Abstracts
Résumé
Depuis les années 1920, la ville de Zinder est confrontée à une pénurie récurrente d’eau de consommation dont les causes sont diversement interprétées selon les contextes et les périodes. Ce travail propose des regards croisés pour appréhender la profondeur du problème. À partir d’un inventaire de récits étiologiques analysés avec les outils de la mythocritique d’une part, des données hydrométriques et des enquêtes d’autre part, les questions relatives à la production et à la gestion de l’eau, au pessimisme des populations quant à une solution définitive sont étudiées. Les analyses croisées mettent en évidence trois principales explications. D’abord, l’imaginaire populaire enseigne que la pénurie d’eau trouve son explication dans des mythes qui, loin d’être de simples ornements culturels, s’inscrivent dans une perspective de légitimation d’un pouvoir face à des envahisseurs à la peau blanche. Ensuite, l’analyse de débits des forages met en exergue la faible disponibilité de la ressource du fait du soubassement cristallin très peu altéré. Ainsi, sur une quinzaine de forages échantillonnés autour de la ville, la productivité moyenne est de 0,57 m3∙h-1 (±0,47). Soixante pour cent des forages ont un débit inférieur à la moyenne et sont à peine considérés comme productifs. Enfin, les volumes d’eau produits par les stations de pompage sont toujours inférieurs aux besoins croissants des usagers. Les infrastructures hydrauliques réalisées et les arguments scientifiques fournis convainquent de moins en moins les populations quant à la résolution définitive de la pénurie d’eau. De ce fait, selon l’interlocuteur ou l’échelle spatiale d’analyse, la pénurie s’interprète comme une donnée naturelle, économique et sociopolitique. Pour gérer cette pénurie, les structures d’exploitation de l’eau de la ville ont développé des stratégies telles que le délestage, l’utilisation de « bons » d’accès à l’eau et la limitation des branchements.
Mots-clés:
- eau,
- mythe de l’eau,
- gestion de l’eau,
- Zinder,
- Sahel
Abstract
The town of Zinder has been confronted to a recurring drinking water scarcity since the 1920’s. The causes of this problem are diversely interpreted according to the contexts and periods. This paper proposes a critical look at this situation for a better understanding of the problem. From an inventory of etiological narratives analyzed with the tools of the myth critique, on the one hand, hydrometric data and surveys, on the other hand, questions relating to the production and management of water, as well as people’s pessimism as to a definitive solution to this problem are studied. Cross-analyses highlight three main explanations of the issue of water in Zinder. The popular imagination teaches that the lack of water finds its explanation in myths, which far from being mere cultural ornaments, are part of a perspective of legitimizing African people’s power against the white-skinned invaders. In addition, drilling flow analysis reveals there is a low availability of water resource due to the crystalline subsoil, which has been very little altered. Thus, of the fifteen or so water drilling points sampled around the city, the average productivity is 0.57 m3∙h-1 (±0.47). Sixty percent of water drilling points have below the average flow; therefore, they are barely considered as productive. Finally, the volumes of water produced by pumping stations are always lower than the increasing needs of the population. To manage the shortage, the city’s water management services have developed strategies such as the use of water access voucher, the limitation of connections and selective water cut. Despite the building of hydraulic infrastructures and the scientific arguments, the populations are less and less convinced about the definitive resolution of this problem due to the persistence of the shortage. Therefore, depending on the informants and the spatial scale of analysis, the shortage can be explained as a natural, economic, and socio-political issue.
