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L’intégration scolaire des élèves handicapés et de ceux en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) en classe ordinaire est recommandée dans la plupart des pays industrialisés (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2011; Ministère de l’Éducation nationale, 2012). Cependant, l’intégration de certains élèves peut être plus difficile, notamment ceux manifestant d’importantes difficultés comportementales, émotionnelles, sociales et scolaires (Kauffman et Landrum, 2009). Cela est notamment le cas de ceux qui correspondent aux définitions des élèves ayant des troubles graves du comportement (TGC) ou des troubles relevant de la psychopathologie (TRP) du ministère de l’Éducation (MELS, 2007). À titre indicatif, en 2020-2021, seulement 26,6 % des élèves présentant des TGC et 42,7 % des élèves ayant des TRP étaient intégrés en classe ordinaire au primaire et au secondaire (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2020). Les élèves ayant des TGC (code 14) présentent un fonctionnement global caractérisé par des comportements agressifs ou destructeurs de nature antisociale qui se manifestent depuis plusieurs années, de manière fréquente et qui entravent le développement de l’élève, les droits des autres élèves ou encore les normes sociales (Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche [MEESR], 2015; MELS, 2007). Lors de l’évaluation de l’élève, l’un de ses comportements doit être à au moins deux écarts-types de la moyenne des élèves de son âge (MELS, 2007). Les élèves ayant des TRP (code 53) présentent quant à eux un ou plusieurs diagnostics de troubles mentaux établis par un professionnel, comme un trouble d’anxiété généralisée, un trouble de conduite ou un trouble d’attachement (MELS, 2007). Dans cet article, les élèves correspondant aux définitions de ces deux catégories sont considérés comme ayant un trouble complexe.

En raison des difficultés et des besoins importants qu’éprouvent les élèves ayant un trouble complexe en contexte d’apprentissage, la majorité de ceux-ci est scolarisée dans des environnements plus restrictifs comme des classes spéciales (Smith et al., 2011). Même dans des contextes spécialisés, cette clientèle représente celle qui génère le plus de stress et de préoccupations chez le personnel scolaire, notamment concernant la gestion des difficultés comportementales (Kalubi et al., 2015; Reddy et Richardson, 2006). Le personnel se retrouve souvent démuni quant aux interventions ou aux programmes adéquats à utiliser auprès de ces élèves (Cook et Ruhaak, 2014; Desbiens et al., 2018), que ce soit par manque de connaissances, de formation (Reinke et al., 2011; Rodger et al., 2014) ou de soutien dans leurs pratiques (Cook, 2002; Martin et al., 2003; Wagner et al., 2006; Walter et al., 2006). Afin que le personnel scolaire puisse intervenir de manière optimale auprès de ces élèves présentant des besoins importants, il s’avère crucial de le soutenir dans le développement de ses compétences professionnelles auprès de cette clientèle (Gaudreau et Nadeau, 2015). C’est en ce sens qu’un projet de partenariat en recherche-action a été développé par trois centres de services scolaires de la Mauricie et du Centre-du-Québec et une équipe de recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Ce partenariat visait à revoir le fonctionnement des classes spéciales de niveau primaire accueillant des élèves ayant des troubles complexes, c’est-à-dire ceux présentant des TRP ou des TGC (Aubin-Gagnon, 2019). Un modèle d’accompagnement des équipes-écoles inspiré du modèle ARC[1] (Attachement—Régulation—Compétences) (Blaustein et Kinniburgh, 2010, 2019) a ainsi été développé. Le présent article vise à documenter les effets de ce processus d’accompagnement des équipes-écoles sur les élèves ayant un trouble complexe selon la perspective de leurs enseignantes.

Élèves présentant un trouble complexe

Les élèves ayant un trouble complexe présentent souvent plusieurs difficultés importantes d’adaptation, notamment des difficultés d’autorégulation émotionnelle et comportementale (Desbiens, Bluteau et al., 2020). Ces difficultés se manifestent généralement par des problèmes de comportement intériorisés ou extériorisés, qui ne sont pas exclusifs les uns des autres (Perry et al., 2011; Thornback et Muller, 2015). Les comportements extériorisés regroupent notamment l’agressivité directe et indirecte, l’hyperactivité, l’impulsivité, l’inattention, l’opposition et les troubles de conduite. Les comportements intériorisés, quant à eux, font plutôt référence à l’anxiété, aux indices de dépression ou d’idéations suicidaires et au retrait social (Goupil, 2020; Massé, Lanaris et al., 2020). Ces élèves peuvent aussi manifester des difficultés dans leurs capacités adaptatives. Ces dernières favorisent le fonctionnement adaptatif d’un individu et comprennent autant les capacités à s’adapter rapidement à un changement (adaptabilité) que les habiletés sociales, la communication fonctionnelle et la capacité à réaliser les activités de la vie quotidienne (Daoudi et Haelewyck, 2013; Reynolds et Kamphaus, 2015). Les élèves ayant un trouble complexe sont plus susceptibles de présenter des déficits sur le plan des habiletés sociales et des difficultés dans leurs relations interpersonnelles, que ce soit avec leurs pairs ou avec leurs enseignants (Gresham et al., 2011; Turnbull et al., 2012). Cela peut les amener à s’isoler, à se marginaliser ou à vivre du rejet de leurs pairs (Perry et al., 2011). Sur le plan scolaire, ils sont susceptibles de moins bien réussir que les autres élèves, d’éviter les tâches scolaires et de vivre des échecs (Gable et al., 2012; Lane et al., 2008; Turtura et al., 2014). Même lorsqu’ils sont scolarisés dans des classes spéciales, la complexité des difficultés de ces élèves constitue un défi important pour le personnel scolaire (Gaudreau et Frenette, 2014). Afin qu’il soit en mesure d’accomplir son rôle, il est essentiel de lui apporter du soutien dans ses pratiques (Kauffman et Landrum, 2018). Les approches sensibles au trauma semblent être une avenue intéressante pour accompagner les acteurs scolaires intervenant auprès des élèves présentant un trouble complexe.

