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Introduction

L’environnement linguistique comporte des variations, appelées dialectes, qui se distinguent d’une région à l’autre. Ces variations tiennent d’une part à l’attachement à un groupe langagier et d’autre part au développement naturel d’une langue en plein essor. Or, selon la recherche, les communautés linguistiques engendrent différentes évaluations : tant aux États-Unis (Lippi-Green, 1997), qu’en Angleterre (Giles et Coupland, 1991) ou en France (Kuiper, 2005), les études montrent un avilissement du vernaculaire, attribuable à la perception d’une hiérarchie entre des groupes langagiers occupant différents statuts. Woolard (1985) souligne l’importance d’une analyse des rapports sociaux pour mieux saisir la façon dont les membres d’un groupe langagier minoritaire gèrent les pressions exercées par les différentes communautés langagières. Il s’agit d’une question ayant une portée incalculable sur les pratiques linguistiques (Boudreau et Dubois, 2008), le rendement langagier (LeBlanc et Beaton, 2011) ainsi que le bien-être psychologique des membres des groupes langagiers (de la Sablonnière, 2008).

Le Canada est une mosaïque de communautés francophones dynamiques aux mille accents réparties à l’échelle nationale (Valdman, 2007). C’est dans le cadre de cette diversité que les Acadiens et les Québécois occupent un statut particulier, étant des communautés souches de la francophonie au Canada. Or, le groupe des Acadiens, les francophones des provinces atlantiques du Canada, se démarque de par son statut minoritaire sur le plan national, par rapport aux francophones du Québec et aux anglophones. Malgré que le français soit reconnu comme une langue officielle au Nouveau-Brunswick depuis plus de 40 ans (Leclerc, 2010), son statut minoritaire pluriel engendre des situations relationnelles garnies de pressions qui portent atteinte à la spécificité et à la vitalité de la culture acadienne (Boudreau, 1995; Boudreau et Dubois, 1991, 1992, 2001; Corbeil, Grenier et Lafrenière, 2006; Landry et Allard, 1994). Ces pressions sont d’autant plus ressenties chez les Acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick. En effet, les Acadiens de cette région du Nouveau-Brunswick sont confrontés à la force assimilatrice du groupe majoritaire anglophone de la province (Boudreau et Dubois, 2005; Corbeil et al., 2006; Landry et Allard, 1994). Par exemple, 47 % des jeunes adultes francophones de Moncton indiquent qu’ils utilisent uniquement le français à la maison (Castonguay, 2005). De plus, les Acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick se voient en proie aux exigences d’un français standard (Boudreau et Dubois, 1991, 1992, 2001), lesquelles se heurtent au vernaculaire de la région, nommé le « chiac ». Le français standard correspond à une norme qui s’oppose à l’hétérogénéité linguistique et qui s’impose en tant que pratique langagière prestigieuse, légitime et valorisée. Comme l’expliquent Coghlan et Thériault (2002 : 9) : « Seul le « bon » français est valorisé, les variantes vernaculaires étant souvent perçues comme des erreurs devant être éliminées de la langue parlée ». Cette constatation de la divergence linguistique francophone acadienne est reconnue, à différents niveaux, par les Acadiens depuis la seconde moitié du 20e siècle (Boudreau, 2009), de sorte que 47,6 % des Acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick considèrent que leur région compte parmi celles où l’on parle le moins bien le français (Boudreau, 1995). Le but de la présente étude est d’examiner la façon dont les jeunes Acadiens transigent avec les contraintes d’un statut minoritaire pluriel. En effet, il s’agit d’une question très importante chez les adolescents issus de groupes minoritaires. Selon certains auteurs (Pachter et Coll, 2009; Phinney, 1989, 1992; Quintana, 2007), la façon dont l’adolescent se situe par rapport à la marginalisation de son groupe ethnique est étroitement liée à son ajustement psychologique.

La recherche montre que la marginalisation du groupe d’appartenance peut nuire au bien-être psychologique de ses membres (Major et Sawyer, 2009; O’Brien et Major, 2005). Par exemple, Sellers, Copeland-Linder, Martin et L’Heureux Lewis (2006) révèlent que la discrimination raciste engendre la détresse psychologique et diminue le bien-être chez les jeunes Américains d’origine africaine. Cependant, les effets d’un double statut minoritaire sur le bien-être psychologique d’un groupe langagier n’ont pas été étudiés à ce jour et seront l’objet de cette étude. Ainsi, la présente étude contribue aux connaissances en examinant la façon dont les jeunes d’origine acadienne réagissent à un statut minoritaire pluriel. En effet, les résultats d’une enquête effectuée auprès d’élèves francophones provenant des quatre provinces du Canada atlantique révèlent un portrait assez inquiétant : 29,9 % des jeunes ont manifesté des symptômes dépressifs, 15,4 % ont déjà eu des pensées suicidaires, 9,8 % ont indiqué avoir déjà préparé un plan d’action suicidaire, tandis que 10,1 % des élèves ont déjà fait une tentative de suicide (Godin et al., 2004). Dans un tel contexte, un examen de la façon dont les pressions d’un statut minoritaire pluriel modulent l’ajustement psychologique des adolescents d’origine acadienne pourrait servir de guide dans l’élaboration des moyens de prévention en matière de santé psychologique auprès des jeunes issus des groupes vulnérables au Canada.

La recherche dans le domaine de la psychologie des groupes minoritaires montre que les individus qui ont subi un traitement inéquitable émanant de leur appartenance à un endogroupe défavorisé dans la société ne sombreront pas nécessairement dans un gouffre de souffrances psychologiques (Major et Sawyer, 2009). Autrement dit, ce n’est pas un automatisme (Crocker et Major, 1989). Certains auteurs (Branscombe, Schmitt et Harvey, 1999; Taylor, 1997, 2002; Usborne et Taylor, 2010) préconisent l’idée selon laquelle le lien entre le désavantage social et le bien-être psychologique repose sur l’identité collective. L’identité collective représente « la partie du concept de soi d’un individu qui dérive de la connaissance de son appartenance à certains groupes sociaux et de la signification affective et évaluative qui résulte de cette appartenance » (Tajfel, 1978 : 63). Taylor et ses collaborateurs ajoutent que l’identité collective contient également le partage d’un historique et d’un ensemble de valeurs, de buts et de comportements par les membres d’un groupe (Taylor, 1997, 2002; Taylor, Bougie et Caouette, 2003). Dans ce qui suit, les modèles de réponses au désavantage social tel qu’avancés par Taylor (1997, 2002) et Branscombe et al. (1999) seront présentés.

Le modèle du concept de soi proposé par Taylor (1997; 2002) repose sur le postulat selon lequel le désavantage social influence l’identité collective. Selon cet auteur, l’identité collective occupe une place très importante, car elle nourrit les différentes composantes du concept de soi. Ainsi, l’identité collective offre à l’individu un gabarit de normes et de valeurs qui serviront à façonner l’estime de soi collective ainsi que l’identité et l’estime personnelles. Par exemple, les résultats d’études effectuées auprès de divers groupes ethniques révèlent qu’une identité collective bien définie contribue au bien-être psychologique et à l’estime de soi (de la Sablonnière, Taylor, Pinard-St-Pierre et Annahatak, 2008; Usborne et Taylor, 2010). Or, selon Taylor (2002), le désavantage social, qui constitue le produit des forces assimilatrices et des stéréotypes dégradants, a comme effet de rendre difficile, voire impossible, l’articulation des spécificités de l’identité collective. Autrement dit, le désavantage social porte atteinte à la capacité et à la liberté des membres d’un groupe minoritaire de s’épanouir selon leurs spécificités culturelles. Par conséquent, Taylor (1997, 2002) ajoute que l’identité collective demeure floue et indéterminée (Taylor et al., 2003), ce qui empêche l’élaboration et l’évaluation des dimensions du soi. Usborne et Taylor (2010) ont évalué la clarté de l’identité collective, c’est-à-dire le sentiment que l’image du groupe d’appartenance est clairement définie, la clarté de l’identité personnelle et l’estime de soi auprès de différents groupes ethniques, tels que les anglophones et les francophones du Québec, les personnes d’origine chinoise et les autochtones. Selon les résultats, plus l’identité collective est jugée comme étant claire, plus l’individu évalue son identité personnelle comme étant bien définie et par ricochet, plus l’estime de soi augmente.

