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Les traumas sont des expériences pouvant entraîner une peur intense, de l’impuissance, de la confusion ou des réactions dissociatives, et ayant un effet durable sur le fonctionnement (American Psychological Association, 2015). Ces événements peuvent avoir des conséquences durables sur la santé et le fonctionnement des jeunes âgés de 12 à 25 ans (Godbout et al., 2018). L’adolescence et le début de l’âge adulte sont des périodes clés du développement cognitif, social, émotif et sexuel (Vijayakumar et al., 2018) où les blessures traumatiques peuvent entraîner des difficultés de régulation émotionnelle, des comportements autodestructeurs, l’émergence de problèmes de santé mentale, et des difficultés relationnelles, notamment en contexte de relation intime (Godbout et al., 2018; Solmi et al., 2021). Ces difficultés sont associées à des besoins particuliers en termes d’intervention (ex. : dépistage précoce des problèmes de santé mentale et de la violence dans les relations amoureuses). Parallèlement, les divers professionnels et intervenants prodiguant des soins, des services ou de l’encadrement aux jeunes (le terme praticiens sera utilisé dans l’article) ne sont pas toujours formés ou ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour offrir des interventions appropriées au trauma, ce qui peut mener à une approche de soins inadaptée (ex. : utilisation de méthodes de contention physique et d’isolement; Roy et al., 2021). Cette inadéquation entre les besoins et les interventions offertes peut entraîner des conséquences à long terme sur l’adaptation psychosociale des jeunes. Ainsi, l’utilisation d’interventions pouvant adéquatement répondre aux besoins des jeunes ayant vécu des traumas, telles que celles respectant les principes des approches sensibles au trauma (AST), est prometteuse afin de favoriser des interventions efficaces. L’objectif de cette recension systématique est de faire état des retombées des AST sur l’approche de soins (c.-à.-d., toutes caractéristiques relatives au praticien ayant des retombées directes ou indirectes sur sa prestation de soins comme les attitudes, les connaissances, les pratiques, le bien-être, etc.) des praticiens travaillant auprès de jeunes de 12 à 25 ans. Cette recension permettra d’informer la communauté scientifique quant à l’état de la recherche sur les AST et de sensibiliser les organismes offrant des services aux jeunes de la pertinence de cette approche pour leurs praticiens.

Les approches sensibles au trauma

Bien qu’il n’existe pas de consensus quant à une définition opérationnelle des AST (Berliner et Kolko, 2016), ces approches nécessitent habituellement une implantation à plusieurs niveaux organisationnels. Elles impliquent une prise de conscience des répercussions énormes que peuvent avoir un trauma sur le développement et le fonctionnement des individus. Cette philosophie vise à amener les membres d’un organisme à modifier leur approche pour mieux comprendre en quoi les expériences antérieures des utilisateurs de services, notamment les traumas, peuvent expliquer les comportements observés et les difficultés rencontrées (Substance Abuse and Meantal Health Services Association - SAMHSA, 2014). Les AST requièrent donc une reconnaissance des signes et des symptômes associés aux traumas et l’application systématique de ces connaissances dans le cadre des interventions et des décisions organisationnelles. Elles impliquent également de résister activement à la re-traumatisation et de réduire le risque de trauma vicariant pour les employés (détresse psychologique causée par l’exposition au vécu traumatique d’autrui, parfois appelé fatigue de compassion et/ou trauma secondaire) (SAMHSA, 2014). Les AST représentent un changement de paradigme dans la manière d’offrir des soins et des services plutôt qu’une technique d’intervention. Elles sont ainsi mises en oeuvre dans divers milieux offrant des soins et des services à la population et peuvent être utilisées par des praticiens de diverses professions (Harris et Fallot, 2001).

Plusieurs curriculums d’implantation ont été élaborés avec l’objectif de répondre aux réalités des milieux souhaitant mettre en oeuvre une AST (ex. : « Compassionate Schools » (Wolpow et al., 2009); « Risking Connection » (Brown et al., 2012)). Les AST gagnent en popularité (Purtle, 2020) et des études montrent des résultats encourageants quant aux retombées pour les jeunes utilisateurs de services. Entre autres, des études rapportent une réduction des symptômes de trouble de stress post-traumatique (TSPT) (ex. : Kramer, 2016) et des comportements extériorisés (ex. : Izzo et al., 2016) et intériorisés (Hodgdon et al., 2013) chez les jeunes exposés à des efforts d’implantation d’une AST. Les AST montrent également des résultats prometteurs quant aux approches de soins des praticiens, dont une amélioration de leur bien-être au travail (ex. : Schmid et al., 2020), de leurs comportements envers la clientèle (ex. : Brown et al., 2012) et de leurs attitudes envers les AST (ex. : Black et al., 2021). La recension de ces retombées sur les praticiens travaillant auprès des jeunes permet aux organismes d’identifier les meilleures pratiques à mettre en oeuvre pour optimiser les retombées des AST dans leurs services, et ultimement offrir un environnement plus sécurisant et porteur de changement pour les jeunes utilisateurs ayant vécu des traumas.