Approches sensibles au trauma

Les approches sensibles au trauma sont de plus en plus reconnues et suscitent un intérêt grandissant, notamment pour le milieu scolaire (Chafouleas et al., 2016). Elles visent notamment à ce que les institutions soient sensibilisées au trauma complexe et agissent à titre préventif ou curatif face à cette problématique (Milot, Lemieux et al., 2018). La notion de trauma complexe fait référence à la présence prolongée et répétée d’évènements adverses dans les relations interpersonnelles pendant l’enfance et à ses nombreux effets négatifs à long terme sur le fonctionnement (Cook et al., 2005; Milot, Collin-Vézina et al., 2018). Bien que les élèves ayant un trouble complexe ne soient pas formellement identifiés comme ayant un trauma complexe, leurs troubles ou leurs difficultés peuvent être similaires à celles de cette clientèle. Par exemple, plusieurs enfants ayant vécu des traumatismes présentent différents diagnostics : trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), troubles anxieux, dépression, trouble réactionnel de l’attachement (van der Kolk et al., 2009). Ces deux clientèles se retrouvent souvent en classe spéciale, notamment en raison de leurs difficultés à respecter les règles, à gérer leurs émotions et à interagir avec les pairs. Ces élèves sont aussi plus susceptibles de développer des problèmes d’attachement (Massé, Lanaris et al., 2020). Pour les élèves ayant un trouble complexe, les motifs d’intervention découlent généralement de difficultés comportementales et d’adaptation importantes à l’école et les sources de ces difficultés sont rarement investiguées par le milieu scolaire. Or, les probabilités sont élevées que ces élèves aient vécu des expériences traumatiques qui ne sont pas connues et que celles-ci contribuent aux problématiques rencontrées (Milot et al., 2021). En effet, il est reconnu qu’une proportion importante de la population est susceptible d’avoir un trauma complexe, particulièrement parmi les clientèles à risque (Collin-Vézina et al., 2011; Dierkhising et al., 2013; Jaycox et al., 2004; Struck et al., 2020). Comme le milieu scolaire représente l’un des contextes pouvant le plus influencer la santé mentale des enfants avec le milieu familial (National Research Council and Institute of Medicine, 2009), les approches sensibles au trauma dans les écoles s’avèrent particulièrement pertinentes auprès des jeunes présentant un trouble complexe. Environ le tiers des enfants aurait vécu une forme de violence familiale (abus physique, abus sexuel, exposition à de la violence conjugale) au Canada (Afifi et al., 2014) et les populations à risque seraient plus susceptibles de vivre des traumas interpersonnels (Collin-Vézina et al., 2011). Les modèles d’intervention sensibles au trauma complexe constituent alors un cadre conceptuel pertinent pour guider l’intervention auprès d’enfants et d’adolescents présentant des besoins multiples, comme c’est le cas des élèves ayant un trouble complexe (Milot et al., 2021). Les approches sensibles au trauma permettent au personnel scolaire d’aborder ces élèves sous une perspective différente, en concevant leurs difficultés au-delà du diagnostic posé et en considérant les expériences vécues et les facteurs de vulnérabilité des élèves dans la genèse des difficultés éprouvées. De plus, le milieu scolaire constitue un milieu favorable à ce type d’approche, notamment en raison de la routine, de la constance et de la prédictivité que peut procurer ce contexte (Substance Abuse and Mental Health Services Administration [SAMHSA], 2014). Bien que les approches sensibles au trauma aient des visées différentes des modèles d’intervention pour les traumas complexes qui ont pour but de traiter les conséquences dues à des traumatismes, ces derniers offrent aussi des outils pertinents pour sensibiliser les écoles au trauma, notamment en aidant le personnel scolaire à comprendre les élèves à risque et à intervenir auprès d’eux (Spence et al., 2021). C’est à ce titre que dans le cadre de la présente étude, un processus d’accompagnement des équipes-écoles a été développé à partir du modèle ARC, un modèle d’intervention initialement conçu pour les jeunes qui présentent un trauma complexe. Le modèle ARC intègre notamment plusieurs stratégies d’intervention recommandées pour les élèves présentant des difficultés d’adaptation, comme l’établissement d’une bonne relation élève-enseignant, la mise en place de routines sécurisantes, le renforcement et l’autorégulation émotionnelle (Massé, Bluteau et al., 2020; MEESR, 2015).

Modèle ARC

Le modèle ARC (Blaustein et Kinniburg, 2010, 2019) propose des lignes directrices pour intervenir auprès de jeunes âgés de 3 à 17 ans ayant vécu des traumas complexes. Les fondements de ce modèle provenant des États-Unis se basent sur les théories du trauma complexe et de l’attachement ainsi que sur les connaissances sur le développement (Collin-Vézina et al., 2018). Ses trois principaux domaines d’intervention regroupent l’attachement, la régulation et les compétences (voir la figure 1). Les interventions dans le domaine de l’attachement visent à ce que les adultes responsables des besoins des enfants acquièrent les habiletés pour les soutenir dans leur développement et les accompagner dans la gestion des situations difficiles. Les interventions ciblent la gestion des émotions des donneurs de soins, l’ajustement empathique avec le jeune, la réponse constante et appropriée aux besoins de l’enfant ainsi que l’installation d’une routine sécurisante. Le domaine de la régulation vise quant à lui à apprendre à l’enfant différentes stratégies pour identifier ses émotions et ses états physiologiques, les moduler en élargissant sa zone de confort et les exprimer de manière adéquate en lui enseignant des stratégies pour les réguler. Le dernier domaine, celui des compétences, a pour objectif d’améliorer les fonctions exécutives de l’enfant pour l’amener à comprendre les conséquences découlant de ses comportements et à faire des choix éclairés et cohérents avec sa personne. Ce domaine vise aussi à accompagner l’enfant dans le développement de son identité, notamment par le biais d’un concept de soi positif. L’étape ultime du modèle consiste à ce que l’enfant intègre les expériences traumatiques qu’il a vécues et développe une meilleure compréhension de lui-même, pour actualiser son potentiel.

