Abstracts
Résumé
Plusieurs parents dont les enfants sont signalés pour négligence en protection de la jeunesse ont vécu différents types de traumatismes durant l’enfance. Les répercussions de ces expériences peuvent compliquer l’établissement d’une relation positive avec leur intervenante2. Cette étude porte sur les déterminants qui influencent la qualité de la relation parent-intervenante. Des entrevues menées auprès de 37 parents montrent que les principaux déterminants de la qualité de cette relation sont les habiletés interpersonnelles de l’intervenante qui permettent un sentiment de connexion affective mutuelle, les habiletés de communication de l’intervenante et le partage du pouvoir avec le parent. Les déterminants identifiés rappellent les principes issus des pratiques sensibles au trauma.
Mots-clés :
- Relation,
- protection de la jeunesse,
- négligence,
- pratiques professionnelles,
- approche sensible au trauma
Abstract
Many parents whose children are reported to child welfare for neglect have experienced various types of childhood trauma. The consequences of these experiences can make it difficult to establish a positive relationship with their practitioner. This study examines the determinants that influence the quality of this relationship. Interviews with 37 parents show that the primary determinants of the quality of the therapeutic relationship are interpersonal skills that allow for a sense of mutual emotional connection, the practitioner's communication skills, and power sharing between the practitioner and the parent. The determinants identified are reminiscent of principles from trauma-sensitive practice.
Keywords:
- Relationship,
- child welfare,
- neglect,
- professional practices,
- trauma informed approach
Article body
Mise en contexte et problématique
Négligence et trauma
Au Québec, lorsqu’un enfant est maltraité et que son développement ou sa sécurité pourrait être compromis, il doit être signalé à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). La situation de l’enfant et de sa famille sera alors évaluée et des mesures seront appliquées pour mettre fin à la situation de compromission (Gouvernement du Québec, 2010). Il est important de noter que la DPJ agit fréquemment dans des contextes non volontaires (mesures judiciarisées), c’est-à-dire que des familles se retrouvent dans l’obligation de recevoir des services sans en avoir fait la demande. En 2021, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse au Québec a montré que les services en protection de la jeunesse (PJ) peinent à répondre aux besoins complexes des familles suivies pour négligence (Gouvernement du Québec, 2021).
La négligence est la forme de maltraitance la plus courante au niveau mondial (Proctor et Dubowitz, 2014). Elle représente d’ailleurs près de 50 % des situations de maltraitance prises en charge au Québec (Petitpas et al., 2019). Lacharité et ses collaborateurs (2006) la définissent comme une carence dans la réponse aux besoins, physiques, éducatifs ou psychologiques, de l’enfant. Cette carence reposerait sur une difficulté qu’ont les adultes entourant l’enfant à développer une « théorie implicite » des besoins de l’enfant. Ces adultes éprouvent des difficultés à porter attention aux besoins de l’enfant en raison, notamment, d’une indisponibilité psychologique pour réfléchir à ces besoins et aux moyens d’y répondre adéquatement. Sous cet éclairage, le phénomène de la négligence peut être attribuable à un cumul de difficultés et d’expériences adverses vécues par la famille sur les plans social, familial et individuel. Des conditions précaires souvent liées à la pauvreté mettent ces familles à risque de subir un stress élevé (Steele et al., 2016) et de traverser des expériences traumatiques répétées ou chroniques (Collins et al., 2010).
On définit le trauma complexe comme une cascade de réactions en réponse à des expériences répétées de traumatismes relationnels (TR), telles que la négligence, les abus physiques, sexuels ou psychologiques, généralement causés par une personne de confiance (Courtois et Ford, 2013). L’étendue de ces conséquences peut compromettre l’adaptation de l’individu, ce qui augmente le risque de développer à l’âge adulte des troubles de santé mentale, une consommation problématique de substances et des difficultés interpersonnelles (Anda et al., 2006; Courtois et Ford, 2013; Espinet et al., 2016; Steele et al., 2016). De plus, ces personnes courent un plus grand risque d’être exposées à une revictimisation par le biais de la violence conjugale ou sexuelle, et de vivre en situation de pauvreté (Anda et al., 2006; Courtois et Ford, 2013; Currie et Spatz-Widom, 2010). Ces difficultés sont généralement admises comme des facteurs de risque de la négligence (Korbin et al., 2014). Il apparaît malheureusement que les interventions des services de protection de l’enfance peineraient à contrer la continuité intergénérationnelle de la négligence (van IJzendorf et al., 2020).