État des connaissances

Des articles de synthèse portant sur les stratégies d’implantation ou sur les retombées des AST ont été publiés au cours des dernières années (ex. : Bendall et al., 2021). Une recension publiée en 2020 a synthétisé les retombées des AST impliquant une composante de formation du personnel (Purtle, 2020). Elle a démontré que la formation avait des retombées positives sur les connaissances, les attitudes et les comportements des employés et était associée à une réduction de l’utilisation de mesures disciplinaires auprès des usagers (ex. : isolement, références au conseil disciplinaire). Toutefois, cette étude ne documentait pas les retombées d’autres aspects de la mise en oeuvre des AST (ex. : changements des politiques organisationnelles) sur l’approche de soins des employés. Enfin, la recension incluait différents types de clientèle bien que les besoins de diverses populations et les effets des AST sur celles-ci puissent varier (ex. : enfants, aînés). Ainsi, il apparaît essentiel d’examiner les retombées de la mise en oeuvre des AST sur l’approche de soins des praticiens travaillant spécifiquement auprès d’adolescents et de jeunes adultes. La pertinence sociale de cette recension n’est pas négligeable, puisqu’elle permet de fournir des renseignements précis et des recommandations adaptées aux besoins des organismes desservant cette population particulière.

Méthode de recension et objectifs

La présente étude constitue une recension systématique des écrits à méthodes mixtes (Stern et al., 2020), une méthode permettant de combiner les données quantitatives et qualitatives afin de synthétiser les effets quantifiables d’une intervention et l’expérience subjective des individus qui y sont exposés (c.-à-d., les praticiens). Elle permet d’examiner le degré de convergence entre les données quantitatives et qualitatives, mettant ainsi en lumière plus clairement les lacunes scientifiques à combler (Stern et al., 2020). Spécifiquement, cette recension : 1) fait état des effets de l’implantation des AST sur l’approche de soins des praticiens oeuvrant auprès des jeunes âgés de 12 à 25 ans; 2) décrit les processus et stratégies d’implantation utilisés dans les études incluses; 3) effectue une évaluation systématisée de la qualité méthodologique des études. L’objectif 3 permettra d’orienter précisément les études futures. Également, la synthèse des résultats relatifs aux efforts d’implantation concernant l’approche de soins des praticiens revêt une grande pertinence sociale et professionnelle. Elle offre des pistes de réflexion pour les pratiques cliniques et les politiques publiques quant à l’implantation des AST.

Méthode

Stratégie de recherche

Des mots clés et subject headings ont été entrés dans trois bases de données le 27 avril 2022 : 1) MEDLINE Ovid (1946 – 2022); 2) PsycINFO Ovid (1806 – 2022); et 3) SCOPUS. La stratégie de recherche a été bâtie en consultation avec une libraire spécialisée du département d’éducation et de psychologie du counselling de l’Université McGill (la liste complète des mots clés et subject headings est présentée dans la Figure 1. Une recherche manuelle des listes de référence a également été effectuée.

Figure 1

Stratégie de recherche sur la base de données Medline OVID

Stratégie de recherche sur la base de données Medline OVID

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Critères d’inclusion et d’exclusion

Étant donné l’absence de consensus au sujet de la définition des AST (Berliner et Kolko, 2016), seuls les articles en français et en anglais ayant explicitement décrit l’approche à l’étude comme étant « sensible au trauma » (‘Trauma-informed’) ont été inclus. Les articles devaient inclure un échantillon de praticiens (c.-à.-d., un professionnel offrant des services, de l’encadrement ou des soins) travaillant avec des jeunes (de 12 à 25 ans) et avoir examiné au moins un aspect de l’approche de soins des praticiens. Les études ayant aussi inclus d’autres types de professionnels dans leur échantillon (ex. : personnel administratif) ont également été prises en compte. Les études devaient avoir été révisées par des pairs; les thèses/dissertations et chapitres contenant des résultats originaux ont été inclus. Les articles de synthèse ont été exclus. Aucun critère d’inclusion ou d’exclusion en lien avec les autres caractéristiques démographiques des participants ou la date de publication n’a été retenu.

