la zone d’étude et d’identifier les tendances et ruptures du régime des précipitations dans la Mitidja.
2. Matériel et méthode
2.1 Zone d'étude
La Mitidja est un bassin exoréique côtier de la région d'Alger. La zone d'étude s'étale d'Est en Ouest sur 1 300 km2 avec une altitude moyenne de 100 m (Figure 1). La plaine de la Mitidja, caractérisée par une pente relativement faible, se limite naturellement au Sud par l’Atlas de Blida. Ce dernier qui correspond à une chaine de montagnes culminant à plus de 1 600 m, alimente le réseau hydrographique de la Mitidja (Figure 1).
Sur le plan hydrologique, la plaine de la Mitidja est parcourue par l’oued Réghaïa, l’oued El Hamiz, l’oued El Harrach, l’oued Mazafran et ses affluents (Chiffa, Bouroumi et Djer). Ces oueds prennent naissance dans les piémonts de l’Atlas blidéen. Les cours d'eau, particulièrement dans leurs biefs aval, assurent le renouvellement de la nappe alluviale de la Mitidja, avant de se jeter dans la mer Méditerranée (Figure 1).
Le niveau piézométrique dans la nappe de la Mitidja marque une baisse alarmante entre 1990 et le début des années 2000. Dans la Mitidja-est, on enregistre une chute maximale de 18,6 m en période de basses eaux et de 15,9 m durant les hautes eaux selon les données de l’Agence Nationale des Ressources Hydriques (ANRH). De plus, durant cette période de régression de la nappe, la Mitidja a connu une évolution démographique rapide. Le nombre d'habitants a doublé entre 1987 et 2007, ce qui a engendré une demande en eau considérable (NEZZAL et IFTITI-BELAID, 2013). En 2010, le volume d'eau mobilisé dépasse 329 hm3, les eaux de surface représentant 53 % et les eaux souterraines 28 %. Le dessalement d'eau de mer produit 19 % du volume mobilisé selon les données de la Société des Eaux et de l'Assainissement d'Alger (SEAAL).
2.2 Données et méthodologie
L'étude est basée sur les séries de précipitations annuelles enregistrées dans huit stations situées dans la plaine de la Mitidja (Figure 1, Tableau 1). Avant l’exploitation de ces données, on a procédé, dans une première étape, à la suppression des mesures mensuelles aberrantes incluant les valeurs anormalement importantes dues, en général, à une erreur de saisie dans la base de données. Dans une deuxième étape, on a effectué un comblement des lacunes mensuelles par la méthode d'imputation multiple de Monte-Carlo par chaînes de Markov (MCMC) appelée aussi fully conditional specification (FCS) (BUUREN, 2007). Cette méthode a été utilisée dans plusieurs travaux pour combler des séries temporelles lacunaires (YIM, 2015; GLASSON-CICOGNANI et BERTHOLD, 2010; YUAN, 2000). La méthode d’imputation multiple MCMC, basée sur l’algorithme FCS (TAKAHASHI, 2017), est une méthode itérative employée lorsque le motif de données manquantes est arbitraire (monotone ou non). Pour chaque itération et pour chaque variable, on ajuste un modèle univarié (variable dépendante unique) en prenant les autres variables de ce modèle comme prédicteurs. Ensuite, on procède à l’imputation des valeurs manquantes pour la variable à ajuster. Cette procédure se répète jusqu’à atteindre le nombre maximal d’itérations. À l’itération maximale, les valeurs imputées seront enregistrées dans le jeu de données.
L’approche statistique commence par une description de l’évolution temporelle des précipitations annuelles observées sur 106 années à Hamiz barrage. Le faible taux de valeurs manquantes sur plus d’un siècle d’enregistrement (10 % de lacune) a conduit à considérer cette station comme référence dans la Mitidja.
Le test non paramétrique de Mann Kendall ou MK (MANN, 1945; KENDALL, 1975) est adopté pour déterminer la présence ou l'absence de tendance linéaire dans les séries pluviométriques analysées (POHLERT, 2018).
Soient x1, x2,…xn une série de données où xj est la donnée correspondante au temps tj. La statistique MK est définie par :
où
En supposant que les données sont indépendantes et identiquement distribuées, KENDALL (1975) donne E(S) = 0 et
où n est le nombre de données de la série, m est le nombre de groupes liés et ti est le nombre de données dans le groupe d'ordre i.