Cadre conceptuel et théorique
Une proportion importante de parents en situation de négligence pourrait être affectée par les conséquences d’un trauma complexe. En effet, l’historique de maltraitance dans l’enfance chez le parent serait le facteur de risque le plus important de l’exposition à la maltraitance pour l’enfant (van IJzendorf et al., 2020). Aussi, une étude questionnant des mères en situation de négligence ou à risque de l’être mentionne que 90 % de celles-ci avaient vécu au moins un traumatisme dans l’enfance, avec une moyenne d’exposition à près de trois différentes formes de traumatismes (Milot et al., 2014). Or, le cumul d’expériences traumatiques mène souvent au développement d’un trauma complexe (Milot et al., 2018). Ce dernier entraîne des conséquences importantes dans plusieurs domaines de fonctionnement, dont 1) l’attachement, observable par une méfiance et une suspicion importantes envers autrui et de la difficulté à interpréter correctement les intentions et les situations interpersonnelles; 2) la biologie, ce qui se traduit par la présence de symptôme d’hypervigilance et d’hyperréactivité au stress ainsi que par un sentiment de danger persistant; 3) la régulation émotionnelle et comportementale, entraînant des réactions émotives difficilement contrôlables, une faible inhibition et la présence de comportements autodestructeurs et perturbateurs; et 4) les cognitions, telles que des difficultés d’attention et de compréhension, ainsi que des lacunes dans les habiletés de planification et d’organisation (Cook et al., 2005; Milot et al., 2018). Le cumul de répercussions causées par ces traumas complexifie parfois le processus d’intervention, en affectant la capacité des parents à comprendre l’information, à développer une relation de confiance avec l’intervenante, à collaborer de façon constructive avec elle, à s’engager et à se mobiliser concrètement envers les objectifs de l’intervention. Selon les connaissances actuelles relatives au champ des traumas complexes, l’établissement d’une relation sécurisante est essentiel pour réduire le stress et la dérégulation émotionnelle liés à l’intervention, et cette relation peut être utilisée comme « principal levier de changement » (Milot et al., 2018, p.255). Dans cette optique, il est intéressant de se pencher sur le processus d’établissement de cette relation parent-intervenante. Bien que la relation parent-intervenante en contexte de protection de l’enfance ne soit pas nécessairement thérapeutique, il a paru intéressant de se centrer sur le concept de « relation thérapeutique » pour examiner ses composantes. La relation thérapeutique se compose de trois dimensions : une connexion affective basée sur la confiance (composante affective), une collaboration entourant la définition des buts et des objectifs de l’intervention (composante cognitive), ainsi qu’une participation comportementale à l’intervention (Karver et al., 2006). Le présent article analysera la perception des parents de la qualité de leur relation avec leur intervenante selon ces trois dimensions, sous l’angle d’une perspective sensible aux traumas.
La relation parent-intervenante en contexte de protection de la jeunesse
Des symptômes traumatiques ont été recensés chez des parents à la suite d’interventions des services de protection de l’enfance (Haight et al., 2017). Vu l’importance des conséquences associées à la retraumatisation chez les personnes déjà fragilisées par l’expérience de TR, il importe de se questionner sur les effets immédiats et à long terme des pratiques en PJ sur les familles. Du côté des lacunes, on note que les interventions en PJ se font souvent dans un langage technique, à un rythme rapide, et elles s’appuient sur des procédures rigides appliquées de manière uniforme par les intervenantes (Buckley et al., 2019; Lafantaisie et al., 2018). Les discussions sont dirigées majoritairement par les professionnelles, ce qui induit ainsi un rapport de pouvoir où l’intervenante adopte une posture d’expert (Firestone, 2009; Lacharité, 2015). Chez les parents, ces interactions sont habituellement marquées par la peur, le stress, la méfiance, l’anxiété, la confusion, la culpabilité, l’incompréhension et l’impuissance (Robert, 2012; Serbati, 2017; Schreiber et al., 2013; Saint-Jacques et al., 2000; Saint-Jacques et al., 2015). Certains se sentent menacés, attaqués et même harcelés par les intervenantes (Haight et al., 2017; Smithson et Gibson, 2017). Ils ont le sentiment que leur opinion ne modifie pas le cours des procédures, ce qui entraîne un sentiment d’exclusion et l’impression que l’évaluation est biaisée (Haight et al., 2017; Lafantaisie, 2017; Robert, 2012; Serbati, 2017).
Toutefois, bien que certaines intervenantes utilisent leur pouvoir « sur » les parents dans une optique de contrôle, d’autres l’utilisent « avec » eux en adoptant une posture de soutien favorisant ainsi une réelle relation de collaboration (Dumbrill, 2006). Dans ce deuxième contexte de partage du pouvoir, la sensibilité, l’honnêteté, le transfert d’information adéquat et l’écoute active sont des ingrédients de savoir-faire et de savoir-être particulièrement appréciés des parents pour établir une relation positive parent-intervenante (Platt, 2008). Cette relation positive représente un élément fondamental des pratiques professionnelles efficaces permettant d’obtenir un changement en PJ (Ferguson et al., 2022).
Qualité de la relation parent-intervenante
Plusieurs approches axées sur une relation parent-intervenante positive ont été proposées au cours des dernières décennies pour répondre aux besoins de ces familles marquées par les TR. Ces approches augmenteraient la confiance entre le parent et l’intervenante ainsi que l’engagement du parent dans l’intervention. Elles pourraient réduire le risque de retraumatisation lié au service et favoriseraient une résolution positive de l’épisode de services en PJ (Brown et al., 2013; Cheng et Lo, 2016; De Montigny et Lacharité, 2012; Schreiber et al., 2013). Charest-Belzile (2020) ainsi que Cheng et Lo (2016) ont établi que la qualité de la relation parent-intervenante en PJ est associée positivement aux progrès des parents. Dans cette optique, le fait de mieux comprendre le point de vue des parents sur leurs relations avec les intervenantes peut favoriser l’adaptation des pratiques, ce qui contribuera à leur engagement dans une démarche de changement. Une question s’impose alors : qu’est-ce qui favorise l’établissement d’une relation positive entre un parent en situation de négligence et une intervenante en PJ? Cette étude exploratoire vise à identifier, du point de vue des parents, les déterminants de la qualité de la relation parent-intervenante.