La recherche initiale a engendré 1763 articles; 1631 après retrait des doublons. Ces articles ont été importés dans la plateforme Rayyan (Ouzzani et al., 2016) pour le processus de sélection. Après le filtrage des titres et des résumés, 1590 articles ont été exclus. Les 41 articles restants ont été évalués dans leur entièreté et 29 articles additionnels ont été exclus, ce qui nous a permis de conserver un échantillon de 12 articles. Sept articles additionnels ont été examinés à la suite de la révision des listes de références et deux articles supplémentaires ont été inclus, pour un échantillon final de 14 articles. La majorité des textes exclus l’ont été parce qu’ils n’incluaient pas d’échantillon de praticiens travaillant avec des jeunes de 12 à 25 ans (n = 18); une portion importante des exclusions résultait de l’absence de description de l’implantation d’une AST (ex. : des études incluant l’implantation d’une intervention n’étant pas spécifiquement désignée comme étant « trauma-informed » ou ne mentionnant aucun effort d’implantation) (n = 11). Certains articles ont été exclus parce qu’ils n’examinaient pas l’approche de soins des praticiens (n = 5). La Figure 2 présente visuellement le processus de filtrage.

Extraction des données et processus d’analyse

Afin de répondre aux deux premiers objectifs de cette étude, deux tableaux ont été conçus pour l’extraction des données. Ils incluent la méthodologie de l’étude, l’échantillon, le processus d’implantation de l’AST, les mesures et les principaux résultats. La présentation des résultats suit une méthode de synthèse ségréguée convergente (Stern et al., 2020) permettant l’analyse complète et indépendante, puis intégrée, des résultats quantitatifs et qualitatifs : 1) synthèse des thèmes issus des études quantitatives; 2) synthèse des thèmes des études qualitatives; et 3) juxtaposition des sections quantitatives et qualitatives pour présenter une intégration des retombées des AST sur l’approche de soins des praticiens. Pour répondre au troisième objectif de l’étude, les 14 articles ont été évalués relativement à leurs qualités méthodologiques à l’aide d’un outil développé par Hong et ses collègues (MMAT - Mixed Methods Appraisal Tool, 2018). Le MMAT permet l’évaluation de cinq types d’études (qualitatives, contrôlées et randomisées, non randomisées, quantitatives descriptives, à méthodes mixtes). Les auteurs déconseillent l’attribution de scores et recommandent plutôt une comparaison qualitative des études évaluées (Hong et al., 2018).

Figure 2

Organigramme PRISMA

Organigramme PRISMA

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Résultats

Les tableaux 1 et 2 présentent les données extraites des études incluses (n = 14), toutes publiées entre 2012 et 2021. Neuf études provenaient des États-Unis, deux du Canada, et trois respectivement d’Australie, de Suisse et d’Irlande. Neuf études quantitatives, deux études qualitatives et trois études à devis mixte ont été identifiées. Pour une des études à devis mixte (MacLochlainn et al., 2022), seuls les résultats quantitatifs de l’étude ont été inclus puisque les résultats qualitatifs ne correspondaient pas aux objectifs de cette synthèse. Neuf études impliquaient des intervenants en protection de la jeunesse ou en centre d’hébergement. Deux études incluaient des praticiens en agence gouvernementale multisectorielle et deux autres des professionnels de la santé. Une seule étude incluait des membres du milieu scolaire. Pour ce qui était des curriculums, dans trois études le curriculum « Sanctuary » (Esaki et al., 2013) a été utilisé, dans quatre autres il s’agissait du modèle de la SAMHSA (SAMHSA, 2014) et l’une d’entre elles incluait également les principes du modèle « Attachement, Regulation, and Competency » (ARC) (Blaustein et Kinniburgh, 2018). Dans deux études, les auteurs ont utilisé le modèle « Risking Connections » (Brown et al., 2012); et dans deux autres, le curriculum du « National Child Traumatic Stress Network » (Child Welfare Collaborative Group, 2008). Dans trois autres études, les chercheurs ont fait appel respectivement au modèle de Hopper (Hopper et al., 2010), « Compassionate Schools » (Wolpow et al., 2009) et au modèle ARCHES (« Addressing Reproductive Coercion in Health Settings ») (Tancredi et al., 2015). Un programme de formation portant sur les AST était mentionné dans toutes les études. Dans cinq études, un comité d’implantation ou une forme de partenariat recherche-milieux a été mis en place. Dans quatre études, un système d’accès à de la consultation clinique ou à un « expert des AST » dans le cadre de l’implantation de l’AST a été intégré. Un plan de mise en oeuvre de pratiques sensibles au trauma a été émis dans le cadre de trois études et un outil de dépistage du trauma a été introduit au sein de deux études. Finalement, dans deux études, une équipe de soutien au bien-être des employés a été mise en place et dans deux autres un outil pédagogique en lien avec l’AST a été diffusé. Le questionnaire « Attitudes Related to Trauma Informed Care » (ARTIC; Baker et al., 2016) a été soumis dans le cadre de quatre études et celui intitulé « Professional Quality of Life » (ProQOL; Stamm, 2009) dans le cadre de trois autres. Les autres études mesurant les connaissances sur les AST ont été réalisées grâce à des outils différents (Tableau 2).