Figure 1

Modules de formation liés au modèle ARC

Modules de formation liés au modèle ARC

Note : Traduit librement de Blaustein et Kinniburg (2010).

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Efficacité du modèle ARC

Le modèle ARC semble prometteur comme cadre d’intervention auprès de jeunes dans différents contextes (Arvidson et al., 2011; Blaustein et Kinniburg, 2019; Dorado et al., 2016; Hodgdon et al., 2013, 2016). Dans une étude où le modèle a été appliqué auprès d’enfants de différentes origines ethniques placés sous la protection de la jeunesse (Arvidson et al., 2011), des améliorations ont été observées concernant l’anxiété/la dépression, les plaintes somatiques, les comportements de retrait, les problèmes de sommeil, les problèmes d’attention, les comportements agressifs, les problèmes liés à la pensée, les difficultés sociales et les transgressions de règles. Hodgdon et al. (2016) ont aussi observé des effets positifs dans les comportements problématiques d’enfants adoptés et sur les compétences parentales. Les parents nommaient en effet qu’ils ressentaient moins de stress et qu’ils comprenaient mieux les problèmes de leurs enfants, ce qui les aidait à les percevoir plus positivement. Dans une étude pilote réalisée au Québec dans des ressources de type familial accueillant des enfants de 3 à 11 ans, Collin-Vézina et ses collègues (2018) rapportent des améliorations concernant les symptômes intériorisés, les problèmes de comportement, l’hyperactivité et l’inattention des enfants. Dans le milieu scolaire, le programme américain Healthy Environments and Response to Trauma in Schools (HEARTS), basé entre autres sur le modèle ARC, a été implanté dans un modèle d’intervention multiniveau, c’est-à-dire ayant des interventions universelles pour le personnel scolaire et tous les élèves, incluant ceux n’ayant pas vécu de trauma (niveau 1), des interventions ciblées notamment pour les élèves à risque (niveau 2) ainsi que des interventions spécialisées et intensives conçues pour les élèves identifiés comme ayant vécu des traumas (niveau 3). Ce programme, qui adopte une approche sensible au trauma, a permis d’observer plusieurs améliorations, notamment dans les connaissances du personnel, pour l’évaluation et l’intervention, l’engagement scolaire et les problèmes de comportement de l’ensemble des élèves ainsi que les symptômes associés au trauma chez les élèves ayant fait l’objet d’interventions spécialisées et intensives (Dorado et al., 2016).

Ces études suggèrent que ce cadre d’intervention semble bénéfique autant pour les jeunes que pour les adultes. Toutefois, sur le plan scientifique, aucune étude n’a analysé les effets d’un processus d’accompagnement basé sur le modèle ARC dans le milieu scolaire québécois, en particulier dans les classes spéciales accueillant des élèves présentant des troubles complexes. Les difficultés d’adaptation associées au trauma complexe sont semblables aux défis auxquels sont confrontés les élèves avec des cotes TRP ou TGC décrites plus haut. Bien qu’il n’incombe pas au milieu scolaire de déterminer si ces élèves ont vécu des épisodes traumatiques dans leur passé, la similarité des profils laisse présager que les interventions visant les enfants ayant vécu un trauma complexe pourraient aussi être pertinentes pour les élèves avec un trouble complexe. L’évaluation des effets de ce processus d’accompagnement sur cette clientèle permettrait non seulement d’étayer les connaissances sur les applications du modèle ARC en contexte québécois, notamment en milieu scolaire, mais également d’apprécier dans quelle mesure ce type d’intervention présente des avantages pour les élèves n’ayant pas été identifiés comme ayant un trauma complexe. Des effets bénéfiques pourraient amorcer une réflexion dans le milieu scolaire sur la perception des difficultés des élèves à l’école qui serait plus intégrative en adoptant une vision sensible au trauma.

La présente étude a pour but de documenter le point de vue d’enseignantes concernant les effets d’un processus d’accompagnement développé à partir du modèle ARC. Plus précisément, elle vise à répondre aux objectifs spécifiques suivants à l’aide de données quantitatives et qualitatives : 1) évaluer les changements dans les comportements et les capacités adaptatives des élèves à la suite du processus d’accompagnement et; 2) décrire les effets des mesures mises en place dans le cadre du processus d’accompagnement sur les élèves.

Méthode

Dans le cadre de l’étude, un devis mixte simultané avec triangulation est utilisé (Fortin et Gagnon, 2022). L’objectif de ce devis est d’utiliser des méthodes quantitatives et qualitatives pour renforcer, confirmer ou corroborer une explication et d’intégrer les résultats lors de la discussion.

Procédure de recrutement et participants

Cette étude s’insère dans un projet de recherche-action plus vaste qui s’est déroulé de septembre 2015 à juin 2017 visant à accompagner le personnel de trois centres de services scolaires dans la mise en place d’un modèle d’intervention adapté à leurs besoins. Toutes les procédures ont été approuvées par le comité d’éthique de l’UQTR (CER-15-216-07.11). Les participants à l’étude forment un échantillon de convenance, puisque l’initiative du projet provient des trois centres de services scolaires participants qui souhaitaient mieux soutenir les enseignantes dans leurs classes spéciales pour les élèves ayant des troubles complexes. Au total, sept classes de trois écoles différentes ont participé au projet. Pour cette étude, seuls les élèves qui ont participé aux deux années du projet ont été retenus. Dans le volet quantitatif, l’échantillon se compose de 30 élèves âgés de 5 à 12 ans pendant la première année du projet (M = 8,87 ans; 7 filles et 23 garçons). Ces derniers appartiennent à des classes spéciales pour les élèves ayant des TRP ou des TGC de maternelle (n = 1), de 1er et 2e cycle (n = 13), de 2e et 3e cycle (n = 12) et de 1er, 2e et 3e cycle (n = 4). Selon les données initiales obtenues via les questionnaires Behavior Assessment System for Children-Second Edition[2] (BASC-2 CDN-F; Reynolds et Kamphaus, 2004) remis par les enseignantes de chacune des sept classes, la majorité des élèves présente des problèmes cliniquement significatifs concernant les problèmes extériorisés (n = 20), l’indice de symptômes comportementaux (n = 19), le harcèlement (n = 18), la maîtrise de soi émotionnelle (n = 19) et le fonctionnement exécutif (n = 19). Les échelles de cet outil sont présentées plus loin dans la section « Instruments de mesure ». En raison d’un remplacement dans l’une des classes entre les deux années du projet, huit enseignantes ont rempli les questionnaires au total (n = 8). Dans le volet qualitatif, l’échantillon est constitué des enseignantes de chacune des classes qui ont réalisé les entretiens semi-dirigés à la fin de la deuxième année du projet (n = 7).