Méthode
La présente étude adopte une approche qualitative descriptive (Paillé et Mucchieli, 2021). Cette étude consiste en une analyse secondaire des données recueillies dans le cadre de l’évaluation de l’implantation et des effets du Programme d’aide personnelle, familiale et communautaire, seconde édition (PAPFC²). Ce programme d’intervention écosystémique offre des services aux familles vivant en contexte de négligence, sur la référence d’intervenantes travaillant majoritairement en Centre intégré de santé et de services sociaux, mais parfois aussi plus largement dans le réseau de la santé et des services sociaux (p. ex. en organisme communautaire).
Participants
Toutes les familles ayant participé au programme entre l’hiver 2012 et le printemps 2014 ont été sollicitées pour prendre part à l’étude par une lettre d’invitation remise par une animatrice du programme en Outaouais. Au total, 93 familles ont accepté de participer à l’étude originale, au cours de laquelle des entrevues semi-dirigées ont été conduites par des assistantes de recherche lors de visites à domicile à trois temps de collecte (environ dix mois séparaient chacun des temps de collecte). De ces 100 entrevues originales, 44 ont été retenues pour l’analyse en fonction des critères d’inclusion suivants :
1) entrevues de parents qui ont eu un suivi actif en protection de la jeunesse; 2) parents qui ont répondu aux questions sur la relation thérapeutique concernant leur intervenante en PJ. Pour les entrevues répondant aux critères d’inclusion, 31 parents ont réalisé une entrevue, cinq en ont réalisé deux et un participant a participé à trois entretiens à des temps de collecte différents, pour un total de 37 parents participants. L’échantillon est composé de 34 mères et de 3 pères, âgés au moment de l’entrevue de 19 à 41 ans (X=28,36 ans, E-T.=6,7 ans). Le tiers des parents n’avaient pas obtenu de diplôme de niveau secondaire et l’ensemble des participants avaient des revenus considérés sous le seuil de la pauvreté (selon les données disponibles).
Entrevues
Du canevas d’entrevue original, trois questions concernant la relation parent-intervenante ont été analysées, soit : 1) « Comment décrirais-tu ta relation avec ton intervenante? »; 2) « Quelles sont les choses que tu aimes d’elle? »; et 3) « Quelles sont les choses que tu aimes moins de ton intervenante (des choses qui te dérangent)? ». Ces questions ouvertes nous ont permis de dégager la perception du parent concernant sa relation avec son intervenante ainsi que les facteurs ayant influencé la qualité de cette relation.
Analyses
Les verbatims ont été soumis à une analyse de contenu (Bardin, 2013). Une exploration préliminaire des verbatims a d’abord permis de mettre en relief les différents thèmes abordés. Une grille d’analyse constituée des thèmes principaux ayant émergé de l’analyse de contenu a été appliquée au corpus et mise en perspective selon les trois dimensions de Karver et ses collègues (2006). La section des résultats présente l’ensemble de ces thèmes organisés selon ces trois dimensions.
Considérations éthiques
L’étude a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec en Outaouais le 25 mai 2020, qui a été renouvelée le 23 avril 2021 (2021-1129).
Résultats
Dans notre échantillon, près d’un tiers des parents estimaient avoir une mauvaise relation avec leur intervenante, contrairement aux deux tiers de l’échantillon dont les participants indiquaient avoir établi une relation positive. Les déterminants principaux ayant émergé du discours des parents sont : les habiletés interpersonnelles de l’intervenante permettant de créer un sentiment de connexion affective, ainsi que la perception de sa compétence, notamment ses habiletés de communication et ses aptitudes de partage du pouvoir.
Les habiletés interpersonnelles et la connexion affective
Lorsque questionnés sur la relation développée avec leur intervenante, la majorité des parents expriment spontanément la dimension affective, en utilisant fréquemment le verbe aimer : « je l’aime beaucoup » (mère 8), « on a vraiment une bonne relation, je l’aime ben… » (père 25), ou « je l’ai adorée là » (mère 34), « je l’ai aimée super » (mère 18). Différentes habiletés interpersonnelles des intervenantes sont évoquées pour expliquer ce sentiment telles que la gentillesse, la douceur ou l’amabilité. Par ailleurs, le soutien affectif a été identifié par les parents comme la forme d’aide la plus utile, particulièrement par l’intermédiaire des capacités d’écoute. Ce soutien est exprimé par des formulations du type : « À l’a été beaucoup là pour moi » (mère 40). Les parents apprécient la disponibilité affective de leur intervenante : « est sur écoute de qu’est-ce que je dis. Pis le respect aussi. Pis elle fait rien que m’écouter, elle dit pas plus de choses. » (mère 13). Les parents recevant ce soutien émotif semblent y répondre par une confiance accrue comparativement à ceux qui ne le perçoivent pas.