Tableau 1

Processus d'implantation d'approches sensibles au trauma auprès des praticiens travaillant avec des jeunes (12 à 25 ans)

Processus d'implantation d'approches sensibles au trauma auprès des praticiens travaillant avec des jeunes (12 à 25 ans)

Notes. a Substance Abuse and Mental Health Services Administration

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Tableau 2

Méthodologie et résultats des études sur l'implantation d'une approche sensible au trauma auprès de praticiens travaillant avec des jeunes (12 à 25 ans)

Méthodologie et résultats des études sur l'implantation d'une approche sensible au trauma auprès de praticiens travaillant avec des jeunes (12 à 25 ans)

Notes. a Knowledge of Evidence-Based Services Questionnaires

           b Evidence-Based Practice Attitude Scale

           c Attitudes related to Trauma Informed Care

           d Risking Connection Curriculum Assessment

           e Trauma-Informed Belief Measure

           f Staff Behavior in the Milieu

           g Trauma System Readiness Tool

           h Professional Quality of Life

           i Safety Attitudes Questionnaire

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Efficacité des stratégies d’implantation – Études quantitatives

Attitudes et croyances

Ce thème a été exploré dans huit études et dans six d’entre elles, les auteurs ont noté une amélioration. Par exemple, une plus grande ouverture à interpréter les comportements problématiques émis par les jeunes recevant des soins et des services comme étant adaptifs et malléables a été observée. Une amélioration de l’importance perçue de répondre adéquatement à ces comportements a également été rapportée (Black et al., 2021; MacLochlainn et al., 2022). Deux études (Baker et al., 2018; Damian et al., 2019) ont également documenté des effets positifs sur les attitudes envers les AST, l’une d’elles démontrant un maintien des acquis six mois après l’implantation (Baker et al., 2018). Brown et collègues (2012) ont noté une plus forte adhésion aux croyances en lien avec les AST dans toutes les agences impliquées dans leur projet. Toutefois, les agences ayant mis en oeuvre des stratégies additionnelles à la formation de base ont observé un plus grand changement que celles ayant seulement participé à l’atelier de formation. Enfin, Denison et collègues (2018) ont constaté une moins forte adhésion à des croyances incompatibles avec les AST (ex. : efficacité des pratiques de contention physique et d’isolement) à la suite du processus d’implantation.

Quant aux résultats non concluants, Beidas et collègues (2016) n’ont rapporté aucun changement sur plusieurs dimensions des attitudes envers les AST après le processus d’implantation. Seule une plus grande ouverture envers les AST a été observée, mais celle-ci avait diminué lors du suivi après six mois. Galvin et collègues (2020) n’ont également noté aucun changement dans les attitudes envers les AST après l’implantation.

Connaissances

Ce thème a été examiné dans cinq études et une amélioration a été constatée dans quatre d’entre elles. Des hausses significatives dans les connaissances quant aux concepts clés des AST (ex. : reconnaissance de symptômes caractéristiques de trauma, pertinence de l’utilisation d’outils de dépistage de trauma et d’une approche collaborative à tous les niveaux organisationnels) ont été notées dans trois études (Brown et al., 2012; Conners-Burrow et al., 2013; Damian et al, 2019). Lang et collègues (2016) ont observé une meilleure compréhension des concepts clés de l’AST au cours de la troisième année d’implantation. Pour leur part, Beidas et collègues (2016) n’ont constaté aucun changement dans les connaissances des psychothérapeutes travaillant au sein d’une agence gouvernementale en santé mentale.

Pratiques

Cinq études ont examiné ce thème et quatre ont rapporté des résultats positifs. Notamment, Beidas et collègues (2016) ont observé une hausse des taux de diagnostics de TSPT (4 % à 31 %) à la suite du processus d’implantation, se rapprochant ainsi des taux estimés de ce diagnostic en milieu urbain défavorisé (estimés entre 14 % et 67 %). La stratégie d’implantation incluait notamment la mise en place d’un outil d’évaluation du trauma. D’autres études ont quant à elles noté une amélioration dans l’adoption de comportements cohérents avec les AST chez les praticiens (Brown et al., 2012; Conners-Burrow et al., 2013; Lang et al., 2016;). Par exemple, certains rapportent un changement positif dans les taux d’utilisation d’outils de dépistage pour mieux connaître les historiques de traumas, non seulement chez les jeunes, mais chez leurs parents également (Lang et al., 2016). D’autres ont relevé que l’augmentation des pratiques sensibles au trauma s’était maintenue au suivi post-implantation après trois mois. Lors de ce suivi, 86,6 % des participants avaient indiqué avoir intégré au moins une pratique sensible au trauma (ex. : maximiser le sentiment de sécurité auprès du jeune) dans leurs interventions (Conners-Burrow et al., 2013). Par ailleurs, les praticiens participants (n = 88) à l’étude de Damian et collègues (2019) n’ont pas rapporté de différence quant à leurs capacités à intégrer des pratiques sensibles au trauma après l’implantation.

