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Introduction

La planification familiale (PF) se définit comme l’ensemble des moyens utilisés pour espacer ou limiter le nombre de grossesses dans un couple (Konaté et al., 2014). Elle contribue à la préservation de la santé de la mère et de l’enfant et participe aussi au développement durable d’un pays[1] (OMS, 2017). Malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation sur la PF organisées dans les pays en développement, l’utilisation des méthodes contraceptives reste très faible en Afrique subsaharienne (Ba et al., 2019).

Le Togo est l’un des pays de l’Afrique subsaharienne où l’accès aux services relatifs à la santé sexuelle et reproductive demeure très limité pour les femmes. Environ une femme en union sur quatre (23,8 %) dans ce pays utilise une méthode contraceptive (moderne ou traditionnelle) (MICS, 2017) et plus d’un tiers (34 %) de celles-ci a des besoins non satisfaits en matière de PF (MPDAT, 2015). Les facteurs explicatifs de la faible utilisation des méthodes contraceptives en Afrique de l’Ouest, y compris au Togo sont multiples (Behrman et al., 2019; Tesema et al., 2022). Mis à part une faible exposition des femmes aux messages relatifs à la PF, la peur des effets secondaires des méthodes hormonales, l’interdiction religieuse, la valeur sociale d’une famille nombreuse sont autant de facteurs qui expliquent la faible utilisation de méthodes contraceptives chez les femmes en âge de procréer (Adedzi, 2020; Kaplowitz et al., 2020).

L’utilisation de la PF chez les femmes au Togo reste également influencée par les hommes, tant leur adhésion à la PF est faible (Kpegba, 2019). En effet, dans cette société patriarcale, les hommes sont très privilégiés comparativement aux femmes (Adjamagbo et al., 2009). Ils disposent de la quasi-totalité des droits de prise de décision concernant le bien-être de leur famille, y compris sur le plan de la santé de la reproduction (Alabi, 2010). L’utilisation des méthodes contraceptives est souvent considérée par les hommes comme une affaire féminine. De ce fait, ils s’impliquent moins quand il s’agit de la planification familiale au sein de leur couple (Koffi et al., 2018). Leur faible implication couplée à leur suprématie[2] sur la conjointe pourrait, d’une part, maintenir les indicateurs d’utilisation des services de PF au sein de la population masculine sexuellement active à un niveau relativement faible, et d’autre part, ralentir la progression de l’utilisation des services de PF chez les femmes, notamment chez les jeunes filles (URD, 2017). L’implication des hommes dans l’utilisation de la PF désigne leur contribution/participation à la PF. Cette participation se concrétise par le fait que l’homme est bénéficiaire à part entière de services relatifs à la PF et incite sa conjointe et son entourage à utiliser également ces services (Zoungrana et al., 2008). Dans la présente étude, l’implication des hommes relativement à l’utilisation de la PF suppose que ceux-ci soient des clients ou des utilisateurs de tels services, qu’ils soutiennent leurs partenaires, les membres de leur famille et leurs amis dans l’utilisation des services de PF, par le biais de la sensibilisation des pairs, en défiant les inégalités de genre ainsi que les formes nuisibles de masculinité.

Des études récentes montrent que le rôle des hommes dans le recours à la contraception est fondamental pour responsabiliser leurs comportements sexuels, les inciter à comprendre et à soutenir les choix contraceptifs des femmes (USAID, 2018; Viel, 2016). L’amélioration de l’utilisation des méthodes contraceptives par les hommes passe d’abord par l’analyse de la perception qu’ils ont de la PF qui expliquerait leur faible implication (Viel, 2016).

Au regard de ces enjeux, cet article propose de comprendre les logiques sociales qui sous-tendent la faible implication des hommes[3] à la PF au Togo.

Quelques éléments de contexte

Le Togo est un pays de la sous-région ouest-africaine situé sur le golfe de Guinée et couvrant une superficie de 56 785 km2. Ses frontières sont délimitées au Sud par le golfe de Guinée, à l’Ouest par le Ghana, à l’Est par le Bénin et au Nord par le Burkina Faso. Sa population est évaluée à 8,2 millions d’habitants et croît annuellement de 2,5 %. Le Togo a une population très jeune. Selon les dernières estimations des Nations Unies, plus de 60 % de celle-ci est âgée de moins de 25 ans. Un peu plus de la moitié de la population est composée de femmes dont 49 % sont âgées de 15 à 49 ans (WPP UN, 2020).

Un pays comptant plus d’une quarantaine d’ethnies

Selon la troisième enquête démographique et de santé du Togo, il a été dénombré une quarantaine d’ethnies au Togo (MPDAT, DGSCN et MS, 2015). En se basant sur les similitudes existantes entre elles, ces ethnies ont été réparties en cinq grands groupes : i) adja-éwe-mina; ii) kabyè/tem; iii) akposso-akébou; iv) ana-ifè; v) para-gourma/akan. La majorité de la population togolaise (80 %) fait partie des trois grands groupes ethniques suivants : adja-éwé/mina, kabyè-tem et para-gourma.

Une population majoritairement chrétienne

Les différentes religions du pays sont le christianisme (48,7 %), la religion traditionnelle (27,7 %) et la religion musulmane (16,1 %). Le nord du pays est majoritairement musulman, alors que le sud est majoritairement chrétien (RGPH, 2010).

Une population vulnérable économiquement

Le Togo fait partie des pays ayant le plus faible PIB dans le monde, estimé à 7,2 milliards de dollars américains (WPP UN, 2020). Le taux de pauvreté dans le pays est de l’ordre de 47,4 %. De plus, il est beaucoup plus élevé en milieu rural (58,8 %) qu’en milieu urbain (26,5 %). Au sein des ménages dirigés par les femmes, il est évalué à 45,7 % contre 45,2 % chez ceux dirigés par les hommes (WPP UN, 2020). En ce qui concerne l’indice de développement humain, il est estimé à 0,515 (Banque Mondiale, 2020). Cela signifie que le Togo est un pays très inégalitaire.

Santé sexuelle et reproductive au Togo : Qu’en est-il?