Branscombe et ses collègues (1999) offrent une autre perspective de la façon dont le niveau d’attachement à l’identité collective module le lien entre le traitement inéquitable et le bien-être psychologique. Selon leur modèle de rejet-identification, le traitement différentiel, tel que les préjugés, exerce un effet négatif sur le bien-être des membres du groupe désavantagé et augmente le sentiment d’appartenance à l’endogroupe. Ces auteurs expliquent ce processus de la façon suivante : ayant vécu l’exclusion sociale de la part des membres de l’exogroupe avantagé, le groupe minoritaire se réfugie et s’investit davantage dans l’endogroupe afin d’en tirer un sentiment d’inclusion, voire de reconnaissance. À son tour, le sentiment d’appartenance à l’endogroupe permet à l’individu d’en tirer un bien-être psychologique (Branscombe et al., 1999; Garstka, Schmitt, Branscombe et Hummer, 2004; Schmitt, Branscombe, Kobrynowicz et Owen, 2002; Schmitt, Spears et Branscombe, 2003). Les deux cadres théoriques (Branscombe et al., 1999; Taylor, 1997, 2002) accordent une importance au rôle de l’identité collective, mais prévoient une trajectoire différente émanant du traitement différentiel. Pour l’un, le traitement différentiel démolit l’identité collective et, par conséquent, engendre un malaise psychologique (Taylor, 1997, 2002), tandis que pour l’autre, le désavantage social est catalyseur de la solidarité endogroupe, renforçant ainsi l’identité collective et entraînant par ricochet le bien-être psychologique (Branscombe et al., 1999). Qui a raison? Nous postulons que les deux perspectives ne sont pas indissociables et qu’elles représentent plutôt deux possibilités, parmi tant d’autres, qui émanent de différentes façons dont l’expérience du désavantage social se transforme en profil identitaire collectif. En effet, certains auteurs considèrent que les membres des groupes minoritaires peuvent composer de différentes façons à l’endroit du stigma social (Amiot, de la Sablonnière, Terry et Smith, 2007; Benet-Martinez et Haritatos, 2005; Berry, Trimble et Olmedo, 1986; Landry, Deveau et Allard, 2006; Pilote, 2006). Prenons par exemple le modèle d’acculturation évalué auprès des adolescents où figurent quatre stratégies d’acculturation résultant de l’orientation vers l’endogroupe minoritaire et celle à l’endroit de l’exogroupe majoritaire soit l’assimilation, l’intégration, la séparation et la marginalisation (Berry, Phinney, Sam, et Vedder, 2006; Berry et Sabatier, 2010). Or, l’approche préconisée par Berry et ses associés a été largement critiquée (Kim, 1988; Koch, Bjerregaard et Curtis, 2003; Rudmin et Ahmadzadeh, 2001; van Oudenhoven, Prins et Buunk, 1998). Par exemple, les résultats du lien entre les stratégies d’acculturation et le bien-être psychologique demeurent inconsistants (Berry et Sabatier, 2010; Rudmin et Ahmadzadeh, 2001). Berry et Sabatier (2010) proposent que les retombées des stratégies d’acculturation varient selon le contexte dans lequel évolue l’individu. Ainsi, pour mieux comprendre les spécificités culturelles des jeunes Acadiens, on se tourne vers la recherche menée par Pilote (2006). En fonction des entretiens semi-dirigés, Pilote a révélé que plusieurs possibilités identitaires s’offrent aux jeunes Acadiens du Nouveau-Brunswick. Dans cette étude, les adolescents ont été invités à réfléchir aux expériences entretenues avec les groupes situés dans leur environnement et l’identité qui en émerge. Les analyses inductives des récits des participants ont révélé qu’à partir du discours des jeunes Acadiens à l’endroit des réalités d’un statut minoritaire et du vécu langagier se dessinent huit profils identitaires collectifs qui se distinguent en fonction du type de relation que les jeunes entretiennent avec leur endogroupe et l’exogroupe majoritaire, soit les anglophones. Par exemple, le jeune « affirmationiste » se distingue du groupe majoritaire anglophone et se définit à partir de son appartenance au groupe des « Acadiens ». Cette diversité identitaire a également été documentée dans la recherche par questionnaire qui a été menée auprès des jeunes francophones vivant en milieu minoritaire (Landry, Deveau et Allard, 2006, 2008). Ainsi, la présente étude permettra d’apporter un éclairage nouveau en fonction d’une approche qui intègre différents modèles proposés (Branscombe et al., 1999; Taylor, 1997, 2002) et qui peuvent paraître à première vue plutôt contradictoires. Notre analyse permettra d’offrir un portrait plus nuancé à la trajectoire des réponses au désavantage social.

Le but général de cette étude est de mieux comprendre la réponse au désavantage social selon la perspective du jeune d’origine acadienne du sud-est du Nouveau-Brunswick. La perception du désavantage social se fera selon une approche novatrice. Les auteurs se sont surtout attardés aux dynamiques identitaires qui découlent de la façon dont les membres des groupes minoritaires se situent par rapport à la culture dominante et d’origine (Sam et Berry, 2006). Or, dans le cadre de cette étude, les méta-stéréotypes seront également examinés. Les méta-stéréotypes font référence à la façon dont les membres de l’endogroupe pensent que les membres du groupe majoritaire les évaluent (Vorauer, Main, et O’Connell, 1998), une grande préoccupation chez les membres des groupes défavorisés (Lammers, Gordijn, et Otten, 2008). Tout en préconisant une approche qualitative, le présent projet de recherche vise à étudier les éléments suivants : 1) la façon dont les adolescents d’origine acadienne discutent de l’expérience du double désavantage social vécu par les Acadiens, 2) leur identité collective acadienne et 3) les dimensions de leur bien-être psychologique. Les modèles avancés dans la recherche (Branscombe etal., 1999; Taylor, 1997, 2002) serviront en tant que toile de fond à partir de laquelle nous examinerons la séquence suivante des éléments du discours : la façon dont les jeunes Acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick vivent avec les pressions exercées par les groupes majoritaires (dont les francophones du Québec et les anglophones de la région) aura une incidence sur leur profil identitaire collectif. De plus, nous supposons que le profil identitaire collectif aura à son tour une incidence sur le bien-être des jeunes francophones vivant en milieu minoritaire. Par exemple, une étude menée auprès des jeunes Fransaskois montre que leur estime de soi est tributaire à la fois d’un sentiment de compétence dans la langue seconde (c’est-à-dire l’anglais) et d’un sentiment d’appartenance au groupe francophone (Gaudet et Clément, 2005). Les résultats d’une autre étude menée auprès des membres d’une communauté autochtone révèlent qu’une carence sur le plan de la vitalité linguistique est associée à un taux de suicide plus élevé (Hallett, Chandler et Lalonde, 2007). Par conséquent, l’hypothèse émise est que les répondants qui reconnaissent le statut désavantagé des Acadiens et qui renoncent à leur attachement à la collectivité acadienne ou encore peinent à articuler leur identité collective témoigneront de difficultés sur le plan du bien-être psychologique (Branscombe et al., 1999; Taylor, 1997, 2002).