Bien-être au travail

Dans quatre études, les auteurs ont évalué les retombées des processus d’implantation des AST sur le bien-être des praticiens, et des effets positifs ont été rapportés dans trois d’entre elles. Damian et collègues (2017) ont noté une augmentation de la satisfaction de compassion en agence gouvernementale. MacLochlainn et collègues (2022) ont observé une diminution du trauma vicariant et de l’épuisement professionnel chez ceux ayant participé à la formation sur l’AST. Pour le groupe contrôle, les auteurs ont plutôt constaté une augmentation de l’épuisement professionnel. Finalement, Schmid et collègues (2020) ont rapporté des niveaux de cortisol (indicateur physiologique de stress) plus faibles dans le groupe d’intervention que dans le groupe contrôle trois ans après le début du projet.

Pour leur part, Baker et collègues (2017) ont mesuré trois indicateurs de bien-être au travail. Contrairement à leurs hypothèses, ils ont noté une augmentation de l’épuisement professionnel à la suite de l’implantation ainsi qu’une augmentation des symptômes de trauma vicariant. Par contre, ils n’ont observé aucun changement dans la satisfaction de compassion.

Expérience des praticiens – Études qualitatives

Barrières à l’implantation

Dans quatre études présentant des résultats qualitatifs, des barrières à l’implantation ont été identifiées, la plus importante étant le manque de soutien organisationnel. À la suite d’entretiens avec des intervenants en protection de la jeunesse en milieu rural, Ezell (2019) a rapporté qu’il semblait difficile pour les intervenants de mettre en place des pratiques sensibles au trauma (ex. : prévention d’épuisement professionnel) étant donné la charge administrative importante et le manque de soutien pour accomplir ces tâches. Baker et collègues (2018) en sont arrivés à des conclusions similaires après leurs entretiens : « C’est difficile de parler de nos soucis au travail avec un superviseur […] lorsqu’il n’y a pas de soutien organisationnel en place pour permettre aux employés de prendre une pause. » (p. 671, traduction libre). Similairement, les praticiens d’une clinique de planification familiale (Miller et al., 2017) ont exprimé que la pression organisationnelle ressentie pour recevoir un volume élevé de patientes restreignait leur capacité à appliquer certaines pratiques.

Les participants de l’étude d’Ezell (2019) ont noté qu’il pouvait être difficile de mettre en place des pratiques sensibles au trauma lorsque certaines barrières spécifiques à la communauté étaient présentes :

« Lorsque je suis venu ici, je pensais que c’était juste une zone agricole facile à vivre. En réalité, cette agence travaille avec les plus pauvres des pauvres. Et si vous ne possédez pas de voiture, vous êtes isolés. Alors, comment dire à un client qui ne peut pas se payer de voiture de venir assister à des interventions psychosociales trois fois par semaine? »

p. 395-396, traduction libre

Certains ont également exprimé un besoin de recevoir de la formation additionnelle. C’est notamment ce qu’ont noté les participants de Miller et collègues (2017) à la suite de la demi-journée de formation suivie. Les praticiens ont également soulevé le point que la formation reçue manquait d’applicabilité dans leur contexte professionnel et qu’ils ressentaient un manque d’orientation quant à la mise en oeuvre concrète (Damian et al., 2019).

Bénéfices de l’implantation

Dans les quatre études présentant des résultats qualitatifs, les auteurs ont recensé des bénéfices perçus quant à l’implantation des AST. Ezell (2019) a noté que les participants ont particulièrement apprécié les formations sur les répercussions du trauma :

« Ce qui a vraiment retenu mon attention, ce sont les conséquences que le trauma a sur le cerveau. Je pense vraiment que ça m’a permis de comprendre les répercussions que le trauma peut avoir sur un individu, et me permettre de comprendre comment un individu réagit à un déclencheur du trauma. »

p. 393, traduction libre

Dans deux études (Baker et al., 2017; Damian et al., 2019), les auteurs ont souligné une prise de conscience similaire auprès des participants sondés. Certains participants ont expliqué qu’à la suite de l’implantation, ils ont ajusté leur vocabulaire pour décrire les jeunes et ont abandonné les tentatives de contrôle du comportement lors des interventions afin de prioriser la guérison comme objectif final (Baker et al., 2017). De plus, Miller et collègues (2017) ont noté que le processus d’implantation a permis à l’équipe de praticiens de la clinique familiale de mieux comprendre les conséquences de la violence conjugale et de la coercition reproductive sur les processus décisionnels des patientes. Plusieurs ont rapporté que les nouvelles connaissances acquises ont amené les praticiens à développer une plus grande empathie envers la clientèle (Damian et al., 2017; Miller et al., 2017).