Des programmes et des politiques relatifs à la santé reproductive

La planification familiale fait partie des préoccupations sanitaires au Togo depuis les années 1990. Pour promouvoir l’utilisation des services offerts en matière de santé sexuelle et reproductive, le Togo s’est doté de documents stratégiques. Il s’agit notamment de : (i) Politique nationale de population (PNP) en 1998; (ii) Politique et normes en santé de la reproduction, Planification familiale et infections sexuellement transmissibles (16) de 2001 et document révisé en 2009; (iii) Loi SR promulguée en 2007; (iv) Plan d’action pour le repositionnement de la planification familiale au Togo 2013-2017; (v) Politique Nationale des Interventions à Base Communautaire en 2015; (vi) Plan stratégique des interventions à base communautaire 2016-2020; (vii) Plan stratégique national 2014-2018 de sécurisation des produits de santé de la reproduction et de programmation holistique des préservatifs au Togo; (viii) Politique Nationale Sanitaire 2017-2022, (ix) Plan National de Développement Sanitaire 2017-2022; (x) Plan d’Action National Budgétisé pour la PF 2017-2022; (xi) Plan de Passage à l’Échelle de la planification familiale dans le post partum au Togo 2017-2018; (xii) Plan d’Action pour le passage à grande échelle de la distribution à base communautaire des produits contraceptifs, y compris les produits injectables 2017-2018; (xiii) Plan d’Action pour le passage à grande échelle de la planification familiale après avortement 2017-2028; (xiv) Plan d’action de délégation de tâches des bonnes pratiques en santé 2017-2018; (xv) Plan d’Action en plaidoyer pour le financement adéquat en Santé de la reproduction et planification familiale au Togo 2017-2018; (xvi) et le Plan d’action pour le passage à grande échelle des soins obstétricaux et néonatals d’urgence 2017-2018.

L’investissement du Togo dans le progrès de la PF se distingue également dans ses actions pionnières. C’est le premier pays de l’Afrique occidentale francophone à avoir autorisé en 2011 la Distribution à Base Communautaire (DBC) des produits contraceptifs y compris des produits injectables par l’entremise des agents de santé communautaire au titre d’un projet pilote sous l’égide d’Action for West Africa Region (AWARE II) financé par l’USAID (Ministère de la Santé, 2013).

Certes, des efforts notables sont déployés par le gouvernement togolais en matière de PF, toutefois ces politiques et programmes nationaux en matière de santé de la reproduction et la planification familiale ont accordé peu d’intérêt à l’implication des hommes. Les services de santé de la reproduction et de planification familiale sont rarement offerts par des hommes et accueillent rarement les hommes.

Un tableau démographique influencé en partie par des inégalités de genre

Malgré d’importants progrès réalisés dans le domaine de la santé de la reproduction depuis les années 90[4], le Togo présente un tableau démographique caractérisé par une prévalence contraceptive moderne, des besoins non satisfaits et des besoins satisfaits tels que décrit dans le tableau suivant :

Tableau 1

Taux de prévalence contraceptive, de besoins satisfaits ou non en PF

Taux de prévalence contraceptive, de besoins satisfaits ou non en PF
Source : Track 2020

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Selon les résultats de la dernière enquête par grappe à indicateurs multiples (MICS6), la prévalence contraceptive des femmes en union était estimée à 23,8 % pour toutes les méthodes confondues et à 21,4 % pour les méthodes modernes (MICS, 2017). Selon le Plan d’Action de la PF 2017-2022 du Togo, les barrières à la création de la demande sont nombreuses. Malgré l’exposition aux messages de PF, certains hommes et femmes restent hostiles à l’utilisation de la PF. En effet, l’enquête MICS 2010 a indiqué que 76,8 % des femmes en union n’ont pas discuté de l’utilisation du condom masculin avec leur partenaire. La même source mentionne que 23,1 % des hommes refusaient encore l’utilisation du condom masculin au cours d’un rapport sexuel en 2010.

Les inégalités femmes-hommes sont ancrées en profondeur dans tout le pays et par conséquent difficiles à éradiquer. Les rôles socialement attendus des hommes et des femmes au sein des unions reposent sur une division des devoirs et des responsabilités. Alors que les femmes assument le rôle de « bonne épouse » et de « bonne mère », les hommes, quant à eux, sont chargés de subvenir aux besoins économiques du ménage. Principaux détenteurs du pouvoir économique, ils se doivent d’assumer les besoins essentiels du foyer (Kpadonou N., 2014). Cette répartition des rôles alimente un système social dans lequel les femmes semblent être dominées par les hommes. En effet, si dans la société togolaise on accorde à l’homme la possibilité de faire des projets sans consulter au préalable son épouse, il n’en est pas de même pour la femme. L’adoption d’une méthode de PF par les femmes à l’insu de leur mari est souvent très mal perçue. De plus, la quasi-absence de discussions entre conjoints affecte la décision d’adopter une méthode contraceptive par celles-ci. Tout ceci réduit en partie l’accès des femmes aux services de PF (Vignikin, 2004).

Orientation théorique de l’étude

En nous basant sur le fait que le rôle des hommes, les relations de pouvoir entre les sexes, le statut social de la femme, le rôle des institutions sociales dans les stratégies de reproduction ne sont pas sans influence sur les comportements reproductifs (Lassonde, 1999), nous inscrivons cet article dans la cohérence de deux théories : celle des rapports sociaux de sexe et celle de la division sexuelle du travail (Darmengeat, 2021). Le concept de rapports sociaux de sexe est, comme le propose Hirata (1997), un « concept corrélatif » à celui de la problématique de la division sexuelle du travail. La théorie de la division sexuelle du travail affirme que les pratiques sexuées sont des construits sociaux, eux-mêmes résultats des rapports sociaux (Kergoat, 2001). Selon Acker (1992), la notion de rapports sociaux de sexe intègre la notion de « gender », terme anglo-saxon qui fait référence à une distinction socialement construite entre les hommes et les femmes, marquant les relations de pouvoir à travers un processus différencié selon les sexes qui se répercute à tous les niveaux de la société et dans toutes les activités de la vie quotidienne (Acker, 1992). Vu la faible implication des hommes dans l’utilisation des méthodes contraceptives des couples et les rapports qui prévalent entre conjoints dans les ménages au Togo, il apparaît sociologiquement important de tenir compte des rapports entre l’homme et la femme au sein du couple et de la division sexuelle du travail afin de mieux cerner les logiques socioculturelles et institutionnelles qui sous-tendent les décisions et les comportements sexuels des hommes et des femmes en matière de PF dans un contexte patriarcal.

Méthodologie

Sources de données

Les données utilisées dans cet article proviennent de l’enquête qualitative de base conduite de décembre 2016 à février 2017 dans le cadre du projet de recherche-action « Santé reproductive chez les hommes et les garçons au Togo » financé par l’International Planned Parenthood Federation (IPPF) et mis en oeuvre par l’Unité de Recherche Démographique de l’Université de Lomé (URD/UL) en partenariat avec l’Association Togolaise pour le Bien-Être Familial (ATBEF). Cette enquête de base a été réalisée dans les régions[5] de la Kara (Kara), Centrale (Sokodé), des Plateaux (Lavié et Kpadapé) et Maritime (Gati et Djéméké) (Figure 1 A) et dans la commune de Lomé (Figure 1 B). Le projet étant une recherche-action, l’enquête de base a identifié des localités d’intervention (Kara, Lomé, Gati, Lavié) et des localités de contrôle (Sokodé, Kpadape et Djéméké).

Figure 1

Lieux de déroulement de l'étude

Lieux de déroulement de l'étude
Source : Rapport de l'étude de base

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Échantillonnage

Le choix des participants a été réalisé de manière raisonnée en ciblant les informateurs clés. Le nombre d’individus à interroger dépendait de la saturation des informations obtenues lors de la phase de collecte. Celui-ci a été initialement fixé à 16 entretiens individuels et à 16 discussions de groupe. Le nombre de discussions de groupe a augmenté en fonction des informations obtenues pour atteindre finalement 22.