Si l'échantillon contient dix données ou plus, la loi de la statistique de test Z ci-dessous sera approchée par une gaussienne centrée réduite.
L'hypothèse nulle H0 (absence de tendance) est rejetée lorsque le degré de signification ou la valeur propre (p-value) est supérieure à 5 %. Lorsque H0 est acceptée, la pente de la tendance (appelée pente de Kendall Theil ou pente de Sen) est estimée par la méthode de Sen (SEN, 1968) où la pente est la médiane de toutes les pentes calculées entre chaque paire de points. La robustesse du test a été validée par plusieurs essais de comparaison (YUE et WANG, 2004; LUBES-NIEL et al., 1998).
En vue d’étudier la stationnarité ou non des précipitations dans la Mitidja, on a opté pour trois méthodes différentes : le test de Pettitt (PETTITT, 1979), la statistique U de Buishand (BUISHAND, 1984) et la procédure bayésienne de Lee et Heghinian (LEE et HEGHINIAN, 1977). Une série pluviométrique non stationnaire présente une rupture qui se traduit par un changement de la moyenne.
L’appréciation des résultats des tests de Pettitt et de Buishand est basée sur la classification des valeurs de la probabilité associée (PA) (PATUREL et al., 1997). Selon les classes de PA, une rupture peut être très significative (PA < 1 %), significative (PA varie de 1 à 5 %) ou peu significative (PA varie de 5 à 20 %). La série pluviométrique analysée est considérée comme homogène lorsque PA > 20 %. Le test de Pettitt, qui dérive du test de Mann-Whitney, est non paramétrique. L’absence de rupture dans la série temporelle correspond à l’hypothèse nulle H0. Elle est testée par la statistique Ut, n considérée pour l’ensemble des valeurs de t allant de 1 à n.
où xi correspond au vecteur de données et
Pour tester H0, on utilise la variable Kn, avec .
Dans l’approche de Buishand, on définit la statistique U par :
où pour k = 1,…, n et Dx correspond à l’écart type de la série chronologique.
La statistique U de Buishand et la procédure bayésienne de Lee et Heghinian suppose une série de variables aléatoires x1, x2,…xn qui reposent sur le modèle suivant :
Les εi sont indépendants et normalement distribués, de moyenne nulle et de variance σ2. Les variables τ, μ, δ et σ correspondent à des paramètres inconnus vérifiant :
Le changement éventuel (dans la position et l’amplitude) correspond au mode des distributions a posteriori de τ (position de la rupture dans le temps) et δ (l’amplitude du changement sur la moyenne).
Bien que la procédure bayésienne permette d’identifier, de façon claire et rapide, la rupture (changement de moyenne), cette approche suppose une rupture unique dans la série de variables et ne propose aucun test pour vérifier cette hypothèse (LANG et al., 2003). Lorsqu’une rupture est détectée dans une série pluviométrique, on s’intéresse au calcul de la variation de la moyenne de part et d’autre de cette rupture exprimée par la formule suivante (ARDOIN-BARDIN, 2004) : D=( x̄j/x̄i)-1, où x̄j représente la moyenne de la série sur la période après la rupture et x̄i la moyenne de la série sur la période avant la rupture.
Afin de détecter les ruptures dans les enregistrements pluviométriques, on a opté pour les méthodes ci-dessus pour leur fondement fort et les multiples avantages qu’elles présentent (AKA et al., 1996).
Le comblement de lacunes, le test de tendance ainsi que les tests d’homogénéité (test de Pettitt et la statistique de Buishand) ont été effectués sous Xlstat (version d’essai sur https://www.xlstat.com/fr/). Le test de Lee et Heghinian a été effectué sous Khronostat (logiciel open source proposé par le département d’Hydrosciences - Université de Montpellier).