1. Méthode

1.1 Participants

L’étude s’est déroulée parmi des francophones qui habitent le sud-est du Nouveau-Brunswick, c’est-à-dire une région où les anglophones occupent un statut majoritaire (Blaser et Corbeil, 2007). En tout, 36 adolescents d’origine acadienne, dont 19 filles et 17 garçons âgés entre 14 et 18 ans (M = 15,9), ont participé à une entrevue semi-structurée. Les entrevues se sont déroulées en milieu scolaire et ont été effectuées par une chercheure d’origine acadienne. Ces jeunes provenaient de trois écoles secondaires différentes et ont été choisis de trois manières : aléatoirement par l’entremise du répertoire des étudiants des écoles concernées, dans le cadre des cours (activité optionnelle), et bénévolement. Tous les participants interviewés sont nés au Nouveau-Brunswick. La majorité des jeunes (97 %) avaient un ou deux parents d’origine acadienne, et un seul participant provenait d’une famille endogame francophone québécoise.

1.2 Procédure et mesures

Le guide d’entretien comporte trois grands thèmes, soit les perceptions de groupes, l’identité collective ainsi que le bien-être psychologique. Le guide d’entretien est élaboré à partir de notre hypothèse sur la séquence du discours et des avancées théoriques dans le domaine. Les questions sont déterminées en fonction des dimensions des modèles théoriques (Branscombe et al., 1999; Taylor, 1997, 2002). Ainsi, les participants sont interrogés sur leurs perceptions des groupes permettant d’en dégager un discours par rapport à la relation entre les exogroupes majoritaires et l’endogroupe. De plus, la recherche antérieure (Berry et al., 2006; Landry et al., 2006; Pilote, 2006) fait état de diverses façon dont les membres d’un endogroupe peuvent se situer par rapport à leur endogroupe. De cette constatation est née la question sur les profils identitaires collectifs. Enfin, les travaux de Ryff (1989) ont servi à formuler les questions traitant du bien-être psychologique. Cette mesure a été choisie puisqu’elle offre une approche vaste et multidimensionnelle du concept du bien-être psychologique. La durée des entrevues a varié entre 12 minutes 49 secondes et 49 minutes 23 secondes (M = 24 minutes 8 secondes). Une description des thèmes est fournie ci-après.

1.2.1 Les perceptions de groupes

La section traitant des perceptions de groupes aborde deux dimensions, c’est-à-dire les perceptions intergroupes et intragroupes. Dans un premier temps, le thème des perceptions intergroupes comporte des questions servant à engendrer une réflexion à l’endroit des groupes majoritaires, dont les anglophones de la région et les francophones du Québec. Ainsi, sous ce thème, les questions suivantes sont posées : « Comment perçois-tu les anglophones? Les Québécois? » ainsi que « D’après toi, comment ces groupes perçoivent les Acadiens? ». Dans un deuxième temps, les perceptions intragroupes sont abordées. Cette dimension permet de mieux comprendre comment les jeunes Acadiens de cette région perçoivent leur endogroupe : « Comment perçois-tu les Acadiens? ». De plus, afin de mieux comprendre si les jeunes se perçoivent comme des membres représentatifs de leur identité collective, les jeunes sont interrogés de la façon suivante : « Que penses-tu que les Acadiens diraient de toi? ».

1.2.2 Identité collective

Afin d’explorer le contenu de leur identité collective, trois questions concernant la relation que ces jeunes entretiennent avec leur endogroupe sont abordées, soit concernant la façon dont ils articulent leur identité collective (« Qu’est-ce que ça signifie pour toi d’être Acadien? ») et concernant l’influence du contexte sur leur identité collective (« Est-ce que, pour toi, c’est la même chose partout d’être Acadien? ») ainsi que sur leur identité personnelle (« Comment tu te décrirais à une personne qui ne te connaît absolument pas? »).

1.2.3 Le bien-être psychologique

Le dernier thème abordé auprès des participants traite de leur bien-être psychologique. Pour bien saisir toutes les nuances de ce thème, les questions sont élaborées en fonction de la mesure de bien-être psychologique de Ryff (1989) permettant d’aborder avec les participants des questions portant sur l’autonomie (« Est-ce que tu as confiance en tes opinions? »), le contrôle de l’environnement (« En général, quand il t’arrive quelque chose de bien ou de mal dans la vie, est-ce que tu as l’impression que tu en es responsable? »), les intentions dans la vie (« Est-ce que tu as des buts dans la vie? »), l’acceptation de soi (« Quand tu regardes ta vie jusqu’ici, ce que tu as fait, accompli, ta personnalité, qu’est-ce que tu en penses? »), les relations positives avec les autres (« Est-ce que tu as des amis proches? Des personnes en qui tu as totalement confiance? ») et la croissance personnelle (« Est-ce que tu aimes les nouvelles expériences? Le changement? »).

1.3 Approche analytique

La présente recherche vise à dégager le discours des jeunes par rapport aux perceptions de groupes, à l’identité collective ainsi qu’au bien-être psychologique. L’analyse du discours a été effectuée à l’aide du logiciel Nvivo8 (QSR International, 2008). Ce logiciel permet de regrouper les parties du discours qui comportent un ou des thèmes communs. De cette façon, il est possible d’avoir une vue d’ensemble de chacun des thèmes abordés, ce qui facilite la compréhension du sens du discours. L’analyse qualitative du discours s’est faite selon deux approches combinées, soit la Grounded Theory (Glaser et Strauss, 1967) et l’analyse comparative constante (Corbin et Strauss, 2008). Il est important de préciser que l’approche analytique correspond à la technique selon laquelle : « l’approche inductive implique des moments de déduction sans perdre pour autant son caractère essentiellement inductif, celui-ci provenant de l’orientation fondamentale qui consiste à étudier les phénomènes à partir de l’expérience qu’en font les acteurs » (Guillemet, 2006 : 44). Ainsi, quoique l’analyse s’inspire en partie d’un cadre théorique, les entrevues sont demeurées semi-dirigées. Par exemple, aucune question n’a été formulée sur le français standard ni sur la valeur attribuée aux perceptions de groupes. Ce sont plutôt des thèmes évoqués par les jeunes et qui se sont dégagés in vivo du codage ouvert.

Dans la présente étude, les stratégies d’analyses du corpus se sont définies à partir de la Grounded Theory (Glaser et Strauss, 1967). Ainsi, le corpus a été analysé à l’aide d’un codage ouvert, permettant à plusieurs catégories de se préciser. À cette étape, selon Guillemet (2006), la première auteure s’ouvre aux preuves empiriques en mettant ses connaissances théoriques en veilleuse. La lecture du discours et la catégorisation systémique effectuées à cette étape de l’analyse du corpus (Dionne, 2009) ont permis la découverte de plusieurs catégories. Par la suite, ces catégories ont été regroupées à l’aide d’un codage axial (Dionne, 2009; Paillé, 1994) où certaines ressemblances entre les catégories du codage ouvert ont été déterminées. Par exemple, le dénigrement de la langue parlée des Acadiens est le résultat d’un amalgame des catégories suivantes, entre autres : les Acadiens parlent moins bien le français que les Québécois, les Québécois nous voient comme inférieur à cause de notre parlé, l’enchevêtrement entre le français et l’anglais est perçu comme de l’assimilation. Par la suite, l’élaboration de l’arbre catégoriel a été effectuée (Dionne, 2009). À cette étape de l’analyse, les catégories ont été évaluées selon l’importance attribuée par les participants dans leur discours. Pour ce faire, des indices tels que la durée, la fréquence, l’intensité et l’intégration de ces catégories dans l’articulation de l’identité collective des participants ont été notés. Ainsi, l’élaboration de l’arbre catégoriel a permis d’effectuer l’échafaudage des éléments de théorisation (Dionne, 2009).