Critères d’inclusion

Les critères d’inclusion se présentent comme suit :

Pour les bénéficiaires[6] ou les clients potentiels (hommes et femmes) : (i) habiter la localité depuis au moins cinq ans au moment de l’enquête ; (ii) être en âge de procréer (15-49 ans pour les femmes et 15-59 ans pour les hommes) et (iii) avoir un partenaire sexuel.

Pour le personnel offrant les services de PF[7] (prestataires de soins de PF ou agent de santé communautaire) : (i) habiter la localité depuis au moins cinq ans au moment de l’enquête; (ii) offrir des soins de PF au moins cinq ans au moment de l’enquête;

Pour les leaders communautaires[8] (autorités de la localité de l’étude) et les leaders religieux[9] (prêtres traditionnels, imams, pasteurs d’église chrétienne) : (i) habiter la localité depuis au moins cinq ans au moment de l’enquête; (ii) occuper le poste au moins deux ans au moment de l’enquête.

Outils/techniques de collecte et analyse de données

Les données ont été collectées par le biais d’entretiens individuels de type semi-directif auprès de leaders communautaires, de leaders religieux, de prestataires de services de PF et d’agents de santé communautaire, mais également lors de discussions de groupe auprès d’hommes et de femmes âgés de 25 à 49 ans et de jeunes garçons et filles âgés de 15 à 24 ans. Un guide d’entretien abordant la thématique des connaissances, des perceptions et de l’utilisation des services de PF ainsi que l’appréciation de l’implication des hommes à l’utilisation des services de PF a été utilisé. Les thèmes analysés pour les cibles hommes et femmes concernaient ainsi : (i) les perceptions de la reproduction; (ii) les connaissances et les perceptions de la PF; (iii) l’utilisation des services de PF; (iv) la disponibilité, l’acceptabilité et l’accessibilité des services de PF offerts aux hommes et aux garçons; (v) les suggestions pour améliorer l’utilisation des services de PF par les hommes, les femmes et les jeunes[10].

Pour ce qui concerne le personnel offrant des services de PF, les thèmes ayant meublé les discussions sont essentiellement les suivants : (i) la formation et les expériences concernant l’offre de soins de PF; et (ii) les opinions sur l’implication des hommes et des garçons à l’utilisation de la PF. Quant aux discussions avec les leaders religieux et communautaires, les thèmes abordés sont : (i) la perception de la coutume/religion sur la PF; (ii) les informations véhiculées par les leaders sur la PF; et (iii) les opinions des leaders communautaires sur l’implication des hommes et des garçons dans l’utilisation des services de PF.

Seize entretiens individuels d’une durée moyenne de cinquante minutes ont été réalisés auprès du personnel offrant les services de PF, des leaders communautaires et des leaders religieux (voir le tableau 1). En outre, vingt-deux focus groups, constitués chacun de six à huit individus ont été effectués (voir le tableau 2). Les participants venaient tous de ménages différents dans les localités de l’étude. Les entrevues et les discussions ont été réalisées par quatre animateurs sous la supervision d’une chercheuse en sciences sociales. Tous les animateurs maîtrisaient les dialectes locaux ainsi que les techniques de collecte de données en étude qualitative (tous étaient des sociologues et des anthropologues possédant également d’autres qualifications, notamment en santé sexuelle et reproductive).

Tableau 2

Nombre d'entretiens semi-dirigés

Nombre d'entretiens semi-dirigés
Source : Rapport de l'étude de base

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Tableau 3

Nombre d'entretiens de groupe

Nombre d'entretiens de groupe
Source : Rapport de l'étude de base

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Les entretiens ont été réalisés dans les langues locales (éwé/mina, kabyè et kotokoli) et en français. Tous les entretiens ont été enregistrés dans leur intégralité au moyen d’un dictaphone, puis retranscrits en français. Les transcriptions ont fait l’objet d’une lecture attentive, approfondie et en boucle. Le codage des entretiens a été réalisé manuellement par en utilisant des codes de couleurs afin de distinguer les extraits et les passages abordant des thématiques différentes (Deslauriers et Mayer, 2000). Les données ont été analysées par la méthode d’analyse thématique transversale de contenu (Robert et Bouillaguet, 2007; Schreier, 2014).

Considérations éthiques

En prélude à la phase de collecte des données, le protocole de la présente recherche a reçu l’accord du Comité Bioéthique de Recherche en Santé (CBRS) du Togo autorisant sa mise en oeuvre (N°042/2016/CBRS du 08 décembre 2016). Par ailleurs, un accord a été obtenu auprès des institutions responsables de ce projet à savoir l’Unité de Recherche Démographique de l’Université de Lomé (URD/UL) et l’Association Togolaise pour le Bien–Être Familial (ATBEF) afin d’utiliser les données d’enquête à des fins de publication. L’enquête a garanti un consentement libre et éclairé des participants et la protection de leur identité par l’anonymisation des données des entretiens et une publication des données, avec une garantie de confidentialité. Un consentement éclairé par voie orale a été également préalablement obtenu auprès de chaque participant, avant sa participation à la collecte de données.

Résultats

Profil sociodémographique des participants à l’étude

L’effectif total des participants à cette enquête de base est de 192 personnes, dont 126 hommes et 66 femmes. Les régions maritimes et des plateaux présentent le plus grand nombre de participants du fait que chacune comporte deux localités dans lesquelles s’est déroulée l’étude. Le tableau 4 présente les caractéristiques de la population de l’étude.

Tableau 4

Caractéristiques sociodémographiques des participants

Caractéristiques sociodémographiques des participants
Sources : Rapport de l'étude de base

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Des croyances et des normes qui expliquent la faible implication des hommes à la PF

L’analyse des données recueillies révèle que le comportement des hommes en matière de santé de la reproduction résulte d’un ensemble de facteurs socioculturels, religieux et économiques.

L’enfant reste un don de Dieu, s’y opposer par un quelconque moyen est une offense à Dieu

Les croyances et les normes sociales sont importantes pour comprendre les habitudes en matière de fécondité et de pratique contraceptive des hommes et des femmes. L’analyse des discours recueillis auprès des participants montre que l’une des raisons qui explique la faible implication des hommes à la PF relève des croyances religieuses selon laquelle, l’enfant serait un don de Dieu et il n’est pas permis à l’homme de décider du nombre d’enfants qu’il souhaite avoir ou de chercher à afficher une résistance à ce projet divin :

« Selon moi, on ne peut pas décider du nombre d’enfants qu’il faut avoir dans la vie. (…) C’est Dieu qui donne l’enfant, et en plus on doit se contenter de sa volonté. »

Propos recueillis auprès de Kodjovi, 41 ans, lors des séances de focus group avec les hommes à Lomé

« (…) Puisque l’homme et la femme ne sont pas Dieu, ils ne peuvent pas décider du nombre d’enfants qu’ils veulent avoir, car ce ne sont pas eux qui sont le créateur des enfants (…) C’est ce que Dieu nous donne que nous avons et ce n’est pas nous qui créons des enfants pour qu’on en décide du nombre à avoir. Dieu, lui-même, sait le nombre d’enfants que tu peux supporter et il te le donne. ».