L’aide offerte, lorsqu’accompagnée d’empathie et de considération perçue comme authentique ou « sincère » (mère 41), entraîne un sentiment de sécurité, permettant au parent de s’ouvrir à l’aide offerte et au travail à accomplir : « ... elle nous respecte. C’est pareil comme un membre de la famille qui te donne des conseils, tu l’écoutes parce qu’elle veut essayer de t’aider. » (père 19). La redondance de l’expression de sentiments quasi filiaux pour décrire la nature de leur RT : « C’est comme si ce serait ma soeur. » (mère 17), « comme une matante… » (père 19), « Je la trouve comme une mère pour moi » (mère 14), marque d’ailleurs l’importance de cette connexion affective. Ces extraits soulignent l’importance d’une approche jugée « humaine » (mère 45), où la bienveillance authentique permet le développement d’un sentiment de confiance réciproque et favorise la transparence des échanges : « Ben une relation d’amitié j’trouve. Je peux y confier tout pis je sais qu’elle va être là pour m’écouter pis qu’elle serait pas là pour me juger. » (mère 32).
Perception de compétence
Plusieurs parents ayant une relation positive avec leur intervenante perçoivent celle-ci comme compétente, qualifiant celle-ci de « bonne » (mère 8), « vraiment bonne » (père 19) ou « super bonne » (mère 30). Cette perception de compétence est liée principalement à deux aspects de l’approche utilisée : 1) les habiletés de communication; et 2) l’aptitude à partager le pouvoir et à offrir un soutien adapté au besoin de la famille.
Les habiletés de communication : Il ressort de cela que des aptitudes de communication, telle que l’écoute active, augmentent la qualité de la relation :
« Elle je l’aime beaucoup. […] c’est la meilleure agente que j’ai eue jusqu’à présent. Celles que j’avais avant elle, c’était l’enfer. Elle prenait pas l’temps d’écouter c’que j’avais à dire, rien. Pis elle […] on s’assoit, on discute de chaque chose, […] le cas de chaque enfant, pis c’est vraiment une toute autre relation… ».
mère 8
Les habiletés interpersonnelles des intervenantes, telles que l’empathie et la considération, leur permettent d’interpréter plus justement les propos des parents, ce qui entraîne chez ces derniers le sentiment d’être compris : « elles comprennent très bien quand je leur dis quelque chose, comment moi je me sens… »[1] (mère 6). De plus, les habiletés expressives des intervenantes apparaissent centrales dans cette perception de compétence, notamment, leur capacité à communiquer de façon constructive et claire leurs préoccupations et à rendre compréhensible les enjeux, les principes et les avantages de l’intervention : « Elles étaient super […] Elles ont comme tout expliqué de A à Z quand [les intervenants des autres services] […] y sortaient des mots à 100 piasses des dictionnaires. […] elles savent qu’est-ce qu’y font. » (mère 17), « Si elle a quelque chose à dire, elle trouve une bonne manière de l’expliquer sans qu’on le prenne personnel. » (père 44), « Oui sont, t’sais sont directes quand qu’y a du négatif, mais comme en même temps […] sont plus basées sur essayer de trouver des solutions… » (mère 45).
Ce style de communication clair et direct est perçu par une majorité de parents comme de la transparence ou de l’honnêteté, notions associées à la considération et au respect. On constate que ces habiletés agissent en synergie pour soutenir un lien de confiance, augmentant la transparence de la part des parents : « Tu peux lui dire quasiment toute. Je suis pas gênée avec-là c’est sûr que j’suis plus ouverte que je vais être ouverte avec d’autre personne-là. » (mère 3), « Est pas deux faces pantoute là […] Elle disait les vraies affaires. Elle était ben directe pis ben ouverte pis était respectueuse, pis au moins elle te parlait pas comme si t’étais une moins que rien. » (mère 18), « Elle agit bien avec nous autres, je peux parler de n’importe quoi avec […]. Elle va te dire si elle a quelque chose, elle ne peut pas […]. Elle ne porte pas de jugement rien. Si elle a quelque chose à dire, elle va nous le dire, pis si on a quelque chose à lui dire, on va lui dire. On n’a pas de gêne vraiment entre nous autres. » (père 44).
Un sentiment de sécurité émerge pour le parent, ce qui influence son ouverture à communiquer et sa réceptivité. L’intervenante peut ainsi développer une compréhension plus précise et juste des besoins exprimés par la famille en matière de finances, de logement et d’alimentation, comme cet exemple l’illustre : « Elle posait des questions sur mes enfants, pour vraiment savoir l’aide que j’avais de besoin. Pis y’allait pas me donner l’aide que j’avais pas de besoin dans le fond. » (mère 3). Ces processus dynamiques mènent alors au développement d’une vision commune sur la réalité vécue : « Elle est pas dans un autre monde, elle est là là! » (mère 17). Ce type d’interaction bonifie la perception de compétence et mène la dyade à agir de façon coordonnée en fonction d’un but commun.