Processus d’accompagnement offert

Dans le cadre du projet, les enseignantes et les éducateurs spécialisés des classes concernées ont reçu de l’accompagnement de trois personnes-ressources du Service régional de soutien et d’expertise en adaptation scolaire de la Mauricie et du Centre-du-Québec. Cet accompagnement consistait en des rencontres d’accompagnement mensuelles d’environ deux heures pour intégrer et adapter les trois principaux domaines d’intervention du modèle ARC dans la gestion de leur classe au quotidien. Des situations de classe jugées comme difficiles par l’équipe-école étaient discutées avec les personnes-ressources afin de trouver des solutions en s’inspirant du modèle ARC. Pendant la première année, le domaine de l’attachement a été davantage abordé, notamment pour que les élèves développent au quotidien un sentiment de sécurité dans leur classe. Lors de la seconde année, le domaine de la régulation a été prédominant. Les équipes-écoles ont travaillé avec les élèves pour favoriser la gestion de leur anxiété et de leurs frustrations pouvant émaner de situations d’apprentissage ou sociales. En raison du temps disponible et des besoins des élèves, les participants ont priorisé les domaines de l’attachement et de la régulation, ce qui fait en sorte que le domaine des compétences a été moins exploré au cours du projet. Il est important de préciser qu’afin que le processus d’accompagnement soit adapté aux besoins de chaque milieu, les outils et les pratiques discutés étaient tous issus du modèle ARC, mais ont varié selon la réalité de chaque équipe-école. Les élèves ont bénéficié du processus d’accompagnement de façon indirecte, par l’entremise des actions des équipes-écoles qui étaient davantage sensibilisées au trauma complexe et modifiaient leurs pratiques de gestion de classe et d’enseignement pour mieux répondre aux besoins des élèves. Par exemple, à travers cet accompagnement, des locaux d’apaisement et d’expression des émotions ont été aménagés dans les écoles dans le but d’enseigner aux élèves des stratégies d’autocontrôle alternatives. Entre les rencontres d’accompagnement, les équipes-écoles (enseignantes, éducateurs spécialisés et professionnels) étaient invitées à planifier des rencontres de concertation une heure par mois pour réfléchir aux actions à mettre en place et les organiser. Un portail internet regroupant des outils, des documents d’information et du contenu théorique en lien avec le projet était également à la disposition des enseignantes (p. ex. : guide pour la rédaction des règles de classe). Cinq journées de formation ont aussi été offertes aux équipes-écoles, quatre lors de la première année et une pendant la deuxième année du projet. Les thèmes abordés durant ces formations correspondaient aux lignes directrices du modèle ARC et aux notions associées : l’attachement, la régulation et les compétences.

Instruments de mesure

La version francophone canadienne pour enseignants BASC-2 CDN-F (Reynolds et Kamphaus, 2004) a été remplie par les enseignantes de chaque classe du projet à trois reprises (hiver 2016, automne 2016 et hiver 2017). Seuls les temps 1 et 3 sont considérés dans cette étude puisque les mesures ont été davantage appliquées à la fin de la première année et au début de la deuxième, c’est-à-dire à la suite de la mesure intermédiaire (temps 2). Selon l’âge des enfants au moment de l’évaluation, les versions pour les enfants de 6 à 11 ans (TRS-C 6 à 11) et les jeunes de 12 à 21 ans (TRS-A 12 à 21) ont été utilisées. Cet instrument évalue le fonctionnement comportemental, émotionnel, social et scolaire des élèves à l’aide de plusieurs échelles : composites (problèmes extériorisés; problèmes intériorisés; problèmes scolaires; indice de symptômes comportementaux qui regroupe des comportements considérés comme anormaux et de retrait; habiletés adaptatives), primaires cliniques (hyperactivité; agressivité; problèmes de conduite; anxiété; dépression; somatisation; problèmes d’apprentissage; problèmes d’attention; comportement anormal; et comportement de retrait), primaires adaptatives (adaptabilité; habiletés sociales; leadership; habiletés d’étude; et communication fonctionnelle) et de contenu (contrôle de la colère; harcèlement, qui fait référence à une tendance à adopter des comportements perturbateurs, intrusifs ou menaçants avec les autres; trouble du développement social; maîtrise de soi émotionnelle; fonctionnement exécutif, qui évalue les difficultés à contrôler et à maintenir son comportement et son humeur; émotions négatives, ce qui fait référence à la tendance à réagir négativement aux changements; et résilience). Les items concernent la fréquence des comportements (jamais, parfois, souvent et presque toujours). Pour les échelles primaires adaptatives et celle de la résilience, plus les scores sont élevés, plus les capacités sont grandes. Pour toutes les autres échelles, plus les scores sont élevés, plus les difficultés sont grandes. Les scores T ont été analysés. Les qualités psychométriques de l’instrument rapportées dans le manuel, disponibles uniquement pour la version anglophone, sont satisfaisantes pour les deux versions employées. La stabilité temporelle des deux versions est adéquate (r ajusté pour TRS-C 6 à 11 ans variant de 0,74 à 0,93; r ajusté variant pour TRS-A de 0,74 à 0,92 sauf pour l’anxiété qui est de 0,64). De plus, la consistance interne évaluée dans les deux versions auprès de plusieurs échantillons (échantillon général, genre, échantillon normatif clinique, difficultés d’apprentissage et enfants présentant un TDAH) est acceptable (les Alpha de Cronbach variant de 0,77 à 0,97 selon les échelles).