De plus, Ezell (2019) a noté que l’implantation a été reconnue comme une possibilité de mieux reconnaître le trauma vicariant et de mettre en place des stratégies d’autosoins (ex. : le fait de laisser au bureau les dossiers des clients pour prendre de la distance lors des congés). Similairement, les participants de l’étude de Baker et collègues (2017) ont indiqué que la formation sur le trauma vicariant a changé leur perspective quant à leurs symptômes, ce qui les a conduits à une prise de conscience importante de l’ampleur des symptômes vécus et à une validation de leur expérience : « Ce n’est pas que je suis faible ou incapable de faire face aux exigences du travail. C’est plutôt que je vis des symptômes de trauma vicariant. » (p. 671, traduction libre).

Analyse de synthèse convergente

Pour la plupart des études présentant des résultats quantitatifs, des effets positifs de l’implantation des AST sur l’approche de soins des praticiens, dont leurs attitudes et croyances face aux AST ont été documentés. Ces résultats sont soutenus par les récits qualitatifs des praticiens ayant observé un changement d’attitude envers les clients desservis, notamment grâce à une plus grande reconnaissance des symptômes associés au trauma (Damian et al., 2019; Ezell, 2019) leur permettant une plus grande empathie envers les jeunes desservis (Damian et al., 2017; Miller et al., 2017). Les auteurs des deux études qui ont présenté des résultats quantitatifs peu concluants au niveau des attitudes des praticiens (Beidas et al., 2016, Galvin et al., 2020) ont expliqué ces résultats par la possibilité d’un effet de plafonnement étant donné l’existence d’attitudes initiales déjà très positives. Beidas et collègues (2016) ont émis l’hypothèse que les praticiens ont vécu des difficultés face à l’implantation de l’AST durant le processus de mise en oeuvre, ce qui aurait pu diminuer leur enthousiasme initial, les laissant avec une perspective plus réaliste. Étant donné que les participants de l’étude de Galvin et collègues (2020) étaient tous nouveaux au sein de l’agence (moins de quatre mois d’expérience), il est possible que ces praticiens aient également vu leur enthousiasme initial diminuer durant l’implantation. L’analyse qualitative a toutefois offert certaines pistes d’explication supplémentaires notamment par l’identification de barrières pouvant nuire à l’implantation des AST, dont la question des pressions organisationnelles.

Les études où les auteurs ont mesuré les retombées sur les connaissances acquises ont été majoritairement concluantes. Ces résultats sont également soutenus par les résultats qualitatifs, certains participants ayant décrit avec précision les nouvelles connaissances les ayant aidés à comprendre les concepts liés au trauma et aux AST, notamment les répercussions physiologiques du trauma et les conséquences de la violence conjugale sur les processus cognitifs des survivants. Les auteurs de l’étude présentant des résultats quantitatifs moins éloquents (Beidas et al., 2016) ont expliqué ces résultats en émettant l’hypothèse que la formation offerte n’avait pas tout à fait répondue aux besoins des praticiens. Cette hypothèse est soutenue par certains résultats qualitatifs.

Les études où les retombées de l’implantation des AST sur les pratiques des intervenants ont été mesurées indiquent des résultats majoritairement probants. Ces derniers sont cohérents avec les récits qualitatifs soulignant l’effet d’entraînement des changements collectifs au niveau de l’organisme sur les approches personnelles à l’intervention des praticiens. Les auteurs de l’étude à méthodes mixtes présentant des résultats quantitatifs moins concluants (Damian et al., 2019) ont expliqué ce résultat en s’appuyant sur des entretiens avec les praticiens. Ainsi, les participants auraient exprimé le besoin que les gestionnaires s’engagent plus. Ils ont également indiqué qu’une formation plus détaillée sur des outils et étapes concrètes à appliquer leur serait profitable.

Les études où les auteurs ont mesuré les retombées de l’implantation des AST sur le bien-être des praticiens étaient pour la plupart concluantes. Ces résultats sont cohérents avec les récits rapportés par Ezell (2019) où les intervenants disaient avoir développé une plus grande résilience après la formation sur le trauma vicariant, notamment par la mise en place de stratégies d’autosoins. Baker et collègues (2018) ont expliqué leurs résultats quantitatifs moins éloquents à l’aide des entretiens qualitatifs effectués. Les praticiens ont mentionné que la formation sur le trauma vicariant leur avait permis de réaliser qu’ils présentaient des symptômes, ce qui expliquerait en partie l’augmentation des symptômes de trauma vicariant observée après la formation.