Key words:
- water,
- water myth,
- water management,
- Zinder,
- Sahel
Article body
1. Introduction
La pénurie d’eau est une contrainte trop bien connue dans toutes les zones arides. Ces dernières hébergent environ 21 % de la population mondiale et ne reçoivent que 2,2 % du débit mondial des rivières (DE MARSILY, 2008). Cependant, la réalité et les causes de la pénurie peuvent être diversement appréciées. Elles peuvent certes, être liées à un déficit physique (FRANÇOIS, 2006) résultant d’une insuffisance quantitative et/ou qualitative de la ressource hydrique disponible par rapport à la demande, mais aussi à des raisons socioéconomiques (FRANÇOIS, 2006; HONEGGER et BRAVARD, 2005). En effet, l’accès à l’eau est un révélateur des inégalités sociales et illustre plus généralement les problèmes de développement. Cette appréhension est clairement ressortie dans la caractérisation de pénurie en eau établie par l’Institut international de gestion de l'eau (IWMI, 2007). Cette caractérisation montre que la quasi-totalité de l’Afrique subsaharienne est exposée à une pénurie d’eau économique, provoquée par un manque d’investissement, bien que l’eau soit disponible physiquement. La pénurie d’eau peut aussi être une construction sociale (ALEXANDRE, 2005; DE KERVASDOUE et VORON, 2012), un instrument politique, géopolitique et/ou médiatique (DANDA, 2004; LASSERRE et DESCROIX, 2011; TENIERE-BUCHOT, 2000) par la diffusion d’arguments plus ou moins stéréotypés. L’eau est un facteur primordial de développement et sa rareté une vraie contrainte au développement. Dans la ville de Zinder, la deuxième plus grande du Niger en termes de démographie, où la pénurie en eau est symptomatique depuis un siècle, la rareté de l’eau a suscité et suscite encore des discours déterministes, religieux et politiques. Au-delà du déficit physique et des contraintes économiques, la pénurie peut se convertir en un discours de légitimation des différentes formes de pouvoir en présence, politique ou religieux notamment. De ce fait, la question de pénurie d’eau est toujours abordée avec délicatesse. Les discours se mêlent, les avis se cristallisent et il est souvent difficile, même pour les scientifiques, d’imposer une acception commune ou convergente sur les causes de la pénurie. Cet article propose des regards croisés sur différentes causes de la pénurie d’eau et son évolution à Zinder.
2. Cadre géographique de l’étude
La ville de Zinder est située en plein coeur de la zone sahélienne. Le cumul pluviométrique moyen interannuel y est de 460 mm (±130). De 1905 à 2018, les conditions pluviométriques ont connu deux ruptures climatiques (ABDOU et al., 2016). La première, intervenue en 1966, est négative (-24 % par rapport au cumul 1905-1966) et la seconde, positive (+22 % par rapport au cumul 1905-1966) est observée en 1997 à l’image de tous les pays du Sahel Central (ALI et al., 2008). Les pluies s’observent entre les mois de juin et d’octobre. Mais du fait des fortes températures (37 à 40 °C pour les maxima et 27 à 32 °C pour les minima), seuls les cumuls des mois de juillet et d’août satisfont aux demandes évaporatoires mensuelles. Par ailleurs, la ville, sise sur les formations cristallines du Damagaram-Mounio (Figure 1), ne dispose que des nappes discontinues de socle soumises à l’irrégularité des apports pluviométriques. Cela constitue un facteur potentiel et intrinsèque d’indisponibilité ou d’inaccessibilité à l’eau.
3. Méthodologie
3.1 Inventaire des récits étiologiques
Pour comprendre cet aspect du problème, plusieurs entretiens ont été réalisés afin de collecter des mythes étiologiques à travers lesquels les populations tentent d’expliquer les origines de la pénurie. L’approche par entretien a été privilégiée grâce aux interactions directes qu’elle implique avec les interlocuteurs. Ces derniers sont préférentiellement des personnes âgées de plus de 65 ans et qui sont souvent détenteurs des savoirs précieux. Par ailleurs, il est aussi fait recours aux archives et supports iconographiques de l’administration coloniale en lien avec l’accès à l’eau à Zinder.
3.2 Analyse des données hydrométriques
Pour appréhender la disponibilité et l’accessibilité à l’eau, sont analysés la productivité de quelques forages situés dans le socle du Damagaram-Mounio et les volumes d’eau produits par les différentes stations de pompage qui alimentent la ville. Ces données ont été respectivement recueillies auprès de la Direction Régionale de l’Hydraulique et de la Société d’Exploitation des Eaux du Niger (SEEN) qui sont en charge des mesures. Les besoins en eau ont été déterminés en considérant le standard moyen de consommation des branchements collectifs qui est de 50 L par habitant par jour au Niger (MHE et SNE, 1996) et en connaissant l’effectif de la population de la ville. Ces analyses sont ensuite complétées par des enquêtes réalisées en 2015 et en 2019 sur la perception et le vécu de la pénurie.
4. Résultats et discussion
4.1 Pénurie d’eau à Zinder, une construction sociale autour des mythes
Les résultats des enquêtes ont permis d’identifier plusieurs mythes en relation avec le problème d’eau. Nous en rapportons deux ci-dessous tendant à qualifier la pénurie de « fabriquée ».