Le partage du pouvoir et le soutien : Une opposition s’observe entre l’image de la travailleuse sociale autoritaire et menaçante et celle de l’intervenante sensible qui offre un soutien affectif et concret. Ce qui met en relief une représentation de l’intervenante comme figure d’aide, plutôt que comme agent de contrôle social :
« C’est qu’elle nous respecte. Elle a l’air plus comme un membre de la famille qu’une fille qui nous "bosse". Pis des fois, tu ne sais même pas si c’est une travailleuse. Elle nous donne notre espace pis elle nous traite correctement. ».
père 19
« C’est une femme qui était très ouverte, dans le fond c’est une travailleuse sociale que quand je lui demandais quelque chose, d’avoir une ressource quelque part elle m’aidait. Pis elle était pas juste-là pour dire : "moi j’suis intervenante de DPJ pis faut que tu te débrouilles tout seul pis si tu le fais pas, on t’enlève tes enfants. ". Elle était pas comme ça… Elle était vraiment une travailleuse sociale vraiment différente. ».
mère 10
En effet, les intervenantes en PJ sont en position d’autorité, elles ont le pouvoir de prendre des décisions pouvant avoir un impact important sur la famille. Par exemple, la possibilité de placement constitue une menace présente dans l’ensemble des propos des participants, qui affecte souvent leur interprétation des intentions de l’intervenante. Toutefois, de nombreux parents nomment que leur intervenante utilise les « conseils » (mère 13), les « trucs » (père 19), la « proposition » (mère 8), la « recommandation » (mère 38) ou la « suggestion » (mère 6), pour les amener à décider eux-mêmes de l’intervention la plus appropriée. Ce type d’intervention est associé à la compétence et au respect, comme en témoigne ce père : « Il y en a qui ont la difficulté, ils prennent le "power", ils savent qu’ils ont le "power", ils font certaines choses. Mais elle, elle nous respecte, elle est bonne à sa job. » (père 19)
L’utilisation du pouvoir par les intervenantes en PJ pour offrir du soutien est associée à la perception de compétence. En plus du soutien affectif, le soutien instrumental (transport, aide alimentaire et matérielle) est celui le plus fréquemment nommé. Ensuite vient le soutien sur le plan des habiletés parentales, tel que le partage de conseils concernant la réponse aux besoins des enfants. De plus, plusieurs parents indiquent que le soutien auprès des autres institutions, comme l’école ou l’aide sociale, a été déterminant pour leur bien-être :
« … à m’a appuyé au niveau de l’école parce qu’à voyait que j’avais des difficultés de communication, mais qu’à voyait que l’effort moi j’le faisais […] pis ça l’a réglé une grande situation qui aurait pu être déficitaire à long terme pour moi ainsi que ma fille. »
mère 5
Chez ces parents qui expriment de nombreux obstacles matériels, psychologiques ou affectifs, le soutien apporté contribue à la RT positive. Ce soutien semble favoriser le sentiment de sécurité des parents dans plusieurs sphères de leur vie.
Relation parent-intervenante négative
Pour un tiers des participants, les déterminants nommés précédemment ont influencé l’établissement d’une relation négative. Ces parents affirment « ne pas aimer pantoute » (mère 15) ou « haïr » (mère 11) leur intervenante. Généralement insatisfaits des services reçus, ceux-ci ont qualifié l’intervenante comme « bête » (mère 7), « effrontée » (mère 12), « dure » (mère 29), en allant jusqu’à « vraiment méchante » (mère 12) :
« ... j’trouve qu’est décourageante, j’trouve qu’au lieu de m’encourager à va me dénigrer, j’en ai braillé l’autre jour. Je l’aime pas pantoute […] je la trouve hypocrite pis je trouve qu’à m’aide pas […] à fait rien que me rabaisser pis m’faire sentir comme de la marde. »
mère 11
« … je m’entends pas avec ma travailleuse pantoute. Pis je me sens que je suis en train de perdre mon p’tit par rapport à ma relation avec elle […] ça devrait pas affecter le rapport de mon enfant à cause que je m’entends pas avec elle […] C’est pas à cause que je t’aime pas la face que j’suis instable pour mon enfant. ».
mère 9
Ces parents disent s’être sentis « visés » (mère 15), « attaqués » (mère 27), « rabaissés » (mère 29) ou « dénigrés » (mère 11) lors de leurs rencontres de suivi. En majorité, ils indiquent que l’intervenante a utilisé un ton et des propos blessants, culpabilisants, infantilisants ou des critiques et ont associé ces interactions à un manque de respect. Ces communications semblent avoir engendré des sentiments d’injustice, de peur, de découragement, de frustration, d’agressivité, de colère et de tristesse. La quasi totalité de ces parents se sentent incompris. Plusieurs ont aussi perçu que leurs propos étaient « dits de travers » (père 22) ou « déformés… interprétés à leur façon » (mère 37). Le manque de transparence apparaît comme central, et ces parents ont souvent qualifié leur intervenante « d’hypocrite » ou de « malhonnête ». Des incompréhensions ou de l’imprévisibilité dans les décisions prises ont aussi été évoquées, ainsi que l’impression que leur intervenante ne voyait pas le changement, « Elle avait ses idées de faites » (mère 35) ou elle « se fiait tout le temps au passé » (mère 38), entraînant une démotivation dans l’intervention. Ce type de communication peut mener à des situations de conflits, comme le souligne cette mère : « C’est plus négatif, ben plutôt la chicane qu’on se pogne plus que les positifs… » (mère 16), ce qui entraîne un désengagement mutuel.