Des entretiens semi-dirigés ont été réalisés entre mai et juin 2017 par une étudiante de maîtrise en psychoéducation formée à mener ces entretiens. La grille d’entretien a été structurée de façon à recueillir la perception des enseignantes concernant le projet selon cinq thèmes : appréciation globale du projet, appréciation du volet attachement, appréciation du volet régulation, appréciation du volet compétences et commentaires complémentaires. Pour répondre à la question de l’étude, seules les données concernant les effets observés chez les élèves après le projet ont été retenues.

Analyse des données

Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel IBM SPSS Statistics version 24. Afin de vérifier s’il existe des différences significatives entre les scores obtenus au temps 1 et au temps 3, des tests t pour échantillons appariés ont été effectués pour chacune des échelles du BASC-2 CDN-F. Pour s’assurer de la validité des analyses paramétriques, l’asymétrie et l’aplatissement des échelles ont été vérifiés en divisant respectivement leur score par leur erreur standard. Un résultat supérieur ou inférieur à ± 1,96 signifiait que les données ne respectaient pas les standards attendus (Field, 2018). À la suite de cette analyse, plusieurs échelles n’étaient pas conformes à cette norme. La petite taille de l’échantillon et sa composition clinique peuvent expliquer en partie que les données ne correspondent pas à une courbe normale. Afin de contre-valider les résultats des tests paramétriques, des tests de Wilcoxon ont été effectués (analyses non paramétriques). Les échelles qui présentaient une différence statistiquement significative étaient les mêmes dans les deux tests. Afin d’uniformiser la présentation des résultats, ceux obtenus avec les tests paramétriques sont présentés ici pour l’ensemble des échelles.

Pour les données issues des entretiens, une analyse thématique a été effectuée sur les verbatims de la deuxième année afin de faire ressortir les thèmes émergents (Paillé et Mucchielli, 2021). Le logiciel d’analyse NVivo version 11.0 a été utilisé pour le codage et l’analyse des verbatims. Les verbatims ont été segmentés en unités de sens pour chacun des principaux domaines d’intervention du modèle : attachement, régulation et compétences. Les citations représentant le mieux les unités de sens sont exposées pour illustrer les résultats.

Résultats

Cette section présente les résultats quantitatifs et qualitatifs issus des deux collectes de données pour décrire les changements dans les comportements et les capacités d’adaptation des élèves entre le début et la fin du projet et les effets des moyens mis en place sur les élèves.

Comportements et capacités d’adaptation

Concernant le volet quantitatif, le tableau 1 présente les moyennes et les écarts types de chacune des échelles issues des questionnaires pour chacun des temps de mesure retenus et les résultats des tests t appariés.

Tableau 1

Moyennes et écarts types des variables dépendantes pour chacune des temps de mesure et résultats des tests t (n = 30)

Moyennes et écarts types des variables dépendantes pour chacune des temps de mesure et résultats des tests t (n = 30)

*p < 0,05. **p < 0,01.

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Les résultats indiquent une amélioration significative entre les temps 1 et 3 pour l’échelle des comportements extériorisés et ses trois sous-échelles (hyperactivité, agressivité, problèmes de conduite). Concernant les comportements intériorisés, une différence significative est seulement observée pour l’anxiété, mais contrairement à ce qui aurait pu être attendu, il s’agit d’une augmentation plutôt que d’une diminution. Les données obtenues indiquent qu’il y aurait une baisse significative des problèmes scolaires entre les deux temps de mesure. Plus précisément, une baisse des problèmes d’attention est observée alors que les problèmes d’apprentissage demeurent stables. Aucune différence significative n’est observée aux échelles d’indices de symptômes comportementaux ni pour celles en lien avec les habiletés adaptatives. Une amélioration significative est observée concernant les comportements problématiques liés au harcèlement, à la maîtrise de soi émotionnelle, au fonctionnement exécutif et aux émotions négatives. En ce qui a trait aux sous-échelles liées au contrôle de la colère, au trouble du développement social et à la résilience, aucune différence significative n’est révélée.

En ce qui concerne le volet qualitatif, les entretiens semi-dirigés font ressortir plusieurs effets positifs chez les élèves en lien avec les trois principaux domaines d’intervention : attachement, régulation et compétences.

Attachement

Des effets positifs sont nommés par cinq enseignantes relativement à l’attachement, particulièrement concernant le sentiment de sécurité des élèves envers les adultes, ce qui était particulièrement visé dans ce domaine.

Certaines (n = 3) précisent que les élèves semblent plus conscients du fait que les adultes peuvent les aider s’ils en ressentent le besoin.

J’pense que le fait de s’être adapté aussi à leurs besoins, ça les a rassurés, pis ils voient qu’on est là pour eux-autres, on est là pour les aider pis ça fait qui sont plus capables après ça de s’confier tout ça là.

8002

Ils vont venir nous voir, pis même si des fois on leur dit : « Là, j’ai pas compris, dis-moi-le dans d’autres mots, peux-tu me faire un geste? ». Ils vont persévérer à se faire comprendre parce qu’ils savent qu’on est avec eux autres, pis qu’on va essayer de comprendre.

ENS 1001

Trois enseignantes soulignent que les routines et les rituels semblent contribuer à ce sentiment de sécurité chez les élèves. Ils favoriseraient la prévisibilité et permettraient de diminuer l’anxiété chez certains enfants.

Ça fait juste faire en sorte qu’ils sont, ils se sentent plus encadrés, plus en sécurité, moins d’anxiété, […] moins de mauvaises surprises, tu sais. Je pense que, dans le fond c’est ça l’objectif.

ENS 9001

Une enseignante note que les routines et les rituels peuvent parfois être déstabilisants, car ce type de structure ou d’évènement peut générer des émotions négatives chez certains élèves qui n’y sont pas habitués. Une autre enseignante remarque que ses élèves démontrent un plus grand sentiment d’appartenance vis-à-vis de l’école.

Bien c’est sûr que les élèves ils développent un plus grand sentiment d’appartenance à l’école, pis ça leur apprend aussi qu’ils ne vivent pas juste dans une classe tu sais, ils vivent dans une société, pis ça les ouvre aux différences des autres enfants aussi, pis de se faire des amis aussi ailleurs que dans notre classe.