Une analyse comparative constante entre les données empiriques et le cadre théorique (Guillemet, 2006; Leech et Onwuegbuzie, 2008) a été effectuée par les deux chercheures dont l’un d’origine acadienne et l’autre d’origine franco-ontarienne. Ainsi, la typologie des profils identitaires collectifs résulte des connaissances théoriques des deux chercheures, des données empiriques et des liens observés entre les divers éléments du discours. La première ronde de l’analyse comparative a permis la création d’une typologie exhaustive de plusieurs profils identitaires collectifs. Plus précisément, les chercheures ont examiné le lien entre les perceptions des groupes ainsi que les caractéristiques des profils identitaires collectifs et l’importance qui leur est accordée. Par la suite, l’analyse comparative a permis d’entamer un nouveau codage sélectif afin de regrouper certains profils semblables. Finalement, le lien entre le discours sur le bien-être psychologique et le type de profils identitaires collectifs a été examiné auprès de chacun des jeunes interrogés. Le niveau de saturation empirique a été déterminé en fonction d’un consensus entre les chercheures. Plus précisément et selon cette technique préconisée par Pirès (1997), la saturation empirique est atteinte lorsque les chercheures concluent que les dernières entrevues ne procurent pas un nouvel éclairage à la théorie ou de nouveaux éléments aux thèmes qui se sont dégagés de l’analyse. Pour ce faire, les chercheures ont procédé selon le principe du emergent-fit (Glaser et Strauss, 1967) selon lequel une comparaison est effectuée entre les nouveaux éléments qui découlent du discours et leur capacité de faire émerger un nouveau thème.

2. Résultats

Cette section présente les résultats de l’analyse du discours des jeunes Acadiens vivant dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Plus spécifiquement, les résultats concernent les perceptions qu’ont ces jeunes à l’endroit des deux exogroupes majoritaires, soit les anglophones et les francophones du Québec. De plus, les divergences dans les discours entretenus à l’endroit de l’exogroupe anglophone font naître six profils identitaires collectifs différents, qui seront traités. Finalement, le thème du bien-être psychologique des jeunes interrogés est abordé.

2.1 Perceptions à l’endroit des francophones du Québec

Selon les résultats, deux processus, soit la différenciation intergroupe et le biais pro-exogroupe, ont surgi du discours des jeunes à l’endroit de la relation entre les Acadiens et les francophones du Québec. En général, les jeunes constatent un clivage du statut entre les deux communautés francophones qui s’explique par une image valorisée et désirable des francophones du Québec et un dénigrement des pratiques langagières de la communauté acadienne.

La différenciation intergroupe se discute en fonction d’une seule dimension, soit les pratiques langagières des deux communautés francophones. Pour certains, la différence entre les groupes s’exprime en une simple constatation, sans connotation particulière : « Ben y parlant[2]; [parlent] [3], différent » (Chantale[4]), ou encore « Ils parlent français avec différent accent » (Lianne). Cependant, pour nombre d’entre eux, cette différence langagière est constatée et jugée comme étant notable à un point tel qu’elle engendre des difficultés dans la communication, menant à une incompréhension mutuelle : « …des fois y [Québécois] vont parler pis chu comme jeeze [Jésus]! J’ai eu certainement des questions comme des Québécois pis s’t’un petit peu dur comme à savoir qu’est-ce qui voulons dire » (Alex). Les jeunes ont raconté des moments où le contact exige des efforts supplémentaires pour permettre la compréhension. Il en résulte parfois des frustrations ou encore une mauvaise catégorisation du groupe d’appartenance des jeunes Acadiens : « J’sais des fois y [Acadiens] trouvant qu’y [Québécois] avons des accents pis c’est comme plus différent de…comme nous autres quand on avait été à Québec avec la classe de 8e année, ben z’eux [Québécois] y croyions qu’on parlait anglais parce qu’on parlait comme chiac ou pis ça, pis là y nous répondions en anglais pis on aimait pas ça » (Françoise).

Les perceptions des différences entre les pratiques langagières des deux communautés francophones sont accompagnées d’un biais pro-exogroupe à l’endroit des francophones du Québec. En effet, lorsque la question des pratiques langagières est abordée, le groupe des francophones du Québec est évalué comme étant un modèle valorisé et désirable : « Ben y [Acadiens] n’a beaucoup qui croient que c’est eux [Québécois] qui parlent comme le bon français » (Clément). De plus, les jeunes Acadiens entretiennent un discours qui dénigre l’endogroupe. Ces deux perspectives, soit la valorisation de l’exogroupe francophone du Québec et la dévalorisation de l’endogroupe, sont examinées ci-après.

Les jeunes Acadiens expliquent que leurs pratiques langagières sont perçues par les francophones du Québec comme fautives et non acceptables : « Y [Québécois] pensons qu’on parle pas aussi tant bien que z’eux, le français » (Léonie). Les jeunes interviewés précisent que c’est l’utilisation du chiac qui est au coeur de ce dénigrement. En effet, l’intégration de mots anglais dans leur vernaculaire est, selon les jeunes interrogés, perçue par les francophones du Québec comme un échec, voire une honte pour la langue française :

Ils [Québécois] nous voient probablement comme une disgrace [disgrâce]. Ils étaient Français pis garde qu’est-ce qu’ils sont rendus comme asteure [maintenant]. C’était probablement toute un peuple français pis après ça y n’ont perdu une coupelle [quelques-uns] à cause qui pouvions pas, probablement, se battre contre les Anglais alors les Québécois les [Acadiens] rejettent comparé à avant

Françoise

Les jeunes interrogés croient aussi que les francophones du Québec voient le chiac comme un symbole d’assimilation des Acadiens : 

J’pense que les Québécois pensent qu’on est comme… parce qu’on utilise souvent les mots anglais et français, parce qu’on est entouré de plus anglais que z’eux sont. So [donc], j’pense qu’ils sont comme, ils pensent qu’on est en train de se faire assimiler ou quelque chose, parce qu’on est pas comme eux, eux autres sont toute français, c’est juste français, leur français est quasiment un français parfait

Louise

De plus, on constate que les jeunes reprennent ce même discours péjoratif à leur endroit. En effet, ces derniers finissent par intégrer la croyance que leurs pratiques langagières, et même leur culture, ne sont pas à la hauteur : « Ouin, le français est plus comme culturé là, j’sais pas, plus comme élevé. Comme à Moncton, c’est comme chiac, pis eux autres [Québécois], c’est plus comme français français » (Anabelle). Cette constatation résulte en une perception des inégalités quant aux habiletés relatives à la langue française : « Fait que c’est ça que moi chu un peu plus jalouse et comme eux [Québécois] ont pas été mélangés avec l’anglais, ça fait que leur français est vraiment comme beau là, leur vocabulaire pis ça là » (Roxanne). Ce dénigrement des pratiques langagières des Acadiens engendre une honte par rapport à leurs capacités de communiquer en français. Les résultats révèlent chez les jeunes un sentiment d’insécurité linguistique. Cette insécurité linguistique est une réalité de la communauté acadienne vivant en milieu minoritaire (Boudreau, 1995, 2009; Boudreau et Dubois, 1991) et est décrite de la façon suivante par Maxime :

J’pense qu’y’a quand même, pas nécessairement une honte, mais y’a toujours comme l’hésitation chez plusieurs Acadiens que y’ont pas le français correct mais à la fin des temps y’é pas si pire que ça… C’est qui vont souvent, y’ont trop peur de faire l’erreur puis de se faire humilier ou de quoi comme ça comme y sont, j’ai eu des invités à la radio de la région, des jeunes y venaient pis y’é comme j’file [je ne sens] pas que j’peux parler français etcetera qui me disaient. Ben moi j’leur disais tout le temps parle comme que tu parles normalement parce qu’on parle pas si mal que ça non plus…
Mais c’est que souvent quand que tu vas dire à quelqu’un « fais-moi une présentation orale », y va tout le temps avoir peur d’utiliser son mauvais français mais y’é, mais le français est pourtant pas si pire que ça.