3. Résultats
Une variabilité pluviométrique se dégage explicitement dans la représentation graphique des précipitations annuelles de la station de Hamiz barrage sur la période 1905-2010 (Figure 2). La moyenne de cette série est de l’ordre de 765 mm. L’analyse de ce graphique permet de noter une période humide avant 1973 et une période sèche entre 1973 et 2001, où l’on enregistre la valeur minimale de 341 mm en 1996. La transition entre ces deux épisodes se traduit par une baisse des précipitations de 17 %. L’application du test de Mann-Kendall a révélé que la tendance à long terme de la série des précipitations à cette station est statistiquement significative au seuil de 10 % (Tableau 2). Il en est de même de celle des stations d’El Hamdania et de Boufarik pépinière. Toutefois, pour cette dernière station, la tendance est significative au seuil de 5 %. Afin d’illustrer la tendance à la baisse détectée, la figure 3 montre l’évolution des précipitations annuelles accompagnée de la tendance calculée pour la station de Boufarik p. (ligne continue). Dans cette figure, les lignes pointillées correspondent à la valeur de la tendance additionnée (ligne au-dessus de la tendance) ou soustraite (ligne en-dessous de la tendance) d’une valeur de deux fois l’écart-type de la précipitation annuelle enregistrée à la station de Boufarik p. Les lignes pointillées peuvent donc être assimilés aux bornes supérieures et inférieures de l’intervalle de confiance à 95 % de la précipitation annuelle.
Le test de Pettitt, la statistique U de Buishand et la procédure de Lee et Heghinian ont été utilisés pour détecter l’année de changement dans la moyenne, appelée « année de rupture ». Ces tests d'homogénéité ne permettent de déceler qu'une seule rupture à la fois dans une série d'observations. Dans une première étape, on a procédé à l'application de ces trois tests sur les séries qui couvrent la période de sécheresse identifiée précédemment entre 1973 et 2001 (Figure 2). Les stations de Réghaïa et La Passerelle sont écartées, dans cette première étape, car l'enregistrement des précipitations à ces stations débute respectivement en 1980 et 1977. Les résultats sont présentés dans le tableau 3. La série de Hamiz barrage présente une rupture significative en 1972 (Figure 4). À la station de Dar El Beida, une rupture significative est détectée durant les années 1980 (Figure 5a et 5b). La station de Boufarik p. révèle une rupture très significative en 1986 (Figure 6). Bien que le test de Buishand montre une rupture sans changement de la moyenne en 1973 à Larbâa, et que le test de Pettitt détecte une rupture en 1974 à la station d’El Hamdania, on considère que ces deux séries sont homogènes, car la probabilité associée est supérieure à 20 %. Le test de Lee et Heghinian a permis de déceler une rupture durant la première moitié des années 1970 dans la Mitidja, sauf à Dar El Beida et Boufarik p. où la rupture se situe en 1989 et 1986 respectivement. Ces résultats viennent appuyer l’existence de la rupture détectée par les tests de Pettitt et de Buishand. Les différences des moyennes avant et après les ruptures décelées au niveau de ces trois stations (Hamiz barrage, Dar El Beida et Boufarik p.) indiquent une diminution des précipitations qui varie d'Est en Ouest de 16 % à 24 %.
Dans une deuxième étape, on s’intéresse à la détermination de la fin de la période sèche et la reprise de la période humide. Pour cela, on applique les tests statistiques sur la période d’observation qui commence après la première rupture en 1973 et s’étale jusqu’à la fin de la série. Dans cette étape, les stations de Réghaïa et La Passerelle sont incluses et l’analyse sera appliquée sur les huit séries pluviométriques. Le tableau 4 réunit les résultats obtenus dans cette étape.
Les résultats des différents tests sont similaires et marquent le début des années 2000. À la station de Réghaïa, l'année 2001 marque une rupture significative des précipitations avec une hausse de 31,4 % selon les résultats du test de Pettitt (Figure 7). Pour les stations de Hamiz barrage et d'El Hamdania, une rupture peu significative a été mise en évidence en 2001. Les séries de Larbâa, Dar El Beida, La Passerelle et Boumedfaa sont considérées homogènes, car la probabilité associée est supérieure à 20 % (tests de Pettitt et de Buishand); par contre, le test de Lee et Heghinian montre une rupture en 2001 aux stations de Larbâa et La Passerelle. Concernant la série de Boufarik p., on détecte une rupture peu significative en 1986 par le test de Buishand qui est confirmée par le test de Lee et Heghinian (c'est la même rupture décelée précédemment sur la période 1951-2008). On constate que cette série présente une seule rupture sur toute la période d'enregistrement des précipitations (1951-2008). Le test de Lee et Heghinian confirme la rupture en 2001 dans les stations de Réghaïa, Hamiz barrage et El Hamdania. Par contre, selon le même test, les enregistrements pluviométriques de Dar El Beida et de Boumedfaa ne montrent pas de rupture.