ENS 1001

Régulation

Des changements positifs ont été relevés par toutes les enseignantes chez les élèves concernant l’identification et la modulation des émotions.

Plusieurs enseignantes (n = 6) soulèvent que les élèves ont plus tendance à identifier leurs propres émotions ainsi que celles des autres. L’amélioration de l’identification des émotions aurait contribué à apporter des changements favorables dans la communication entre les élèves et les enseignantes ainsi que dans la modulation des émotions des élèves. Une enseignante nomme que ces progrès se manifestent aussi à la maison selon les commentaires qu’elle a reçus des parents. Ces améliorations découleraient également du fait que les élèves se connaissent mieux.

L’impact c’est positif parce qui sont de plus en plus capables de voir qu’ils sont fâchés, ils ne réagissent pas tout le temps bien par exemple, mais tu sais, [ils] sont capables de s’en rendre compte. Sont capables de le voir aussi sur les autres élèves. Tu sais, j’trouve que c’est bien, [ils] sont capables de reconnaître leurs émotions.

ENS 2001

Bien moi je pense ça les aide beaucoup à se connaître eux autres mêmes là. Pis de dire, d’être capable de dire là je sens que j’en ai assez, je suis mieux de sortir, je suis mieux d’aller faire autre chose avant d’envoyer promener mon voisin, pis après ça c’est moi qui a les conséquences là.

ENS 8002

Les retours après les désorganisations seraient plus faciles (n = 2) et l’apaisement serait plus rapide, tant avant qu’après la crise.

Tu sais, on se rend compte que peut-être il y a des situations des fois là quand qui sortaient de la classe, ça prenait peut-être l’avant-midi ou l’après-midi. Là en ayant une rencontre admettons avec le TES, quand qui reviennent, […] on est capable d’avoir un retour en classe tu sais au lieu de perdre l’avant-midi au complet ou l’après-midi au complet ou la journée au complet, tu sais c’est peut-être un 15-20 minutes ou juste de lui dire y’en a qu’on est capable de faire dire : « Pense aux moyens qu’on t’a donnés tantôt, utilise-les tes moyens ». Pis des fois tout se replace, tout se remet en place […].

ENS 3001

Une enseignante rapporte qu’il y aurait moins de conflits. Selon une répondante, les crises seraient de plus courte durée et le nombre de retraits serait moins important qu’auparavant. Deux enseignantes remarquent cependant que la modulation des émotions s’avère encore difficile pour certains, bien que l’identification se soit améliorée chez plusieurs élèves.

Compétences

Dans les entretiens, la majorité des enseignantes (n = 4) soulignent des améliorations quant à des éléments liés à ce domaine, soit l’autonomie, l’estime de soi, la motivation et la conscience des conséquences de leurs comportements.

Certains élèves seraient plus autonomes dans la gestion de leurs émotions (n = 2). Bien que cette amélioration pourrait être attribuée au domaine d’intervention de la régulation, les enseignants soulignaient que c’est par le développement de la capacité des élèves à faire des choix (locaux, outils) que cette amélioration est survenue, ce qui appartient au domaine d’intervention des compétences du modèle. Le fait qu’ils puissent choisir les locaux dans lesquels ils souhaitent réguler leurs émotions contribuerait à cette amélioration, qui ne serait toutefois pas présente chez tous les élèves.

Certains je [ne] les accompagne pas parce qui sont très autonomes, certains ont besoin de se faire accompagner, pis ils ont besoin de se faire montrer qu’est-ce que je peux faire dans le local d’expression, on le fait pis ça été un nouveau moyen qui est très bien utilisé.

ENS 2001

Une enseignante a souligné une amélioration au sujet de l’estime de soi. Un des facteurs ayant contribué à ce changement serait les réussites vécues au quotidien.

C’est sûr que là on parle en général là, mais voilà je pense que ça eu un impact dans leur estime. […] Sont fiers d’eux quand ils se sont arrêtés au jaune, pis qui ne sont pas allés plus loin, pis qui ont utilisé un truc parce qu’on les booste, on leur en donne des nanans pis des bravos […], je pense que de ce côté-là, y sont fiers d’eux. […] Pour certains le verbalisent, pour d’autres on le sent là qu’ils sont contents juste d’avoir un jaune pis on […] mise là-dessus là.

ENS 4001

Selon une enseignante, les outils mis en place (p. ex. : procéduriers) auraient également permis d’augmenter la motivation des élèves, notamment grâce à leurs réussites.

[…] s’il voit qui est capable de faire les deux premières étapes tout seul pendant qu’on aide un autre élève, mais qu’il a besoin d’aide pour la troisième, la quatrième étape ben c’est correct tsé, y va vivre une réussite dans j’fais la première, la deuxième étape tout seul maintenant, pis avant j’pouvais n’en faire zéro. […] Je pense qu’il y en a que ça leur donne le goût […] de s’investir un peu plus […].

Une enseignante rapporte que les élèves auraient davantage conscience des effets de leurs comportements.

Je pense que les élèves, ils ont commencé à prendre conscience un petit peu […] de l’impact de leurs gestes, de l’impact de leurs paroles puis des moyens qui s’offrent à eux.

ENS 8002

Plusieurs changements sont observés à la suite du processus d’accompagnement basé sur le modèle ARC selon les questionnaires BASC-2 CDN-F et les entretiens avec les enseignantes. Ces derniers sont discutés de manière intégrative ci-après.

Discussion

L’étude visait à documenter les effets d’un processus d’accompagnement des équipes-écoles basé sur le modèle ARC, sur des élèves présentant un trouble complexe. De façon générale, les résultats révèlent plusieurs effets positifs sur les comportements et les capacités d’adaptation des élèves, outre la hausse d’anxiété indiquée dans les données quantitatives. Lors des entretiens, les enseignantes ont également nommé plusieurs effets positifs des moyens mis en place sur les élèves.