Ainsi, les résultats révèlent que les perceptions à l’égard de l’exogroupe francophone québécois sont similaires chez les jeunes interrogés, et ce, peu importe leur profil identitaire collectif.

2.2 Perceptions à l’endroit des anglophones de la région

Contrairement aux perceptions à l’endroit des francophones du Québec, les perceptions relatives à l’exogroupe majoritaire anglophone ne sont pas univoques, mais plutôt nuancées. En effet, plusieurs positions par rapport à ce groupe ont été relatées lors des entrevues et seront abordées selon un profil particulier de l’identité collective des jeunes. Selon les analyses, six profils identitaires collectifs ont été retenus, soit le « bilingue à orientation anglophone», « l’indifférent », « l’insécure face à l’Acadie », le « bilingue en évolution », le « porteur de la culture », et le « créateur identitaire ».

2.3 Profils identitaires collectifs

2.3.1 Bilingue à orientation anglophone (n =3)

Le premier profil identitaire collectif fait référence au bilingue à orientation anglophone où les jeunes interrogés n’accordent peu ou pas d’importance à leur origine acadienne. L’identité collective acadienne des jeunes perd de la valeur, car ils valorisent le fait d’appartenir au groupe anglophone. En effet, cette attirance accrue envers le groupe anglophone s’exprime par une préférence pour la langue anglaise ainsi qu’une perception selon laquelle les membres de ce groupe ont plus de chances de réussir dans la vie que les Acadiens : « J’aimerais travailler dans une grosse compagnie là qui est reconnue, ben la plupart des compagnies c’est anglais, c’est pas français. But asteure [maintenant] y cherchons bilingue là…mais si j’veux aller aux États, c’est anglais » (Tony). Ainsi, ces participants dévalorisent les Acadiens à cause de leurs pratiques langagières jugées inadéquates : « Ben beaucoup de monde comme les Acadiens c’est pas mal français pis c’est, beaucoup de monde aime pas le français, le monde qu’est français » (Luc). Ils les dévalorisent également en raison de leur statut minoritaire : « À cause que z’eux sont plus…sont plus nombreux c’est déjà…comme commencer là pis en Europe pis ça ben c’est les Anglais qui sont…plus forts pis ça comme l’Angleterre pis ça pis là y’ont venu aux États… pis là y’ont toute pris…toute taker over [prendre en charge] les États…pis nous autres on été yeink [seulement] là un petit peuple au…Nouveau-Brunswick pis toute là, les peuples des Maritimes so [donc] c’est comme partout au monde so [donc]…y seriont plus » (Tony).

Les jeunes possédant un profil bilingue à orientation anglophone reconnaissent leur identité collective acadienne, mais ne lui attribuent aucune importance dans leur définition de soi : « C’est pas que chu anti-Acadien, juste c’est pas de quoi qu’est comme beaucoup plus important pour moi que ça » (Hugo). Malgré qu’ils articulent clairement l’identité collective acadienne (par exemple : la langue, leurs ancêtres, l’histoire, la musique, la fête nationale, le drapeau acadien, etc.), ces jeunes se considèrent différents des Acadiens puisqu’ils s’identifient plus fortement à la communauté anglophone : « J’sais pas, chu, j’parle beaucoup comme l’anglais pis comme j’le préfère mieux que le français ben, des choses comme ça » (Luc). Par conséquent, ils se sentent à l’écart de leur communauté d’origine en raison de cette préférence qui n’est pas partagée par l’ensemble de la communauté acadienne :

Euh j’dis euh à presque à tout le monde que ben j’dis que c’est ça qu’est mon rêve de déménager aux États pis y s’moquont [se moquent] d’moi…Es-tu fou toi…cé cé rien de bon d’là pis c’est tout le temps meilleur icitte [ici] but [mais] ouin…

Tony

Ainsi, ces jeunes vivent ou entrevoient vivre dans un futur majoritairement en anglais :

Ah, ben, personnellement, moi l’anglais va probablement devenir plus, ben est plus important dans ma vie que le français…Pas parce que j’aime pas le français ou rien de même juste que j’vas à une université anglaise pour mes premiers quatre ans, là ensuite j’vas aux États à une université là-bas, ça fait que encore quatre ans en anglais. Ça fait j’vois disons 15 prochaines années de ma vie, huit ans va être en anglais complet aux États, pis là, trois à quatre ans peut-être à 15 même pas à 15 % français, pis là je vais revenir pour les dernières années à Moncton…

Hugo

2.3.2 Indifférent (n =11)

Chez les adolescents qui témoignent le profil indifférent, aucun n’a accordé une importance aux différences intergroupes, à l’appartenance à un groupe ni à une catégorie supraordinale. Les indifférents minimisent l’importance des catégories sociales Acadiens et anglophones : « Pas vraiment, on est toute comme pareil là, c’est juste différentes choses qu’on fait. Comme on est toute humain là » (Catherine). En effet, la seule distinction se situe par rapport à la langue parlée : « Ben moi je trouve ils sont juste comme d’autres personnes, y sont comme nous autres mais parlent une différente langue » (Christine). De plus, le conflit est perçu comme découlant des différences individuelles : « Probably [probablement] la même affaire que nous autres, j’sais pas peut-être qu’y en a [anglophones] qu’on de quoi contre nous autres [Acadiens], peut-être qu’y en a qui avons rien, j’sais pas » (Marie).

Suivant ce raisonnement et tout comme chez les jeunes qui témoignent le profil bilingue à orientation anglophone, les indifférents n’attribuent pas ou peu de valeur ou d’importance à leur identité collective : « Euh, c’était…comme j’ai dit c’est du monde [Acadiens] comme d’autres so [donc] moi ça m’fait rien vraiment plus que ça… » (Martin). La faible importance accordée à leur communauté d’origine se reflète particulièrement dans le discours concernant le drapeau acadien et les symboles culturels : « [Regarder le drapeau acadien] Ben c’est comme garder des drapeaux canadiens, ça fait rien » (Catherine). Conséquemment, pour eux, appartenir ou non à la communauté acadienne n’a aucune importance, et cela se traduit en une absence de la dimension culturelle dans leur description personnelle : « Ben ça change pas grand-chose à ma vie que j’sèye [sois] Acadienne ou pas so [donc] » (Marie). Ainsi, pour ces jeunes, être Acadien permet simplement de déterminer leur lieu d’origine, sans plus : « Moi ça me fait pas vraiment grand-chose, c’est yeink [seulement] la place chu né » (Mario).

2.3.3 Insécure face à l’Acadie (n =8)

Le discours de certains des jeunes interrogés reflète une insécurité concernant l’état actuel et l’avenir de la communauté acadienne. Les jeunes insécures face à l’Acadie sont convaincus que les anglophones vilipendent la culture acadienne : « Ils [anglophones] pensent probably [probablement] qu’on est une bunch [un groupe] … Peut-être ben y pensent qu’on est une bunch [un groupe] de bons à rien » (André). Cette perception du mépris de la part de l’exogroupe se traduit notamment par la conviction que les anglophones perçoivent le groupe acadien comme inférieur : « Comme, on a comme survécu à beaucoup de choses là comme, mais ils [anglophones] nous trouvent probablement quand même inférieurs d’une certaine manière. J’trouve comme, y’a quand même une p’tit affaire qui se sentent supérieurs comme dedans eux z’autres » (Roxanne). Cette perception se traduit même par l’idée que, selon la perspective du groupe anglophone, les Acadiens ne valent pas la peine d’être reconnus : « J’crois que z’eux [anglophones] sont plus comme qu’est-ce que ça vaut d’être français… t’sais qu’est-ce qu’ej veux dire là comme » (Marcel).