Propos recueillis auprès de Gabriel, 36 ans, lors des séances de focus group avec les hommes à Kpadapé

L’appartenance religieuse influencerait la représentation sociale de l’enfant. Celui-ci est considéré comme un don divin « c’est Dieu qui donne des enfants ». De ce fait, l’utilisation de la PF permettant de contrôler la survenue de ce « don divin » remet en cause le caractère sacré de ce « don divin ». En témoignent les propos suivants :

« Si tu es un adepte du Vaudou et que tu crois vraiment à sa protection, tu ne dois pas adopter une méthode de PF. Si une grossesse arrive, tu dois l’accepter (…). Sinon tu risques d’être punie par les ancêtres ».

Propos recueillis auprès de Sossimé, 38 ans, mariée, focus group avec les femmes, Lomé

« Dans notre coutume, nous donnons naissance; tu dois donner naissance, ce que Dieu t’a donné, tu dois l’enfanter, mais si tu refuses d’enfanter, ça n’arrange pas la situation. Il ne faut pas volontairement interrompre la grossesse. Les ancêtres ne sont pas d’accord avec l’utilisation des pilules ou des injections si ces méthodes doivent permettre la limitation des naissances. ».

Propos recueillis auprès d’un leader religieux au cours d’un entretien individuel à Gati

À la lecture des propos ci-dessus, nous déduisons qu’utiliser des méthodes contraceptives pour limiter les naissances serait considéré comme une offense à l’égard de Dieu ou des ancêtres. Le contexte togolais présente un tableau religieux peint en grande partie par les religions chrétienne, musulmane et traditionnelle. Toutes ces religions présentent l’enfant comme une « bénédiction divine ». Cependant, dans la pratique, nous remarquons que si certains adeptes sont réticents à l’utilisation des méthodes contraceptives, d’autres en revanche adoptent ces méthodes pour planifier et limiter les naissances.

La recherche de « l’autre sexe » : un obstacle à l’utilisation des services de SR/PF par les hommes?

Les normes et les discours sur la préférence du sexe de l’enfant déterminent en grande partie les comportements des hommes et des femmes en santé reproductive et expliqueraient la faible implication des hommes à l’utilisation des méthodes contraceptives. Dans la société togolaise, l’accent est mis sur le fils plutôt que sur la fille dès leur naissance. Considéré comme le chef de la famille, l’homme est appelé à pérenniser le clan ainsi que le patronyme[11]. Au sud du pays, les garçons portent souvent le nom « apélété » ou « apéliké »[12], ce qui signifie « le pilier de la maison ». Ainsi le souhait d’un descendant de sexe masculin serait lié à un besoin de pérennisation du lignage, à son rôle de successeur et de chef de famille. Le souhait d’avoir une fille, par contre, serait associé à son rôle de « care », notamment par le biais d’activités domestiques telles que le ménage, la préparation des repas, la lessive, le soin des enfants, le soutien psychologique et affectif, etc. De plus, dans certaines ethnies du Togo, comme chez les Paragourmas, la représentation sociale de la fille est une « richesse sociale » du fait de la dot dont bénéficieront ses parents au moment de son mariage. Au regard des représentations sociales de la « fille » et du « garçon », certains hommes dans la recherche d’une fille ou d’un garçon ne s’intéressent pas à l’utilisation des méthodes contraceptives et l’interdisent à leurs conjointes.

« (…) Souvent aussi le sexe de l’enfant constitue un élément important dans l’utilisation des contraceptifs par les couples. Parfois, c’est l’homme qui dit que : [Dieu ne m’a donné que des filles. Donc je veux un garçon!] Donc souvent le sexe de l’enfant influence l’utilisation de la PF ».

Propos recueillis auprès d’un prestataire de service PF à Kara

« Je connais un monsieur qui travaille au port autonome de Lomé et dont le cas est typique. Sa première femme a donné six enfants qui sont toutes des filles. Étant à la recherche d’un héritier garçon, il a pris une seconde femme qui lui a donné trois filles. Par la suite, il a pris une troisième femme qui a actuellement une fille. Il va être difficile pour ce monsieur d’utiliser la PF ».

Propos recueillis auprès de Gilles, 23 ans, lors d’une séance de focus group avec les garçons à Lomé

Le souhait d’un descendant de sexe particulier conduit à la non-utilisation de produits contraceptifs au sein des ménages, mais favorise également la polygamie. Les propos d’un agent de santé communautaire nous en disent long :

« Certains maris refusent que leur femme utilise la PF parce qu’ils sont à la recherche d’un garçon dans leur progéniture. Si ces femmes viennent faire de la méthode de PF sans l’accord de leur mari, ceux-ci prennent d’autres femmes pour avoir des enfants avec elles dans l’intention d’avoir le “garçon”. C’est pour cela que quand nous allons chez certaines femmes pour les sensibiliser, elles nous renvoient. Certaines nous disent que le nombre d’enfants qu’elles veulent avoir, elles l’auront! Ce n’est pas nous qui allons prendre des décisions pour elles. ».

Propos recueillis auprès d’un agent de santé communautaire à Gati, lors d’un entretien individuel

Perception et acceptabilité des méthodes contraceptives masculines : Qu’en est-il?

L’usage du préservatif masculin semble rentrer dans les habitudes des hommes, néanmoins, leur acceptabilité est de plus en plus remise en cause surtout par les jeunes. Dans les discussions avec les garçons, on relève qu’au sein des jeunes couples c’est le refus des filles qui poussent certains d’entre eux à refuser l’utilisation des préservatifs.

« Il y a certaines filles qui n’aiment pas qu’on utilise le préservatif. Ce qui fait que l’on peut bel et bien avoir les préservatifs, mais au moment de les utiliser, elles refusent sous prétexte que cela leur donne des candidoses ou des plaies. Donc, cela nous empêche d’utiliser les préservatifs. ».

Propos recueillis auprès de Gérard, 21 ans, lors des séances de focus group avec les garçons à Kara

Quant à la vasectomie, elle suscite plusieurs débats. Les propos recueillis lors des discussions de groupe et des entretiens individuels montrent un manque d’assurance de la part des interlocuteurs face à cette méthode de stérilisation :

« Je suis ferme sur ma position. Si c’est moi, je ne vais jamais accepter (de) faire cette méthode. Elle est trop compliquée. On ne sait pas ce qui peut en découler comme conséquence. Je préfère d’autres méthodes à celle-là. ».