4. Discussion
L’étude de l’évolution spatio-temporelle du régime pluviométrique d’un bassin est basée sur l’historique des précipitations. De plus, la fiabilité de cette étude revient essentiellement à la répartition spatiale du réseau pluviométrique, sa densité, ainsi que la longueur des séries de mesure. Dans la région du Maghreb, les stations pluviométriques sont en général mal réparties et constituent des réseaux de faible densité (GHENIM et MEGNOUNIF, 2013) qui présentent souvent des lacunes. Cette contrainte a été constatée dans la Mitidja et a limité notre choix à huit stations sur 24 installées dans le bassin. Cependant, les apports pluviométriques dans les stations sélectionnées montrent une faible variabilité spatiale du fait que la zone d’étude est de faible étendue (1 300 km2) et les stations se situent à des altitudes relativement voisines.
De la présente étude ressort un changement dans la moyenne des précipitations annuelles (1905-2010) dès le début des années 1970, exprimé par une baisse de l’ordre de 17 %. En s’appuyant sur le test de Mann-Kendall, l’hypothèse de tendance a été écartée dans la majorité des séries analysées. Cependant, une succession de périodes humides et sèches a été déterminée au moyen des tests d’homogénéité. La première rupture, détectée dans les années 1970, a été notable par un déficit pluviométrique qui a atteint 24 %. Cette situation critique a duré trois décennies dans la Mitidja, qui a connu une sécheresse entre le début des années 1970 et le début des années 2000. Cette période sèche a été accompagnée par un déficit pluviométrique de 16 % à 20 % (NEZZAL et IFTINI-BELAID, 2013; MEDDI et MEDDI, 2009). La deuxième rupture du régime pluviométrique, qui correspond au retour de la période humide après une longue sécheresse, a été décelée dans la majorité des stations de mesure en 2001. Ce nouveau changement s’est manifesté par une hausse des précipitations évaluée à 31,4 % à la station de Réghaïa.
De nombreux auteurs se sont intéressés à la problématique de la variabilité climatique. À titre de comparaison avec les résultats obtenus dans notre travail, on cite certains travaux effectués à différentes échelles. Il est important de noter que la sécheresse identifiée dans la Mitidja s’est étalée à l'échelle du Nord-Ouest algérien. Le déficit pluviométrique est évalué dans les bassins versants de la Mactaa et Ghriss entre 27 % et 36 % (MEDDI et MEDDI, 2009) et dans la Tafna, de 23 % à 36 % (GHENIM et MEGNOUNIF, 2013). Les répercussions de ce déficit s’expriment par une baisse des écoulements dans la Haute Tafna estimée à 69 % (GHENIM et al., 2010) et une chute alarmante du niveau piézométrique mesurée à 60 m dans la plaine de Ghriss (BEKKOUSSA et al., 2008). Dans une étude menée à l’échelle de l’Algérie du Nord sur la période 1961-1990, on note que les précipitations, variant de 689 mm∙a-1 à l’Est (Annaba) à 377 mm∙a-1 à l’Ouest (Oran), ont tendance à diminuer dans la région occidentale (TAIBI et al., 2019). Cette tendance est expliquée par la relation établie entre la variabilité des précipitations annuelles et l’Oscillation australe El Niño (ENSO) (TAIBI et al., 2015; MEDDI et al., 2010).