D’autre part, l’utilisation du pouvoir de ces intervenantes était souvent perçue comme unilatérale. Par des expressions comme « c’est moé qui a le power là » (mère 12) ou « boss des bécosses » (mère 16), les parents ont associé les attitudes de leur intervenante à une perception d’incompétence ou de manque de professionnalisme. Ces parents affirment généralement n’avoir reçu aucune aide ni aucun soutien de la part de leur intervenante. Il est notoire que les émotions adverses ressenties en situation de relation négative en PJ engendrent une méfiance généralisée face à l’intervenante et une perception de son incompétence, comme l’exprime cette mère : « Non à cause c’est des perdus en d’autres mots. C’est des bons riens, excusez. [Le centre jeunesse], c’est le gros zéro, bon. » (mère 12). L’établissement d’une relation négative semble créer un blocage à la collaboration des parents.
« J’me sens pas écoutée, j’me sens pas soutenue, non plus compris. J’me sens vraiment pas bien avec elle… C’pas l’fun de travailler avec quelqu’un avec qui tu t’entends pas là clairement. C’est pas comme si j’veux pas travailler, comme si j’veux pas avancer, j’veux l’faire! Mais c’est avec la personne avec qui je suis que j’ai d’la misère… l’avoir comme travailleuse sociale, ça m’bloque comme, si j’en avais une autre j’suis sûr j’avancerais plus vite. ».
mère 11
On remarque ainsi que l’obligation de collaborer dans un contexte de relation négative, sous la menace réelle de la restriction des droits parentaux, apparaît comme une source de peur et de stress importante chez les parents. Plusieurs discours analysés pointent vers des indices de stress dans les réactions parentales, pouvant être divisés en trois réactions principales : 1) l’attaque : « scuse moi, mais elle mériterait un coup de pied dans face. » (mère 9), « avant que j’l’étouffe. » (mère 12), « j’étais tellement agressive pis j’avais peur… » (mère 21); 2) la fuite : « je l’aime pas fait’que j’l’appelle pas » (mère 11), « C’est du passé pis j’veux pas repenser à ça. » (mère 27); et 3) l’immobilisation : « Ben moi ça me AHH!.. Ça me pogne, pas capable. » (mère 6), « j’pas capable de dire un mot parce que sinon à m’fait enrager » (mère 16). Ces réactions de stress semblent nuire à la réceptivité des parents, puisque ces derniers monopolisent leur attention non pas sur l’intervention à effectuer, mais plutôt sur la méfiance et les difficultés relationnelles.
Discussion
Nos résultats suggèrent que des caractéristiques propres aux pratiques professionnelles sont associées à la qualité de la relation parent-intervenante. On constate que dans la perception des parents, la qualité de cette relation apparaît comme un élément central dans leur processus de changement.
La connexion affective
Les habiletés interpersonnelles telles que l’écoute empathique et la bienveillance authentique peuvent provoquer une réelle connexion affective entre le parent et l’intervenante. Ceci est un rappel manifeste des écrits de Rogers (1957) qui a identifié les conditions « nécessaires et suffisantes » au changement thérapeutique dont les clés sont l’empathie, la congruence (authenticité) et la considération bienveillante inconditionnelle. L’emphase mise sur l’aspect affectif chez les parents appelle à ramener la qualité de la relation comme élément prioritaire lors d’intervention en PJ. L’absence de ces habiletés mène au développement d’une relation négative, qui entraîne des situations stressantes pour les parents et des conflits, parfois irréconciliables. Pour un tiers de l’échantillon, les attitudes de l’intervenante ont conduit les parents à adopter des attitudes de fermeture, d’attaque, d’évitement ou de passivité dans l’intervention, indices d’un stress possible vécu par ces parents. Il apparaît qu’un stress élevé lors de l’intervention réduit la capacité du parent et de l’intervenante à garder en tête les besoins de l’enfant en priorité (Howe, 2010). Soulignons également que les intervenantes font face à leur propre réaction de stress. Cela peut influencer leurs attitudes, leur disponibilité affective et entraîner une évaluation des risques plus élevée (Leblanc et al., 2012). Au contraire, Ferguson et ses collègues (2022) soutiennent que l’habileté des intervenantes à entendre et à « contenir » l’état émotif du parent crée un sentiment de sécurité. En effet, celui-ci sait que son intervenante se préoccupe de son bien-être, même lorsqu’il est absent, ce qui correspond à la dimension de sécurité évoquée dans le développement d’un lien d’attachement sécurisant. Les résultats observés montrent que l’établissement de la confiance affective, par le biais notamment du soutien affectif et de la connexion affective, offre cette même base de sécurité au parent, augmentant ainsi sa réceptivité aux messages délivrés par l’intervenante.