Les enseignantes observent une diminution des comportements extériorisés des élèves, un résultat qui concorde avec ceux obtenus dans d’autres études portant sur le modèle ARC (Arvidson et al., 2011; Dorado et al., 2016; Hodgdon et al., 2013). Il est possible que la diminution des comportements extériorisés s’explique par plusieurs éléments mis en oeuvre pendant le processus d’accompagnement basé sur le modèle ARC, notamment l’amélioration de la régulation émotionnelle (Eisenberg et al., 2001; Liebermann et al., 2007; Massé. Lanaris et al., 2020). Selon certaines enseignantes, les élèves seraient plus autonomes dans leur gestion émotionnelle et ils seraient plus en mesure de contrôler leurs comportements. Cela se reflète également dans les améliorations significatives obtenues aux échelles liées notamment à la maîtrise émotionnelle et aux émotions négatives. La diminution des problèmes associés au fonctionnement exécutif pourrait également contribuer à ces effets, car il s’agit d’un élément clé dans la régulation émotionnelle (Steege et al., 2019).

Un autre facteur susceptible d’expliquer la baisse des comportements extériorisés est le fait qu’au cours de l’accompagnement, les enseignantes auraient accru leur compréhension et leurs connaissances sur la régulation émotionnelle, ainsi que leurs propres capacités d’autorégulation. Selon Muller et al. (2013), la régulation des émotions des enseignants et leur compréhension des émotions favoriseraient une meilleure perception des comportements et des émotions des élèves ainsi que des attentes plus réalistes envers ces derniers. Ce résultat est cohérent avec d’autres études ayant documenté l’effet d’approches sensibles au trauma qui montrent que le personnel scolaire rapporte globalement une meilleure compréhension des traumas, une plus grande connaissance des interventions à mettre en place pour répondre aux besoins des élèves ainsi qu’une réduction des comportements problématiques (Aspland et al., 2020). D’ailleurs dans l’étude de Perry et Daniels (2016), 38 % du personnel scolaire qui avait reçu une formation sur les pratiques sensibles au trauma souligne des changements positifs concernant ses propres stratégies d’autorégulation et 91 % du personnel scolaire considère que ses connaissances sur le trauma ont augmenté.

Les résultats quantitatifs ne rapportent cependant pas d’effet positif du processus d’accompagnement sur les problèmes intériorisés des élèves, et même un effet délétère sur l’anxiété qui aurait augmenté. Ces résultats diffèrent d’autres études ayant évalué le modèle ARC, dans lesquelles des améliorations avaient été relevées sur cette variable (Arvidson et al., 2011; Dorado et al., 2016; Hodgdon et al., 2013). Un changement d’attitude et de croyances des enseignantes concernant les troubles émotionnels des élèves pourrait cependant expliquer ce résultat, comme dans l’étude de Massé et al. (2013). Les enseignantes ont été amenées au cours du projet à mieux comprendre la fonction des comportements de leurs élèves (Massé et al., 2013). Elles comprenaient peut-être mieux à la fin du projet que certains élèves expriment parfois leur anxiété par des comportements extériorisés (Bluteau et Dumont, 2014). Si avant le processus d’accompagnement, les enseignantes centraient davantage leur attention sur les comportements problématiques (comportements extériorisés) que sur leur source (anxiété), ces dernières portaient peut-être moins attention aux problèmes intériorisés des élèves. Selon certains auteurs, les problèmes intériorisés sont d’ailleurs souvent sous-estimés en raison de la complexité à les dépister et du fait qu’ils sont souvent mal compris lorsqu’ils sont présents chez les enfants (Marcotte et al., 2014; Miller, 2010). Cette hypothèse, qui gagnerait à être vérifiée, pourrait expliquer en partie la hausse d’anxiété notée dans les résultats quantitatifs.

Une certaine incohérence est présente entre les résultats issus des questionnaires qui indiquent une hausse de l’anxiété et les résultats des entretiens dans lesquels une majorité d’enseignantes rapportent plutôt une baisse de l’anxiété. Lors des entretiens, les répondantes rapportent que les élèves auraient un sentiment de sécurité plus élevé et qu’ils auraient davantage conscience de la présence des adultes et de leur soutien en cas de besoin. Ce résultat est plus conforme avec les autres études concernant le modèle ARC (Arvidson et al., 2011; Dorado et al., 2016; Hodgdon et al., 2013) qui montrent une diminution de l’anxiété après la mise en place du modèle. Des enseignantes nomment que la prévisibilité des routines et des rituels semble avoir contribué à diminuer l’anxiété chez les élèves, une hypothèse qui a déjà été proposée par Benner et al. (2013). Il est cependant possible que les réponses des enseignantes soient influencées par la formation qu’elles ont reçue sur le modèle ARC pendant le processus d’accompagnement. La baisse observée dans l’échelle des émotions négatives (souvent associées aux changements, comme dans les routines) (Reynolds et Kaumphaus, 2004) semble soutenir cette hypothèse.

Pendant les rencontres d’accompagnement, plusieurs stratégies entourant le domaine de l’attachement ont été abordées dans le but de diminuer l’anxiété des élèves. Ce domaine cible le développement d’un lien élève-enseignant significatif et de qualité, un facteur particulièrement important pour les élèves présentant des difficultés d’adaptation (Lanaris et Dumouchel, 2020). Il est à noter que certains élèves scolarisés en classe spéciale vivent des difficultés d’attachement envers leur figure parentale ou ont vécu des relations plus ou moins positives au cours de leur parcours scolaire en raison de leurs importantes difficultés à l’école (Desbiens, Couture et al., 2020). Ainsi, en tentant d’améliorer le lien élève-enseignant au cours du projet, il était souhaité que les enseignantes deviennent des personnes plus sécurisantes pour les élèves au fil des mois (Baweja et al., 2016). Il est d’ailleurs reconnu qu’un lien éducatif de qualité permet de favoriser un sentiment d’appartenance, une expérience en classe positive (Canary et Yum, 2016) et de meilleures capacités dans la régulation des émotions et des comportements en classe (Bergin et Bergin, 2009; O’Connor et al., 2011; Roorda et al., 2011), des effets qui ont d’ailleurs été soulevés en entretien par une enseignante. Une future étude devrait prévoir une mesure de la qualité du lien entre l’enseignant et l’élève afin de pouvoir la mettre en lien avec les changements sur le plan des difficultés extériorisées et intériorisées des élèves, une analyse qui n’est malheureusement pas possible dans notre protocole.

