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Ce numéro intitulé « Culture de l’information et pratiques informationnelles durables » que la Revue de l’Université de Moncton propose à la communauté de recherche et de pratique revêt un caractère spécial, puisqu’il vient marquer la tenue de trois événements significatifs pour le domaine des sciences de l’information et de la communication (SIC) en particulier et pour le milieu universitaire dans son ensemble. Ces événements sont : la tenue de la cinquième édition du Colloque spécialisé en sciences de l’information (COSSI)[1], seul colloque annuel en SIC dans la Francophonie de l’est du Canada, le lancement du Groupe de recherche en information, communication et documentation durables (GRICODD)[2], premier groupe de recherche à se pencher sur cette problématique émergente, ainsi que le 50e anniversaire de l’Université de Moncton, institution phare de l’enseignement post-secondaire en Acadie.

Les textes proposés dans ce numéro spécial dédié au champ des SIC se penchent sur la problématique de la durabilité appliquée à la culture de l’information et aux pratiques informationnelles, communicationnelles et documentaires qui lui sont reliées.

Devenue une compétence organisationnelle stratégique, la culture de l’information constitue un concept et une vision systémique englobant des attitudes et des pratiques informationnelles, communicationnelles et documentaires dépassant la portée de la notion courante de littératie et de ses déclinaisons (littératie de contenu et de contenant).

La recherche émergente investit ce sujet par des explorations des contours et des significations de ce concept se déclinant comme littératie informationnelle, culture informationnelle, intelligence informationnelle ou translittératie, entre autres, avec des angles de vision qui peuvent différer selon les postures épistémologiques adoptées et qui positionnent l’humain par rapport à la réalité.

D’autre part, la culture de l’information, comme compétence personnelle et professionnelle, revêt ce caractère stratégique en raison des nouveaux rôles que l’individu adopte à l’ère de la société de l’information et de l’économie de la connaissance. Si de nombreuses études ont examiné la culture de l’information et son importance pour la performance de l’entreprise, l’on a étudié moins le statut stratégique de webacteur de l’individu, qui manie des objets numériques lui permettant de construire sa réalité, sans qu’il réalise toutefois la complexité et la multitude des conséquences des actes informationnels, communicationnels et documentaires qu’il pose, en égale mesure, dans son parcours personnel et organisationnel. La compréhension limitée de ces multiples implications constitue un enjeu dont les dimensions se révèlent considérablement préoccupantes pour les organisations – et en même temps stimulantes, si l’on réalise que l’information constitue, de toutes les ressources à la disposition de la société et de l’économie, la seule à être inépuisable et, devenant par cet attribut même, source de développement, à part ses fonctions classiques de transmission de savoir, mémorielles ou expérientielles.

La méconnaissance des enjeux et des problématiques évoqués exerce un impact direct sur la culture organisationnelle en matière de stratégies d’information adoptées par les organisations et les institutions et conséquemment sur la gestion informationnelle, communicationnelle et documentaire en place. L’attention accordée aux investissements dédiés aux objets techniques numériques opère un déséquilibre quant à la vision globale de la relation entre l’information – la communication la documentation – le savoir, en tant qu’actifs immatériels de valeur d’une part et d’autre part, les procédures et les outils permettant de les appréhender, de les valoriser et surtout de les pérenniser, dans une perspective de durabilité.

Réorienter le regard vers ces actifs et leur poids conséquent pour l’avenir organisationnel et sociétal peut contribuer à rééquilibrer la vision d’un développement social et économique durable, basé sur l’accès à l’information et le maniement des technologies subséquentes. Cette transformation correspond à un passage du paradigme instrumental – procédural - prescriptif courant dont les limites sont manifestes (entre autres, sur le plan de la production informationnelle, de la masse documentaire ou du foisonnement normatif), à un nouveau paradigme, qui est celui de la vision écologique, systémique et durable, du processus informationnel dans son ensemble et sous toutes ses formes – informationnelle, documentaire, expérientielle, communicationnelle.

Sur un plan organisationnel et personnel, ceci permettra de faire émerger une nouvelle compétence - à caractère stratégique, caractérisée par un savoir-faire informationnel, documentaire et communicationnel apte à opérer une évolution de la compréhension et des pratiques informationnelles utilitaristes et mimétiques en cours, et qui serait plus appropriée par son caractère réfléchi et poïétique, au bon déroulement du processus informationnel et à l’atteinte des objectifs des stratégies informationnelles orientées vers le long terme, vers la création et l’innovation.

Ainsi, la compétence informationnelle-communicationnelle-documentaire durable pourra-t-elle se retrouver à la confluence de la littératie informationnelle et de l’attitude d’éveil à l’environnement complexe, par l’information et la connaissance, par la vigilance et la collaboration en vue de l’action, cette confluence contribuant à dépasser la translittératie et ouvrant la voie à la transculture de l’information.

Créer le terrain propice pour l’émergence du processus informationnel, documentaire et communicationnel selon une approche durable, appelle une démarche de recherche structurée en plusieurs phases et conjuguant les efforts des communautés d’intérêt et de pratique (théoriciens et praticiens) oeuvrant dans le domaine des processus informationnels, documentaires et communicationnels, dans tout type d’organisation (milieu institutionnel, corporatif, associatif).

Dans ce contexte, les contributions constituant ce numéro spécial – réflexions conceptuelles (Christian Marcon), observations et analyses de cas en milieu de pratique (Christian Bourret et Claudie Meyer, Anne Lehmans et Karel Soumagnac ; Vincent Liquète) ou projets réalisés dans le champ de la formation (Florence Thiault, Jacques Kerneis, Rozenn Rouillard et Richard Peirano), portent sur le concept de culture de l’information et des pratiques informationnelles, documentaires et communicationnelles reliées, dans une perspective de durabilité.

L’ampleur et la diversité des manières de travailler, de se manifester ou d’exister dans l’espace virtuel et d’y interagir à l’aide des objets numériques, font émerger des développements imprévus, dont la portée dépasse les prévisions des initiateurs de ces nouveaux espaces et dynamiques. Il devient dès lors impératif de repenser les théories, les normes et les approches courantes, dans un réel esprit de changement de paradigme, où à de nouveaux problèmes l’on apporte de nouvelles solutions.

Nous tenons à remercier les auteurs ainsi que les personnes ayant agi à titre d’évaluateurs des textes, en même temps que le Comité de rédaction de la Revue de l’Université de Moncton et le personnel de notre institution universitaire, pour tout l’appui accordé à la réalisation de ce numéro et à l’avancement de la recherche. Nous espérons que ce recueil saura apporter des éléments de réponse aux débats sur cette problématique émergente dans le champ des sciences de l’information et de la communication.