Le premier récit montre que Zinder ne connaissait pas de problème d’eau. Il y avait partout des mares permanentes. Il pleuvait abondamment et des inondations y étaient fréquentes. Dans les puits, l’eau était à la portée de main. Il suffisait de s’agenouiller avec une calebasse pour en puiser. Mais suite à un incident, la pénurie serait créée par la volonté d’un « saint ». Cette assertion est illustrée par le mythe « de la malédiction du saint homme », rapporté par un septuagénaire de Zinder qui disait ceci : « Un jour, un marabout voyageant sur son cheval arriva vers midi au puits Rijia Makahi. Il trouva une femme, lui demanda de l’eau pour lui et son cheval. La femme lui requit d’attendre. L’homme accepta. La femme remplit sa jarre, la posa sur sa tête et dit : " Je ne donne pas de l’eau à boire à un étranger à plus forte raison à un cheval. " L’homme ne dit rien et continuait son chemin vers l’ouest. Il arriva à Kanya où il trouva aux abords d’un puits un groupe de femmes, qui en l’apercevant, coururent à sa rencontre, lui offrirent à boire et à son cheval. L’homme en les quittant dit : " En venant ici, je suis passé par un puits. J’ai trouvé une femme qui me refusa de l’eau. À compter d’aujourd’hui, les habitants du village de cette femme viendront chercher de l’eau ici. Ils manqueront toujours d’eau. " Et depuis lors, Zinder avait toujours connu la pénurie d’eau à cause du comportement de cette femme qui avait manqué de respect à un saint ».
Le deuxième récit lie la pénurie à un stratagème destiné à « chasser des blancs » attirés par l’abondance de l’eau. D’après un interlocuteur : « L’eau jaillissait de la terre. Et voilà qu’arrivèrent, on ne sait d’où, des hommes à peau blanche. Pour s’installer, ils tuèrent le sultan et firent travailler même les marabouts de force. Il fallait mettre fin à la situation. Les marabouts se retirèrent dans une grotte et prièrent le Bon Dieu d’installer une pénurie d’eau pendant deux cents ans. Dieu exauça leurs prières. Il ne pleuvait plus. On ne trouvait plus de l’eau dans les puits. Les peaux blanches étaient obligées de partir vers le Grand fleuve. Cinquante ans après, l’eau devenait rare. Les habitants souffraient. Les marabouts avaient prié pour deux cents ans de pénurie. Ils ne pouvaient pas revenir sur ce que Dieu leur avait donné. La situation était intenable. Il fallait trouver un moyen pour le retour de l’eau. Il fallait demander le soutien d’autres marabouts. C’est ainsi que le sultan fit appel à Cheick Niass du Sénégal. Il vint à Zinder prier pour le retour de l’eau. Au troisième jour de ses prières fut créé le premier grenier d’eau (château d’eau) sur la colline de Birni. Cela n’a pas mis fin à la pénurie. Il faut nécessairement que les deux cents ans demandés par les marabouts arrivent à terme pour que le problème de l’eau soit résolu ». Les 200 ans commencèrent à partir de 1900, date de la création du territoire militaire de Zinder par les Français, après avoir étouffé la résistance à l’occupation dirigée par le sultan Amadou Kouran Daga.
Dans ces récits, l’assertion sur l’abondance de la pluviométrie à Zinder est vérifiée par les relevés climatologiques. En effet, entre 1905 et 1908, le cumul moyen annuel est de 560 mm, contre 460 mm actuellement. D’ailleurs, avec un cumul de 835 mm, l’année 1906 détient toujours le record des fortes pluies enregistrées depuis l’installation des stations de mesure en 1905 (Figure 2).
Concernant la disponibilité de l’eau évoquée dans les récits, le commandant du Troisième territoire du Haut Sénégal-Niger signalait, à son arrivée à Zinder en 1900 (MOLL, 1900), que l’eau se trouvait en quantité suffisante dans les mares et puits; l’arboriculture (citronnier, dattier) et le maraichage étaient en vogue. Cela est ensuite confirmé par le commandant du territoire du Niger (VENEL, 1909) qui notifiait que l’eau est à environ 10 m dans les puits. La figure 3, image prise pendant la mission saharienne de Foureau-Lamy (1898-1900), illustre l’approvisionnement direct en eau (sans puisette) dans un puits de Zinder.