Propos recueillis auprès de Charif, 39 ans, lors des séances de focus group avec les hommes à Sokodé

« Quand j’entends parler de vasectomie, dans ma tête, c’est l’idée de castration qui me tracasse, même si je sais que ce n’est pas le cas et que l’homme restera toujours viril. Mais à moi seul, ça ne me plait pas. Le mieux c’est que j’amène ma femme pour qu’on puisse lui administrer les injections. ».

Propos recueillis auprès de Boris, 45 ans, lors des séances de focus group avec les hommes à Gati

« Moi, je ne suis pas d’accord avec cette histoire de vasectomie. Supposons qu’on a des enfants qui décèdent à bas âge et moi le père, je me retrouve comme étant à peu près castré qu’en serait-il de nous après? - c’est vrai que je resterai viril, je vais pouvoir avoir de rapports sexuels et en jouir - mais je ne serai plus en mesure de voir les fruits de ces rapports sexuels. C’est pour cela que je ne peux pas accepter de pratiquer cette méthode. ».

Propos recueillis auprès de Richard, 37 ans, lors des séances de focus group avec les hommes à Kpadapé

Aucun homme interviewé n’a affirmé être prêt à pratiquer la vasectomie. De même, certaines femmes interrogées ont clairement affiché leur désaccord pour le choix de cette méthode au sein de leur couple, même si les conditions de son adoption sont réunies. Pour ces dernières, cette méthode constituerait un risque d’infections sexuellement transmissibles du fait que les hommes ne se protègeraient plus lors des rapports sexuels avec d’autres partenaires :

« Personnellement, je n’approuve pas la vasectomie, car elle poussera les hommes à ne plus se protéger lors de ses rapports sexuels avec d’autres femmes et seront infectés par les maladies sexuellement transmissibles, qui en retour viendront contaminer leurs femmes à la maison. ».

Propos recueillis auprès de Béatrice, 32 ans, lors des séances de focus group avec les femmes à Lavié

« Je pense que ce ne serait pas bien si les hommes choisissent de faire la vasectomie uniquement pour être libres et aller de femme en femme. En revanche c’est mieux, s’ils le font parce qu’ils ont beaucoup d’enfants. Néanmoins je vois toujours un souci : les hommes qui feront la vasectomie propageront plus de maladies sexuellement transmissibles, parce qu’ils auront la voie libre d’aller de femme en femme du fait qu’ils n’engrosseront plus; en plus on ne sait jamais, et si un malheur arrivait à ses enfants, alors qu’il n’a plus la possibilité d’en faire d’autres. ».

Propos recueillis auprès de Yawa, 28 ans, lors des séances de focus group avec les femmes à Lomé

De plus, des leaders communautaires, tout en disant que cette méthode est possible, mettent l’accent sur son caractère irréversible. En témoignent les propos d’un leader communautaire :

« La vasectomie, du fait qu’elle est irréversible, demande qu’on réfléchisse mûrement pour le moment avant de décider de l’adopter. Et, il en sera ainsi jusqu’à ce qu’on soit convaincu qu’il n’y a pas de problème avec cette méthode. ».

Propos recueillis lors d’un entretien individuel avec un leader communautaire à Lomé

Des inquiétudes subsistent dans les mentalités des populations par rapport à la vasectomie du fait de son caractère irréversible. Le fait de « ne plus être capable de mettre enceinte une femme » est difficilement accepté par les hommes. Dans un contexte social où les hommes tiennent un rôle prépondérant dans les décisions en santé de la reproduction, les chances d’une plus large diffusion d’une quelconque méthode de contraception moderne reposent pour partie sur leurs comportements vis-à-vis de celle-ci.

Méthodes contraceptives : quels coûts pour les clients?

L’implication des hommes à l’utilisation des méthodes contraceptives suppose qu’eux-mêmes utilisent les méthodes de PF et soutiennent leurs proches dans l’utilisation des méthodes de PF. L’aspect développé ici concerne l’appui financier des hommes à leurs conjointes pour une utilisation plus accrue de la planification familiale au sein des couples. Le rôle traditionnel dévolu à l’homme est celui de pourvoyeur de revenus. Comme dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest, au Togo, l’homme en tant que chef de famille prend en charge la quasi-totalité des dépenses du foyer.

À la lumière des données recueillies, on constate que la faible implication des hommes à la PF dépend parfois du coût élevé de la prescription de certaines méthodes contraceptives et des coûts de traitements engendrés par les effets secondaires des méthodes contraceptives, entre autres. Par conséquent, bien que certains couples soient conscients des bienfaits de la PF, ils n’arrivent pas à adopter les méthodes qui leur conviennent, faute de moyens financiers.

Au Togo, hormis les préservatifs, toute personne désirant bénéficier d’une méthode contraceptive moderne doit payer les frais de consultation, les frais des tests d’analyse ou de procédure, les frais des produits, ainsi que les frais de fourniture de la méthode choisie. Soulignons que seules certaines méthodes cumulent les trois conditions précitées à remplir avant leur obtention (DIU, implant, produits injectables, minilaparotomie, vasectomie). Les autres méthodes contraceptives sont offertes à une voire deux conditions : les frais de consultation et/ou l’achat du produit contraceptif (pilules, préservatif masculin et préservatif féminin). À l’exception des autres services de planification familiale, seul celui du « counseling » est offert gratuitement aux clients. Le coût est alors perçu comme une barrière à l’accès aux contraceptifs modernes. Les filles et les garçons interrogés n’ont pas manqué de le mentionner :

« Souvent pour les méthodes de cinq (5) ans, ils [les prestataires] demandent quatre mille cinq cents (4500) francs ou trois mille cinq cents (3500) francs, alors qu’ils avaient administré gratuitement les méthodes à nos soeurs lors de la journée spéciale de la PF et c’est ce qui nous a motivés à vouloir le faire. Mais dès notre arrivée, on nous demande d’acheter un carnet, de faire le test de grossesse si tu n’es pas en période de menstrues, puis de payer. Somme toute, le coût de l’offre de service de planification familiale s’élève à cinq mille (5000) ou six mille (6000) francs. Si tu demandes un appui financier à ton mari, il y a de grande chance qu’il te dise qu’il n’a pas d’argent. C’est ce qui bloque certaines femmes à adopter une méthode contraceptive. ».

Propos recueillis auprès de Clémentine, 22 ans, lors des séances de focus group avec les filles à Lavié

Parmi les méthodes modernes de contraception, le préservatif est le moins coûteux. Toutefois, des problèmes d’accessibilité financière se posent parfois pour certains individus qui pourtant en ont le plus besoin. Il s’agit notamment des adolescent.e.s :

« Le paquet de quatre préservatifs est à 100 FCFA; et si nous demandons à acheter un préservatif à 25 FCFA, les vendeurs refusent. Donc, si nous n’avons pas 100 FCFA pour acheter le paquet des quatre préservatifs. Nous sommes obligés d’avoir des rapports sexuels sans protection, ce qui pourrait occasionner des grossesses non désirées. ».