Ces jeunes insécures face à l’Acadie, pour qui l’identité collective acadienne est très importante, sont inquiets quant aux répercussions du contexte minoritaire sur l’avenir de leur communauté. Selon eux, les Acadiens de la région tendent à disparaître, résultat de l’assimilation au groupe anglophone : « Ben on peut voir qui y’a beaucoup de monde qui perd leur culture acadienne à cause que y’a plus d’anglais dans les environs donc, les Acadiens essayons d’être plus comme anglais » (Clément). Ainsi, leurs gestes visant à promouvoir les symboles et l’histoire de la culture acadienne sont jugés essentiels afin de protéger la culture et de contrecarrer les forces de l’assimilation : « Nous autres on a le flag [drapeau] des fois…faut vraiment qu’on aille quelque chose ou sinon on va disapearer [disparaître] » (Alex).

2.3.4 Bilingue en évolution (n =6)

Ce profil fait référence à un discours où les jeunes se différencient de leurs ancêtres Acadiens à plusieurs niveaux et dans plusieurs sphères de leur quotidien, y compris les relations intergroupes entretenues avec les anglophones de la région :

J’pense que c’est une position qui a beaucoup changé par le passé. J’pense que maintenant on voit les anglophones comme des gens qu’on a besoin de travailler avec, on n’a pu le choix. Y sont là dans notre société pareil et égal à nous autres puis ça vaut pas la peine qu’on essaye de les éviter parce qu’y sont là dans notre vie de tous les jours, y faut travailler tout le temps avec eux

Maxime

Dans cette optique, les perceptions que les jeunes bilinguesen évolution ont à l’égard du groupe majoritaire anglophone sont généralement positives. Ils considèrent que la discrimination subie par le peuple acadien de la part de cet exogroupe est une chose du passé :

Moi j’ai pas de problème avec les anglophones. C’est du monde comme les autres pis les choses qui sont arrivées 300 ans passé, 400 ans passé, ben on apprend de ça pis on regarde pas, y faut pas tout le temps regarder en arrière là

Maxime

Sans renier la véracité des événements de discrimination qui ont eu lieu dans l’histoire, ceux-ci sont plutôt relégués au passé, car ils ne s’appliquent plus de nos jours :

Euh…Peut-être auparavant comme ils [anglophones] sentaient comme que c’était leur territoire, pis j’pense que quand ce qu’on [Acadiens] a arrivé, comme ils perdaient quelque chose de leur…
j’sais pas comment dire ça but [mais] …mais j’sais pas, maintenant j’pense qu’on est plus comme on se tolère plus là 

Charles

Les jeunes bilinguesen évolution décrivent la relation actuelle entre l’endogroupe et l’exogroupe anglophone comme étant surtout harmonieuse :

Ouin, moi j’ai rien contre les anglophones, j’crois ben z’eux de par icitte [ici] nous aident, nous avons aidé comparé aux autres, d’Ontario ça serait probably [probablement] par là qui seraient worst [pire], but par icitte [ici], j’sais pas, c’est nos friends [amis] de tous les jours

Léonie

Ainsi, chez ces jeunes bilinguesen évolution, il n’y a pas de contradiction entre leur vécu francophone et anglophone : « On n’est pas anglais pis on n’est pas français. On est juste de notre temps » (Thérèse). Ils décrivent plutôt cette réalité comme le produit d’une intégration naturelle, évolutive : « Ben, les générations d’aujourd’hui sont probablement plus différentes qu’avant parce que, on quand même évolué de l’anglais, c’est ça qu’est la langue officielle, but [mais] on est quand même Acadienne so [donc] » (Léonie).

2.3.5 Porteurs de la culture (n =5)

Les porteurs de la culture évaluent négativement la relation intergroupe entre les Acadiens et les anglophones de la région. En effet, lorsqu’on interroge ces jeunes sur le groupe anglophone, deux phénomènes se dégagent de leur discours. De fait, ils soulignent la présence d’une ségrégation entre les deux groupes : « But [mais] c’est souvent les Anglais se tiennent comme tout seul pis ils veulent pas se tiendre [tenir] avec les Français » (Albert). Selon eux, cette séparation est favorisée par les tensions intergroupes : « Des Anglais, ben comme, j’sais qu’une fois à l’école il a eu comme une chicane, les Anglais venaient à l’école icitte [ici]...c’était yeink [seulement] pour la chicane. J’sais pas, sont pas vraiment comme respectueux envers les Français j’veux dire » (Anabelle). Ils croient aussi que cette séparation est favorisée par les différences culturelles : « Comme, c’est still [juste], il a plein d’Anglais, j’sais pas, ils sont pas that [si] différents, j’trouve juste que, on a été broughté up differently [élevé différemment] » (Claudia). De plus, ces jeunes jugent que la relation entre ces deux communautés se caractérise par de l’injustice envers les Acadiens : « Y nous aiment pas vraiment. J’sais pas ben comme, juste y’a des fois que, y nous, j’sais pas, y nous juste traitent différent, j’sais pas, comme y’aiment pas qu’on est comme fiers d’être Acadien, j’sais pas » (Alain). Les différences interculturelles perçues entre ces deux groupes renforcent le sentiment d’appartenance des jeunes Acadiens envers leur collectivité. Les répondants ne permettent pas à l’exogroupe majoritaire anglophone de définir la collectivité acadienne. Ces jeunes s’affirment plutôt en optant pour un activisme culturel qui leur offre un sentiment de fierté et d’appartenance.

En ce sens, que ce soit par le port d’un drapeau ou encore le militantisme face à la langue française, la fierté d’appartenir à l’Acadie se reflète dans les actions quotidiennes du porteur de la culture. Ces jeunes considèrent l’identité collective acadienne comme faisant partie intégrante d’eux même : « Comme si je serais pas Acadienne, j’sais pas qu’est-ce que j’serais, j’saurais pas comme comment vivre d’une manière ou un autre » (Anabelle). De plus, la fierté d’appartenir au groupe acadien est une caractéristique partagée par les membres de ce profil identitaire collectif : « J’aime, chu fière d’être Acadienne, j’adore fêter Acadian Day [le jour des Acadiens] le 15 août. Hum, j’sais pas, on a été troublé [dérangé] beaucoup. Chu proud [fière] d’être icitte now [ici maintenant] » (Claudia). Pour ces jeunes, la fierté acadienne est importante, et ils la manifestent de plusieurs façons dans leur quotidien par l’entremise de plusieurs moyens tels que l’affichage « Moi chu Acadien comme chu fier de le montrer comme j’ai un bracelet avec un drapeau d’Acadie dessus so [donc] » (Alain), le regroupement

Comme même quand on [Acadiens] fight [se bat] pour nos rights [droits], on obviously fight [se bat assurément] pour ça qu’on veut but c’est still [juste] comme on c’est toute un groupe ensemble, pis t’es juste comme j’sais pas c’est juste ça se tient toute ensemble. Pis yeah, c’est une good thing [bonne chose]

Claudia

la promotion de la langue française « Ben Acadien, c’est être Français, pis continuer d’être Français » (Albert) et la reconnaissance des ancêtres « Pis comme ça me fait réaliser qui [ancêtres acadiens] sont comme, comment fort qui sont battus cuz [parce que] si, si y s’auraient pas battus, on pourrait pas parler français » (Jacinthe).