Ces mythes sont construits sur deux réalités de la ville. D’une part, Zinder est depuis les années 1850 un état islamique puissant (LEFEBVRE, 2017), carrefour commercial servant de relais entre les villes maghrébines, du Nord Nigeria et celles de l’empire du Bornou, d’où elle est issue (SALIFOU, 1971). Le pouvoir mystique des marabouts est incontestable et s’applique à toutes les pratiques quotidiennes. Les deux récits mettent en évidence ce pouvoir qui semble être à l’origine de la pénurie. D’autre part, le deuxième récit reflète la mémoire collective sur l’arrivée de la mission militaire coloniale se rendant au Tchad dont la troupe, composée de plus de 1 800 personnes et des animaux, consommait en moyenne 40 t d’eau par jour (LEFEBVRE, 2019). Le passage de cette mission est soldé par la mort du sultan Amadou Kouran Daga.
Pourquoi prendre en compte des mythes relevant du domaine de l’irrationnel dans l’étude du problème d’eau ? En effet, selon LEAVITT (2005) : « Dire d’une histoire qu’elle est un mythe équivaut à l’appeler mensonge, mais un mensonge que l’autre prend pour vrai; le mythe est donc la vérité crue de l’autre ». Le pessimisme des habitants est ici fondé sur les éléments des croyances populaires à partir desquels ils tentent d’expliquer la pénurie d’eau. Les récits rapportés mettent en exergue le pouvoir mystique des marabouts. Pour faire adhérer l’opinion à cette doctrine, il faut un discours fédérateur autour d’un problème concret, vécu au quotidien par tous. La pénurie d’eau est plus qu’un argument d’autorité. Elle permet de légitimer ce pouvoir. Aussi, pour faire accepter l’étranger comme principal responsable de la pénurie d’eau, l’argument idéologique développé autour de la pénurie d’eau est-il l’anticolonialisme.
4.2 Pénurie d’eau, une donnée naturelle et économique
La situation de la ville de Zinder sur le socle cristallin du Damagaram-Mounio limite la disponibilité de l’eau. En effet, l’analyse de la productivité des forages situés dans la zone d’affleurement montre que ces derniers ont un débit très faible (Figure 4). Sur les 15 forages échantillonnés, le débit moyen est de 0,57 m3∙h-1 (±0,47). Avec de tels débits, il faudrait plus de 1 460 forages actifs 24 h/24 pour satisfaire le besoin journalier en eau de la ville qui est de l’ordre de 20 000 m3, auxquels s’ajoute l’approvisionnement des villages environnants. De nos jours, on ne compte que 45 forages destinés à l’alimentation de la ville. Le débit est très fluctuant d’un forage à l’autre comme l’indique l’écart-type. Soixante pour cent de forages ont un débit inférieur à la moyenne et sont à peine productifs, en considérant le seuil de productivité fixé à 0,5 m3∙h-1 (BRGM, 1987). Le taux d’échec des forages est très élevé et peut dépasser les 50 % (SANDAO, 2013) pour des profondeurs de venues d’eau comprises entre 40 et 80 m (BRGM, 1987). Dans ces conditions, la pénurie d’eau de Zinder est donc une contrainte naturelle déterminée par les conditions géologiques. La formation cristalline du Damagaram-Mounio étant quasiment saine, l’infiltration et la recharge des aquifères sont faibles. Les faibles ressources en eau qui y sont localisées dans des zones fissurées discontinues ne peuvent pas être une source d’approvisionnement adéquate.
Nonobstant la faible productivité des forages, la pénurie d’eau à Zinder peut être perçue comme un problème économique tel qu’établi par IWMI (2007). Hormis les zones d’affleurement de socle du Damagaram-Mounio où la productivité est faible, la région administrative de Zinder dispose, en effet, d’importants réservoirs d’eau douce dans les nappes de la Korama (SANDAO, 2013; ZAKARA et al., 1993) et du Continental Intercalaire/Hamadien (OUSMANE, 2004). Cependant, ces potentiels sont peu exploités en raison des contraintes financières. La ville est présentement alimentée par les stations de pompage de Gogo-Machaya (fortement tributaire de la pluie annuelle), d’Aroungouza et de Ganaram, toutes situées hors de la zone d’affleurement (MAMADOU et al., 2016). D’après le journal officiel du Niger, près de 30 milliards de FCFA (≈46 millions €) auraient été investis en une décennie pour l’installation des deux dernières stations (Aroungouza et Ganaram) dont plus de 20 milliards pour la station Ganaram (SANDA, 2013). Et la pénurie d’eau persiste à Zinder car la couverture des besoins n’est toujours pas effective. La production d’eau journalière des stations est de l’ordre de 16 000 m3 (Tableau 1) pour un besoin estimé à près de 20 000 m3, soit un déficit de couverture de 20 % des besoins.