Selon certaines enseignantes, les élèves seraient aussi plus susceptibles d’exprimer et d’identifier leurs émotions parce qu’ils seraient plus conscients que les autres, dont les adultes, vivent aussi des émotions comme cela a été observé dans l’étude d’Hodgdon et al. (2013). La communication en serait facilitée selon les répondants, et les élèves seraient moins portés à s’exprimer par des comportements problématiques, ce qui peut découler de l’ajustement empathique travaillé avec les équipes-écoles. Ce résultat qualitatif concorde avec l’amélioration observée dans l’échelle du harcèlement (tendance à devenir intrusif, cruel, menaçant ou à utiliser la force pour obtenir ce qui est désiré) (Reynolds et Kaumphaus, 2004). Si les élèves s’expriment et communiquent mieux avec les autres, il est possible qu’ils aient moins recours à des comportements jugés plus négatifs.

Cette meilleure communication peut aussi avoir contribué aux retours au calme plus faciles ainsi qu’à la diminution des conflits, des retraits et de la durée des crises. Ce type d’effet peut être provoqué par l’amélioration de la régulation émotionnelle des élèves (Hodgdon et al., 2013; Shamblin et al., 2016). Il est intéressant de souligner que ce résultat concorde avec les travaux portant sur les bienfaits des approches sensibles au trauma, c’est-à-dire une réduction des mesures de contrôle lorsque le personnel comprend les effets des traumas complexes (Howard, 2019; Matte-Landry et Collin-Vézina, 2022). De plus, les enseignantes nomment que certains élèves semblent mieux comprendre les conséquences de leurs comportements. Il est possible de penser que les élèves ayant développé un plus large éventail de stratégies pour gérer leurs émotions, et qui souhaitent éviter des conséquences négatives, sont moins portés à adopter des comportements problématiques.

Les enseignantes ont également souligné une diminution des problèmes scolaires, plus précisément concernant l’attention. Plusieurs facteurs peuvent avoir contribué à ce changement, dont la baisse des comportements extériorisés, une meilleure capacité d’autorégulation et le plus grand sentiment de sécurité des élèves que perçoivent les enseignantes. En effet, un jeune se sentant en sécurité serait plus disposé à apprendre, car il serait moins concentré sur sa survie (Arvidson et al., 2011). De plus, la hausse de la motivation observée peut être provoquée par une meilleure réponse aux besoins des élèves de la part des adultes vers la fin du projet (Dorado et al., 2016). Il est probable que les petites réussites quotidiennes des élèves aient influencé positivement leur estime de soi comme l’ont mentionné certaines enseignantes dans leur entretien.

Conclusion

Cette étude exploratoire montre des améliorations quantitatives chez les élèves concernant leurs comportements extériorisés, leurs problèmes scolaires et certains comportements problématiques à la suite d’un processus d’accompagnement basé sur le modèle ARC, bien qu’une hausse de l’anxiété soit notée. Des bienfaits de l’accompagnement sont également perçus par les enseignantes concernant l’attachement, la régulation et les compétences des élèves. Cette étude présente certains enjeux et certaines limites propres à la recherche-action et aux approches sensibles au trauma. D’abord, le processus d’accompagnement offert au cours du projet était souple et adapté aux besoins de chaque milieu. De plus, les pratiques et les outils discutés avec chacune des équipes-écoles et qui leur ont été proposés n’ont ainsi pas été toujours identiques. Le temps accordé en accompagnement à propos de chaque composante du modèle ARC n’a donc pas été uniforme avec toutes les enseignantes. Cela a influencé inévitablement la façon dont ces composantes ont été appliquées dans chacune des classes. Il est de ce fait possible que les différents domaines du modèle ARC aient été travaillés plus ou moins selon les classes et que cela ait influencé les résultats. En plus de ces différences entre les classes, il faut se rappeler qu’il y a aussi eu des changements d’enseignants dans certaines classes. Avec l’absence de groupe contrôle, il est aussi difficile de savoir s’il s’agit des effets réels du processus d’accompagnement ou si les effets observés sont attribuables à d’autres facteurs comme la maturation des élèves. La généralisation des résultats doit être effectuée avec prudence, notamment en raison de la petite taille de l’échantillon et du fait qu’il soit de convenance.

Malgré ces limites, l’étude permet d’envisager qu’un processus d’accompagnement des équipes-écoles inspiré d’une approche sensible au trauma comme le modèle ARC est prometteur dans un contexte scolaire au Québec. L’étude suggère que le modèle d’intervention répond aux besoins des élèves ayant des troubles complexes, même s’ils ne sont pas spécifiquement identifiés comme tels. De futures recherches pourraient étudier les impacts d’une vision sensible au trauma sur l’ensemble des élèves d’une école québécoise comme dans l’étude de Dorado et al. (2016). Cela permettrait aux centres de services scolaires d’amorcer une réflexion quant à la possibilité de délaisser le modèle « médical » qui est encore fortement utilisé pour l’attribution des services aux élèves (Goupil, 2020) afin de s’orienter davantage vers une approche intégrative des difficultés de l’élève. Il pourrait aussi être intéressant de comparer les effets du modèle selon les caractéristiques individuelles des élèves (par ex. : âge, sexe, niveau scolaire, trouble, classe) pour soulever des pistes d’action qui seraient plus individualisées. Comme mentionné précédemment, il serait aussi fort pertinent de prévoir des mesures pour surveiller les changements que l’accompagnement entraîne chez les enseignants. Finalement, une étude similaire auprès d’un plus grand échantillon et avec un groupe de comparaison serait pertinente afin d’obtenir une puissance statistique plus élevée et de pouvoir généraliser davantage les effets d’un processus d’accompagnement basé sur le modèle ARC.