La perception de compétence
La perception de compétence pourrait faire référence au phénomène de confiance épistémique, soit la confiance que « l’information nouvelle provenant d’une autre personne est authentique, fiable, généralisable et peut s’appliquer à soi » (Fonagy et Alison, 2014, p.373). En effet, les parents ayant un lien affectif avec leur intervenante indiquent avoir confiance en ses propos et ressentir une compréhension mutuelle. La confiance affective pourrait donc être la clé par laquelle l’intervenante peut entamer un processus de réflexivité partagé, soit un processus de réflexion continue autour des enjeux présents dans la vie quotidienne de la famille. De cette façon, les intervenantes arrivent à établir une vision commune de la réalité avec le parent. Cela permet de centrer l’intervention sur la sécurité de l’enfant plutôt que sur les points de tensions entre le parent et l’intervenante, de réduire ainsi le stress au cours de l’intervention et de favoriser l’ouverture au changement.
Les habiletés de communication permettent d’établir une collaboration authentique si les intervenantes parviennent à une négociation réciproque du pouvoir (Bundy-Fazioli et al., 2009; Trotter, 2002). En effet, bon nombre de parents ont indiqué que le fait de se sentir impliqués dans la définition du problème et des solutions, et de recevoir du soutien concret ou des appuis dans leur relation avec d’autres organisations, correspondait à leur idée de la compétence.
L’engagement réciproque
Force est de constater que la relation parent-intervenante et les divers déterminants identifiés semblent pouvoir favoriser l’engagement des parents dans l’intervention en PJ. Ainsi, plusieurs auteurs définissent l’engagement en PJ comme un phénomène réciproque, itératif, évolutif et multidimensionnel dans lequel la relation jouerait un rôle central (Charest-Belziles et al., 2020; Damiani-Tabara et al., 2017; Gladstone et al., 2012). Les habiletés interpersonnelles identifiées ont été reliées à l’engagement des parents ainsi qu’à celui du professionnel (Cheng et Lo, 2016; Damiani-Taraba et al., 2017). Aussi, la perception de compétence a été associée à un engagement parental élevé (Cheng et Lo, 2016; Damiani-Taraba et al., 2017; Schreiber et al., 2013). Cet engagement réciproque, dans un contexte où l’asymétrie de pouvoir est minimisée, serait associé à des résultats positifs en PJ (Charest-Belziles et al., 2020; Gladstone et al., 2012). L’engagement des parents dans l’intervention en PJ serait aussi associé aux progrès parentaux et pourrait augmenter les chances de réunification familiale comme issue de l’intervention (Cheng et Lo, 2016; Maltais et al., 2019).
Ces résultats mettent en exergue l’importance de considérer la relation parent-intervenante positive comme indispensable à l’intervention. Par le biais de la connexion affective, de la confiance épistémique et de l’engagement réciproque, la relation constitue un terreau fertile au sein duquel le parent peut développer un sentiment de sécurité indispensable à l’acquisition de nouvelles habiletés. Ces étapes seraient préalables à un changement observable du fonctionnement individuel, familial et plus largement, social, influençant la dynamique familiale.
Importance d’une approche clinique sensible au trauma
Une grande proportion des parents dont les enfants sont suivis en PJ ont un passé marqué par les TR, ce qui complique, notamment en raison d’une hyperréactivité au stress et d’une méfiance accrue, l’établissement d’un lien de confiance avec leur intervenante. En effet, Milot et ses collaborateurs (2018) expliquent que la nature même des TR peut compliquer l’établissement d’une telle relation dans un contexte de déséquilibre de pouvoir entre l’aidant et l’aidé ce qui rappelle le contexte de la PJ. Sous cet angle, des pratiques professionnelles perçues comme menaçantes sont particulièrement susceptibles d’entraîner des réactions de stress ou des dérégulations émotionnelles et comportementales, ce qui rend le déroulement de l’intervention plus complexe. Le parent est alors enclin à présenter des mécanismes de défense tels que l’attaque, la fuite, l’immobilisation ou la dissociation (Porges, 2011), ou des signes de détresse, tels que ceux observés dans les résultats de l’étude, induisant possiblement un biais à l’évaluation en PJ. Il apparaît que certaines intervenantes peuvent interpréter ces attitudes comme les signes d’une instabilité affective ou d’un manque de collaboration du parent. Celles-ci fondent alors leur décision sur une réaction induite par l’adéquation entre l’intervention et les besoins du parent, plutôt que d’évaluer le fonctionnement réel de la personne. D’ailleurs, 80 % des dossiers cliniques et 32 % des jugements concernant l’évaluation des compétences parentales en PJ feraient état de l’instabilité émotionnelle des mères, de leur passivité ou de leurs problèmes de santé mentale (Pouliot et Turcotte, 2019). De surcroît, l’évaluation d’une attitude parentale de non-collaboration serait le premier motif de décision de placement (Pouliot et Turcotte, 2019; Tourigny et al., 2010).