En considérant le standard moyen de consommation des branchements collectifs, estimé à 50 L par habitant par jour (MHE et SNE, 1996), le besoin en eau n’est jamais effectivement couvert au cours des deux dernières décennies (Figure 5).
Entre 2001 et 2004, le taux moyen de couverture des besoins en eau était de 60 %. Avec la mise en place de la station d’Aroungouza en 2005, ce taux est passé à 74 %. La hausse de la production d’eau est très vite compensée par l’augmentation de la population, d’où une décroissance du taux de couverture à 63 % à partir de 2012. Durant cette période, Zinder a connu deux événements démographiques majeurs liés à l’implantation de la Société de Raffinage de Zinder (SORAZ) et de l’Université. La création de ces structures a eu pour effet l’installation des centaines de familles d’employés de classe moyenne et l’arrivée des milliers d’étudiants, d’où une forte augmentation des besoins en eau. Cette forte demande est conjuguée à celle des bétails, car à Zinder, rares sont les familles qui ne possèdent pas d’animaux dans leurs concessions.
Toutefois, la mise en place de la station de pompage de Ganaram en 2016 a significativement amélioré le taux de couverture. Il est au moins de l’ordre de 85 % ces deux dernières années. En conséquence, le prix de l’eau a connu une importante baisse comme le montre la figure 6. Au pic de la pénurie de 2015, un bidon d’eau de 20 L se vendait à 400 FCFA (0,609 €) dans les quartiers périphériques tandis que le coût du mètre cube d’eau était de 127 FCFA (0,193 €) auprès de la Société d’Exploitation des Eaux du Niger (SEEN). De nos jours, le prix du bidon de 20 L dépasse à peine le quart de son prix de 2015. Dans la plupart des quartiers, son prix varie entre 50 et 75 FCFA, avec une baisse beaucoup plus sensible dans les quartiers excentrés, comme le montrent les courbes d’iso-valeur de 2019. Étant donnée la disponibilité des ressources en eau à l’échelle de la région de Zinder, l’analyse de la pénurie sous l’angle de l’inaccessibilité reflète donc une contrainte économique. L’investissement des fonds nécessaires peut résoudre durablement le problème.
4.3 Pénurie d’eau, un problème politique ?
La persistance de la pénurie s’apprécie aussi comme un manque de volonté politique en faveur de sa résolution. Dès les années 1920, le problème d’eau de Zinder était déjà connu. Il est l’un des mobiles avancés pour transférer la capitale de la colonie du Niger de Zinder à Niamey en 1926 (AGENCE NIGÉRIENNE DE PRESSE, 2018; AFRICA NEWS HUB, 2014). Ainsi, durant les 26 ans de l’administration coloniale à Zinder, le problème d’eau n’a pas été résolu par les Français. Au demeurant, ces derniers ont adopté une solution facile (La Roue de l’Histoire No 139 du 15 avril 2003, cité par DANDA, 2004) ayant consisté à transférer la capitale et laisser Zinder avec son problème d’eau. Notons qu’à cette époque, la capacité technologique d’exploitation des réserves d’eau souterraines était bien limitée. La figure 7 illustre la corvée d’eau à Zinder en 1943. On y voit des serviteurs du sultan chargés des récipients, quasi-identiques à ceux présentés sur la figure 3.
À partir de 1955, l’accès à l’eau est conditionné par un bon (Figure 8) distribué aux fonctionnaires par l’Énergie AOF (Afrique-Occidentale française). Cette structure, ancêtre de la Société Africaine de l’Électricité (SAFELEC, créée en 1960) puis de la Société Nigérienne d’Électricité (NIGELEC, créée en 1968), s’occupait de la gestion de l’énergie dans toute l’Afrique-Occidentale française. Pendant les périodes de forte demande en eau, l’Énergie AOF régulait donc l’approvisionnement à travers des « bons de l’eau » de 20 à 100 L selon la taille des familles des administrateurs coloniaux. L’établissement de ces bons pour l’eau, qui semble être une première, met en évidence l’intensité de la pénurie d’eau de la ville à l’époque.