Propos recueillis auprès de Xavier, 19 ans, lors des séances de focus group avec les garçons à Lavié

Ces extraits des discussions de groupe prouvent que les communautés togolaises ne bénéficient pas suffisamment d’options en matière d’aide à la PF. On constate plusieurs inquiétudes quant à l’accessibilité financière et géographique.

En plus des coûts évoqués, il y a également des frais relatifs au suivi médical de la méthode adoptée, notamment les frais de déplacement, les frais de consultation et parfois de contrôle de la méthode. La somme de tous ces frais n’est pas connue par les couples avant leur décision d’adopter une quelconque méthode de PF. En conséquence, certaines femmes éprouvent des difficultés pour respecter les rendez-vous de suivi qui sont recommandés par les prestataires de soins.

« L’un des problèmes que nous avons souvent avec les clientes, c’est le non-respect des rendez-vous de suivi de la méthode de PF qu’elles adoptent. Pour justifier ce non-respect des rendez-vous, elles mettent généralement en avant le manque de moyens financiers. En effet, il y a des méthodes de PF qui, pour être efficaces, exigent de la part du bénéficiaire un contrôle régulier allant d’un à trois mois. De ce fait, tous les mois, tous les deux mois ou tous les trois mois, la femme doit trouver de l’argent pour payer le transport et les services (qui) lui seront offerts avant de se présenter pour le rendez-vous de suivi. Et donc par faute de moyens financiers pour assurer leur déplacement, la plupart des femmes manquent les rendez-vous. ».

Propos recueillis lors d’un entretien individuel avec un prestataire de service de PF à Lomé

Ce non-respect des rendez-vous de suivi médical a pour conséquence la discontinuité de l’utilisation des contraceptifs et n’est pas sans conséquence pour les femmes et les filles utilisatrices de ces méthodes contraceptives. Il arrive que certaines utilisatrices se retrouvent dans cette situation et aient une grossesse non planifiée. D’autres développent des effets secondaires comme l’irrégularité des menstruations, l’infection de l’appareil génital, etc.

Effets secondaires des méthodes contraceptives : cause de dépenses additionnelles pour les ménages?

Les effets secondaires des méthodes contraceptives constituent aussi l’une des barrières à l’utilisation de la PF chez les hommes. Ils suscitent non seulement un sentiment de crainte et d’inquiétude, mais ils font aussi augmenter les dépenses habituelles du ménage, et ajoutent des lignes budgétaires additionnelles pour les familles. De ce fait, la plupart des hommes par crainte d’avoir à leur charge ces dépenses liées aux effets secondaires des méthodes contraceptives sont réticents à s’impliquer dans l’adoption d’une quelconque méthode contraceptive par leur épouse :

« Les difficultés que moi-même j’ai vécues dans mon foyer avec ma femme sont afférentes aux effets secondaires depuis que nous avons commencé à utiliser la PF. Il lui arrivait des fois d’avoir ses menstruations jusqu’à trois fois dans le mois. Cela m’a fait tellement dépenser que maintenant j’observe beaucoup de réserves par rapport au fait de chercher à avoir encore accès aux services de PF. Pour que le cycle de fécondité de ma femme redevienne normal et qu’elle tombe à nouveau enceinte, il a fallu suivre un traitement long et coûteux. ».

Propos recueillis auprès de Yao, 42 ans, lors des séances de focus group avec les hommes à Djéméké

À la lecture des propos ci-dessus, on observe que les hommes font face à des dépenses additionnelles lorsque leurs épouses sont malades. Certaines femmes présentent des maux après avoir adopté certaines méthodes contraceptives. Non seulement cette situation les prive de moments d’intimité avec leur époux, mais elle crée aussi des dépenses imprévues. Expérimentant ces situations, certains hommes sont souvent réticents à utiliser des méthodes contraceptives.

De même, les rumeurs autour des méthodes contraceptives représentent également des obstacles à leur utilisation : « La vasectomie engendrerait le cancer de la prostate ainsi que d’autres maladies » ou encore « tout comme la castration fait grossir les moutons, la vasectomie rendrait l’homme sans virilité et obèse ». Si ces rumeurs proviennent des discussions avec les hommes, force est de constater que les femmes aussi en parlent. La persistance de ces rumeurs aujourd’hui suggère la nécessité d’accentuer les efforts de sensibilisation auprès des communautés et de former adéquatement les prestataires pour offrir des services de PF exempts de tout reproche.

L’offre de services de PF : quelle place pour les hommes?

Les efforts visant à promouvoir un comportement sexuel responsable en matière de santé de la reproduction ont majoritairement ciblé les femmes. Si dans le contexte togolais, la prise de décision en matière de procréation repose le plus souvent sur les hommes, considérés comme « chefs de famille », il convient de souligner que ces derniers sont moins présents dans les services de planification familiale. Hommes comme femmes pris individuellement ou en couple devraient disposer des mêmes informations sur les méthodes de planification familiale afin de les inciter à utiliser des services de santé reproductive. Pourtant, force est de constater que ces messages sont le plus souvent diffusés au sein des formations sanitaires lors des consultations prénatales ou des séances de vaccination. Or les hommes n’accompagnent pas souvent leurs femmes qui demandent de tels services, de ce fait ils sont souvent moins informés. Cette sous-information pourrait être la cause de leur faible implication dans l’utilisation des services de PF par eux-mêmes et par leurs épouses. L’analyse des discours recueillis auprès des prestataires fait ressortir un changement de perception relative à la PF de certains hommes ayant eu l’occasion de parler de ce sujet avec des prestataires. Les propos qui suivent en disent long :

« (…) Je venais de dire que les hommes n’acceptent même pas que leur femme vienne pour la PF. C’est difficile avec certaines femmes. Des fois, on est obligé de demander à la femme de venir avec son mari à sa prochaine visite, et de lui dire qu’elle a un problème de santé que les prestataires veulent lui expliquer. Quand ils viennent et qu’on prend le temps de leur expliquer les avantages de l’adoption d’une méthode de PF, certains les comprennent et les acceptent. Ils disent [alors là, je vous confie ma femme, peut-être qu’après cinq (5) ans ou après dix (10) ans, on va revenir vers vous si on désire avoir un enfant. ».

Propos recueillis lors d’un entretien individuel avec un prestataire de service de PF à Kara

« (..) Quelquefois, c’est avec le carnet de la dame que ces messieurs se présentent au centre. Il te tend le carnet et te dit qu’il l’a retrouvé dans les affaires de sa femme et te demande de lui expliquer la raison pour laquelle tu fais adopter une méthode contraceptive à sa femme sans avoir obtenu l’autorisation de son mari? Nous leur présentons des excuses et profitons de l’occasion pour les sensibiliser sur le bien-fondé de l’utilisation des contraceptifs. Certains arrivent à comprendre, mais d’autres exigent l’arrêt de la méthode. ».