Qualité méthodologique des études recensées

Devis quantitatifs

La majorité des études présentant un devis quantitatif étaient des études à groupe unique avec une mesure pré-test/post-test (Baker et al., 2018; Beidas et al., 2016; Black et al., 2021; Brown et al., 2012; Conners-Burrow et al., 2013; Damian et al., 2017; Damian et al., 2019; Denison et al., 2018; Galvin et al., 2020). L’absence de groupe contrôle et l’application d’intervention dans un environnement unique limitent la portée des résultats. Dans certaines études, les auteurs ont également utilisé des mesures non validées (Conners-Burrow et al., 2013; Damian et al., 2019; Denison et al., 2018), diminuant ainsi la fiabilité des résultats. Certaines études ont rapporté des taux d’attrition élevés au post-test (entre 44 % et 80 %) (Baker et al., 2020; Black et al., 2021; Conners-Burrow et al., 2013; Denison et al., 2018; Galvin et al., 2020; MacLochlainn et al., 2022). Dans plusieurs études, l’effet de facteurs potentiellement confondants (ex. : nombre d’années d’expérience, âge, etc.) a été contrôlé statistiquement (Black et al., 2021; Conners-Burrow et al., 2013; Denison et al., 2018; Galvin et al, 2020; Lang et al., 2016; Schmid et al., 2020).

Devis qualitatifs

Les études présentant des méthodes qualitatives étaient assez rigoureuses dans leurs méthodes d’analyse. Pour toutes les études incluses présentant des résultats qualitatifs, le type d’approche utilisée (ex. : étude de cas, étude phénoménologique, etc.) était précisé et correspondait aux objectifs de l’étude. Les méthodes de collectes (ex. : entretiens de groupe, entretiens individuels) étaient détaillées et n’avaient pas été modifiées sans justification en cours d’étude. Les méthodes d’analyse correspondaient à l’approche choisie originalement dans tous les cas, et une méthode augmentant la fiabilité de l’analyse (ex. : présence d’au moins deux codeurs) était favorisée. Or, les interprétations présentées n’étaient pas toujours soutenues de façon adéquate par des données (ex. : citations), plus particulièrement dans deux études (Damian et al., 2017; Damian et al., 2019), limitant ainsi la fiabilité des interprétations.

Devis mixtes

Selon les recommandations fournies dans l’outil d’évaluation des qualités méthodologiques utilisé (Hong et al., 2018), les portions quantitatives et qualitatives des études à devis mixtes ont été évaluées individuellement et présentées plus haut. Une justification adéquate de la pertinence d’utiliser un devis mixte était fournie dans toutes ces études et une intégration adéquate des données quantitatives et qualitatives était offerte.

Discussion

Lors de cette recension des écrits, les autrices ont identifié 14 études portant sur les effets de l’implantation des AST sur l’approche de soins des praticiens oeuvrant auprès de jeunes âgés de 12 à 25 ans. En lien avec l’objectif 1, les effets sur les attitudes et croyances des praticiens, leurs connaissances, pratiques et niveaux de bien-être au travail ont été synthétisés, ainsi que les barrières et facteurs facilitant l’implantation. Dans toutes les études quantitatives, les autrices ont noté des retombées positives sur au moins un aspect de l’approche de soins des praticiens. Ces résultats, bien qu’ils pourraient refléter un biais de publication face aux résultats non significatifs ou négatifs, sont également soutenus par la portion qualitative de la présente synthèse et correspondent aux résultats de recensions antérieures qui rapportaient également des retombées positives sur les praticiens (ex. : Lowenthal, 2020; Purtle, 2020). Or, en lien avec l’objectif 2, les modèles et processus d’implantation variaient grandement d’une étude à l’autre. Les études incluses variaient également en matière d’activité d’implantation. Alors que dans la majorité des études, une AST à plusieurs niveaux de l’organisme a été implantée par l’intermédiaire de diverses modalités (ex. : formation d’un comité de l’AST, implantation de programmes de consultation), d’autres étaient limitées à une formation offerte aux praticiens. Ces observations viennent faire écho à d’autres recensions ayant préalablement identifié le besoin de mieux définir et d’opérationnaliser les AST (ex. : Bendall et al., 2021). En raison de ces disparités et de la qualité méthodologique variable des études incluses (objectif 3), il demeure difficile de conclure formellement à l’existence de paramètres d’implantation spécifiques pouvant mener à d’importants changements positifs dans l’approche de soins des praticiens (ex. : formation, soutien organisationnel, etc.).