De l’indépendance du Niger en 1960 à nos jours, plusieurs opportunités politiques et économiques permettant la résolution du problème se sont présentées : boom de l’uranium dans les années 1980, élection d’un fils du terroir à la présidence de la République en 1993, création de la Société de Raffinage de Pétrole en 2008. D’après DANDA (2004), la persistance de la pénurie est de ce fait considérée comme le symbole de l’échec des régimes qui se sont succédés. Certains y voient une volonté délibérée d’entretenir la pénurie (NIGERDIASPORA, 2012) tandis que d’autres l’interprètent comme un sabotage orchestré par les gestionnaires de l’eau (MAMADOU et al., 2016). En effet, de l’Énergie AOF à la SEEN (filiale de Veolia créée en 2001) chaque structure a eu recours à des modes de gestion qui sont plus ou moins décriés. Outre le « bon de l’eau », l’Énergie AOF statuait, par exemple, sur le nombre de branchements au réseau d’adduction d’eau (individuels ou collectifs) à réaliser dans la ville chaque année. La limitation de branchement visait à gérer l’eau en fonction de l’offre. Il arrive que le jardinage ou les plantes d’ornement des maisons soient strictement interdits dans la ville.
La SEEN a appliqué des mesures similaires pour faire face à la pénurie. Ainsi, avant l’installation de la station de Ganaram par exemple, la production journalière d’eau des stations de Gogo-Machaya et Aroungouza était de l’ordre de 10 000 m3, soit la moitié des besoins journaliers. Pour limiter la généralisation spatiale du problème à l’échelle de la ville, la SEEN a donc adopté un système de délestage d’un jour sur deux pour alimenter alternativement les deux moitiés de la ville. Le délestage est toujours en vigueur entre février et juillet en dépit de la mise en place de Ganaram. La dimension politique de la pénurie d’eau de Zinder est bien rapportée par DANDA (2004) qui écrivait : « Fatalité, règlement de compte politique, punition divine, toutes sortes d’arguments ont été avancés pour expliquer le problème d’eau à Zinder. Ce dossier zindérois a progressivement perdu de sa dimension technique pour devenir une affaire d’État ».
Quoiqu’il en soit, depuis l’avènement de la démocratie, chaque investissement réalisé dans le cadre du problème d’eau de Zinder devient in fine un objet politique revendiqué. La mise en place de la station d’Aroungouza en 2005 est politiquement récupérée à travers l’image du château d’eau construit à l’occasion (Figure 9a). Cette image devenue emblématique, traduit la résolution du problème d’eau de Zinder sur au moins 50 ans, d’après certains discours politiques (AFRICA NEWS HUB, 2012). Il en est de même pour la station de Ganaram qui a été inaugurée la veille des élections présidentielles de 2016 avec pour slogan « Damagaram goulbi » (Figure 9b). Ce slogan consacre la résolution définitive du problème d’eau de Zinder (NIGERDIASPORA, 2016) à travers le terme goulbi qui veut dire en langue haoussa « source d’eau intarissable ».
5. Conclusion
Au regard des points développés dans cet article, il apparait que la pénurie d’eau de Zinder est un problème multidimensionnel. À l’échelle de la zone d’affleurement du socle de Damagaram-Mounio, elle résulte de l’indisponibilité in situ des ressources en eau, intrinsèque aux zones cristallines. La pénurie devient un problème d’accessibilité dès lors qu’on ramène l’analyse à l’échelle de la région administrative de Zinder qui dispose d’importants potentiels en eau exploitables. En changeant l’échelle spatiale d’analyse (de la zone d’affleurement du socle à la région administrative), les causes de la pénurie passent du déterminisme naturel aux contraintes économiques, traduisant l’insuffisance des investissements nécessaires à la résolution du problème. Celui-ci devient même politique par manque de décisions en faveur de sa résolution et se transforme en une construction sociale à partir de laquelle les populations autochtones ne croient pas en une solution définitive à court terme. Les explications scientifiques et les réalisations d’infrastructures leur apparaissant chimériques, elles croient plus aux mythes qu’elles considèrent comme leurs vérités. Ces mythes sont des reflets d’une réalité historique renforçant l’idéologie dominante locale qui défend l’idée selon laquelle la colonisation est le début du chaos. Ce sont des constructions imaginaires à des fins de légitimation du pouvoir religieux qui dominent encore tous les aspects de la vie.
Appendices
Remerciements
Les auteurs remercient vivement la Direction Régionale de l’Hydraulique et la Société d’Exploitation des Eaux du Niger pour leur disponibilité et leur franche collaboration. Ils remercient également la Bibliothèque Nationale de France pour avoir mis des images d’archives à leur disposition par l’intermédiaire du Maire du 3e arrondissement de la Ville de Zinder, Monsieur Laminou Issaka Brah.
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