À la lumière de ces observations, il apparaît qu’une meilleure connaissance des répercussions du trauma complexe sur le fonctionnement non seulement des enfants, mais aussi de leurs parents permettrait d’interpréter avec justesse et empathie certaines réactions des parents durant les suivis pour négligence en PJ, et ainsi soutenir une prise de décision plus éclairée. De plus, une utilisation ciblée des déterminants identifiés dans la présente étude semblerait renforcer le sentiment de sécurité, ce qui contribuerait à un apaisement du parent dans l’intervention. Les intervenantes, en favorisant un climat de confiance mutuelle, permettent au parent de s’appuyer sur leur soutien affectif comme outil de corégulation émotionnelle. Cette connexion affective, en apaisant les réactions défensives initiales ressenties par le parent, semble ouvrir la porte à une collaboration constructive, ainsi qu’à un processus de réflexions partagées pour soutenir l’engagement mutuel autour du bien-être de l’enfant. Il est intéressant de constater que les déterminants identifiés par les parents correspondent aux principes centraux d’une approche sensible au trauma, soit : 1) la sécurité, 2) la confiance et la transparence, 3) la collaboration et la mutualité, et 4) le pouvoir d’agir (SAMHSA, 2014). D’autant plus que la maîtrise de l’ensemble du processus d’établissement d’une relation parent-intervenante positive rappelle l’une des composantes principales des interventions en contexte de trauma complexe (Cook et al., 2005). Ces composantes sont décrites comme un engagement relationnel permettant la création et la réparation, à la suite de ruptures, d’une relation interpersonnelle de qualité basée sur un modèle d’attachement sécurisant. Ferguson et ses collègues (2022) expliquent que chez ces personnes n’ayant pas expérimenté de telles relations sécurisantes dans l’enfance, le fait d’être l’objet du soin et de la sécurité d’une intervenante en PJ engagée et fiable (holding relationship) entraîne souvent un changement chez le parent. Ils qualifient donc cette relation de « thérapeutique » (p. 222). Ainsi, une intervenante mettant au premier plan la sécurité affective, psychologique et physique du parent permet à celui-ci de s’impliquer dans l’intervention et d’être plus disponible aux apprentissages, soutenant ainsi une réelle mobilisation. Bien sûr, diverses contraintes organisationnelles, comme le manque de temps, la continuité dans l’intervention ainsi que le mandat en PJ présentent parfois des obstacles aux intervenantes qui les empêchent d’agir selon ces principes. Il serait intéressant d’explorer ces obstacles dans le futur pour mieux soutenir les intervenantes dans l’application de ces principes d’intervention. De plus, si on analyse l’importance de différentes caractéristiques (p. ex. la situation socioéconomique, le genre, l’ethnie) qui interagissent, dans une perspective intersectionnelle, dans les rapports d’oppression vécus par certaines personnes, il serait intéressant de considérer l’influence qu’elles ont sur la relation parent-intervenante dans de futures études. À terme, il est possible que la généralisation de pratiques sensibles au trauma à travers l’établissement d’une relation positive de qualité avec les parents puisse augmenter l’efficience et l’efficacité des interventions en PJ pour motif de négligence, tout en minimisant les risques d’effets néfastes de l’intervention ou de retraumatisation pour l’ensemble de la famille.
Limites de l’étude
Cette étude qui s’intéresse à la perception qu’ont les parents de la relation avec leur intervenante en protection de la jeunesse présente certaines limites importantes à considérer. Premièrement, l’étude originale ne portait pas spécifiquement sur la relation parent-intervenante. Cela nous a donc empêchés de creuser davantage le sujet auprès des parents. De plus, les résultats s’appuient exclusivement sur le point de vue des parents, excluant ainsi celui des intervenantes. Aussi, comme il s’agit d’une étude basée sur l’analyse secondaire d’entrevues qui ont été menées de 2014 à 2016, il n’a pas été possible de retourner voir les participants pour valider les interprétations réalisées à partir de leur propos. Cela aurait permis d’augmenter la validité interne des interprétations émises (Drapeau, 2004). De plus, il est à noter que l’échantillon comportait un faible taux de participants masculins (trois pères). Finalement, l’échantillon des participants provenait d’un programme où les intervenantes avaient toutes reçu une formation portant sur l’approche participative. En conséquence, la proportion de relations qualifiées de positives pourrait ne pas être représentative des services généraux en PJ.
Conclusion
La relation parent-intervenante apparaît comme une composante essentielle au succès des interventions pour négligence en protection de la jeunesse. Cette étude propose une compréhension des déterminants qui contribuent à la qualité de cette relation de la perspective privilégiée des parents ayant vécu ce type d’intervention. Les déterminants identifiés permettent d’approfondir les connaissances sur l’établissement de cette relation particulière, mais constituent aussi des leviers de changement afin d’agir directement sur le bien-être des familles concernées par ces actions étatiques d’exception. Nous avons présenté des connaissances relatives au trauma complexe pour saisir l’action dynamique de ses déterminants et l’influence de la relation parent-intervenante sur le déroulement de l’intervention. Ces résultats sont encourageants étant donné la place grandissante des approches sensibles au trauma dans les pratiques institutionnelles. En toutes circonstances, nous considérons que l’accès aux ressources nécessaires pour assurer la sécurité et le bien-être physique, psychologique et affectif du parent lui permet de se positionner comme un acteur central dans la poursuite de l’intérêt primordial de son enfant lors d’interventions pour négligence en protection de la jeunesse.
Appendices
Note
-
[1]
Certains extraits font référence à des situations où les familles sont accompagnées par une équipe de deux intervenantes.
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