Ce phénomène de variabilité climatique a été également révélé au Maroc septentrional avec une rupture située entre 1968 et 1984. Cette dernière a été caractérisée par un déficit pluviométrique variant de 15 % à 30 % de la bordure atlantique à la limite orientale (SEBBAR et al., 2011). Dans une étude similaire en Tunisie centrale, les pluies journalières supérieures à 30 mm ont significativement baissé entre 1976 et 1989 (de 10 % à 35 %) conduisant à une diminution des écoulements superficiels (KINGUMBI et al., 2001; KINGUMBI et al., 2005). De plus, dans la région du Maghreb, on a constaté, d’une part, une forte tendance négative des précipitations et du nombre de jours de pluie, et d’autre part, une augmentation de la durée des périodes sèches, principalement au Maroc et en l’Algérie occidentale (TRAMBLAY et al., 2013) avec une sécheresse qui s’est étalée de 1961 à 1990 (ZITTIS, 2017). Plus à l’Est, il a été constaté une tendance significative à la baisse dans la deuxième moitié du XXe siècle des précipitations annuelles et du nombre de jours de pluie dans 19 % et 23 % des séries analysées sur l’ensemble de l’Égypte (EL-HAGRSY et al., 2018). Cette évolution a été vérifiée à l’échelle de la région est du bassin méditerranéen (HAFEZ, 2018). Comme dans sa partie orientale et sur sa rive sud, le bassin de la Méditerranée a subi les conséquences de la variabilité climatique. Une baisse des précipitations a été identifiée dans plusieurs régions de la rive nord du bassin telles que l’Espagne (DE LUIS et al., 2000; SINOGA et al., 2011), l’Italie (LONGOBARDI et VILLANI, 2009; CALOIERO et al., 2011) et la Grèce (XOPLAKI et al., 2000; FEIDAS et al., 2007).
Devant le bilan des études mentionnées et les résultats du présent travail, on conclut que les précipitations dans la zone d’étude montrent un comportement similaire à celui identifié à l’échelle de la Mitidja, de l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie et Tunisie) ou encore de la région orientale et la rive nord du bassin méditerranéen.
5. Conclusion
Vers la fin du XXe siècle, le bassin versant de la Mitidja a enregistré une baisse remarquable des précipitations. De l’analyse de l’évolution de ces précipitations à la station de Hamiz barrage entre 1905 et 2010, on a déduit une variabilité climatique marquée par une période sèche entre 1970 et 2001.
L’approche statistique appliquée sur les huit séries pluviométriques enregistrées dans la zone d’étude a abouti à la caractérisation de l’évolution des précipitations dans la Mitidja. On note que dans notre travail, on a exclu l’idée d’une tendance généralisée sur l’ensemble de la zone d’étude en s’appuyant sur le test non paramétrique de Mann-Kendall exécuté à un seuil de signification de 5 %. Cependant, la station de Boufarik p., qui montre une tendance à la baisse (la pente de Sen est de -3,693), ne représente que l’aire couverte par cette station. De plus, cette tendance détectée ne peut, en aucun cas, être extrapolée sur tout le bassin de la Mitidja.
Quant à l’éventualité de déterminer des périodes caractéristiques de l’évolution pluviométrique dans la Mitidja, la présente étude n'a pas obtenu de résultats clairs. En appliquant trois méthodes statistiques différentes (le test de Pettitt, la statistique U de Buishand et la procédure bayésienne de Lee et Heghinian), on a conclu que sur la période d’observation, les précipitations de la Mitidja ont connu trois périodes distinctes. Entre les années 1970 et le début des années 2000, on a détecté une sécheresse située entre deux périodes humides (une période humide déterminée avant les années 1970 et une autre période humide décelée à partir de 2002). Cette phase critique a été caractérisée par un déficit pluviométrique de 16 % à 24 %. La fin de la sécheresse sévère a été annoncée par l’installation d’une période humide à partir de 2002 marquée par une hausse des précipitations évaluée de 31,4 % dans la station de Réghaïa.
Il est important de signaler que le niveau piézométrique a baissé de 12 m dans la Mitidja orientale pendant la période de sécheresse (NEZZAL et IFTINI, 2012) et qu’un rabattement maximal de 19 m a été relevé dans le champ de captage des eucalyptus à l’Est de la Mitidja en 1990. À partir de ces observations et sachant que la recharge de la nappe d’eau de la Mitidja se fait essentiellement par les eaux de la pluie, il sera intéressant d’étudier le comportement futur des précipitations dans la Mitidja et de prévoir son impact sur la ressource en eau souterraine afin de préserver cette richesse hydrique et protéger la population des menaces hydroclimatiques.
Appendices
Références bibliographiques
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