Propos extraits du discours recueillis lors d’un entretien individuel avec un prestataire de service de PF à Lomé

Le manque d’information expliquerait en partie la faible implication des hommes à l’utilisation des services de PF.

Par ailleurs, la présence des hommes dans les services de maternité ou de planification familiale est souvent mal perçue par les populations et parfois par des prestataires de service de PF.

« (…) Avant j’avais l’habitude d’accompagner ma femme à l’hôpital au moment des consultations prénatales. Mais les soignantes semblent ne pas être d’accord avec cette façon de se comporter. D’abord toi-même tu es mal à l’aise parce que tu es le seul homme parmi plusieurs femmes dans la salle d’attente des services de maternité ou de planification familiale. Plus encore, c’est la soignante qui t’interpelle en te disant “Monsieur, tu n’as pas d’autres occupations? Ou bien tu n’as pas confiance en la prise en charge de la santé de ta femme? Laissez-nous faire notre travail! Va t’occuper de tes activités!” Tout cela met mal à l’aise. Finalement, je ne l’accompagne plus. ».

Propos recueillis auprès de Laurent, 44 ans, lors des séances de focus group avec les hommes à Lomé

La perception des hommes qui fréquentent des « espaces réservés aux femmes » comme les services en lien avec la maternité crée chez eux une certaine honte à aller consulter des services de planification familiale. Des dictons populaires qualifient ces hommes « d’homme paresseux » « Noussou Koufioto » ou « Noussou dovéto » ou « Homme qui suit la femme partout » « Gnonou gomenotto » et d’hommes qui négligent leur devoir de pourvoyeur de fonds. Il est aussi important de noter que la quasi-totalité des prestataires interviewés n’a reçu aucune formation sur l’offre de soins de qualité pour les hommes concernant la planification familiale. La centralisation des questions de la santé de la reproduction sur les femmes reste toujours ancrée dans les mentalités. En outre, signalons la faiblesse de la gamme de méthodes contraceptives principalement masculines empêchant ainsi les hommes de s’impliquer dans la planification familiale.

Discussion

L’article souligne l’un des apports de cette recherche, soit sa capacité à mettre en évidence la persistance de l’influence des normes sociales et culturelles traditionnelles sur l’implication des hommes dans l’utilisation des méthodes contraceptives malgré les programmes et politiques démographiques de réduction des naissances. Ces influences s’inscrivent dans les rapports hommes/femmes caractérisés par une suprématie de l’homme sur la femme. En effet, les hommes et les femmes sont socialisés de manière différente. Cette socialisation repose sur la division sexuelle du travail qui fait de l’homme un pourvoyeur de ressources économiques et de la femme, la responsable des tâches domestiques et parentales. Cette répartition des rôles socialement construits trouve son sens complet dans le mode de fonctionnement de la plupart des ménages togolais, surtout avec la présence d’un enfant.

Socialement, l’enfant est perçu dans l’imaginaire collectif des Togolais comme une richesse. La maternité et la paternité valorisent le statut social de l’homme et surtout celui de la femme tout en donnant un sens au rôle de pourvoyeur économique qui incombe à l’homme et à celui de « care » confié à la femme. Par ailleurs, l’enfant est socialisé de manière à aider ses parents dans leurs tâches quotidiennes. Il est considéré comme une assurance-vieillesse et un gage de solidité et de fierté en termes de perpétuation du nom et de la lignée (Longa, 2010). De ce fait, limiter le nombre d’enfants via l’adoption d’une méthode de planification familiale, revient à s’exposer aux critiques et aux réprobations de l’entourage (Kouwonou et Messan, 1999).

Cette perception de l’enfant comme une richesse est soutenue par les religions. En effet, l’animisme, le christianisme et l’islam encouragent peu la pratique de la planification familiale via les méthodes modernes de contraception considérées comme un comportement contraire à la volonté divine. D’après González López (2016), l’enseignement de l’église chrétienne est contre tout usage de produits contraceptifs. Par conséquent, la plupart des méthodes modernes de PF sont rejetées, faisant place ainsi au choix des méthodes traditionnelles reposant sur la période inféconde. Ces résultats prolongent ceux du rapport d’étude sur l’« Analyse de la situation en santé de la reproduction au Togo » (URD, 2004). La religion traditionnelle, pour sa part, met en avant les tabous de l’abstinence post-partum ainsi que la pratique de l’allaitement maternel prolongé pour répondre aux besoins liés à la PF. Néanmoins, Kokou Vignikin (2004) apporte quelques nuances en ce qui concerne l’association statistique entre la pratique contraceptive et la religion qui s’avérerait globalement faible. Pour cet auteur, les femmes « catholiques » et, dans une moindre mesure, les « protestantes » utilisent les méthodes modernes de PF. Les femmes animistes et celles qui ne pratiquent aucune religion sont moins nombreuses à adopter les méthodes modernes de PF et affichent une indifférence à l’égard de toutes les méthodes, ce qui conforterait « la thèse d’un lien positif entre l’animisme et la rationalité de forte descendance » (Vignikin, 2004).

Parallèlement, cet article souligne l’intérêt de comprendre le lien entre le souhait d’avoir un enfant de sexe masculin ou féminin et la faible implication des hommes à l’utilisation des méthodes contraceptives. La plupart des hommes et des femmes espèrent avoir un enfant de sexe masculin (URD, 2017). L’idée de la perpétuation du lignage ou de la gestion de l’héritage après le décès des parents poussent certains hommes à refuser l’adoption de la contraception et à refuser à leur conjointe son utilisation. Il arrive que certaines femmes soient renvoyées du foyer du fait qu’elles ne donnent naissance qu’à des filles, ce qui conduirait les hommes qui nourrissent l’envie d’avoir des garçons à devenir polygames. Ainsi, par rapport à la fille, la naissance d’un enfant et surtout d’un garçon, provoque une joie intense dans la famille (Koudolo, 2008).

Par ailleurs, un lien est établi entre la non-utilisation des méthodes contraceptives et les idées reçues auprès des Tem[13] au centre nord Togo. Selon l’idéologie dominante qui a imprégné la population de la région, les hommes et les femmes doivent avoir un grand nombre d’enfants pour mériter plus de reconnaissance sociale. D’autres associent le renoncement aux méthodes de PF au souci de ne pas aller à l’encontre des construits sociaux existants, car la croyance fait un lien entre procréation et bénédiction divine (Dramé, 2018). On voit donc s’entremêler les valeurs, les perceptions culturelles, l’idéologie religieuse dans le refus de recourir aux méthodes de PF.

L’un des faits saillants qui ressortent également de cette étude est le coût des produits contraceptifs[14] qui s’ajoute aux lignes de dépenses, faisant déjà partie des responsabilités économiques des hommes dans les ménages. En effet, les femmes et les hommes avec lesquels nous nous sommes entretenus se sont plaints du coût des produits contraceptifs et surtout de ceux liés à la gestion de leurs effets secondaires. Les effets secondaires des méthodes contraceptives ainsi que les coûts des traitements préoccupent les hommes et constituent des lignes de dépenses supplémentaires qu’ils peinent à prendre en charge, ce qui explique parfois leur réticence à l’utilisation des méthodes contraceptives (Badou, 2022; Koffi et al., 2018; URD, 2017).