2.3.6 Créateur identitaire (n =3)

Les jeunes issus du profil créateur identitaire entretiennent des propos à l’égard de l’exogroupe majoritaire anglophone qui se caractérisent ni par une vision positive ou négative, mais plutôt par la conviction que les anglophones ne comprennent pas les Acadiens : « Y [anglophones] comprennent pas leur culture [acadienne]… pis y trouvent ça un petit peu weird [bizarre], j’sais pas » (Wendy). De plus, selon les répondants, cette incompréhension affecte la communication entre les membres de ces deux communautés : « Ça me dérange pas vraiment but [mais], y’ont comme un différent sens de l’humour des fois. Comme des choses qu’on trouve drôle eux autres c’est pas that [si] comique pis des affaires de même » (Tania). Cette perception selon laquelle il existe une incompréhension interculturelle est associée à la tendance chez ces jeunes de juger leur identité collective comme étant unique.

Les participants discutent vivement de l’Acadie. Que ce soit en témoignant une vision claire de ce que représente l’Acadie pour eux, en affichant leur sentiment de fierté ou en décrivant les événements historiques, les coutumes acadiennes ou le lien de sang, ces jeunes partagent un sentiment d’appartenance avec la communauté acadienne. Or, lorsqu’ils considèrent les aspects de leur quotidien, ces jeunes du profil créateur identitaire se distinguent de leurs ancêtres :

Ben, chu so much [presque] pareil comme z’eux [Acadiens], juste que, t’sais j’aime le… celebrater [célébrer] comme z’eux, pis les affaires du 15 août pis, but [mais] comme j’ai pas, chu, j’sais pas comment j’dirais ça là, j’ai pas comme vraiment exactement comme z’eux, parce que, c’est ça, j’restais pas sur une farm [ferme] pis j’faisais pas comme, on faisait pas notre propre nourriture, on faisait pas notre beurre comme z’eux pis. But [mais] euh, ma grand-mère été de même so [donc] comme chu still [quand même] pas mal

Wendy

Ainsi, les jeunes appartenant à ce profil considèrent qu’il existe une nouvelle génération d’Acadiens ayant une réalité, des goûts et des pratiques langagières qui sont différents de ceux des Acadiens du passé : « Pis moi c’est ça que je suis [bilingue], moi pis mes amies c’est notre culture. On parle deux langues » (Lianne).

2.4 Bien-être psychologique

Le bien-être psychologique des jeunes Acadiens interrogés semble bien se porter dans la majorité des cas. En effet, les répondants ayant les profils identitaires collectifs insécure face à l’Acadie, bilingue en évolution, créateur identitaire, indifférent ainsi que porteur de la culture appuient les dimensions qui relèvent de la mesure du bien-être psychologique (Ryff, 1989) (voir Tableau 1).

Tableau 1

Témoignages des jeunes par rapport aux sphères du bien-être psychologique de Ryff (1989)

Témoignages des jeunes par rapport aux sphères du bien-être psychologique de Ryff (1989)

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Cependant, le discours des jeunes issus du profil identitaire bilingue à orientation anglophone quant au bien-être psychologique s’écarte de celui des autres participants. En effet, pour ces jeunes, trois sphères de leur bien-être psychologique se distinguent, soit l’autonomie, les relations avec les autres ainsi que leur degré de croissance personnelle. Ainsi, lorsqu’on les interroge sur leur autonomie, ces jeunes se décrivent comme n’ayant pas suffisamment de confiance en soi : « J’pourrais avoir plus confiance là…si qu’j’avais plus de confiance ben j’ferais plus d’affaires là. Ouin » (Tony). Par exemple, ils n’osent pas s’affirmer devant un groupe ayant une opinion contraire à la leur : « Ouin, peut-être ben que j’étais wrong [j’avais tort] moi…C’est ça, j’le laisserais peut-être ben gagner » (Luc). De plus, lorsqu’on les interroge sur leurs relations avec les autres, leur discours révèle que cette sphère de leur bien-être psychologique leur pose problème. En effet, malgré que ces jeunes considèrent avoir un bon réseau social, ils expriment de la méfiance à l’endroit d’autrui :

J’sais pas comment l’expliquer comme… c’est tout le temps un espace que tu crois que cette personne là va tout le temps comme… j’ai des amis que je dis pas mal toute à sauf que j’sais que dans moi-même j’ai plus à dire so [donc] je le garde pour moi-même. Pis ’crois pas que si jamais qu’y a de quoi qui arrive que, je sois pas complètement comme exposé, genre d’affaire

Hugo

Finalement, la dernière facette du bien-être psychologique des bilingues à orientation anglophone qui se distingue des autres participants relève de la croissance personnelle. En effet, ces jeunes Acadiens ne réagissent pas bien aux changements et manifestent de l’anxiété démesurée lorsque survient un changement inattendu :

J’aime ça quand c’est tout le temps les mêmes affaires pis ça là…comme là encore j’aimerais que ça sayes [soit] tout le temps la même affaire que j’ferais à tous les jours, même heure, même journée de la semaine, même…j’aime pas ça quand ça change trop là… [Quand ça change] Pfff, j’vas juste le faire but [mais] ça que c’est ça, ça me stresse but j’vas quand même…comme le chan…changer pis le faire. C’est ça, j’aime pas ça comme dans la tête ça me stresse

Tony

3. Discussion

Le but de la présente étude était d’explorer la perception du désavantage social et ses répercussions sur l’identité collective et le bien-être psychologique des jeunes d’origine acadienne dans le contexte d’un double statut minoritaire. Ainsi, ce projet de recherche s’insère dans le cadre d’une analyse de la perspective des adolescents issus de groupes culturels qui vivent en situation minoritaire et qui doivent transiger avec la majorité dans leur quotidien (Gaudet et Clément, 2005; Hendry, Mayer, et Kloep, 2007). Cette étude a permis de mieux saisir cette réalité auprès d’un groupe qui gère une situation désavantageuse au pluriel. Plus précisément, des jeunes Acadiens provenant du sud-est du Nouveau-Brunswick ont été interrogés sur la relation entretenue par leur collectivité avec les anglophones de la région et les francophones du Québec. Le discours de ces jeunes a permis de mieux comprendre les diverses avenues identitaires possibles pour les membres de ce groupe. De plus, un examen des profils identitaires collectifs et du bien-être psychologique a été réalisé.

La présente étude représente le premier ouvrage qui préconise une méthode visant à susciter chez les participants une réflexion sur différentes perspectives des relations entre les groupes afin d’en dégager des profils identitaires collectifs. Cette approche révèle des nuances importantes par rapport aux perceptions inter et intra-groupes et nous éclaire sur la signification des dynamiques identitaires. Les résultats de l’analyse qualitative montrent que la majorité des jeunes Acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick reconnaissent les pressions exercées par les exogroupes majoritaires, soit les francophones du Québec et les anglophones. Tandis que les perceptions concernant le groupe francophone du Québec engendrent une insécurité linguistique et un sentiment de désavantage sans équivoque chez les jeunes Acadiens de cette région, les perceptions concernant le groupe majoritaire anglophone sont plutôt nuancées. D’ailleurs, la façon dont les répondants se positionnent à l’endroit des anglophones est liée à l’adoption d’un profil identitaire collectif spécifique. Ainsi, six profils identitaires collectifs se sont manifestés : bilingue en évolution, indifférent, bilingue à orientation anglophone, porteur de la culture, insécure face à l’Acadie et créateur identitaire.