Il était hors de la portée de cette étude de se pencher sur les retombées d’implantation des AST sur les jeunes utilisateurs de services. Or, les changements dans l’approche de soins des praticiens pourraient se refléter dans la qualité des services offerts aux jeunes ayant vécu des traumas et par le fait même avoir des retombées positives sur le bien-être des jeunes desservis. Ces retombées pourraient toutefois être documentées dans le cadre d’études quantitatives et qualitatives. Les études futures devraient également considérer l’inclusion systématique de données sur les caractéristiques socioculturelles des jeunes desservis et des praticiens impliqués dans le processus d’implantation. Ces informations permettraient de documenter en quoi différentes réalités socioculturelles peuvent être affectées par l’implantation d’une approche historiquement ancrée dans les réalités eurocentriques (Goodman, 2015). Récemment, certains auteurs ont critiqué les AST comme étant des approches se voulant systémiques (ex. : implantation à tous les niveaux d’un organisme) mais se préoccupant souvent seulement des réalités individuelles des personnes ayant vécu un trauma (ex. : besoins thérapeutiques) sans souci de démanteler ou d’aborder les réalités socioculturelles et historiques ayant causé les traumas au départ (ex. : racisme systémique, patriarcat, etc.) (Alvarez, 2020; Goodman, 2015). Ces oeillères pourraient malheureusement amener certains groupes à se sentir responsables des traumas vécus au sein de leur communauté. Il apparaît essentiel que les organismes implantant les AST cherchent à comprendre et à démanteler les barrières systémiques desquelles émergent les traumas vécus par les clientèles qu’elles desservent (Goodman, 2015).

Forces et limites

La démarche systématique de cette synthèse, incluant l’utilisation d’un protocole de recherche et une recherche exhaustive dans trois banques de données majeures, amène une rigueur méthodologique et diminue le risque de biais de sélection. La méthode de synthèse ségréguée convergente (Stern et al., 2020) mise de l’avant dans cette recension contribue à une compréhension plus globale et nuancée des retombées des AST, étant donné l’inclusion de données quantitatives et qualitatives. Toutefois, cette recension comporte des limites, dont l’inclusion d’études comportant, en plus de praticiens, d’autres types de professionnels (ex. : personnel administratif). Ces études répondent ainsi moins précisément aux objectifs de cette recension. L’évaluation méthodologique des études a également été réalisée par un seul auteur, ce qui peut limiter la validité de l’évaluation (Hong et al., 2018).

Pertinence scientifique, sociale et professionnelle

Cette synthèse permet de préparer le développement d’études futures. L’utilisation de mesures validées est une priorité puisqu’elle pourrait améliorer la fiabilité des études. Des études à mesure répétées documentant les changements observés dans les pratiques des intervenants à chaque étape de l’implantation (ex. : création de comités, formation, etc.) et incluant un ou des groupes de comparaison permettraient de mettre en lumière les stratégies les plus efficaces. L’utilisation de méthodes de recherche à devis mixte semble importante à ce stade, étant donné les limites d’échantillonnage souvent dictées par la taille des organismes impliquées. Les méthodes à devis mixtes permettent une analyse riche des effets des AST dans divers contextes d’implantation, même lorsque l’organisme impliqué est de plus petite taille (ex. moins d’employés ou d’utilisateurs de service).

Cette synthèse permet d’informer les organismes desservant les jeunes et désireuses de mettre en branle une AST. Lors du processus d’implantation, il apparaît important d’inclure une formation pratique et exhaustive sur le trauma et sur l’AST qui est adaptée à la réalité du milieu d’implantation en termes de clientèle, de localisation, etc. Il paraît également essentiel d’offrir un soutien organisationnel tout au long de l’implantation pour limiter les barrières perçues. La charge de travail des employés et la pression organisationnelle sur ceux-ci doivent être prises en considération comme étant des facteurs pouvant entraver les efforts d’implantation. De plus, la mise en oeuvre d’une collaboration inter-organisme durant l’implantation d’AST pourrait orienter la réponse aux besoins des divers organismes impliquées et ainsi fournir aux utilisateurs une offre complète et continue de services sensibles au trauma. Cette stratégie permettrait également de bâtir un réseau d’entraide inter-organisationnel pouvant répondre aux diverses problématiques surgissant durant et après l’implantation.

Conclusion

En conclusion, l’intérêt croissant envers les AST est accompagné de résultats prometteurs quant aux approches de soins des praticiens travaillant auprès des jeunes, malgré des disparités dans les approches utilisées. Étant donné que les approches de soins sont un vecteur de changement comportemental (Glasman et Albarracín, 2006), une plus grande cohérence de celles-ci avec les principes clés des AST pourrait, à terme, se traduire par une amélioration significative des trajectoires de résilience des jeunes ayant vécu des traumas et recevant des soins et des services de divers organismes.