Cette étude illustre bien les rapports qui existent au sein des couples dans la gestion de la santé reproductive. Dans les sociétés togolaises, la dot versée par l’homme à la famille de sa fiancée lors des cérémonies traditionnelles de mariage est un signe de son engagement et de sa capacité à jouer son rôle de chef de famille et à prendre soin de son épouse surtout en matière de santé (Adjamagbo et al., 2014). Ce pouvoir de décision des hommes en matière de santé reproductive conduit également des couples au divorce ou à un changement de statut matrimonial. À titre d’exemple, il est fréquent de voir des hommes monogames devenir polygames parce qu’ils désirent avoir un garçon ou une fille dans leur progéniture. Parfois, c’est le divorce qui survient. La femme est répudiée parce qu’elle ne donne naissance qu’à des filles. En effet, bien que le sexe de l’enfant soit déterminé par les gamètes masculins selon la science, le fait pour un couple d’avoir des enfants d’un même sexe est systématiquement attribué à la femme qui dans la plupart des cas se voit secondée par une ou plusieurs femmes ou est répudiée (Kpakpo-Lodonou, 2017).

Par ailleurs, les rapports sociaux entre conjoints au sein des ménages rendent compte d’un manque de communication. Une étude réalisée au Togo sur la famille et sur la relation entre les conjoints indique que les chances de discussion sont très limitées dans les couples, qu’on se situe en zone urbaine ou rurale (Tchitou et Vignikin, 2015; Vignikin et Gbétoglo, 2003). Ce résultat a été confirmé par les travaux de Kpakpo-Lodonou (2017) sur le fonctionnement et les structures du couple dans la société togolaise. En outre, ce déficit de communication entre les conjoints surtout en matière de santé de la reproduction influence l’utilisation des méthodes contraceptives au sein du couple. Selon Kokou Vignikin (2004), le fait pour la femme de discuter de la planification familiale avec son conjoint augmente jusqu’à 91 % ses chances d’utilisation d’une méthode moderne de contraception. Plus les conjoints parlent entre eux de la planification familiale, plus les femmes ont recours à la contraception (Ibid. p. 20). L’implication de l’homme ou son intérêt pour la PF serait possible si, au sein des ménages, les couples discutaient fréquemment des questions relatives à la planification familiale.

Un autre résultat intéressant de notre étude renseigne sur l’acceptabilité de méthodes contraceptives masculines. Si le préservatif est bien entré dans les pratiques sexuelles, au Togo comme dans beaucoup de pays d’Afrique au sud du Sahara, la vasectomie sans bistouri l’est moins. Son caractère chirurgical et irréversible s’avère être un obstacle pour son acceptabilité par les hommes et les femmes. Cependant, une étude d’évaluation réalisée sur « l’engagement des hommes dans la planification familiale et l’extension des services de vasectomie sans bistouri au Togo » révèle que depuis 2012 - où cette méthode contraceptive masculine a été introduite dans le pays par l’Association Togolaise pour le Bien-Être Familial (ATBEF) – moins de 60 vasectomies sont réalisées par an à l’échelle nationale (Idrissou et al., 2017).

La société togolaise est dominée par un système patriarcal qui impose une forte hiérarchie entre les sexes et une division sexuelle de travail (Alabi, 2010). Selon les données de l’étude, on remarque une rare fréquentation des services de la planification familiale par les hommes. Si leur présence dans les services de planification familiale est indispensable pour une bonne santé reproductive du couple, notons qu’elle est parfois mal perçue par les femmes clientes de PF et par les prestataires de PF (URD, 2014). Les hommes sont souvent considérés comme des « paresseux » qui fuient leur responsabilité ou des « curieux » qui cherchent à avoir toutes les informations sur leurs conjointes. Tout ceci décourage les hommes dans leurs efforts à accompagner et à soutenir leur femme dans la PF. On s’interroge alors sur la qualité de la formation reçue par les prestataires de service PF. Cet article laisse en suspens certaines questions relatives à la faible implication des hommes à la planification familiale. Ainsi, il est nécessaire d’entreprendre d’autres études socio-anthropologiques qui prennent en compte d’autres dimensions, notamment la formation des prestataires sur l’offre de services de PF aux hommes pour mieux comprendre les causes de la faible implication des hommes à l’utilisation de ces services. Ceci permettrait d’élaborer des solutions qui favoriseraient une meilleure implication des hommes dans l’utilisation accrue des méthodes contraceptives.

Conclusion

Cette recherche, comme tout travail de type qualitatif, n’est pas représentative des raisons listées par l’ensemble des cibles touchées par l’étude et ne permet pas de quantifier le nombre de personnes qui évoquent chacune de ces raisons : c’est une limite inhérente à ce type d’approche. Toutefois ces données sont riches tant par les informations recueillies que par leurs capacités à nous informer sur le contexte normatif togolais caractérisé par une forte domination masculine, ce qui explique en partie la faible implication des hommes à l’utilisation de la PF. Au terme de la présente étude dont l’objectif était de cerner globalement les raisons qui sous-tendent cette faible implication des hommes, il ressort que la santé sexuelle reproductive au sein des familles togolaises est fortement imprégnée des normes et des croyances qui considèrent la planification familiale comme une affaire essentiellement féminine, qui privilégient la présence d’un enfant de sexe masculin dans la descendance pour assurer la pérennisation du patronyme ou d’un enfant de sexe féminin pour les représentations sociales faites à son endroit (rôle de care, richesse via l’entrée en union de cette dernière). La prégnance de ces normes et de ces croyances permet de s’interroger sur les facteurs favorisant l’utilisation de méthodes contraceptives par des femmes vivant en couple au Togo.

Bien que les méthodes contraceptives masculines soient moins nombreuses que celles destinées aux femmes, la vasectomie, du fait de son caractère irréversible, peine à être acceptée par les hommes et les femmes interrogées. Cette recherche s’inscrit également dans la réflexion sur le peu de méthodes contraceptives masculines disponibles ainsi que sur le caractère irréversible de ce contraceptif masculin.

Au Togo, le chemin vers une utilisation plus accrue des méthodes contraceptives masculines est encore long et ardu. Ainsi, les sensibilisations auprès des hommes devraient être plus nombreuses afin qu’ils puissent déconstruire des normes traditionnelles et briser des stéréotypes qui persistent à entraver l’acceptation de la PF. De surcroît, une implication plus accrue des adolescents et des adolescentes dans l’adoption de la PF en Afrique s’avère nécessaire dans la mesure où les stéréotypes liés à la contraception leur sont inculqués au moment de l’adolescence. L’atteinte de cet objectif, qui est d’impliquer davantage les hommes à l’utilisation des services de planification familiale, constitue un véritable défi pour les politiques.