Tel que prévu, les résultats obtenus montrent que les participants ne réagissent pas de la même façon par rapport aux anglophones. Ainsi, les résultats permettent de rendre compte d’un plus grand répertoire parmi les profils identitaires collectifs d’une minorité. Comme l’ont constaté les auteurs (Berry et al., 2006; Landry, et al., 2006; Pilote, 2006) il existe de la variation intragroupe quant à l’identité collective. Certains profils identitaires collectifs obtenus dans la présente étude sont uniques et possiblement tributaires des spécificités régionales des Acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick. Par ailleurs, d’autres profils sont comparables à ceux documentés dans les travaux de Pilote (2006). En effet, elle fait référence aux affirmationistes qui, tout comme les porteurs de culture, se définissent par leur identité collective acadienne et se distinguent de la majorité anglophone. Aux yeux des membres de ces deux profils identitaires collectifs, l’affichage culturel est important pour l’épanouissement de leur culture. Or, contrairement aux affirmationistes, les porteurs de la culture perçoivent une ségrégation entre les Acadiens et les anglophones de la région, des tensions intergroupes ainsi que de l’injustice subie par le peuple acadien. De plus, les majoritaires désintéressés (Pilote, 2006) et les bilingues à orientation anglophone se définissent selon la communauté anglophone et priorisent l’anglais dans leur description de soi. En revanche, ces deux profils se distinguent du fait que les bilingues à orientation anglophone misent sur les avantages d’une appartenance au groupe anglophone et dénigrent les pratiques langagières des Acadiens. De plus, même si les bilingues à orientation anglophone peuvent articuler les éléments culturels acadiens, ils ne leur accordent aucun poids; ils ne s’approprient pas cette dimension et se sentent même marginaux à l’égard des Acadiens. Enfin, notons le lien entre la stratégie d’acculturation « séparation » (Berry et al., 2006) et les deux façons dont cette séparation émerge parmi nos participants, c’est-à-dire par le biais du profil porteur de la culture et l’insécure face à l’Acadie.

Les comparaisons intergroupes, l’évaluation de l’endogroupe et les profils identitaires collectifs brossent un sombre portrait du vécu des Acadiens en milieu minoritaire et ce pour deux raisons. D’une part, nos résultats révèlent que de façon unanime, les jeunes témoignent de l’insécurité linguistique à l’égard du groupe majoritaire francophone du Québec (Boudreau et Dubois, 2008). D’autre part, nos résultats révèlent que les pressions assimilatrices des anglophones se font encore sentir chez plusieurs des jeunes Acadiens. Or, lorsque les jeunes Acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick discutent des dimensions de leur bien-être psychologique, les résultats témoignent en général d’une certaine résilience psychologique. En effet, les répondants de cinq des six profils identitaires collectifs identifiés n’entretiennent pas un discours qui fait état d’un bien-être psychologique amoindri. Plus précisément, les jeunes porteurs de la culture et insécures face à l’Acadie puisent à partir d’un sentiment d’attachement accru (Branscombe et al., 1999) et d’une image bien définie de leur identité collective (Taylor, 1997, 2002) les moyens leur permettant de bénéficier d’un bien-être psychologique. Ainsi, selon les résultats de cette étude, le modèle de rejet-identification (Branscombe et al., 1999) ainsi que le modèle du concept de soi (Taylor, 1997, 2002) s’inscrivent dans le cadre d’un plus vaste répertoire de possibilités identitaires. En d’autres termes, les résultats de cette étude donnent à penser que ces modèles reflètent des différences intra-groupes de profils identitaires collectifs privilégiés par certains, plutôt qu’une contradiction théorique. Le bien-être psychologique favorable des jeunes ayant les profils identitaires bilingue en évolution, création identitaire et indifférent peut s’expliquer par l’absence de perception d’un désavantage social par rapport aux anglophones. Or, ce n’est pas le cas des bilingues à orientation anglophone, pour qui les difficultés du point de vue de l’autonomie, des relations interpersonnelles et de la croissance personnelle témoignent d’un bien-être psychologique ébranlé. Ce qui distingue les jeunes issus du profil bilingue à orientation anglophone des autres est qu’ils répondent à leur double statut désavantagé en exprimant un favoritisme à l’endroit des anglophones de la région. Ainsi, tel que le prédit le modèle de rejet-identification (Branscombe et al., 1999), le bien-être psychologique des jeunes bilingues à orientation anglophone n’est pas protégé par l’attachement à l’endroit de l’endogroupe.

La présente étude n’a pas recensé un profil identitaire collectif où l’individu à la fois reconnaît le statut désavantagé de l’endogroupe et témoigne de la difficulté à articuler l’identité collective (Taylor, 1997, 2002). Ce résultat ne remet pas en doute le modèle de Taylor, mais découle plutôt d’une spécificité du contexte dans lequel évoluent les répondants. Ces jeunes d’origine acadienne fréquentent des écoles où la culture acadienne est valorisée et célébrée. De plus, il n’en reste pas moins que la présente étude a seulement évoqué des dimensions du bien-être psychologique qui ont été tirées de la mesure de Ryff (1989). Il est fort possible que d’autres composantes, dont l’estime de soi, puissent mieux nuancer les retombées des perceptions intergroupes et des différents profils identitaires collectifs (Boudreau et Dubois, 1991; Cormier, 2005).

Les résultats obtenus à l’aide de cette recherche constituent une première étape vers la compréhension de l’identité collective et de ses enjeux auprès des jeunes Acadiens vivant dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Or, l’identification ethnique est un facteur qui varie dans le temps (Hallett et al., 2008); par conséquent, cette étude ne permet pas d’explorer les variances intra-personnelles du cheminement identitaire. Une étude longitudinale permettrait de mieux comprendre le processus identitaire à travers les diverses expériences de vie des gens vivant en milieu minoritaire. Les renseignements relatifs au bien-être psychologique obtenus dans cette étude n’offrent qu’un survol du thème. Il serait important de vérifier s’il y a présence d’un lien de causalité entre les divers profils et les facettes du bien-être psychologique afin de mieux guider les divers intervenants en milieu scolaire. De plus, un cadre méthodologique quantitatif permettrait de vérifier la représentation des divers profils dans la collectivité et d’examiner d’autres facteurs pouvant influencer le choix d’un profil identitaire, tels que le sexe, l’âge, la région, ainsi que l’implication des professeurs et de la famille. Ceci permettrait entre autres d’adapter les profils à divers contextes minoritaires tels que les Franco-Ontariens, les Franco-Manitobains et les Fransaskois. Enfin, cette étude ne permet pas d’examiner la façon dont les réactions au statut désavantagé pluriel et les profils identitaires collectifs qui en émanent affectent les stratégies d’accommodation du discours (Giles, Taylor et Bourhis, 1973). Par exemple, il est possible que la tentative du jeune Acadien à s’adapter au style du discours d’un interlocuteur anglophone émerge surtout chez ceux qui sont représentés par le profil identitaire bilingue à orientation anglophone.

En conclusion, cette étude a permis de mieux saisir les défis auxquels sont confrontés quotidiennement les jeunes Acadiens dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. En effet, l’exploration des effets d’un double statut minoritaire sur l’identité collective et le bien-être psychologique des membres d’un groupe désavantagé constitue une première. À la lumière d’un tel contexte, cette étude révèle la complexité des relations intergroupes en témoignant de l’hétérogénéité du profil identitaire collectif du groupe Acadien. De plus, les résultats suggèrent des effets bénéfiques pour ce qui est de l’attachement à l’identité collective. Ceci permet de cibler les jeunes à risque et ainsi de diriger les enseignants du sud-est du Nouveau-Brunswick vers une piste à suivre favorable au bien-être psychologique des adolescents d’origine acadienne.